N° 2724 - Proposition de résolution de Mme Muriel Marland-Militello sur l'attachement au respect des droits et libertés individuels face à certaine dérives commises en invoquant la liberté de la presse



N° 2724

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 juillet 2010.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur l’attachement à la liberté de la presse
et à la
déontologie dans les médias,

présentée par Mesdames et Messieurs

Muriel MARLAND-MILITELLO, Véronique BESSE, Bruno BOURG-BROC, Dino CINIERI, Jean-Pierre DECOOL, Jean-Pierre DOOR, Louis GUÉDON, Denis JACQUAT, Olivier JARDÉ, Michel LEJEUNE, Geneviève LEVY, Christian MÉNARD, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Jacques REMILLER, Jean ROATTA, Rudy SALLES, Françoise de SALVADOR, Daniel SPAGNOU, Abdoulatifou ALY, Edwige ANTIER, Jean BARDET, Brigitte BARÈGES, Patrick BEAUDOUIN, Jean-Claude BEAULIEU, Marc BERNIER, Gabriel BIANCHERI, Jean-Marie BINETRUY, Émile BLESSIG, Jean-Claude BOUCHET, Chantal BOURRAGUÉ, Dominique CAILLAUD, Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, Georges COLOMBIER, Geneviève COLOT, Olivier DASSAULT, Jacques DOMERGUE, Jean-Pierre DUPONT, Jean-Michel FOURGOUS, Yves FROMION, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Jean-Paul GARRAUD, Alain GEST, Georges GINESTA, Michel GRALL, François GROSDIDIER, Jacques GROSPERRIN, Arlette GROSSKOST, Christophe GUILLOTEAU, Françoise HOSTALIER, Jacqueline IRLES, Jacques LAMBLIN, Thierry LAZARO, Daniel MACH, Guy MALHERBE, Jean-François MANCEL, Jean-Pierre MARCON, Jean-Philippe MAURER, Damien MESLOT, Jean-Claude MIGNON, Georges MOTHRON, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Jean-Marc NESME, Jean-Pierre NICOLAS, Yanick PATERNOTTE, Bérengère POLETTI, Sophie PRIMAS, Michel RAISON, Bernard REYNÈS, Arnaud RICHARD, Martial SADDIER, Bruno SANDRAS, André SCHNEIDER Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Michel SORDI, Dominique SOUCHET, Michel VOISIN et André WOJCIECHOWSKI,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La récente divulgation par un hebdomadaire national d’informations contenues dans le dossier médical d’une personnalité du milieu artistique apporte une nouvelle illustration des excès auxquels certains journalistes peuvent succomber.

Liberté fondamentale à valeur constitutionnelle, qu’il n’est pas question de contester ni de remettre en cause dans ses fondements, la liberté de la presse ne saurait cependant s’exercer au détriment des autres droits fondamentaux, notamment du droit de toute personne au respect de sa dignité et de l’intimité de sa vie privée dont relève l’état de santé protégé par le secret médical.

La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 pose clairement le principe selon lequel « la libre communication des pensées et des opinions » a pour limite « l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi ».

Le « droit d’informer » n’autorise à révéler que ce qui ne porte pas atteinte aux principes protecteurs de l’être humain, principes qui s’imposent à tous et auxquels la France a exprimé son attachement profond tant dans ses instruments de droit interne qu’au niveau supra-national.

Le code civil reconnaît à chacun le droit au respect de sa vie privée (article 9) et l’interdiction de toute atteinte à la dignité de la personne (article 16). Les violations commises engagent la responsabilité civile de leurs auteurs.

Elles peuvent également engager leur responsabilité pénale au regard de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou de l’article 321-1 du code pénal relatif au recel ou la complicité de recel de violation de secret professionnel.

L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 reconnaît aussi à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, entrée en vigueur le 1er décembre 2009, proclame également le principe d’inviolabilité de la dignité humaine et le droit pour toute personne à la protection des données à caractère personnel la concernant.

C’est au nom de ces principes essentiels que 25 députés de la majorité ont signé, le 15 juin 2010, une « Lettre ouverte pour le respect du secret médical et de la vie privée dans les médias » dans laquelle ils ont exprimé leur indignation face à la divulgation d’éléments du dossier médical de Johnny Hallyday par le magazine L’Express, éléments qui ne constituent pas des informations sur des questions d’intérêt général.

La justification invoquée par le directeur de la rédaction du magazine en question, met en avant la liberté de l’investigation journalistique qui « amène à passer outre (…) des impératifs de secret qui ne concernent pas notre profession ». Sa réponse ne laisse d’ailleurs pas de surprendre en ajoutant à la liste des secrets dont, d’après lui, peuvent librement s’affranchir les médias le secret de l’instruction et le secret défense : « en effet, cette enquête va à l’encontre du secret médical, comme dans d’autres dossiers, l’investigation nous amène à passer outre le secret de l’instruction ou le secret-défense », explique-t-il.

Une telle conception est contraire aux lois. Une telle conception, dont il faut espérer qu’elle ne deviendra jamais représentative de l’ensemble de la presse, appelle une réaction ferme de la part de la représentation nationale face à des actes qui constituent un exercice abusif de la liberté de la presse.

La représentation nationale entend rappeler que la Charte de Munich (ou Déclaration des devoirs et des droits des journalistes) du 24 novembre 1971 range parmi les devoirs essentiels du journaliste le fait de respecter la vie privée des personnes.

S’agissant de l’éthique journalistique, l’arrêt Fressoz et Roire c. France de la Cour européenne des Droits de l’Homme en date du 21 janvier 1999 pose un cadre éthique clair et rappelle que l’article 10 de la Convention « protège le droit des journalistes de communiquer des informations sur des questions d’intérêt général, dès lors qu’ils s’expriment de bonne foi, sur la base de faits exacts et fournissent des informations fiables et précises dans le respect de l’éthique journalistique ».

Enfin le non-respect envers ces secrets par certains journalistes est incohérent avec l’attachement légitime de tous les journalistes au secret de leurs sources d’informations, secret récemment consacré par la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes.

La surenchère médiatique, la recherche du sensationnel et du profit à tout prix, au mépris des règles éthiques les plus élémentaires, au détriment des droits les plus essentiels de la personne, sont inacceptables.

Il est de notre responsabilité de représentants de la Nation, au nom d’une haute conception de la liberté de la presse et de la personne humaine, d’adopter la présente résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée Nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et notamment ses articles 4 et 11 qui disposent respectivement que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », et que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi » ;

Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des Droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ;

Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, et notamment son article 12 qui énonce que « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes » ;

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et spécialement son article 8 qui reconnaît à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’entrée en vigueur le 1er décembre 2009, et notamment ses articles 1er, 7, 8 et 11 qui disposent respectivement que « la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée », que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications », que « toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant », et que « la liberté des médias et leur pluralisme sont respectés » ;

Vu la résolution n° 1003 du Conseil de l’Europe du 1er juillet 1993 relative à l’éthique du journalisme ;

Vu la Charte de Munich (ou Déclaration des devoirs et des droits des journalistes) du 24 novembre 1971, qui range parmi les devoirs essentiels du journaliste le fait de respecter la vie privée des personnes ;

Considérant que la liberté proclamée à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen implique le respect de la vie privée ;

Considérant qu’en vertu des articles 9 et 16 du code civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée » et que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » ;

Considérant que la liberté de la presse a pour limite les abus qui sont déterminés par la loi ;

Que les atteintes au secret de l’instruction, au secret-défense, à la dignité et à la vie privée de la personne et au secret médical, quelles qu’elles soient, font partie de ces abus et, partant, ne sont pas acceptables ;

1° Réaffirme solennellement son attachement à la liberté de la presse, liberté fondamentale à valeur constitutionnelle, valeur essentielle de la République française et indispensable à toute société démocratique ;

2° Réaffirme solennellement son attachement au respect des principes de dignité humaine, de respect de la vie privée, de secret de l’instruction, de secret-défense et de secret des données à caractère personnel et médical ;

3° Considère que la divulgation non autorisée dans la presse d’informations relevant du domaine de la vie privée ou couvertes par un secret professionnel, et en particulier par le secret médical, porte une atteinte inacceptable aux droits et libertés fondamentales de la personne qui en est victime ;

4° Affirme que le « droit d’informer » doit se fonder sur une information obtenue de manière légale, loyale, et qu’elle doit être exacte, objective, pertinente et répondant aux exigences fixées par la loi et la jurisprudence ;

5° Que toute violation de ces principes est inacceptable et doit être condamnée, à commencer par les journalistes eux-mêmes afin de sauvegarder leur déontologie ;

6° Appelle la profession des journalistes et tous les médias à respecter à chaque instant la Charte de Munich, portant déclaration des devoirs et des droits des journalistes.


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