N° 3240 - Proposition de résolution de M. Roland Muzeau relative à la mise en conformité du régime des astreintes et de forfait annuel en jours avec la charte sociale européenne révisée



N° 3240

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mars 2011.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

relative à la mise en conformité du régime des astreintes
et de forfait annuel en jours avec la
Charte sociale européenne révisée,

présentée par Mesdames et Messieurs

Roland MUZEAU, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Martine BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les peuples d’Europe et de France subissent quotidiennement les effets négatifs d’une construction européenne fondée sur le libéralisme économique dont les conséquences concrètes se traduisent par un amoindrissement progressif des droits et protections sociales ainsi que par une casse systématique des services publics telle qu’organisée par la directive service. Le Gouvernement français refuse, par dogmatisme, d’appliquer les dispositions contenues dans la Charte sociale révisée constitue la seule et mince protection offerte aux salariés le cadre européen.

Dans sa décision du 23 juin 2010, le Comité européen des droits sociaux dont la mission principale est de statuer en droit sur la conformité des situations nationales avec la Charte sociale européenne révisée, a considéré à raison que notre législation nationale et plus particulièrement les dispositions relatives aux forfaits en jours et aux astreintes violaient respectivement les articles 2§1, 2§5 et 4§2 de la charte révisée.

La Confédération générale du travail (CGT) avait déposé auprès du Comité européen des droits sociaux (CEDS) une réclamation concernant d’une part la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, et plus particulièrement le régime de forfait annuel en jours et, d’autre part, le régime de l’astreinte tel que définit à l’article L. 3121-5 du code du travail.

L’organisation syndicale soutenait dans sa réclamation que le régime relatif à la durée du travail annuel, communément appelé forfait en jours, violait les articles 2 alinéa 1 et 4 alinéa 2 de la Charte.

En effet la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail, qui instaure le forfait en jours, a introduit, pour la première fois, un système de rémunération sans référence horaire et sans durée maximale hebdomadaire de travail.

Initialement, seuls les cadres intermédiaires, c’est-à-dire ceux qui, au sens de l’ancien article L. 212-15-3 du code du travail, n’étaient considérés ni comme des cadres intégrés ni comme des cadres dirigeants, pouvaient se voir appliquer un régime de forfait sur l’année soit en heures, soit en jours, en contrepartie de mesures censées leur permettre de bénéficier d’une réduction effective du temps de travail.

Déjà, en 2000, le CEDS avait considéré, à l’occasion d’une procédure de réclamation (réclamation n°9/2000) introduite par la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC) – que le régime de forfait en jours était contraire à l’article 2 alinéa 1 de la Charte qui prévoit : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties contractantes s’engagent (…) à fixer une durée raisonnable au travail journalier et hebdomadaire, la semaine de travail devant être progressivement réduite pour autant que l’augmentation de la productivité et les autres facteurs entrant en jeu le permettent ».

Cette décision n’a pas empêché le Gouvernement de modifier la loi du 19 janvier 2000 par la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 (dite « loi Fillon II ») et d’étendre le forfait en jours aux cadres dits intégrés tels que définis dans l’ancien article L. 212-45-2 du code du travail. Cette évolution législative a donné lieu au dépôt par la CFE-CGC et la CGT de deux nouvelles procédures de réclamation (réclamation n° 16/2003 et réclamation n° 22/2003) sanctionnées par deux décisions du CEDS qui rappellent que les évolutions législatives intervenues en 2003 n’étaient pas de nature à faire évoluer la constat dressé par le CEDS en 2000 quant à la non-conformité de la législation française avec la Charte.

La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a encore aggravé la situation en étendant cette fois-ci le forfait en jours aux autres catégories de salariés. Il résulte en effet de l’article L. 3121-43 du code du travail, tel que modifié par l’article 19 de la loi 20 août 2008 que « Peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l’année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l’accord collectif prévu à l’article L. 3121-39 (…) les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées. »

Cette même loi permet par ailleurs aux salariés qui le souhaitent de déroger – par le biais d’une convention individuelle – à la durée de travail annuelle fixée à 218 jours en la portant à 282 jours dans certains cas.

Une nouvelle fois saisi (réclamation n° 55/2009), le CEDS a conclu à l’unanimité de ses membres, dans la décision précitée du 23 juin 2010, que le système de forfait en jours sur l’année viole l’article 2 alinéa 1 de la Charte qui pose le principe d’une « durée de travail raisonnable » et l’article 4 alinéa 2 qui reconnaît le « droit à une rémunération équitable ».

À l’occasion de cette réclamation (n° 55/2009) le CEDS a également été appelé à statuer sur la conformité du régime des astreintes définies, à l’article L. 3121-5 du code du travail, comme « une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, a l’obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d’être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif ».

Le Comité européen des droits sociaux a tout d’abord rappelé dans sa décision du 7 décembre 2004 précitée que : « les périodes d’astreinte pendant lesquelles le salarié n’a pas été amené à intervenir au service de l’employeur, si elles ne constituent pas un temps de travail effectif, ne peuvent néanmoins être, sans limitation, assimilées à un temps de repos au sens de l’article 2 de la Charte sauf dans le cadre de professions déterminées ou dans des circonstances ». Le CEDS a par ailleurs précisé que « l’absence de travail effectif, constatée a posteriori pour une période de temps dont le salarié n’a pas eu a priori la libre disposition, ne constitue dès lors pas un critère suffisant d’assimilation de cette période à une période de repos », pour finalement conclure « que l’assimilation des périodes d’astreinte au temps de repos constitue une violation du droit à une durée raisonnable du travail prévue par l’article 2§1 de la Charte révisée ».

Le CEDS a en outre rappelé que le régime des astreintes, qui s’applique aux dimanches, viole l’article 2 alinéa 5 de la Charte révisée qui prévoit qu’en vue « d’assurer l’exercice effectif du droit à des conditions de travail équitables, les Parties s’engagent (…) à assurer un repos hebdomadaire qui coïncide autant que possible avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par la tradition ou les usages du pays ou de la région ».

Ainsi dans sa décision du 23 juin 2010, le Comité européen des droits sociaux a noté que notre législation viole au moins quatre dispositions de la Charte révisée, dont l’ambition est théoriquement de sauvegarder « les droits sociaux et économiques de l’homme. »

Ce sont des violations importantes, puisqu’elles affaiblissent les droits sociaux des salariés, en réduisant leurs rémunérations et en les exposant à des rythmes de travail pouvant avoir des conséquences importantes sur leur santé et leur vie familiale.

Elles sont d’autant plus insupportables qu’elles ont été constatées pour la première fois en 2001 et qu’elles perdurent depuis, sans que les évolutions législatives n’y remédient puisqu’au contraire ont été ajoutés des motifs de non conformité à la Charte.

Le fait qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de mécanisme de sanction du non respect des décisions du CEDS ou de l’absence de mise en conformité de la législation nationale aux principes contenus dans la Charte, ne peut justifier que le Gouvernement reste inactif.

Il est de sa responsabilité d’agir afin de respecter les engagements de la France au plan européen et de rétablir les salariés dans leurs droits.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Propose au Gouvernement de mettre la législation nationale relative aux forfaits annuels en jours – mentionnés aux articles L. 3121-43 et suivants du code du travail – et relative au régime des astreintes – définit à l’article L. 3121-5 du code du travail – en conformité avec la Charte sociale européens révisée de 1996.


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