N° 3641 - Rapport de M. Christian Cabal déposé en application de l'article 6 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur l'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs


 

N° 3641
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N° 259
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ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

 

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

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Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 20 février 2002

Annexe au procès-verbal de la séance
du 21 février 2002

 

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

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RAPPORT

 

SUR

 

 

 

L'IMPACT ÉVENTUEL DE LA CONSOMMATION
DES DROGUES SUR LA SANTÉ MENTALE
DE LEURS CONSOMMATEURS

 

 

 

PAR M. Christian CABAL,
Député

 

__________________

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
par M. Jean-Yves LE DÉAUT,
Président de l'Office

__________________

Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Henri REVOL,
Premier
Vice-Président de l'Office.

 

Drogue

 

SAISINE

graphique

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION
I. La définition des drogues
II. Drogue et approche scientifique
III. Un débat toujours passionnel

 

PREMIÈRE PARTIE : L'ACTION DES PRINCIPALES DROGUES SUR LE CERVEAU

CHAPITRE I : UNE ALCHIMIE COMPLEXE
SECTION I : LES TERMES DU DÉBAT SCIENTIFIQUE

A) Les notions de drogue et de santé mentale
B) L'existence de divergences d'appréciation sur l'effet des produits

SECTION II : LE CONSENSUS SCIENTIFIQUE EXISTE SUR LA DESCRIPTION DES MÉCANISMES ACTIONNANT LE CIRCUIT DE RÉCOMPENSE DU CERVEAU

A) Le rôle majeur de la dopamine
B) Les effets de long terme sur le cerveau suscitent beaucoup d'interrogations scientifiques

SECTION III : LES MODIFICATIONS DU CERVEAU SOUS L'EFFET DE DROGUES SONT AUJOURD'HUI RECONNUES

CHAPITRE II : LA PRINCIPALE DES DROGUES À EFFET PERTURBATEUR : LE CANNABIS
SECTION I : UN RELATIF CONSENSUS SCIENTIFIQUE SUR LES EFFETS À COURT TERME DU CANNABIS

A) Le principe actif du cannabis
B) Les effets évidents du cannabis
1) Les effets du cannabis selon l'Académie nationale de médecine
2) Les effets du cannabis selon le « rapport Roques »
3) Les effets du cannabis pour l'INSERM
4) Les effets du cannabis pour la Commission fédérale helvétique sur les questions liées aux drogues

SECTION II : LES EFFETS À LONG TERME DU CANNABIS SUSCITENT BEAUCOUP D'INTERROGATIONS

A) Les dangers objet d'un consensus
1) Le cancer des voies respiratoires
2) Les dangers pour la femme enceinte et le f_tus
3) L'existence d'états psychotiques

B) Les dangers du cannabis objets de controverse scientifique
1) Une véritable interrogation sur le risque de développement de maladies mentales
2) Le risque au regard de la schizophrénie est mal quantifié mais réel

a) Les études américaines
b) Le sentiment de l'INSERM

c) L'explication scientifique
3) Les activités à risques

SECTION III : L'ANALYSE DU RAPPORTEUR

A) L'effet du cannabis varie considérablement en fonction des consommateurs
1) Les conséquences à long terme d'une forte consommation de cannabis sur le cerveau demeurent un objet de controverse
2) Un débat scientifique sur l'effet des doses cumulées doit être engagé
B) La dépendance
C) Des fonctions thérapeutiques indéniables
Conclusion : La récréation des adultes ou la protection de la jeunesse ?

CHAPITRE III : LES AUTRES DROGUES À EFFET PERTURBATEUR : LE LSD, LES CHAMPIGNONS HALLUCINOGÈNES (MESCALINE, PSILOCIBINE ET LES SOLVANTS)
SECTION I : LE LSD ET LES CHAMPIGNONS HALLUCINOGÈNES

SECTION II - LES SOLVANTS

CHAPITRE IV : LES DROGUES À EFFET STIMULANTS : LA COCAÏNE, LE CRACK, LES AMPHÉTAMINES, L'ECSTASY... ET LES PRODUITS DES RAVES PARTIES
SECTION I : LES CARACTÉRISTIQUES COMMUNES AUX DIFFÉRENTS PRODUITS
SECTION II - LA COCAÏNE ET LE CRACK

A) Les effets immédiats de la cocaïne et du crack
B) L'analyse du Rapporteur
1) Les dangers traditionnels
2) Les nouveaux dangers : l'effet désinhibiteur

SECTION III - AMPHÉTAMINIQUES ET PSYCHOSTIMULANTS
A) Le constat
B) Les effets de ces produits
SECTION IV - L'ECSTASY
A) Le bilan dressé par l'Observatoire français des toxicomanies
B) L'expertise collective publiée par l'INSERM en juin 1998
C) L'analyse du Rapporteur : des dangers graves
SECTION V : LES DROGUES DE SYNTHÈSE UTILISÉES DANS LES RAVES PARTIES
A) Les difficultés d'identification des produits
B) La kétamine
C) Le gamma OH,GHB
D) Le protoxyde d'azote
Conclusion

CHAPITRE V : LES OPIACÉS : L'HÉROÏNE, LA CODEÏNE, LA MORPHINE, L'OPIUM...
SECTION I : LES EFFETS DES OPIACÉS
SECTION II : L'ANALYSE DU RAPPORTEUR
SECTION III : LA MISE EN _UVRE D'UNE POLITIQUE DE SUBSTITUTION
SECTION IV : LES SULFATES DE MORPHINE
SECTION V : L'USAGE DU RACHACHA

A) Le produit
B) Disponibilité saisonnière et limitée
C) Modalités de consommation

CHAPITRE VI : LES MÉDICAMENTS PSYCHOTROPES DÉTOURNÉS DE LEUR USAGE (BENZODIAZÉPINES...)
SECTION I : LES EFFETS DES HYPNOTIQUES ET SÉDATIFS EUPHORISANTS BARBITURIQUES RAPIDES, BENZODIAZÉPINES
SECTION II : L'ANALYSE DU RAPPORTEUR

A) La situation
B) Le rôle de l'industrie pharmaceutique

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

 

DEUXIÈME PARTIE : LA NÉCESSITÉ D'UNE DÉMARCHE SCIENTIFIQUE

CHAPITRE I : LA DIVERSITÉ DES COMPORTEMENTS ET DES PRODUITS IMPOSE UNE APPROCHE NOUVELLE
SECTION I : LA NÉCESSITÉ DE CONSTRUIRE UN DISCOURS SUR LES DROGUES INTÉGRANT DES ÉLÉMENTS DE CONSENSUS À PARTIR DES AVANCÉES SCIENTIFIQUES LES PLUS RÉCENTES

A) La clarification des principales notions utiles à la compréhension de la toxicomanie
B) La nécessité d'élaborer une grille d'analyse commune au corps médical
C) La nécessité de battir un discours scientifique admis par l'opinion

SECTION II : L'ÉLABORATION D'UN DISCOURS SCIENTIFIQUES SUR LES DANGERS DES DROGUES DOIT INTÉGRER LES POLYTOXICOMANIES

A) Le lien entre toxicomanie et alcool
B) La difficulté d'intégrer les polyconsommations d'alcool des toxicomanes dans l'approche du problème

CHAPITRE II : LES INSUFFISANCES DE LA CONNAISSANCE
SECTION I : LES ÉTUDES À CONDUIRE SUR LA NATURE DES DROGUES
SECTION II : LES ÉTUDES À MENER SUR L'ACTION DES DROGUES

A) Les paramètres de la dépendance
B) Le caractère irréversible des troubles
C) Les dangers pour la jeunesse
D) Les interactions avec l'alcool
E) La génétique
F) Le risque (ou l'absence de risque) de passage du cannabis à des drogues plus dure
G) La recherche en neuropsychiatrie doit être développée

CHAPITRE III : STRATÉGIE POUR UNE DYNAMISATION DE LA RECHERCHE
SECTION I : UN CONSTAT DE CARENCE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

A) L'analyse de la Cour des Comptes
B) L'analyse du Rapporteur

SECTION II : LES DISPOSITIONS DU PLAN TRIENNAL RELATIVES À LA RECHERCHE
SECTION III : STRATÉGIE POUR DYNAMISER LA RECHERCHE

A) La nécessité de susciter des vocations de chercheurs
B) La levée d'obstacles juridiques
C) La mise en place d'une agence de moyens
1) L'exemple américain
2) La proposition du Rapporteur

CONCLUSION

 

RECOMMANDATIONS

 

EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OFFICE

 

ANNEXES

Annexe I :
Liste des personnes auditionnées

Annexe II :
Communication du Professeur Ferreri et du Docteur Nuss aux entretiens de Bichat 2001 sur le cannabis

Annexe III :
Communication du Professeur Costentin à l'Académie Nationale de Médecine sur les données neurobiologiques récentes sur le cannabis

Annexe IV :
Conseil National du Sida (rapport 2000 - extrait)

Annexe V :
Communication du Professeur Mura devant l'Académie Nationale de Médecine sur l'accidentologie et les drogues illicites

Annexe VI :
Etude de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie maternité sur les benzodiazépines

Annexe VII :
Principales données statistiques sur la toxicomanies

Annexe VIII :
Loi de 1970 sur la drogue

Annexe IX :
Discours du Président George W. Bush

 

 

INTRODUCTION

La toxicomanie constitue un problème majeur1 et massif de santé publique sur lequel l'Office Parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ne s'est jamais penché. La saisine du bureau de l'Assemblée Nationale, qui a conduit à ma désignation en qualité de Rapporteur, arrive à un moment opportun pour deux raisons :

- De nouvelles drogues et de nouveaux comportements apparaissent et il est important d'analyser les conséquences de ces nouvelles données sur la santé mentale de la population.

- De nombreuses personnalités posent la question de la levée des sanctions pénales pour les consommateurs des drogues dites douces au motif de leur innocuité pour la santé des consommateurs, cette assertion mérite pour le moins d'être vérifiée.

Il n'est pas dans la mission de l'Office Parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de répondre à la question de la dépénalisation qui relève des commissions parlementaires permanentes. Aussi, les perspectives de ce travail se situent-elles en amont, sans prétendre aborder les débats philosophiques sur la liberté pour l'individu de consommer de la drogue. Son ambition est d'éclairer le législateur sur les effets des drogues sur le cerveau et, par là, de mettre le doigt sur les problèmes de santé publique soulevés par l'usage de la drogue.

A partir du diagnostic formulé à travers ces pages il appartient à chacun de trancher le débat sur la dépénalisation de la consommation de drogue en fonction de la part de risque qu'il estime qu'une société peut accepter au regard, en particulier, des impératifs de protection de la jeunesse et d'un coût social estimé entre 27 et 38 milliards de francs2 .

Sur le plan scientifique la période actuelle correspond à une étape conceptuelle importante marquée par le passage d'une analyse des toxicomanies basées essentiellement sur la psychanalyse et la sociologie à une démarche s'appuyant davantage sur des sciences exactes, du fait principalement des progrès de la biologie et de l'imagerie médicale qui apportent un éclairage nouveau sur les drogues.

D'où l'intérêt d'une démarche dépourvue de tout préjugé ou idée préconçue ou  « politiquement correcte », visant à s'appuyer d'abord sur une synthèse des principaux travaux scientifiques conduits dans un domaine qui suscite la passion. Les positions politiques des uns et des autres sont trop souvent inspirées par des préjugés ou des intuitions qui rendent difficile la construction d'un discours crédible. Votre Rapporteur espère éviter cet écueil.

I. La définition des drogues

Avant d'aller plus avant dans l'analyse de la saisine, il est nécessaire de préciser la notion de drogue.

Autrefois le mot drogue désignait un « médicament » destiné à soulager un malade. Le petit Larousse nous donne la définition suivante : « médicament médiocre, substance capable de modifier l'état de conscience... ».

L'action sur le cerveau est donc la caractéristique d'un produit pour qu'il soit qualifié de drogue, dans le sens commun du terme. Cette définition n'est bien sûr pas satisfaisante car beaucoup trop large : il est possible de qualifier de drogue n'importe quel produit ayant un impact sur le psychisme : drogue dure, médicament solvant, tabac ou alcool... voire, pourquoi pas, le café ou le chocolat...

En outre, le détournement de produits à des fins autre que leur usage normal est fréquent et inquiétant sans pour autant que ces derniers ne soient qualifiés nécessairement de drogue par la loi.

La lutte contre la drogue a donné lieu à de multiples conventions internationales depuis la Convention de La Haye de 1912, qui a été la première à esquisser une définition des produits soumis au contrôle international mais, limitée au départ à l'opium et à ses dérivés, elle a été élargie à la feuille de coca et au chanvre indien.

Le terme de stupéfiant est remplacé par celui de drogues dans la Convention de Genève de 1931, qui est la première à classer les drogues en deux groupes, qui deviendront quatre dans la Convention unique négociée en 1961 à New-York :

- Le tableau 1 comprend 105 substances (opium, coca, cannabis, morphine...).

- Le tableau 2 inclut 10 substances susceptibles d'usage médical.

- Le tableau 3 se réfère à huit préparations exonérées des contraintes du tableau 2.

- Le tableau 4 comprend dix produits jugés dangereux et sans applications médicales dont le cannabis et l'héroïne.

En droit interne, dès la loi du 12 juillet 1916, et ses décrets d'application, apparaît la notion de stupéfiant ; les substances ont été classées en trois groupes de produits toxiques stupéfiants et dangereux déjà, lors des travaux préparatoires de la loi apparaît, surtout au Sénat, la difficulté de fonder une catégorie sur une notion aussi vague que celle de stupéfiant et le tableau s'est allongé rapidement pour comprendre aujourd'hui plus de cent soixante-dix substances.

La méthode retenue, celle de la liste, ne doit pas dissimuler l'absence de définition juridique des drogues ou des stupéfiants aussi bien en droit international qu'en droit interne.

La définition scientifique du mot drogue est complexe et d'un intérêt pratique limité car beaucoup trop large, dans la mesure où toute substance modifiant par son action le comportement peut être qualifiée de drogue si elle entraîne une dépendance. Aussi, pour désigner l'ensemble des produits agissant sur le cerveau, que l'usage en soit interdit ou non, emploie-t-on le terme de « substances psychoactives ». De nombreux produits au statut juridique incertain sont utilisés : drogues de synthèse, médicaments détournés de leur usage...

Aussi la distinction entre drogues illicites et licites est-elle en train d'éclater, les frontières sont floues et variables selon les pays, du fait d'un terrain mouvant où la différence entre remède et poison n'est parfois pas très claire.

En simplifiant il est toutefois possible, à partir d'une démarche scientifique, de classer les drogues en trois catégories :

- Les perturbateurs sont les drogues qui viennent perturber le jugement. Par exemple le cannabis, les colles, les solvants, les champignons hallucinogènes, la mescaline (PCP),

- Les stimulants qui provoquent une sensation d'euphorie (cocaïne, crack, ecstasy...)

- Les dépresseurs qui provoquent une sensation de bien être (héroïne ou GHB (drogue du viol).

Aussi, devant les difficultés à définir de manière rigoureuse la notion de drogue, procéderons-nous à une approche empirique, en partant du classement international des substances psychotropes que nous venons de décrire.

II. Drogue et approche scientifique

Pendant longtemps la toxicomanie a suscité un discours psycho-social intéressant qui a conduit à sous-estimer les syndromes psychiatriques concomitants aux usages problématiques de drogues. Cette concomitance est appelée « comorbidité » par la psychiatrie.

En abordant ce travail, j'ai été surpris par l'insuffisance en quantité et en qualité des travaux scientifiques, et plus précisément par la faiblesse des études médicales et épidémiologiques consacrées à un sujet qui concerne de par le monde des millions d'individus.

Si les études américaines, comme j'ai pu le vérifier lors de mon séjour aux Etats-Unis, confirment que les comorbidités constituent un phénomène de grande ampleur; j'ai été frappé par le caractère récent3, de l'approche scientifique rigoureuse dans un domaine où le caractère illicite des produits rend difficile le développement d'études épidémiologiques..

Aujourd'hui l'apport de la biologie, avec l'étude des mécanismes de récompense du cerveau, ou les possibilités offertes par les nouveaux appareils d'imagerie médicale ouvrent des perspectives remarquables. La prise de conscience de cette insuffisance des données scientifiques est récente en particulier en Europe. Or un débat fondé d'abord sur des données scientifiques incontestables permet de sortir du débat stérile, mais fortement médiatisé, « entre drogues dures et drogues douces » qui n'a pas un grand intérêt pour lui substituer, le seul qui vaille, celui des usages problématiques de drogue primordial pour la santé publique.

Ce sentiment s'est trouvé conforté par l'audition de Mme Maestracci, Présidente de la Mission Interministérielle de Lutte contre la Toxicomanie (MILDT), qui évoque comme premier axe de son action l'amélioration des connaissances, par un essai de mobilisation de toutes les sciences. Dans cette perspective, la MILDT a demandé à l'INSERM de faire le point des connaissances scientifiques sur le sujet4.

Il est effectivement surprenant de devoir dresser un constat de carence scientifique sur un thème aussi ancien, mais aujourd'hui, du fait de l'engagement de nombreuses études, les connaissances évoluent très vite permettant de porter un regard neuf sur la législation relative à la toxicomanie.

En effet, les progrès de la biologie et de l'imagerie médicale ont été considérables durant les dix dernières années ; ils ont permis par exemple de mesurer les modifications d'afflux sanguin dans le cerveau sous l'effet de substances psychotropes.

D'une manière plus banale, les progrès de l'informatique et surtout la mise en réseau d'un certain nombre d'acteurs ont permis d'améliorer la qualité de l'information disponible.

Aussi existe-t-il aujourd'hui une approche de la toxicomanie plus axée sur les sciences exactes qui a renouvelé une approche longtemps marquée par la psychanalyse. Mais, beaucoup reste à faire dans ce domaine, par exemple les travaux sur les modifications à long terme des drogues sur le cerveau sont encore très loin d'avoir été menés à leur terme sur des sujets, pourtant essentiels, tels que l'atteinte des neurones des consommateurs et sur les modifications à long terme générées par la dépendance.

Le véritable problème scientifique est celui de l'atteinte neurologique. Aussi, vais-je essayer d'apporter une réponse aux quelques questions suivantes :

- L'éventualité d'un lien entre l'usage des drogues dites « douces » et l'apparition de troubles mentaux, comportementaux et psychotiques, en particulier chez des sujets jeunes, fait l'objet de débats dans la communauté scientifique, il est indispensable de faire le point sur les conclusions les plus récentes des scientifiques.

- Il est aujourd'hui scientifiquement prouvé que certaines drogues telles que la cocaïne entraînent des lésions de neurones, au moins dans un sens fonctionnel, c'est-à-dire qu'ils sont incapables de remplir leurs fonctions. Il est donc indispensable de s'interroger sur les conséquences à long terme de cette action sur le cerveau, (maladies d'Alzheimer précoce par exemple).

- L'apparition de nouveaux produits génère des inquiétudes quant à leurs effets.

- La diversification des consommations rend plus complexe l'appréciation des effets des drogues sur le cerveau et du clivage sanitaire entre drogues « dures » et drogues « douces ».

III. Un débat toujours passionnel

Le débat sur cette question a rebondi et s'est, si on peut dire, quelque peu5 compliqué avec la parution en 1999 d'un rapport commandé par le Ministère de la Santé au Professeur Bernard Roques6, spécialiste en pharmacochimie moléculaire, dont l'objet était de dresser un bilan des recherches révélant les effets sur l'organisme et en particulier sur le cerveau des drogues et des psychotropes.

Les conclusions du Professeur Roques ont provoqué de très vives réactions. Pour lui, en effet, la répartition entre « drogues dures » et « drogues douces » n'aurait pas de sens dans la mesure où elle était fondée sur des suppositions quant à leur dépendance qui s'avéreraient erronées.

Des études récentes montreraient qu'en terme de dépendance psychique, le tabac et surtout l'alcool se trouveraient classés dans le même groupe que l'héroïne ou la cocaïne.

Les milieux viticoles ont dénoncé un amalgame qui selon eux n'aurait aucun sens. L'Office Parlementaire a d'ailleurs été saisi par le Bureau du Sénat d'une demande d'étude sur « l'incidence du vin sur la santé ». Aussi, du fait de l'existence de ce Rapport, et par souci de cohérence entre les travaux conduits au sein de l'Office Parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, je ne traiterai pas, dans le cadre de ce travail, de l'alcool et de ses effets sur la santé, si ce n'est à travers le prisme des mélanges entre la consommation de drogue et celle d'alcool. De même les analyses sur le tabac seront limitées car les dangers principaux du tabac portent sur les cancers et non sur la santé mentale, cette dernière position ne signifie bien sur en aucun cas que votre Rapporteur mésestime le danger du tabagisme.

Par souci de clarté j'analyserai, dans une première partie, les effets sur le cerveau des principales drogues, avant de me préoccuper dans une seconde partie des nouveaux comportements qui sont marqués par les polytoxicomanies. Or, l'action d'un produit selon s'il est pris séparément ou associé à d'autres est sensiblement différente et, les comportements dans ce domaine ont beaucoup évolué.

Aussi est-il nécessaire de garder à l'esprit la complexité des comportements et la diversité des sensibilités de chaque individu à l'effet des produits psychoactifs qui interdisent tout manichéisme dans l'approche de l'effet des drogues sur le cerveau. Il convient également d'avoir à l'esprit « qu'il peut exister une manière dure de consommer des drogues douces ».

Synthèse des dépenses imputables à la drogue

(en millions de francs)

graphique

Source : Observatoire Français des Drogues et de la Toxicomanie

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N° 3641.- Rapport de M. Christian Cabal sur l'impact éventuel de la consommation des drogues sur la santé mentale de leurs consommateurs (Office d'évalation des choix scientifiques).

1 Il y aurait en France 1,7 million d'utilisateurs répétitifs de drogues illicites dont 280 000 utilisateurs quotidiens (source : Observatoire français des drogues et toxicomanie, indicateurs et tendances 2002)

2 C.F. tableau page 16

3 En 1977, l'Académie des Sciences a publié un rapport sur « les aspects moléculaires, cellulaires et psychologiques des effets du cannabis » et différents travaux scientifiques français et étrangers peuvent laisser penser que l'usage de ces drogues pourrait entraîner une atteinte neuronale sans que toutefois soit démontrée la relation entre ces dégénérescences neuronales et les troubles psychiques ou psychiatriques.

4 Un rapport sur l'ecstasy a déjà été public en 1999 et un sur le cannabis a été publié en 2001.

5 Plus du fait de la présentation faite par la presse du rapport que de son contenu

6 Auditionné par votre Rapporteur