N° 2094 -- ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 février 2005. RAPPORT D'INFORMATION DÉPOSÉ en application de l'article 145 du Règlement PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION sur la réforme du droit des sociétés - traitement des entreprises en difficulté, ET PRÉSENTÉ PAR M. PASCAL CLÉMENT, Député. -- SYNTHÈSE () La composition de cette Mission figure au verso de la présente page. La mission d'information sur la réforme du droit des sociétés est composée de : M. Pascal Clément, président ; MM. Jacques-Alain Bénisti, Jérôme Bignon, Étienne Blanc, Marcel Bonnot, Christophe Caresche, Georges Fenech, André Gerin, Philippe Houillon, Michel Hunault, Sébastien Huyghe, Victorin Lurel, Alain Marsaud, Arnaud Montebourg, Xavier de Roux, Mme Ségolène Royal, MM. Rudy Salles, Jean-Pierre Soisson, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann. INTRODUCTION 5 I. - UN CONSTAT D'INEFFICACITÉ QUI APPELLE DES ÉVOLUTIONS SIGNIFICATIVES 7 A. DES PROPOSITIONS D'AMÉLIORATION MULTIPLES, UNE ÉVALUATION DÉJÀ RÉALISÉE 7 B. UNE COMPARAISON ÉTRANGÈRE PORTEUSE D'ENSEIGNEMENTS 8 II. - LES VOIES DE LA RÉFORME : SAVOIR FAIRE ÉVOLUER LES ESPRITS, AUTANT QUE LES PROCÉDURES 9 A. LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DES OUTILS JURIDIQUES 9 1. Utiliser la variable temps en anticipant pour mieux réussir 9 a) Améliorer la détection des difficultés 9 b) Assouplir et sécuriser le règlement négocié 10 c) Permettre d'ouvrir les procédures collectives avant la cessation des paiements 11 2. Savoir appréhender les réalités économiques pour atteindre les finalités de maintien de l'emploi 11 a) Concilier intelligemment les exigences de la transparence et celles du secret des affaires 12 b) Privilégier la négociation et la rapidité pour améliorer les perspectives de succès de la procédure 12 c) Optimiser l'articulation du dispositif avec les nécessaires exigences du droit du travail 14 d) Savoir préserver toutes les chances de succès de la cession de l'entreprise 14 B. UNE DIMENSION PSYCHOLOGIQUE ESSENTIELLE : APPRENDRE A VAINCRE DES RÉTICENCES TRÈS ANCRÉES 15 1. Savoir dépasser les réticences du chef d'entreprise et de l'opinion publique économique 15 2. Faire œuvre de pédagogie 16 LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 17 AUDITIONS 19 AUDITIONS (SUITE) 99 La commission des Lois a décidé, au début de la législature, de mettre en place une mission d'information sur le droit des sociétés, de façon à permettre d'aborder, de manière transversale, l'ensemble des évolutions législatives souhaitables en la matière. Cette mission d'information, dont la création a été décidée le 25 septembre 2002, et qui comporte vingt membres émanant de l'ensemble des groupes composant l'Assemblée nationale, a achevé ses premiers travaux, portant sur le thème de la gouvernance de l'entreprise et de la place de l'actionnaire, au début de l'année 2004, par la publication d'un rapport d'information (1), traduit au plan normatif par une proposition de loi (2). Constatant ensuite, dans un contexte de ralentissement économique que, en dépit de la réforme intervenue il y a une dizaine d'années, à l'initiative de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, par la loi du 10 juin 1994, le taux d'échec des redressements judiciaires et des procédures collectives prises dans leur ensemble demeurait excessivement élevé, la mission d'information a décidé de faire porter ses travaux suivants sur la problématique globale du traitement des entreprises en difficulté. * * * Dans cette perspective, la mission a procédé à dix-neuf auditions au printemps 2004. Celles-ci ont permis d'entendre l'ensemble des acteurs concernés, répartis en trois grandes « familles » d'intérêts, souvent convergents, mais aussi parfois contradictoires entre eux. 1°) En tant que sujets des procédures collectives, les représentants des entreprises, ainsi que leurs conseils juridiques et financiers, incluant : - les représentants des salariés, entendus parmi les premiers, car toute réforme des procédures collectives doit en premier lieu viser à préserver l'emploi, pour autant qu'il soit économiquement viable, fût-ce au prix de certains efforts de la collectivité. Les salariés sont également, s'il faut le rappeler, créanciers de l'entreprise en difficulté qui les emploie ; - les représentants institutionnels (notamment les chambres de commerce et d'industrie) et syndicaux des entreprises, avec leurs spécificités, selon leur taille et leur activité - artisans, pme, entreprises en général, certaines professions libérales. Les représentants des entreprises présentent, s'il faut le rappeler, la particularité d'être doublement concernés par le thème considéré, non seulement comme sujets potentiels des procédures mais aussi comme créanciers fournisseurs, menacés de l'effet de « domino » économique, au surplus généralement chirographaires, donc remboursés les derniers, lorsqu'ils ont la chance de pouvoir prétendre à un paiement. Il a été pris soin, en l'occurrence, de ne pas entendre uniquement des représentants des entreprises d'Île-de-France, mais d'écouter tout aussi attentivement ceux des pme de province, qui, opérant dans un cadre économique et professionnel géographique plus restreint, doivent composer avec l'incidence de la diffusion rapide, parfois erronée, des rumeurs éventuelles portant sur la santé de leurs affaires et ne sont pas plongés dans l'anonymat parisien ; - des avocats et des experts-comptables, conseils naturels des entreprises en bonne santé, autant que des entreprises en difficulté. 2°) des représentants des créanciers concernés, privés et publics, financiers et commerciaux. Ceux-ci comprennent : - les créanciers financiers, dont il a souvent été dit que la réforme de 1994 avait principalement été opérée à leur profit, par une forme de « retour de balancier » après la loi de 1985, jugée orientée vers un apurement du passif favorable à l'entreprise ; - les administrations chargés du recouvrement ou de la tutelle du recouvrement des créances publiques ; - les gestionnaires du dispositif d'avance du paiement des créances salariales privilégiées que constitue l'ags, exclusivement à la charge des entreprises ; 3°) des administrations impliquées, à quelque titre que ce soit, et de leurs auxiliaires, qu'il s'agisse : - des administrations centrales (ministère de la Justice, ciri - comité interministériel pour les restructurations industrielles) ou déconcentrées impliquées dans l'élaboration des procédures ou l'accompagnement de la gestion des difficultés des entreprises, - des tribunaux de commerce, chargés de gérer les procédures, avec l'assistance des professions réglementées - administrateurs et mandataires judiciaires - qui en sont les auxiliaires. * * * Ces diverses auditions ont permis de dresser un constat, qui confirme le sentiment répandu de l'inefficacité des procédures en vigueur, pour les entreprises en difficulté et leurs salariés, comme, également, pour leurs créanciers et plus généralement pour la santé du tissu économique. Elles ont également permis de constater que la plupart des économies développées, incluant nos principaux partenaires commerciaux, avaient opéré, depuis dix ans, une réforme des procédures applicables aux entreprises en difficulté, dans un sens globalement commun : celui de l'anticipation et de la négociation. À l'aune de ce double bilan, comme des nombreuses approches évaluatives ou des suggestions de réforme émanant des divers acteurs concernés, la mission a retenu quelques axes de réforme de principe, qui lui ont paru s'imposer. Elle s'est parallèlement réjouie de constater que le projet de loi, préparé simultanément par le Gouvernement, traduisait précisément ces mêmes orientations. Compte tenu du fait qu'elles sont marquées du sceau du bon sens et de la préoccupation d'un intérêt économique général bien compris, il est d'ailleurs loisible de se demander pourquoi la précédente majorité, qui avait déjà pleinement conscience du travail à accomplir, n'a pas été en mesure d'y consacrer la volonté politique nécessaire. I. - UN CONSTAT D'INEFFICACITÉ QUI APPELLE DES ÉVOLUTIONS SIGNIFICATIVES
A. DES PROPOSITIONS D'AMÉLIORATION MULTIPLES, UNE ÉVALUATION DÉJÀ RÉALISÉE Pourtant, sur l'ensemble de la décennie passée, les travaux et les réflexions sur la nécessaire réforme des procédures en vigueur n'ont pas manqué. Leur détail est précisé par le rapport sur le projet de loi de sauvegarde des entreprises, mais leur liste rapide - et non exhaustive - est singulièrement parlante. Ainsi, c'est dès 1998 que le Gouvernement a lancé de premières réflexions sur la réforme souhaitable en la matière. La Cour de cassation a pour sa part produit, dans son rapport annuel pour 2002, des recommandations concrètes et opportunes. Les représentants institutionnels des entreprises ont également œuvré en la matière, avec une grande constance dans le temps, qu'il s'agisse du medef ou de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris. Enfin, un travail complet d'évaluation a été réalisé - ce qui mérite d'être salué et incite à poursuivre en ce sens - par l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, se fondant sur les conclusions de la consultation de trois experts représentant des origines très diverses (Cour de cassation, tribunal de commerce, université) (3). B. UNE COMPARAISON ÉTRANGÈRE PORTEUSE D'ENSEIGNEMENTS Les administrations centrales, qu'il s'agisse de la Chancellerie, ou de la direction du Trésor et notamment du ciri, ne sont naturellement intéressées aux dispositifs applicables à l'étranger, comme à leurs évolutions récentes. Les services du Sénat (4) ont également produit une analyse de droit comparée, plus concentrée sur les réformes intervenues récemment, notamment dans le monde anglo-saxon, dont il est cependant toujours difficile, pour un pays de droit romain, de s'inspirer trop directement sans de nécessaires précautions. De ces nombreux travaux ressort une conclusion simple : la plupart des pays ont privilégié un dispositif simple, empreint de pragmatisme plus que d'esprit de système, avec un nombre limité de procédures. Celles-ci sont constituées, en règle générale : - d'une procédure plus ou moins informelle, ouvrant généralement la possibilité d'imposer un accord à une minorité de créanciers réticents, et permise après comme avant l'apparition des difficultés concrètes marquant traditionnellement l'entrée dans l'univers judiciaire - la cessation des paiements ; - et d'une procédure s'apparentant à la liquidation, lorsque la première procédure a échoué ou n'est pas susceptible de réussir. En particulier, le célèbre « chapitre onze » des États-Unis d'Amérique, souvent cité en modèle en dépit de certains défauts également bien connus, ne constitue en rien une spécifique propre à cette économie, et a inspiré de nombreux autres pays. Une adaptation de notre droit en ce sens semble donc s'imposer, sans aucunement constituer une « aventure » juridique, sous réserve de faire l'économie de ce qui n'est pas transposable dans le droit français, ou de ce qui ne mériterait pas nécessairement de l'être.
Les voies de la réforme sont diverses, mais complémentaires : si l'amélioration de l'efficacité globale de notre dispositif repose sans doute sur des adaptations juridiques substantielles préalables, leur efficacité réelle est conditionnée par une évolution des esprits qui exigera certainement d'importants efforts de pédagogie et de conviction de la part - et en direction - de l'ensemble des acteurs économiques. A. LA NÉCESSAIRE ADAPTATION DES OUTILS JURIDIQUES 1. Utiliser la variable temps en anticipant pour mieux réussir La principale conclusion résultant des auditions de la mission d'information n'est nullement surprenante, mais exige pourtant une forme de « révolution culturelle » de la procédure collective telle qu'elle est conçue en France depuis deux siècles : elle repose sur l'idée suivant laquelle seule l'anticipation des difficultés permettra d'accroître les chances de succès du redressement de l'entreprise. Pour obtenir le résultat optimal recherché, l'anticipation doit sans doute prendre plusieurs formes et être appliquée à toutes les étapes possibles où elle apparaît utile. Il s'agit notamment : - de permettre la détection des difficultés le plus tôt possible, pour anticiper les difficultés que le dirigeant ne veut peut-être pas lui-même reconnaître et affronter, considérant qu'elles seront surmontables, cette fois-ci comme les précédentes, l'aléa économique étant consubstantiel à l'économie moderne ; - d'anticiper, dans le sens des réformes entreprises par les pays étrangers de même niveau de développement économique, les difficultés avant qu'elles ne se concrétisent par une situation de cessation de paiements, cette dernière constituant jusqu'à présent le critère charnière de toutes les procédures en France ; - d'assouplir les procédures de règlement négocié, en leur permettant de se dérouler également après la cessation des paiements. a) Améliorer la détection des difficultés L'amélioration de la démarche de détection des difficultés constitue un objectif, qui demandera encore beaucoup d'efforts pour être atteint : pour prendre un seul exemple, l'outil d'analyse que représentent les comptes annuels n'existe, ou du moins n'est connu de ceux qui doivent se fonder dessus pour asseoir leur démarche préventive - c'est-à-dire les présidents des tribunaux de commerce - que pour moins de la moitié des entreprises. Dans le même temps, beaucoup de créanciers, notamment publics, et qui disposent des créances les plus importantes, ont développé des instruments performants de connaissance et de diagnostic des difficultés des entreprises, appuyés sur des données statistiques représentatives. Ces créanciers privilégiés par une information asymétrique ne font malheureusement pas partager leur connaissance des difficultés des entreprises à la communauté des autres créanciers et partenaires des entreprises considérés, y compris à ceux chargés d'une mission de détection des difficultés : en effet, leur objectif n'est pas la pérennisation de l'entreprise dans l'intérêt économique et social général, mais la récupération - certes non illégitime - des sommes qui leur sont dues. Ainsi, l'urssaf de Paris, qui connaît 60 000 demandes de délais de paiement par an, a développé un logiciel d'aide à la décision - dénommé Aïda - dont le diagnostic lui permet d'accorder des délais dans près des trois-quarts des cas avec un taux d'échec ne dépassant pas 10 % : cet outil lui permet d'apprécier finement la solvabilité des entreprises en retard de paiement, mais sans en faire partager les résultats ni aux autorités publiques en charge de la détection et de la prévention des difficultés des entreprises, ni a fortiori à d'autres créanciers, publics ou privés. b) Assouplir et sécuriser le règlement négocié Les procédures négociées et le mandat ad hoc - qui n'est pas une procédure et ne doit surtout pas le devenir - ont fait la preuve de leur efficacité, parce qu'ils interviennent en amont des procédures collectives, et parce qu'ils bénéficient d'une certaine confidentialité. Ce succès est d'ailleurs attesté par le fait que, dans certains cas, faire connaître l'existence d'une telle modalité de règlement amiable des difficultés en cours constitue précisément un élément de la politique de communication de l'entreprise fragilisée, de nature à répondre aux inquiétudes des milieux économiques. Ce succès doit être conforté, en prenant toutefois garde, ce faisant, de ne pas en faire disparaître les avantages relatifs : il convient de permettre, lorsque les créanciers l'exigent et en font une condition de leur intervention, les conditions d'une sécurité juridique la plus solide possible, notamment en donnant à l'accord homologué des effets juridiques à l'égard des tiers ; inversement, les conditions de publicité minimale nécessaires pour ouvrir de tels effets juridiques ne doivent pas rendre l'accord impossible. L'équilibre doit être impérativement recherché, dans un esprit de flexibilité et d'adaptation aux différentes situations envisageables en pratique. Par ailleurs, le succès du règlement amiable est parfois entaché par l'incertitude sur le fait que, lorsqu'il est engagé, l'entreprise peut parfois déjà se trouver en situation de cessation des paiements, mais que, pour donner toutes ses chances à la procédure, les tribunaux acceptent de ne pas se poser trop ouvertement cette question. En appliquant en réalité une définition de la cessation des paiements plus souple que celle posée strictement par la loi, et en s'inspirant plutôt d'une « jurisprudence » novatrice de la Cour de cassation datant d'avril 1998, les tribunaux de commerce s'octroient une certaine souplesse de fait (5). Conforter cette possibilité par la loi, en permettant l'engagement d'une procédure amiable alors que la cessation des paiements serait déjà apparue et en lui permettant de se dérouler ensuite normalement constituerait à l'évidence une avancée hautement souhaitable. c) Permettre d'ouvrir les procédures collectives avant la cessation des paiements Tous les praticiens, toute l'expérience étrangère et tous les échecs des procédures de redressement démontrent, s'il en était besoin, que la principale exigence d'amélioration des procédures collectives doit résider dans la possibilité de suspendre les poursuites de tous les créanciers avant que l'entreprise ne soit déjà dans l'impossibilité de faire face à ses échéances. En effet, le crédit de l'entreprise n'est alors pas encore irrémédiablement atteint, et, des efforts qu'ils sont susceptibles de consentir, les créanciers peuvent encore légitimement attendre un résultat positif, c'est-à-dire un remboursement au moins partiel de leurs créances, sinon la poursuite de leurs relations commerciales avec l'entreprise une fois celle-ci revenue in bonis. 2. Savoir appréhender les réalités économiques pour atteindre les finalités de maintien de l'emploi En tout état de cause, compte tenu du fait que les relations contractuelles normales ont déjà été partiellement altérées entre l'entreprise en difficultés et ses partenaires, les procédures collectives se caractérisent par nature par les dérogations au droit commun qui les définissent. Aussi le législateur doit-il concilier du mieux possible, ou, mieux, accepter de hiérarchiser des principes habituellement considérés individuellement comme essentiels et intangibles dans le cadre de relations normales entre particuliers, mais néanmoins devenus contradictoires entre eux, lorsque l'entreprise est entrée dans une zone de péril. Toute la problématique du droit des entreprises en difficultés consiste en particulier à « mesurer » le droit de propriété des créanciers à l'aune du maintien du potentiel économique de l'entreprise lorsqu'elle n'est qu'en difficultés ponctuelles ou résultant d'une gestion défaillante, mais qu'elle demeure fondamentalement viable une fois débarrassée d'un excès d'endettement que sa rentabilité ne permettrait plus de rembourser. Dans de telles circonstances, il n'est en effet plus possible de chercher à obtenir la satisfaction de tous en même temps, car celle-ci ne constitue plus un objectif atteignable. a) Concilier intelligemment les exigences de la transparence et celles du secret des affaires Les critiques formulées à l'encontre des procédures collectives durant les années passées ont principalement visé la transparence insuffisante dans lesquelles quelques-unes d'entre elles - toujours trop nombreuses - ont pu se dérouler, et dont certains acteurs économiques ont pu profiter aux dépens de l'entreprise elle-même, et de ses emplois. Simultanément, une transparence absolue ne garantirait que l'échec assuré de la procédure car elle est, par nature, contradictoire avec le principe de confidentialité inhérente au secret des affaires : le crédit du dirigeant et de l'entreprise ne ressortent toujours que fortement diminués par toute publicité faite autour de leurs difficultés, même lorsque celles-ci ont déjà été résolues. Il incombe donc au législateur de rechercher patiemment, parfois par un « tâtonnement » qui doit savoir rester humble, la formule réalisant l'équilibre optimal entre la transparence - nécessaire aux créanciers pour garantir leurs droits comme aux salariés qui ne doivent pas vivre la recherche des solutions comme une procédure dirigée exclusivement à leur encontre - et l'exigence de préservation de la confidentialité - pour autant que celle-ci ne nuise pas aux droits de ceux qui font l'entreprise par leur travail, leurs fournitures, leurs achats ou leurs concours financiers. Cette contrainte est particulièrement forte dans le cas du règlement négocié, qui, constitue aujourd'hui, à la suite du mandat ad hoc, la formule la plus fructueuse de sauvegarde de l'entreprise en difficulté, précisément parce qu'elle est négociée et parce qu'elle obère moins le crédit, donc l'avenir, de l'entreprise. De la même manière, la question de la publicité des audiences de sanction des dirigeants doit être considérée de manière pragmatique, au regard de l'objectif recherché : s'il faut certes sanctionner le dirigeant malhonnête de manière publique, et placer le tribunal devant toute l'ampleur de ses responsabilités lorsqu'il prononce des sanctions personnelles, il est tout aussi nécessaire de ne pas inutilement jeter l'opprobre sur le dirigeant qui n'a été que malheureux, ou contre lequel il n'y aura lieu à prononcer aucune sanction. b) Privilégier la négociation et la rapidité pour améliorer les perspectives de succès de la procédure Les procédures collectives actuelles procèdent d'une démarche systématique et universaliste, du point de vue des créanciers, entièrement fondée sur le principe, mécaniquement appliqué, de l'égalité entre eux. Ce faisant, elles tendent à nier la réalité essentielle qu'est l'inégalité de droit comme de fait des créanciers : - ils n'ont pas tous en effet la même capacité à agir pour faciliter ou empêcher l'entreprise de poursuivre son activité, une fois celle-ci débarrassée de dettes excessives résultant d'événements passés ; - pour un même montant, leurs créances n'ont pas la même importance relative, car celle-ci dépend naturellement de leur propre taille respective; - l'avenir du créancier est parfois lié à celui du débiteur, soit en raison d'un possible effet de « domino », soit à raison de l'intensité des relations commerciales que créancier et débiteur ont pu antérieurement nouer ; - juridiquement, les garanties, sûretés et privilèges modifient sensiblement la probabilité de remboursement des créances. Ainsi, un créancier important, mais avec une « petite » créance, peut parfaitement refuser de participer à l'effort commun visant à permettre à l'entreprise en difficulté de dépasser celles-ci, et, en conséquence, précipiter la disparition de l'entreprise. Pour autant, l'intérêt de ce créancier ne peut naturellement pas être totalement nié : seule la négociation, avec la menace d'une décision majoritaire traduisant l'intérêt commun, est de nature à ouvrir la voie du compromis le moins insatisfaisant pour tous. Ce type de décision doit être recherché tant par l'encouragement de la conciliation, démarche négociée par excellence, que par la constitution de comités de créanciers formalisés dans le cadre des procédures plus judiciaires. Corollaire du principe de négociation, la contrainte de la rapidité doit également être omniprésente dans l'esprit du législateur : le crédit de l'entreprise, la motivation et la confiance de ses salariés et de ses partenaires économiques et commerciaux ne peuvent survivre à des délais et à des procédures qui, certes garantissent parfaitement les droits des créanciers, mais conduisent à ce que l'entreprise « meure guérie », et à ce que l'égalité des créanciers soit celle consistant à être tous titulaire de créances irrécouvrables. Ainsi, le formalisme qui caractérise les procédures judiciaires doit-il systématiquement être apprécié au regard de ses coûts - coûts financiers directs des honoraires des professions réglementées auxiliaires de la procédure, ou coûts indirects résultant des délais induits par la procédure ; coûts de la démotivation des salariés comme de la direction, ou encore de la décrédibilisation de l'entreprise elle-même... En tout état de cause, le débat sur le thème de la priorité à l'« économique » ou au « judiciaire », selon l'ampleur des dérogations acceptées aux principes contradictoires en présence, ne doit surtout pas donner lieu à une caricature outrancière, et c'est bien au législateur, exprimant la volonté générale dans le cas d'une situation économique de crise, qu'il incombe de décider de la hiérarchisation des priorités, et des exceptions aux principes fondamentaux qu'il est prêt à consentir en la circonstance.
Toute réforme des procédures de résolution des difficultés financières des entreprises doit viser à préserver l'emploi, au niveau le plus élevé possible compte tenu de l'exigence impérative inverse consistant à ne pas transférer les difficultés financières et l'incertitude sur les emplois des créanciers eux-mêmes. La France peut en l'occurrence se féliciter de disposer d'un outil de garantie des salaires impayés, dont nos partenaires communautaires ont été conduits à s'inspirer par la directive 80/987 CEE relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, récemment modifiée par la directive 2002/74/CE du 23 septembre 2002. La tradition française veut en effet que, en tant que créanciers, les salariés ne soient pas appelés à consentir ou à subir des sacrifices trop importants sur leurs créances. Toutefois, alors qu'ils constituent la richesse principale de l'entreprise en termes de motivation et de savoir-faire, la préservation d'un avenir pour leur entreprise passe souvent, de manière malheureusement incontournable, par une réduction des charges d'exploitation, qui ne peut que rarement exclure la masse salariale, c'est-à-dire les emplois. De surcroît, les contraintes de temps exigent, bien souvent, que les décisions en matière d'emplois soient prises plus rapidement que le droit commun du licenciement économique des restructurations importantes le permettrait. Les accords de méthode prévus par la loi de programmation pour la cohésion sociale permettront, lorsqu'ils existeront, de réduire les délais des procédures en vigueur. Aussi les partenaires sociaux doivent-ils être incités à les négocier, à « chaud » comme, si possible, à « froid ». À défaut, et face à l'urgence des situations réelles, il convient que le législateur sache tenir équitablement la « barre » de l'intérêt général, entre la préservation des emplois viables et le formalisme prévu par le code du travail. d) Savoir préserver toutes les chances de succès de la cession de l'entreprise Si la continuation de l'activité est une garantie de l'emploi et de l'entreprise, il ne faut pas pour autant négliger le fait qu'elle peut également être obtenue dans le cadre d'une cession globale de l'entreprise à un tiers, économiquement intéressé et financièrement en mesure de faire face aux efforts nécessaires. Aussi le législateur doit-il lever tout obstacle juridique de nature à empêcher que les cessions globales puissent s'opérer dans les meilleures conditions possibles. En particulier, s'il ne fait aucun doute qu'il convient de prévoir les moyens de faire disparaître les cessions réalisées dans des conditions trop contestables pour les salariés comme pour les propriétaires de l'entreprise qui en sont ainsi dépossédés, une telle orientation ne doit pour autant dissuader que les seuls repreneurs critiquables, et pas ceux qui s'intéressent au potentiel économique de l'entreprise mais craignent de voir celui-ci trop vite disparaître si la cession a lieu tardivement après l'ouverture de la procédure collective, lorsque le capital humain de l'entreprise, comme d'ailleurs son crédit auprès de ses différents partenaires, se sera déjà complètement délité. En la matière, le réalisme économique doit primer. B. UNE DIMENSION PSYCHOLOGIQUE ESSENTIELLE : APPRENDRE A VAINCRE DES RÉTICENCES TRÈS ANCRÉES Aucune adaptation du droit, dans le sens précédemment préconisé, ne saurait se traduire par un effet positif réel si les acteurs, et surtout les sujets potentiels des procédures que sont les dirigeants des entreprises, ne se les approprient pas préalablement eux-mêmes. Cette appropriation emporte deux exigences prioritaires : celle consistant à informer le chef d'entreprise des nouvelles possibilités, moins traumatisantes et moins périlleuses pour lui, que permettra l'anticipation de ses difficultés, et celle visant à lui faire vaincre ses réticences naturelles à faire connaître ses difficultés, surtout tant qu'elles ne sont encore précisément que prévisibles. 1. Savoir dépasser les réticences du chef d'entreprise et de l'opinion publique économique Ces réticences sont, en l'occurrence, d'au moins deux ordres : - d'une part, l'univers judiciaire ne présente guère d'attraits pour le chef d'entreprise - que ce dernier craigne la froideur et l'anonymat des tribunaux de commerce des grandes villes, la crainte inverse de la diffusion trop rapide de rumeurs infondées ou encore la présence ou l'information du parquet et la menace potentielle de sanctions, alors qu'il est prêt à « beaucoup » pour redresser l'entreprise dont il a la responsabilité. En particulier, la concomitance de l'exercice de la mission d'aide au rebond et à la résolution des problèmes, et du pouvoir d'engager puis de prononcer une sanction financière lourde ou une faillite personnelle infâmante - missions confiées aux mêmes personnes du tribunal de commerce - ne peut à cet égard que conforter ces réticences ; - d'autre part, le fait pour le dirigeant de faire connaître ses difficultés constitue encore, dans la culture économique française, un aveu d'échec souvent irrémédiable, qui ne tient pas suffisamment compte de la nature aléatoire des marchés, et des contraintes juridiques, fiscales ou encore financières de toute nature pesant sur l'entreprise. Le dirigeant qui a « subi » un redressement ou, pire, une liquidation, continue, dans l'appréhension du phénomène par ses pairs, à être perçu comme ayant « failli ». L'acceptation rationalisée du risque, condition impérative du succès des économies à forte valeur ajoutée, est encore trop étrangère à la culture économique française, qu'il s'agisse des acteurs financiers ou de nombre de dirigeants, comme - mais on comprend mieux pourquoi - des salariés. Ainsi, au-delà de l'effort nécessaire d'adaptation de la perception par les chefs d'entreprise des nouvelles procédures privilégiant l'anticipation, c'est sans doute tout le tissu économique dans son ensemble qui doit opérer une forme de « révolution copernicienne », de façon à rendre possible, et même normal, le rebond de l'entrepreneur ou du dirigeant simplement malheureux. Il est incontestable que les procédures collectives françaises ne brillent pas précisément par leur simplicité. Le souci de respecter une certaine équité entre les intérêts, par nature souvent divergents, des créanciers, des salariés, de l'entreprise, et du tissu économique en général, a conduit à un droit complexe, caractérisé par des procédures pour la plupart - à l'exception du mandat ad hoc - très judiciarisées, faisant intervenir des auxiliaires de justice aux honoraires souvent ressentis comme une lourde charge, à supporter au plus mauvais moment. L'ajout de nouvelles procédures, éventuellement alternatives, et pour certaines facultatives, susceptibles de se succéder selon une chronologie potentiellement très étalée dans le temps, procède de la recherche très légitime de disposer de la gamme des outils juridiques la plus complète possible, adaptée à des situations qui, de fait, diffèrent beaucoup entre elles. Ce souci d'enrichissement des procédures accessibles exigera manifestement un effort de pédagogie considérable de la part des pouvoirs publics, à tous les niveaux : pour faire connaître les outils nouveaux et les modifications apportées à ceux en vigueur ; pour convaincre de leur utilité respective ; pour donner les clefs permettant de les utiliser au mieux. La tâche que devra s'assigner le Gouvernement pour la mise en œuvre de la future loi de sauvegarde des entreprises ne pourra manifestement pas s'arrêter à la publication des décrets et des circulaires nécessaires à son application : il conviendra de mobiliser toutes les énergies, sans négliger aucun acteur, pour lui donner réellement vie et en retirer tous les fruits attendus. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES Pages · M. Marc Guillaume, directeur des affaires civiles et du sceau, ministère de la Justice 19 · MM. Neil Batson et Alf Lafiandra, avocats, cabinet Alston & Bird 31 · Table ronde des organisations syndicales représentatives des salariés (CFE-CGC, CFTC, CGT, FO) 39 · M. Jean-François Bernardin, président de l'acfci (Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie), M. Jean-Christophe de Bouteiller, directeur général ; M. Michel Tournier, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Rodez ; M. Henri Mazet, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Montluçon 55 · Mme Ariane Obolensky, directrice générale de la Fédération bancaire française, Mme Annie Bac, directrice juridique 63 · M. Jean Courtière, rapporteur de la commission juridique de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, Mme Anne Outin-Adam, directrice des développements juridiques 73 · Mme Perette Rey, président de la Conférence générale des tribunaux de commerce et président du Tribunal de commerce de Paris 79 · Mme Évelyne Gall-Heng, présidente du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, M. Maurice Picard, vice-président, M. Emmanuel Hess, ancien président 91 · M. Philippe Leroy, secrétaire général du ciri (Comité interministériel pour les restructurations industrielles), M. Michel Pelegry, magistrat 99 · M. Christian Provost, directeur du contentieux de la bdpme, M. Joseph Tamba, conseiller juridique 111 · M. Gilbert Costes, ancien président du Tribunal de commerce de Paris 117 · M. William Nahum, président du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables ; M. Michel Dussaux, président du conseil régional de l'ordre des experts-comptables de la Réunion 123 · Mme Brigitte Longuet et M. Jack Demaison, avocats, Conseil national des barreaux ; Mme Églantine de Granvilliers, avocate, Barreau de Paris 135 · M. Alain Géniteau, président de l'aspaj (Association syndicale professionnelle d'administrateurs judiciaires), M. Michel Chavaux, vice-président 145 · M. Jean-André Toulouse, avocat, cabinet Fidal 155 · M. Jean-Paul Simonnot, procureur de la République, tribunal de grande instance de Bobigny 163 · M. Pascal Daniel, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, M. Christian Bravard, vice-président, M. Michel Jalenques, secrétaire général, M. Jean-Marc Bahans, greffier du tribunal de Bordeaux 169 · M. Bernard Field, président de la commission juridique du medef, Mme Joëlle Simon, directeur juridique 181 · M. Gérard Orsini, président de la commission juridique et fiscale de la Confédération générale des pme (cg-pme), M. Pascal Labet, directeur du service économique et fiscal 189 Audition de M. Marc GUILLAUME, (procès-verbal de la séance du 15 avril 2004) Le président Pascal CLÉMENT : Vous ouvrez, M. le directeur, le deuxième volet de la mission d'information sur la réforme du droit des sociétés, dont le premier a donné lieu à la publication du rapport d'information sur la gouvernance des sociétés cotées. Nous nous attelons désormais à la question de la réforme des procédures collectives, sans limiter notre réflexion au cadre défini par le projet de loi en préparation à la Chancellerie, même si ce texte est intéressant et qu'il va dans le sens de ce qui est souhaité par tous depuis des années, et notamment par les professionnels des entreprises. En ce qui nous concerne, nous avons certaines questions à vous poser : - En quoi la réforme des procédures collectives envisagée par le ministère de la justice s'inspire-t-elle du droit américain et en quoi s'en éloigne-t-elle ? - Par rapport au droit actuel, comment s'établissent les équilibres entre les différents acteurs de la procédure : chef d'entreprise, créanciers, mandataires, salariés ? - Par ailleurs, le salarié est-il véritablement considéré comme un acteur ou est-il avant tout un enjeu des procédures collectives ? En particulier, la principale critique formulée à l'encontre du projet de loi est liée au fait que le salarié pourrait perdre le rôle qu'il a dans la législation actuelle : est-ce exact ? - Enfin, la notion de cessation des paiements forme aujourd'hui le pivot des procédures collectives. Elle suscite une abondante jurisprudence, malgré son apparente simplicité. Dans votre avant-projet, la procédure de sauvegarde serait ouverte à tout débiteur « qui justifie de difficultés susceptibles de conduire à la cessation des paiements », ce qui ne nous semble pas d'une grande précision du point de vue juridique. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ? Comment envisagez-vous la procédure en pratique ? Quelle différence faites-vous avec la notion de « difficulté juridique, économique et financière, avérée ou prévisible » que l'on trouve comme fait déclenchant de la procédure de conciliation ? M. Marc GUILLAUME : En introduction, je souhaiterais rappeler que ce projet se situe dans le prolongement de l'action engagée depuis deux ans pour que la question du droit économique soit traitée, du côté du Gouvernement, par la Chancellerie et, du côté du Parlement, par la commission des Lois. Pour être bien appliqué, en effet, le droit économique doit être bien rédigé. C'est ce que nous avons commencé à faire depuis deux ans, à la fois avec la loi sur les administrateurs judiciaires du 3 janvier 2003, la loi de sécurité financière du 4 août 2003, l'ordonnance du 26 mars 2004 sur le droit des sociétés à responsabilité limitée (sarl), l'ordonnance, en chantier, sur les valeurs mobilières et, à présent, la modification du Livre VI du code de commerce. Tout le monde partage l'idée que le régime des procédures collectives issu de la loi du 25 janvier 1985 est inadapté à notre économie, qu'il a été instauré dans le cadre d'une économie dirigée, marquée par la nationalisation de la plupart des entreprises de crédit et des entreprises industrielles, et que l'ensemble de cette loi reposait essentiellement sur le redressement judiciaire. Or, même si la loi du 10 juin 1994 a heureusement corrigé un certain nombre d'aspects de la loi de 1985, elle n'a pas pu remettre à plat, à l'époque, l'ensemble du Livre VI : d'où la tâche de rénovation qui est devant nous aujourd'hui, qui s'impose d'autant plus que la loi de 1985 souffrait de l'absence de traitement en amont des difficultés des entreprises, et notamment de la faiblesse du traitement des solutions amiables. Sans doute des pratiques positives ont-elles été développées à divers endroits, par exemple au tribunal de commerce de Paris. Il fallait toutefois en dresser un bilan pour pouvoir les généraliser, sans omettre les études de droit comparé qui peuvent apporter des éléments utiles. C'est ce que nous avons fait dans un très long processus, puisque le projet de loi en préparation est issu de démarches engagées en février 2003. Ainsi, tout d'abord, le garde des Sceaux a interrogé tous les parquets généraux pour faire remonter du terrain un certain nombre d'informations sur le bon ou le mauvais fonctionnement de ces procédures. Ensuite, nous avons mené, jusqu'à l'été 2003, une concertation ouverte avec l'ensemble des acteurs - syndicats de salariés, patronat, banques, administrateurs et mandataires judiciaires (ajmj) - en interrogeant chacun sur les points positifs et négatifs de la procédure actuelle et en lui demandant quelle réforme il envisageait, sans que soient avancées, de notre part, de pistes à ce stade. Sur la base de ces très larges auditions, nous avons rédigé un avant-projet de loi en septembre dernier, diffusé en octobre, qui a fait l'objet d'une deuxième phase de concertation, ce qui nous a permis de rédiger une deuxième, puis une troisième version qui ont conduit à la saisine du Conseil d'État au début de l'année 2004. Ce sont au total une année entière de concertation avec l'ensemble des acteurs, une centaine de rendez-vous et des centaines de pages de contribution qui nous laissent penser que nous avions une bonne vision de l'ensemble des points positifs et des difficultés. Le projet de loi est au Conseil d'État depuis janvier dernier ; il devrait être examiné par l'assemblée générale du Conseil d'État le 29 avril et passer en Conseil des ministres le 5 mai. Nous souhaiterions qu'une première lecture ait lieu au Parlement avant l'été, en vue d'une deuxième rapidement avant la fin de l'année, ce texte s'inscrivant véritablement dans l'action économique et sociale du gouvernement pour essayer de sauver davantage d'entreprises et d'emplois dans ce pays et correspondant pleinement à l'orientation exprimée par le Président de la République, lors des vœux qu'il a formulés aux forces vives de la Nation en janvier dernier. De ce texte important - deux cents articles, un certain nombre d'articles ayant dû être renumérotés pour être codifiés -, je retiendrai huit mots-clés pour résumer les axes de la réforme : généralisation, anticipation, négociation, cohérence, cohésion sociale, moralisation, transparence et rapidité. · Généralisation C'est l'une des innovations importantes du projet : nous procédons à l'extension des procédures collectives aux professions libérales. Il s'agit là de l'une des lacunes majeures du dispositif juridique français, plusieurs centaines de milliers de personnes n'entrant dans aucun dispositif en cas de difficultés économiques de leur entreprise. Cette extension est un dispositif que nous avons mûrement discuté avec l'ensemble des professionnels libéraux, afin que les spécificités de ces professions puissent être intégrées dans le projet de loi : la compétence du tribunal de grande instance, la compétence des ordres - qui seront obligatoirement contrôleurs ou dont la compétence disciplinaire sera respectée -, le respect du secret professionnel, évidemment très important, à la fois pour les ordres médicaux et les avocats. De même, comme nous le verrons ultérieurement, certains cas qui concernent, par exemple, la faillite personnelle, ne sont pas applicables aux professions libérales. La concertation a permis de dégager des exceptions nécessaires. · Anticipation Nous souhaitons accentuer les procédures d'anticipation des difficultés des entreprises et d'intervention en amont de celle-ci. Certaines dispositions sont tirées de la pratique : détection précoce des difficultés avec possibilité de venir au tribunal de commerce ; possibilité, pour le président du tribunal de commerce, de convoquer le dirigeant qui n'a pas déposé ses comptes annuels ; s'il ne vient pas, possibilité d'obtenir la communication de tout document permettant d'avoir une image plus exacte de la situation de l'entreprise, etc. Cependant, le cœur de l'anticipation réside dans les deux procédures nouvelles prévues par le projet : la procédure de conciliation et la procédure de sauvegarde. Héritière de la procédure de redressement amiable existant dans le droit actuel, la procédure de conciliation en diffère cependant par sa définition et son effet juridique. Différente dans sa définition, tout d'abord : afin qu'elle puisse traiter le plus en amont possible les difficultés juridiques, économiques ou financières, avérées ou prévisibles, dans lesquelles se trouve l'entreprise, elle intervient avant la cessation des paiements et vise à l'établissement d'un rapport synallagmatique entre le débiteur et ses créanciers, dont l'initiative est laissée au débiteur. Différente, ensuite, dans ses effets juridiques : pourquoi, jusqu'alors, ne parvenions-nous pas à convaincre créanciers et débiteurs de discuter le plus en amont possible pour traiter ces difficultés ? Parce qu'il n'y avait pas l'effet de droit lié à l'homologation, par le tribunal, de cet accord amiable éventuellement conclu. Le président Pascal CLÉMENT : Il avait cependant des incidences au plan bancaire. M. Marc GUILLAUME : C'est exact. M. Xavier de ROUX : Et pourquoi ces effets de droit avaient-ils été refusés lorsqu'ils avaient été proposés dans le passé ? M. Marc GUILLAUME : Je l'ignore. En ce qui nous concerne, nous avons prévu trois effets de droit très importants liés à l'homologation, par le tribunal, de l'accord obtenu à l'issue de la période de conciliation : - l'absence de remise en cause des actes de la période dite suspecte ; - le « privilège de l'argent frais », les personnes soutenant l'entreprise dans le cadre de l'accord étant remboursées en priorité ; - la limitation des actions en responsabilité civile engagées à l'encontre des établissements financiers sur le fondement d'un soutien abusif. Ces effets de droit tranchent par rapport au régime actuel, qui laisse au tribunal la possibilité de faire remonter en amont la date de la cessation des paiements, s'il estime qu'au moment de l'accord amiable, l'entreprise était déjà en cessation des paiements. Ceci conduit à une réticence des partenaires économiques de l'entreprise débitrice à passer cet accord amiable. Il était donc nécessaire de sécuriser ces accords pour les convaincre d'apporter des concours d'argent frais et prendre des mesures d'ensemble. En l'occurrence, c'est la publication du jugement homologuant l'accord de conciliation qui produit les effets de droit. En effet, afin que les tiers qui auraient des créances puissent le savoir et, éventuellement, faire valoir leurs droits, il faut que le jugement homologuant l'accord soit public, ce qui conditionne l'existence des trois effets de droit. Cette solution concilie publicité et confidentialité : si une certaine publicité est nécessaire, il ne s'agit pas pour autant de rendre public le contenu de l'accord entre le débiteur et les créanciers ; cet accord doit même être frappé d'une certaine confidentialité pour que les mesures prises par le chef d'entreprise, en concertation avec ses créanciers, ne soient pas sur la place publique ni connues de ses concurrents, notamment. Autre outil au service d'une meilleure anticipation, la procédure de sauvegarde constitue une innovation majeure du projet de loi. Vous demandiez, M. le Président, quel en était le critère et si les procédures étaient bien distinguées l'une de l'autre : nous le croyons. En effet, comme la conciliation, cette procédure intervient en amont, le principe en étant que, dès qu'il observe des difficultés, le débiteur se met en rapport avec ses principaux créanciers - ses banques et/ou son principal fournisseur, notamment. Toutefois, contrairement à la conciliation, cette procédure intervient à un stade beaucoup plus proche de la cessation des paiements : la situation de l'entreprise est plus difficile et a empiré par rapport à celle qui aurait pu donner lieu à la mise en œuvre de la procédure de conciliation ; dans ce cas, les difficultés sont susceptibles de conduire à la cessation des paiements. Par rapport à la conciliation, la différence principale est donc liée au fait que le débiteur estime qu'il a besoin d'une suspension provisoire des poursuites et que la simple renégociation avec ses créanciers sera insuffisante pour le sortir de ses difficultés économiques, financières ou juridiques, puisque celles-ci sont beaucoup plus sérieuses et de nature à le conduire à la cessation des paiements. Seul le juge peut engager cette atteinte au droit des tiers qu'est la suspension provisoire des poursuites ; c'est lui qui, une fois saisi, pourra opérer cette suspension, vérifier qu'il n'y a pas de fraude et que - contrairement au droit américain, parfois critiqué sur ce point - cette procédure ne sera pas utilisée à des fins concurrentielles. C'est à ce niveau que le plan de sauvegarde équilibre les négociations entre le débiteur et les créanciers. · Négociation Nous souhaitons renforcer le fondement contractuel du droit des entreprises en difficulté. Vous l'avez rappelé, plusieurs lois du passé étaient faites au profit de l'un des acteurs : peut-être la loi du 13 juillet 1967 avait-elle été faite pour le débiteur de même que, a fortiori celle du 25 janvier 1985, avec l'espoir illusoire qu'en traitant le plus tard possible les difficultés, les emplois seraient davantage préservés. Peut-être s'était-on, à l'inverse, davantage soucié du créancier dans la loi du 10 juin 1994. Nous voulons cette fois une loi d'équilibre. Nous avons renforcé ce fondement contractuel dans le cadre de la conciliation, via le renforcement de ses effets juridiques qui constitue une puissante incitation à contracter, sans substituer le conciliateur au chef d'entreprise. C'est d'ailleurs l'un des points sur lesquels la longue phase de concertation nous a permis d'avancer, pour que chacun des acteurs reste à sa place. Il n'y a pas, par exemple, de limitation dans les actes de disposition auxquels le chef d'entreprise pourrait procéder. Quant à la crainte éventuelle d'une « judiciarisation » de cette phase de conciliation, elle n'a pas lieu d'être, le juge étant uniquement chargé d'homologuer l'accord de conciliation, pour vérifier que le débiteur n'est pas en cessation des paiements, que les termes de l'accord sont de nature à pérenniser l'activité de l'entreprise et, surtout, que l'accord ne porte pas atteinte aux droits et aux intérêts des créanciers tiers. La procédure de sauvegarde se situe également dans cette optique contractuelle, puisque notre projet laisse le chef d'entreprise pleinement maître de son entreprise dans la mesure où il n'est pas encore en cessation des paiements. Le projet de loi se borne à tenter d'organiser le dialogue, via l'innovation importante que représente la création, dans cette phase, des comités de créanciers dont l'objet est de mieux nouer le dialogue entre créanciers et débiteurs, pour des entreprises d'une certaine importance. Il existerait deux comités de créanciers : l'un rassemblant tous les établissements de crédit, l'autre regroupant les principaux fournisseurs. Ces comités auraient pour but d'instaurer le dialogue entre créanciers et débiteurs en vue de l'élaboration du plan de sauvegarde : remises de dette, modifications de capital, moratoires, réorganisation, etc. Il est très important que ce plan soit sanctionné par des votes permettant à chacun d'avoir sa place et fondamental que, même si c'est le débiteur qui propose ce plan, les créanciers puissent trouver leur place dans ce dialogue ; en cas d'accord entre les débiteurs et les créanciers, le vote des comités permettra d'étendre aux minoritaires de ces comités les mesures qui auront été décidées par la majorité. Enfin, il reviendra au tribunal de vérifier que le plan sauvegarde suffisamment les intérêts de tous les créanciers, y compris ceux qui ne font pas partie de ces comités. · Cohérence En quatrième lieu, ce projet de loi cherche à garantir la cohérence entre les différentes procédures, notamment par rapport aux deux phases « classiques » de notre droit actuel que sont le redressement et la liquidation judiciaires. S'agissant du redressement judiciaire, nous espérons beaucoup que, grâce aux phases de conciliation et de sauvegarde, nous aurons réussi à traiter la plupart des difficultés le plus en amont possible. Cependant, il restera évidemment des situations dans lesquelles le chef d'entreprise ou ses créanciers n'auront pas su anticiper la cessation des paiements ni prendre des mesures préventives. Il est hors de question, dans ce cas, notamment vis-à-vis des salariés, d'invoquer le manque de chance et de considérer la liquidation comme une conséquence inéluctable. C'est pourquoi, afin de donner une dernière chance à une procédure amiable, nous avons prévu que la conciliation puisse se produire dans le mois suivant la cessation des paiements. Par ailleurs, nous avons maintenu la phase de redressement, qui permet aujourd'hui de faire fonctionner 3 500 plans de continuation et 1 000 plans de cession. Par conséquent, il est très important de conserver cette chance de continuation de l'entreprise, notamment pour les salariés. Ce n'est que lorsque la continuation se révèle impossible qu'il y aura liquidation judiciaire. Celle-ci répond donc à une définition nouvelle dans le texte : elle intervient lorsque le débiteur, manifestement dans l'impossibilité d'assurer la continuation de son entreprise par l'élaboration d'un plan, est décidé à mettre fin à l'activité ou à réaliser le patrimoine, d'où une organisation de la phase de liquidation. · Cohésion sociale Le projet, pour lequel nous avons rencontré et interrogé à plusieurs reprises l'ensemble des syndicats de salariés, vise, en sauvegardant les entreprises, à sauvegarder les emplois. Il est donc très important de préciser comment les salariés trouvent leur place dans le projet de loi. Nous avons essayé de faire en sorte que les salariés puissent aider à la détection précoce des difficultés. Ce sont les dispositions qui figurent dans le texte sur le lien entre la capacité d'alerte du comité d'entreprise et celles des commissaires aux comptes. Cette réforme de l'alerte nous a été suggérée par les syndicats de salariés. Par ailleurs, la place des salariés dans la conciliation a été considérablement accrue. L'audition des représentants du personnel est prévue de droit lors de l'audience relative à l'homologation. Dans la procédure de sauvegarde, une différence importante existe par rapport aux procédures américaines, puisque nous n'avons pas prévu de comité des salariés. En effet, il est impensable, dans le droit français, d'envisager ouvrir un comité pour solliciter les salariés sur une réduction éventuelle de leur rémunération. En outre, dans le cadre de cette procédure, c'est le droit commun du licenciement qui s'applique ; il n'existe pas, en l'espèce, de « basculement » sur les procédures particulières comme dans le redressement judiciaire. Vous aurez également noté qu'est prévue l'intervention possible, dans la procédure de sauvegarde, de l'association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (ags), avec le bénéfice que peuvent y trouver les salariés. Enfin, je ne reviendrai pas, à ce stade, sur le bénéfice que les salariés d'un professionnel exerçant à titre individuel vont trouver du fait de l'application du droit des procédures collectives. · Moralisation C'est un point très important sur lequel je ne reviens pas. Chacun connaît les difficultés qui ont pu être relevées dans le passé à propos de cas individuels. Un grand nombre de dispositions dans notre texte visent à la moralisation, notamment : l'incompatibilité entre les fonctions de mandataire ad hoc ou les fonctions de conciliateur et l'exercice de missions rémunérées par l'entreprise ; l'incompatibilité entre les fonctions de juge consulaire et l'exercice de la fonction de mandataire ad hoc ou de conciliateur ; l'obligation d'assurance en responsabilité civile professionnelle pour le mandataire ad hoc ; l'interdiction faite aux créanciers contrôleurs d'acquérir des actifs de la procédure. Enfin, un certain nombre de mesures visent à ce que les critiques émises à l'encontre du droit des procédures collectives et d'un certain type de cessions ne puissent plus perdurer. · Transparence Ce point reprend une idée proche de la précédente. Il vaut autant s'agissant de la définition de l'objectif de la liquidation judiciaire que de la publicité des procédures en matière de conciliation, au profit du débiteur, du représentant des salariés et du mandataire. Le souci de transparence justifie également l'accessibilité à tous des projets de reprise par la voie du plan de cession. · Rapidité Elle est au cœur de plusieurs des mesures du projet, notamment la liquidation simplifiée pour les pme, qui a pour objectif de ne pas examiner une à une toutes les créances de l'entreprise, puisque les actifs sont de toute façon insuffisants pour toutes les éteindre. D'autres mesures, comme la suppression de la clause suspensive du parquet, visent ce même objectif de rapidité. Je suis revenu sur ces huit mots-clefs, M. le président, pour indiquer que le projet de loi essaye de définir un équilibre entre tous les intérêts en présence. Certes, lorsqu'une entreprise est en difficulté, voire lorsqu'elle devra être liquidée, et que, par définition, il n'y a donc pas assez d'actifs pour payer l'ensemble des créanciers, ce n'est pas le droit qui peut rendre les entreprises économiquement plus rentables ou les produits meilleurs. Le rôle du droit en l'occurrence est de parvenir à traiter ces difficultés le plus en amont possible, en présentant un équilibre entre les diverses parties en présence. Tel est l'objectif que nous nous sommes assigné. Le président Pascal CLÉMENT : En quoi ce projet s'inspire-t-il du droit américain ? M. Marc GUILLAUME : Il est essentiel qu'avant la cessation des paiements, une procédure permette la suspension provisoire des poursuites : c'est le cœur de la procédure de sauvegarde. L'idée, inspirée de l'exemple américain, est de donner une chance à l'entreprise qui n'est pas en cessation des paiements de se mettre sous la protection de ce régime juridique pour essayer de rebondir. Cette possibilité de suspension provisoire des poursuites existait certes, dans notre droit, dans le cadre de l'accord amiable, mais elle n'était jamais utilisée, pour les raisons évoquées précédemment. En bref, ce régime de la sauvegarde vise à permettre à l'entreprise de se réorganiser avant qu'elle soit vraiment au fond du gouffre. L'autre élément qui emprunte au système américain réside dans l'accent porté sur le rapport contractuel entre le débiteur et le créancier. Ce principe est étendu aux créanciers publics, qui forment une sorte de « troisième comité » et ont la possibilité de contracter en vue d'un abandon de certaines de leurs créances. Nous nous différencions cependant du droit américain, notamment dans le traitement des salariés, fidèle à l'aspiration économique et sociale de notre droit. Le président Pascal CLÉMENT : Je vous félicite pour cette synthèse. Par rapport au régime actuel, en quoi les salariés pourraient-ils estimer qu'ils sont moins bien traités ? M. Marc GUILLAUME : Certaines critiques ont argué de ce que le projet n'était pas assez - ou trop - favorable aux créanciers ou aux débiteurs, mais aucune n'a eu pour objet la place que nous accordions au salarié. Au contraire, nous avons essayé d'accroître la place du salarié par des mécanismes divers et, en tout cas, de ne pas diminuer ses droits. Notamment, la disposition sur l'alerte en lien avec les commissaires aux comptes est issue de la concertation. Plus encore, je dirai que notre projet de loi vise globalement à une plus grande humanisation des procédures, c'est-à-dire à mieux prendre en compte la personne physique. Ainsi, le dispositif des sanctions est rénové dans le texte afin de distinguer l'entrepreneur délinquant de l'entrepreneur malchanceux. Il est tout à fait normal que des sanctions sévères existent pour le premier et que l'on cherche à l'écarter de la vie des affaires. En revanche, l'entrepreneur d'une petite pme dont le produit n'a pas marché ne doit pas être poursuivi toute sa vie, sans possibilité de rebondir. Le président Pascal CLÉMENT : Que répondez-vous à la critique fondée sur le fait que la procédure de sauvegarde va « sonner le tocsin », en particulier pour les banquiers et les fournisseurs ? M. Marc GUILLAUME : C'est le débiteur, chef d'entreprise, qui en aura l'initiative. C'est à lui qu'il appartiendra d'estimer que la difficulté que traverse son entreprise est assez sérieuse ou avérée pour être mise sur la place publique en vue d'obtenir la suspension provisoire des poursuites et de discuter avec l'ensemble de ses créanciers ou, à défaut, qu'elle justifie la confidentialité d'un dialogue avec certains de ses créanciers Le président Pascal CLÉMENT : Mais la rationalité ne prévaut pas toujours. Quid de la petite et moyenne entreprise où l'affolement gagnera le chef d'entreprise, qui aura une réaction généralement irrationnelle, soit qu'il fasse la « politique de l'autruche » pour ne réagir que trop tard, soit qu'il juge que ses créanciers l'ont injustement poussé vers une procédure que la situation ne justifiait pas ? M. Marc GUILLAUME : Vous avez raison et nous avons cherché à répondre à ces deux points. D'abord en laissant le déclenchement de la procédure de sauvegarde à la seule initiative du chef d'entreprise. Il sera d'autant plus incité à le faire que le texte comprend une disposition très importante, concernant les cautions personnelles, pour l'aider à traiter suffisamment en amont les difficultés auxquelles il est confronté. En effet, le droit français est ainsi fait que, sauf durant la période d'observation, le fruit du redressement judiciaire - notamment les remises de créance - ne bénéficie pas aux cautions. Le chef d'entreprise qui est caution de son entreprise à titre personnel, n'a donc aucun intérêt à s'engager dans ces dispositifs, puisque son entreprise bénéficiera peut-être d'une remise de telle ou telle dette, mais que lui paiera, en tant que caution. C'est l'une des principales raisons - notamment pour les pme - de la réticence des chefs d'entreprises à anticiper les difficultés, puisqu'elles rejailliront de toute façon sur lui et ses proches. Dans notre texte, une disposition prévoit que, pendant la phase de sauvegarde, la caution personne physique bénéficiera du plan de sauvegarde, ce qui devrait être une formidable incitation pour nos chefs d'entreprise à venir discuter avec leurs créanciers avant la cessation des paiements. Pour faire face à la « politique de l'autruche », nous avons prévu qu'il y ait une dernière chance après la cessation des paiements : le débiteur ne bascule pas immédiatement dans le redressement judiciaire mais bénéficie d'un mois supplémentaire pour essayer de monter un plan à l'amiable avec son créancier et de revenir dans une situation meilleure que la cessation des paiements. Nous avons donc essayé de prendre en compte les aspects psychologiques que vous mentionnez car, derrière le droit, il y a les hommes. La disposition sur les cautions personnes physiques est tout à fait cardinale dans le texte, pour l'intérêt de la sauvegarde. C'est notamment l'une des différences avec la procédure de redressement judiciaire. Ces deux procédures ont des points communs, puisque l'on est proche de la cessation des paiements, mais elles présentent des différences sensibles, à commencer par le fait que l'une a lieu avant la cessation des paiements. M. Xavier de ROUX : Je suis tout à fait favorable à l'instauration d'une procédure de conciliation. J'en avais d'ailleurs été un avocat en 1994, peu suivi par la Chancellerie qui était, à l'époque, réticente et je suis très heureux de constater que la conciliation sans cessation des paiements et sans suspension de la procédure des poursuites a été très largement introduite et fournit une solution aux entreprises très en amont. En revanche, j'ai un peu de mal à comprendre la différence entre la procédure de sauvegarde et la procédure de redressement judiciaire. En effet, le critère serait la cessation des paiements. Autrement dit, la procédure de sauvegarde a lieu avant la cessation des paiements, le redressement judiciaire intervenant dès lors que celle-ci survient. Il me semble que le problème est lié à la notion de cessation des paiements, qui est assez dangereuse et difficile à manipuler. Pourquoi, dès lors, ne pas faire trois procédures ? Une procédure de conciliation en amont, lorsqu'il y a ni cessation de paiement ni suspension de poursuite ; une deuxième procédure, dite « de sauvegarde », quand on estime que l'entreprise peut être sauvée, en dépit des difficultés graves qu'elle traverse ; la troisième, la liquidation, si le sauvetage s'avère impossible. M. Marc GUILLAUME : Je ne pense pas que la sauvegarde et le redressement judiciaire puissent être confondus. Dans le premier cas, la procédure se situe en amont de quelques mois avant la cessation des paiements et vise précisément à traiter la difficulté susceptible de conduire à celle-ci. Ces quelques mois, pendant lesquels on suspend provisoirement les poursuites, vont permettre de mettre en place un plan de sauvegarde dans un rapport de négociation. En traitant les difficultés sept ou huit mois avant une éventuelle cessation des paiements, peut-être sera-t-il ainsi possible de sauver 30 ou 50 % des entreprises. C'est un dispositif très différent de celui où l'entreprise arrive en cessation des paiements et où il faut tenter d'en sauver tout ou partie avant de la liquider. Cette phase est nécessaire : 4 500 redressements judiciaires réussissent chaque année dans notre pays et, dans le cadre de notre préoccupation économique et sociale, il serait inadmissible qu'ils aboutissent à une liquidation. Même en situation de cessation des paiements, il faut donc conserver cette phase de redressement judiciaire, qui continuera de s'appliquer même si elle moins cardinale qu'auparavant puisque davantage de difficultés seront traitées en amont. Le président Pascal CLÉMENT : Pour que la situation soit traitée en amont, encore faut-il que les gens le veuillent. Imaginons que cela ne fonctionne pas. M. Marc GUILLAUME : Le texte prévoit, dans ce cas, la possibilité de bénéficier d'un délai d'un mois après la cessation des paiements pour tenter d'aboutir à une conciliation. Le président Pascal CLÉMENT : Je crains que cela ne fonctionne pas, en province notamment, compte tenu de la psychologie des gens dans ce type de circonstances. « Sortir du bois », faire état de ses difficultés a un impact dramatique. M. Marc GUILLAUME : Les deux attitudes - traditionnelle et novatrice - cohabiteront. M. Xavier de ROUX : En province, aller devant le juge du tribunal de commerce est considéré comme signer l'arrêt de mort de l'entreprise. Très souvent en province et quelquefois à Paris, on confond juge, tribunal de commerce et mandataire, ce dernier étant considéré comme le bourreau qui fait de « l'équarrissage ». M. Marcel BONNOT : Je vous ai écouté d'une oreille attentive et j'ai bien compris l'esprit du texte, ainsi que ses ambitions. Voici un cocktail nouveau qui devrait aboutir à un texte « cousu main », de nature à répondre aux maux des entreprises en difficulté. Cependant, si l'exposé d'un texte apparaît généralement comme particulièrement positif, son application dans le champ des réalités en fait parfois découvrir les carences ou les décalages. Ainsi, votre texte crée, certes, des avancées dans ce que l'on appelle les procédures préalables et les procédures amiables, mais ces dernières existent déjà. Dans la mesure où l'on n'est pas en état de cessation des paiements, la nomination d'un mandataire ad hoc ou d'un administrateur est tout à fait possible et le travail accompli sous couvert de cette procédure peut, à la demande, être homologué par le tribunal. La cessation des poursuites peut même être ordonnée. C'est dire que l'avancée, sur ce point, est vraiment relative. Je suis, moi aussi, convaincu que la notion-clé est celle de cessation des paiements. Dans votre projet, qu'il s'agisse de la phase de conciliation ou de la phase de sauvegarde, l'entreprise ne peut en bénéficier que si elle n'est pas en cessation des paiements. Or, à l'heure actuelle, comme demain j'en suis sûr, lorsqu'un chef d'entreprise est amené à bénéficier de cette procédure préalable de conciliation ou de sauvegarde, dans 95 % des cas, vous le verrez, il est ou sera déjà en état de cessation des paiements. Il faudrait une révolution culturelle chez le chef d'entreprise pour qu'il agisse en amont. Par conséquent, aussi longtemps que cette définition de cessation des paiements ne sera pas clairement établie dans votre texte, il risque de ne pas avoir le succès que nous attendons de lui et nous en resterons aux errements anciens. Ma deuxième observation concerne le plan de cession. Généralement, ce type de plan intervient en phase de liquidation judiciaire, à l'issue de la période d'observation : le représentant des créanciers, ayant vocation à être nommé mandataire liquidateur, a tout intérêt à ce que la procédure aille jusqu'à la liquidation. C'est là qu'il gagne beaucoup d'argent : les plus gros contribuables de nos départements sont, je le rappelle, les représentants des créanciers et les mandataires liquidateurs, ce qui illustre la façon dont ils peuvent trouver « pâture » sur une liquidation judiciaire. Sur le plan psychologique, il faudrait remonter le plan de cession au stade de la procédure de sauvegarde - qui est déjà une procédure de redressement dissimulée - ou tout au moins au niveau de la procédure de redressement, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle. En effet, les plans de cession intervenant en phase de liquidation judiciaire sont marqués par la déliquescence de l'entreprise et s'effectuent au détriment de l'entité économique et de tous les acteurs. Par ailleurs, évoquant l'extension des procédures collectives aux professions libérales, vous avez fait allusion à la compétence des ordres, qu'il convenait d'impliquer dans la procédure. Pouvez-vous préciser vos propos ? M. Marc GUILLAUME : Je partage les commentaires que les uns et les autres avez formulés sur le fait que ce n'est pas le droit qui change les mentalités. Mais faut-il baisser les bras pour autant ? Si l'on estime que, malheureusement, les comportements ne changeront pas, pourquoi même chercher à modifier ce droit pourtant unanimement critiqué ? Le président Pascal CLÉMENT : La critique ne porte pas sur le fond, mais sur les conséquences pratiques de cette bonne réforme. Avant qu'elle entre dans les mœurs, il faudra peut-être des années. M. Marc GUILLAUME : Sans doute. La définition de la cessation des paiements ne nous semble cependant pas être une vraie question, dans la mesure où, même en la modifiant, cela ne jouerait pas sur les procédures de conciliation et de sauvegarde, puisque nous nous situons déjà en amont de la cessation des paiements. M. Xavier de ROUX : Donc la cessation des paiements est bien la notion de référence ! Dès qu'on quitte le terrain des difficultés pour passer le seuil technique de la cessation des paiements, qui est une notion comptable, on sort de la procédure de sauvegarde. M. Marc GUILLAUME : Certes ! Mais votre question est de savoir si nous allons réussir à attirer les gens et à traiter leurs difficultés avant la cessation des paiements. Nous estimons que, pour atteindre cet objectif, modifier les définitions théoriques sur le passif exigible ou exigé n'est pas efficace. M. Xavier de ROUX : La question est de savoir si une entreprise peut être redressée ou pas, qu'elle soit ou non en cessation des paiements. M. Marc GUILAUME : Non, ce n'est pas tout à fait cela. M. Xavier de ROUX : Peut-on tenter de redresser une entreprise dont on sait qu'elle est en difficulté, dans une nouvelle procédure qui va du règlement amiable jusqu'à la liquidation, sans tomber sur l'obstacle technique qui est la définition de la cessation des paiements ? M. Marcel BONNOT : Si vous me le permettez, M. le Président, je voudrais rebondir sur les propos de mon collègue Xavier de Roux. En pratique, il arrive que l'on recourre à des procédures amiables avec la complicité de la juridiction, alors même que les entités économiques sont en état de cessation des paiements. M. Marc GUILLAUME : Dans le projet, cette pratique est reprise puisqu'il est prévu qu'après la cessation des paiements, on peut encore faire de la conciliation. M. Xavier de ROUX : C'est un grand progrès. M. Marc GUILLAUME : Notre texte souligne que ces débats universitaires qui durent depuis des années n'ont pas d'importance, puisqu'on peut faire de la conciliation et de la sauvegarde avant et après la cessation des paiements. M. Marcel BONNOT : Dans la pratique actuelle, le conciliateur nommé, chargé de faire rapport au président du tribunal de commerce, évoque certes la cessation des paiements mais en proposant de prendre en considération tel ou tel phénomène susceptible de relancer l'activité. Avec la complicité du tribunal, un plan de restructuration est mis sur pied et il arrive qu'il fonctionne. En l'occurrence, nous sommes en train d'évoluer vers une loi qui ne nous permet pas de faire appel à un conciliateur lorsque l'entreprise est en état de cessation des paiements. M. Marc GUILLAUME : Mais si ! Notre loi permet, après la cessation des paiements, de nommer un conciliateur en vue de parvenir à un accord amiable. M. Marcel BONNOT : La procédure de sauvegarde est-elle également applicable en cas de cessation des paiements ? M. Marc GUILLAUME : Non, dans ce cas, on passe au redressement judiciaire : il y a un continuum. M. Marcel BONNOT : Pas dans l'esprit du chef d'entreprise ! À ses yeux, bénéficier d'une procédure préalable ne signifie pas la même chose qu'être mis en redressement. Permettre à une procédure de sauvegarde de bénéficier, en quelque sorte, des éléments du redressement serait une avancée importante sur le plan de l'efficacité et du terrain. M. Marc GUILLAUME : Notre projet vise à inciter les chefs d'entreprise à recourir à des procédures préalables à la cessation des paiements, tout en sachant qu'il sera difficile de sortir de leurs difficultés un grand nombre d'entre eux. Sans doute les éléments psychologiques sont-ils importants mais le droit peut être incitatif, par exemple grâce au dispositif des cautions, qui sera très important pour les pme. Notre texte peut concourir à l'évolution des mentalités en permettant qu'après la cessation des paiements, l'entreprise ne tombera pas forcement en redressement judiciaire mais pourra encore recourir à la conciliation, c'est-à-dire monter, dans un délai rapide, un plan associant le débiteur et ses créanciers et permettant aussi bien la continuation de l'entreprise que l'existence d'effets importants en faveur des créanciers. Le président Pascal CLÉMENT : C'est là où se situe la nouveauté. M. Marc GUILLAUME : Elle est fondamentale. M. Xavier de ROUX : Quel est le délai pendant lequel la conciliation sera possible passée la cessation des paiements ? M. Marc GUILLAUME : Un mois. Le président Pascal CLÉMENT : Il faudrait l'allonger un peu. M. Marc GUILLAUME : Je me permets de répondre à deux autres points que vous avez cités et qui sont très importants : les plans de cession et le rôle des administrateurs ou mandataires judiciaires. La loi du 3 janvier 2003 part du postulat que nous avions besoin de la profession d'administrateur et de mandataire judiciaire - car il y a une vraie spécialisation de ce métier - mais qu'il fallait en organiser la discipline et la moralisation. À la suite de l'adoption de cette loi, un très important travail réglementaire est intervenu, consacré par la publication d'un décret de 110 articles, contenant une moralisation du tarif et une densification des obligations statutaires. En ce qui concerne les plans de cession, ils ne sont pas satisfaisants actuellement, puisqu'il y a un régime de cession dans le redressement judiciaire et un régime de cession dans la liquidation judiciaire. Il est exact que le régime de cession dans le redressement judiciaire est juridiquement encadré. Tel n'est pas le cas dans la liquidation judiciaire ; d'où des ventes à des prix dérisoires et des situations qui ne sont plus acceptables. M. Marcel BONNOT : Par conséquent, il faut supprimer le régime de cession dans la phase de liquidation judiciaire, au cours de laquelle seraient seulement liquidés des éléments d'actif. M. Marc GUILLAUME : En ce qui nous concerne, nous avons fait le choix de regrouper les plans de cession dans la liquidation, sous une double réserve. Notre objectif est que la liquidation soit désormais soumise à des règles strictes - appels d'offres, etc. Nous voulons instaurer un mécanisme qui ne conduise pas aux excès du passé. Je fais référence aux cessions parfois opaques, bradées et au détriment des salariés. Nous supprimons ainsi le défaut du redressement judiciaire, qui comporte une sorte de fiction de ces plans de cession, qui aboutissent finalement à la liquidation. M. Marcel BONNOT : Quel est le sort des cautions ? En effet, dans le droit actuel, si l'élaboration d'un plan de redressement suspend la poursuite de la caution, une fois le plan adopté, rien n'empêche le créancier de poursuivre la caution et d'exécuter la créance, alors qu'il bénéficie des dividendes du plan de redressement. M. Marc GUILLAUME : Nous voulons faire en sorte d'attirer les gens pour traiter les difficultés le plus en amont possible ; à cette fin, nous devrons innover. Aujourd'hui, les seules dispositions qui existent sur les cautions consistent à les faire bénéficier du plan de redressement pendant la période d'observation et dans la phase de redressement judiciaire. En revanche, tel qu'est le droit actuel, une fois la période d'observation terminée, elles n'en bénéficient plus. Le projet prévoit de les faire bénéficier intégralement du plan élaboré dans le cadre de la procédure de sauvegarde. C'est l'une des mesures principales du texte, particulièrement destinée aux pme, dans la mesure où c'est souvent la famille proche qui est caution. M. Marcel BONNOT : Qu'en est-il de la sanction relative au défaut de dépôt de bilan dans les quinze jours de la date de cessation de paiement ? Actuellement, s'il n'est pas déposé dans les quinze jours de la date de cessation des paiements, les sanctions sont terribles. M. Marc GUILLAUME : Ce délai a été rallongé à un mois. M. Marcel BONNOT : Cela ne change pas grand-chose. M. Xavier de ROUX : La sauvegarde est une formidable avancée, mais je ne comprends pas pourquoi vous restez sur la notion de cessation des paiements. En effet, il est évident qu'une situation de grande difficulté dans une entreprise va inexorablement entraîner la cessation des paiements. Vous changez de procédure, mais la définition même de la cessation des paiements pose problème, puisqu'elle déclenche un délai et des sanctions. M. Marcel BONNOT : Et il n'y a pas d'entreprise qui dépose le bilan dans les quinze jours de sa date de cessation de paiement... M. Marc GUILLAUME : Selon notre projet, dans les quinze jours, le mois ou les quarante-cinq jours suivant la cessation des paiements, on ne demandera pas à l'entreprise de déposer le bilan mais, tout au contraire, de traiter les difficultés. Quant à la cessation des paiements, on peut rédiger le droit comme on le souhaite, mais il vient un moment où l'on n'arrive plus à payer : nous l'appelons « cessation des paiements » mais peu importe in fine la terminologie. M. Xavier de ROUX : Nous sommes d'accord. Nous nous rapprochons de la définition américaine plutôt que de rester dans la définition jurisprudentielle française qui, malheureusement, est bien ancrée dans notre droit. Je préfère avoir une définition large. M. Marc GUILLAUME : Nous n'en n'avons plus besoin puisque, par définition, deux procédures sont créées. M. Xavier de ROUX : Et j'aurais préféré, je le répète, qu'il n'existe qu'une procédure à la place de la sauvegarde et du redressement judiciaire. M. Marc GUILLAUME : Ne retenir que la procédure de sauvegarde aurait porté atteinte aux droits des créanciers : or, il faut bien qu'ils puissent déclencher la procédure à partir du moment où ils ne sont plus payés. C'est fondamental ! M. Xavier de ROUX : Vous les protégez, puisque la période de sauvegarde entraîne la constitution des créanciers en comité... M. Marc GUILLAUME : Certes, mais permettez-moi de vous rappeler que la procédure de sauvegarde ne peut être déclenchée que par le débiteur, avec toutes les difficultés que l'on sait, de surcroît par un débiteur qui n'est pas en cessation des paiements. À ce stade, il est d'accord pour mettre sa difficulté sur la place publique en échange de l'obtention d'une suspension provisoire des poursuites. Néanmoins, à partir du moment où il ne peut plus payer, il faut bien donner aux créanciers le droit, pour la première fois, de déclencher la procédure. M. Marcel BONNOT : S'il peut payer, pourquoi déclencherait-il la procédure ? C'est pourquoi j'insistais tout à l'heure sur la notion de cessation des paiements. M. Marc GUILLAUME : Nous en revenons à la question de l'évolution des mentalités, que nos incitations juridiques favoriseront. M. Xavier de ROUX : Pourquoi ne pas laisser les créanciers déclencher la procédure de sauvegarde ? M. Marc GUILLAUME : Surtout pas ! Nous évoquions les difficultés qu'éprouvait le chef d'entreprise à mettre ses difficultés sur la place publique et l'on voudrait que les banques déclenchent la procédure de sauvegarde avant la cessation des paiements ? Seul le débiteur, avant la cessation des paiements, doit avoir la faculté de rendre publiques ses difficultés. Le président Pascal CLÉMENT : Nous vous remercions pour cet éclairage de la réforme envisagée. Audition de MM. Neil BATSON et Al LAFIANDRA, avocats, (procès-verbal de la séance du mercredi 5 mai 2004) M. Xavier de ROUX, président : Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir nous entretenir d'un sujet qui nous passionne, ici en France, parce qu'il pose toute la question de la surveillance des marchés financiers, sujet actuellement au cœur de la réflexion de la commission des Lois de l'Assemblée nationale. Je vous propose de nous exposer votre expérience du cas Enron. Nous vous poserons ensuite un certain nombre de questions sur la transparence des marchés, le rôle des auditeurs, des banques conseils et des agences de notation, puis sur les effets de la loi Sarbane-Oxley, non pas simplement en termes de droit, mais également sur les mentalités et la façon dont les chefs d'entreprise aux Etats-Unis ont réagi à la publication de cette loi. M. Neil BATSON : En décembre 2001, j'ai été nommé « examiner », terme sur lequel je reviendrai, dans le cadre de la faillite d'Enron, qui venait d'être placée sous le régime du chapitre 11 de la loi sur les faillites. J'ai été nommé par le Board of Trustees qui dépend du ministère de la Justice. Ma nomination a été, par la suite, confirmée par le tribunal des faillites de l'État de New York qui était compétent pour connaître de la faillite Enron. La mission de 2000 était, en fait, plus particulièrement orientée vers ce que l'on a appelé les engagements hors bilan et notamment les entités à « objectifs particuliers ». Pour revenir sur le terme « examiner », celui-ci désigne un mandataire appointé par le tribunal sur recommandation du ministère de la Justice, non pas pour se livrer à des investigations qui pourraient devenir judiciaires, mais simplement pour faire un rapport factuel sur les engagements que la société a pu prendre au détriment des tiers, et notamment de ses créanciers. C'est dans ces conditions que j'ai pu interroger, selon l'acception américaine, c'est-à-dire sous serment, un certain nombre de représentants de l'entreprise, des banques et des tiers intervenus dans l'affaire, notamment des auditeurs. Lors de ma mission qui a duré dix-huit mois, j'ai pu me faire assister de tous les avocats, comptables, professeurs de droit, etc., de mon choix. Sur un plan pratique, mon équipe et moi-même avons été en mesure d'obtenir les témoignages sous serment de plus de 300 personnes, selon la procédure américaine de l'examen et du contre-examen. Ces 300 témoignages se sont traduits par 40 millions de pages de documents, à l'issue de ces investigations. Mes investigations ont abouti au constat de la « volatilité » de plus de 10 milliards de dollars de fonds qui n'auraient pas atteint l'objet pour lesquels ils avaient été levés. Sur ces 10 milliards de dollars, 500 millions de dollars ont déjà été recouvrés au bénéfice de l'entreprise, tandis que 4,5 milliards font l'objet, à l'heure actuelle, de procédures à l'encontre de tiers. M. Xavier de ROUX, président : Je souhaiterais que l'on revienne sur la façon dont le tribunal a été saisi à l'origine. Comment la société Enron a-t-elle été placée sous le chapitre 11 ? M. Neil BATSON : La procédure du chapitre 11 a été initiée par Enron, qui s'est mise volontairement sous la protection de ce régime et a demandé au tribunal des faillites de New York de diriger la procédure. Il est certain que la faillite d'Enron, qui a été officialisée par la demande de mise sous protection de la loi sur les faillites en décembre 2001, de même que la faillite de WorldCom intervenue en juin 2002, ont constitué les facteurs essentiels ayant conduit à la loi Sarbane-Oxley qui, elle, est entrée en vigueur en août 2002. M. Xavier de ROUX, président : À cet égard, avant la loi Sarbane-Oxley, quels étaient les éléments d'alerte à la disposition, notamment, des auditeurs ? Comment cela se passait-il aux États-Unis et quelle est la modification intervenue depuis en ce qui concerne le rôle des auditeurs vis-à-vis des autorités de marché ou du tribunal lorsqu'ils constatent une difficulté de l'entreprise ? M. Neil BATSON : Avant la loi Sarbane-Oxley, il existait déjà un corpus de règles qui permettaient l'alerte. Toutefois, la loi a créé ce qui est appelé le « Public Oversight Accounting Board », organisme extérieur chargé de contrôler les auditeurs dans le cadre de leurs relations avec les entreprises. Il a également été prévu par la loi Sarbane-Oxley que l'associé en charge d'un dossier dans une compagnie d'audit change systématiquement tous les cinq ans. La loi a également donné à la sec la mission d'étudier les conditions dans lesquelles tout cabinet d'audit, pour une société cotée, change tous les sept ans. À cet égard, on pourrait même aller plus loin. Par la même occasion, il a été demandé à la sec de réfléchir sur les conditions d'engagement de ces cabinets d'audit. M. Xavier de ROUX, président : Quelles sont les raisons qui ont mené à ces délais de cinq et de sept ans ? M. Neil BATSON : Je ne sais pas. M. Xavier de ROUX, président : Quelles sont les conditions habituelles, aux États-Unis, pour recruter un auditeur ? M. Neil BATSON : Tout d'abord, la sec impose à toute société cotée d'avoir des commissaires aux comptes. La loi Sarbane-Oxley a quelque peu modifié les pratiques lorsqu'elle a confié au comité d'audit de chaque entreprise, et non plus au management lui-même, le rôle de sélection et de discussion des termes des contrats de l'entreprise avec les cabinets d'audit. C'est donc au comité d'audit que revient la responsabilité. M. Xavier de ROUX, président : Le comité d'audit est-il obligatoire dans les sociétés cotées ? M. Neil BATSON : Oui et le comité d'audit doit être composé de membres extérieurs à l'entreprise. M. Xavier de ROUX, président : C'est-à-dire de ce que l'on appelle, en France, des administrateurs indépendants ? M. Neil BATSON : Oui, il s'agit de responsables qui ne font pas partie de la direction exécutive de l'entreprise. M. Xavier de ROUX, président : Quels sont les liens avec l'entreprise qui leur sont interdits et comment les choisit-on ? M. Neil BATSON : En tant qu'administrateur, ils ne peuvent toucher que leurs jetons de présence et ne peuvent avoir aucune activité de consultant extérieur avec l'entreprise. M. Xavier de ROUX, président : Peuvent-ils détenir des titres de l'entreprise ? M. Neil BATSON : Il n'y a aucune interdiction en ce sens. M. Xavier de ROUX, président : La seule interdiction est donc qu'ils ne soient pas liés au management d'une façon ou d'une autre. La loi américaine a tenté de rendre plus indépendants les auditeurs car c'est, me semble-t-il, le comité d'audit qui traite maintenant avec les cabinets d'audit et non plus le conseil d'administration. C'est théoriquement un organe indépendant de l'entreprise qui choisit les auditeurs. Mais je voudrais revenir en amont, parce que ce qui a le plus surpris toutes les places financières, c'est le fait qu'un très grand cabinet d'audit n'ait rien remarqué, n'ait lancé aucune alerte devant une situation qui s'est avérée par la suite extrêmement grave. En l'occurrence, deux questions se posent : il s'agit soit d'un mauvais fonctionnement pratique des cabinets d'audit, soit d'une complicité dans une escroquerie. À vos yeux, en tant qu' « examiner », quelle est la part respective du dysfonctionnement du marché et de la complicité dans l'escroquerie ? M. Neil BATSON : Nous n'avons pas été amenés à étudier l'aspect pénal de la relation qui a pu éventuellement se nouer entre ce cabinet et la société Enron, puisque cette partie du dossier est traitée par une équipe spécifique au ministère de la Justice américain. En revanche, nous pouvons confirmer que, dans des cas bien précis, le cabinet Arthur Andersen a été trompé par un certain nombre de membres de la direction d'Enron. Toutefois, dans d'autres cas, c'est le cabinet qui a initié les fameux « projets spéciaux », et donc les engagements hors bilan. Les auditeurs les ont effectivement construits avec le management de l'entreprise et ils ont abouti à des manipulations qui n'étaient pas acceptables. Je rappelle qu'un comité d'audit existait déjà chez Enron. Il est certain que les techniques comptables douteuses, qui ont pu être révélées par la suite, n'ont pas fait en elles-mêmes l'objet d'une information du comité d'audit de l'entreprise. On ne peut, pour l'instant, que faire des spéculations sur les raisons pour lesquelles le cabinet Arthur Andersen n'a pas alerté le comité d'audit. En revanche, je peux vous dire que le cabinet Arthur Andersen avait en Enron un très gros client et que, pour l'année 2000, le montant des honoraires versés par Enron à Arthur Andersen a dépassé la somme de 50 millions de dollars. M. Xavier de ROUX, président : Il s'agit là d'un point qui nous intéresse beaucoup en France pour l'évolution de notre législation. Vous avez bien dit qu'Arthur Andersen, en ce qui concerne notamment l'organisation des engagements hors bilan, avait eu un rôle de conseil et pas simplement d'auditeur ? M. Neil BATSON : Le cabinet Arthur Andersen avait plusieurs casquettes au sein de l'entreprise puisqu'il intervenait, s'agissant des engagements hors bilan, à la fois en tant que conseil direct pour le contrôle de gestion interne à l'entreprise, et comme commissaires aux comptes de l'entreprise. Du reste, c'est ce qui a amené, depuis cette affaire, à ce qu'un certain nombre de cabinets d'audit internationaux séparent leurs activités d'audit de leurs autres activités, notamment de conseil. M. Xavier de Roux, président : La loi Sarbane-Oxley l'a-t-elle imposé ? M. Neil BATSON : Tout à fait, parce que la loi elle-même a maintenant interdit aux cabinets d'audit d'exercer des activités qui ne soient pas strictement d'audit. De plus, pour les activités de conseil qu'ils pourraient être amenés à exercer, ils doivent avoir obtenu au préalable l'autorisation du comité d'audit. M. Xavier de ROUX, président : Il y a donc une séparation entre les deux activités de conseil et d'audit. M. Neil BATSON : Oui, à 99 %, puisqu'il existe néanmoins la possibilité de demander à un cabinet d'audit d'intervenir dans un domaine précis et très limité, qui est celui de la fiscalité, sous réserve de l'approbation du comité d'audit. Mais je rappelle que la décision en elle-même n'est plus prise par le management de l'entreprise, mais par le comité d'audit. M. Xavier de ROUX, président : Le rôle des auditeurs a donc été clarifié. M. Neil BATSON : Tout à fait, mais une fois encore, à l'époque avant que la loi elle-même ne soit prise, il y avait déjà une tendance à vouloir séparer l'activité d'audit de l'activité de conseil, pour les mêmes auditeurs. M. Xavier de ROUX, président : Les auditeurs ne sont pas les seuls acteurs du marché, y compris au titre de la mission de contribution à la transparence du marché. Nous avons récemment auditionné le président d'une des grandes agences de notation américaines, auquel nous avons posé la question du rôle des agences de notation en général et, dans des affaires plus particulières du type Enron, des raisons expliquant qu'elles n'avaient pas vu grand-chose. M. Neil BATSON : Dans le cadre de notre mission, nous avons reçu également des témoignages et de la documentation de la part d'un certain nombre d'agences de notation. Dans notre rapport, toutefois, nous avons conclu qu'à nos yeux, il n'y avait pas de responsabilité particulière à imputer à celles-ci. Selon les lois américaines, la responsabilité des agences de notation est juridiquement relativement limitée. En revanche, nous avons pu déterminer que certaines agences de notation ont reçu de fausses informations en provenance de la direction de l'entreprise. C'est la raison pour laquelle, du reste, il est très vraisemblable que les agences de notation n'ont rien pu voir parce qu'elles n'étaient pas au courant du détail des différentes manipulations comptables qui ont pu être faites par Enron et sa direction, et notamment des engagements hors bilan. M. Xavier de ROUX, président : Cette question nous a beaucoup surpris lors de cette audition. Quels sont les moyens d'investigation indépendants des agences de notation ? Les analyses de ces agences reposent-elles uniquement sur les comptes audités des entreprises ? M. Neil BATSON : Bien que je ne connaisse pas l'ensemble des moyens à la disposition des agences de notation, je considère qu'en l'état, seuls les documents et les informations que leur adresse l'entreprise leur servent à l'exercice de leur activité. M. Xavier de ROUX, président : Elles n'ont donc aucun moyen indépendant d'investigation sur la situation d'une entreprise ? M. Neil BATSON : En fait, l'agence de notation n'est pas en mesure de se faire une idée totalement indépendante, puisque l'information qu'elle détient est celle qui lui est donnée par l'entreprise, en dehors des informations qui sont dans le domaine public. Mais encore une fois, les agences de notation ne peuvent se rendre compte des manipulations comptables éventuelles qu'a posteriori. M. Xavier de ROUX, président : Parmi les autres acteurs du marché, que dire des banques conseils ? M. Neil BATSON : Nous avons aussi pu déterminer que toutes les institutions financières, qui ont approché de près ou de loin Enron, ont également été mises dans la situation de ne pas connaître la vérité, mais ce, une fois encore, à cause de l'attitude des dirigeants de l'entreprise. En revanche, nous avons pu déterminer qu'un certain nombre d'institutions financières n'ont pas suivi leurs propres règles internes, qu'elles auraient pourtant dû appliquer, notamment dans le cadre des engagements hors bilan de l'entreprise. En troisième lieu, certaines institutions financières ont effectivement eu une action répréhensible. En effet, même si leur connaissance des faits est difficile à déterminer, l'analyse - appelée « facts founders » - des informations qu'elles recevaient, permet de les considérer comme complices. En ce qui concerne la procédure s'appliquant à ces institutions financières, une médiation est en cours afin de déterminer les accords éventuels qui pourraient être passés entre elles et les syndics. M. Xavier de ROUX, président : Venons-en à la dernière question concernant les acteurs du marché. Quid des avocats qui ont été appelés à donner leur opinion sur les opérations ainsi montées ? M. Neil BATSON : Certains cabinets se sont rendus coupables, à nos yeux, soit d'avoir engagé leur responsabilité professionnelle, soit même d'avoir été complices des membres de la direction d'Enron, dans le cadre des manipulations comptables qui ont eu lieu. M. Xavier de ROUX, président : Enron étant une société cotée, des analystes financiers s'intéressaient nécessairement régulièrement à elle, pour conseiller ou non l'achat de ses titres. Comment s'exerce le contrôle sur ces analystes ? M. Neil BATSON : Cela n'était pas l'objet de notre mission d'enquête. Toutefois, nous avons pu noter, dans certains cas, que les prévisions des analystes de certaines banques d'affaires ont pu avoir un impact important sur les décisions de ces mêmes banques d'affaires par la suite. M. Xavier de ROUX, président : Nous sommes là au cœur du problème. Depuis que le monde est monde, il existe des scandales, des escrocs intelligents qui sont malhonnêtes et qui montent des entreprises pour soustraire de l'argent à d'honnêtes gens. Pour sa part, le législateur tente de mettre en place des outils de contrôle du marché de façon à garantir la sécurité juridique. La question est alors la suivante : quelle est, dans l'affaire Enron - affaire emblématique - la part qui correspond plutôt à de l'escroquerie et celle qui résulte d'un fonctionnement défaillant des instruments de contrôle du marché ? M. Neil BATSON : Il ressort de notre enquête que le nombre de cadres dirigeants de l'entreprise qui ont été directement liés à la mise en place de ces engagements hors bilan ou de ces entités à but particulier était relativement faible. Mais il existait chez Enron une culture qui a contribué à cette approche un peu particulière de l'analyse comptable de l'entreprise. Il y avait également, au sein de l'entreprise, une segmentation assez développée des informations, si bien qu'un certain nombre d'individus ne connaissait qu'une partie du problème, sans en avoir une vue globale. En fait, c'est la combinaison des deux, la culture et la compartimentation, qui a abouti au résultat constaté. Je suis d'avis, et je le maintiens, que le corpus juridique qui existait avant le scandale aurait normalement dû suffire à empêcher ce qui est arrivé. Mais le problème est qu'il n'était pas mis en pratique. C'est tout cet ensemble qui a fait que les avocats, le conseil d'administration et les contrôles de gestion interne et externe n'ont pas permis de se rendre compte de l'ampleur du désastre. In fine, il est toutefois apparu un manque d'intégrité d'un petit nombre de dirigeants de l'entreprise, qui a été à l'origine du scandale. Mais on ne peut absolument pas réglementer l'intégrité. M. Xavier de ROUX, président : Je vous suis tout à fait, mais n'y a-t-il pas actuellement, dans notre société, une culture de la complexité financière qui ouvre la voie à cette opacité et ces dysfonctionnements ? M. Neil BATSON : En tout état de cause, c'était ici bien le cas. C'est le manque total de transparence quant à l'existence de ces engagement hors bilan et de ces techniques comptables qui a abouti à la situation que l'on connaît. Par exemple, à la fin du deuxième trimestre 2001, les informations qui étaient données par Enron indiquaient que ces engagements atteignaient 13 milliards de dollars. Quand, six semaines plus tard, les dirigeants d'Enron ont rencontré à New York leurs banquiers, ils ont été obligés d'admettre devant eux que les engagements de l'entreprise dépassaient 38 milliards de dollars et que, sur la différence de 25 milliards de dollars, 14 milliards concernaient les engagements hors bilan, donc insusceptibles d'être discernés par quiconque. Je confirme qu'aucune des banques n'a rien vu. Ce que je peux dire, en revanche, c'est qu'une de ces banques au moins a établi, à la suite de ce qui s'est passé, des règles qu'elle s'impose maintenant, consistant à ne pas intervenir auprès d'un émetteur si celui-ci, dans le cadre d'engagements hors bilan, ne met pas toute l'information nécessaire à sa disposition. M. Étienne BLANC : Pouvez-vous nous décrire ces engagements hors bilan ? M. Neil BATSON : Il existait au moins six techniques différentes. Je vais vous en décrire brièvement une : Enron intégrait un actif dans une de ses entités spéciales. Enron considérait ce transfert comme la réalisation d'un actif. Cela ne présentait aucune difficulté particulière, sauf qu'Enron maintenait le contrôle sur l'actif en question. Une fois que l'actif était « logé » dans cette entité spéciale, une nouvelle entité spéciale était créée, détenant quasiment 100 % de la première. Cette seconde entité empruntait auprès d'une banque. Les fonds, passant de la banque à la deuxième entité, puis à la première, remontaient sur Enron. Les engagements ainsi pris n'apparaissaient pas au bilan d'Enron. M. Xavier de ROUX, président : Les auditeurs conseillaient-ils de tels montages ? M. Neil BATSON : Les auditeurs ont effectivement participé aux réflexions diverses qui ont abouti à la mise en place de ce système. À la fin, au bilan, les fonds apparaissaient comme des résultats d'opérations réelles alors qu'il ne s'agissait que de sommes résultant d'emprunts. L'utilisation de ces entités spéciales a duré de 1997 jusqu'en décembre 2001, date à laquelle Enron a demandé la protection de la loi sur les faillites. En 1999, Enron avait, avec succès, mis en place onze de ces entités dans les seuls deux derniers mois de l'année. Les résultats de ces onze transactions ont représenté, pour l'année 1999, la totalité du résultat de l'entreprise. C'est ainsi que l'on a abouti à une perversion du système puisque effectivement, ces entités ne reflétaient pas l'état exact de l'entreprise. M. Al LAFIANDRA : Pour comprendre, il est assez intéressant de regarder les comptes de l'année 2000. Pour cette année-là, l'entreprise a fait apparaître 959 millions de dollars de profit. Si l'on retire de cette somme ce que représentaient les entités spéciales et les revenus qu'elles « généraient », on se rend compte que les profits pour l'année n'étaient plus que de 42 millions de dollars. Le cash-flow de cessions d'actifs pour l'année 1999 a été présenté par Enron comme représentant 3 milliards de dollars. Si on refait la même opération en enlevant les résultats de ces entités spéciales, le résultat est négatif de 100 millions de dollars au lieu d'être positif de 3 milliards de dollars. La dette de l'entreprise, telle que présentée par Enron, était officiellement de 10 milliards de dollars. Mais si on refait le même calcul qui précédemment, on s'aperçoit qu'elle était en réalité supérieure à 23 milliards de dollars. M. Xavier de ROUX, président : C'est une explication très importante. En fait, il n'est pas réellement nécessaire de changer la loi, puisque de telles pratiques sont totalement illégales tant en France qu'aux Etats-Unis. M. Neil BATSON : Je suis d'accord. M. Xavier de ROUX, président : C'est une maladie de toutes les démocraties que de changer la loi pour couvrir un événement qui n'a pas été couvert par la loi en vigueur. Si la loi Sarbane-Oxley avait été en vigueur, qu'aurait-elle apporté de plus, dans une telle situation, sinon un meilleur comportement des auditeurs ? M. Neil BATSON : En premier lieu, la loi Sarbane-Oxley a augmenté les peines applicables à ceux qu'elle vise. Deuxièmement, la loi impose au président et au directeur financier d'une entreprise cotée de certifier par leur signature la réalité des comptes. Il est bien certain que si vous combinez les deux, à la fois le caractère pénal de cette loi et l'obligation de certification par les dirigeants de l'entreprise, vous aboutissez très rapidement à une diminution des risques que peut courir ce genre d'entreprise. M. Xavier de ROUX, président : Au vu de votre expérience, quels conseils donneriez-vous aux législateurs pour améliorer le fonctionnement et la sécurité des marchés ? M. Neil BATSON : Il serait très présomptueux de ma part de donner des conseils, ne serait-ce que parce que je ne connais pas l'état de la législation française. Si un congressman américain me posait la question, ma première réaction serait de lui dire de se retenir de mettre en place une législation nouvelle, afin de laisser à la loi Sarbane-Oxley et aux décrets qui en sont issus au moins le temps de montrer leur efficacité. Dans quelques années, il serait alors possible de procéder à une évaluation de ces textes et de déterminer s'ils ont servi à quelque chose au lendemain des deux scandales qu'ont été les affaires Enron et WorldCom. M. Xavier de ROUX, président : En ce qui concerne les standards comptables, a-t-on souhaité les faire évaluer, notamment pour ce qui concerne la situation des engagements hors bilan, ou est-on resté dans la même situation qu'avant ces deux scandales financiers ? M. Neil BATSON : Des études sont à l'heure actuelle menées par le « Board » de la compagnie des experts-comptables américains. Le « Public Oversight Accounting Board », créé par la loi Sarbane-Oxley, est à l'heure actuelle en fonction. La mission confiée à la sec, comme je l'indiquais au début, de préparer un rapport sur de nouvelles pratiques comptables, n'est pas encore achevée. Pour l'instant, il est encore prématuré de dire quoi que ce soit en la matière, compte tenu du manque de recul et de résultats concrets de ces différentes études. Toutefois, il convient de relever, dans la loi Sarbane-Oxley, un certain nombre de textes précis, concernant notamment l'obligation d'information sur les engagements hors bilan des entreprises qui, de toute façon, existait, à mon avis, bien avant la promulgation de ce texte. La nouvelle loi n'a fait que mettre l'accent sur ces obligations, déjà imposées par la législation antérieure. M. Xavier de ROUX, président : Ma dernière question n'a rien à voir avec le sujet d'Enron, mais elle nous intéresse en raison de nos différences de législation applicables en matière de faillites d'entreprises. Vous avez rempli la fonction d'« examiner ». Pourriez-vous définir cette mission et nous indiquer comment elle est financée ? M. Neil BATSON : Trois types d'« examiners » doivent être distingués dans les dossiers du chapitre 11. Le plus commun est ce que l'on appelle « examiner investigator », ce que j'ai été moi-même dans le dossier Enron. L'« examiner investigator » est autorisé à instruire le dossier et à déposer un rapport. L'« examiner » n'a pas le droit de se substituer à l'autorité publique normalement chargée d'engager des poursuites contre des tiers ou des personnes morales ou privées. L'« examiner » doit en fait trouver ce qui s'est passé et rapporter les faits. C'est dans le cadre de ces investigations que l'« examiner » peut être amené à identifier l'existence d'un certain nombre de créances qui pourraient être recouvrées. Mais c'est au tribunal, par la suite, de décider si, oui ou non, des poursuites peuvent ou doivent être engagées. C'est dans ces conditions, dans le dossier dont je me suis occupé, que le tribunal a décidé de passer un certain nombre d'accords avec les tiers au titre de ces créances, pour une somme d'environ 500 millions de dollars et d'engager des procédures contre d'autres tiers pour une somme globale de 4,5 milliards de dollars. En règle générale, l'« examiner » n'intervient pas dans les aspects pénaux de ces investigations, cette charge revenant au procureur. Enfin, l'« examiner » n'est pas celui ou celle qui détermine les responsabilités respectives, dont l'appréciation est laissée au juge. M. Xavier de ROUX, président : L'« examiner » donne donc son rapport au juge. M. Neil BATSON : Oui. M. Xavier de ROUX, président : Le rapport contient-il la totalité de l'état du passif ? M. Neil BATSON : Oui, et dans mon cas précis, il s'agissait d'analyser toutes ces entités spéciales et les engagements hors bilan correspondants, mission pour laquelle j'avais été appointé. M. Xavier de ROUX, président : Je vous remercie d'avoir bien voulu répondre à nos questions de façon aussi précise. Cet entretien aura été précieux pour nous. M. Neil BATSON : Nous sommes nous-mêmes très honorés d'apparaître devant ce cénacle. Nous espérons avoir pu vous aider dans votre réflexion ou pour vos travaux futurs. Table ronde : (procès-verbal de la séance du jeudi 6 mai 2004) Le président Pascal CLÉMENT : Nous accueillons ce matin les représentants de quatre grandes centrales syndicales : la cgt est représentée par M. Thierry Lepaon, secrétaire général de l'Union départementale du Calvados ; fo est représentée par MM. Jean-Claude Quentin, secrétaire confédéral chargé de l'emploi et Jean-Marc Bilquez, secrétaire confédéral chargé du juridique ; la cftc est représentée par Mme Gabrielle Simon, secrétaire adjointe, M. Olivier Connes, juriste et M. Philippe Arondelle, responsable du service économique ; enfin, la cfe-cgc est représenté par M. Michel Lamy, secrétaire national chargé de l'économie. Bien entendu, la cfdt a également été contactée, mais elle n'a pas été en mesure de déléguer l'un de ses représentants ; je n'exclus d'ailleurs pas de la recevoir plus tard. Nous sommes très heureux de vous entendre, madame, messieurs, sur l'avant-projet de loi de réforme des procédures collectives, qui prévoit d'en ajouter deux aux dispositions existantes : la conciliation et la sauvegarde. Le but de ces procédures est de traiter les difficultés des entreprises le plus en amont possible. C'est la raison pour laquelle nous sommes très désireux de connaître l'analyse que vous avez pu faire de ces nouvelles dispositions, et plus généralement des améliorations qui pourraient être apportées au droit des entreprises en difficulté. Je vous propose de vous laisser la parole pour un exposé liminaire, puis nous vous poserons un certain nombre de questions. Mme Gabrielle SIMON, cftc : Monsieur le président, nous pensons, sur ce sujet, qu'il est en effet souhaitable d'agir le plus en amont possible des difficultés potentielles des entreprises, par plus de transparence et plus de responsabilité des différents acteurs sociaux, de façon à renforcer tout ce qui est anticipation et prévention des restructurations. Il s'agit exactement, d'ailleurs, du sujet de la négociation que nous menons avec le Medef sur les restructurations. Il s'agit d'un sujet important, car plus l'information donnée aux élus du personnel sera transparente et lisible, plus les salariés participeront à la vie de l'entreprise ; ainsi, il sera plus facile d'éviter d'être contraints de dialoguer lorsque l'entreprise est dans une situation proche de la faillite. Je ne dis pas que toutes les difficultés seront résolues, mais avec plus de participation des salariés à la vie de l'entreprise - une participation constructive - un certain nombre de problèmes pourraient être évités. La qualité du dialogue social, une fois qu'il est instauré dans l'entreprise, permet, en cas de difficultés, d'améliorer la gestion des situations de crise. C'est la raison pour laquelle, la cftc a toujours été très favorable au développement de la participation au sein des entreprises. En cas de difficultés, et avant d'arriver à une situation extrême, nous proposons que les salariés puissent faire appel à des experts qui seraient financés par l'entreprise, afin de proposer des solutions alternatives - il est toujours intéressant d'apprendre aux salariés et aux dirigeants à travailler ensemble. Pourquoi ces experts ? Pour élaborer des propositions alternatives. Or pour cela, il faut du temps. Aujourd'hui, on essaie de traiter les problèmes le plus rapidement possible, dans l'urgence ; le temps n'est pas donné aux différents acteurs de pouvoir réfléchir, comprendre la situation et essayer de trouver une solution. Il est important que les partenaires sociaux puissent faire valoir leurs points de vue au moment où les décisions stratégiques se prennent, et non pas uniquement après. Et pas seulement non plus quand il y a des problèmes, car dans ces cas-là, il n'existe pas de dialogue social de qualité - il est donc impossible de trouver de bonnes solutions. En ce qui concerne le transfert d'actifs matériels et immatériels de l'entreprise, nous pensons que les représentants du personnel doivent en être tenus informés. Prenons l'exemple de l'entreprise Noroxo, qui a vendu un brevet à Exxon Mobil et qui est maintenant obligée de le « louer » pour pouvoir fonctionner. Eh bien nous apprenons que Noroxo est en déficit, alors qu'elle a vendu ce brevet à un prix défiant toute concurrence ! Voilà des pratiques qui ne sont pas acceptables. Les dirigeants ont certainement une stratégie, mais en tant que partenaires sociaux, notre devoir est de tout faire pour préserver l'emploi. Les représentants des salariés doivent posséder ce type d'informations pour pouvoir faire valoir leurs points de vue. S'agissant des grandes entreprises, avec directoire et conseil de surveillance, nous avons toujours préconisé une participation des salariés. Nous pensons que plus de participation conduit à acquérir des compétences afin de « faire ensemble », plutôt que de construire des blocs qui s'affrontent et qui s'opposent. Au niveau de l'État, nous pensons que prévenir les difficultés potentielles des entreprises passe par la subordination des aides publiques - et des exonérations diverses - à l'élaboration de conventions. Des conventions tout d'abord pour le maintien de l'emploi, sur une période déterminée à définir ; des conventions concernant l'implantation territoriale : les entreprises pourraient bénéficier d'aides pour maintenir leur implantation territoriale plutôt que d'opter pour une délocalisation ; des conventions sur l'égalité professionnelle - le Gouvernement est d'ailleurs en train de mettre au point un label « égalité professionnelle ». En contrepartie de ce label pourrait être octroyé un certain nombre d'aides, en fonction des demandes des dirigeants. Ce pourrait également être une convention plus large sur le dialogue social qui intègrerait toutes les petites entreprises susceptibles de bénéficier d'aides publiques et d'exonération de charges. Nous voulons, non pas multiplier les aides, mais conditionner les aides actuelles à l'élaboration de conventions, dans une préoccupation éthique ; ces conventions s'appuieraient sur le principe des « droits et devoirs » : tant les salariés que les dirigeants d'entreprise ont en effet des droits et des devoirs. Nous pensons également qu'il serait utile, pour toutes ces aides, d'en dresser le bilan, afin de déterminer celles qui sont pertinentes et celles qui le sont moins, et éventuellement de pouvoir corriger leurs effets pervers. De nombreuses aides ont été successivement modifiées, chaque gouvernement essayant de proposer une politique particulière ; nous demandons donc une véritable évaluation de tout ce qui a été réalisé. Ainsi, les différents gouvernements pourraient faire des choix pertinents, à la fois pour les entreprises, l'économie française, le maintien de l'emploi et donc pour les salariés. En ce qui concerne plus particulièrement les procédures collectives, nous constatons qu'il existe un nombre beaucoup trop élevé de déclarations de cessation de paiement qui aboutissent à des liquidations ; ce qui n'est pas le cas, par exemple, aux États-Unis. Ce projet de loi est en adéquation avec notre souhait, qui est d'intervenir le plus en amont possible des liquidations, de favoriser l'anticipation, la prévention, en cas de difficultés. Et d'aboutir à un redressement effectif qui serait favorable au maintien de l'emploi. Nous pensons qu'il est nécessaire d'intégrer les recommandations de la directive européenne du 11 mars 2002, relative à l'information et à la consultation des travailleurs. Cette directive recommande aux États membres la mise en place de procédures d'information et de consultation des représentants du personnel, se déroulant avec l'employeur dans un souci de coopération. Il est vrai que, quel que soit le dispositif mis en place, s'il n'y a pas un souci de coopération, celui-ci ne servira à rien. Or nous ne voulons pas de quelque chose d'inutile. Nous souhaitons véritablement une modification de la culture des dirigeants, des représentants du personnel et des salariés pour aller vers plus de coopération - ce qui permettrait de trouver des solutions utiles. Nous demandons par ailleurs que les entreprises élaborent annuellement un document de données comptables sur leur rentabilité financière, leur taux d'endettement, leurs impayés et leur trésorerie. Bien entendu, on pourrait nous répondre qu'il existe une certaine confidentialité, et donc un risque à transmettre de telles informations. Mais si l'entreprise a réussi à instaurer un dialogue social de qualité, les représentants des salariés auront le souci de conserver la confidentialité de ces informations ; se développera alors une véritable participation constructive. Nous demandons également la création d'un comité de créanciers où seraient présents les salariés. Ce comité, en cas de procédure collective, serait informé de la situation, des opérations, des perspectives de l'entreprise et de l'opportunité de poursuivre l'activité. Quand une entreprise est en difficulté, il est très important, me semble-t-il, pour qu'elle puisse se redresser, que tout le monde participe à son redressement. En ce qui concerne les tribunaux de commerce, nous souhaiterions que les décisions soient prises par un magistrat de l'ordre judiciaire, et que ce dernier soit assisté d'un représentant des employeurs et d'un représentant syndical des salariés. Cela permettrait de dépasser le débat et les critiques concernant les tribunaux de commerce, notamment leur indépendance et leur impartialité. S'agissant du document comptable dont nous demandons l'élaboration et la transmission aux représentants des salariés, nous pensons qu'il pourrait être également transmis, en cas de difficulté, au tribunal de commerce, afin que le juge et les représentants des employeurs et des salariés soient correctement informés et puissent proposer de bonnes solutions. Si la liquidation est prononcée, nous demandons un véritable droit au reclassement. Il est très important de proposer des solutions aux salariés afin qu'ils puissent améliorer leur employabilité et retrouver du travail le plus rapidement possible. Par ailleurs, les représentants des salariés devraient avoir connaissance de tous les transferts d'actifs de la société. Et lorsqu'il y a des malversations, la responsabilité des entreprises et des dirigeants devrait être engagée et des sanctions pénales fortes devraient être prononcées. Au-delà de tout cela, il est nécessaire de faire évoluer la mentalité entrepreneuriale française ; une procédure de redressement judiciaire doit être considérée non pas comme une sanction ou un constat d'échec, mais comme la faculté pour les salariés de pouvoir conserver leur emploi et comme une seconde chance offerte aux entrepreneurs. Tant que ce frein psychologique ne sera pas levé, les dirigeants attendront toujours le dernier moment. M. Jean-Claude QUENTIN, fo : Monsieur le président, quand nous avons reçu votre invitation à venir discuter avec vous de ce projet de loi, deux mots sont ressortis : « anticipation » et « confiance ». Comment sommes-nous capables de gérer des difficultés économiques de manière anticipée, et comment le climat de confiance peut-il être établi entre les différents acteurs en présence - clientèle, fournisseurs, juridiction, salariés - pour tenter de trouver des solutions ? La seconde façon d'aborder le sujet consiste à regarder les choses sous l'angle de la diversité des entreprises. Il est clair qu'aujourd'hui le contexte des entreprises françaises peut être caractérisé de la façon suivante : un salarié sur deux travaille pour un groupe, tandis que l'autre travaille pour une entreprise indépendante. S'agissant des salariés qui travaillent pour un groupe, deux éléments nous semblent importants. D'une part, pour le groupe international, au sens de sa cotation boursière, les logiques d'anticipation, les logiques de stratégies industrielles sont préparées avant d'être mises en œuvre ; les difficultés économiques ne proviennent pas que de celles-ci, mais c'est d'elles, éventuellement, que peuvent procéder les décisions et les situations qui vont se traduire par des difficultés économiques. D'autre part, s'agissant des micro-groupes, ils sont juridiquement et financièrement organisés, dès le départ, pour justement ne pas devoir être confrontés à une procédure collective (sauf si elle a été voulue) : le dépôt de bilan est alors le résultat de la construction juridique et financière de l'entreprise, suivant la politique de « la branche coupée ». S'agissant des petites entreprises, elles ne voient en revanche jamais la difficulté économique arriver. Pour une raison simple : elles ne possèdent pas la structure d'analyse permettant de prévoir les difficultés. Elles sont beaucoup plus dépendantes des choix stratégiques des grandes entreprises ou des micro-groupes - logique de la sous-traitance, des effets de cascade, etc. Ces petites entreprises sont donc les plus touchées par les procédures de redressement ou de liquidation judiciaires. Si nous voulons véritablement réussir à anticiper les difficultés économiques, plusieurs problèmes doivent être préalablement résolus. D'abord, celui de la gestion prévisionnelle, que nous avons essayé d'aborder dans les négociations collectives. Dans la négociation sur la formation professionnelle, qui a eu lieu récemment, la « préoccupation emploi » était au cœur du débat : cette préoccupation oblige en effet l'entreprise à une démarche d'anticipation dans sa gestion et notamment relativement à ses besoins en qualification. Le fait de déterminer ses besoins en qualification est une façon pour elle de construire une stratégie dans le temps qui me semble constituer un élément important du dossier. La négociation que nous menons actuellement avec le patronat sur les restructurations contient également un volet important sur l'anticipation, la prévention des restructurations, incluant éventuellement un volet curatif - quand l'entreprise est vraiment confrontée à des suppressions d'emplois. Trois points me semblent importants à analyser dans cette logique de sauvegarde des entreprises. D'abord, comment gère-t-on la notion de confidentialité ? Il est évident que la confidentialité de l'information est importante. Et pourtant, la circulation de l'information doit exister : en effet, si les salariés sont informés - et formés pour savoir utiliser ces informations -, et s'ils peuvent s'appuyer sur des experts, ils peuvent également participer à l'élaboration de solutions alternatives. Ensuite, l'indépendance du conciliateur. Plus il donnera des garanties d'indépendance, plus il sera efficace. Enfin, comment fait-on, à un moment donné, pour gérer les charges qui résultent d'un éventuel « redressement » de l'entreprise - redressement non pas judiciaire, mais de prévention ? En effet, l'entreprise doit alors payer à la fois les charges normales et celles qui sont liées au redressement - coûts des licenciements, par exemple. Lors de la négociation sur les restructurations, nous avons proposé la constitution d'un fonds mutualisé - au niveau de l'ensemble des entreprises - qui permettrait, pendant une durée de douze mois, de maintenir, pour le salarié, un lien contractuel avec l'entreprise et une rémunération. Le président Pascal CLÉMENT : Il y a une relation avec l'ags ? M. Jean-Claude QUENTIN : Ce dispositif se situerait à mi-chemin entre l'ags et le régime d'assurance chômage ; il ne s'agit pas en effet de réparer quelque chose qui a été judiciarisé et l'on n'est pas non plus encore dans la phase où le salarié n'est plus dans l'entreprise. Avec ce fonds de mutualisation, ainsi qu'avec le maintien du lien contractuel et de la rémunération du salarié, nous ne sommes pas totalement dans une logique de licenciement. L'année pendant laquelle la relation contractuelle serait maintenue pourrait être ainsi mise à profit pour trouver une solution au sein de l'entreprise qui éviterait, non seulement le licenciement, mais également la cessation d'activité de l'entreprise. Le président Pascal CLÉMENT : Par qui sera financé ce fonds ? M. Jean-Claude QUENTIN : Il serait financé par 0,10 à 0,15 % de la valeur ajoutée des entreprises. Ce n'est pas extraordinaire ! Le président Pascal CLÉMENT : Étant donné la réaction des élus face à la taxe professionnelle, ils ne vont pas considérer ce montant comme négligeable ! M. Jean-Claude QUENTIN : J'en ai bien conscience, mais reprenons les propos de Mme Simon. Ces dix dernières années, un nombre substantiel d'exonérations a été accordé aux entreprises, alors que certains économistes s'interrogent sur leur efficacité pour le maintien ou la création d'emplois - et il est toujours plus facile de maintenir les emplois que d'en créer de nouveaux. Bien entendu, les entreprises éprouveraient des difficultés, aujourd'hui, à supporter la suppression de ces exonérations, mais si l'on instaurait un peu plus de solidarité entre elles au travers de ce dispositif, peut-être pourrait-on espérer une certaine prise de conscience. Le président Pascal CLÉMENT : Cette proposition vaut la peine que l'on y réfléchisse. M. Michel LAMY, cgc : Monsieur le président, le fait de vouloir prétendre prévenir les difficultés des entreprises implique d'intervenir très en amont, avant que les difficultés ne deviennent trop lourdes. Pour cela, il y des impératifs à respecter : une information transparente, une capacité de détecter les problèmes naissants et un écueil dont on est particulièrement conscient : pour pouvoir détecter les difficultés, il est indispensable d'avoir un maximum d'informations et donc de prendre le risque que ces informations puissent être connues et accroître les difficultés - je pense notamment aux réactions des banquiers. Le comportement des banques est pour nous quelque chose d'extrêmement important ; il permet, ou non, aux entreprises de passer des périodes difficiles, sans les condamner. Quand les banques étaient entre les mains de l'État, certes, il y avait des inconvénients, mais également un avantage : l'État pouvait décider une politique à leur égard. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile. Par ailleurs, pour pouvoir prévoir, il convient de s'adresser à ceux qui connaissent l'entreprise. Nous demandons donc, dans cette perspective, un renforcement du pouvoir économique du comité d'entreprise : renforcement qui passe nécessairement par une meilleure formation des élus et, dans le cadre du statut particulier que nous réclamons pour les responsables syndicaux dans les entreprises, par des heures libérées et des fonds pour la formation. Nous constatons, malgré les efforts fournis par les ce et les organisations syndicales, que la formation économique des élus n'est pas suffisante et s'avère très disparate d'une branche à l'autre. Il conviendrait également de renforcer la notion de droit d'alerte et la faculté de se faire assister par des experts. Dans certains cas, le coût des experts peut aggraver la situation de l'entreprise ; mais nous sommes favorables à la mise en place de budgets, au niveau des régions, permettant d'aider les entreprises à payer les experts dont ont besoin les élus des ce - on revient là sur le problème de mutualisation. Il nous semble également souhaitable de mettre en cause la responsabilité des commissaires aux comptes. Par discrétion, je ne vous dirai pas le nombre de fois où des salariés ont détecté des problèmes qui avaient été couverts par des commissaires aux comptes, sans qu'aucune difficulté de gestion n'ait été relevée. Je ne vous donnerai pas le nom d'une grande entreprise qui, il y a encore trois ans, faisait appel à trois cabinets de commissaires aux comptes, qui touchaient 500 000 euros - à eux trois - pour certifier les comptes et 2,3 millions d'euros pour travailler sur lesdits comptes à titre de conseils. Le président Pascal CLÉMENT : Ces pratiques sont terminées ! M. Michel LAMY : Le mélange des genres, non ce n'est pas totalement fini ! Et sachez que nous avions signalé ce problème à la cob qui avait préféré, pudiquement, fermer les yeux. Les choses ne sont claires que lorsque l'entreprise doit faire appel à deux entités distinctes, qui sont chargées de missions différentes, et n'appartiennent pas aux mêmes capitaux. Je veux dire que si le cabinet X certifie les comptes et que le cabinet Y travaille sur lesdits comptes, tout va bien. En revanche, si c'est une filiale du cabinet X qui travaille sur les comptes, ça ne va plus. Il nous semble donc nécessaire de renforcer les possibilités de poursuites, afin d'éviter les tentations. Par ailleurs, nous demandons la présence systématique d'administrateurs représentant les salariés, au titre des parts que ceux-ci détiennent dans le capital. Je vous rappelle que mon organisation a été à l'initiative de l'amendement - adopté par l'ensemble des partis politiques, à l'Assemblée nationale comme au Sénat - visant à rendre obligatoire la présence d'un administrateur des salariés dès lors qu'ils détiennent 3 % du capital. Le premier amendement avait été déposé par le ps, adopté par tous les partis politiques, puis retiré à la demande du ministère des Finances. Le second amendement avait été défendu par Maxime Gremetz. En tout état de cause malheureusement, depuis 18 mois, nous attendons son décret d'application. Par ailleurs, nous sommes « demandeurs » d'administrateurs au titre de la représentation des salariés au niveau des conseils d'administration et de surveillance. J'insiste particulièrement sur le conseil de surveillance, qui est un organe hybride. En effet, il est censé permettre une meilleure transparence, en ne mélangeant pas les actionnaires et les gestionnaires. L'inconvénient est que le président du directoire se trouve sur un « siège éjectable », ce qui ne l'incite pas à faire « remonter » au conseil de surveillance les difficultés constatées. Avant, le président du conseil d'administration avait tendance à manipuler son conseil, mais il connaissait les conséquences de ses décisions. Actuellement, la séparation fait que les actionnaires ont tendance à se satisfaire de promesses, de royalties et de certains indicateurs, sans connaître toute l'alchimie de l'entreprise ; le président du directoire n'a d'ailleurs pas toujours intérêt à le faire savoir. Il est donc indispensable d'avoir une information claire, avec la présence d'un représentant des salariés au conseil de surveillance, afin que les membres du conseil soient informés de la volonté des actionnaires salariés. Par ailleurs, ce représentant pourra également alerter ces actionnaires sur les conséquences d'un certain nombre de mesures. Afin de pouvoir agir en amont, nous souhaiterions la mise en place d'indicateurs économiques, qui nous semblent devoir être déterminés par un consensus entre les organisations syndicales de salariés, les organisations patronales, les représentants de l'État et éventuellement ceux de la Région - indicateurs qui doivent être surveillés par cette dernière, peut-être d'ailleurs par l'intermédiaire de la Banque de France, ou avec son aide. Et ces indicateurs économiques pourraient être discutés par branches - les indicateurs pertinents pour prévoir des difficultés étant différents d'une branche à une autre. Nous pensons également qu'il est nécessaire de surveiller les aides accordées aux entreprises. Je partage ce qui a été dit par mes collègues à ce sujet : les aides aux entreprises présentent actuellement, parfois, des effets d'aubaine importants. Il est tout à fait anormal, par exemple, que certaines servent simplement à dégager de l'argent pour permettre des opérations de délocalisation. Nous avions souhaité, à une époque, la création d'une commission qui évaluerait l'aide aux entreprises, et où seraient représentés les partenaires sociaux. Elle a été mise en place sous l'égide de l'État, elle s'est réunie une fois et a été supprimée depuis plus d'un an, de façon très discrète. Or il n'y a pas de raison que l'on ne sache pas à quoi servent ces aides ; il serait intéressant, avant d'attribuer d'autres aides, de connaître leur capacité réelle à alimenter le circuit économique. L'État est regardant sur la pertinence de ses dépenses, notamment quand il s'agit du nombre de fonctionnaires ; le moins qu'il puisse faire est d'analyser la pertinence de ses dépenses quand il s'agit de financer les entreprises. Nous souhaiterions également une meilleure organisation du soutien bancaire en cas de difficultés. Il serait intéressant de déterminer quelles sont les possibilités de mettre en place des aides bancaires avec retour à meilleure fortune. Nous avons vraiment l'impression que lorsqu'une PME est en difficulté, les banques se retirent systématiquement. Quant à la responsabilisation des donneurs d'ordres et à la fragilisation du tissu des PME - les sous-traitants sont régulièrement abandonnés au milieu du gué, avec des délais assez courts -, nous souhaiterions qu'une loi prévoie un délai de préavis suffisamment long pour la dénonciation de ce type de contrats. Il pourrait être d'autant plus long que la part des commandes d'un sous-traitant dépend d'un donneur d'ordres particulier. Enfin, lorsque cette part devient réellement importante, la loi pourrait exiger que le donneur d'ordres puisse aider à la relance de l'entreprise. Je prendrai l'exemple de Danone et de Lu. Danone, entreprise qui faisait des bénéfices, a décidé - pour des raisons que l'on jugera bonnes ou mauvaises - de « couper la branche » Lu, qui lui semblait vouée au déficit. Cela veut dire qu'une entreprise qui a de l'argent fait un choix ; il nous semble important qu'elle assume cette décision y compris par rapport au bassin d'emplois. Nous demandons que, dans un tel cas - et il en va de même avec les sous-traitants - l'entreprise en question accorde des prêts sur 15 ans à 0 %, avec un différé d'amortissement de 5 ans, ainsi qu'avec un montant proportionnel au nombre d'emplois supprimés, aux entreprises qui s'installeraient sur le même bassin d'emplois - avec une obligation d'y rester - et qui reprendraient les salariés licenciés. Cela reviendrait à inscrire une créance au bilan. Le coût, pour une entreprise comme Danone, n'aurait été que celui du portage des intérêts pendant la durée du prêt. Je terminerai en vous disant que le projet de loi va dans le bon sens, mais qu'il reste timide sur la vision sociale et sur la place laissée aux partenaires sociaux dans le sauvetage d'une entreprise. Une entreprise se sauve à plusieurs : les dirigeants - et actionnaires - les banques et les salariés, car tout le monde y a intérêt. M. Thierry LEPAON, cgt : Monsieur le président, il nous semble judicieux d'examiner les possibilités offertes pour la défense de l'emploi dans les entreprises, y compris celles qui sont en difficulté, avant de présenter ce que nous jugeons nécessaire pour mener à bien la réforme des faillites. Nous pensons avant tout qu'est nécessaire une veille portant sur les éléments économiques de l'entreprise et sur les possibilités d'anticipation, dans le cadre d'une prévention efficace des licenciements. Étant donné que notre droit divise les entreprises en deux catégories - moins de 50 salariés et plus de 50 salariés -, nous pourrions présenter deux types d'analyses et de propositions. Pour les entreprises de plus de 50 salariés, le dispositif législatif actuel définissant les prérogatives des représentants du personnel nécessite un renforcement de sa cohérence, pour assurer une veille et une anticipation efficaces. Nous proposons d'organiser cette cohérence autour de trois axes. D'abord, l'analyse des performances passées de l'entreprise. Ensuite, l'examen des dispositions prises pour la gestion anticipative des emplois. Enfin, l'exigence de leviers d'action afin de remettre éventuellement en question les choix et les projets des directions de l'entreprise ou du groupe en cas de changement d'organisation, de changement important de technologie ou en cas de détérioration de la situation de l'entreprise pouvant avoir un impact important sur l'emploi. Nous pensons que cette mise en question doit comprendre un droit suspensif des projets de la direction jusqu'à la réponse des organes dirigeants que l'on pourrait éventuellement saisir. Nous souhaitons que la saisine des organes sociaux soit fortement encouragée, de telle sorte que les représentants du personnel soient en mesure de jouer un rôle efficace et pris en compte dans la gouvernance des entreprises. Pour cela, nous proposons un premier levier de veille et d'anticipation, que l'on pourrait appeler le « rapport économique ». Nous proposons donc que l'entreprise donne au comité d'établissement, ou à défaut aux délégués du personnel, mais également au comité de groupe quand il existe et au comité d'entreprise européen le cas échéant, une fois par exercice social, avant l'assemblée générale des actionnaires et avec un délai d'examen suffisant, une information qui pourrait faire l'objet d'une analyse indépendante. Celle-ci serait effectuée par un expert-comptable - à la charge de l'entreprise -, doté des prérogatives du commissaire aux comptes sur la situation financière, les choix stratégiques, mais également les performances passées et prévisionnelles de l'entreprise, avec une évaluation des conséquences sur l'organisation et l'emploi. Nous proposons ensuite un second levier, que nous appellerons levier de veille et d'anticipation, correspondant au « rapport social ». Dans le cadre de la gestion participative des emplois, nous proposons que le ce (comité d'entreprise), ou à défaut les délégués du personnel, soit doté de moyens d'information et d'actions appropriées, qu'il soit l'interlocuteur de la direction pour la gestion anticipative des emplois. À ce titre, nous proposons donc que la direction remette au ce, ou à défaut aux délégués du personnel, en même temps que le rapport économique, un rapport annuel social, dans des délais lui permettant d'interpeller l'assemblée générale des actionnaires qui statue sur les comptes sociaux. Les ce, ou à défaut les délégués du personnel, disposeront donc de moyens d'expertise qui leur permettront de donner un avis motivé, une fois par an, sur la cohérence de la gestion anticipative des emplois, avec des informations relatives aux performances de l'entreprise et aux comptes, qui ont un impact sur l'emploi. Nous proposons que cet avis soit communiqué à la direction départementale du Travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. Enfin, le troisième volet « veille et anticipation » devrait permettre au ce d'exercer son droit d'alerte en cas d'événements ou d'informations de nature à l'inquiéter sur la santé financière ou sur le maintien de l'emploi de l'entreprise, ou encore en cas de révision stratégique de la politique générale d'une entreprise ou d'un groupe. Si le ce décide de recourir à son droit d'alerte, il aurait alors la possibilité de formuler des propositions alternatives qui devraient faire l'objet d'un avis et d'une réponse motivée. Enfin, s'agissant des entreprises de moins de 50 salariés, une solution plus simple pourrait consister à ce que le chef d'entreprise fasse annuellement une déclaration écrite sur la situation économique et sociale de l'entreprise. Cette déclaration pourrait être remise aux représentants du personnel. Si l'entreprise est une filiale ou un sous-traitant d'un groupe, le chef d'entreprise ou les représentants du personnel recevront chaque année les rapports économiques et sociaux du groupe, ce qui permettrait d'instaurer, selon nous, de nouveaux liens, entre les donneurs d'ordres et les sous-traitants. Dans les entreprises de moins de 50 salariés le droit d'alerte sera assuré par les délégués du personnel - ce qui veut dire que nous proposons de l'instituer puisqu'il n'existe pas aujourd'hui. Il est également indispensable de donner de nouveaux moyens d'action au niveau du territoire ; nous proposons la création d'un observatoire régional économique et social de veille. Il permettrait de centraliser les informations disponibles dans les organismes existants - l'insee, l'afpa, les assedic, les comités économiques et sociaux régionaux (cesr), les chambres de commerce et d'industrie, etc. Nous proposons également, afin de tisser des liens étroits entre entreprises et territoires, de créer des fonds régionaux mutualisés pour le développement de l'emploi, avec un contrôle régional sur l'utilisation des aides publiques, afin de permettre une meilleure prise en compte de l'intérêt des salariés. Ceux-ci pourront être représentés dans les tribunaux de commerce, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - et j'en profite pour vous redire qu'une réforme des tribunaux de commerce est nécessaire. Il est selon nous impossible de continuer, sans que l'État soit représenté dans les tribunaux : la présence du ministère public pourrait être obligatoire, à partir d'un seuil qu'il conviendrait de fixer. Les comités d'entreprise disposeraient d'un droit de veto. Nous précisons d'ailleurs que les charges découlant de ce droit de veto doivent incomber à l'employeur, s'il juge nécessaire de faire appel du droit de veto du comité d'entreprise. Enfin, nous constatons souvent, en cas de dépôt de bilan, que s'ouvre une zone de non-droit pour les salariés et leurs représentants ; c'est la stratégie du « il faut aller vite, il y a urgence ». C'est notamment pourquoi nous souhaitons un renforcement des obligations des administrateurs judiciaires, avec un devoir de transparence et de communication auprès des personnels et de leurs représentants. Nous souhaitons aussi, à cet égard, que les syndicats aient qualité pour agir dans l'ensemble des procédures portées devant les tribunaux de commerce. Enfin, une obligation d'avertir les organisations syndicales en cas de faillite, avec pour celles-ci un droit d'intervention et de communication dans les procédures, nous paraîtrait utile. M. Jean-Claude QUENTIN : J'ai le sentiment que nous partons sur deux terrains, dont un qui ne concerne pas le projet de loi. Que le problème des restructurations des entreprises soit posé, c'est normal, il s'agit d'une question importante. Mais j'ai le sentiment que celui-ci est différent des problèmes de difficultés financières, de conciliation, de sauvegarde, de redressement et de liquidation, qui constituent l'objet du projet de loi. Pour ma part, j'ai exercé les fonctions de secrétaire général de l'Union départementale pour FO, à Dijon. Et j'ai donc été amené à prendre un certain nombre d'initiatives, notamment parce que des entreprises implantées localement étaient en difficulté économique et risquaient de fermer. Il m'est ainsi arrivé, entre le samedi et le lundi, de faire mettre « sous tutelle » une entreprise. Je détenais en effet un certain nombre d'éléments qui me permettaient de prouver que l'entreprise était en danger de fermeture totale - elle comptait environ 150 salariés. Mais j'ai pu faire cela, non seulement parce que je connaissais personnellement le président du tribunal de commerce, mais également parce que j'avais, en raison de ma fonction, des relations fréquentes avec le secrétaire général de la préfecture. Grâce à eux, en un week-end, nous avons pu sauver, non pas les 150 emplois, mais une centaine, soit les deux tiers. Tout cela pour vous dire que le fait d'être entré beaucoup plus vite sur le terrain du redressement judiciaire que ne l'avait jugé bon le chef d'entreprise, et le fait d'avoir publié un certain nombre d'offres dans les journaux professionnels pour trouver un repreneur, ont minimisé la « casse ». Bien entendu, j'ai aussi eu la chance qu'un directeur technique de l'entreprise ait accepté de « mouiller la chemise ». Voilà un exemple qui peut se présenter tous les jours à une organisation syndicale - qui doit alors prendre ses responsabilités. Mais cela suppose qu'existe cette logique de confiance dont je parlais tout à l'heure. Si je n'avais pas connu le président du tribunal de commerce et le secrétaire général de la préfecture, l'opération n'aurait pas été possible. Je souhaiterais maintenant vous poser une question, M. le Président : connaissez-vous la répartition des sinistres selon la taille des entreprises ? Le président Pascal CLÉMENT : Non, pas de manière précise, mais spontanément, je puis vous répondre que les petites entreprises sont beaucoup plus concernées que les grosses. Leur proportion doit être très élevée, mais je ne la connais pas. M. Jean-Claude QUENTIN : Tout cela pour vous dire qu'il convient de parler aujourd'hui, ici, surtout des petites entreprises. Le président Pascal CLÉMENT : Vous avez tout à fait raison, cette loi concerne essentiellement les petites entreprises du tissu industriel français et votre exemple est un très bon exemple, car c'est essentiellement en province qu'elles sont touchées. Monsieur Quentin, avez-vous des propositions à formuler concernant l'ags (Association pour la garantie des salaires) ? Vous donne-t-elle satisfaction ou doit-elle être améliorée ? Car vous parlez d'un fonds mutualisé, mais les entreprises versent déjà, seules, de l'argent pour alimenter l'ags ! Alors que vous leur demandez de cotiser pour un autre fonds ! Il conviendrait donc en premier lieu de préciser vos critiques relatives à l'ags. Par ailleurs, les cas où l'ags met en difficulté de redressement les entreprises en se subrogeant aux salariés pour essayer de récupérer les créances salariales sont-ils nombreux, selon vous ? M. Jean-Claude QUENTIN : Aujourd'hui, l'ags connaît des difficultés financières. Elle a une vision restrictive des créances salariales. Je pourrais vous citer un certain nombre d'exemples où l'ags ne prend pas en charge certains éléments de salaire qui sont pourtant liés au sinistre. Il y avait cette histoire ancienne des 13 x 4 plafonds de la Sécurité sociale... Cela a été réduit, ce qui semble assez logique. Mais nous sommes aujourd'hui au minimum ; on ne peut pas descendre plus bas dans le plafonnement par l' ags des créances des salariés. L'autre aspect sur lequel je souhaite insister est le suivant - et je vous citerai un exemple. J'ai voulu faire reprendre une entreprise en difficulté par ses salariés, sous une forme peu commune, la scop - société coopérative de production. Pour cela, il fallait faire payer par l'ags les salaires, les préavis, les congés payés et les indemnités de licenciement, une partie de cet argent étant nécessaire pour le capital de la scop. J'ai alors reçu une réponse extraordinaire de l'ags qui m'opposait l'article L. 122-12 du code du travail : « Puisque vous continuez les contrats de travail, il n'y a pas de licenciements. Nous ne verserons donc pas les indemnités de licenciement, de préavis et les congés payés. Nous ne paierons que les deux mois de salaires impayés ». Le président Pascal CLÉMENT : On ne peut pas demander à l'ags de faire deux choses à la fois ! M. Jean-Claude QUENTIN : Certes, mais l'ags avait-elle vraiment le choix ? Soit nous liquidions judiciairement l'entreprise, tous les salariés étaient mis au chômage et l'ags payait l'intégralité de la créance. Soit elle payait la créance et nous ne mettions pas le personnel au chômage. Le président Pascal CLÉMENT : Mais juridiquement a-t-elle le droit de le faire ? Je ne crois pas. M. Jean-Claude QUENTIN : En tout cas les salariés ont touché leur créance, la scop a été créée et elle fonctionne encore aujourd'hui. Le président Pascal CLÉMENT : Bravo, car les scop ont en général une durée de vie assez courte. C'était la bonne solution, il s'agit d'une démarche entreprenariale ! M. Jean-Claude QUENTIN : Mais il a fallu friser l'illégalité, pour faire payer l'ags ! Nous avons néanmoins sauvé les emplois. Le président Pascal CLÉMENT : Comment avez-vous fait ? M. Jean-Claude QUENTIN : Ce n'est pas avouable ! M. Thierry LEPAON : Je suis secrétaire général de l'Union départementale de la cgt, et je connais bien les petites histoires de M. Quentin ! Aujourd'hui, le dépôt de bilan est devenu une stratégie d'entreprise : de plus en plus d'entreprises, confrontées à des difficultés, n'hésitent pas à déposer le bilan pour pouvoir rebondir dans des conditions plus satisfaisantes. Par ailleurs, concernant l'ags, j'ai été le délégué syndical central cgt du groupe Moulinex au moment de sa fermeture, je connais donc la mécanique, le financement et la manière dont on traite un plan social de cette ampleur - le plus grand dépôt de bilan de ces 20 dernières années - sans avoir un sou en caisse. Il faut savoir ce que l'on veut : ou bien c'est l'ags qui paie dès qu'il y a un dépôt de bilan, une liquidation judiciaire, et l'on a quelques difficultés à se faire rembourser, ou l'on demande au repreneur de payer un prix convenable. En ce qui concerne Moulinex, si le tribunal de commerce avait demandé à Seb un prix plus élevé - les dirigeants disent partout qu'ils ont fait une bonne affaire - l'ags n'aurait pas eu tant à payer. Le choix est simple : ou l'on mutualise le coût du plan social ou l'on demande au repreneur de racheter l'entreprise à un prix acceptable. Le président Pascal CLÉMENT : Je suppose que si le tribunal de commerce - dans le cas de Lu - a fixé ce prix, c'est qu'il se doutait qu'à un prix supérieur, il ne trouverait pas de repreneur ! J'ai bien entendu votre demande de faire évoluer les tribunaux de commerce - et je vous le dis, je suis d'accord avec vous -, mais dans une telle affaire, où il n'y a qu'un repreneur, le président du tribunal a un rôle délicat, car il ne doit pas fixer un prix qui ferait fuir ce repreneur ; il vaut mieux qu'il y en ait qu'un seul, plutôt que pas du tout ! M. Michel LAMY : Je voudrais revenir sur les propos de M. Quentin, car j'ai une petite réticence quant à sa proposition de mutualisation. Si j'ai bien compris votre proposition de mutualisation, M. Quentin, le lien juridique entre le salarié et l'entreprise est conservé pendant un an. Je crains que cela ne crée un effet d'aubaine pour des entreprises qui auraient besoin de se débarrasser provisoirement d'une partie de leur personnel - et qui le réembaucheraient ensuite. Elles pourraient en effet faire payer ce personnel pendant un an par la collectivité. Ou alors, il faudrait installer des garde-fous. S'agissant de l'ags, elle a ses limites de capacité de paiement et de fonctionnement. Je comprends la réaction de M. Quentin, dans l'exemple qu'il nous a cité, mais là, il faudrait changer la loi. Le président Pascal CLÉMENT : Je crains que les entreprises ne soient pas d'accord pour cotiser à la fois à l'ags et pour un fonds mutualisé. M. Jean-Claude QUENTIN : Nous ne discutons pas là sur des dépenses nettes. Je comprends votre argument, monsieur Lamy, je l'ai moi-même intégré dans ma réflexion ; tous les dispositifs créent des effets d'aubaine. Le dispositif que nous proposons est à mi-chemin entre l'ags et l'assurance chômage, et il ferait faire des économies à ces deux organismes. Le président Pascal CLÉMENT : Certes, mais les entreprises continueront à devoir payer deux fois ! M. Jean-Claude QUENTIN : Actuellement, le taux de l'ags est variable en fonction de ses besoins de financements. Je rappelle qu'en 2002, il y a eu 250 000 licenciements économiques en France, et en 2003, 205 000 - les choses ont l'air de s'arranger un peu. Mais ce n'est pas ma faute si Moulinex a fermé des usines et qu'il a fallu que l'État assume la conséquence de lourdes charges - il pensait d'ailleurs se refaire sur l'ags ! Mme Gabrielle SIMON : Je voudrais pour ma part vous rappeler que, l'été dernier, les cotisations patronales de l'ags ont été réduites, à la demande du président du Medef. Il n'est pas bon qu'il y ait un désengagement du patronat, en règle générale, pour tout ce qui concerne les structures qui instaurent une certaine solidarité. M. Lamy parle du risque des effets d'aubaine, et notamment de certaines entreprises qui feraient financer leurs salaires dès qu'elles seraient en difficulté. Mais l'ags pourrait être réformée pour que son action permette effectivement de plus favoriser le maintien de l'emploi. M. Quentin a raison de rappeler qu'il est plus difficile de créer des emplois que de maintenir ceux qui existent ; donc à chaque fois qu'une possibilité de maintenir l'emploi existe - par quelque structure que ce soit, y compris par l'ags réformée, par exemple -, elle est intéressante. Enfin, je rappellerai une lapalissade : moins il y aura de chômage, plus il y aura de rentrées d'argent, plus le déficit sera réduit, et plus les dirigeants verront leurs prélèvements obligatoires diminuer. Les dirigeants d'entreprise disent aujourd'hui qu'ils ne peuvent plus supporter de charges supplémentaires, du fait des très nombreux prélèvements obligatoires existants, et qu'il appartient à l'État d'assumer tout supplément de charges. Mais ils oublient que si l'État assume ces charges, celles-ci se concrétiseront, inévitablement, en prélèvements obligatoires supplémentaires ! Leur raisonnement ne tient pas ! Chacun doit assumer ses droits et ses devoirs, et tout doit être mis en œuvre pour maintenir l'emploi. Le président Pascal CLÉMENT : J'ai noté la proposition d'accorder le droit d'alerte aux entreprises de moins de 50 salariés. Quel est votre constat sur l'utilisation de ce droit d'alerte par les comités d'entreprise ? M. Michel LAMY : Je suis salarié du Crédit Foncier, et nous avons eu des difficultés très graves à une époque. Le droit d'alerte nous a permis - alors que les syndicalistes étaient déjà bien formés sur le plan financier - d'aller creuser à des endroits où nous n'avions pas accès autrement. Sans droit d'alerte, nous aurions pu faire le travail nous-mêmes, mais sans en avoir réellement l'autorisation. L'avantage de faire appel à un expert, c'est qu'il peut être autorisé par l'entreprise à consulter un certain nombre de documents confidentiels, et qu'il peut présenter ses conclusions sans donner le détails de ce qui l'a amené à les formuler. Cela permet de préserver la confidentialité, en ayant malgré tout l'efficacité de l'accès à l'information. Dans une entreprise cotée, ce droit d'alerte peut être une véritable force pour sauver ou développer l'entreprise. En effet, il permet, sur un certain nombre de conclusions, une discussion plus motivée, y compris auprès de journalistes, de spécialistes ou d'analystes, ce qui permet de disposer de leviers réels pour aider l'entreprise. Bien entendu, des conflits peuvent éclater entre la direction et les salariés. Les uns et les autres peuvent se tromper. Mais il existe une véritable possibilité d' « objectiver » des données importantes par des recherches opérées au cours de l'exercice du droit d'alerte. M. Jean-Claude QUENTIN : L'ags ne prend jamais en compte ce qui est du domaine des dommages et intérêts - décidés par le conseil des Prud'hommes, par exemple -, qui naissent de la façon dont la relation salariale a été conduite ou rompue dans l'entreprise. L'employeur peut utiliser juridiquement l'ags pour échapper à sa responsabilité à l'égard du salarié. Vous nous demandiez, monsieur le Président, les insuffisances de l'ags : en voilà une. Car même si le salarié obtient satisfaction au tribunal, il ne sera pas indemnisé de sa créance sur l'entreprise. En ce qui concerne le droit d'alerte, nous nous en servons dans les grandes entreprises qui se trouvent dans une logique de restructuration, et non dans une logique de dépôt de bilan ou de redressement judiciaire. Le droit d'alerte est efficace à partir du moment où l'employeur, sous une forme ou sous une autre, n'a plus un comportement d'entrepreneur. Le président Pascal CLÉMENT : Ne s'agit-il pas d'une notion un peu subjective ? M. Jean-Claude QUENTIN : Dans une grande entreprise, on se trouve plutôt dans une logique de fusion-acquisition, rachat, cession, vente par appartements..., que dans le cas du risque de sinistre financier. Dans une plus petite entreprise, le droit d'alerte a l'efficacité de permettre, le cas échéant, de démontrer que l'employeur n'est plus dans une logique d'entrepreneur ou qu'il a un comportement frauduleux. Lorsqu'on est dans une procédure de redressement judiciaire, il n'a en revanche que peu d'intérêt. Mme Gabrielle SIMON : Il convient de dédramatiser le droit d'alerte ; il ne doit pas être considéré comme une sanction ou un jugement de la part des salariés. Il permet aux salariés de prendre connaissance de la situation de leur entreprise ; d'ailleurs, si l'information était donnée en amont, si cette participation dont je vous ai parlé était instaurée, nous n'aurions peut-être pas besoin de ce droit d'alerte. Le droit d'alerte permet donc aux salariés de prendre connaissance de la situation réelle de l'entreprise, et de bénéficier de la collaboration d'un expert. Il permet aux salariés d'entrer dans une forme de dialogue social avec les dirigeants ; de ce fait, grâce à cet échange, ils peuvent aller au-delà de la confrontation pour déboucher sur quelque chose de constructif. Par ailleurs, les salariés ne sont plus des victimes, ils se prennent en main, et cela est tout à fait positif - quel que soit l'avenir de l'entreprise -, ils apprennent comme cela à gérer les situations difficiles. En conclusion, il me semble qu'il est nécessaire de changer le regard que les dirigeants portent sur ce droit d'alerte, car il offre des opportunités intéressantes. M. Thierry LEPAON : Pour moi, le droit d'alerte a donné lieu à chaque fois à une obligation de résultat et de dialogue entre les partenaires sociaux et les employeurs. Par ailleurs, il a permis d'éclairer l'administration sur ce qui se passait réellement dans l'entreprise. En fait, il joue un rôle de veille sur la bonne marche de l'entreprise et sur les capacités des dirigeants à ne pas gâcher ce que la société a réalisé en termes de production et de création de richesses. Enfin, l'avis d'un expert indépendant permet une vulgarisation des questions économiques, pour les salariés et leurs représentants, ce qui est très important. En effet, dans ce cas deux mondes se côtoient, ont du mal à discuter, mais finissent, grâce à l'expert, par aboutir à un dialogue. M. Xavier de ROUX : Le projet de loi introduit une nouvelle procédure - en amont de la cessation de paiement -, justement pour donner davantage de chances aux partenaires de l'entreprise : la procédure de sauvegarde. Elle doit être déclenchée avant la cessation de paiement et doit permettre de trouver une solution. Je vous ai bien entendu, M. Quentin, lorsque vous disiez que certains dirigeants cessaient de se comporter comme des chefs d'entreprise, et des exemples comme celui que vous avez cité, à Dijon, nous en connaissons bien d'autres ! La question est donc la suivante : doit-on étendre le droit de déclencher la procédure de sauvegarde, et à qui ? Et à quel moment doit-elle être déclenchée ? Nous sommes là dans une relation de confiance entre les différents acteurs et le président du tribunal. Comment pourrait-on articuler la procédure de sauvegarde et le droit d'alerte ? M. Jean-Claude QUENTIN : Aujourd'hui, lorsqu'on parle du droit d'alerte, on parle surtout d'une relation avec le chef d'entreprise, ou éventuellement avec les administrateurs. Il existe, si mes souvenirs sont bons, une procédure permettant de saisir le président du tribunal de commerce qui peut, en toute confidentialité, mener une enquête sur le fonctionnement de l'entreprise et même convoquer le chef d'entreprise pour lui demander des explications. Le droit d'alerte doit être utilisé dans ce sens : un salarié ou un délégué syndical qui a des doutes sur la bonne santé de son entreprise doit demander au secrétaire d'Union départementale d'envoyer un courrier au président du tribunal de commerce pour lui faire part d'éléments mettant manifestement l'entreprise en péril. Il peut également lui demander, en toute confidentialité, de s'informer sur sa situation bancaire, sa situation à l'égard de l'urssaf et de ses fournisseurs. Après cette enquête, le président peut, soit déclencher une procédure, soit faire un certain nombre d'observations au chef d'entreprise. Le droit d'alerte doit, selon moi, être davantage utilisé dans cette optique, alors qu'aujourd'hui il est essentiellement une relation entre les institutions représentatives du personnel et l'employeur - puis avec le conseil administration. M. Christophe CARESCHE : Je souhaitais compléter la question de M. de Roux sur la procédure de sauvegarde. Dans le texte qui est proposé, cette procédure de sauvegarde est exclusivement à l'initiative du chef d'entreprise. Pensez-vous que ce dernier aura recours à cette procédure spontanément, ou que, compte tenu des obstacles psychologiques, elle restera peu utilisée ? Mme Gabrielle SIMON : Nous avons parlé de la difficulté du chef d'entreprise d'entamer une telle procédure, dans une situation qu'il vit comme un échec ou une sanction. Il s'agit d'un problème culturel, les mentalités doivent évoluer à ce sujet. Nous sommes favorables à ce que les salariés, après le déclenchement du droit d'alerte et si celui-ci démontre que la situation est réellement préoccupante, puissent initier cette procédure de sauvegarde. Les freins psychologiques des dirigeants sont ridicules, mais bien réels. Une personne devient entrepreneur parce qu'elle a envie de diriger son entreprise ; elle aura donc beaucoup de mal à constater son échec et à s'en remettre à une tierce personne. Si cette procédure de sauvegarde peut être déclenchée par les salariés, cela pourrait aider le chef d'entreprise qui aurait peut-être eu du mal à prendre la décision ; et plus celle-ci sera déclenchée, vulgarisée, plus il sera facile de dédramatiser la situation. M. Michel LAMY : Je partage totalement l'opinion de Mme Simon, mais j'ajouterai que si cette procédure de sauvegarde peut être déclenchée par les salariés, il conviendrait de pouvoir l' « objectiver » - afin qu'elle ne soit pas déclenchée sur des coups de tête. C'est la raison pour laquelle je trouve utile les indicateurs par branche, permettant d'apprécier de façon objective la nécessité du déclenchement de cette procédure. M. Xavier de ROUX : Si le droit d'alerte était accordé, dans ce cadre, aux salariés, serait-il déclenché directement par le comité d'entreprise ou les délégués syndicaux auprès du président du tribunal de commerce, ou plutôt auprès du procureur de la République ? M. Michel LAMY : Je pense qu'il conviendrait de l'exercer auprès du tribunal de commerce. S'adresser directement au procureur de la République a un aspect encore plus dramatisant. Le président Pascal CLÉMENT : Le problème est délicat, car en cas d'alerte les banques peuvent se retirer. M. Michel LAMY : Oui, il faut vraiment faire attention. Et le fait que le président du tribunal de commerce soit tenu à la confidentialité, par ailleurs, me semble constituer une protection importante tant que l'on n'a pas la certitude de la nécessité d'agir. M. Jean-Claude QUENTIN : Pour ma part, j'estime que les parquets sont suffisamment surchargés actuellement : il ne me semble pas utile de passer par le procureur de la République. Je serais plutôt favorable à ce que ce soit l'organisation syndicale, représentée localement - et qui a un certain degré de responsabilité - qui puisse faire la démarche. Si un délégué du personnel a la possibilité de s'adresser directement au tribunal de commerce, on prend le risque qu'il se l'autorise à chaque petit incident ! Le président Pascal CLÉMENT : Je suppose que le président du tribunal de commerce ne recevrait pas tous les délégués syndicaux des entreprises d'un département ! M. Xavier de ROUX : Ma question, justement, portait sur le filtre nécessaire... M. Jean-Claude QUENTIN : Le filtre serait le secrétaire de l'Union départementale ; cela me semble déjà être un élément de responsabilisation important. Au cours des ces trente dernières années, la nature de l'entreprise a profondément changé. À l'époque, la vision de l'entreprise par son dirigeant était essentiellement patrimoniale : son principal souci était de pérenniser sa société. Aujourd'hui, la gestion des entreprises est davantage financiarisée. Mme Gabrielle SIMON : Je suis d'accord avec ce que vient de dire M. Quentin. Je mettrai juste un bémol pour les dirigeants des pme-pmi qui sont encore des petits entrepreneurs, non cotés en bourse. M. le député, je pense que le filtre que vous mentionnez doit être celui des résultats du droit d'alerte qui montrent que la situation est vraiment préoccupante ; à ce moment-là, les représentants des salariés devraient pouvoir proposer une procédure au président du tribunal de commerce. Audition de MM. Jean-François BERNARDIN, président Jean-Christophe de BOUTEILLER, directeur général, Michel TOURNIER, président de la Chambre de commerce et d'industrie de Rodez, (procès-verbal de la séance du 12 mai 2004) Le président Pascal CLÉMENT : Le projet de loi sur la sauvegarde des entreprises conduit à l'existence de quatre procédures de traitement des difficultés des entreprises. La question principale qui se pose est celle de l'acclimatation des nouvelles procédures, dans la mesure où elles se situent en amont des difficultés aujourd'hui prises en compte et reposent sur l'initiative des chefs d'entreprise eux-mêmes. Quelles sont, à vos yeux, les conditions nécessaires pour que la « greffe » prenne auprès d'eux ? Par ailleurs, certains ont émis des réserves concernant ce qu'il est convenu d'appeler la « judiciarisation » de la conciliation, notamment la transmission au Procureur de la République de la décision désignant le conciliateur ou le mandataire ad hoc, ou homologation de l'accord par le tribunal de commerce : cette évolution vous semble-t-elle constituer un frein au succès de la réforme ? Au-delà des questions de droit, l'acclimatation des réformes est-elle toujours en 2004 une question de mentalité, de psychologie collective ? Pour le dire autrement, pensez-vous qu'il soit possible de se rapprocher d'une conception plus « américaine » de l'entreprise - les entreprises naissent, vivent et meurent - à l'encontre d'une tradition de longue date qui nous conduit à donner un caractère infamant à la « faillite »? Pour ce qui vous concerne, quel rôle comptez-vous jouer dans cette acclimatation ? Quel rôle jouez-vous actuellement dans la formation des chefs d'entreprise, souvent perdus dans le maquis du droit des procédures collectives et quelles initiatives comptez-vous prendre en la matière ? Enfin, de manière globale, le projet vous semble-t-il équilibré en ce qui concerne les fonctions et le traitement dévolus aux différents acteurs ? M. Jean-François BERNARDIN : Globalement, le texte nous semble aller dans le bon sens par rapport au système actuel, dont nous connaissons tous les limites et sur lequel il ne paraît pas nécessaire de s'attarder de nouveau. En particulier, nous ne sommes pas toujours convaincus que l'acharnement thérapeutique qui consiste à maintenir trop longtemps en survie une entreprise non viable constitue la meilleure solution. En revanche, il faut accepter la notion de risque. L'essentiel est le résultat, qui consiste à savoir comment éviter que le dépôt de bilan d'une entreprise entraîne des catastrophes excessives pour le chef d'entreprise, mais aussi pour les créanciers. Le problème est d'autant plus important que nous connaissons en France des délais de paiement interentreprises singulièrement longs. C'est dire que le problème revêt chez nous une dimension beaucoup plus importante qu'ailleurs, puisque le dépôt de bilan d'une entreprise entraîne des effets de dominos plus perceptibles que dans la plupart des autres pays. Il y a sept ou huit ans, le dépôt de bilan moyen au tribunal de commerce de Pontoise représentait environ deux millions de francs et concernait beaucoup de petites entreprises, le poids de leur crédit interentreprise étant supporté par les autres entreprises. Par ailleurs, existe le privilège du Trésor. Quoi qu'il en soit, lorsqu'il n'y a pas d'autre issue, il est préférable pour l'entrepreneur, ses actionnaires et ses créanciers que l'entreprise prenne fin tôt et dans le bon ordre plutôt que d'entraîner chacun dans un tourbillon, dans lequel le dépôt de bilan finit par être catastrophique pour tout le monde. Cela est d'autant plus facile que le dépôt intervient en amont des difficultés. Nous sommes d'accord sur ce point. Sur le texte lui-même, un effort important reste à faire pour engager, par la conciliation, une procédure amiable volontariste permettant, quand les situations peuvent encore être sauvées et gérées dans de bonnes conditions, de convaincre le chef d'entreprise qu'il existe des moyens de recours efficaces, plutôt que de laisser sa situation continuer à se dégrader. Dans le texte que nous avons étudié avec attention, nous avons pris connaissance des observations avancées par les uns et les autres, ainsi que des remarques qui viennent d'être formulées. Nous en partageons certaines. Monsieur le Président, je ne peux que conforter votre position sur l'importance de l'aspect psychologique des choses : il faut être très attentif à la mentalité des chefs d'entreprise. C'est pourquoi nous proposerons une solution complémentaire. En effet, les chefs d'entreprise sont mal informés du droit des faillites. Même quand ils ont fait des études comme moi il y a quarante ou cinquante ans, si on leur dit que les chambres de commerce organisent à leur intention un cycle de formation tous les cinq ans, celui-ci n'attirera personne, et pour cause : personne ne pense et ne prévoit sa propre faillite ! Dès lors, faute de connaissance plus approfondie, le seul terme de « tribunal » est assimilé au dépôt de bilan, à la liquidation, à la sanction, au jugement, à la présence du Procureur. Le président Pascal CLÉMENT : Et au déshonneur pour couronner le tout ! M. Jean-François BERNARDIN : Il nous semble que la nouvelle procédure de conciliation revêt un aspect par trop officiel, se rapprochant d'une procédure sanction, surtout avec la publicité qui l'entoure. Nous en percevons bien une partie des raisons techniques. Néanmoins, si, dans le cadre de la conciliation, il y a publicité du jugement et de la nomination des mandataires ad hoc, avec la présence du Procureur, je ne suis pas convaincu que cela soit de nature à créer beaucoup d'enthousiasme. Il nous semble qu'une piste de réflexion consisterait, non pas à inventer un échelon supplémentaire avec une nouvelle procédure, mais à instaurer deux phases dans le cadre de la conciliation. La première serait une phase totalement confidentielle sous la responsabilité du Président du tribunal de commerce, qui recevrait le chef d'entreprise et les principaux créanciers pour déterminer un arrangement possible. Si tel est le cas, sans qu'intervienne un privilège particulier pour les créances, l'obligation de publicité n'existe pas. On peut donc se situer dans le cadre d'une ordonnance du Président du tribunal qui se « contente » d'officialiser un accord contractuel entre les principaux créanciers et le chef d'entreprise. Si, à ce stade, on fait venir les représentants du personnel et que l'on assure la publicité du jugement, on commet vraiment une erreur psychologique. En revanche, une conciliation qui débouche sur le fait que les créanciers, s'ils acceptent la continuation immédiate de la situation, bénéficient d'un privilège de paiement par rapport aux autres créanciers, impose la publicité. On ne peut pas créer un privilège sans publicité, sans le jugement du tribunal, la présence du ministère public, et pour diverses raisons, la présence des représentants des salariés. Encore qu'en ce qui me concerne, je ne suis pas certain que, pour une entreprise de moins de dix salariés et pour un jugement de conciliation, il soit indispensable de convoquer les salariés. Le président Pascal CLÉMENT : Inutile, en effet, de les convoquer, car ils sont déjà informés ! A moins de dix salariés, on est en quelque sorte « en famille ». M. Jean-François BERNARDIN : En effet. Nous craignons, pour l'essentiel, que la procédure de conciliation, que nous jugeons positive, qui est ouverte par une démarche volontaire du chef d'entreprise, ne subisse en pratique une officialisation trop rapide au regard du souhait de la voir se populariser autant que de besoin. Son utilisation dépendra toutefois des aléas statistiques, car les entreprises connaissent des difficultés pour de multiples raisons : soit par incompétence, soit par la nature du risque, soit en conséquence de risques extérieurs à elle. Ainsi, si, du jour au lendemain, le constructeur Renault décrète qu'il ne paye plus à soixante jours, mais à quatre-vingt-dix jours, d'autres entreprises se retrouvent en difficulté. J'ai connu cela dans ma propre chambre de commerce et d'industrie il y a quelques années : suite au changement d'attitude des constructeurs automobiles, des chefs d'entreprise se sont retrouvés « étranglés ». On peut leur reprocher de n'avoir eu qu'un seul donneur d'ordres, etc. Mais, cela, c'est de la théorie. Il faut tenir compte également des aléas conjoncturels. Ainsi, si une entreprise est présente en Turquie, et que la France prend position en faveur des Arméniens, ses clients turcs interrompront leurs commandes. D'autres entreprises, enfin, sont purement et simplement condamnées, parce qu'elles sont dépassées ou ont commis trop d'erreurs. Il faut leur permettre de disparaître en limitant les dégâts. Second point technique : nous éprouvons également un petit doute sur la rédaction même du projet de loi. Il semblerait qu'entre la conciliation et le plan de sauvegarde, ce ne soit pas automatiquement le même tribunal et que l'on parle dans certains cas du tribunal départemental. Il semblerait qu'un texte réglementaire soit prévu ... Le président Pascal CLÉMENT : Le texte dit : « Un décret en Conseil d'État détermine dans chaque département le tribunal ou les tribunaux appelés à connaître de ces procédures. » À mon avis, les tribunaux visés sont les tribunaux de commerce. C'est sans doute une manière de conserver la possibilité d'en éliminer quelques-uns. M. Jean-François BERNARDIN : Comme je l'ai dit à Laurent Fabius, alors ministre des Finances : « Monsieur le Ministre, vous êtes pour la rationalisation de la carte judiciaire, mais vous défendrez quand même le tribunal d'Elbeuf. » Le président Pascal CLÉMENT : C'est probable. M. Xavier de ROUX : L'autre option de la Chancellerie consisterait à mettre en place des tribunaux de commerce spécialisés. M. Jean-François BERNARDIN : Ce n'est en tout cas pas le débat qui nous réunit aujourd'hui. Je crois que le regroupement de certains tribunaux s'impose techniquement pour élargir le cercle local en ce qui concerne les reprises d'entreprises. Mais ce n'est qu'une remarque incidente au regard du thème de travail de votre commission. Quel que soit le tribunal, il faut rechercher l'homogénéité. On ne peut imaginer qu'un tribunal soit saisi pour un plan de conciliation, qu'un autre gère le plan de sauvegarde et qu'un troisième traite le dépôt de bilan. M. Xavier de ROUX : Tel n'est pas le sens du texte. M. Jean-François BERNARDIN : Nous le pensons aussi, mais nous préférons éviter tout malentendu. Nous allons soumettre une suggestion au garde des Sceaux ainsi qu'à la représentation nationale, concernant les dispositifs amont d'information et de sensibilisation des entreprises que plusieurs chambres de commerce et d'industrie ont déjà mis en oeuvre. D'aucuns vont plus loin, comme à Rodez, où la prévention légale du tribunal se fait à la chambre de commerce par le Président du tribunal avec l'appui des techniciens de la chambre. Il existe également une demande locale qui préférerait que la démarche de prévention ne soit pas forcément confiée au président du tribunal de commerce lui-même. On est alors dans un cas un peu intermédiaire entre la prévention légale et la prévention volontaire. M. Xavier de ROUX : La procédure de sauvegarde est déjà souple. Mais c'est malgré tout le Président du tribunal qui en est le responsable. M. Jean-François BERNARDIN : J'en suis d'accord. Je dis simplement que se pose alors une question : comment former et informer les chefs d'entreprise ? C'est une bonne chose qu'existent des procédures efficaces, mais encore faut-il que les chefs d'entreprise en aient connaissance. Organiser des réunions d'information longtemps avant que ne surgissent les difficultés ne sert à rien ! Certaines chambres ont déjà expérimenté un dispositif, dénommé cellule d'information prédiagnostic et orientation. Il vise essentiellement de petites entreprises ou des tpe, qui représentent de 85 à 90 % des dépôts de bilan. Comment cela se passe-t-il pour le chef d'entreprise ? Il est effrayé, il a honte, parfois même il n'a plus de conseil, faute de pouvoir payer son comptable. Il ne peut en parler à sa femme. M. Xavier de ROUX : Il attend le dernier moment. Le président Pascal CLÉMENT : Par rapport à la situation antérieure, il existera avec le projet de texte la possibilité de suspendre les poursuites alors que tout se passe encore bien, sans incident de paiement. C'est positif, car le chef d'entreprise aura le moyen de s'en sortir avant qu'il ne soit trop tard. En revanche, l'aspect négatif résulte de ce que, à partir du moment où l'on bénéficie de cette suspension, le banquier en est évidemment informé. On peut penser que celui-ci relèvera le coût de ses concours. M. Xavier de ROUX : La difficulté est inhérente au risque. Le président Pascal CLÉMENT : Il existe pour les établissements financiers un avantage significatif, consistant à leur éviter de voir leurs créances impayées augmenter inutilement. Mais les banquiers devront opérer une véritable mutation culturelle, même s'ils ont toujours intérêt à avoir en face d'eux une entreprise susceptible de s'en sortir. M. Christophe de BOUTEILLER : Il vaut mieux récupérer une partie des créances que d'en perdre la totalité. Le président Pascal CLÉMENT : C'est un raisonnement convaincant. Le Président du tribunal peut rappeler que tout le monde connaît un jour ou l'autre des incidents de paiement, plus ou moins graves. Un ami, chef d'entreprise, m'indiquait récemment qu'il avait perdu un seul client, sur quatre-vingts. Mais celui-ci représentait 30 % de son chiffre d'affaires. Il ne sait pas encore s'il est en difficulté, mais est en train de l'évaluer. À quel bon chef d'entreprise un tel incident n'est-il jamais arrivé ? Le projet de loi, en l'occurrence, apporte des éléments de réponse intéressants, qui supposent toutefois l'accord et l'information du banquier. En général, lorsqu'on les informe, ceux-ci jouent plutôt le jeu. En revanche, ils apprécient peu d'apprendre indirectement que leur client connaît des difficultés. M. Jean-François BERNARDIN : L'intérêt des banquiers réside dans une gestion en amont des difficultés. Le président Pascal CLÉMENT : L'information ne consisterait pas à lui prodiguer un cours ex cathedra sur la faillite, mais à lui expliquer que cette formation lui sera donnée au cas où il lui arriverait une difficulté un petit peu plus exceptionnelle que les autres, de façon à pouvoir éviter la faillite. M. Jean-François BERNARDIN : Nous faisons cela en permanence. Le réseau des chambres est le seul réseau qui permette d'informer les entreprises petites ou moyennes. C'est sa nature. Le président Pascal CLÉMENT : Le Medef local ne joue pas du tout le rôle que vous jouez. M. Jean-François BERNARDIN : Faute de moyens. Le président Pascal CLÉMENT : J'ai deux structures du Medef et deux chambres de commerce dans ma circonscription - Roanne et Saint-Étienne... M. Jean-François BERNARDIN : Nous proposerons au garde des Sceaux, en complément des réunions d'information, de voir si nous ne gagnerions pas à généraliser avec nos tribunaux de commerce une pratique mise en place dans certaines circonscriptions, notamment celle de Pontoise, dont M. Philippe Houillon pourrait vous parler. Celle-ci consiste à mettre un président honoraire de tribunal de commerce à la disposition des chefs d'entreprise, avec un secrétariat. C'est donc la chambre de commerce, établissement public, dans ses locaux, qui intervient alors... Le président Pascal CLÉMENT : À Rodez et à Montluçon, avez-vous les moyens de faire la même chose ? M. Henri MAZET : Pour Montluçon, c'est plus informel. M. Jean-François BERNARDIN : Cela ne coûte pas grand-chose. Les chambres ne sont pas des conseillers intéressés, mais des établissements publics. Nulle nécessité d'avoir un avocat, de payer ses honoraires, d'autant que certains n'ont pas les moyens de payer. Nous, nous disons aux gens de venir nous voir, l'entrevue est confidentielle, il s'agit de rencontrer un praticien consulaire. Les chefs d'entreprise ne se sentent pas entre les mains d'un juge... M. Xavier de ROUX : Mais seulement d'un juge consulaire honoraire ? M. Jean-François BERNARDIN : Tout à fait. Il n'est plus en activité. Il établit un diagnostic rapide, conseille au chef d'entreprise d'aller voir son banquier, ou, considérant que c'est plus sérieux, lui conseille la conciliation, l'informe des procédures, des risques, de la bonne façon de gérer ses difficultés. Cela fonctionne dans un certain nombre de chambres. Nous allons élaborer une préconisation, si le garde des Sceaux le souhaite, en liaison avec la Conférence générale des tribunaux de commerce pour qu'il n'y ait pas de confusion avec le rôle légal de prévention, qui appartient au président du tribunal de commerce. Le président Pascal CLÉMENT : Je vous y encourage. Proposer de rencontrer un ancien juge consulaire à la Chambre de commerce, pour avoir un avis dans un endroit neutre, plutôt que d'aller au tribunal de commerce - ce qui, psychologiquement, peut se révéler un réel effort - me paraît une excellente idée ! M. Jean-François BERNARDIN : Il est vrai qu'il n'y a pas alors d'effet d'entraînement à craindre, alors que si je prends rendez-vous avec le président du Tribunal, je ne sais pas toujours ce qu'il adviendra ensuite. Le président Pascal CLÉMENT : C'est une très bonne idée, d'autant que tout le monde se connaît dans nos petites villes de province. Cela permettra au juge à la retraite de téléphoner au président du tribunal pour organiser un rendez-vous et ainsi de « dédramatiser » la situation. Parallèlement, il convient de conseiller au chef d'entreprise d'informer son banquier. M. Christophe de BOUTEILLER : Les Chambres travaillent avec les banquiers. Ils sont au courant. Une confiance réciproque préside à leurs relations. M. Jean-François BERNARDIN : Il faut intervenir avant que les signes extérieurs soient manifestes. C'est toute la difficulté de la prévention légale. Sur un autre point, figure dans le projet de loi le renforcement des sanctions en cas d'absence de dépôt des comptes d'exploitation. C'est une question un peu difficile. Je suis favorable à ce que l'on respecte les obligations quand il y en a. Il faut bien par conséquent qu'il y ait une sanction. M. Xavier de ROUX : Certains dirigeants préfèrent payer. M. Jean-François BERNARDIN : Pour ma part, j'ai toujours déposé mes comptes et je continue à les déposer. J'appelle cependant l'attention sur un argument important pour nos ressortissants. Lorsque je suis en concurrence avec des industriels allemands, je ne vois pas pourquoi je devrais leur fournir tous mes renseignements financiers et comptables, alors que, de leur côté, ils ne m'en fournissent aucun ! Il faut y réfléchir dans le cadre de l'harmonisation européenne, car il n'y a pas de justification du dépôt pour le commerçant de base, pour les industriels... d'autant que l'on a déjà déposé les comptes, les annexes, etc. Le président Pascal CLÉMENT : Quelle solution voyez-vous à cette difficulté réelle ? M. Jean-François BERNARDIN : Je ne suis pas certain que la loi pourrait en faire une obligation pour certaines catégories d'entreprises et non pour d'autres. On peut difficilement légiférer par catégorie. Le président Pascal CLÉMENT : Il ne s'agirait plus de la loi, mais d'un texte réglementaire. M. Jean-François BERNARDIN : Sur ce point, je n'ai pas la solution. Par ailleurs, quand les difficultés commencent à être perçues dans les comptes, c'est qu'il est déjà très tard. M. Xavier de ROUX : C'est en effet une vraie difficulté. Certaines entreprises ne déposent pas leurs comptes pour des raisons de difficultés de paiement, mais aussi vis-à-vis de la concurrence. Afin que celle-ci n'ait pas accès à leurs comptes, ils préfèrent payer une amende limitée. M. Jean-François BERNARDIN : De la même façon que certains ne veulent pas donner leurs comptes à leurs employés. L'exigence de transparence des comptes, des rémunérations et des salaires est aussi un moyen de faire évoluer les choses en France. La transparence totale est cependant encore difficile à atteindre parce que les gens perçoivent l'argent comme un tabou. Le Président Pascal CLÉMENT : En effet, en France, notre relation à l'argent n'est pas claire. Mais tant que l'on maintiendra le secret, les gens n'aimeront pas le libéralisme ! La transparence est particulièrement absente dans les toutes petites entreprises provinciales. M. Jean-François BERNARDIN : En même temps, il est très difficile d'annoncer des salaires bruts avant impôts, avant prélèvements, avant isf... Il faudrait pouvoir parler de salaires nets après impôts et après prestations. M. Xavier de ROUX : La coexistence de la procédure de sauvegarde et de la procédure de redressement vous semble-t-elle utile, cohérente ? M. Henri MAZET : Elle est intéressante en ce qu'elle permet la cessation des poursuites sans tomber nécessairement dans le redressement. M. Xavier de ROUX : Et entre la sauvegarde et le redressement judiciaire ? Nous avons en effet quatre procédures différentes. M. Jean-François BERNARDIN : Je crois qu'il est préférable d'expérimenter et d'examiner comment ces quatre procédures ou étapes s'articuleront. Si l'une d'entre elles s'avérait inutile, on pourrait alors la supprimer. Mais il me semblerait excessif de la supprimer avant de l'avoir expérimentée. M. Henri MAZET : Un de mes collègues du tribunal de commerce de Montluçon m'a indiqué que s'il avait pu bénéficier de ces dispositions, - conciliation ou sauvegarde -, il aurait pu sauver plusieurs entreprises. Le président Pascal CLÉMENT : Que pensez-vous du basculement des plans de cession de la procédure de redressement judiciaire vers la liquidation ? D'aucuns le critiquent. Les administrateurs judiciaires connaissent pourtant bien cette procédure dans le cadre du redressement alors que dans celui de la liquidation, il s'agit de tout autre chose. M. Jean-François BERNARDIN : Cela nous a échappé, nous n'avons pas a priori d'opinion. Après avoir étudié ce point, nous pourrons vous adresser une note si vous le souhaitez. M. Xavier de ROUX : Actuellement, dans le cadre du redressement judiciaire, l'administrateur peut réaliser des cessions d'actifs. En revanche, dans le cadre de la future politique de redressement, il ne le pourra plus, si ce n'est uniquement pour les dossiers de liquidation globale. Certaines personnes font cependant observer que si l'entreprise en difficulté ne peut plus céder des éléments d'actifs pendant la période de redressement, elle ne s'en sortira jamais. M. Jean-François BERNARDIN : Cela rappelle de nombreuses critiques qui ont été formulées à propos de cessions plus ou moins bien négociées. M. Xavier de ROUX : En effet. M. Jean-François BERNARDIN : On a beaucoup entendu parler des tribunaux de commerce ; en réalité, quand on critiquait les tribunaux, souvent, on critiquait les administrateurs... M. Xavier de ROUX : ...et les cessions d'actifs ! M. Jean-François BERNARDIN : Une remarque connexe au texte : les critiques portées à l'encontre des tribunaux et des procédures se sont multipliées à partir du moment où l'on a fait entrer dans les plans de redressement des critères d'appréciation qui n'étaient plus strictement mathématiques. En particulier, dans l'évaluation des plans de reprise, figure un grand nombre de critères, dont la sauvegarde présumée de l'emploi, au sujet de laquelle on peut écrire tout et n'importe quoi. Ex ante, personne ne peut vérifier le sérieux des propositions ; ex post, tout le monde critique en invoquant l'évidence, alors que rien n'est évident, car on confond le jugement a posteriori et le jugement a priori. Ce faisant, je ne suis pas sûr que l'on ait amélioré ni la santé du système ni la sauvegarde de l'emploi sur la durée. Si l'on dressait par exemple le bilan de Moulinex, de plan en plan, est-on si sûr qu'une fermeture plus rapide n'aurait pas, en réalité, préservé plus d'emplois ? Le président Pascal CLÉMENT : La mathématique et l'humain sont deux domaines distincts. On gère des hommes avant de gérer des chiffres. M. Jean-François BERNARDIN : C'est vrai. Comme pour nos concours d'entrée dans les écoles de gestion, tant que l'on se contentait de critères mathématiques rationnels, ces concours n'étaient peut-être pas intelligents, mais l'on savait si le postulant avait donné ou non la bonne réponse. Dès lors que l'on se place sur le terrain de l'évaluation psychologique des candidats par des tests, l'appréciation personnelle devient essentielle et par définition critiquable. Audition de Mmes Ariane OBOLENSKY, (procès-verbal de la séance du mercredi 2 juin 2004) Le président Pascal CLÉMENT : Madame Obolensky, je vous souhaite la bienvenue. Avant d'occuper votre actuelle fonction de présidente de la Fédération bancaire française, vous étiez présidente du directoire de la bdpme - la banque de développement des pme - depuis 1999, ce qui vous confère une qualité supplémentaire pour aborder devant la mission la problématique générale du droit des entreprises en difficultés. Tout le monde sait que cette situation concerne le plus souvent les entreprises de taille petite ou moyenne, plutôt que les groupes, dont les défaillances sont plus rares mêmes si elles ne sont pas inexistantes. Par ailleurs, votre ancienne fonction de vice-présidente de la Banque européenne d'investissements vous donne également une expérience internationale qui enrichira encore, sans aucun doute, votre présentation liminaire et, si vous le permettez, les réponses aux questions qui suivront. Mme Ariane OBOLENSKY : Merci, Monsieur le Président. Je m'exprimerai essentiellement au nom de la Fédération bancaire française. Toutefois, je ne m'interdirai pas, avec votre permission, un certain nombre de considérations personnelles liées à mon expérience et à mon parcours. En revanche, et malheureusement, l'expérience que j'ai acquise à la Banque européenne d'investissements ne m'aura en réalité pas vraiment permis de constater autre chose que l'absence totale d'unification, ou même de rapprochement, des systèmes juridiques européens en matière de droit de la faillite et de systèmes de créances. Je considère d'ailleurs qu'à l'heure actuelle, il s'agit d'un obstacle important à une intégration, au niveau du marché intérieur, des services financiers ; probablement peut-être aussi au niveau du développement du commerce intra-européen. Faire faillite en France et en Allemagne ne se fait ni suivant les mêmes modalités ni avec les mêmes conséquences : cela exclut donc totalement les comparaisons. En ce qui concerne le projet de loi, mon expérience à la bdpme et le sentiment de la Fédération bancaire française se rejoignent : il est important de faire des progrès en France, dans le domaine de la prévention des crises qui touchent les entreprises. La précédente loi avait déjà marqué un premier progrès ; néanmoins, il est resté, dans les faits, modeste. Nous sommes demeurés à un pourcentage hélas trop élevé d'entreprises qui n'ont pu être sauvées suffisamment tôt. Nous considérons donc d'intérêt général de progresser dans ce domaine, et, à ce titre, je souscris complètement aux objectifs du projet de loi. Le texte actuel, par rapport à ce qu'il était la première fois que nous l'avons lu, nous convient davantage et marque des progrès dans le sens d'une meilleure prévention des accidents de parcours des entreprises. Les banques - et vous avez bien voulu rappeler que j'avais une certaine expérience du financement des pme -, lorsqu'elles examinent un projet de financement, tiennent compte de plusieurs éléments : la situation financière de l'entreprise ; la viabilité intrinsèque du projet ; l'ensemble des garanties et sûretés dont peuvent disposer les banquiers, puisqu'il est important pour une banque de savoir si, en cas d'accident, elle sera en état de récupérer quelque chose - ce qui influence à la fois sa décision et le coût du crédit consenti. Ce dernier élément est essentiel, car il est directement lié au volume de crédits consentis aux pme. Ce qui veut dire que plus on souhaite que le tissu de pme soit irrigué en crédits, plus il est nécessaire de trouver un système dans lequel le banquier ait un dialogue approfondi avec son client et l'ensemble des autres personnes intéressées à la situation de l'entreprise. C'est la raison pour laquelle, en ce qui nous concerne, nous avions souhaité deux grandes orientations dans ce texte. D'abord, la sécurisation, pour nous, de ce que l'on appelle la conciliation. Ensuite, l'introduction d'un dialogue entre les créanciers, l'entreprise et les différentes parties intéressées dans le cadre d'une procédure de sauvegarde. De ce point de vue, nous considérons, même si nous ne sommes pas d'accord avec toutes les propositions qui sont faites, qu'il y a un réel progrès. Nous pensons en effet que si l'on souhaite faciliter le maintien en vie de l'entreprise, il est essentiel que banques et entreprises marchent dans le même sens, il est essentiel que l'entreprise continue à bénéficier de la confiance de ses banquiers, il est essentiel que le banquier ait confiance dans la situation dans laquelle il se trouve placé - qu'il n'ait pas de craintes au regard des actes qu'il est amené à effectuer vis-à-vis d'une entreprise qui se trouve en difficulté, qu'il n'ait pas de poursuites à craindre. Élément qui a souvent freiné, il faut bien le dire, la participation des banquiers à des plans au profit d'entreprises en difficulté. Nous aurions aimé que ce texte puisse aller encore plus loin sur cet aspect. Et d'une manière plus générale, nous aurions souhaité que ce texte marque un progrès dans le sens d'une déjudiciarisation de l'ensemble du système. Nous avons plaidé en ce sens, nous avons l'impression d'avoir été entendus partiellement, puisque, notamment dans le cadre de la sauvegarde - ce fameux « chapitre 11 » à la française -, ont été introduits des comités de créanciers qui n'existaient pas, de sorte que s'instaure un dialogue responsable. Il est souhaitable que les décisions puissent être prises, dans ces comités, à la majorité qualifiée, afin que s'impose une certaine discipline au sein des créanciers. Nous avons donc été, en partie, entendus, même si nous aurions souhaité l'être davantage sur certains points ; par exemple, nous aurions aimé que cette procédure puisse être déclenchée, non pas seulement par le débiteur, mais également par le créancier. Cependant, nous considérons que ce texte est un véritable progrès. Toutefois, ce progrès ne sera réel que si - et vous avez mis le doigt, Monsieur le Président, sur un sujet qui me tient à cœur, mais c'est également la position de la Fédération bancaire française - cette procédure est applicable aux pme ; il serait en effet dommage que cette procédure ne s'applique qu'aux grandes entreprises. A ce sujet, soyons tout à fait honnêtes - nous avons vu le cas Alstom récemment -, quand une entreprise est vraiment très importante, ses dettes sont tellement élevées que le dialogue est obligatoire ; personne ne peut y échapper. En revanche, dans une petite entreprise, les choses ne se présentent pas de la même façon ; il est donc essentiel qu'il y ait une véritable implication, une responsabilisation de l'ensemble des acteurs. C'est la raison pour laquelle je crois très profondément que ce texte doit s'appliquer aux PME. Il serait bon que, soit dans le texte de loi, soit dans l'exposé des motifs, cela soit explicitement inscrit. Or ce n'est pas le cas, puisqu'il est prévu un renvoi à un décret. La question qui se pose alors est la suivante : qu'est-ce une pme ? Bien entendu, je ne vais pas exiger que ce texte s'applique à l'entrepreneur individuel. Cependant, il devrait sans doute s'appliquer au moins aux entreprises de 20 personnes, qui sont nombreuses et importantes pour le tissu économique français. Il a été dit quelquefois que cette procédure était très longue, très lourde et très coûteuse. Mais il existe des moyens de faire en sorte qu'elle ne le soit pas ; peut-être serait-il nécessaire de réfléchir à une procédure allégée. Mais il serait dommage de priver les pme d'une avancée ; tout ce qui est de nature à rendre plus solidaires les banques et les entreprises dans les phases de prévention est un atout extraordinaire pour la stabilité des entreprises. Telle est mon introduction, Monsieur le Président, pour vous dire comment nous percevons cette loi. Nous avons le sentiment, après une longue concertation avec la Chancellerie - à qui je rends hommage -, ainsi qu'avec le ministère des Finances, qu'il convenait d'être plus ambitieux ; nous aurions souhaité qu'elle aille davantage vers un dialogue entre les parties pour sortir d'un système qui nous paraît encore très judiciaire, dans un certain nombre de cas. L'état de la société française, nos habitudes, notre système de droit sont tels qu'il était peut-être difficile d'aller plus loin. Toutefois, nous réalisons que ce texte est un progrès, c'est la raison pour laquelle je dirai, malgré les réserves que nous formulons sur certains points, que nous souhaitons qu'il aboutisse. Le président Pascal CLÉMENT : Je vous remercie. Vous nous dites souhaiter que la procédure de sauvegarde puisse être déclenchée par le banquier, le créancier. Mais vous voyez bien la difficulté de l'exercice ! De peur de perdre beaucoup d'argent, il risque de déclencher la procédure le plus rapidement possible ! Par ailleurs, cela menacerait la liberté du chef d'entreprise, qui serait complètement « tenu » par le banquier. Un chef d'entreprise est en relation quotidienne avec son banquier, or cela aurait des conséquences considérables sur son état d'esprit. Et comment pensez-vous que réagiront les banquiers quand la procédure de sauvegarde sera déclenchée par le chef d'entreprise ? Pour ma part, je pense qu'ils restreindront les crédits et que, par conséquent, les difficultés vont se précipiter. Mme Ariane OBOLENSKY : C'est une question de philosophie : on croit ou on ne croit pas au dialogue. Personnellement je crois au dialogue et je pense sincèrement que plus tôt la procédure sera déclenchée, plus responsables seront les parties, et plus engageant sera l'avenir. Le président Pascal CLÉMENT : Certes, mais je m'interroge sur la culture bancaire française ! Mme Ariane OBOLENSKY : Mais c'est au nom de la culture bancaire française que je vous réponds ! Si nous souhaitons faire de la prévention, il faut donner une chance aux parties de s'entendre. Si nous pensons qu'ils ne veulent pas ou ne peuvent pas s'entendre, nous sommes mal partis ! Car cet exercice doit reposer sur la confiance. Monsieur le Président, l'intérêt d'un banquier n'est pas que son client meurt ; au contraire, il est de garder ses clients en bonne santé ! Le président Pascal CLÉMENT : Certes, mais l'intérêt d'un banquier, c'est aussi de ne pas perdre de l'argent, et l'agence moyenne de province, au premier incident de paiement, aurait tendance à se retirer. Mme Ariane OBOLENSKY : C'est pour cette raison que le projet de loi a été élaboré : pour sécuriser la banque quand elle veut bien entrer dans un dialogue. C'est justement le progrès de ce projet de loi. Le président Pascal CLÉMENT : Vous nous dites que cela peut marcher si tout le monde est de bonne foi. Mais êtes-vous sûre que toutes les personnes sont de bonne foi ? Mme Ariane OBOLENSKY : Des personnes de mauvaise foi, il y en a partout ; j'en ai rencontrées ! Le président Pascal CLÉMENT : Sur un autre point, sont prévus deux comités : l'un des créanciers, l'autre des fournisseurs. Certains protestent, car il n'y a pas de comité public. Ils souhaiteraient une autre séparation : d'une part, les créanciers prioritaires, et, d'autre part, les créanciers chirographaires. Comment voyez-vous les choses ? Mme Ariane OBOLENSKY : Je n'ai pas d'opinion très arrêtée, à ce sujet. En ce qui concerne les très petites entreprises, en tout cas, il faut faire simple : prendre les deux ou trois plus gros créanciers. C'est tout. Le président Pascal CLÉMENT : Dont l'urssaf. Mme Ariane OBOLENSKY : Pas toujours, non. Le président Pascal CLÉMENT : Que se passe-t-il quand le plus gros créancier est l'urssaf ? Mme Ariane OBOLENSKY : La solution serait que les choses soient banalisées, comme dans de nombreux pays étrangers... Le président Pascal CLÉMENT : ... qu'il n'y ait donc plus de créanciers privilégiés. Mme Ariane OBOLENSKY : Si l'on veut se situer dans une logique complète de vrai dialogue et de mise à plat de la situation financière de l'entreprise - et vous avez raison, c'est souvent l'urssaf le plus gros créancier -, il faudrait aller plus loin dans la logique de l'égalité entre les créanciers. Cela fait partie des progrès à réaliser. Il s'agit d'un sujet que nous avons soulevé auprès du ministre des Finances. Il lui appartiendra de donner sa réponse à la représentation nationale. Le président Pascal CLÉMENT : Revenons sur ma précédente question : quand la procédure sera déclenchée par le chef d'entreprise, quelle sera, selon vous, la réaction du banquier ? Mme Ariane OBOLENSKY : Il y a plusieurs cas. Le premier, je l'écarte tout de suite : celui où le déclenchement de la procédure sera jugée comme étant abusif. La loi, de ce point de vue là, confère au chef d'entreprise un avantage incontestable : il peut mettre à l'abri, non seulement son entreprise, mais ses biens propres. Des cautions peuvent être « gelées ». Dieu merci, la plupart des personnes sont honnêtes, mais d'autres le sont moins. Alors il est clair que la réaction du banquier, s'il a le sentiment que le chef d'entreprise est en train de se mettre à l'abri par rapport à ses propres obligations, ne sera pas positive. Dans ce cas, la confiance sera donc mise à mal. En revanche, si un chef d'entreprise estime qu'il est en difficulté et qu'il a besoin qu'un dialogue s'instaure avec ses créanciers, qu'il a besoin de protéger l'entreprise pendant un certain temps, compte tenu des dispositions qui sont dans ce projet de loi, nous estimons que cela vaut la peine d'essayer. En effet, dans de nombreux cas, on peut espérer que s'instaurera un dialogue satisfaisant entre le chef d'entreprise et le créancier. Vous avez dit tout à l'heure, Monsieur le Président, que le banquier était le premier informé : ce n'est pas toujours le cas. Lorsque j'étais à la bdpme, j'ai constaté que cet organisme, qui ne tient pas les comptes courants, était loin d'être bien informé ! Le président Pascal CLÉMENT : Parce que vous ne teniez pas les comptes, mais le banquier traditionnel, lui, est informé - notamment le banquier principal de l'entreprise. Par ailleurs, vous semblez craindre ce problème de soutien abusif ; c'est pourtant assez rare ! Mme Ariane OBOLENSKY : Soyons clairs : ce qui nuit au financement des pme et à la pérennité des entreprises, c'est bien cela ! Qui n'existe nulle part ailleurs ! Le président Pascal CLÉMENT : Mais cela va rarement jusqu'au bout. Mme Ariane OBOLENSKY : Peu importe, Monsieur le Président, pas un directeur de banque ne prendra ce risque. Le président Pascal CLÉMENT : Mais vous, vous augmentez beaucoup la réalité du risque ! Mme Ariane OBOLENSKY : Je ne sais si on l'augmente ou pas, mais les comportements des personnes sont ce qu'ils sont. M. Philippe HOUILLON : Les banques françaises sont plutôt des prêteurs sur gages. Mme Ariane OBOLENSKY : Ce n'est pas infamant d'être prêteur sur gages ! M. Philippe HOUILLON : Non, pas du tout, c'est un constat ! L'habitude des banques françaises n'est, en tout cas, pas celle d'un investisseur en capital-risque ! Mme Ariane OBOLENSKY : Aucune banque ne fait de capital-risque ! M. Philippe HOUILLON: L'habitude des banques françaises est de ne prêter un euro que si elles ont un euro - voire deux ou trois - de garantie ! Mme Ariane OBOLENSKY : Toute mon expérience ne peut rien faire contre une telle conviction, monsieur le député ! M. Philippe HOUILLON: Et toute la mienne confirme ce que je vous dis ! Le financement des entreprises est un autre sujet, mais il y a très peu de cas de soutien abusif ! Mme Ariane OBOLENSKY : Je pense que vous avez tort. Je vous suggère de recevoir mon successeur à la BDPME, peut-être le croirez-vous davantage que moi ! M. Philippe HOUILLON : Je maintiens ma position, mais le problème n'est pas là. J'ai deux questions à vous poser, Madame. En premier lieu, vous avez dit qu'il convenait d'aller plus loin dans la déjudiciarisation. Pouvez-vous préciser votre pensée ? Deuxièmement, en général, le point de bascule est la date de la cessation de paiements ; cette notion doit-elle ou pas être maintenue en l'état ? Mme Ariane OBOLENSKY : En ce qui concerne la première question, nous aurions souhaité, pour l'ensemble du tissu français, avoir un système où les parties arrivent davantage à s'entendre et à prendre des décisions sans que pour autant l'on aboutisse nécessairement à l'intervention du juge - qui, en France est le plus souvent en position d'imposer sa solution. L'intervention systématique du juge n'est pas une bonne incitation à ce que les parties se mettent d'accord ; au contraire, elle fausse le dialogue. Que va-t-il se passer en matière de sauvegarde si les créanciers n'arrivent pas à se mettre d'accord avec le débiteur ? C'est le texte actuellement en vigueur qui s'appliquera ; est-il alors vraiment nécessaire d'élaborer un nouveau texte ? Nous regrettons que l'on n'ait pas pu faire un pas en avant dans un sens qui nous paraît plus judicieux. Cependant, nous considérons que l'équilibre de ce texte est meilleur que celui du droit en vigueur, qu'il permet une avancée, qu'il tente de réduire le taux d'incidents qui se terminent mal pour les entreprises. Il va donc plutôt dans le bon sens. Mme Annie BAC : Quant à votre seconde question sur l'intérêt de modifier ou non la notion de cessation des paiements, nous avons tendance à penser que les options retenues dans le projet de loi en relativisent beaucoup l'importance, puisqu'il serait désormais possible d'utiliser la procédure de conciliation alors que l'entreprise est déjà en cessation de paiements, ou, à l'inverse, de recourir à une procédure judiciaire avec suspension des poursuites sans que l'entreprise soit en cessation de paiements. Ce qui devrait demeurer, en revanche, c'est l'obligation de réagir pour le chef d'entreprise lorsqu'il y a cessation de paiements ; selon le projet, il devrait dans les 45 jours, demander soit une conciliation, soit une procédure de redressement judiciaire. Mais le fait que la cessation des paiements ait perdu son rôle « charnière » pour distinguer les solutions contractuelles des solutions judiciaires, devrait permettre d'aboutir plus souvent à des négociations entre le débiteur et ses créanciers. Le président Pascal CLÉMENT : Que voulez-vous dire par là ? Mme Annie BAC : Même après cessation des paiements, la conciliation resterait possible. Avant, existait l'effet couperet de la cessation des paiements. Lorsqu'une entreprise était en état de cessation de paiements, elle ne pouvait plus engager de dialogue avec ses créanciers. Le texte proposé permettrait encore de le faire. M. Philippe HOUILLON : Avec information du procureur de la République. Mme Annie BAC : Il s'agit tout de même d'une procédure amiable, ce qui est essentiel pour l'entreprise. M. Philippe HOUILLON: Si l'on va vers une déjudiciarisation, quid de la « greffe » de cette notion de date de cessation de paiements sur la possibilité d'ouvrir un dialogue, alors même que l'on ne sait pas si l'entreprise est oui ou non en cessation de paiements, puisqu'il n'y a pas le constat qui existe avec la conciliation. La ligne essentielle du texte sur la conciliation consiste à dire que l'on peut saisir le tribunal de commerce en cas de difficultés prévisibles ; il s'agit d'un véritable progrès puisque c'est un pas vers la prévention - avec plus de pédagogie, on peut intervenir plus en amont. Car il est vrai que la justice inquiète beaucoup les chefs d'entreprise. En revanche, avec la sauvegarde, il ne faut pas être en cessation de paiements. Alors comment peut-on rendre compatible ce maintien de la notion de cessation de paiements - et la nécessité consubstantielle de faire quelque chose pour ne pas aggraver la situation de l'entreprise - avec une déjudiciarisation ? Car l'état de cessation de paiements se concrétise, à un moment donné, par une date, qui va avoir des conséquences, y compris en termes de sanctions éventuelles pour le chef d'entreprise. Mme Ariane OBOLENSKY : Il y aura en premier lieu un dialogue, et si celui-ci échoue, ou si est intervenu un autre élément qui aggrave la situation de l'entreprise, on retrouve alors le droit commun actuel. Mme Annie BAC : En effet, même si une procédure de sauvegarde est ouverte, à partir du moment où l'on constate que l'entreprise est en cessation de paiements, elle devrait basculer dans la procédure de redressement judiciaire. M. Philippe HOUILLON : L'ancien système, qui est maintenu, du mandataire ad hoc ne répond-il pas à cette question ? Mme Annie BAC : Rien n'empêche le débiteur de préférer à la conciliation ou à la sauvegarde le mandat ad hoc, qui a d'autres avantages, mais également d'autres inconvénients. M. Philippe HOUILLON : Cela supposait que l'entreprise ne soit pas en état de cessation des paiements. C'était donc une sorte de parapluie. Mme Ariane OBOLENSKY : Il serait dommage que la procédure du mandat ad hoc en pâtisse. L'existence d'une procédure de mandat ad hoc peut faciliter le dialogue - j'en ai des expériences très positives. Je ne pense pas pour autant que cette procédure soit de nature à remplacer la procédure organisant le dialogue des créanciers. La procédure de dialogue entre créanciers et débiteur est rattachée, dans ce projet de loi, à un chapitre particulier. Mme Annie BAC : Le texte prévoit aussi une certaine judiciarisation de la procédure de conciliation... M. Philippe HOUILLON : C'est tout l'effort de ce texte. Car qu'est-ce qui fonctionne en pratique ? C'est quand on prend le problème le plus en amont possible, quand les discussions demeurent aussi confidentielles que possible, et que l'on ne craint pas la justice. Tout le reste, c'est de la littérature. Il convient donc d'aller dans ce sens et ce texte y contribue. Il faut également faire de la pédagogie : la loi ne changera pas à elle seule les habitudes des chefs d'entreprise. Ils sont en général caution sur leurs biens propres, leur entreprise est leur outil de travail, et dès qu'ils sont en difficulté, leur culture les conduit à penser qu'ils vont avoir l'occasion de « se refaire » . Et ils ont vraiment peur de l'appareil judiciaire. Mme Ariane OBOLENSKY : L'avantage de ce texte, c'est qu'il a essayé de faire en sorte que les relations se décrispent, avec toutes les limites que l'on peut y voir : on ne peut jamais exclure que les uns continuent à avoir peur de certaines choses, les autres d'autres choses, et que l'ensemble ne fonctionne pas. Mais j'aurais tendance à dire : essayons ! Cela vaut la peine, même si l'on ne sauve que 10 ou 15 % des entreprises en difficulté de plus qu'aujourd'hui. Le président Pascal CLÉMENT : Nous sommes tous convaincus que le texte n'est pas satisfaisant. Mais il fait un véritable pari sur la confiance. Or j'ai de sérieux doutes en la matière. M. Pierre CARDO : Vous avez fait allusion au soutien abusif, qui expliquerait la réticence des banques à accorder des crédits aux entreprises en situation devenue difficile. Cette réticence existe aussi bien lors de la création de l'entreprise que pendant son activité. La frilosité des banques n'est donc pas due uniquement à la crainte d'être sanctionnées au titre d'un soutien abusif - même si celle-ci peut avoir des effets réels. Mme Ariane OBOLENSKY : Je ne le crois vraiment pas. En matière de financement il y a deux rôles : investisseur et prêteur. Or il se trouve que dans d'autres pays européens, le rôle de l'investisseur est beaucoup plus développé qu'en France. Mais je ne connais aucun pays européen où le rôle de l'investisseur et du prêteur soit confondu et conduise à ce que les banques interviennent en capital-risque : prendre des risques en capital n'est pas le métier du banquier. Son métier est de rendre aux déposants l'argent qu'ils lui ont confié. Alors que l'investisseur table sur une forte rentabilité qui justifie d'accepter d'éventuelles pertes importantes. Le problème de l'entreprise, en France - et ailleurs, car le problème des fonds propres des PME se pose partout - tient à ce qu'il y ait moins d'investisseurs que dans d'autres pays. M. Pierre CARDO : On pourrait en parler longuement, et je suis plutôt du côté des chefs d'entreprise à ce sujet ! Quand les banques prêtent de l'argent, elles demandent non pas des projets bien construits, mais des garanties. Mais c'est un autre problème. Vous avez réclamé le droit pour les créanciers de déclencher eux-mêmes la procédure de prévention. Si je comprends bien, vous souhaitez qu'ils aient ce droit car de nombreux entrepreneurs - notamment pour de petites entreprises - ont des réticences à la déclencher, espérant toujours réussir à redresser l'entreprise, jusqu'à engager leur propre responsabilité civile. Vous pensez donc qu'il serait souhaitable que la banque puisse alerter elle-même. Mme Ariane OBOLENSKY : Je dis simplement qu'il m'aurait paru plus normal et plus équilibré - puisque le chef d'entreprise peut avoir recours à cette procédure - que les créanciers puissent bénéficier également de ce même droit. Maintenant, qu'il soit encadré, cela me paraît évident, et ce pour le bien de tous. J'ajoute, d'un point de vue bancaire, que très souvent l'entreprise fait appel à plusieurs banques. Or il peut être tout à fait opérationnel et efficace que le banquier principal, qui n'est pas très sûr de l'attitude des autres banques quant au soutien qu'elles apporteront à cette entreprise, sollicite l'ouverture d'une telle procédure de manière à ce que la question soit débattue, et qu'il puisse ainsi plus aisément « embarquer » ses collègues dans « l'aventure ». M. Pierre CARDO : Pensez-vous que la loi puisse encadrer cette possibilité ? Mme Ariane OBOLENSKY : Je trouverais normal qu'un critère soit déterminé afin de ne pas autoriser n'importe quel créancier à déclencher la procédure. Le président Pascal CLÉMENT : Pouvez-vous nous dire un mot sur le droit allemand des faillites ? Mme Ariane OBOLENSKY : Le droit allemand est fait de telle manière que la faillite est très rare. En réalité, la banque a intérêt à ce que l'entreprise soit maintenue le plus longtemps possible en vie, même si c'est de manière artificielle. Le nombre de défaillances d'entreprises, calculé par générations d'entreprises créées, est étonnamment faible en Allemagne par rapport à ce qu'il est en France. En fait, les procédures sont organisées de telle manière que l'on maintient des sociétés quasiment en sommeil. Mais aujourd'hui, l'Allemagne en paie un peu le prix, car le bilan des banques allemandes en a été affecté. Et comme celles-ci sont en train d'être soumises à des réglementations prudentielles et à des pressions concurrentielles, elles rencontrent des problèmes pour faire sortir de leur bilan un certain nombre de créances qui sont de mauvaise qualité. Il existe d'ailleurs un organisme financier d'État qui présente des points communs avec la Caisse des dépôts et consignations ou ce qu'était autrefois le Crédit national, qui récupère ces créances sur son bilan, avec un mécanisme qui a été approuvé par Bruxelles. Le président Pascal CLÉMENT : Mais qui finance ces rachats ? Mme Ariane OBOLENSKY : Beaucoup de mécanismes bénéficient de garanties d'État. Il faut relever, à cet égard, que les interventions de l'État dans le financement des pme sont beaucoup plus faibles en France que dans d'autres pays, à l'instar de l'Allemagne, qui disposent de mécanismes de prise en charge. Le président Pascal CLÉMENT : C'est leur social-démocratie, sans doute... Mme Ariane OBOLENSKY : Je pense que c'est essentiellement lié au droit des faillites ainsi qu'au système de la Haus Bank, qui suit l'entreprise et qui peut même en être actionnaire, du moins pour les petites entreprises. De plus, les banques qui prêtent de l'argent à ces entreprises sont essentiellement publiques. Le système bancaire allemand est très largement public : les trois grandes banques privées que l'on connaît ne prennent que 12 ou 13 % du marché. Le reste du marché est assuré notamment par les caisses d'épargne et les Landesbanken. Le système est donc très majoritairement public, mais de manière discrète, car il est public, au niveau des Länder, et non à celui de l'État. Pourtant, c'est bien l'ensemble du dispositif public qui bénéficie indirectement de la garantie de l'État, puisque tous les Länder sont considérés par la loi fondamentale allemande comme équivalents du Bund. A l'heure actuelle, du fait de ces mauvaises créances, est apparue une sorte de credit crunch à l'égard des pme allemandes. Ce n'est donc pas nécessairement un système à copier aveuglément, car s'il a présenté des avantages certains, il recèle maintenant de graves inconvénients. Le président Pascal CLÉMENT : Il a cependant évité des crises pendant de nombreuses années. Mme Ariane OBOLENSKY : Oui, et notamment la crise d'il y a dix ans. Mais maintenant, à l'instar du phénomène japonais, les « mauvais papiers collent », selon l'expression commune, et les banques ont tendance à ne plus prêter d'argent. Les Allemands envisagent donc de reconsidérer leur système financier, si différent de celui des autres pays européens. Le président Pascal CLÉMENT : Les pays de l'Est s'orientent-ils vers un système de cette nature ? Mme Ariane OBOLENSKY : J'ai récemment reçu mes homologues polonais. A la toute fin de notre discussion, ils m'ont demandé à quoi servait un système bancaire national ! En fait, nous nous sommes aperçus qu'il ne restait que 10 % de part de marché sous contrôle polonais. Tout le reste est sous contrôle étranger - Français, Allemands, Autrichiens - qui ont reconstitué leur empire -, Italiens, Néerlandais. Le Crédit Agricole vient également de faire une acquisition importante en Pologne. Je ne sais donc pas quel type de système ils vont développer, mais certainement pas un système national autonome, puisque toutes les banques sont étrangères ! Le président Pascal CLÉMENT : Que penser de nos grandes banques ? Mme Ariane OBOLENSKY : En réalité, elles sont, à l'échelle internationale, de taille plus limitée qu'on ne le croit. Notre plus grande banque, bnp-Paribas, ne représente qu'un quart des grosses banques américaines en termes de capitalisation boursière. Celles-ci sont puissantes pour ce qui concerne le segment des banques d'investissements et de marché. Mais en ce qui concerne le financement des particuliers ou des entreprises de petite et moyenne taille, elles ne sont actuellement pas présentes en France. Mais elles pourraient le devenir. Elles pourraient surtout nous placer dans la position des Polonais, et acheter, en bourse, bnp-Paribas ou la Société Générale ! Mais il ne faut pas être obsédé par cette différence de taille, même si, - il ne faut pas l'oublier - la banque hsbc, le plus gros établissement britannique, est presque deux fois plus important que bnp-Paribas. Notre industrie financière est raisonnablement concentrée, et nous avons réussi à acquérir une taille significative. Mme Annie BAC : J'ajouterai qu'en Allemagne, le droit de la responsabilité du banquier n'est pas le même que chez nous, et que les sûretés résistent mieux au droit des procédures collectives. Mme Ariane OBOLENSKY : C'est la raison pour laquelle le banquier allemand n'est pas incité à « quitter l'affaire au plus vite », mais, a contrario, à rester présent le plus longtemps possible. En conclusion, la position de toute la profession bancaire est la suivante : si l'on peut arriver à sauver, ne serait-ce que 10 % des entreprises en plus, ce serait déjà une victoire. Le président Pascal CLÉMENT : Mesdames, je vous remercie. Audition de M. Jean COURTIÈRE, (procès-verbal de la séance du jeudi 3 juin 2004) Le président Pascal CLÉMENT : Nous recevons, ce matin, au nom de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, M. Jean Courtière, accompagné de Mme Anne Outin-Adam, directrice des développements juridiques, et de Mme Marie-Josée Ranno, conseiller parlementaire. Cette audition s'inscrit dans le volet consacré aux institutions représentatives des professionnels. Elle complétera une précédente audition du président de l'acfci, M. Bernardin, qui était lui-même accompagné des représentants de deux chambres de commerce de province, d'une taille évidemment bien moindre que celle de Paris, et représentant des entreprises plus petites, sachant que le projet de texte du Gouvernement s'adresse surtout à celles-ci. La ccip, notamment avec le concours régulier de M. Courtière, réfléchit depuis de nombreuses années à une réforme utile du droit de la faillite. Vous avez produit plusieurs rapports sur ce sujet, aux étapes successives de la consultation menée par le Gouvernement. Cette audition devrait permettre d'éclairer opportunément la mission d'information sur le contexte, le constat, les alternatives qui s'ouvrent avec le projet de loi relatif à la sauvegarde des entreprises. M. Jean COURTIÈRE : La Chambre de commerce et d'industrie de Paris considère ce projet de loi comme très satisfaisant. C'est le fruit d'un important travail de la Chancellerie, auquel la chambre de commerce a pu collaborer activement. Les principales dispositions de cette loi correspondent aux vœux de la chambre, c'est-à-dire des entreprises que nous représentons. Si divers points méritent encore d'être commentés ou éclaircis - certains ayant d'ailleurs déjà été modifiés dans la dernière version, ils concernent essentiellement le processus de cession : cession totale dans le cadre de la liquidation, mais pouvant être préparée par l'administrateur qui était présent au redressement judiciaire. Cela paraît un peu compliqué, même si l'on peut comprendre parfaitement l'intention du législateur en la matière. Par ailleurs, il était tout à fait fondamental - et ce n'était pas évident dans les premiers textes proposés à la consultation - de savoir quand les cessions partielles étaient possibles. Le redressement d'une entreprise peut s'accompagner de la cession de branches n'appartenant pas au « core business » de l'entreprise, en particulier s'agissant de branches déficitaires. Ce genre d'opérations peut être nécessaire dans le cadre d'une restructuration indispensable. Aujourd'hui, dans le cadre de la sauvegarde, ces cessions partielles sont possibles. Pour le reste, nous sommes globalement satisfaits du texte en l'état. Mme Anne OUTIN-ADAM : Nous avons travaillé très en amont avec la Chancellerie sur la recherche d'un traitement anticipé des difficultés des entreprises, qui nous semble absolument essentiel. Nous sommes conscients, naturellement, que le problème des procédures collectives ne saurait se résoudre uniquement par une loi. Pour autant, il est très important que le cadre législatif facilite les choses. La loi de 1985, modifiée en 1994, malgré des apports conséquents de cette dernière, n'a pas satisfait toutes les attentes. Il nous semblait indispensable de repenser les choses à la lumière de l'expérience des pays étrangers. Le projet de la Chancellerie a été qualifié de « pâle copie » du chapter 11 américain. À notre sens, cette appréciation est erronée. La démarche entreprise est en effet tout à fait comparable à celle du chapter 11 et peut d'ailleurs être retrouvée dans d'autres pays... M. Jean COURTIÈRE : En Allemagne, en Italie et en Belgique, notamment. Mme Anne OUTIN-ADAM : Nous avons réalisé une étude - que je souhaite vous remettre - dans le cadre de l'Observatoire consulaire des entreprises en difficulté (oced), observatoire qui fonctionne en liaison avec la cci de Paris et les tribunaux de commerce de Paris et de la petite couronne. Dans ce cadre, nous avons consacré un numéro spécial de la Lettre que nous éditons aux procédures d'insolvabilité en Italie, Belgique et Allemagne, avec une préface de Michel Germain, professeur et président de notre Comité scientifique. Toutefois, je tiens à préciser que, s'il s'agit bien d'une étude de droit comparée, il faut néanmoins la considérer avec quelques réserves scientifiques, dans la mesure où elle n'est fondée que sur des entretiens avec des personnes spécialisées dans le domaine qui nous intéresse aujourd'hui. Nous avons certes vérifié certains aspects juridiques, mais nous en sommes demeurés là dans la conception de l'étude. Toujours est-il que les trois systèmes comparés intègrent des mécanismes permettant une certaine anticipation en cas de difficultés temporaires ou de cessation des paiements imminente. Le président Pascal CLÉMENT : Qu'y a-t-il de différent ? M. Jean COURTIÈRE : Le chef d'entreprise, sachant qu'à une échéance plus ou moins longue il aura une difficulté qu'il ne pourra pas résoudre seul, entame l'équivalent de la procédure de sauvegarde qui est prévue par le projet de loi. Il me semble important de dire que nos voisins européens, confrontés aux mêmes problèmes, apportent les mêmes réponses. Le président Pascal CLÉMENT : Avec la suspension provisoire des poursuites. M. Jean COURTIÈRE : Le débiteur se met en effet sous la protection du tribunal ... Mme Anne OUTIN-ADAM : En Allemagne, existent un système de comité des créanciers, ainsi que la notion d'insolvabilité imminente, quand l'entreprise n'est pas encore insolvable, mais risque de le devenir à terme plus ou moins rapproché. Le président Pascal CLÉMENT : La notion de créanciers privilégiés existe-t-elle en Allemagne ? Mme Anne OUTIN-ADAM : Oui. Le président Pascal CLÉMENT : Mais il n'y a pas de comité particulier en ce qui les concerne ? En plus des deux comités prévus, celui des fournisseurs et celui des établissements financiers, il nous a été suggéré d'en ajouter un troisième, - celui de l'urssaf pour simplifier. Qu'en pensez-vous ? Mme Anne OUTIN-ADAM : Nous pensons que ce dispositif à deux comités est un progrès très significatif. Nous savons très bien que les banques ont leur mot à dire en la matière. Donc, le comité des banques apparaît absolument indispensable à côté du comité des fournisseurs. M. Jean COURTIÈRE : il est vrai qu'il faut également considérer la présence, en parallèle, du Trésor public et de l'urssaf. Lors d'une réunion du comité scientifique de l'oced, le représentant du Trésor s'est montré extrêmement coopératif et ouvert à l'idée de réductions importantes de créances dans le but de sauver les entreprises. Cette administration, crainte de tous et mal connue de la plupart, voit aujourd'hui certains de ses membres éminents entamer une démarche vraiment créative, active et de vraie collaboration pour la sauvegarde de l'entreprise. Mme Anne OUTIN-ADAM : L'idée d'un comité spécialisé des créanciers publics est une très bonne idée. M. Jean COURTIÈRE : De toute façon, ils seront parties prenantes au débat. Bien souvent, ils ont un poids comparable à celui des banques. Même si c'est un comité composé de nombreux interlocuteurs ! Mme Anne OUTIN-ADAM : En tout état de cause, ces comités ne sont obligatoires que pour des entreprises d'une certaine taille. Sinon, ils sont facultatifs. N'aurait-il pas été préférable qu'ils soient obligatoires pour toutes, de façon à bien marquer la contractualisation de cette procédure, également pour les pme, ce que nous appelons de nos vœux ? Précédemment, j'ai fait allusion aux autres pays européens pour bien montrer qu'ils connaissaient la même tendance. Pour autant, il n'est pas inintéressant d'examiner comment les choses se passent Outre-Atlantique. Actuellement, l'évolution est générale et il faut prendre cela en compte. Le président Pascal CLÉMENT : Il semble que le droit allemand de la faillite soit très particulier. Mme Anne OUTIN-ADAM : Oui, il est très difficile de procéder à une comparaison. Il ne faut pas s'attarder sur un point précis pris isolément, mais plutôt s'intéresser à l'état d'esprit. Le président Pascal CLÉMENT : Cela permet notamment de voir, compte tenu des difficultés économiques que l'Allemagne rencontre aujourd'hui, si leur gouvernement a songé à faire, comme nous et avant nous, la procédure d'alerte. Mme Anne OUTIN-ADAM : Il est difficile d'en tirer dès maintenant les enseignements. L'Allemagne a traversé une période économique très difficile. Mais les modifications y sont très récentes. Le président Pascal CLÉMENT : Vous savez qu'existe actuellement un débat aussi entre le judiciaire et l'économique. Certains souhaiteraient déjudiciariser les procédures. Avez-vous la même approche ? Suivez-vous par exemple la cgpme, qui propose d'impliquer des organismes publics du type des Codefi, et à travers eux les pouvoirs publics, rejoignant d'ailleurs en cela le système allemand ? Mme Anne OUTIN-ADAM : Il est certain que nous souhaitons que l'effort de prévention soit mené le plus en amont possible. C'est peu évoqué dans le projet de loi, mais l'exposé des motifs aurait pu insister plus sur l'importance à donner à celle-ci, en prévoyant de vrais outils de prévention et de détection , appuyés sur des moyens. Comme vous le savez, la question demeure en effet des moyens donnés aux tribunaux, et peut-être aussi celle du nombre trop important de tribunaux de commerce. On retombe sur le problème de la carte judiciaire. Le président Pascal CLÉMENT : Qu'avez-vous à nous dire sur ce sujet ? M. Jean COURTIÈRE : Notre position n'est pas forcément très populaire. Nous pensons qu'il faut des moyens adéquats pour la prévention. Nous souhaitons également que la présence du Parquet soit effective, ce qui amènerait tout naturellement à confier les procédures collectives à un tribunal par département, pour une justice plus sereine... Mme Anne OUTIN-ADAM : Permettez-moi de préciser notre pensée. Il ne fait guère de doute qu'il est très difficile d'opérer la réforme de la carte judiciaire. Un premier arrêté est sorti, le deuxième est resté en attente. Les choses sont relativement compliquées, et cela pour plusieurs raisons, notamment politiques. Le président Pascal CLÉMENT : Vous voulez dire « politiques » au sens consulaire ! Ce sont les élus consulaires qui sont hostiles, non les hommes politiques. Je le sais pour l'avoir vécu chez moi. Mme Anne OUTIN-ADAM : Chacun est attaché à son tribunal de commerce. Le président Pascal CLÉMENT : Surtout les élus consulaires. Mme Anne OUTIN-ADAM : Seulement les élus consulaires ? Le président Pascal CLÉMENT : Par voie de conséquence, les élus politiques le sont sans doute aussi, mais ce ne sont pas eux qui « commandent » dans cette affaire. Ce sont bien les élus consulaires qui n'acceptent pas ces changements. M. Jean COURTIÈRE : Peut-être pour le contentieux général. Pour ma part, je ne vise que les procédures collectives. Le président Pascal CLÉMENT : Vous savez très bien que le projet de réforme des procédures collectives de la précédente législature a conduit à la « révolte » des juges consulaires au prétexte qu'on leur retirait leurs attributions les plus importantes. Mme Anne OUTIN-ADAM : Notre point de vue en la matière est très clair : s'agissant des procédures collectives, il est absolument nécessaire, pour des raisons d'éloignement ou encore de sérénité de la justice, que seule ait compétence une partie des tribunaux de commerce. Dans la loi de 1985, un décret devait énumérer les tribunaux de commerce compétents pour les procédures de régime général. On pourrait aujourd'hui parfaitement concevoir qu'un nombre de tribunaux limité soient compétents pour les procédures collectives. C'est souhaité par les chefs d'entreprise. En particulier, pour assurer une certaine confidentialité dans le cadre de la prévention, il est préférable que le tribunal de commerce soit éloigné du siège social de l'entreprise. Le président Pascal CLÉMENT : La ccip a-t-elle pris des initiatives concernant la détection, la prévention, les conseils donnés aux chefs d'entreprises ? Le chef d'entreprise à qui l'on donne la responsabilité d'alerter en déclenchant la sauvegarde, n'a peut-être pas, de lui-même, envie d'alerter grand monde ? Vous pourriez par exemple prévoir qu'un ancien juge consulaire reçoive les chefs d'entreprises qui voudraient savoir à quel moment l'alerte doit être donnée. Il s'agit là en effet d'une question facile à traiter sur le papier, mais, en réalité, loin d'être si simple. M. Jean COURTIÈRE : Le déclenchement de la sauvegarde par le chef d'entreprise exige en effet une révolution des esprits. En l'occurrence, pour répondre à votre question, la prévention consulaire existe dans les principaux tribunaux. Le projet de loi est malheureusement muet quant aux moyens. La plupart des tribunaux, à l'exception des quatre ou cinq principaux, n'ont pas les moyens matériels de pratiquer une prévention efficace. On parle de prévention au niveau des tribunaux de commerce, mais cela restera lettre morte tant qu'ils seront dépourvus des moyens de la mettre en oeuvre. Mais comme on ne les donnera sans doute pas à tous les tribunaux, on revient à l'idée que j'émettais précédemment Mme Anne OUTIN-ADAM : Pour compléter la réponse de M. Courtière, l'Observatoire consulaire des entreprises en difficulté fait paraître très régulièrement des guides pratiques. Nous avons mis en place des parcours guidés destinés aux chefs d'entreprise sur notre site (Inforeg), ainsi que la structure appelée sajece (structure d'appui juridique et comptable aux entreprises), composée d'avocats, d'experts-comptables, de magistrats honoraires. Des chefs d'entreprises en difficulté - pas forcément des difficultés menant au dépôt de bilan, mais incluant cependant ce type de cas - viennent, à la Chambre de commerce, rencontrer en toute sérénité les professionnels qui travaillent avec nous dans le cadre de cette structure. Ce mode de fonctionnement est en train de se généraliser dans chaque délégation de la ccip. Dans le projet de loi, j'ai remarqué qu'avait été conservée la disposition suivant laquelle « un décret en Conseil d'État détermine dans chaque département le tribunal ou les tribunaux appelés à connaître des procédures du présent livre." Je n'ai pas bien compris ce texte car le « présent livre » traite des difficultés des entreprises, cependant que la disposition considérée figure dans un titre limité à la sauvegarde. Cela me paraît poser un problème d'interprétation. Néanmoins, j'ai été assez satisfaite de retrouver cette disposition, dont nous avions signalé à la Chancellerie qu'elle avait disparue dans la mouture précédente du texte. Quoi qu'il en soit, et sous réserve de la difficulté éventuelle d'interprétation du renvoi, cela correspond vraiment à nos souhaits en la matière. M. Jean COURTIÈRE : Il faudra globalement expliquer qu'anticiper une difficulté peut permettre de la régler, alors que « mettre la tête dans le sable comme une autruche », conduit quasiment à coup sûr à la liquidation. Le président Pascal CLÉMENT : L'efficacité dépendra de l'organisation mise en place par les tribunaux de commerce. Mme Perrette Rey, Président du Tribunal de commerce de Paris, que nous recevons après vous, m'a déjà dit qu'elle l'avait fait à Paris; il en va de même pour M. Bernardin, président de l'acfci. Les changements culturels relèvent de la pédagogie mutuelle des institutions. Mme Anne OUTIN-ADAM : Vous avez entièrement raison. D'ailleurs, nous sommes très actifs au sein du groupe de travail de l'acfci qui étudie la coordination des actions de prévention. Le président Pascal CLÉMENT : Il ne revient pas à la loi de rentrer dans ce type de problématique. Elle doit rester très générale et laisser place aux initiatives. Elle n'a pas à préciser, en particulier, ce que chaque chambre de commerce devrait mettre à disposition des entreprises... C'est ce que vous sembliez pourtant demander ? M. Jean COURTIÈRE : Sur ce point, notre intervention ne portait pas sur les chambres de commerce, mais visait plutôt les tribunaux. Le président Pascal CLÉMENT : Personnellement, j'estime qu'un chef d'entreprise n'a pas envie d'aller au tribunal de commerce à la première alerte. La démarche auprès de la chambre de commerce est beaucoup plus acceptable pour lui. C'est pourquoi, pour ce qui me concerne, je pense surtout à vous ! Mme Anne OUTIN-ADAM : Vous avez raison. En plus, pour les plus petites des entreprises, cela constitue véritablement la seule voie. Le président Pascal CLÉMENT : Bien entendu. Si vous mobilisez d'anciens juges consulaires, ils seront ravis de continuer à pratiquer. M. Jean COURTIÈRE : Alors que la prévention leur est interdite dans le cadre du tribunal, comme ce fut mon cas en tant que magistrat honoraire ! J'ai participé à des actions de prévention, puis, du jour au lendemain, on nous a dit que l'on ne voulait plus des « anciens » pour des raisons d'assurance...Mais au sein d'une chambre de commerce, c'est possible. Le président Pascal CLÉMENT : Dans ce cas, il faut cependant constater qu'il ne s'agit plus de conseil. C'est un service que rend la chambre, en proposant les compétences d'une personne expérimentée, un ancien juge par exemple. Mme Anne OUTIN-ADAM : Pour les entreprises plus importantes qui sont dotées de commissaires aux comptes, nous souhaiterions aller plus loin. Des progrès ont été faits dans le projet sur la procédure d'alerte des commissaires aux comptes. Mais nous pensons que certains points doivent être affinés. À vrai dire, la question s'est reposée à travers l'avant-projet de deuxième loi pour l'initiative économique, par une disposition qui aurait, en réalité plus sa place dans la loi sur la sauvegarde que dans un texte de portée beaucoup plus large. Le président Pascal CLÉMENT : Nous le notons. Mme Anne OUTIN-ADAM : Nous avons élaboré le document que je vous remets avec des commissaires aux comptes, dont Mme Monique Millot-Pernin, pour montrer dans quelle mesure l'alerte par le commissaire aux comptes pourrait être beaucoup plus efficace et permettrait de perdre moins de temps. Lorsqu'au terme de la phase I de l'alerte (qui consiste pour le commissaire aux comptes à interroger par écrit le dirigeant social sur les faits relevés), les réponses du dirigeant paraissent satisfaisantes, mais que d'importantes dérives sont ensuite constatées, il conviendrait, non pas de recommencer une nouvelle procédure, mais de passer directement à la phase II, où c'est le conseil d'administration (ou de surveillance) qui est engagé à répondre et où le président du tribunal de commerce est informé. L'information du président du tribunal de commerce devrait, en tout état de cause, intervenir dès la fin de la phase I de la procédure, puis être complétée à chacune de ses étapes, de manière à permettre parallèlement la mise en place d'un suivi de l'entreprise par les cellules de prévention des tribunaux de commerce. Corollairement, le commissaire aux comptes devrait systématiquement être convié en même temps que le dirigeant aux entretiens initiés par le président dans le cadre de son pouvoir d'alerte et être délié du secret professionnel à son égard dans ce contexte. Le président Pascal CLÉMENT : Nous vous remercions. Nous avons pris bonne note de ce que vous vouliez nous dire, au sens positif du terme. Audition de Mme Perrette REY, (procès-verbal de la séance du jeudi 3 juin 2004) Le président Pascal CLÉMENT : L'intervention des tribunaux de commerce dans les procédures collectives constitue un paramètre central de leur organisation, mais a également pu faire l'objet de critiques diverses. Compte tenu de votre expérience incomparable en tant que chef d'entreprise, juge consulaire, et maintenant présidente de tous les juges consulaires, pouvez-vous nous dire comment vous voyez la situation actuelle des tribunaux et des procédures collectives, quels sont les points positifs par rapport à la situation actuelle et quelles lacunes peuvent être corrigées par le législateur ? Mme Perrette REY : Je vous remercie d'avoir souhaité m'auditionner. J'insisterai d'abord sur les points positifs. Toutes les propositions de modifications que je serai amenée à vous faire doivent s'inscrire dans la dynamique nouvelle créée par le projet de texte du Gouvernement. Il me semble que les trois principes qui, selon moi, l'inspirent, illustrent cette volonté d'innovation émanant de la Chancellerie. Ces principes préexistent depuis le premier avant-projet de loi et n'ont fait qu'être confirmés et amplifiés par les deux textes publics qui ont été soumis à la consultation, qu'il s'agisse de l'avant-projet de loi d'octobre 2003, de celui de janvier 2004 et enfin du dernier texte sur lequel je me permettrai de faire quelques commentaires plus critiques. Ces trois principes me paraissent en tout premier lieu traduire une volonté d'anticipation. Ce ne sont pas les juridictions consulaires, qui ont elles-mêmes inventé de façon prétorienne le mandat ad hoc, qui pourront aller à l'encontre de ce souhait, de cette volonté d'anticiper le plus en amont possible les difficultés des entreprises. Cette anticipation est la meilleure chance de sauvegarde des entreprises en difficulté. N'oublions pas que si, in fine, dans le droit actuel des entreprises en difficulté, 95 % des liquidations judiciaires - hélas ! - sont le résultat de tant d'efforts déployés en vain pour assurer et la sauvegarde des entreprises, et celle des emplois, et un très maigre apurement du passif, ce bilan négatif provient du fait que l'on s'y prend trop tard. J'en veux pour preuve que lorsque l'on utilise, même de façon encore insuffisante, le mandat ad hoc et le règlement amiable - seules techniques préventives actuelles -, deux entreprises sur trois réussissent à être sauvées. C'est ce qui résulte des statistiques que tient depuis dix ans le Tribunal de commerce de Paris. Ces techniques se sont mises progressivement en place à la faveur de la crise immobilière, alors qu'elles étaient restées lettres mortes pratiquement pendant huit ans. Je félicite donc le Gouvernement pour l'accent mis sur l'anticipation, qui a d'ailleurs été encore renforcée par la nouvelle structuration du texte telle qu'elle apparaît dans sa dernière mouture. Nous connaissions déjà deux techniques : le règlement amiable, qui est remplacé par la conciliation, et le mandat ad hoc qui, lui, demeure heureusement inchangé. S'y ajoute la nouvelle procédure de sauvegarde, dans une structuration plus claire dans la dernière mouture du projet de loi que dans celle du début 2004, où il semblait aux observateurs attentifs que la procédure de sauvegarde s'apparentait davantage à une technique de redressement collectif qu'à une démarche de prévention. Bravo également pour le deuxième principe qui sous-tend le projet de loi : la volonté libérale qui l'inspire place le chef d'entreprise face à une panoplie riche - même si elle est toujours améliorable - de techniques à utiliser, en lui laissant le choix de recourir soit au mandat ad hoc, soit à la conciliation, soit à la procédure de sauvegarde dans les conditions prévues par les textes. Le troisième principe, qui me paraît tout à fait intéressant et novateur, tient à ce que la logique économique se substitue à la logique juridico-comptable du droit positif. Tous les juristes savent en effet que, dans le droit actuel des entreprises en difficulté, la ligne rouge est tracée par l'état de cessation des paiements. En amont, la prévention ; en aval, les procédures collectives. En revanche, le projet de loi, me semble-t-il, présente une approche beaucoup moins binaire, rejoignant ainsi le réalisme économique. Lorsqu'une entreprise est en mesure de renouer avec l'équilibre, voire avec une exploitation bénéficiaire, s'ouvrent à elle plusieurs perspectives : la voie de la prévention, celle des techniques de sauvegarde ou encore celle du redressement par voie de continuation. En revanche, si la continuation ne paraît pas possible, ne reste que la liquidation judiciaire. On voit ainsi se « subsidiariser » la notion de cessation des paiements. Je ne prêterai donc pas mon concours à ceux qui s'étonnent que l'on n'ait pas revu la définition de l'état de cessation des paiements. De même, le fait que le délai prévu pour permettre au chef d'entreprise de se rendre compte qu'il est en état de cessation des paiements et de tenir compte de tous les effets qui s'ensuivent, ait été prorogé jusqu'à 45 jours me paraît une bonne chose. Cela semble parfaitement cohérent avec la volonté du projet de la Chancellerie de mettre en pratique cette approche économique, et non pas purement juridico-comptable. Ces trois principes me paraissent sains. De la même façon, je voudrais saluer la véritable concertation qui a marqué l'élaboration de ces textes successifs de la part de la Chancellerie. Ce serait faire preuve de très mauvaise foi que de dire que la concertation n'aurait été qu'apparente. Non ! Je dois reconnaître qu'entre l'avant-projet et le texte définitif, un grand nombre de suggestions que je me suis permis de faire à la Chancellerie ont d'ores et déjà été prises en compte. La trace la plus notable pour les observateurs attentifs réside dans l'économie de la conciliation, qui remplace le règlement amiable. Le directeur des Affaires civiles et du Sceau, M. Marc Guillaume, a été très sensible à mon argumentation visant à démontrer que l'avant-projet me semblait être un contresens lorsqu'il mettait le conciliateur en situation de remplacer le chef d'entreprise. Ce point a complètement disparu du dernier texte. De même, si la conciliation doit déboucher sur un accord et que le chef d'entreprise se retrouve en situation de devoir continuer à discuter avec ses créanciers, il est important de ne pas le dessaisir de la gestion de son entreprise et de garder le conciliateur dans son rôle actuel, c'est-à-dire celui qui, n'étant le porte-paroles ni du débiteur ni des créanciers, est en mesure de rétablir un climat de négociation et de confiance. Je tenais à faire ces remarques préliminaires pour éviter que les critiques que je vais énumérer maintenant ne soient pas comprises dans leur contexte. La véritable réflexion novatrice, le souffle qui anime ce texte et la volonté de concertation que je me plais à souligner n'ont pas toujours existé. Cela me paraissait donc être un préalable important, méritant que je m'y attarde quelques instants. Après cette lecture personnelle de l'exposé des motifs, plutôt que de continuer par de grandes envolées lyriques, je souhaiterais, M. le président, parcourir en votre compagnie le Livre VI du code de commerce, tel qu'il serait modifié par le projet, dans ses différents titres. Je ne m'appesantirai pas sur la table des matières, puisque je me suis aperçue horresco referens qu'elle n'avait pas été actualisée. Je vous propose plutôt de reprendre certains de ces dispositifs en vous livrant le fruit de mes réflexions sur ce thème en toute simplicité et en soulignant les éléments qui me paraissent poser problème. En l'occurrence, pour ce travail analytique, je ne parlerai que de la dernière mouture du texte, - le dernier projet rendu public par la Chancellerie -, et plus précisément du texte consolidé tenant compte des modifications projetées. Le titre 1er du livre VI traite "de la prévention des difficultés des entreprises et de la procédure de conciliation". Pour résumer ma pensée, et dans une volonté constructive pour améliorer ce texte, ce titre 1er me semble être dans l'état actuel de son économie - pour utiliser un jargon juridique - infra petita en ce qui concerne la prévention-détection et ultra petita pour la partie prévention-traitement. Je voudrais revenir sur ces deux points et vous apporter, au fil des articles qui me posent problème, la démonstration de ces propos qui appellent peut-être quelques précisions. Ce texte me paraît infra petita en ce qui concerne la prévention-détection, c'est-à-dire pour ce qui a trait au pouvoir que le droit positif et ce nouveau texte donnent au président du tribunal qui, en fonction de certains « signaux » sur la santé de l'entreprise, peut convoquer le chef d'entreprise en cas de difficultés. Il me semble à cet égard que le dispositif de l'article L. 611-2 est susceptible d'améliorations. Son premier alinéa est conforme au droit actuel et ne me pose pas problème. Je vous rappelle qu'il dit « Lorsqu'il résulte de tout acte, document (...), les dirigeants peuvent être convoqués par le président du tribunal ». En revanche, le deuxième alinéa me gêne plus. Il dit aujourd'hui : « À l'issue de cet entretien ou si les dirigeants ne se sont pas rendus à sa convocation, le président peut (...) obtenir communication ... ». La formule « À l'issue de cet entretien » existe déjà dans le droit positif, le nouveau texte ayant ajouté la seconde partie de la phrase [« ou si les dirigeants ne se sont pas rendus à sa convocation »]. Pourquoi avoir fait ce choix? Que se passe-t-il concrètement ? Le président Pascal CLÉMENT : Il y a défaillance de l'entreprise! Mme Perrette REY : Lorsque le président du tribunal convoque de sa propre initiative un chef d'entreprise présentant de tels signes de difficulté, il arrive une fois sur deux que le chef d'entreprise n'y défère pas. Lorsqu'il vient, de surcroît, il s'interroge sur le sens de cette convocation par le président du tribunal. Très souvent inquiet, soucieux de gagner du temps, il arrive soit « les mains dans les poches », soit quelquefois accompagné de son conseil juridique, beaucoup plus rarement - car ce n'est pas un réflexe naturel -, avec son expert comptable, voire même très rarement avec son commissaire aux comptes. Mais la plupart du temps, il arrive « la bouche en cœur », si vous me passez l'expression. Que veut ce texte et pourquoi sommes-nous d'accord avec lui ? Parce qu'il anticipe. Nous avions donc suggéré à M. Marc Guillaume de bien vouloir supprimer tout simplement le début de cette phrase, et au lieu de : "À l'issue de cet entretien ou si les dirigeants ne se sont pas rendus à sa convocation", décider que ce deuxième alinéa puisse commencer directement par : "Le président du tribunal peut, nonobstant toute disposition législative [...] obtenir ainsi les renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique et financière du débiteur". L'idée était qu'ainsi, il n'était plus nécessaire d'attendre que l'entretien ait eu lieu ou que le dirigeant ne se soit pas rendu à sa convocation, mais de permettre au président du tribunal qui prépare cet entretien de pouvoir se procurer les éléments d'analyse afin que la conversation avec le dirigeant de l'entreprise puisse être tout de suite utile. Le président Pascal CLÉMENT : Je comprends cette proposition, mais elle peut sembler un peu « inquisitrice » ou du moins, peut être ressentie comme telle. Imaginez, madame la Présidente, que, non pas à Paris, mais dans un petit tribunal de commerce de province, dans un endroit que je ne connais pas et qui n'existe probablement pas, le président soit intéressé par l'état de cette entreprise. On pourrait même supposer qu'il ait lui-même des arrière-pensées. Doit-on lui permettre de demander des comptes ? Mme Perrette REY : Je connais cet argument. Le vrai dialogue que j'ai eu avec la Chancellerie m'a donné le plaisir de l'entendre de la bouche courtoise, civile et très inspirée de M. Marc Guillaume. Le président Pascal CLÉMENT : Ils ne me l'a pas soufflé, mais j'ai la même réaction. Mme Perrette REY : Un autre article me paraît perfectible. Il s'agit de l'article L. 621-2, dans sa nouvelle rédaction : celui-ci renvoie à un décret d'application pour déterminer les tribunaux de commerce susceptibles de connaître de l'ensemble des procédures de ce Livre VI. En l'occurrence, cet article est très mal situé dans le code, car il se trouve - si je ne me trompe pas- dans la partie consacrée à la procédure de sauvegarde. Si ce texte vise toutes les procédures - ce qui semble être le cas -, comment se fait-il qu'il ne soit pas en dénominateur commun et qu'il ne se trouve que dans la procédure de sauvegarde ? Voilà une petite « coquetterie » de rédaction législative, qui me paraît devoir être précisée, et sur laquelle je reviendrai ensuite. S'agissant des entreprises en difficulté, lorsque le législateur de 1985 avait réservé à un nombre restreint de tribunaux de commerce le soin de connaître de ces procédures, il me semble qu'il s'était montré très sage. En effet, la proximité géographique et économique pose un problème, que vous avez parfaitement bien soulevé, qui demeure d'actualité. Ne serait-ce précisément pas là l'occasion de retrouver le chemin de la sagesse ? Vous savez mon entêtement en ce qui concerne le grave problème de la rationalisation de la carte judiciaire. Je pense que la compétence, l'indépendance et l'impartialité que les juges consulaires, comme les juges professionnels, se doivent de respecter - ne serait-ce que pour l'application de la Charte européenne des juges - trouveraient certainement à rentrer plus vite dans les faits si, et si seulement, le Gouvernement, à qui incombe la responsabilité de créer ou de supprimer les tribunaux, rationalisait cette carte. Le président Pascal CLÉMENT : Votre réponse à mon argument consiste alors à dire que s'il n'existe que des tribunaux de taille importante, soumis au contrôle des pairs, le risque de dérapage est faible, sinon inexistant ? Mme Perrette REY : Il est en tout cas moindre. Le président Pascal CLÉMENT : Dans un grand tribunal, les risques de dérapage sont beaucoup plus faibles, car la présence de collègues plus nombreux se traduit par une sorte d'auto-contrôle. Mme Perrette REY : Pour être efficaces et pour donner corps à ce principe essentiel d'anticipation des difficultés - c'est notre seul objectif - il ne faut pas attendre un second rendez-vous pour instaurer ce dialogue. Les chefs d'entreprises sont reçus pour un entretien confidentiel entre un juge entrepreneur - pas en robe - et un entrepreneur. Passées les cinq premières minutes d'observation, la discussion permet d'aider le chef d'entreprise à sortir de son isolement. Dans le cadre d'un dialogue maïeutique, il prendra conscience que ses difficultés ne sont pas ponctuelles, qu'elles ne ressemblent pas à celles dont il s'est toujours sorti jusqu'à présent, mais qu'il a besoin de s'interroger réellement sur la meilleure manière possible de s'en sortir. En restant dans cette idée d'amélioration du texte, et pour illustrer l'idée que celui-ci reste infra petita, je voudrais arriver au paragraphe II de cet article L.611-2, qui constitue l'une des nouveautés du projet de loi, et qui pose que : « Lorsque les dirigeants d'une société commerciale ne procèdent pas au dépôt des comptes annuels dans les délais prévus par les textes applicables, le président du tribunal peut leur adresser une injonction de faire à bref délai. Si cette injonction n'est pas suivie d'effet dans un délai fixé par décret fixé en Conseil d'État, le président du tribunal peut faire application à leur égard des dispositions du deuxième alinéa du I ». Autrement dit, il peut se renseigner sur l'exacte situation de l'entreprise, dans les conditions dont nous venons précisément de débattre. Qu'est-ce qu'une mesure sans sanction ou une sanction qui « tourne en rond » sans servir à rien ? Je vous rappelle que l'absence de dépôt des comptes annuels constitue très certainement l'un des critères les plus significatifs des difficultés des entreprises, notamment pour celles qui les ont déposés régulièrement et qui, un jour donné, lorsque leur situation se dégrade, cessent de le faire. En l'espèce, il n'est maintenant plus possible d'opposer des arguments de droit comparé, puisque nous savons, par une directive européenne, que nos partenaires allemands, qui n'étaient pas contraints de procéder ainsi, le sont désormais. On ne peut donc plus se retrancher derrière la pratique concurrentielle de nos amis européens pour dire que cette obligation défavoriserait nos entreprises, comme l'a souvent soutenu en son temps, à juste titre, le Medef, qui soutenait qu'il valait toujours mieux payer le prix de la confidentialité. Au plan européen, tout le monde se trouve désormais sur la même longueur d'ondes. La question posée est celle de l'efficacité du dispositif : à quoi servirait une disposition disant que le « vilain garçon » qui ne veut pas déférer à cette injonction de faire à bref délai - ce qui est déjà une bonne chose - sera convoqué ? Le président Pascal CLÉMENT : Pour vous, ce serait là une épée de bois ? Mme Perrette REY : C'est cela. C'est une mesure « sympathique ». Pour ma part, j'aurais plutôt suggéré que l'on fasse application de l'article L. 123-5-1 du code de commerce, qui nous vient de la loi sur les nouvelles régulations économiques. Celui-ci permet, dans ce même cas où le président du tribunal se voit reconnaître ce pouvoir d'injonction de dépôt des comptes, de contraindre à le faire sous astreinte. Mon idée serait alors tout simplement d'utiliser exactement la même formulation que celle de l'article L. 123-5-1 du code de commerce. Le président Pascal CLÉMENT : Traitant de prévention, n'y a-t-il pas cependant une contradiction philosophique entre le fait de recommander au chef d'entreprise de dialoguer avec le président du tribunal de commerce avant qu'il ne soit trop tard mais, s'il ne vient pas, de le mettre sous astreinte ? Je comprends bien ce que vous dites, mais ne percevez-vous pas cette contradiction ? Il faut prendre appui sur la volonté des gens. On ne peut pas les contraindre à faire de la prévention pour eux-mêmes, a fortiori pour leur entreprise. Mme Perrette REY : J'entends parfaitement ce que vous dites. Monsieur le président, nous sommes d'accord autour de la table - ne serait-ce que parce que nous savons ce qu'est un chef d'entreprise - pour dire que la première et la seule vraie prévention incombe au chef d'entreprise. C'est à lui, qui sait bien que la création d'une entreprise et son développement ne sont pas « un long fleuve tranquille », de prendre toutes les dispositions pour faire en sorte de s'en sortir. Le président Pascal CLÉMENT : Oui, c'est là la vérité. Mme Perrette REY : Mais le texte que nous appliquons depuis le 1er mars 1984 a vu la première insertion de la prévention dans la loi. Le législateur a réussi à trouver une sorte de cote mal taillée entre les principes du libéralisme et ceux de l'efficacité pour tâcher de concilier trois principes difficilement compatibles : assurer la pérennité de l'activité de l'entreprise, garantir la pérennité de l'emploi et permettre l'apurement du passif. Depuis « Liberté, Égalité, Fraternité », la République française n'a pas son pareil pour tout faire aller par trois, y compris pour les objectifs de la loi relative au traitement des difficultés des entreprises. Si un chef d'entreprise n'avait pas l'optimisme invétéré nécessaire pour créer son entreprise, je crois que le souhait de M. le Président de la République d'atteindre la création d'un million d'entreprises en cinq ans n'aurait aucune chance de se réaliser. En contrepartie, nous perdrons de notre tissu économique en n'épaulant pas les entreprises par des mesures préventives. Laissé tout seul, ce chef d'entreprise sera précipité dans un véritable « vide ». Donc, il faut rechercher l'efficacité, qui mérite sans doute que l'on accepte, en son nom, de sacrifier quelques grands principes. Ce texte est encore à la recherche d'un point d'équilibre idéal. L'idéal n'existe pas. Je vous parle d'efficacité ; vous me parlez de grands principes. Le législateur tranchera. Mais je me maintiens volontairement dans ma logique d'efficacité initiale, que j'ai soulignée au départ. Ma cohérence à moi, c'est cette quête systématique d'efficacité. Je ne suis qu'un modeste praticien de terrain, et comme je n'ai aucun intérêt personnel à défendre, mon seul intérêt étant celui des justiciables, je vous dis ce que je constate sur le terrain. Vous voudrez bien m'excuser si je pèche parfois par un raisonnement qui ne serait pas digne d'un inspecteur des finances. Le président Pascal CLÉMENT : Ce n'est pas du tout la question, madame la Présidente. Il s'agit seulement de savoir si l'on inscrit une contrainte financière au moment précis où l'on parle de prévention et d'alerte. Ne serait-ce pas un peu tôt, même si c'est sûrement efficace, car la peur du gendarme fonctionne très souvent dans notre pays. Mme Perrette REY : Je vous ai non seulement écouté, mais entendu. Toujours en termes d'efficacité, nous avons vu disparaître de cette dernière version - je le regrette - une référence à la logistique que le président du tribunal pouvait attendre du greffe. Elle existait dans les avant-projets de loi. Il y a peut-être des raisons à cette disparition, mais elles ne m'ont pas été expliquées. Dans sa conception d'origine, le projet gouvernemental avait tiré les conséquences concrètes du fait que c'est le greffe qui traite les indicateurs financiers décrivant la santé des entreprises. En effet, c'est lui qui, par le registre d'état civil, est au fait du non-dépôt des comptes annuels, des injonctions de payer, des inscriptions de privilèges, des demandes de report d'assemblée générale, des assignations en redressement judiciaire non suivies d'effet, des injonctions de payer etc. Désormais, tous les greffes peuvent disposer de l'ensemble de ces « clignotants » grâce aux moyens informatiques dont ils sont équipés - il existe ainsi quatre logiciels pour l'ensemble du territoire français. Tous les greffes sont aujourd'hui en situation de fournir à leur président la liste des entreprises qu'il conviendrait de convoquer. Simplement, ils n'ont pas l'obligation de le faire et - disent-ils, sans doute légitimement puisqu'il n'est prévu aucune tarification correspondante - pas non plus les moyens financiers de le faire. Le président Pascal CLÉMENT : Je les plains de tout cœur, vous le savez... Mme Perrette REY : Je préfère ne pas aborder cette question, de crainte d'être désagréable. Néanmoins, pour parvenir à une certaine efficacité, il serait fort utile que le texte de loi contienne - comme cela avait été prévu dans l'avant-projet de loi - une référence à l'appui logistique que le greffe doit apporter au président du tribunal. Le président Pascal CLÉMENT : Et le « doit » est impératif, sans qu'il soit nécessaire de mentionner une rémunération particulière. Mme Perrette REY : Je ne pense pas que le texte de loi lui-même doive rentrer dans ces détails matériels, ni que le débat gagne à porter sur cette question. Le président Pascal CLÉMENT : Ce n'est pas du niveau du législateur. Nous ne parlons pas d'argent ! Mme Perrette REY : Je me permets d'insister sur cette obligation car j'ai constaté deux attitudes politiques opposées du Conseil national des greffiers en chef. Avant l'actuel président, les considérations financières l'emportaient. J'entendais, sur l'air des grandes plaintes et lamentations de Jérémie : « On voudrait bien, mais on ne peut pas parce que l'assistance en matière de prévention n'est pas tarifée ». L'actuel président du Conseil national des greffiers en chef a donné une tout autre consigne à ses troupes. Sera-t-il plus suivi que le pauvre président de la Conférence générale des tribunaux de commerce que je suis, dans la mesure où lui non plus n'a pas d'injonction de faire avec astreinte à la clef ? Néanmoins, il a eu l'intelligence politique de comprendre que, s'il ne faisait pas un effort en termes de prévention, d'autres que lui le feraient, pour des raisons d'ailleurs également financières. Le président Pascal CLÉMENT : Les banquiers ? Mme Perrette REY : Non, plutôt les spécialistes du chiffre... Le président Pascal CLÉMENT : Le fait de prévoir une obligation de moyens, sous la forme de l'utilisation du terme « doit », vous paraît-il pertinent ? Mme Perrette REY : Dans la loi, cela permettrait d'encadrer clairement les responsabilités confiées aux greffes. J'en ai ainsi terminé l'exposé des raisons qui me font dire que le texte traduit une approche plutôt infra petita de la prévention-détection. Nous avons déjà eu, à Roanne, l'occasion d'échanger ensemble sur le thème de l'ultra petita. Vous connaissez mes thèses que je vais simplement résumer. J'ai déjà rendu grâce au projet gouvernemental d'avoir remis les acteurs de la conciliation dans le rôle qui devait être le leur et d'avoir profondément modifié - sur mes suggestions comme veut bien le dire M. Marc Guillaume - le rôle du conciliateur et celui du chef d'entreprise, alors qu'il avait déjà profondément réformé le rôle des créanciers. Je ne suis pas là pour défendre les créanciers. En revanche, mon problème, en tant que juge, consiste à essayer de voir ce qui fait l'efficacité de la conciliation : la confiance, et la confidentialité. Ce n'est pas le premier thème de la confiance qui me fait problème dans le projet de loi - car je crois que l'on a recréé toutes les conditions pour qu'elle existe - mais plutôt celui de la confidentialité. Que prévoit le projet et quelle est sa principale différence par rapport au droit actuel du règlement amiable, auquel succède la conciliation. Elle tient à l'homologation, c'est-à-dire aux articles L. 611-9 et L. 611-10 tels que modifiés par le projet de loi. L'article L. 611-9 dispose que désormais, « le tribunal statue sur l'homologation après avoir entendu ou dûment appelé en chambre du conseil le débiteur, les créanciers parties à l'accord - soit -, les représentants du comité d'entreprise ou à défaut, les délégués du personnel - cela appelle commentaire !-, le conciliateur - passe encore - et le ministère public ». Voici les premières raisons qui font que, de façon politiquement et socialement sans doute « incorrecte », ce texte me gêne en terme d'efficacité. Pratiquement tous les jours, dans mon tribunal, des chefs d'entreprises demandent que, dans le cadre de règlements amiables, soit auditionné aujourd'hui le représentant du comité d'entreprise ou celui des délégués du personnel. Ces chefs d'entreprise pensent en effet que l'autorité du président du tribunal peut être de nature à convaincre leurs salariés. Ils pourraient venir seuls, car la loi n'impose absolument pas cette audition dans le cadre d'un règlement amiable. Cette situation se constate même pour des dossiers sensibles ! Dans neuf cas sur dix, voire quatre-vingt quinze cas sur cent, je retrouve la teneur de nos propos le lendemain dans la presse. Je vous rappelle que nous sommes pourtant sous le sceau du secret, sous peine de sanctions pénales. Le président Pascal CLÉMENT : Et il n'y a jamais de poursuites... Mme Perrette REY : Il n'y a peut-être jamais de poursuite, mais, en tout état de cause, les conséquences sont graves en termes d'efficacité parce que l'accord que nous avions arraché - si je puis dire - durant l'audience du président du tribunal « vole en éclats ». J'ai encore douloureusement présent à l'esprit le cas d'un certain accord que les parties étaient convenues d'homologuer, après que je me fus battue pendant trois heures pour l'obtenir. Sa parution, le lendemain, dans la presse a abouti à ce que chacun revienne sur ses positions en refusant de conclure dans ces conditions. Le président Pascal CLÉMENT : Parce que cela s'était su ? Mme Perrette REY : Oui. Le président Pascal CLÉMENT : Le secret des affaires est-il possible en 2004 ? On peut se poser la question, comme pour le secret de l'instruction... Mme Perrette REY : Ce qui me fait particulièrement plaisir -vous me direz là encore que Paris n'est pas la France -, c'est que les résultats des mandats ad hoc, qui m'ont permis en 2003 de conclure 130 accords, demeurent totalement ignorés du public dans quatre-vingt dix cas sur cent. Tant pis pour nous, pour l'ego de mon prédécesseur ou le mien ! Cela m'est égal ! Je dis et je maintiens, parce que je le vis au quotidien, que si vous n'avez pas la garantie de la confidentialité de ce type d'accord, il sera impossible de les utiliser efficacement. Je ferai un parallèle avec certaines audiences sensibles qui ont lieu au tribunal, et qui sont parfois presque caricaturales. Dès que se tient une audience un peu délicate, mon secrétaire général, - qui est parfaitement dans son rôle -, fait appel, au cas où cela irait mal, à un grand renfort d'honorables représentants de la force publique. Même si je leur ai demandé d'être discrets, ils se placent en général bien en vue sur un parapet. En face, a lieu l'éternel petit jeu où les tout aussi honorables représentants des salariés déposent qui des chaussettes, qui des chaussures, en tout cas le produit tout à fait remarquable de leur entreprise. On s'observe alors en chiens de faïence. Comme on est dans le cadre d'une procédure collective, j'apaise alors les esprits en faisant largement ouvrir l'audience aux représentants du comité d'entreprise ou des salariés. Mais le mal est fait. Je ne parle pas des caméras qui sont un peu partout - sauf, naturellement en salle d'audience lorsque nous siégeons en Chambre du conseil - ni bien entendu des journalistes. Dieu sait que j'adore pourtant cette profession ! Que personne ne voit là la moindre contestation du métier des journalistes. Je sais à quel point ils sont efficaces et utiles dans leur mission de transmission de l'information, mais, pour ce qui me concerne, je dois défendre l'efficacité de la conciliation qui tient, encore une fois, à la confidentialité. Telle est ma pratique de terrain. Le président Pascal CLÉMENT : Je suis totalement convaincu, mais là où je ne le suis plus, c'est en ce qui concerne les obstacles politiques pour aller dans le sens que vous préconisez ... Mme Perrette REY : Nous avons déjà dialogué sur ce thème dans un cadre quelque peu différent et moins intime, où les effets de manche rappelaient sans doute plus le prétoire. Nous avons alors pu, par un échange de regards, comprendre à quel point dire ce que je viens de dire était socialement « incorrect ». J'en ai toute conscience. Simplement, je vous dois la vérité, qui est ainsi. Il me semble que je ne serais pas dans mon rôle de ne pas la dire parce que je ne représente aucun lobby. Une fois l'accord amiable homologué qui emporte un certain nombre d'effets, le jugement qui intervient ensuite doit être publié. Nous avons beaucoup discuté avec le directeur des Affaires civiles et du sceau, qui m'a donné l'assurance que ce ne serait pas l'accord qui serait publié, mais seulement le jugement, de telle sorte que le contenu de l'accord ne soit pas connu des tiers. Il est prévu aussi, ce qui est tout à fait normal, au premier alinéa de l'article L.611-10, que « le jugement d'homologation est déposé au greffe où tout intéressé peut en prendre connaissance et fait l'objet d'une mesure de publicité. Il est susceptible de tierce-opposition ». J'ai déjà eu l'occasion de vous exposer mes craintes. Dans les accords de conciliation où tout le monde n'est pas partie, où ne sont notamment parties que les créanciers qui ont bien voulu participer à l'accord, il arrivera fréquemment que le « petit » créancier qui a un différend viscéral avec le débiteur, souhaite tout faire pour que l'accord échoue. Je salue à cet égard l'article L. 611-8, qui met le tribunal en situation d'homologuer l'accord si les conditions énumérées sont remplies, c'est-à-dire si « Le débiteur n'est pas en état de cessation des paiements ou l'accord conclu y met fin ; les termes de l'accord sont de nature à assurer la pérennité de l'activité de l'entreprise ». À ce qui n'est que le droit actuel s'ajoute alors la condition suivante : « l'accord ne porte pas atteinte aux intérêts des créanciers non-signataires, sans préjudice de l'application qui peut être faite des articles 1244-1 à 1244-3 du code civil. » Je remercie là aussi M. Marc Guillaume d'avoir réintroduit les articles 1244-1 et 1244-3 du code civil sur mes instances, car ils donnent la possibilité d'accorder jusqu'à deux ans de délai pour permettre à ces « petits » créanciers de voir pris en compte leurs intérêts, tout en étalant dans le temps la possibilité de les rembourser. De cette façon, on rend compatible la pérennité de l'entreprise, permise par l'accord, avec le souci de ces petits créanciers. Mais on peut imaginer la joie de celui qui, au lieu de saisir le président du tribunal en la forme des référés pour se voir appliqués les articles 1244-1 à 1244-3, découvre la faculté qui lui est ouverte de la tierce opposition. Il risque de « s'engouffrer » dans cette brèche. Cette tierce opposition apparaîtra de surcroît comme un catalyseur de tous les dangers, car nous savons à quel point un accord accouché dans la douleur - en la matière, l'accouchement sans douleur est rarissime - se trouvera très fragilisé par de tels recours. Là encore, nous comprenons tout le souci du législateur car nous, praticiens, ne sommes pas complètement dépourvus d'intelligence. Mais le dispositif proposé est-il vraiment le meilleur ? Le président Pascal CLÉMENT : Est-il possible d'empêcher toute voie de recours pour les créanciers tiers? Mme Perrette REY : À partir du moment où la tierce-opposition joue le rôle de voie de recours, il me paraît en effet difficile d'en faire l'économie. Dans ma candeur naïve, je pense cependant que le système de l'ordonnance du président du tribunal ne présentait pas que des inconvénients, loin s'en faut. Par ailleurs, le garde des Sceaux, à travers ses brillants directeurs, a souhaité faire droit, dans ce texte d'équilibre et de compromis, aux demandes des créanciers et notamment des créanciers bancaires. Ce sont eux qui étaient en effet soumis à la crainte de voir leur responsabilité recherchée pour soutien abusif dans le cadre de l'accord, ce qui explique les dispositions que l'on retrouve dans le projet de loi, qui les préservent de ce recours, sauf en cas de fraude. Si ces mêmes créanciers ont obtenu également l'application de l'article L. 621-32 du droit positif, - l'ancien article 40 de la loi de 1985 -, ce privilège que l'on accordait aux créanciers de la période d'observation et qui est ainsi transféré dans la procédure de sauvegarde, je me doute bien qu'en contrepartie, la Chancellerie a souhaité conférer à cette procédure une organisation qui ressemble comme une sœur à celle du redressement judiciaire. Dans cette perspective, qui suscite quelques interrogations de ma part, je reprends alors l'argument, que vous m'avez vous-même opposé, selon lequel la conciliation elle-même trouverait sa force dans l'accord des parties sous le contrôle du président du tribunal. En l'occurrence, ce n'est pas pour le président du tribunal que je prêche, mais pour la confidentialité qui faisait l'efficacité de la conciliation. Vous répondrez que Paris, ce n'est pas tous les tribunaux. Je vous rétorquerai alors : ... Le président Pascal CLÉMENT : ...Qu'il convient de réformer la carte judiciaire ! Nous tournons sympathiquement en rond ! Mme Perrette REY : Et pourtant, la vérité est sortie toute nue du puits ! Le président Pascal CLÉMENT : Je n'ai pas dit que c'était faux. Mme Perrette REY : Voilà, en tout cas, pourquoi je me permets de dire que dans ce texte, nous sommes ultra petita. J'ai oublié un élément que je voudrais signaler, concernant l'article L. 611-7, lequel définit la mission du conciliateur. La toute première phrase de cet article dit : « Le conciliateur a pour mission de rechercher la conclusion d'un accord entre le débiteur et ses créanciers ». Dans le cadre du droit actuel, la mission du conciliateur n'est pas plus définie que ne l'est celle du mandataire ad hoc puisqu'il appartient au président du tribunal de la déterminer. Je ne demande pas que le droit actuel soit repris, mais si c'est la loi qui doit la définir, à mon avis, le texte est trop restrictif. Le président Pascal CLÉMENT : Préféreriez-vous le régime du mandat ad hoc ? Mme Perrette REY : Non, celui-ci ne suffirait pas. Il ne s'agit pas seulement de rechercher la conclusion d'un accord entre le débiteur et ses créanciers. Dans la pratique, le conciliateur peut être amené à rechercher un accord avec les actionnaires et avec d'autres parties que les créanciers pour convaincre l'ensemble des parties prenantes qui « bloquent » ... Le président Pascal CLÉMENT : Faudrait-il indiquer qu'il s'agit d'un accord « avec l'ensemble des parties » ? Mme Perrette REY : Il faudrait en tout cas élargir le projet de texte. Ce n'est qu'une simple précision, qui vous permettra de me donner satisfaction sur au moins un point ! Le président Pascal CLÉMENT : Je ne cherche qu'à vous faire plaisir, sans pour autant soulever une révolte nationale ! Mme Perrette REY : Vous ne pourrez m'empêcher d'avoir comme seule préoccupation celle de 95 % des justiciables que je vois en face de moi au tribunal, et comme seul désir d'essayer de sauver un peu plus d'entreprises. Le président Pascal CLÉMENT : Comment voulez-vous expliquer à des salariés qu'ils n'ont qu'un droit, celui de ne rien savoir et de se taire ? C'est ainsi que se pose le débat. Mme Perrette REY : Monsieur le président, ce n'est pas à vous que je rappellerai que la loi du 1er mars 1984 avait déjà, en matière de détection des difficultés des entreprises, conféré aux comités d'entreprise et à défaut aux délégués du personnel la possibilité de saisir le président du tribunal. C'était un pouvoir, qui ne date donc pas d'aujourd'hui, de déclencher l'alerte là où le commissaire aux comptes en avait le devoir ! Vous savez comme moi ce qu'il en est advenu. Laissez-moi vous citer quelques chiffres concernant Paris, en m'excusant de n'avoir présents en mémoire que ceux-là : les commissaires aux comptes ont exercé deux cents fois leur devoir d'alerte au cours des deux dernières années, soit dans moins de 10 % des sociétés en difficultés qui ont un commissaire aux comptes. C'est pourtant un devoir ! S'agissant du pouvoir d'alerte des salariés, il n'y a eu aucun cas ! Le président Pascal CLÉMENT : Les syndicats expliquent qu'ils ne sont pas tenus informés. Mme Perrette REY : J'ai quelque mal à les croire dans la mesure où, à la moindre difficulté, ils ne manquent pas de faire une belle lettre au président du tribunal pour lui demander d'ouvrir un redressement judiciaire ! Vous seriez édifié si vous voyiez le gros classeur que mon secrétaire général tient à ma demande ! J'ai donc quelque mal à penser que c'est la véritable raison. J'aurais plutôt tendance à croire qu'ils sont comme Marie-Antoinette face à son bourreau, demandant encore la faveur d'un petit instant de répit. À partir du moment où l'on n'a pas la conviction absolue que l'entreprise va chuter, on n'utilise pas forcément et à plein toutes les techniques préventives. On préfère tout mettre en oeuvre pour sauver l'entreprise uniquement par la voie interne. Donc, je ne crois pas à l'association des salariés telle que la prévoit le projet de loi. C'est mon point de vue, et mon devoir est, modestement, de vous le dire. Je suis parfaitement consciente, surtout compte tenu de l'annonce récente de M. le Président de la République concernant la nécessité de la négociation sociale, du caractère politiquement et socialement difficilement acceptable de ma proposition. En termes d'efficacité, vous permettrez cependant à l'humble citoyen et juge que je suis de vous dire ce que je constate. Libre à vous d'en faire ce que vous pourrez. Le président Pascal CLÉMENT : C'est bien le mot ! Mme Perrette REY : Après cet examen article par article, allons maintenant à l'essentiel. Deux dispositions me font problème, dont je ne fais pas mystère. L'une concerne la suppression des plans de redressement par voie de cession. Je n'ai cessé de rappeler que sur les 5 % d'entreprises qui sont redressées par un plan de redressement, 60 % le sont par voie de continuation et 40 % par voie de cession. Pour simplifier, je crains que cette loi ne soit jugée à ses résultats. Lorsque les entreprises seront en liquidation judiciaire à 98 % ou lieu de 95 % précédemment, on pensera que le droit des entreprises en difficulté est décidément le mythe de Sisyphe et qu'à force de vouloir monter le rocher plus haut, on finit par se faire écraser. Le président Pascal CLÉMENT : Il en restera encore 2 %. Il reste une marge de progression : on peut faire 100 % ! Je connais votre théorie. Mme Perrette REY : Le second point est tout aussi politiquement « incorrect » que les précédents. Il concerne les sanctions. Le droit actuel prévoit qu'en matière de sanctions, la délibération se fait en Chambre du conseil. Cela permet là encore de tout se dire sans conséquences dévastatrices dans les 50 % des cas qui se traduisent par un « il n'y a pas lieu ». Il faut bien voir qu'assez souvent, les dossiers qui conduisent les chefs d'entreprises en chambre de sanctions sont très nourris s'agissant des griefs, mais relativement vides en termes de preuves. Je n'ai pas le temps de développer les raisons, pourtant évidentes, qui traduisent un dysfonctionnement certain de la pratique d'instruction des sanctions, notamment au niveau des mandataires de justice. Ce n'est pas l'objet de cette audition. Je me sens néanmoins concernée parce que, en termes de crédit, cela risque d'être la mort définitive du chef d'entreprise, comme le fait d'être mis en examen aujourd'hui. Quelles que soient les tentatives diverses pour essayer, par des qualifications différentes, de faire en sorte que, dans l'esprit du grand public, la mise en examen ne soit pas la mort civile de celui qui en fait l'objet, vous savez aussi bien que moi qu'il n'en est pas ainsi dans notre culture. Dans les petits tribunaux, le fait que ce débat soit prévu en audience publique, alors que ce n'est pas le cas à l'heure actuelle, et que ces audiences servent de « divertissement » à tous ceux qui « veulent du bien » à ce chef d'entreprise, tout cela sous le regard attentif de la presse qui aura donné la plus large publicité au débat - c'est normal, nous sommes en démocratie et l'information est libre- peut porter une atteinte définitive au crédit de ce chef d'entreprise. D'autant que, dans la moitié des cas, il sera blanchi après avoir été entendu, y compris sur réquisition du Parquet. Je vous demande de reconsidérer cette mesure car je crois qu'il en va du crédit de ceux qui constituent finalement les animateurs de notre tissu économique. J'aurais bien d'autres observations, mais je ne veux pas abuser de votre temps. Je crois vous avoir livré l'essentiel de mes préoccupations. Le président Pascal CLÉMENT : Madame la présidente, je savais que nous allions vivre un grand moment. Merci de votre sincérité et d'une approche de praticienne, essentielle en l'espèce, j'en ai bien conscience. Audition de Mme Évelyne GALL-HENG, (procès-verbal de la séance du 3 juin 2004) Le président Pascal CLÉMENT : Nous recevons maintenant les représentants institutionnels des professions réglementées les plus directement concernées par le thème de travail de la mission : les mandataires et les administrateurs judiciaires. En l'occurrence, ces professions sont ici représentées par Mme Évelyne Gall-Heng, présidente du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, M. Maurice Picard, vice-président, et M. Emmanuel Hess, ancien président. Les administrateurs et liquidateurs judiciaires constituent aujourd'hui deux professions bien distinctes dont la fonction est essentielle dans les procédures collectives actuelles, mais aussi souvent dans les procédures amiables en amont du redressement et de la liquidation. Comme les tribunaux de commerce, les mandataires de justice ont eux aussi - comme personne ne peut l'ignorer - fait l'objet de critiques souvent aiguës, y compris venant des entreprises dont la charge leur a été confiée. L'audition des membres du Conseil national de ces deux professions devrait permettre d'apporter à la mission quelques éclairages intéressants sur la mise en œuvre concrète des procédures collectives actuelles et sur les améliorations qui doivent légitimement en être attendues. Mme Évelyne GALL-HENG : Je vous remercie de nous avoir conviés à cette audition. Si vous le permettez, je souhaiterais en premier lieu présenter très brièvement ce qu'est le Conseil national et ce que nous représentons en termes de nombre de professionnels. Le Conseil national est l'organe représentatif de la profession. Nous sommes chargés et investis d'un certain nombre de missions par la loi, notamment par la loi du 3 janvier 2003 modifiant le livre VIII du code de commerce, qui a affirmé notre statut de profession réglementée. Nos missions sont le contrôle de la profession, sa formation et sa représentation auprès des pouvoirs publics. Grâce à la loi du 3 janvier, le Conseil dispose d'une partie du pouvoir de discipline dont nous étions demandeurs. Dorénavant, si nécessaire, nous avons la possibilité de saisir les commissions nationales des deux professions. Comme vous l'avez dit, nous regroupons les deux professions d'administrateurs et de mandataires. Nous sommes actuellement 460 professionnels, dont un quart d'administrateurs et trois quarts de mandataires judiciaires. Nous sommes très particulièrement attachés à la nature de notre mandat de justice et à notre statut réglementé. À ce titre, nous ne pouvons bien sûr qu'être favorables à l'objectif recherché par le projet de loi de sauvegarde, c'est-à-dire la pérennité de l'entreprise et des emplois. Dans la loi de 1985, cet objectif était clairement énoncé. Il est encore plus affirmé par le projet de loi, avec un rôle plus développé vis-à-vis des créanciers, ce qui constitue un réel avantage. L'autre avantage essentiel de la nouvelle procédure de sauvegarde réside dans l'anticipation et la prévention auxquelles le projet donne une part importante. Le Conseil national et l'ensemble de la profession sont favorables à ce projet avec, néanmoins, des aménagements techniques que nous serons amenés à proposer dans le cadre du débat parlementaire. Ces aménagements résultent des observations des praticiens que nous sommes. Que ce soit au niveau de la conciliation, de la sauvegarde ou de la liquidation judiciaire, nous souhaitons apporter certaines précisions. Dans cette perspective, Me Picard va en premier lieu développer l'aspect « confidentialité » de la procédure de conciliation. M. Maurice PICARD : Emmanuel Hess complètera mes propos. Les deux points importants qu'aborde ce projet ont trait à la prévention et à la liquidation des entreprises. La prévention doit être améliorée, même si cela apparaît déjà dans les faits. Les textes de 1984 et 1985, et notamment le mandat ad hoc et le règlement amiable, sont de plus en plus souvent appliqués. Mais il faut aller plus loin, parce que c'est ainsi que l'on pourra sauver l'entreprise et tout ce qui « tourne » autour. Le deuxième aspect traité porte sur les liquidations. Notre présidente pourra en parler car il s'agit d'une question importante : il est nécessaire de réviser la procédure de la liquidation de façon à l'améliorer, la rendre plus rapide et plus efficace, sécuriser ou renforcer les cessions des actifs des entreprises. La prévention comporte deux chapitres : la prévention officieuse, confidentielle, non connue des tiers - elle justifie alors une réelle confidentialité, sur laquelle je reviendrai ultérieurement - et la grande nouveauté, en l'espèce la prévention que l'on peut appeler « chapitre 11 » à la française, c'est-à-dire la sauvegarde. Je me limiterai pour l'instant à la forme de prévention dont relèvent aujourd'hui le mandat ad hoc et la conciliation : s'agissant du mandat ad hoc, rien ne change. Une ou deux phrases le mentionnent dans le texte, et c'est bien suffisant. En réalité, l'essence de la prévention nécessite de travailler avec une procédure légère, non réglementée, qui laisse la liberté d'initiative aux acteurs de la négociation en fonction des besoins. Quels sont les acteurs ? Un chef d'entreprise, son équipe, ses conseils, des créanciers qui auront été sélectionnés car ce sont les plus importants, les partenaires de l'entreprise. Ce sont également les établissements financiers au sens large, les créanciers institutionnels, l'État, la ccsf (commission des chefs de services financiers), les corri (Comités régionaux pour les restructurations industrielles) et le ciri (Comité interministériel pour les restructurations industrielles) pour certains dossiers importants. Les fournisseurs sont moins souvent impliqués, car, sinon, on court le risque de rompre la confidentialité, paramètre extrêmement important sur lequel je souhaiterais insister. Pour le mandat ad hoc, il y a peu de réglementation, parce qu'elle est inutile. Le mandat ad hoc met en jeu le chef d'entreprise, les créanciers et, bien sûr, le mandataire ad hoc qui joue un rôle prépondérant. Celui-ci est désigné par le président de la juridiction commerciale, et agit, heureusement, sous son contrôle pour organiser cette négociation, favoriser et parvenir à un accord pour sauver l'entreprise. Certaines cessions ayant permis de sauver des entreprises ont pu se faire grâce au mandat ad hoc, et dans le cadre même de ce mandat ad hoc. Je citerai l'exemple d'une entreprise d'Oyonnax, qui emploie 2 000 personnes, dans le domaine de la plasturgie, et ce essentiellement pour l'automobile. Nous avons réussi à céder l'entreprise dans le cadre d'un mandat ad hoc, sans passer par un dépôt de bilan dont les conséquences auraient été désastreuses pour tout le monde : l'entreprise et ses 2 000 salariés, mais également l'environnement du tissu économique, dont les sous-traitants. Le mandat ad hoc a donc une importance considérable. Au-delà du mandat, il y a la conciliation. Dans la pratique, la conciliation - aujourd'hui appelée règlement amiable - n'est souvent que l'issue du mandat ad hoc. Toute la négociation est préparée dans le mandat ad hoc, qui offre beaucoup de souplesse et de confidentialité. Mais comme une homologation de l'accord est nécessaire, laquelle n'est prévue par les textes que dans le cadre de la conciliation, on passe au stade de la conciliation ne serait-ce que pour bénéficier de cette homologation de l'accord. J'en viens à l'accord lui-même. L'intention du législateur semble consister à vouloir le sécuriser juridiquement pour le rendre opposable aux tiers. Il faut donc désormais, non plus une simple décision d'un président de tribunal qui n'a pas de force judiciaire, mais un jugement, opposable aux tiers concernés. C'est très bien. Le problème tient à ce que, dès lors que l'on passera par un jugement, apparaîtra le risque, au nom de la sécurité juridique, de créer une sorte d'insécurité financière, économique ou commerciale. L'accord résultera en effet d'un jugement qui sera rendu après consultation des parties concernées, notamment des instances représentatives du personnel. Après un certain délai, le jugement sera notifié et publié, dans les publications que l'on connaît bien en matière de droit des sociétés par exemple. Tous les tiers en auront alors connaissance - l'ensemble des fournisseurs et notamment les assureurs-crédit, comme la sfac. L'accord étant ainsi connu, il est à craindre que les tiers, fournisseurs ou assureurs-crédit, suppriment alors le crédit fournisseur dont bénéficiait l'entreprise. Le crédit fournisseur ramené à zéro crée une insécurité financière car il entraîne une augmentation importante du besoin en fonds de roulement, qu'il faudra peut-être prévoir dans la négociation préalable. Ainsi, au nom de la sécurité juridique, il y a lieu de penser que l'on pourrait accroître l'insécurité financière en déclenchant des besoins nouveaux de financement. Sur le plan commercial, l'entreprise traitant des marchés importants sur des produits très spécifiques, à l'instar de marchés longs dans le domaine des études, des fabrications ou des livraisons, sera-t-elle encore crédible auprès des donneurs d'ordre ? Les maîtres d'ouvrage accepteront-ils de passer des contrats importants avec une entreprise sortant d'un mandat ad hoc, avec une certaine insécurité commerciale et financière ? Supprimer la confidentialité comporte donc un risque. La confidentialité qui existait jusqu'à présent devrait être conservée pour que le mandat ad hoc soit pleinement efficace. Les mandats ad hoc qui ont vraiment réussi à ce jour - j'en connais d'autres exemples dans ma propre région, concernant des entreprises de 300 à 400 personnes - n'ont quasiment pas été connus des tiers. Cela a constitué leur force. Le président Pascal CLÉMENT : Vous aurez noté que c'est le jugement qui est publié, et pas le contenu de l'accord, ce qui n'est pas la même chose.
M. Maurice PICARD : Un autre point nous a un peu surpris : le projet prévoit que la conciliation sera désormais ouverte à toute entreprise, même en état de cessation de paiements depuis moins de 45 jours. Ne va-t-on pas dévaloriser cette procédure noble qui, jusqu'à ce jour, était réservée aux entreprises qui n'étaient précisément pas en état de cessation de paiement ? Elle sera en effet ouverte à beaucoup d'autres entreprises. Je vous rappelle que tout l'intérêt du mandat ou de la conciliation est d'arriver très en amont dans la procédure. S'agissant d'une entreprise en état de cessation de ses paiements, ce sera beaucoup trop tard. À mon sens, la conciliation n'est pas faite pour gérer une crise aiguë de trésorerie, mais pour la prévenir. Pour gérer une crise immédiate, on est mal armé, même dans la conciliation. Autant aller, dans ce cas de figure, vers les procédures officielles avec suspension des poursuites, telles que la sauvegarde ou le redressement judiciaire. M. Emmanuel HESS : Je confirme tout à fait la position du Conseil national actuel sur le projet de loi. Nous y avons travaillé au cours des derniers mois de ma présidence : je suis personnellement très favorable à l'ensemble du projet. Sur le problème de la conciliation et de la confidentialité, je me méfie de ce qui peut apparaître comme une « fausse bonne idée ». Je veux parler d'impliquer, pour le jugement - si l'on veut qu'il y ait force de la chose jugée, il faut que ce soit un jugement - le comité d'entreprise et les instances représentatives du personnel. Il ne s'agit pas du tout de les exclure systématiquement. En tant qu'administrateurs, nous avons l'habitude de travailler avec ces institutions représentatives, et cela se passe plutôt bien. Dans le cadre de négociations, dans un mandat ad hoc ou en conciliation, il n'est jamais demandé de sacrifice au personnel, contrairement à ce qui se pratique pour les établissements bancaires et financiers dans beaucoup de cas. Le personnel n'est pas partie à la conciliation. Je me demande si ce n'est pas une erreur, même bienveillante, de souhaiter les faire venir. D'autant qu'il faudra le faire avant, pour se lancer dans des négociations modifiant par exemple des accords d'entreprise... Cet aspect social n'existe pas, par exemple, aux États Unis. Le président Pascal CLÉMENT : Vous me donnez enfin un argument possible, en inversant la logique qui prévaut classiquement. Certains pourraient être tentés, dans cette approche, d'envisager des changements de périmètre du personnel... M. Emmanuel HESS : Si le comité d'entreprise est appelé seulement pour donner un avis au tribunal à la suite de la signature d'un protocole, il est vraisemblable que, rapidement, dans la pratique, les instances représentatives demanderont à être consultées dès avant la conclusion de l'accord. Peut-on imaginer que les instances représentatives du personnel accepteront de simplement donner un avis sur un protocole complètement « bouclé »? Le président Pascal CLÉMENT : Le mandataire ad hoc recevait bien le personnel ! Comment cela se passait-il ? M. Maurice PICARD : Non. Il y a deux situations de mandat ad hoc. Soit la restructuration est essentiellement financière, et le mandataire ad hoc n'est pas en relation directe avec la représentation du personnel. Soit la restructuration est beaucoup plus large - non seulement commerciale, technologique et financière, mais aussi sociale, car elle nécessite une restructuration, des réductions d'effectifs, des délocalisations - et les instances représentatives sont évidemment consultées. Le mandataire ad hoc est alors amené à intervenir devant les institutions représentatives du personnel pour justifier toute la procédure en place. M. Emmanuel HESS : Vous parlez des restructurations financières, M. le Président, qui sont les plus courantes, mais il nous arrive également, en tant que mandataires ad hoc, de procéder à des restructurations d'autres types. Mme Évelyne GALL-HENG : Nous souhaitons également lever une ambiguïté sur la procédure de sauvegarde. La manière dont le texte est structuré fait apparaître que l'on se trouve, en réalité, manifestement dans une procédure de redressement anticipé. Cela « a le goût » du redressement judiciaire sans l'être tout à fait. Ce n'est d'ailleurs pas forcément une critique, puisque les outils juridiques apportés en la matière par le projet permettront certainement à une entreprise, avant toute cessation de paiements, et grâce à la suspension des poursuites, d'arriver à trouver des solutions. Mais il est vrai que les diverses lectures qui ont pu en être faites ne sont pas toutes identiques. Je pense que l'aspect redressement anticipé correspond à l'objectif du texte. Il faut donc amener le chef d'entreprise à solliciter la procédure de sauvegarde. La difficulté manifeste sera de la dédramatiser. Il appartiendra à l'ensemble des acteurs de la procédure, y compris ceux du tribunal et du ministère public, d'agir en ce sens. C'est pourquoi nous avons aussi suggéré que les sanctions soient allégées à l'égard du chef d'entreprise dans la procédure de sauvegarde. Dans la Communauté européenne, on constate que, même à Bruxelles, les études sur les entreprises en difficulté tendent à « dédouaner », dans le bon sens du terme, le chef d'entreprise et à dédramatiser la situation, de sorte que le chef d'entreprise de bonne foi, qui se retrouve en difficulté et qui essaie de redresser son entreprise, ne soit pas freiné par ce type de procédure. M. Maurice PICARD : La procédure de sauvegarde me paraît originale et devrait être très utile, dans l'arsenal juridique futur, pour tenter de sauver une entreprise en difficulté, mais à condition toutefois que celle-ci prenne conscience de ces difficultés, et l'engage à temps. Il s'agit donc bien d'un redressement anticipé, comme Mme Gall-Heng vient de le dire. C'est ainsi que je l'avais analysé lors d'un récent colloque organisé par l'association « Droit et Commerce », qui s'est tenu à Deauville, et au cours duquel je suis intervenu. En comparant le redressement et la sauvegarde, j'avais considéré que la sauvegarde n'était pas de la prévention, mais du redressement anticipé avec les avantages et inconvénients que cela peut comporter. Je voudrais également insister sur la brièveté de la procédure. Pour qu'elle soit efficace et utile, sans trop d'effets dévastateurs, il faut qu'elle soit brève. En effet, dès l'ouverture, tous les créanciers verront leurs pouvoirs suspendus sans qu'ils aient pu anticiper la situation puisque, par définition, elle sera réservée aux entreprises qui ne sont pas encore en état de cessation de paiement. Aucun « clignotant » ne signalera aux fournisseurs importants, banquiers et assureurs-crédit, un risque sur une entreprise se trouvant dans ce cas de figure. Ils seront donc pris de court et risquent d'être réticents pour le crédit futur. La procédure de sauvegarde peut être très utile, mais à la condition impérative d'être brève. En d'autres termes, pour être efficace, il faut faire court. Le législateur avait institué, avec l'ordonnance du 23 septembre 1967, « la suspension provisoire des poursuites ». C'était déjà un peu la nouvelle procédure de sauvegarde - sans les comités de créanciers ; elle était très courte, ne durant que quatre mois. Parfois, ce délai était trop court, mais il ne faut pas non plus qu'un délai trop long soit contraire au but recherché. Par ailleurs, la procédure permet au chef d'entreprise d'orienter quelque peu, quant aux objectifs fixés, la solution qu'il souhaite pour sauver son entreprise. Tout cela est donc très utile, d'autant que la sauvegarde permettra aussi de négocier, le cas échéant, une cession ou une prise de participation. Enfin, nous approuvons l'apparition dans le projet de loi des deux comités de créanciers, d'une part, les banquiers et établissements financiers, d'autre part, les créanciers fournisseurs. Dans la pratique, nous les connaissons d'ailleurs souvent déjà. Le président Pascal CLÉMENT : Mais ils seront institutionnalisés par le projet de loi. M. Maurice PICARD : Quand nous élaborons des plans de continuation, nous négocions avec les principaux créanciers en les réunissant pour bâtir un plan qui suppose des délais et des abandons. Au-delà de l'existence même des comités de créanciers, le plus important - c'est prévu par le texte, et il faudra être vigilant à ce qui sera dit devant l'Assemblée nationale et devant le Sénat -, c'est que, désormais, les créanciers institutionnels devront eux aussi entrer dans les accords, et pourront y participer notamment par des abandons de créances dans certaines conditions. C'est un progrès remarquable, et c'est précisément là où cette procédure pourra être extrêmement efficace à l'avenir. Le président Pascal CLÉMENT : C'est fait pour cela. Avant, ils ne pouvaient pas. M. Maurice PICARD : On ne peut que s'en réjouir ! M. Emmanuel HESS : En complément des nombreuses vertus déjà attribuées à la sauvegarde, il en est une autre, qui est son ouverture avant l'apparition de la cessation des paiements. Ainsi, le chef d'entreprise pourra se mettre ainsi sous la protection de la loi, et ne sera plus sanctionné par une mise en état de cessation des paiements d'office. Il y a là un changement de nature culturel, qui peut être très important. Cependant, pour être totalement efficace, il faut aller jusqu'au bout. Je me permets de vous remettre un entretien, publié par une revue juridique en février 2004, portant sur une réforme que je qualifiais alors de « culturellement courageuse ». Si l'on veut être complétement efficace en matière de sauvegarde, uniquement dans le cadre de cette procédure puisqu'il n'y pas d'état de cessation des paiements, il s'agit d'éviter l'application de tous les droits individuels qui ont été reconnus à toutes les catégories de créanciers depuis au moins vingt ans. On s'écarte alors très sensiblement de la notion de procédure collective. Aujourd'hui, nous, qui sommes des praticiens, travaillons plutôt à la juxtaposition, à l'articulation de droits privilégiés. Le risque existe que l'on n'obtienne pas une vraie suspension des poursuites. Aux États Unis, le « chapter 11 » - dont le projet de loi s'inspire des bonnes mesures - prévoit l' « automatic stay ». Ce dispositif stoppe toute possibilité de poursuites individuelles, comme les actions directes, les réserves de propriété, ... Si l'on veut être efficace, il ne faut pas revenir sur tous les textes, mais créer une certaine inopposabilité de ces privilèges et sûretés, pour éviter de porter vraiment atteinte à l'intégrité de l'entreprise. Il a été dit que la procédure de sauvegarde devait être très rapide. Il ne faut pas que le lendemain de l'ouverture d'une telle procédure, les besoins de financement de l'entreprise soient plus élevés que la veille. Sinon, ce n'est évidemment pas utile de l'engager. Le président Pascal CLÉMENT : Je pense comme vous, mais est-ce évitable ? M. Emmanuel HESS : Le texte existant dans le cadre du « chapter 11 » donne au juge la possibilité de refuser l'exercice des droits considérés s'ils portent atteinte aux intérêts de l'entreprise. Nous ne les remettons pas en cause en matière de redressement judiciaire. On peut d'ailleurs parfaitement constater le cas d'actifs tels qu'un immeuble ou un bien hors exploitation, sur lequel la mise en œuvre de droits ne porterait pas atteinte à l'exploitation de l'entreprise. Mais il faut vraiment essayer de traiter ce problème de l'opposabilité car, aujourd'hui, les besoins de financement augmentent le lendemain même de l'ouverture du redressement judiciaire, ce que l'on ne connaissait pas il y a vingt ans. Aujourd'hui, les entreprises recourent à l'affacturage, il n'y a donc plus de comptes-clients en attente d'encaissement ; les réserves de propriété ne portent plus que sur le stock, ou sur le matériel. Les actions directes des sous-traitants atteignent donc l'exploitation de l'entreprise du jour au lendemain. Il faut donc vraiment compléter la loi sur ce point. Puisqu'il est possible de rentrer dans la procédure sans cessation des paiements, le juge pourrait avoir la possibilité de rendre inopposables un certain nombre d'actions individuelles des créanciers. Dernière vertu de la sauvegarde : elle constitue un renforcement potentiel très puissant pour faire aboutir les démarches de mandat ad hoc ou de conciliation. C'est un argument de poids pour que le chef d'entreprise demande un mandat ad hoc ou un règlement amiable encore plus tôt. En effet, aujourd'hui, les partenaires de l'entreprise sont persuadés que le dirigeant fera tout pour ne pas déposer son bilan et peuvent donc attendre pour conclure une négociation préalable; si la procédure de sauvegarde est adoptée, ils courront alors le risque, s'ils ne négocient pas assez vite, de voir le dirigeant se mettre sous la protection de la sauvegarde. C'est donc un bon point également. Mme Évelyne GALL-HENG : Le texte traite ensuite du redressement judiciaire sur lequel nous n'avons pas de précision particulière à apporter. Cependant, un point particulier a étonné plus d'une personne à la lecture des versions successives, mais également du projet de loi finalement adopté par le Conseil des ministres : il s'agit de la question de l'issue de la procédure de redressement. Il existait jusqu'alors deux issues possibles du redressement judiciaire : le plan d'apurement du passif avec continuation de l'entreprise, et la cession globale de celle-ci. À présent, le projet ne permet plus la cession de l'entreprise pendant le redressement judiciaire. Pourtant, la faculté de céder l'entreprise existe toujours. Il y a un important effort de pédagogie à fournir en la matière. Certes, dans son principe, l'idée sous-tendant le projet de loi est tout à fait conforme à ce qu'il y a lieu de faire. Il est clair que la cession de l'entreprise - et l'on sait les difficultés que cela a créé en pratique pour nous - ne nécessitait pas deux modes de cession : la cession en redressement judiciaire, qui était la cession normale, et la cession d'unité de production, en phase de liquidation judiciaire. Mais on peut s'interroger sur l'intérêt du choix d'une cession uniquement en liquidation judiciaire. À y regarder de plus près, on constate toutefois que la cession constitue bien un mode liquidatif de sortie de l'entreprise. Le projet de loi prévoit logiquement que la porte de sortie qu'est la cession est effectivement une phase liquidative. Néanmoins, il conviendrait de clarifier, au cours des débats parlementaires, les modalités de la négociation de la cession elle-même. Il est certain que la négociation de la cession doit, autant que faire se peut, avoir lieu pendant la phase de poursuite de l'activité de l'entreprise. Ceci suppose qu'il faudrait rester, durant cette négociation, en phase de redressement judiciaire. À condition - on le constate tous les jours dans les dossiers que nous sommes amenés à traiter - que l'entreprise ait la possibilité de poursuivre son activité ! Nous voyons tous les jours des entreprises qui souhaitent être cédées, alors qu'elles se trouvent en impasse totale de trésorerie. C'est pourquoi le législateur de 1985 avait prévu la possibilité d'arriver à la cession d'unités de production, malgré les difficultés que cela comportait en matière de reprise de contrats de travail et d'obligations en matière sociale. Nous souhaiterions que le débat parlementaire distingue bien la partie négociation de la cession, et la conclusion de la cession. La cession de l'entreprise tend effectivement à rendre celle-ci « liquide ». Il est donc logique que, par la suite, on se trouve en phase de liquidation judiciaire. Cela n'a rien de choquant. Mais il est certain que la négociation doit pouvoir se faire dans une phase autre que la liquidation. Ce n'est pas uniquement une question de présentation ou de formalisme : il existe de multiples raisons en ce sens, comme la mise en place d'un plan social qui, très souvent, accompagne une cession d'entreprise. Notre Conseil national fera des propositions sur les modalités de cessions d'entreprises. Manifestement, le projet ne tient pas compte du fait que, si la cession devait réellement se négocier en liquidation judiciaire - ce qui ne semble pas opportun -, il y aurait a minima, de toute évidence, une difficulté pour négocier le plan social dans le délai de 15 jours imposé par l'ags. L'inquiétude tient également au fait que certaines mesures de suspension des textes prévues par la loi de modernisation sociale sont effectives jusqu'à la fin de ce mois et ne le seront plus à partir du 3 juillet prochain. Il sera alors totalement impossible, tout en souhaitant respecter toutes les obligations à l'égard du droit social, de tenir plusieurs comités d'entreprise de suite dans un délai de 15 jours. Dans le cadre actuel de la cession, il était possible de disposer d'un délai d'un mois pour mettre en place le plan social d'accompagnement. Le projet de loi ne le prévoit pas si la cession reste en liquidation judiciaire. C'est un curseur qu'il faudra modifier, tout en ne changeant pas l'esprit et la solution du texte, parce qu'ils sont tous deux louables et adaptés. Le président Pascal CLÉMENT : Merci de cette intéressante suggestion. Avez-vous d'autres observations à formuler ? Mme Évelyne GALL-HENG : Compte tenu des projets et moutures successives du texte, qui a connu de nombreuses modifications jusqu'au projet déposé à l'Assemblée nationale, notre Conseil national soumettra des propositions au débat parlementaire, dont les principales résultent des observations qui viennent d'être faites. Les praticiens que nous sommes feront aussi des propositions d'ordre technique, à titre de précisions nécessaires. Comme je l'ai dit en introduction, nous sommes globalement tout à fait favorables au texte dans son ensemble. Le droit des entreprises en difficulté suit l'évolution économique, ce qui est tout à fait normal. Que les objectifs annoncés soient différents et que l'on évolue dans les objectifs par rapport à ce qu'était la loi de 1985 et la réforme de 1994 est tout à fait louable. À partir du moment où cela permettra effectivement aux entreprises de dédramatiser leur situation et d'entrer de manière anticipée et plus sereine dans la procédure, le pari sera gagné. J'insisterai cependant sur un point : ce pari doit être gagné ensemble : les professionnels que nous sommes, les juridictions, les parquets,... C'est un objectif qui doit être commun. Au cours du débat parlementaire, il est indispensable d'améliorer certains points, mais il est certain que la pratique jouera également un rôle essentiel. 1 () Rapport d'information n°1270 du 2 décembre 2003. 2 () Proposition de loi n° 1407 de M. Pascal Clément sur la gouvernance des sociétés commerciales, déposée le 4 février 2004. 3 () Rapport de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation portant sur la législation applicable en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises, présenté par M. Jean-Jacques Hyest, le 5 décembre 2001, doc. Assemblée nationale. n°3451. 4 () Les documents de travail du Sénat - Série Législation comparée - La sauvegarde des entreprises en difficulté - n° LC 135 - Juin 2004. 5 () En retenant, au regard de l'actif disponible, le passif « exigible et exigé », là où la loi ne prévoit que le seul passif exigible. |