La Constitution de la Quatrième République

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Résultat d'un compromis entre les tenants d'un régime d'assemblée et ceux d'un régime parlementaire équilibré, à la suite du rejet populaire d'un premier projet de Constitution, la IVème République, régime parlementaire sans dissolution efficace, n'a pas pu être un régime parlementaire équilibré.

Le 21 octobre 1945 se déroulent en même temps un référendum et des élections. Il est demandé aux Français s'ils souhaitent que " l'Assemblée élue ce jour soit constituante " et s'ils approuvent l'organisation provisoire des pouvoirs publics proposée. Une écrasante majorité rejette le retour aux institutions de la Troisième République. L'Assemblée constituante commence ses travaux le 6 novembre 1945 au Palais Bourbon ; elle doit élaborer, en moins de sept mois, un projet de constitution soumis à référendum.

Ce premier projet contient un préambule, intitulé "Déclaration des droits de l'Homme", garantissant les libertés et, d'autre part, les droits économiques et sociaux. Le projet de Constitution prévoit notamment une Assemblée unique élisant le Président de la République et le Président du Conseil des ministres. Le Chef de l'État n'a plus le pouvoir de choisir le Président du conseil. Il perd droit de grâce. L'Assemblée approuve la composition et le programme du gouvernement et peut voter la motion de censure. La dissolution est subordonnée à des conditions très rigides. Le pouvoir législatif de l'Assemblée est très large puisque la loi est l'expression de la volonté générale et que son domaine n'est pas limité. Soutenu par les partis communiste et socialiste, le projet, finalement présenté par Pierre Cot, député apparenté communiste, rencontre l'hostilité du M.R.P. qui condamne l'instauration d'un gouvernement d'Assemblée. Il est rejeté par référendum, le 5 mai 1946. Une deuxième Assemblée constituante est élue en juin 1946.

Le projet de constitution de la deuxième Assemblée constituante est approuvé le 13 octobre 1946 et promulgué le 27 octobre 1946. Il résulte d'un compromis entre les partisans du régime d'assemblée et ceux du régime parlementaire. La Constitution de la IVe République consacre la souveraineté parlementaire et la primauté du pouvoir législatif. Dans une certaine mesure, contrairement aux espoirs formés durant la guerre et dans la Résistance, le dérèglement de la pratique des institutions de la Troisième République se reproduit : les gouvernements sont souvent contraints d'appliquer la politique dont le Parlement a l'initiative; la suprématie parlementaire, source de crises ministérielles fréquentes, conduit à l'impuissance.

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La Constitution institue l'Union française, formée de la République française (métropole, départements d'outre-mer -c'est à dire trois départements d'Algérie et quatre anciennes colonies-, et territoires d'outre-mer) et des territoires sous mandat et États associés par des accords internationaux (Laos, Cambodge, Vietnam,...). La citoyenneté est accordée aux ressortissants des territoires d'outre-mer. Une citoyenneté de l'Union française, accordée aux citoyens français et aux ressortissants des États associés, est créée.

La Constitution a été partiellement révisée en novembre 1954, notamment en ce qui concerne la formation du gouvernement et le rôle de la seconde chambre.

Le Président de la République

Selon les dispositions de la Constitution de la Quatrième République, le Président de la République est élu pour sept ans par le Parlement, composé des deux chambres, l'Assemblée nationale, l'ancienne Chambre des députés, et le Conseil de la République, l'ancien Sénat. Il n'est rééligible qu'une fois. Il n'est responsable qu'en cas de haute trahison. Le Président de la République désigne le Président du Conseil quant à lui politiquement responsable devant l'Assemblée nationale. Mais la nomination du Président du Conseil est subordonnée au vote de confiance de l'Assemblée nationale qui se prononce au vu de la composition et du programme du gouvernement qu'il propose de former. La plupart des compétences attribuées au Chef de l'État par les lois constitutionnelles de 1875, notamment l'exécution des lois et la nomination à tous les emplois civils et militaires, sauf quelques unes limitativement énumérées, sont transférées au Président du conseil. Le Président de la République est tenu informé des négociations internationales. Ses prérogatives constitutionnelles sont ainsi très réduites, même si, en pratique, la plupart étaient tombées en désuétude.

Les deux Présidents de la Quatrième République, Vincent Auriol, puis René Coty, vont jouer, en fait, un rôle nettement plus substantiel que leurs prédécesseurs de la Troisième République. La fonction présidentielle va acquérir le statut d'une magistrature d'influence. Vincent Auriol tire de son expérience passée de député et de ministre du Front populaire un ascendant certain. Il joue, tout au long de son mandat, un rôle actif, tant en politique intérieure qu'en politique extérieure et tente de limiter l'instabilité gouvernementale.

La prédominance de l'Assemblée nationale

Les députés sont élus au suffrage universel direct pour cinq ans. Aucune compétence n'est attribuée à une juridiction pour apprécier la régularité de l'élection des parlementaires, les règles d'éligibilité et d'incompatibilité. Les assemblées apprécient elles-mêmes, chacune en ce qui la concerne, la régularité de l'élection de leurs membres et sont compétentes pour vérifier leur éligibilité. Le mandat parlementaire est incompatible avec l'exercice de fonctions rémunérées par l'État, sauf s'il s'agit d'une fonction ministérielle ou de professeur d'Université. .Les assemblées fixent librement leur règles de procédure et leur ordre du jour. La Constitution précise cependant que l'Assemblée nationale doit comprendre des commissions pour l'examen préalable des affaires qui lui sont soumises. Maîtres du Règlement et de l'ordre du jour de l'Assemblée, les députés disposent du pouvoir législatif et du pouvoir de contrôle du gouvernement.

L'Assemblée nationale occupe une place prédominante.

L'article 3 de la Constitution précise que la souveraineté nationale est exercée par les députés à l'Assemblée nationale et l'article 13 que « L'Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit ». Cette dernière disposition tend à prohiber la pratique des décrets-lois.

Le Conseil de la République, initialement élu pour deux ans, puis, en 1948, pour six ans, avec renouvellement par moitié tous les trois ans, a des pouvoirs très limités. Le bicamérisme de la Quatrième République est donc très déséquilibré. Jusqu'en 1954 la seconde chambre n'a en matière législative qu'un rôle consultatif. Lorsque le Conseil de la République fait des propositions d'amendement, c'est l'Assemblée nationale qui décide d'adopter le texte qu'elle a examiné ou de reprendre ce texte en le modifiant par l'adoption de tout ou partie des amendements proposés par le Conseil de la République. Cependant lorsque le Conseil de la République se prononce sur l'ensemble d'un texte à la majorité absolue de ses membres, l'Assemblée ne peut faire prévaloir un texte différent qu'en l'adoptant à la majorité absolue de ses membres. L'article 20 de la Constitution, issu de la révision du 7 décembre 1954, accorde au Conseil de la République un pouvoir législatif plus large : la navette entre les deux assemblées est rétablie ; la loi doit en principe faire l'objet d'un accord entre les deux assemblées. Mais, si à l'expiration d'un délai de 100 jours de session, après la transmission pour seconde lecture, les assemblées ne parviennent pas à un accord, l'Assemblée nationale a le dernier mot : elle peut alors reprendre son texte avec la totalité ou une partie des amendements du Conseil de la République. Entre 1954 et 1958, les assemblées vont d'ailleurs se mettre d'accord sur la très grande majorité des textes.

La Constitution a pratiquement supprimé les sessions : jusqu'en 1954, le Parlement siége du deuxième mardi de janvier au 31 décembre. Les ajournements de séances de plus de dix jours étaient considérés comme des interruptions de sessions et la durée totale des interruptions de session ne pouvait excéder quatre mois. La révision de 1954 a rétabli le régime des sessions et la durée de la session ordinaire a été ramenée à 7 mois, les ajournements de séance supérieurs à 8 jours francs étant considérés comme interruption de session. L'Assemblée nationale fixe les dates d'interruption de session ;ces dates s'imposent au Conseil de la République. Le gouvernement peut prononcer la clôture de la session ordinaire lorsqu'elle a duré sept mois. Le Bureau de l'Assemblée nationale peut alors convoquer le Parlement en session extraordinaire ; il doit le faire à la demande du gouvernement ou de la majorité des députés. La session extraordinaire ne peut être close, sauf si elle a eu lieu à la demande du gouvernement, que si l'ordre du jour est épuisé. L'Assemblée nationale fixe son ordre du jour pour deux semaines, sur proposition de la Conférence des présidents où le gouvernement est représenté. Mais celui-ci ne peut qu'indiquer les arguments qui lui paraissent justifier l'inscription à l'ordre du jour d'un texte qu'il juge important. Les propositions de la Conférence des présidents peuvent être modifiées en séance publique. Et le gouvernement ne peut obtenir l'inscription à l'ordre du jour d'un texte que la commission refuse de rapporter.

La procédure de dissolution, tout au moins avant la révision constitutionnelle de 1954, marque la prééminence de l'Assemblée nationale. Dans le texte initial de la Constitution, le Cabinet reste en fonction, après dissolution de l'Assemblée, pour expédier les affaires courantes, à l'exception du Président du conseil et du Ministre de l'Intérieur. Le Président de la République désigne le Président de l'Assemblée nationale comme Président du conseil. Celui-ci désigne le nouveau Ministre de l'Intérieur en accord avec le Bureau de l'Assemblée nationale. Après la révision de 1954 le Président de l'Assemblée nationale est nommé Président du Conseil et ministre de l'Intérieur, si la dissolution a été précédée d'une motion de censure. Si tel n'est pas le cas, le Cabinet reste en fonction.

Les commissions

L'article 15 de la Constitution dispose que " l'Assemblée nationale étudie les projets et propositions de loi dont elle est saisie dans des commissions dont elle fixe le nombre, la composition et la compétences ". L'Assemblée comprend 19 commissions permanentes, chacune composée de 44 membres. Chaque député peut appartenir à deux commissions simultanément, même s'il est évidemment difficile de siéger au même moment dans deux commissions ... Renouvelées chaque année à la proportionnelle des groupes, les commissions sont un instrument direct de contrôle du gouvernement par l'Assemblée nationale. Un projet ou une proposition de loi ne peut pas être soumis au vote de l'Assemblée s'il n'a fait l'objet d'un examen en commission; cette règle a pu occasionner des blocages dans l'examen de certains projets de loi. Les commissions peuvent convoquer et entendre des hauts-fonctionnaires, sans l'autorisation de leur ministre, pourtant leur supérieur hiérarchique. Très nombreuses et très spécialisées, les commissions suivent et contrôlent de très près l'activité de chaque département ministériel, devenant parfois de véritables contre-ministères.

L'Assemblée examine en séance publique, non pas le texte du projet de loi tel qu'il a été soumis par le Gouvernement, mais celui qui résulte de la rédaction établie par la commission à laquelle il a été renvoyé. Seuls les députés ont le droit d'amendement.

Les décrets-lois

L'article 13 de la Constitution, déjà évoqué, prévoit que l'Assemblée nationale ne peut déléguer le droit de voter la loi. Il s'agit de prohiber le mécanisme tant décrié des décrets-lois de la Troisième République. Malgré une procédure législative assurant sa domination sur le Gouvernement, l'Assemblée va néanmoins se dessaisir partiellement de son pouvoir législatif, notamment par des lois-cadres qui renvoient à des décrets pour tous les détails d'application.

A l'initiative de Paul Reynaud, sous le gouvernement d'André Marie, la loi du 17 août 1948 tendant au redressement économique et financier prévoit que des décrets pris en Conseil des ministres peuvent abroger, modifier ou remplacer des lois dans des matières limitativement énumérées et " ayant par leur nature un caractère réglementaire ". Les lois ainsi modifiées par le gouvernement sont sorties du domaine législatif. Cependant, le Parlement peut toujours réintervenir par une nouvelle loi et récupérer sa compétence dans les matières qu'il a lui-même placées dans le domaine réglementaire. Consulté par le Gouvernement, le Conseil d'État reconnaît, dans un avis du 6 février 1953, que cette disposition n'est pas contraire à l'article 13 de la Constitution. Le Conseil distingue les matières réservées à la loi par la Constitution ou par la tradition républicaine, pour lesquelles le législateur peut ne poser que les règles essentielles, et les matières non réservées où le pouvoir réglementaire peut être compétent.

Dans le même avis du 6 février 1953, le Conseil d'État interdit le retour pur et simple aux décrets-lois. Pourtant, la pratique est remise en vigueur par la loi d'habilitation du 11 juillet 1953 portant redressement économique et financier , en faveur du gouvernement présidé par Joseph Laniel. De même, la loi du 14 août 1954 habilite le gouvernement de Pierre Mendès France à établir un programme d'équilibre financier, d'expansion économique et de progrès social par décrets pris en conseil des ministres. La loi du 16 mars 1956 autorise le gouvernement de Guy Mollet à mettre en oeuvre par décrets un programme d'expansion économique, de progrès social et de réforme administrative en Algérie. Enfin, la loi-cadre du 23 juin 1956 a déterminé le principe de l'autonomie des territoires d'outre-mer et renvoyé à des décrets, soumis à l'avis conforme des deux assemblées, pour son application.

A la différence de la Troisième République, les lois d'habilitation deviennent caduques si le gouvernement change. D'autre part, les matières dans lesquelles les décrets-lois peuvent intervenir sont délimitées avec une grande précision.

Le Président du Conseil et l'instabilité ministérielle

Le Président du Conseil détient l'essentiel du pouvoir exécutif. Il nomme à tous les emplois civils et militaires autres que ceux incombant au pouvoir de nomination du Président de la République. Il assure la direction des forces armées et coordonne la mise en oeuvre de la défense nationale. Le terme de gouvernement n'est pas employé expressément par la Constitution.

Dans le texte initial de 1946, avant de composer son gouvernement, le président du Conseil des ministres désigné par le chef de l'État doit obtenir l'investiture de la majorité absolue des membres composant l'Assemblée. L'exécutif procède ainsi de l'Assemblée nationale, non du Président de la République. Dans les faits, les Présidents du Conseil, à la suite de Paul Ramadier, se sont tous présentés une deuxième fois devant l'Assemblée, après avoir constitué leur gouvernement. La révision constitutionnelle du 7 décembre 1954 modifie ce système de " double investiture ", l'Assemblée investissant à la majorité simple - et non plus absolue - le gouvernement tout entier - et non plus le seul Président du Conseil -.

La mise en jeu de la responsabilité du gouvernement s'exerce par les procédures de la question de confiance posée par le président du Conseil et de la motion de censure déposée par un ou plusieurs députés. La majorité absolue est exigée pour refuser la confiance, ainsi que pour censurer le gouvernement. En contrepartie, le droit de dissolution est prévu par la Constitution. La dissolution de l'Assemblée nationale peut être prononcée par décret en Conseil des ministres, après avis du Président de l'Assemblée nationale. Mais l'exercice de ce droit est soumis à la réunion de plusieurs conditions : la dissolution ne peut être prononcée durant les dix-huit premiers mois d'une législature ; deux crises ministérielles doivent se produire successivement durant une période de dix-huit mois ; les crises ministérielles doivent résulter d'un vote de défiance ou d'une motion de censure. Ces conditions ont été réunies une seule fois, sous le gouvernement d'Edgar Faure : le 2 décembre 1955, l'Assemblée est dissoute pour la première fois depuis 1877. La crise ayant permis la dissolution de 1955 résulte d'ailleurs d'une erreur de pointage des votes. Le président du Conseil n'est pas le chef d'une majorité stable et compte tenu de la répartition des forces politiques, il n'y a pas d'alternance politique possible. Dans ces conditions la dissolution ne permet pas de demander à l'électorat de trancher de façon claire un conflit avéré entre le Gouvernement et le Parlement ou entre deux forces politiques ayant chacune vocation à constituer une majorité.

En pratique, les règles fixées pour limiter les crises ministérielles et favoriser leur résolution ne sont guère respectées. Les gouvernements démissionnent fréquemment (la durée de vie moyenne des gouvernements de la IVe République est de sept mois), alors que leur responsabilité n'est pas formellement mise en cause selon les procédures constitutionnelles prévues à cet effet, mais à la suite d'une crise interne ou du simple rejet de dispositions législatives - pas toujours essentielles - par l'Assemblée nationale. Par ailleurs, les majorités de l'Assemblée constituées après des élections se disloquent en cours de législature. Entre janvier 1947 et mai 1958, seulement cinq gouvernements démissionnent à la suite d'un vote de refus de la confiance par la majorité des députés. En douze ans, 22 gouvernements se succèdent si bien que la durée de vie moyenne des gouvernements de la Quatrième République est de sept mois. Sur cette même période, les crises ministérielles auront duré 375 jours !

Pour déjouer une éventuelle mise en minorité, trois Présidents du Conseil ont posé la question de confiance au Conseil de la République, contrairement aux dispositions de la Constitution et ont obtenu un vote favorable.

Une réforme profonde des institutions pour en corriger les dysfonctionnements n'a pu être accomplie. La Constitution a été révisée en 1954. Mais le processus de la révision du 7 décembre 1954 a été très lent, puisqu'il a commencé le 30 novembre 1950. Il s'agit d'ailleurs de simples correctifs concernant la désignation directe du président du Conseil par le Président de la République, le rétablissement du bicamérisme, les sessions parlementaires, la dissolution de l'Assemblée et la confiance accordée au gouvernement. La modestie de cette réforme, impropre à vaincre l'instabilité ministérielle et la faiblesse institutionnelle des gouvernements, explique son appellation de « réformette ».