Pierre Mendès France (22 juillet 1954)

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Pierre Mendès France (1954) : Cessation des hostilités en Indochine (22 juillet 1954)

Le 7 mai 1954, la défaite de Dien Bien Phu conduit à la nomination de Pierre Mendès France à la tête du Conseil et à son investiture par 419 voix pour. Lors de son discours d’investiture, PMF souhaite régler le conflit indochinois en un mois, sans quoi il s’engage à démissionner. Le 18 juin, il traite directement avec les émissaires du Viet-Minh et les accords sont conclus dans la nuit du 20 au 21 juillet 1954.
Le 22 juillet, il rend compte à l’Assemblée nationale des pourparlers et de leurs conséquences et le 23 juillet, 462 députés adoptent l’ordre du jour approuvant l’action du Président du Conseil.
Ainsi est mis fin à une guerre qui a duré sept ans et qui a fait 92 000 morts ou disparus et 114 000 blessés.

   

   

J'ai conclu, ainsi que l'Assemblée le sait, dans les délais que je m'étais imparti, à quelques heures près, les accords de cessation des hostilités en Indochine. [...]

En cet instant, je vous demande, mesdames, messieurs, la permission de m'associer aux nobles paroles qui ont été prononcées voici quelques instants par M. le Président de cette Assemblée et de rendre après lui un hommage solennel et ému à nos combattants, à ceux aussi des armées nationales qui ont combattu à nos côtés, à ceux qui, sept années durant, ont lutté, et singulièrement à ceux qui ont tenu là-bas pendant les toutes dernières semaines, dans des conditions dont on connaîtra un jour le caractère souvent dramatique, de ces hommes qui ont tenu, dis-je, sans être animés par l'espoir de conquérir, mais décidés à résister obscurément jusqu'à la mort pour sauver ce qui pouvait être sauvé. Ils y sont parvenus ! Grâces leur en soient rendues. Inclinons-nous pieusement devant les morts, inclinons-nous devant ceux qui les pleurent.

Mais, mesdames, messieurs, dans cet instant, je ne me fais pas d'illusions et je voudrais que personne ne se fasse d'illusions sur le contenu des accords qui viennent d'être signés à Genève. Le texte en est parfois cruel, parce qu'il consacre des faits qui sont cruels : il n'était plus possible qu'il en allât autrement.

Vous vous souviendrez peut-être qu'entre le moment où je fus désigné par M. le Président de la République pour former le Gouvernement et le moment où je me suis, quelques jours plus tard, présenté devant vous, j'ai eu de longues consultations avec nos chefs militaires. C'est alors que j'ai acquis la conviction que, si la guerre devait durer, notre corps expéditionnaire qui, dans le nord de l'Indochine, se trouvait en situation difficile, serait mis en péril, à moins que ne lui soient envoyés, dans un délai très bref, des renforts importants ; l'envoi du contingent devenait dès lors une nécessité impérieuse à moins qu'un armistice ne soit conclu très rapidement. [...]

Et après ce que je viens de rappeler, peut-être comprendra-t-on que ce ne fut appelé « un pari », avec le sens péjoratif qui pouvait s'attacher à ce mot, avait une bien autre signification dans la réalité. Si, dans les trente jours, nous n'avions pas conclu l'accord de cessez-le-feu, nos jeunes gens auraient dû en effet partir, sans que, pour cela, nous fussions certains, jusqu'au moment de leur arrivée en Indochine, que notre corps expéditionnaire ne demeurerait pas exposé aux plus graves dangers.

Telle est l'explication du délai d'un mois qui a parfois surpris l'opinion en France et à l'étranger ; explication que je ne pouvais pas alors donner publi­quement sans révéler à nos adversaires la faiblesse de notre dispositif militaire et la précarité de nos positions.
Ce délai d'un mois, nécessaire à la préparation intense en France des renforts qui pouvaient devenir indispensables si la bataille se poursuivait, je l'ai utilisé comme une mise en demeure, adressée à l'adversaire, de conclure en prouvant sans équivoque sa volonté de paix. De cela je peux parler librement aujourd'hui que les accords mettant fin aux hostilités sont signés.

[...]

C'est ainsi, mesdames, messieurs, que j'ai eu à lutter contre le temps, dans l'intérêt suprême du pays. Les péripéties de cette lutte, vous les avez connues. [...]

Ce qu'on ignore cependant - et des faux bruits ont couru sur ce sujet - et ce qu'il me faut préciser à cette tribune avant d'analyser le contenu des accords, c'est le point de départ des négociations que j'ai conduites.

Au début du mois de juin, exactement le 8 et le 10 juin, six jours avant la chute du précédent gouvernement, au cours de conversations entre experts militaires français et viet-minh qui traitaient de la question des échanges de prisonniers, il est apparu que notre adversaire envisageait la possibilité d'une transaction générale pour mettre fin aux hostilités. La poursuite de ces conversations entre les experts militaires fut autorisée par mon prédécesseur au ministère des Affaires étrangères, si je ne me trompe le jour même où je me suis présenté devant cette assemblée pour solliciter son investiture. [...]

Les entretiens diplomatiques, menés de pair avec les conversations d'experts, nous éclairèrent sur les prétentions du Viet Minh. M. Chauvel, muni de mes instructions, au lendemain des entretiens de Berne, a, alors, avec une efficacité à laquelle je tiens à rendre hommage, largement exploré, puis exploité le terrain. Cependant, sur des points importants, tels que la question de la ligne de démarcation ou de la date des élections au Vietnam, les précisions ne devaient être dégagées qu'après mon arrivée à Genève, quand je pris moi-même, dés le 11 juillet, contact avec M. Pham Van Dong. [...]

La position de départ de M. Pham Van Dong et de sa délégation, quand j'ai assumé la charge du gouvernement, était la suivante :

Tout d'abord, le Viet Minh prétendait qu'un règlement identique devait intervenir pour les trois pays de l'Indochine. Selon M. Pham Van Dong, Vietnam, Laos et Cambodge devaient faire l'objet de trois conventions identiques. C'est ainsi qu'il prétendait obtenir que chacun des trois pays fût divisé par une ligne de démarcation, et que, dans chacun d'eux, une zone fût confiée au contrôle du Viet Minh ou d'une organisation s'apparentant au Viet Minh.

De même, il entendait obtenir que, dans chacun de ces trois pays, un statut fût reconnu qui, sous une forme ou sous une autre, préfigurerait la création d'États comparables à la République démocratique du Vietnam. [...]

Il en serait résulté, pour les autorités nouvelles qui auraient gouverné la partie nord du Vietnam, une possibilité de contrôle indirect sur le pays voisin, le Laos.

M. Pham Van Dong entendait également que nos troupes se retirassent de l'ensemble du territoire dans un délai compris entre trois et six mois. Il demandait à la Conférence de décider que des élections générales auraient lieu, au Vietnam, dans un délai de six mois après la cessation des hostilités. [...]

Je ne désire pas, mesdames, messieurs, rapporter ici le détail des négociations qui se sont poursuivies depuis un mois. En regard de la position de départ de nos interlocuteurs, je me contenterai de présenter maintenant les accords auxquels nous sommes parvenus à Genève dans la nuit du 20 au 21 juillet. [...]

À ces accords de cessation des hostilités s'ajoutent des déclarations unilatérales : deux du Cambodge, deux du Laos et deux de la France. Nous avons voulu éviter que la Conférence prît des décisions dans des domaines qui relèvent de la seule compétence des trois États. Sur ce point important pour l'avenir politique du Cambodge et du Laos, nous n'avons obtenu satisfaction qu'au terme d'une longue et difficile discussion. [...]

Je signale, en passant, une réserve formulée par la délégation des États-Unis. Le gouvernement américain prend note des articles de la déclaration finale, à l'exclusion de celui qui prévoit des consultations entre les membres de la Conférence. Il déclare qu'il s'engage à respecter les accords sur la cessation des hostilités et qu'il considérera tout renouvellement de l'agression comme une grave menace dirigée contre la paix, dont il devrait tirer les conséquences. [...]

Parmi les autres observations je signalerai, enfin, celles que nous avons faites sur les minorités catholiques du Nord-Vietnam, qui ont été reprises sous des formes diverses par la délégation du Viet Minh et par la délégation du Vietnam.

Si l'on examine maintenant la situa­tion dans chacun des trois pays intéressés à la suite des accords qui ont été signés, on peut retenir les indications suivantes :

D'abord en ce qui concerne le Vietnam.

Des dispositions militaires ont été prévues, dont il est inutile que j'indique ici le détail. Elles comportent principalement la « désimbrication » des unités des deux camps, en vue de leur regroupement dans les secteurs de stationnement provisoires.

Le repli des forces franco-vietnamiennes du Tonkin vers le sud se fera en trois cents jours, par échelons successifs. [...]

Le repli des forces du Viet Minh qui se trouvent à l'heure actuelle en Annam ou en Cochinchine - repli symétrique de celui que nous opérons -, le repli de ces forces du sud vers le nord se fera par échelons successifs, également dans un délai de trois cents jours. (...]

La libération des prisonniers fait l'objet de dispositions particulières auxquelles je n'ai pas besoin de vous dire combien la délégation française attachait d'importance. C'est dans un délai de trente jours après le cessez-le-feu que tous les prisonniers seront libérés. [...]

Enfin, le droit d'option a été proclamé et organisé, afin que tous les Vietnamiens, quels que soient leur domicile et leur résidence actuels, aient la possibilité, librement, de rejoindre la zone de leur choix.

Il avait été prévu, dès le début de la Conférence, par une décision unanime des neuf participants, que le règlement dont je viens de parler n'aurait qu'un caractère provisoire et que l'unité du pays serait rétablie le plus rapidement possible dans le cadre d'élections générales sous contrôle international [...]

Après de longs débats, il a été décidé par la conférence que les élections auraient lieu en juillet 1956, c'est-à-dire dans deux ans ; elles se dérouleront sous un contrôle international, je le répète, c'est-à-dire sous le contrôle d'une Commission composée de représentants de l'Inde, du Canada et de la Pologne.

Les indications que je viens de donner, mesdames, messieurs, s'appliquent au Vietnam. Le règlement prévu au Cambodge et au Laos n'est pas du tout comparable.

Ici, la situation, en effet, est toute différente. Il s'agit de deux pays qui ont une constitution, un gouvernement, une indépendance indiscutable, une vie internationale déjà affirmée. Nous n'aurions pas pu permettre qu'un règlement semblable à celui du Vietnam puisse leur être étendu.

Il a été prévu que les forces viet-minh qui s'y trouvent devront avoir éva­cué le Laos dans un délai de quatre mois et le Cambodge dans un délai de trois mois. [...]

Enfin, en ce qui concerne le Laos et le Cambodge, nos interlocuteurs communistes ont, en fait, reconnu les deux gouvernements royaux, dont l'autorité ne doit plus maintenant être contestée sur le plan international.

Le contrôle de toutes les dispositions dont je viens de parler fait l'objet de mesures extrêmement précises dont j'épargnerai le détail à l'Assemblée. Qu'il me suffise de dire qu'il sera opéré par une commission dont, je l'ai déjà indiqué, la présidence sera assurée par le représentant de l'Inde. Je tiens à cette occasion à remercier le gouvernement indien de l'intérêt qu'il a pris à nos travaux et de la contribution qu'il a apportée à la Conférence (Mouvements divers sur quelques bancs à l'extrême droite.) et à indiquer à l'Assemblée que le gouvernement indien commence dès aujourd'hui l'organisation pratique du contrôle dont il doit assumer la présidence.

Pour être complet, j'aurai encore à indiquer que le statut militaire des trois États de l'Indochine a fait l'objet de dispositions et d'accords extrêmement précis et minutieux. Nos interlocuteurs demandaient que la conférence interdît aux trois États de l'Indochine de participer à toute alliance et de disposer de bases étrangères. Au Vietnam, l'accord sur la cessation des hostilités contient ces deux interdictions, qui ne visent pas la France. Pour le Cambodge et le Laos, nous avons pris note de déclarations unilatérales des deux gouvernements qui s'engagent à ne pas participer à des alliances qui ne seraient pas conformes à la Charte des Nations unies et à ne pas avoir de bases étrangères aussi longtemps que leur sécurité ne sera pas menacée. [...]

Mesdames, messieurs, de quoi demain sera-t-il fait ?

Au moment où se terminaient les travaux de la Conférence de Genève, j'ai dit au Président de la délégation vietnamienne dans quel esprit la France entendait mener à bien la politique qu'elle s'est assignée à l'égard du Vietnam. [...]

Ainsi va être consacrée dans les réalités administratives l'indépendance que la France s'est engagée à reconnaître aux trois États d'Indochine, et qui vient d'être solennellement réaffirmée dans l'acte final de la Conférence de Genève.

Certes, les accords ont établi au Vietnam une situation qui, je l'ai déjà dit, a un caractère provisoire. Cette situation a du moins, sur le plan administratif et territorial, l'avantage d'être nette. L'éva­cuation par nos forces de certaines zones au Nord trouve sa réplique exacte dans l'évacuation au Centre et au Sud de zones occupées par le Viet Minh. Les obstacles à une bonne administration du pays, au sud du 17e parallèle, sont ainsi levés. [...]

Au nord de la ligne de démarca­tion, nous faisons face, dans les régions que nous allons évacuer, à une situation nouvelle dont je sais qu'elle n'est ni sans difficultés ni sans aléas. Il m'a paru cependant que notre adversaire d'hier, ouvert dans nos écoles à nos formes de pensée, n'y restait pas insensible. Il a affirmé hier à Genève qu'il souhaitait le maintien de ses contacts économiques et culturels avec la France.

Le 21 juillet, le Président de la délégation du gouvernement de la République démocratique du Vietnam m'a fait savoir par lettre que son gouvernement, en ce qui concernait ces questions économiques et culturelles, observerait les principes suivants :

Il n'entend opposer aucun obstacle de droit ou de fait au départ des personnes qui désireront sortir de la zone de regroupement. Dans les régions évacuées, les installations nécessaires au fonctionnement des services publics et industriels seront maintenues. La propriété des biens et des entreprises sera sauvegardée et respectée. [...]

Dans le domaine culturel, celui-ci affirme qu'il prendra toutes les mesures nécessaires pour que les établissements français puissent continuer à fonctionner. [...]

Mesdames, messieurs, si un pas important a été franchi vers le rétablissement de la paix en Asie du Sud-Est, nous demeurons soucieux de voir consolider la sécurité dans cette région.

[...]

Si cet équilibre était menacé, il en résulterait un danger sérieux pour l'Asie du Sud-Est, et à travers elle pour le reste du monde.

C'est pourquoi nous avons accueilli avec satisfaction la déclaration faite hier par le général Bedell Smith qui, après avoir donné l'assurance que le gouvernement des États-Unis ne troublerait pas l'application des accords de Genève, a précisé que tout renouvellement de l'agression, en violation desdits accords, serait considéré par les États-Unis comme une menace sérieuse à la paix internationale et à la sécurité. Cette déclaration consolide le système que nous avons édifié à Genève.

Les accords de Genève consacrent évidemment les pertes déjà subies ou les pertes rendues inévitables par la détérioration de la situation militaire à laquelle j'ai fait allusion au début de mes explications. Mais ils laissent intactes les possibilités existant pour la France de maintenir les positions grâce auxquelles elle continuera d'être pré­sente en Extrême-Orient et d'y jouer son rôle.

Puissent maintenant les États dont nous avons proclamé l'indépendance - indépendance dont les dernières réalités seront effectives demain - prendre conscience de leurs possibilités nationales et du rôle qu'ils sont appelés à jouer au sein de la communauté des Nations.

La France a conduit ces États à l'indépendance. Une autre mission demeure : leur apporter sur leur demande aide et appui pour assurer le bien-être de leurs peuples et la consolidation de leur sécurité.

Telle sera la politique à la fois géné­reuse et réaliste de la France. [...]

Je n'ai jamais cru, je n'ai jamais dit que la fin des hostilités en Indochine soulagerait d'emblée l'énorme fardeau matériel que cette guerre faisait peser sur nos épaules. Elle se traduira par un inestimable bénéfice, la préservation de notre jeunesse, et elle nous donnera la possibilité de renforcer nos positions militaires en Europe et en Afrique. (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs à droite et à l'extrême droite.)

Mais en dehors de cela, comme j'ai eu l'occasion de le montrer déjà, elle nous obligera à un effort de reconversion de notre économie nationale, parce que, à l'heure présente, celle-ci repose en partie sur un faux équilibre dont la guerre d'Indochine est un facteur. [...] Notre industrie travaille largement pour la guerre et en fonction de la guerre d'Indochine.

Ce n'est pas tout. Pour la production militaire, notre industrie est payée en francs, et l'État français reçoit en contrepartie une aide américaine en dollars. Celle-ci vient grossir nos ressources en devises, ce qui permet de solder les déficits de la balance commerciale que nous encourons dans beaucoup de pays.

En d'autres termes, nous avons trouvé dans la guerre d'Indochine l'équivalent des ressources que, norma­lement, les exportations devraient nous procurer. Mais, du même coup, elle a orienté notre production dans un certain sens puisque, ayant moins besoin de vendre sur les marchés étrangers, nous avons pu nous dispenser d'une partie de l'effort nécessaire sur ces marchés.

En bref, la fin des hostilités en Indochine se traduira par une diminution de nos ressources directes en dollars. Nous devrons les retrouver dans un effort accru pour l'exportation.

Si la fin de la guerre d'Indochine est une condition préalable de l'assainissement économique, elle rend cet assainissement plus urgent. La tâche sera dure, je ne l'ai jamais caché et je tenais à le répéter aujourd'hui. Cette tâche devra être entreprise énergiquement ; elle devra être poursuivie sans délai.

Il me reste maintenant, mesdames, messieurs, à examiner l'incidence des négociations et des accords de Genève sur notre politique internationale.

Je ne me suis, à aucun moment, dissimulé que la négociation et la conclu­sion d'accords mettant fin aux hostilités en Indochine pouvaient constituer une épreuve difficile pour l'alliance occi­dentale. Trop longtemps, en effet, des illusions avaient été entretenues, chez nos alliés, sur les possibilités de notre action militaire et sur les objectifs que nous étions susceptibles d'atteindre. Sans doute, les réalités, les tristes réalités, avaient-elles, depuis le début de l'année, contribué à les éclairer, mais ce n'était peut-être pas pour les rendre plus indulgents à notre égard. [...]

C'était certainement l'une des plus grandes difficultés de ma tâche que de dissiper les malentendus et les préventions.

L'épreuve décisive vint le jour où il apparut que les États-Unis hésitaient à manifester par la présence d'une personnalité de rang ministériel à la confé­rence de Genève qu'ils participaient pleinement à la négociation finale. Or, de mon côté, j'estimais que cette pré­sence était indispensable, faute de quoi les accords à intervenir seraient frappés de précarité. C'est ce que j'ai, d'ailleurs, expliqué à nos adversaires eux-mêmes et je crois bien, sur ce point, avoir été compris.

C'est au cours des entrevues de Paris des 13 et 14 juillet que je parvins à convaincre le secrétaire d'État M. Foster DuIles, qui avait bien voulu accepter mon invitation à une Conférence conjointe avec M. Eden à Paris. Je puis bien dire que non seulement M. Foster Dulles a été convaincu, mais que sur tous les plans nos conversations ont resserré les liens de notre alliance et notre amitié avec la grande République des États-Unis.

[...]

Même dans des milieux améri­cains qui n'inclinaient pas à priori à approuver notre politique, une vue réaliste des choses a prévalu. On s'est rendu compte que non seulement le pire avait été évité, mais que la poursuite de la guerre en Extrême-Orient était un lourd passif pour la politique européenne et d'une manière plus générale pour toute la politique occidentale.

À ce propos, je tiens aussi à dire que notre politique européenne n'est sortie de ces négociations grevée d'aucune hypothèque, ni avouée, ni secrète. Il n'a jamais été question qu'elle puisse l'être par aucun de nos interlocuteurs.

J'ai parlé, mesdames, messieurs, des États-Unis. En ce qui concerne la Grande-Bretagne, il m'est difficile d'exprimer à quel point notre entente a été étroite et cordiale ; et, puisque j'ai prononcé ce mot, je n'ai pas été sans remarquer que, de l'autre côté de la Manche, on a parlé d'un renouveau de l'Entente cordiale.

M. Eden a été l'un des présidents de la Conférence. Il a employé toute sa grande expérience et toute sa grande autorité à opérer les rapprochements chaque fois qu'ils paraissaient possibles. Je tiens, de cette tribune, à lui adresser tous les remerciements du gouvernement français. (Applaudissements à gauche, sur quelques bancs au centre et sur de nombreux bancs à droite et à l'extrême droite.)

Et ici, il serait injuste de ne pas dire que l'autre président, M. Molotov, a usé, lui aussi, de son influence dans le sens de la conciliation et que son action a été tout particulièrement efficace dans les dernières heures de la Conférence.

Mesdames, messieurs, je vous ai dit exactement dans quelles conditions j'avais repris la négociation de Genève et comment je l'avais menée à son terme. [...]

À Genève, je me suis senti fort de la confiance dont l'Assemblée nationale m'avait investi pour accomplir ma mission, fort de l'appui du sentiment public, qui m'a soutenu dans les heures difficiles.

J'aurais aimé, je l'avoue, qu'aucun des concours que j'avais souhaités et que je souhaite encore, ne me manque dans mon effort.

Une dure étape a été franchie, qui a levé une lourde hypothèque sur notre avenir. Vous savez que d'autres étapes et qui ne sont pas plus aisées, jalonnent la route qu'il nous faut suivre.

Ne sentez-vous pas de quelles gran­des entreprises, constructives celles-là, ce pays est capable pour peu qu'une volonté commune anime enfin tous ses enfants ? (Applaudissements à gauche, à l'extrême gauche, sur quelques bancs à droite et au centre et sur divers bancs à l'extrême droite.)