Michel Debré (20 mars 1962)

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Michel Debré : « La communauté du destin entre l’Algérie et la France » (20 mars 1962)

La séance parlementaire du 20 mars 1962 est historique car elle marque la fin de la guerre d’Algérie, deux jours après la signature des accords d’Évian, mais aussi parce qu’il s’agit du dernier discours de Michel Debré en tant que Premier ministre du général de Gaulle, avant qu’il ne soit remplacé par Georges Pompidou, le 14 avril 1962.
Michel Debré fait le récit des négociations et détaille précisément le contenu des accords qui viennent d’être signés et doivent assurer une coopération entre la France et l’Algérie  fondée « sur un effort décisif de réconciliation ».

             

                 

M. le président. L'ordre du jour appelle la communication du Gouvernement  et  le débat sur  cette communication.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements au centre et à gauche.)

M. Michel Debré, Premier ministre.Mesdames et messieurs les députés, vous avez entendu le message de M. le Président de la République.

A la suite de ce message, la déclaration du Gouvernement a pour objet de préciser la portée des derniers événements et des actes qui les ont consacrés. Elle entend également définir la ligne de notre action politique au  cours des prochaines années.

Le 16 septembre 1959, Je général de Gaulle a affirmé le principe de l'autodétermination des populations algériennes. Ce principe a été approuvé par le Parlement et, le 8 janvier 1961, un projet de loi directement inspiré de cette déclaration a été soumis au suffrage universel qui l'a approuvé à une très forte majorité.

La libre consultation des populations algériennes suppose un préalable : le cessez-le-feu. Ce cessez-le-feu ne pouvait pas être recherché tant que notre armée n'avait point assuré, d'une manière indiscutée, l'autorité de la France sur l'ensemble du territoire. Quand cela eut été fait, renouvelant des offres faites dès septembre 1958, le général de Gaulle, et avec lui la Gouvernement, ont proposé aux chefs de la rébellion des pourparlers en vue d'un cessez-le-feu.

A la suite de ces premiers pourparlers, le Gouvernement a été amené à considérer que la discussion ne pourrait aboutir que dans la mesure où elle serait accompagnée d'une autre discussion sur l'avenir de l'Algérie et des relations entre l'Algérie et la métropole.

Plus que la durée de la rébellion, c'est l'évolution de l'Algérie, les tendances des jeunes générations, l'état général de l'Afrique, qui rendaient nécessaire une conversation d'ordre politique avant que puisse être ordonnée la fin des combats.

Compte tenu des transformations démographiques, économiques et sociales des départements algériens, compte tenu du mouvement très profond d'émancipation qui anime la part la plus évoluée de la population musulmane, il fallait envisager l'hypothèse d'une Algérie susceptible d'acquérir sa personnalité propre. Il fallait en même temps faire comprendre que la sagesse et la raison commandaient à l'Algérie de ne point se détacher de la France à laquelle sa vie demeurera liée, pour autant qu’elle souhaite connaître la paix intérieure, la prospérité et le progrès.

A mesure que les exigences de cette politique se précisaient dans l'esprit et dans l'action du Gouvernement, les événements marquaient sans cesse l'urgence de sa réalisation. Sept années de rébellion, sept années de troubles profonds et de dur maintien de l'ordre public, en même temps l'approche d'une mutation difficile, angoissante, ne cessaient d'accentuer le déchaînement des passions et d'opposer en de tragiques confrontations les représentants des deux communautés. Ici et là, des extrémistes usant de ces passions, employant les pires procédés que peut inventer la haine, semaient la mort avec la volonté d'empêcher tout apaisement.

Il était nécessaire que le Gouvernement, franchissant les obstacles, s'imposât la discipline de vouloir aboutir.

L'intérêt exigeait de ne plus se contenter d'une discussion sur le cessez-le-feu. Les perspectives des lendemains imposaient, un effort pour définir une politique conforme à ce que l'on peut prévoir de l'avenir et participer ainsi, sans nouveau retard, à la construction d'une Algérie nouvelle.

Au nom du Gouvernement, le ministre d’État chargé des affaires algériennes, d'abord seul, ensuite accompagné de deux autres membres du Gouvernement, M. Buron et M. de Broglie, a pris contact avec les représentants de la rébellion. En même temps, aussi bien à Alger qu'à Paris, il a fréquemment convoqué et entendu les représentants des diverses familles spirituelles, politiques ou ethniques de l'Algérie. Au cours de ces pourparlers comme au cours de ces auditions, les options fondamentales que comporte l'autodétermination ont été maintenues. Les populations algériennes seront appelées à décider si le statuquo doit être conservé ou si l'indépendance doit être affirmée, complétée ou non par l'association avec la France.

Toutefois, compte tenu des faits, compte tenu de ce que sera également, au cours des années à venir, l'évolution de l'Algérie, la naissance d'un nouvel État paraît probable, sinon inéluctable. L'essentiel pour l'Algérie et pour les Algériens, également pour la France et les Français, est de, savoir si cet État se fera et s'établira dans la sécession, ou s'il se fera et s'établira suivant une organisation interne respectant la pluralité ethnique et religieuse de l'Algérie et suivant les règles assurant, d'une manière organique et en quelque sorte institutionnelle, sa coopération avec la France.

Les documents établis à la suite de ces pourparlers et de ces consultations bâtissent l'avenir de l'Algérie : nouvelle sur la coopération et sur l'association.

Le fondement de la coopération est assuré par la reconnaissance d'une communauté minoritaire dont les membres dispo sent des droits qui sont et seront ceux de tous les Algériens, mais dont les caractères particuliers sont garantis par des règles et par des institutions. Ces Algériens minoritaires sont, avant tout, ceux qui descendent d'une origine européenne. Ils comprennent aussi les Israélites et les musulmans de statut civil. Tous pourront librement, à l'expiration des trois années qui suivront l'autodétermination, choisir leur statut. En attendant ce choix, ils exerceront, sans restriction aucune, les droits civiques reconnus à tous les habitants de l'Algérie.

Au surplus, au regard de la France, aucun Algérien quel qu'il soit ne peut perdre sa nationalité. Ceux qui refuseront d'accepter, le cas échéant, la nationalité algérienne, pourront conserver la nationalité française et s'installer en France à ce titre ou même, en ce qui concerne les Algériens considérés comme appartenant à la communauté minoritaire, acquérir, s'ils le désirent, sur place un statut d'étranger, garanti par une convention particulière.

Pour les membres de la Communauté européenne et les Algériens qui y sont assimilés, le fait de choisir l'Algérie et sa nationalité n'amène aucune diminution des droits de citoyen. Les libertés sont garanties, les droits de propriété respectés, leurs particularismes culturels, linguistiques et religieux assurés. Sera inscrite dans la loi leur juste représentation dans les institutions chargées des affaires publiques, qu'il s'agisse de l'administration ou d'assemblées élues.

Une association à laquelle appartient obligatoirement tout membre de cette minorité reçoit la mission d'assurer la protec­tion de ses membres et de leurs droits et une cour des garanties celle de veiller au respect de ce statut spécial.

Au cours des discussions et avant de décider le cessez-le-feu, le ministre d'Etat, et avec lui le Gouvernement tout entier, ont subordonné leur accord aux dispositions dont je ne fais que rappeler les principes, mais qui sont des plus minutieuses, comme les documents qui reproduisent la conclusion des pourparlers d'Evian en font foi.

Ce qui nous a guidés, c'est la certitude que l'Algérie a besoin de sa minorité de souche européenne et que l'intérêt de l'Algérie, au premier chef celui de la majorité musulmane, réside dans le maintien et le développement d'une cohabitation nécessaire.

Comment ne comprendrions-nous pas les sentiments qu'éprouvent les Français d'Algérie ? Mais la raison en ces heures difficiles doit les guider comme elle nous guide. La situation ancienne ne pouvait pas subsister. Leurs intérêts, leurs droits et leurs libertés ont été et continuent d'être notre souci, comme est notre souci et le demeurera l'avenir des musulmans, des anciens combattants aussi bien que des jeunes élevés dans nos écoles. La coopération de la France est et sera fonction d'un état d'esprit général de réconciliation. J'aurai l'occasion d'y revenir à la fin de cette déclaration, mais je dois dire ici que cet état d'esprit suppose de la part des Européens d'origine un effort de compréhension que la France leur demande et qui est leur intérêt profond. La fraternité peut être exigée, certes, et elle doit être garantie par des textes, mais il convient également de la pratiquer avec une générosité qui rejoint l'intérêt.

La coopération de la Communauté européenne aux institutions et à la vie publique ; de l'Algérie est une condition d'une autre coopération, celle de l'Algérie et de la France. Cette coopération-là se marquera par des accords économiques, techniques et culturels d'une part, par des accords militaires d'autre part, enfin par le régime particulier du Sahara.

Les accords économiques, techniques et culturels, tels qu'ils sont, et surtout, une fois précisés, tels qu'ils seront, repré­sentent de part et d'autre des engagements réciproques. La France entend maintenir, c'est-à-dire poursuivre, le déve­loppe sent de l'aide technique et culturelle qui peut, seule, assurer à la fois la bonne marche de l'Algérie et la promotion des Algériens. Au cours des trois années qui suivent l'autodé­termination, l'enveloppe générale de l'aide financière sera du même ordre que celle qui a été accordée au cours des récentes années. Après cette date, l'examen sera repris et la réponse que donnera la France sera fonction de l'évolution générale de la politique algérienne.

Il est entendu, d'autre part, que les règles économiques de l'Algérie demeurent celles de la zone franc et les rapports entre la France et l'Algérie marqués par un régime privilégié économique et commercial.

Du point de vue culturel, l'Office universitaire assurera la gestion des établissements d'enseignement du second degré, du technique et du supérieur dont nous gardons la responsabilité et de ceux que nous pourrons être appelés à établir encore.

Les dispositions militaires prévoient d'abord au cours des trois premières années le maintien de l'armée. Pendant une plus longue période, cinq ans au moins, nos expériences scientifiques au Sahara se poursuivront.

La base de Mers-el-Kébir est concédée à la France pour une période renouvelable de quinze ans. L'utilisation des aérodromes nécessaires à nos liaisons avec l'Afrique est prévue sans limitation de durée.

En ce qui concerne le Sahara, deux catégories distinctes de dispositions étaient nécessaires. Elles forment le statut nouveau du Sahara.

En premier lieu, la sauvegarde des intérêts français est affirmée par le maintien sans modification de tous les titres miniers actuellement délivrés, la préférence à égalité d'offres assurée aux sociétés françaises pour l'octroi de nouveaux titres et une garantie d'approvisionnement aussi bien pour la France que pour  les pays de la zone franc.

En même temps, prenant la suite de l'Organisation. commune des régions sahariennes, est institué un office paritaire franco-algérien qui sera consulté obligatoirement sur tous les textes législatifs et réglementaires touchant le sous-sol saharien, qui a la responsabilité d'instruire toutes les demandes relatives à l'octroi des titres miniers et des titres de transports, qui doit assurer la surveillance des titulaires de permis de concession ou de recherche, enfin qui veille au développement des infrastructures nécessaires à la mise en valeur des richesses sahariennes.

C'est par l'intermédiaire de cet office que la France, notamment, continuera à marquer son intérêt aux populations sahariennes.

L'application, comme la mise au point, de ces principes de coopération intérieure et d'association entre la France et l'Algérie n'aura pas lieu instantanément. La mutation ne peut pas être immédiate et, en toute hypothèse, elle dépend des résultats de l'autodétermination. Avant le jour de la consultation qui doit intervenir dans un délai de trois à six mois, il était indispensable de prévoir à la fois des mesures d'organisation et d'apaisement. L'apaisement : la France entend en créer les conditions par des mesures progressives de libération, de grâce et d'amnistie. Il a été, en même temps, solennellement proclamé que nul ne pourrait souffrir des actes accomplis ou des positions poli­tiques adoptées au cours des années écoulées. Au-delà des ruines, des deuils, au-delà des ressentiments, chacun reprend sa place, chacun a droit à sa liberté d'avenir.

L'organisation des pouvoirs publics sera conforme à la loi votée par le peuple en janvier 1961. Le représentant de la France, titulaire des pouvoirs de la souveraineté sera un haut-commissaire. Auprès de lui siégera, comme le prévoit cette loi, un exécutif provisoire composé en majorité d'Algériens musulmans, présidé par un Algérien musulman, avec une minorité d'Algériens d'origine européenne, dont le vice-président. Cet exécutif reçoit délégation pour l'administration intérieure de l'Algérie, mais, avant tout, il doit procéder à la préparation de l'autodétermination. Une force locale issue de l'armée fran­çaise et conservant son encadrement sera mise à la disposition de cet exécutif, cependant que, pour faire face à des troubles éventuels, le haut-commissaire — autorité en dernier ressort — conserve le commandement de l'armée française. Le bon fonctionnement de cet exécutif et surtout la coopération entre le haut-commissaire et ses membres devront préfigurer ce que seront par la suite les rapports politiques entre communautés et la coopération entre la France et l'Algérie.

La condamnation de toute violence, de quelque côté qu'elle vienne, sera assurée par un tribunal spécial. Le rôle de ce tribunal sera essentiel, car il faut arrêter les assassinats et les attentats. Il peut se trouver des terroristes qui veulent aller au-delà des directives de la rébellion. Il y a. d'autre part, cet appel à l'émeute, ce terrorisme qui se nomme O. A. S. et qui, à l'image de ce que fut le précédent, emploie à son tour les méthodes les plus sanguinaires.

M. Albin de Lacoste Lareyrondie. Alors, négociez !

M. le Premier ministre. Tout sera remis en cause, et d'abord la- sécurité des Français d'origine comme les intérêts de la France, s'il n'est pas mis fin à cette nouvelle invasion de la violence. En attendant le tribunal spécial, deux cours martiales ont  été installées à Alger et  à  Oran.

M. Jean-Baptiste Biaggi. Vous ne l'avez pas fait pour le F. L. N. !

M. le Premier ministre. L'avenir du cessez-le-feu se joue dans les heures qui viennent et, sauf ceux qui vivent mieux dans la violence et le goût de la mort, nul n'a intérêt à ce que la fin des combats soit remise en cause.

Au-delà de l'autodétermination une période de trois ans a été envisagée au cours de laquelle un nouveau régime sera, en quelque sorte, expérimenté. L'armée française sera présente. Les membres de la Communauté européenne ne seront point tenus de faire des options et cependant conserveront leurs droits. L'aide financière de la métropole sera maintenue à son niveau actuel. A l'expiration de ce délai et sans que les bases des décisions puissent être remises en cause, un problème pourra être posé : accentuer la coopération, renforcer l'association. Au-delà des textes et des principes, c'est alors que se fera le destin de l'Algérie et que se préciseront les rapports durables de l'Algérie nouvelle et de la France.

Cette transformation, si elle s'accomplit dans un effort de réconciliation progressive à l'intérieur de l'Algérie et dans le maintien d'une coopération privilégiée, c'est pour une très grande part à l'action de l'armée que l'Algérie le devra. L'armée ne s'est pas contentée d'extirper le terrorisme et de déjouer les plans d'une subversion qui voulait ensanglanter l'Algérie entière.

M. Jean-Baptiste Biaggi. Vous, vous avez capitulé devant eux.

M. le Premier ministre. Ses chefs et ses hommes frappés par l'insuffisance de l'administration et le retard de nombreux services publics ont assuré une mission de construction et d'éducation qui a porté ses fruits et qui sera un des atouts décisifs dans la future collaboration des communautés. A son incontestable succès militaire, l'armée a ajouté la réussite d'une brillante action civile.

Une certaine conception des rapports entre Européens et musulmans et une certaine conception des rapporta entre la France et l'Algérie ont été non point instituées mais développées et enrichies par des années de présence et de sacrifices militaires.

Certes, l'évolution démographique a accentué le caractère minoritaire de la Communauté européenne en même temps que la prise de conscience d'une personnalité musulmane modifiant profondément les données sur lesquelles se fondait l'autorité politique. Mais en dépit des souffrances de sept années, en dépit d'excès affreux, les liens entre Européens et musulmans sont trop étroits pour ne pas assurer un avenir, à tous. Il est nécessaire de le répéter, l'essentiel de nos efforts a été d'assurer à ces Européens et à tous les musulmans fidèles à la France la possibilité de vivre en citoyens dans leur Algérie en même temps que la France leur gardait le droit d'être accueillis en métropole comme des citoyens français.

M. Jean Thomazo. Encore heureux !

M. le Premier ministre. Le statut des musulmans en France, l'aide financière, le soutien économique et commercial, la coopération technique, cet ensemble d'efforts de la France — sans lesquels, pendant des années et des années, l'Algérie ne pourra vivre — ne sera maintenu et développé que dans la mesure où, à l'intérieur de l'Algérie de demain, comme entre la France et l'Algérie, les rapports seront fondés sur un effort décisif de réconciliation.

Il est vrai qu'en présence d'une telle transformation possible, une question est sur toutes les lèvres, une interrogation inquiète et qui vient du cœur : Quel est l'avenir de l'Algérie, quel est l'avenir de la France et de l'Algérie associées ?

C'est la France qui a fait l'Algérie et qui, partent de l'Algérie, a non seulement découvert, mais invente le Sahara. Demain qu'adviendra-t-il de ces territoires s'ils décident de se gouverner eux-mêmes ? Les décisions acceptées d'un commun accord sont-elles le prélude d'une entente prolongée, ou dissimulent-elles un avenir tout différent ?

S'il devait arriver que sous la pression des forces et des passions déchaînées, une profonde scission vienne affaiblir, voire briser les liens qui ont si longtemps soudé nos deux rives de la Méditerranée, l'équilibre politique, la paix et la liberté dans cette partie du monde seraient gravement atteints ; mais l'Algérie serait la première victime de ce bouleversement.

L'avenir de l'Algérie, celui du Sahara, celui de l'Afrique du Nord tout entiers sont fonction de leurs rapports avec l'Europe, et d'abord avec la France. Qu'il s'agisse du pétrole ou du gaz et de leurs débouchés, sans lesquels ces richesses ne sont rien, qu'il s'agisse des centaines de milliers de travailleurs qui doivent, hors du territoire, chercher un salaire, qu'il s'agisse des capi­taux, sans lesquels les investissements indispensables sont impossibles, qu'il s'agisse de l'enseignement moderne, hors duquel il n'est ni élite politique, ni progrès économique, ni promotion sociale, tout apporte la preuve que 1'Algérie a le plus profond et le plus permanent besoin de la France et qu'une rupture des liens serait pour elle la certitude d'une décadence génératrice de désordre et d'anarchie.

On peut se complaire à décrier l'œuvre accomplie par la France ou mesurer le bénéfice qu'elle a pu parfois en retirer. Le jugement de l'Histoire est depuis longtemps écrit, et il est incontestable. Qu'il s'agisse de son économie, de son niveau de vie, des lois sociales, des travaux publics, de l'effort d'enseignement et de justice, ce territoire de l'Algérie, les terres habitées du Sahara ont atteint un niveau élevé de progrès et de civilisation qui en font un modèle pour l'Afrique et le monde méditerranéen.

Désormais et très probablement, notre œuvre vu devoir prendre une forme nouvelle. Les textes sont nécessaires, les institutions sont nécessaires, mais ce qui importe avant tout c'est, avec l'exacte observation des réalités et de leur évolution, une volonté déterminée d'atteindre un grand objectif.

La situation présente est certes difficile, car nous sommes à peine à la fin d'un conflit qui a fait des dizaines de milliers de morts et qui a été marqué par des actes odieux de terrorisme. Nous sommes encore hantés par tout ce que peut faire demain la violence de passions que le temps seul calmera. Mais, au-dessus de ces difficultés présentes, de ces appréhensions permanentes, il y a une exigence, la terre d'Algérie et son avenir, et une autre exigence, l'entente entre les peuples des deux rives de la Méditerranée marqués pendant des générations par le mélange des hommes, des économies et des cultures. Une France consciente; de tout ce que l'avenir réserve à sa force et à sa foi peut, demain, sur des bases nouvelles, continuer une œuvre que rien ne peut effacer, la renouveler, l'enrichir et, ainsi, retrouver sur toutes les terres musulmanes de la Méditerranée, et même au-delà, un immense prestige et un rayonnement inégalé.

Au cours des dernières années, nos anciennes colonies d'Afrique noire et de Madagascar sont devenues des États. L'accession à l'indépendance n'a pas atteint la solidité des attaches politiques renforcées au contraire par le sentiment nouveau de l'égalité des partenaires. Elle a provoqué la naissance de liens adaptés à notre temps et qui, dans un monde déchiré par les rivalités, ont pris une valeur exemplaire.

On ne peut poursuivre longtemps la comparaison de l'Algérie et de l'Afrique noire. Cependant, nous avons prouvé que l'évolution des territoires colonisés n'est ni un repliement ni un désintéressement pour une nation comme la nôtre qui rajeunit, qui travaille et investit ; elle nous invite, au contraire, à poursuivre sur des voies neuves l'œuvre commencée il y a cent trente-deux ans.

Mesdames et messieurs les députés, au moment où la France donne la parole aux populations algériennes et accepte à l'avance les conséquences graves, peut-être déchirantes, d'un choix exercé librement à la face de l'univers, elle maintient sa volonté de demeurer tout à la fois une nation guide et une nation généreuse, ferme dans la protection de ses enfants et la sauvegarde de ses intérêts essentiels.

Au-delà de l'appui qu'elle entend maintenir, au-delà de la coopération qu'elle souhaite développer, elle demeure prête à prouver par ses actes qu'elle croit profondément à la commu­nauté du destin entre l'Algérie et la France et que, de toutes ses forces comme de toute son âme, elle y travaillera. (Applaudissements à gauche, au centre et sur quelques bancs au centre