L'instabilité politique

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Les partis politiques sont profondément divisés, à l'image de la société française. De plus, celle-ci est confrontée à de très graves difficultés économiques, financières et internationales. Mais les mécanismes institutionnels et les lois électorales en vigueur sous la Quatrième République sont probablement, en partie, la cause de l'instabilité gouvernementale. Le scrutin à la représentation proportionnelle s'applique aux élections aux assemblées constituantes et législative de 1945 et 1946 où dominent les partis communiste, socialiste et le M.R.P., associés au sein de gouvernements tripartites. Le tripartisme prend fin en 1947 avec le départ des ministres communistes. La défection du Parti communiste nécessite une majorité de rechange permettant le retour de partis et d'individualités de la Troisième République et notamment des radicaux. La S.F.I.O. (parti socialiste) reste associée au gouvernement jusqu'en 1951 et le sera de nouveau entre 1956 et 1958. A l'exception du Gouvernement de Pierre Mendès France en 1954-1955, les gouvernements sont composés de ministres du centre et de la droite entre 1951 et 1956.

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1949 - M. René Mayer tente de former un Gouvernement

La loi électorale du 9 mai 1951 institue un scrutin de liste avec apparentements ; elle combine la représentation proportionnelle avec la possibilité pour les différentes listes candidates de s'allier pour le décompte et la répartition des voix obtenues ; les listes apparentées qui recueillent la majorité absolue des suffrages exprimées obtiennent tous les sièges à pourvoir dans le département. Ce système, outre le souci de donner une majorité stable à l'Assemblée nationale, est destiné à réduire le nombre de sièges communistes et à éviter un succès du Rassemblement pour le peuple français (R.P.F.). Le Parti communiste s'oppose, de façon radicale, à la politique économique, sociale et internationale des gouvernements successifs. Le RPF, pour sa part, milite pour une complète rénovation institutionnelle ; à ce titre, il refuse, en principe, de soutenir tout gouvernement qui ne s'engage pas en faveur d'une révision constitutionnelle. Cette double opposition, sans concession, menace à tout instant d'emporter la fragile coalition des forces qui soutiennent le gouvernement. Face à au Parti communiste et au R.P.F. qu'ils considèrent comme des forces centrifuges menaçant les institutions, les partis de gauche et de droite s'entendent dans des coalitions de Troisième Force. L'affaiblissement progressif des trois grands partis (PCF, SFIO, MRP) et la montée fugitive du RPF -en 1951-, puis celle des Poujadistes -en 1956-, s'accompagnent du rétablissement progressif des forces politiques plus traditionnelles, qu'il s'agisse des radicaux, héritiers de la IIIe République, ou des modérés, Indépendants et Paysans. Les élections de 1951 se traduisent, en partie du fait du régime électoral des apparentements, par une assemblée « hexagonale », selon la formule d'Henri Queuille, partagée en six groupes politiques de force presque équivalente : les communistes (101 sièges), les socialistes (106 sièges), les radicaux et assimilés (99 sièges), le M.R.P.(88 sièges), le R.P.F.(117 sièges) et la droite modérée (99 sièges), avec quatre " côtés " constituant la majorité républicaine.

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7 janvier 1952 - Démission du ministère de René Pléven, mis en minorité à l'Assemblée nationale

Après les élections de juin 1951, le parti socialiste quitte le gouvernement. Une nouvelle ère d'instabilité chronique s'ouvre. Le Chef de l'État désigne finalement, le 10 août 1951, René Pleven comme président du Conseil. Il le restera jusqu'en janvier 1952. Edgar Faure lui succède pendant 40 jours, du 20 janvier au 29 février. Antoine Pinay, issu de la droite modérée, prend la direction du gouvernement, sur un programme de lutte contre l'inflation, lui-même fondé sur les principes de rigueur budgétaire et fiscale et d'appel à l'épargne. Il bénéficie lors de son investiture du soutien de 27 membres du groupe R.P.F. las de l'opposition intransigeante du Général de Gaulle. Celui-ci rendra leur liberté de vote aux membres du groupe qui changera de nom et décidera la mise en sommeil du R.P.F. A la faveur d'une reprise économique mondiale et d'une amnistie fiscale qui permet de gagner aussitôt la confiance des épargnants, la politique de rigueur réussit. En janvier 1953, à Antoine Pinay succèdent René Mayer, puis Joseph Laniel. Après un mouvement de grèves paralysant le secteur public durant l'été 1953, le Gouvernement Laniel est successivement confronté aux difficultés résultant de la déposition du sultan du Maroc et à l'extension de la querelle de la CED ; la défaite militaire de Dien Bien Phu précipite sa chute, le 12 juin 1954.

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24 juin 1954 - Pierre Mendès France présente son gouvernement à Matignon et à l'Assemblée nationale

Élu à la présidence de la République, au treizième tour de scrutin et après six jours de débats, en décembre 1953, le modéré René Coty appelle à la présidence du conseil Pierre Mendès France. Ce dernier est investi par l'Assemblée nationale le 17 juin 1954, à une très large majorité de 419 voix contre 47 et 143 abstentions. Pour la première fois depuis 1947, les députés communistes votent l'investiture du gouvernement. Mais Pierre Mendès France, soucieux de ne pas se marquer « trop à gauche », déclare refuser leurs voix et ne pas les prendre en compte pour le calcul de sa majorité. Les socialistes ont décidé de soutenir le Gouvernement, sans y participer. Préoccupé par le sort qui sera fait au projet de communauté européenne de défense (CED) auquel il est très attaché, le M.R.P. préfère s'abstenir. Les radicaux, dont Pierre Mendès France est issu, les gaullistes devenus républicains sociaux, l'U.D.S.R. de François Mitterrand et René Pleven participent au gouvernement. François Mitterrand est ministre de l'Intérieur, Jacques Chaban-Delmas devient ministre des travaux publics. Edgar Faure est ministre des finances. Le nouveau style pratiqué par Pierre Mendès France marque durablement les esprits. Il déplaît fortement à une large frange du Parlement qui redoute le dialogue direct que le chef du gouvernement tente d'instaurer avec l'opinion publique. Après le règlement de la question indochinoise -les accords de Genève sont signés le 21 juillet 1954-, Pierre Mendès France part à Tunis où, le 31 juillet, il reconnaît l'autonomie interne de la Tunisie. L'Assemblée nationale approuve solennellement cette nouvelle orientation, le 10 août 1954. Puis elle adopte, le 30 août, par 319 voix contre 264, une question préalable ayant pour effet de clore, avant qu'il n'ait commencé, le débat sur le projet de communauté européenne de défense. Précédemment les six commissions des affaires étrangères, de la défense, de la justice et de la législation, des territoires d'outre-mer, des finances, de la production industrielle avaient émis un vote défavorable à l'adoption du traité de CED.

Par ailleurs, après avoir obtenu de l'Assemblée, le 10 août, des pouvoirs spéciaux dans le domaine économique et financier, le gouvernement Mendès France engage une politique hardie de soutien à l'activité économique, de lutte contre l'inflation et de réformes structurelles. Le 1er novembre 1954, éclate l'insurrection algérienne. En butte à l'hostilité croissante de la plupart des groupes politiques, le gouvernement est renversé par l'Assemblée nationale, les 5 et 6 février 1955, à l'issue d'un débat sur la politique conduite en Afrique du Nord, par une majorité de 319 voix contre 273 et 22 abstentions. Reprenant une dernière fois la parole, sous les huées, Pierre Mendès France souligne cependant : « Les hommes passent, les nécessités nationales demeurent. »

Edgar Faure succède à Pierre Mendès France, le 23 février 1955. Pour l'essentiel, il continue son oeuvre jusqu'en décembre 1955. Après la Tunisie, le Gouvernement engage le processus devant conduire à l'autonomie, puis à l'indépendance du Maroc. Renversé par un vote majoritaire (318 voix contre 218) de l'Assemblée nationale, le 29 novembre 1955, Edgar Faure peut faire jouer l'article 51 de la Constitution de 1946 : l'Assemblée est dissoute le 2 décembre 1955, pour la première fois depuis la dissolution de la Chambre des députés, le 25 juin 1877. Les élections législatives se déroulent le 2 janvier 1956. Outre le Parti communiste, deux camps s'affrontent principalement : d'un côté le Front Républicain, conduit par Pierre Mendès France, associe socialistes, radicaux, républicains sociaux et U.D.S.R. ; de l'autre, la coalition gouvernementale sortante, conduite par Edgar Faure, associe des radicaux, des modérés, le M.R.P.. Depuis mai 1953, le R.P.F. a cessé toute action politique et électorale. Le mouvement poujadiste, du nom de son chef de file Pierre Poujade, trouve son origine dans la création en 1953 de l'Union de Défense des Commerçants et Artisans (U.D.C.A.) ; il apparaît, sur fond de contestation fiscale et de nationalisme. La loi des apparentements reste en vigueur, mais ses effets sont très amoindris. L'Assemblée élue est très divisée. Avec plus de 12,5% des suffrages exprimés, le mouvement poujadiste obtient 52 sièges. Les communistes, avec un quart des suffrages, reviennent à 150. Socialistes et radicaux-socialistes gagnent des voix, mais perdent des sièges, réunissant respectivement 95 et 57 députés. Les députés radicaux regroupés par Edgar Faure sont quatorze. Le M.R.P. avec 11% des voix compte 83 députés et la droite modérée obtient 95 sièges. Le Président de la République nomme Guy Mollet, alors à la tête de la S.F.I.O., comme chef du gouvernement. Pierre Mendès France est vice-président du conseil, François Mitterrand ministre de la justice, garde des Sceaux. Ce gouvernement connaît une longévité exceptionnelle sous la IVe République : il reste au pouvoir plus d'un an, du 1er février 1956 au 21 mai 1957. Il réussit dans deux domaines importants : la décolonisation en Afrique noire, avec la loi-cadre Defferre, et l'Europe, avec la signature du Traité de Rome, le 25 mars 1957. En revanche, investi sur le thème de la paix en Algérie, il ne parvient pas à régler le conflit, s'engageant au contraire dans une politique d'intervention militaire massive, en particulier avec l'envoi du contingent en Algérie.

A l'automne 1956, le gouvernement français décide de participer, avec les Britanniques, à l'expédition militaire de Suez. Cette crise marque l'affaiblissement durable de l'influence politique et militaire des deux anciennes grandes puissances coloniales, face aux États-Unis et à l'Union soviétique.

En dépit d'une croissance économique soutenue, la situation des finances publiques et la situation monétaire extérieure se dégradent dangereusement, notamment en raison du coût de l'intervention militaire en Algérie. Le gouvernement de Guy Mollet est renversé le 21 mai 1957, sur les projets qu'il a soumis à l'Assemblée nationale en matière financière.

Trois gouvernements se succèdent, ceux de Maurice Bourgès-Maunoury, de Félix Gaillard et de Pierre Pflimlin, ce dernier du 14 mai au 28 mai 1958. Ils ne parviennent pas à résoudre la crise algérienne, ni d'ailleurs les difficultés financières et monétaires.

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Déclaration du Général de Gaulle devant l'Assemblée nationale le 1er juin 1958

Face à l'emballement de la crise algérienne qu'aucun gouvernement ne parvient à résoudre, sous la pression des événements du 13 mai 1958 à Alger, les principaux chefs des partis de la droite parlementaire, des radicaux et de la S.F.I.O. se rallient progressivement à l'idée du retour du général de Gaulle à la tête du gouvernement. René Coty, Président de la République, laisse entendre qu'il démissionnera si les députés n'approuvent pas le retour au pouvoir du général de Gaulle. Le 1er juin 1958, l'Assemblée nationale investit le Général de Gaulle comme Président du Conseil, par 329 voix contre 224; puis, le 3 juin, l'Assemblée adopte une loi constitutionnelle qui, par dérogation à l'article 90 de la Constitution organisant la révision constitutionnelle, autorise le Gouvernement à rédiger un projet de Constitution qui sera soumis au référendum.