N° 3108 N° 248 _____ __
ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 2010 - 2011
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Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale Enregistré à la présidence du Sénat
le 19 janvier 2011 le 19 janvier 2011
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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
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RAPPORT
sur
L’ÉVALUATION DU PLAN NATIONAL DE GESTION DES MATIÈRES ET DES DÉCHETS RADIOACTIFS 2010-2012
Par MM. Christian BATAILLE et Claude BIRRAUX,
députés
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Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Claude BIRRAUX par M. Bruno SIDO
Président de l'Office Premier vice-président
Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
Président
M. Claude BIRRAUX
Premier vice-président
M. Bruno SIDO, sénateur
Vice-présidents
M. Claude GATIGNOL, député Mme Brigitte BOUT, sénateur
M. Pierre LASBORDES, député M. Marcel DENEUX, sénateur
M. Jean-Yves LE DÉAUT, député M. Daniel RAOUL, sénateur
DÉputés |
SÉnateurs |
M. Christian BATAILLE M. Claude BIRRAUX M. Jean-Pierre BRARD M. Alain CLAEYS M. Jean-Pierre DOOR Mme Geneviève FIORASO M. Claude GATIGNOL M. Alain GEST M. François GOULARD M. Christian KERT M. Pierre LASBORDES M. Jean-Yves LE DÉAUT M. Michel LEJEUNE M. Claude LETEURTRE Mme Bérengère POLETTI M. Jean-Louis TOURAINE M. Philippe TOURTELIER M. Jean-Sébastien VIALATTE |
M. Gilbert BARBIER M. Paul BLANC Mme Marie-Christine BLANDIN Mme Brigitte BOUT M. Marcel-Pierre CLÉACH M. Roland COURTEAU M. Marc DAUNIS M. Christian DEMUYNCK M. Marcel DENEUX M. Serge LAGAUCHE M. Hervé MAUREY M. Jean-Marc PASTOR M. Xavier PINTAT Mme Catherine PROCACCIA M. Daniel RAOUL M. Ivan RENAR M. Bruno SIDO M. Alain VASSELLE |
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 7
LE PNGMDR ET SA DÉMARCHE D'ÉLABORATION 15
L’OBJECTIF DE LA TRANSMUTATION 23
I. La nécessaire lucidité face à la mythologie miraculeuse 23
II. Des difficultés réelles de mise en oeuvre 26
III. L’absolue nécessité de la poursuite de l’effort 28
LE STOCKAGE DES DÉCHETS RADIOACTIFS 33
LA CONSULTATION PUBLIQUE 39
I. Les ressorts de la participation 40
II. Le piège de la recherche d’unanimité 41
III. Le débat restreint avec les associations 43
IV. Le “Tribunal de l’environnement” 44
LA FILIÈRE NUCLÉAIRE 47
I. Le jeu sur le périmètre des entreprises publiques 47
II. Les passagers clandestins de l’offre électronucléaire 49
III. Le manque de coordination à l’étranger 51
CONCLUSION 55
RECOMMANDATIONS 57
EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE 61
ANNEXES 69
Annexe 1 : Liste des personnes rencontrées 71
Annexe 2 : Compte rendu des visites en France et à l’étranger 75
— Visite au centre de recherches de Cadarache - 9 juillet 2010 77
— Mission en Espagne - 20 au 22 octobre 2010 81
— Mission en Russie - 8 au 12 novembre 2010 85
— Mission en Suède - 29 et 30 novembre 2010 93
— Visite de l’atelier Somanu à Maubeuge - 13 janvier 2011 98
Annexe 3 : La gestion des déchets nucléaires en Allemagne 101
Annexe 4 : Extrait du rapport de Robert Dautray à l’Académie des Sciences 113
Annexe 5 : Les projets de réacteurs de quatrième génération 117
Annexe 6 : Note de synthèse sur le bitumage (ASN) 139
Annexe 7 : Loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets
radioactifs 145
Annexe 8 : Loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières
et déchets radioactifs 151
Annexe 9 : Livret sur les évènements d’Auxon 163
Annexe 10 : Lettre adressée à l’association « Sortir du nucléaire » 183
Annexe 11 : Auditions 187
— Comité de pilotage 189
— Personnalités auditionnées 191
— Compte rendu des auditions 195
Mesdames, Messieurs,
Constance, cohérence, patience, tels pourraient être les maîtres mots de la position de l’OPECST sur le dossier des déchets nucléaires.
Constance, d’abord :
Elle est symbolisée par la continuité d’action entre vos deux rapporteurs sur ce dossier.
Christian Bataille l’a pris en charge en 1989 à un moment critique, marqué par des manifestations de populations légitimement outrées par des opérations d’exploration géologique réalisées sans concertation préalable, qui avait conduit le Premier ministre de l’époque, M. Michel Rocard, à arrêter le processus et à le renvoyer à une décision du Parlement. Celui-ci s’en est alors logiquement remis aux compétences d’évaluation scientifique de l’OPECST; le premier rapport publié par l’Office sur la gestion des déchets nucléaires a alors directement inspiré la loi “Bataille” du 30 décembre 1991.
Claude Birraux a parachevé quinze années d’études répétées de l’OPECST sur les sujets des déchets radioactifs et de la sûreté nucléaire, vingt-trois études de 1990 à 2005, dont vingt-et-une conduites par vos rapporteurs, seuls, ensemble ou séparément en cosignature avec leurs collègues députés ou sénateurs, en préparant, présentant et défendant, en tant que rapporteur à l’Assemblée nationale, la loi du 28 juin 2006, que d’aucuns appellent désormais la loi “Birraux”. Cette loi retranscrit, dans un même cadre, l’ensemble des recommandations d’organisation formulées, au fil de ces rapports, par l’OPECST, dont notamment la réalisation d’un plan pour la gestion des déchets radioactifs, qui avait été préconisée par une étude de mars 2000 “sur les conséquences des installations de stockage des déchets nucléaires sur la santé publique et l'environnement”.
Cohérence, ensuite :
L’approche retenue par l’OPECST tire son équilibre de principes qui se veulent à la fois universels et complémentaires, à l’image d’un édifice qui ne tient que par la jonction de l’intégralité de ses pierres.
L’universalité tient en ce que, d’une part, toutes les formes de déchets radioactifs sont concernées, quelles qu’en soient les conditions de production; des distinctions ne sont prévues qu’en considération des caractéristiques physiques des déchets, principalement leur activité et leur durée de vie. Ensuite, toute circulation de déchets radioactifs à travers les frontières ne change pas les règles en vigueur du point de vue français; la gestion des déchets radioactifs relève exclusivement, en dernier ressort, du niveau national : aucun déchet nucléaire produit à l’étranger ne doit être stocké en France, ni aucun déchet nucléaire produit en France stocké à l’étranger.
La complémentarité repose d’abord sur l’équilibre en triangle entre le principe de financement du pollueur-payeur, le principe de propriété juridique du producteur tout au long de la durée d’activité du déchet, et le principe de souveraineté nationale dans les choix d’organisation des filières de traitement. Cette complémentarité s’exprime aussi à travers le souci d’optimiser la gestion des déchets radioactifs en tirant avantage des trois différentes voies de traitement envisageables : transmutation, stockage, entreposage. Certes, la transmutation concerne plus spécifiquement les déchets de haute activité, mais la poursuite des recherches sur ces trois voies marque, pour l’OPECST, le souhait de tirer au maximum avantage de la capacité de la science et de la technologie à faire émerger les meilleures combinaisons de solutions possibles.
Patience, enfin :
L’OPECST s’est engagé dans sa mission d’évaluation sans se donner d’autre perspective que la finalisation, à terme, d’une solution opérationnelle présentant les meilleures garanties de sûreté, et considère que toute la politique de gestion des déchets gagne, de ce point de vue, à s’inscrire dans la durée; une durée active de préparation et de concertation, bien sûr, et non pas une durée tactique d'atermoiement.
La constante de temps des processus concernés l’impose, car l’industrie nucléaire repose sur des investissements très lourds qui n’ont de sens que pour une exploitation s’étendant sur un demi-siècle au moins, voire plusieurs siècles lorsqu’on considère les centres de stockage. Le temps passé à la réflexion, à la concertation en amont n’est donc jamais perdu; mieux vaut un bon et franc retard délibérément raisonné qu’une précipitation porteuse d’une solution bancale.
Du reste, l’Office a d’emblée préconisé d’inscrire la stratégie de gestion des déchets radioactifs dans une perspective longue, en recommandant une période de recherches de quinze années, qui a été ouverte par la loi du 31 décembre 1991; de nouveau, en inspirant les dispositions fixées par la loi du 28 juin 2006, l’Office a préconisé de concilier durée et visibilité par l’établissement d’un échéancier daté, mais sur plusieurs dizaines d’années, pour la mise en oeuvre des dispositifs de gestion des différentes filières. Nos interlocuteurs de Suède, lors de la visite effectuée début décembre, nous ont rappelé l’importance de la construction d’une solution “pas après pas” que leur propre expérience leur avait enseignée : sans renoncement, car la prise du temps nécessaire ne signifie aucunement l’ouverture d’un délai indéfini, mais sans accélération.
Un bilan global
A travers ce rapport d’évaluation du deuxième “plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs” (PNGMDR), vos rapporteurs voient plus globalement l’occasion d’effectuer un bilan, au regard des quelques grandes lignes directrices qui viennent d’être évoquées, de la mise en oeuvre de l’ensemble du dispositif de gestion des déchets nucléaires institué par les lois historiquement jumelles du 30 décembre 1991 et du 28 juin 2006, mais aussi, s’agissant notamment des procédures d’information et du contrôle de sûreté, par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire.
C’est l’article 6 de la loi du 28 juin 2006, celui-là même qui a imposé la réalisation tous les trois ans d’un “plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs”, qui demande à l’OPECST de se saisir de celui-ci pour évaluation, après qu’il a été transmis au Parlement. Pour ce deuxième PNGMDR couvrant la période 2010-2012, la transmission par le canal du Secrétariat général du Gouvernement est intervenue, au nom du Premier ministre, le 3 mars 2010, et l’OPECST s’est saisi de l’évaluation en désignant vos rapporteurs le 31 mars suivant.
L’étude s’est appuyée sur une vingtaine d’auditions dans les locaux de l’OPECST, ayant permis d’entendre environ trente-cinq personnes directement en prise, en France, avec la question de la gestion des déchets nucléaires. Tous les comptes rendus sont disponibles en annexe, sous une forme relue et validée par les intéressés. Le réseau “Sortir du nucléaire” lui-même, en dépit de son radicalisme bien connu, a été invité à rédiger une contribution écrite, par un courrier également reproduit en annexe; il n’a pas donné suite.
Vos rapporteurs ont effectué deux visites de terrain en France, au centre de recherches de Cadarache, et à l’atelier de maintenance nucléaire de la Somanu à Maubeuge. Ils se sont rendus également en Espagne, en Russie et en Suède pour faire le point sur la politique de gestion des déchets sur place, échangeant au total avec une quarantaine des meilleurs spécialistes nationaux de ces pays. Les comptes rendus de ces visites sont complétés par une monographie sur la situation en Allemagne, réalisée avec le concours de la mission économique française à Berlin. En effet, le blocage des lignes aériennes du fait des intempéries survenues le 8 décembre a empêché une visite programmée outre-Rhin, qu’il n’aurait pas été possible de reporter sans retarder la conclusion de cette étude.
Une deuxième évaluation, pour un deuxième plan : l’évaluation du premier PNGMDR par l’OPECST a fait l’objet d’un document publié en avril 2007, et a été présenté au groupe de travail pilotant l’élaboration du plan le 16 janvier 2008. Comme l’exercice était nouveau, les recommandations étaient assez fondamentales : l’OPECST a demandé que les problématiques de la quatrième génération soient mieux mises en valeur, et les enjeux de financement plus explicités. Le deuxième plan n’a répondu que partiellement à ces préoccupations, notamment en ce qui concerne les enjeux de financement. La deuxième évaluation se propose de revenir sur ces sujets, et de prendre en considération d’autres questions sur un mode plus opérationnel.
Le contexte d’analyse
Mais, avant de rappeler les jalons de cette démarche d’évaluation, il paraît indispensable d’expliciter notre position quant à la place dévolue à l’énergie nucléaire dans la stratégie énergétique de notre pays, et quant à nos relations avec les principaux interlocuteurs sur ce sujet au coeur du débat démocratique.
Notre engagement de longue date sur les questions de l’énergie nucléaire signifie que nous considérons ces questions comme importantes, et que nous nous sommes donnés, pour cette raison, et pour le compte de l’OPECST qui nous a confié la réalisation de vingt-trois études dans ce domaine (y compris les deux premières évaluations du PNGMDR), les moyens d’essayer d’en maîtriser les enjeux essentiels. Mais il ne signifie en rien une quelconque adhésion aveugle et inconditionnelle.
L’énergie nucléaire est une technologie trop sophistiquée pour faire l’objet d’un prosélytisme universel : seuls les pays à même d’effectuer un investissement matériel et humain considérable sont en mesure de maîtriser suffisamment les conditions de sûreté pour la déployer à l’échelle de l’ensemble de leur territoire. De plus, chaque pays doit définir une stratégie énergétique en cohérence avec ses caractéristiques et ses atouts.
La France a fait le choix de se doter, dans les années 70, d’un important parc de centrales nucléaires; c’est aujourd’hui objectivement l’un de ses atouts stratégiques, notamment en termes d’indépendance énergétique, de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, de coût réduit de l’électricité. Mais cela n’exclut en rien la nécessité d’investir aujourd’hui, notamment à travers une utilisation avisée d’une partie des moyens dégagés par la rente nucléaire - via la Contribution au service public de l’électricité (CSPE), notamment - dans le déploiement des énergies renouvelables. Car notre pays a les moyens de poursuivre l’exploration et l’exploitation des deux voies parfaitement complémentaires de l’énergie nucléaire et des énergies renouvelables, toutes deux absolument indispensables jusqu’à la fin du XXIe siècle.
L’OPECST n’a pas attendu l’élan médiatique du Grenelle de l’environnement pour réfléchir aux conditions du développement des énergies renouvelables1. Vos rapporteurs eux mêmes ont abordé les questions des nouvelles technologies de l’énergie à plusieurs reprises. Ainsi, notre dernier rapport, en décembre 2009, concernait l’analyse des normes de performance énergétique prévues par la réglementation thermique des bâtiments qui sera applicable à partir de la fin 2012 (RT 2012). Notre rapport précédent de mars 2008 sur la stratégie de recherche en énergie soulignait l’importance d’un effort d’investissement dans le domaine du stockage d’énergie pour compenser l’intermittence de la plupart des énergies renouvelables, et ainsi leur assurer un avenir autre que marginal.
Une approche industrielle cohérente est indispensable pour assurer l’intégration au tissu économique français des énergies renouvelables, ce qui suppose un effort d’équipement amont et aval, à l’image de celui ayant permis le développement de la filière nucléaire à partir des années 702.
L’interaction avec les autres acteurs
L’indépendance de l’OPECST, organe du Parlement, vis à vis du Gouvernement a été illustrée, au cours des débats sur le “Grenelle 2”, par sa proposition, finalement symboliquement satisfaite, d’intégrer un plafond d’émission de CO2 dans les normes de construction des bâtiments. Mais, dans le domaine de la gestion des déchets nucléaires, vos rapporteurs ne font pas moins preuve d’autonomie d’esprit; nous constatons par exemple l’incohérence du Gouvernement, et de son ministre de l’énergie de l’époque, dans la conduite du dossier des déchets FAVL : celui-ci a laissé sans soutien, face aux oppositions montantes, le maire d’une petite commune, qui, en réponse à une sollicitation de l’Etat, avait pourtant loyalement et régulièrement fait acte de candidature à des études géologiques en sous-sol.
Vis-à-vis des industriels du secteur nucléaire, vos rapporteurs regrettent les inconvénients d’une privatisation croissante qui les amène progressivement à défendre des intérêts de court terme, lesquels vont assez souvent à l’encontre des intérêts bien compris de la filière dans son ensemble : ainsi en est-il des débats dirigés contre la compétence de l’ANDRA à piloter le projet de stockage géologique au niveau industriel, ou des distances prises avec les recherches sur la transmutation des actinides mineurs, pourtant un des axes majeurs de la politique de gestion des déchets de haute activité depuis la loi du 30 décembre 1991.
Évidemment, vos rapporteurs sont également peu influencés par les positions des écologistes purement dogmatiques, qui sont pourtant la source d’information privilégiée des grands médias : les uns et les autres s’entendent à merveille pour refuser d’entrer dans la complexité des sujets. “Trente secondes, une victime, un coupable”, voilà paraît-il le credo d’efficacité médiatique qui est enseigné aux jeunes journalistes. On comprend qu’ils deviennent avides des affirmations péremptoires des opposants extrémistes de l’énergie nucléaire. On comprend aussi qu’ils en viennent à occulter volontairement les réalités qui nuiraient à la dramatisation qu’ils recherchent.
Ainsi, au cours du documentaire "Uranium, le scandale de la France contaminée", sur les anciennes mines d’uranium exploitées dans le Limousin jusqu’en 2001, que France 3 a diffusé le 11 février 2009, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire apparaît. Il a conseillé, au cours de l’enregistrement de l’entretien, d’aller prendre l’avis du “Groupe d’expertise pluraliste sur les sites miniers d’uranium du Limousin”, composé de représentants d’associations locales et nationales, de l’industrie, d’organismes publics, de laboratoires, et d’experts indépendants, y compris étrangers, en charge officiellement de cette question depuis juin 2006. Ce conseil a été coupé au montage, et le président du Groupe d’expertise, le professeur Robert Guillaumont, n’a jamais été contacté par l’équipe de reportage. Évidemment, car toute référence au Groupe d’expertise aurait invalidé la thèse d’un scandale caché.
A côté des écologistes dogmatiques, qui fonctionnent par coups médiatiques, existent des associations plus discrètes dont les représentants font un réel effort pour se documenter, pour argumenter, pour participer de manière active aux instances de concertation, et notamment au groupe de travail qui pilote l’élaboration du PNGMDR. Vos rapporteurs tiennent ici à rendre hommage à leur travail, à leur courtoisie, à leur patience, à leur honnêteté intellectuelle. Ces associations sont l’honneur de la démocratie participative; elles sont aussi, par les résultats qu’elles obtiennent, les meilleurs garants des progrès de la sûreté et de la transparence dans le domaine nucléaire.
Les jalons de l’évaluation
La première partie de cette évaluation va justement s’attacher à établir un bilan du fonctionnement de ce groupe de travail qui pilote l’élaboration du PNGMDR, et plus largement, des instances de transparence mis en place par les deux lois du 28 juin 2006 et du 13 juin 2006.
La deuxième partie fera le point sur le dossier de la quatrième génération et de la transmutation.
La troisième partie passera en revue les différents problèmes posés par la mise en oeuvre du PNGMDR du point de vue de la préparation des solutions de stockage encore à venir.
La quatrième partie reviendra sur les procédures de consultation publique, afin d’en proposer des aménagements pouvant, le cas échéant, être appliqués lors des étapes préalables à la discussion de la loi devant autoriser le stockage géologique profond.
La dernière partie évoquera certaines évolutions récentes constatées au sein de la filière nucléaire en regard des principes de constance, cohérence, patience que l’OPECST s’efforce de promouvoir.
LE PNGMDR ET SA DÉMARCHE D'ÉLABORATION
Si le PNGMDR a été institué par l’article 6 de la loi du 28 juin 2006, il trouve son origine dans une recommandation d’un rapport de l’OPECST, publié en janvier 2000, par Mme Michèle Rivasi, députée, proposant aux pouvoirs publics d’étudier la faisabilité d’un plan national de gestion des déchets radioactifs. Conformément à cette recommandation, un processus de concertation a été engagé, à partir de 2003, sous l’égide du Gouvernement, avec les principaux acteurs de la gestion des déchets radioactifs, y compris des associations, pour définir les objectifs de ce document et les conditions de sa réalisation, puis engager l’élaboration de sa première version. La loi de 2006 a donc donné une valeur impérative à ce document, issue d’une démarche ouverte et participative, tout en précisant les conditions de son application.
A l’occasion de leurs auditions des principaux participants aux PNGMDR, vos rapporteurs ont eu la satisfaction de constater leur parfaite unanimité sur les progrès réalisés dans son élaboration, notamment par l’extension de son champ d’investigation à de nouvelles catégories de déchets radioactifs, et, globalement, sur la qualité satisfaisante du document résultant. S’il convient de consolider les résultats obtenus, en poursuivant ce processus vertueux d’amélioration continue et de recherche de l’exhaustivité, vos rapporteurs considèrent que la dernière version du PNGMDR répond aux principaux objectifs qui lui avaient été assignés par la loi du 28 juin 2006.
Fruit du travail collectif engagé depuis 2003, le PNGMDR a désormais acquis, aux yeux des citoyens et des associations, par delà son statut de document normatif pour les acteurs de la filière, la valeur d’un véritable référentiel commun, dont ils attendent l’ensemble des informations pertinentes sur la gestion des matières et déchets radioactifs. Ce succès implique de se fixer de nouvelles exigences, à la fois sur les conditions de son élaboration, sa lisibilité et son contenu.
Cette ambition renouvelée nous semble d’autant plus justifiée que le PNGMDR constitue, ainsi que l’a souligné le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), avec le cadre législatif défini par les deux lois de 1991 et 2006, et l’existence de l’Andra, l’un des piliers essentiels de la stratégie française de gestion des matières et déchets radioactifs. Vos rapporteurs ont pu constater, à l’occasion de leurs déplacements à l’étranger, par exemple en Fédération de Russie, l’influence certaine que notre pays continue à exercer, dans ce domaine. Cet atout, insuffisamment mis en valeur, pourrait contribuer à renforcer encore la compétitivité de notre filière nucléaire à l’international3.
I. AMÉLIORER LA DÉMARCHE D’ÉLABORATION
Dès avant sa création, le PNGMDR s’est inscrit dans l’approche de transparence et de dialogue initiée par la première loi de 1991 sur la gestion des déchets. Sa démarche d’élaboration, elle-même issue d’une concertation, constitue la première tentative d’organiser un échange entre l’ensemble des acteurs de la filière, aux intérêts parfois contradictoires, en vue de construire une vision partagée de la gestion des matières et déchets radioactifs.
L’organisation mise en place, à cette fin, s’appuie sur un “groupe de travail pluraliste“, animé par l’ASN et la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), auquel participent notamment l’Andra, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), les grands producteurs de déchets: Areva, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et EDF, et plusieurs associations de défense de l’environnement. Contrairement à ce que laisserait supposer sa dénomination, l’objet de ce groupe de travail ne consiste pas à participer directement à la rédaction du PNGMDR, l’ASN et la DGEC se chargeant seuls d’en tenir la plume, mais à recueillir les réactions des participants et, le cas échéant, à enrichir le PNGMDR de leurs observations, soit à l’occasion des réunions du groupe, consacrées, suivant un rythme trimestriel, à des présentations techniques, préparées par les exploitants, soit en intégrant les remarques communiquées, a posteriori, aux organisateurs. Par ailleurs, l’ASN et la DGEC réunissent, en petits comités, les exploitants intéressés et l’IRSN, afin de préparer certaines parties du document.
Cette organisation a, sans conteste, permis de réaliser, ces dernières années, des progrès notables, le plus marquant concernant l’extension du champ du PNGMDR à certaines catégories de déchets jusqu’alors non prises en compte. Néanmoins, l’apparition de nouvelles instances de concertation dans le paysage institutionnel, par exemple, au niveau local, les CLI, ou, au niveau national, le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), a contribué à affiner les pratiques de concertation et à approfondir l’expérience des acteurs de la filière en la matière. Les progrès accomplis par ces nouvelles instances, en capitalisant notamment sur l’expérience du PNGMDR, ont conduit à une situation paradoxale : suite à la saisine, par l’OPECST, du HCTISN, sur le sujet des échanges d’uranium de retraitement avec la Fédération de Russie, des associations, par ailleurs parties prenantes au PNGMDR, ont mis à profit le groupe de travail du HCTISN pour exprimer, en dehors du PNGMDR, un certain nombre de remarques entrant normalement dans son périmètre.
De fait, à l’occasion des auditions, plusieurs représentants d’associations nous ont fait part des difficultés rencontrées, au sein du groupe de travail du PNGMDR, pour exprimer leurs positions, a fortiori, les faire prendre en compte. A cet égard, les deux principaux obstacles évoqués concernent, d’une part, le nombre élevé, à hauteur d’une soixantaine, de participants aux réunions plénières du PNGMDR, et, d’autre part, la communication, souvent tardive, des documents discutés lors de ces réunions. A également été mentionnée l’absence de représentation des associations aux réunions de travail préparatoires, en petits comités, dans lesquelles seuls les exploitants et l’IRSN sont conviés.
Un autre obstacle à la prise en compte des contributions des associations résulte d’un souci trop poussé du consensus, lequel conduit, dans certains cas, à occulter la persistance de désaccords, pourtant avérés, au risque d’entretenir l'ambiguïté, voire de placer certaines associations dans une situation difficile, vis-à-vis de leurs adhérents, ou de les exposer aux attaques d’associations hostiles à toute concertation. Si nous approuvons les efforts réalisés pour parvenir, au sein du PNGMDR, à des positions communes sur le plus grand nombre possible de sujets, nous estimons que les désaccords résiduels doivent pouvoir être mentionnés, lorsque l’importance des divergences le justifie, afin de clarifier les positions des participants.
Le concours, dès l’origine, des associations à l’élaboration du PNGMDR, nous semble être une composante essentielle de sa crédibilité, croissante, auprès du grand public. A cet égard, l’arrivée de nouvelles associations, ou leur retour, au sein du groupe de travail du PNGMDR, constitue une évolution particulièrement encourageante. Si d’autres associations se sont toujours obstinées à refuser de contribuer à cet espace de dialogue, préférant le confort de l’opposition systématique aux contraintes de la participation au débat, l’ASN et la DGEC ont tout intérêt à persévérer dans leur dynamique d’invitation de l’ensemble des associations représentatives, en s’astreignant à les relancer systématiquement. Afin de les mettre en valeur, un bilan des démarches effectuées et des résultats obtenus pourrait être présenté aux membres du groupe de travail.
Nous tenons par ailleurs, à saluer ici l’implication des représentants d’associations, pour certains présents au sein de multiples instances de concertation, sur des sujets toujours techniques et souvent arides, nécessitant compétence et persévérance. Leur nombre par trop restreint, nous conduit toutefois à nous interroger, malgré les succès obtenus, sur le devenir de la concertation, en l’absence de perspective claire sur les conditions dans lesquelles pourra s’effectuer le renouvellement des compétences au sein d’associations aux ressources limitées.
Afin d’assurer la poursuite des progrès du PNGMDR, il nous semble donc nécessaire que l’amélioration de l’efficience de l’organisation de son élaboration devienne, pour l’ASN et la DGEC, une préoccupation constante. Le cas échéant, elles pourraient constituer, à cette fin, un groupe de travail ad hoc, composé d’un petit nombre de représentants des principaux acteurs.
Dans l’immédiat, afin de palier les principaux freins à une meilleure prise en compte des contributions de l’ensemble des participants, nous recommandons à l’ASN et à la DGEC de fixer, dans le cadre des réunions plénières, un nombre maximum de représentants délégués par chacun des organismes présents. Cette simple règle devrait réduire significativement l’effectif total des participants et faciliter ainsi les échanges au sein du groupe.
S’agissant des documents examinés lors des réunions, nous recommandons à l’ASN et à la DGEC de modifier les conditions de leur communication afin d’assurer que les participants disposeront d’un délai raisonnable, d’au moins une semaine, pour les examiner sereinement et, le cas échéant, pouvoir en débattre en interne. Si un tel délai pourrait induire une contrainte supplémentaire, voire ralentir, à la marge, les travaux du PNGMDR, il nous semble que cet inconvénient se trouverait compensé par une amélioration de la qualité des contributions.
Par ailleurs, lorsque la persistance de désaccords n’a pas permis de parvenir, malgré les efforts réalisés, à un réel consensus, nous recommandons à l’ASN et à la DGEC, d’expliciter les positions des participants, ce qui ne remet nullement en cause leur capacité à décider, en dernier lieu, des options retenues.
Enfin, pour faciliter le renouvellement des compétences en matière de déchets radioactifs au sein des associations, il nous semble souhaitable que l’ASN et la DGEC puissent étudier, notamment en liaison avec l’IRSN, le CEA et l’Andra, la possibilité de mettre en place des facilités pour la formation de leurs représentants.
II. ADAPTER LE PNGMDR À SES NOUVEAUX OBJECTIFS
Le travail réalisé pour l’élaboration du PNGMDR 2010-2012, accompagné de sa synthèse, a permis, sans se démarquer au niveau de sa structure, de la précédente édition, un progrès substantiel en terme de lisibilité. Pour autant, le PNGMDR demeure, conformément à sa vocation initiale, un document visant à compléter, en l’explicitant, son décret d’application. Il est principalement destiné à un public de spécialistes, rompu à la problématique de la gestion des matières et déchets radioactifs.
Conscients de cette limite, l’ASN et la DGEC ont, conformément à la dernière recommandation de notre rapport d’évaluation du précédent PNGMDR, réalisé un effort, qu’il convient de saluer, pour résumer sous une forme attractive, à destination du grand public, en un document de synthèse d’une trentaine de pages, les informations essentielles du PNGMDR.
Si ces documents répondent aujourd’hui aux obligations fixées par la loi du 28 juin 2006, nous considérons nécessaire, pour la prochaine édition du PNGMDR, de fixer un nouvel objectif ambitieux: répondre aux attentes des citoyens vis-à-vis d’un document désormais perçu comme un référentiel commun sur les matières et déchets radioactifs.
A l’occasion des auditions, les participants, tout particulièrement les représentants des associations, ont émis plusieurs suggestions susceptibles de répondre à cet objectif. Deux d’entre elles nous semblent de nature à faciliter l’accès des citoyens au PNGMDR.
La première concerne l’aménagement de plusieurs niveaux de lecture au sein du PNGMDR; en premier lieu, en intégrant, en tête de celui-ci, la synthèse, suivie des recommandations; en deuxième lieu en veillant à inclure dans la synthèse les renvois nécessaires vers les développements correspondants dans le corps du document; en troisième lieu, en ajoutant, dans le corps du document, des renvois vers des références Internet, permettant d’approfondir certains sujets tout en autorisant une actualisation.
D’autre part, afin de rendre directement accessibles l’ensemble des éléments disponibles pour les différentes filières, il conviendrait de regrouper, pour chacune d’entre elles, les informations aujourd’hui éclatées entre bilan et perspectives. Il serait, de la même façon, pertinent de présenter directement dans la partie consacrée à chacune des filières une comparaison succincte des options retenues dans les principaux pays étrangers, tout en conservant, en annexe, une description plus complète de leurs réalisations et recherches.
Une deuxième évolution souhaitable concerne l’ajout d’éléments de contexte, notamment historique. Cette présentation pourrait prendre la forme d’un panorama général, rappelant la dimension historique de la gestion des matières et déchets, ce qui permettrait aux lecteurs de mieux se situer par rapport au sujet et de comprendre la genèse de certaines décisions4.
D’autres aménagements, par exemple l’ajout d’indicateurs, permettant d’apprécier l’avancement, pour chacune des filières, des recherches et réalisations, pourrait probablement contribuer à améliorer encore la lisibilité du prochain PNGMDR. Il nous semble que l’ASN et la DGEC pourraient, le cas échéant, également confier cette réflexion sur la refonte du PNGMDR au groupe de travail ad hoc évoqué précédemment pour la démarche d’élaboration.
Sur le contenu du PNGMDR, l’extension de son champ doit être poursuivie afin de tendre à l’exhaustivité requise pour un document de référence. Si les progrès réalisés, en la matière, doivent être salués, des marges de progrès subsistent sur certains aspects, par exemple la question des sites miniers ou encore celle des rejets. Sur ce plan, compte tenu de l’ampleur du champ couvert, il apparaît légitime que le PNGMDR prenne en compte les conclusions des travaux réalisés par d’autres instances pluralistes, par exemple le GEP ou les CLI, voire délègue à certaines d’entre elles l’approfondissement de certains sujets spécifiques.
Tout comme le PNGMDR doit rechercher l’exhaustivité dans la prise en compte des différents matières et déchets, il doit prévoir, de façon plus approfondie, toutes les options stratégiques d’évolution de la filière nucléaire pouvant être retenues à la suite d’un nouveau choix de la Nation. Si certaines de ces options, telle la possibilité d’un arrêt du développement de l’énergie nucléaire, apparaissent aujourd’hui éloignées, elles n’en demeurent pas moins envisageables. Ne pas les étudier au sein du PNGMDR, revient à priver nos concitoyens d’un élément d’appréciation essentiel et à prendre le risque d’être pris au dépourvu. Qui plus est, cet exercice permettrait d’apporter un nouvel éclairage sur certains sujets, par exemple la gestion des matières valorisables.
Par ailleurs, nous recommandons, ainsi que nous avions déjà eu l’occasion de le préconiser dans notre évaluation du PNGMDR 2007-2009, l’ajout d’un volet relatif à l’aspect financier de la gestion des matières et déchets, avec, d’une part, une présentation de l’évaluation des coûts induits et, d’autre part, le dispositif de financement correspondant5. Les polémiques récentes ont, en effet, mis en évidence un manque d’information sur cet aspect, dans le public, mais aussi, de façon plus surprenante, d’au moins l’un des acteurs directement concernés. La CNEF pourra certainement contribuer à faciliter la mise en oeuvre de cette recommandation, qui correspond également à l’une des dispositions envisagées dans le projet de directive européenne sur la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs6. Aussi, le Gouvernement doit-il veiller, sans délai, à l’installation de cette commission.
Principe de financement de la gestion des déchets en Espagne
Source : ENRESA, Sixth General Radioactive Waste Plan, juin 2006
Si le PNGMDR doit devenir plus accessible à l’ensemble des citoyens intéressés, à un titre ou un autre, par le sujet, vos rapporteurs considèrent qu’il peut également constituer un témoignage crédible du savoir faire français dans le domaine du nucléaire, dont la gestion des matières et déchets constitue une composante indispensable, pour tout pays souhaitant développer la production d’électricité nucléaire. L’ASN l’a bien compris, en prévoyant sur son site une présentation, en anglais, de la démarche française en la matière. Nous considérons utile de poursuivre cet effort. Un pas supplémentaire dans cette direction, d’un coût somme toute modeste, pourrait consister à mettre à disposition du public étranger, au moins en version électronique, une traduction du PNGMDR dans une ou plusieurs langues internationales7.
L’OBJECTIF DE LA TRANSMUTATION
“La recherche de solutions permettant la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue présents dans les déchets” constitue le premier axe du dispositif de gestion des déchets radioactifs, pour la loi du 30 décembre 1991, comme pour la loi du 28 juin 2006.
Ce n’est pas par hasard, car la mise au point de telles solutions vise le coeur même du risque de sûreté pour les générations futures associé à l’utilisation de l’énergie nucléaire : le stockage géologique des déchets de haute activité confine ce risque dans l’attente de la décroissance radioactive, qui dure plusieurs millions d’années pour certains radioéléments; la transmutation a pour objectif de le réduire d’emblée pour tous les radioéléments qui sont à sa portée.
Le principe de la transmutation repose sur l’éclatement artificiel (fission) du noyau radioactif sous l’effet d’un bombardement neutronique d’énergie adaptée; les noyaux plus petits ainsi obtenus, s’ils sont eux-mêmes fortement radioactifs, peuvent se dissocier spontanément et conduire en général à un mélange d’éléments plus légers (césium, strontium, …), dont la radioactivité est équivalente à celle de l’uranium naturel après quelques centaines d’années.
La transmutation, pour intéressante qu’elle soit, ne doit cependant pas être considérée comme une manipulation d’alchimie miraculeuse. Vos rapporteurs sont par ailleurs parfaitement conscients qu’elle soulève d’importantes difficultés de mise en oeuvre. Mais ils ne peuvent accepter pour autant que son rôle se soit manifestement marginalisé dans la démarche de certains acteurs de la filière nucléaire.
I. LA NÉCESSAIRE LUCIDITÉ FACE À LA MYTHOLOGIE MIRACULEUSE
C’est un paradoxe étrange que la transmutation, processus de physique nucléaire d’une technologie extrêmement avancée, fasse partie de l’arsenal de base de l’argumentaire anti-nucléaire, à côté des contorsions intellectuelles conduisant aux affirmations d’une part, que l’industrie nucléaire fonctionne sans couvrir tous ses coûts (cf. le débat sur les enjeux financiers du projet de stockage géologique, qui doit alors être un jeu d’ombres), et d’autre part, que l’électricité nucléaire serait fortement émettrice de CO2 (en émission “marginale”, grâce à l’aimable concours des centrales à gaz8).
En effet, la perspective miraculeuse d’une production future d’énergie nucléaire sans déchets convainc certains esprits très avant-gardistes qu’on peut faire l’impasse sur les centrales nucléaires d’aujourd’hui, dans l’attente de ces temps meilleurs. Ce qui constitue évidemment une manière d’oublier deux aspects importants de la question :
- d’une part, que la maîtrise technologique des réacteurs du futur n’est envisageable, du fait du degré de sophistication requis, qu’en mobilisant toute l’expérience acquise à travers les efforts de maîtrise technologique des réacteurs d’aujourd’hui;
- d’autre part, que le seul espoir, même intensément sincère, mis dans une source d’énergie encore à venir, n’a jamais suffi pour créer le courant électrique nécessaire dès aujourd’hui au fonctionnement des réfrigérateurs, des machines à laver, ou des équipements en salle d’opération chirurgicale.
L’un des inconvénients de cette fausse passion montrée par certains vrais opposants à l’énergie nucléaire pour les réacteurs de quatrième génération est qu’elle contribue à l’entretien du mythe de la capacité de ces réacteurs à faire disparaître totalement les déchets nucléaires.
C’est là faire preuve d’un optimisme outré, qui peut nourrir ultérieurement des déceptions. Il serait certes a contrario peu prudent de formuler un pronostique inverse définitif, celui d’une impossibilité totale de faire mieux que des progrès partiels, car mieux vaut toujours rester toujours ouvert aux avancées, parfois effectivement surprenantes, de la science.
Mais la transmutation doit surtout être perçue comme une manière de réduire l’ampleur de la question des déchets radioactifs, plus que comme une manière de l’éliminer définitivement.
D’abord, toute activité industrielle, quelle qu’elle soit, ne peut faire autrement que de produire des déchets. En l’occurrence, les équipements de manipulation, les protections des opérateurs, continueront à alimenter un flux régulier de déchets de faible et moyenne activité qui est inhérent à toute exploitation de l’énergie nucléaire.
C’est au niveau des déchets de haute activité à vie longue que la transmutation apportera véritablement une contribution : la fission des noyaux d’actinides mineurs devrait permettre un transfert des masses concernées vers des produits à radiotoxicité moins longue. Au passage, les désintégrations successives sous l’effet du bombardement neutronique pourront créer certains noyaux plus stables; mais il sera difficile d’obtenir que les processus de fission s’effectuent totalement; en effet, de nombreux radioéléments, de taille atomique moindre, mais d’activité conséquente, demeureront immanquablement à la fin du processus.
Comme, par ailleurs, les réacteurs de quatrième génération sont d’abord des outils de production d’électricité, qui fonctionnent avec de l’uranium appauvri et du plutonium qu’ils transmutent, permettant une gestion contrôlée des matières nucléaires, les fissions des noyaux d’actinides et les réactions en chaîne qu’elles entraîneront dégageront un surcroît d’énergie, ce qui améliorera le rendement global d’utilisation du combustible nucléaire.
La transmutation devrait diminuer sensiblement le volume des déchets de très haute activité9, et permettre aussi une baisse de température des conteneurs destinés au stockage géologique. Cette baisse de température se traduira par une contrainte moindre en termes d’aménagement des alvéoles, qui pourront notamment être physiquement plus rapprochées; le circuit des galeries en sera raccourci. Au total, le gain se manifestera par un besoin moindre d’emprise en profondeur, sachant que les travaux de creusement constituent, assez logiquement, la part déterminante dans le coût des ouvrages souterrains.
Vos rapporteurs sont convaincus des avantages d’efficacité que procurera la nouvelle génération des réacteurs nucléaires, mais tiennent vivement à souligner que l’élimination des déchets nucléaires, et même des déchets de haute activité, doit demeurer une perspective scientifique, un point de convergence des efforts de recherche, même après l’entrée en service de ces nouveaux réacteurs.
II. DES DIFFICULTÉS RÉELLES DE MISE EN OEUVRE
Nous n’ignorons pas toutes les difficultés pratiques qui marquent la distance entre une opération de laboratoire au coup par coup, après une étape de préparation, et une exploitation industrielle à flux continu.
Le discours usuel sur la quatrième génération se focalise sur les différents types de réacteurs capables d’opérer la transmutation (présentés en annexe) :
- d’un côté, des réacteurs basés classiquement sur la réaction en chaîne, soit à neutrons rapides (réacteurs rapides à caloporteur gaz - GFR, à caloporteur sodium - SFR, et à caloporteur plomb - LFR), soit à neutrons thermiques (réacteurs à haute température - VHTR, à eau supercritique - SCWR, à sels fondus - MSR);
- de l’autre, les réacteurs sous-critiques, c’est à dire sans réaction en chaîne auto-entretenue, mais pilotés par accélérateur (Accelerator Driven System - ADS).
La mise au point d’un nouveau type de réacteur est déjà en soi un projet au long cours. La visite de vos rapporteurs à Cadarache, dans les laboratoires consacrés par le CEA à l’étude des circuits de refroidissement par un flux de sodium liquide, a montré la complexité, déjà, de l’élaboration des seuls outils de métrologie pour suivre les expérimentations nécessaires à cette mise au point.
Cependant un problème plus essentiel encore pour la transmutation tient dans la mise en place du processus de recyclage qui doit permettre de séparer les matières à haute activité de l’uranium non consumé, en vue de pouvoir réinjecter celles-ci dans le réacteur de quatrième génération, où elles vont pouvoir subir le bombardement neutronique.
En effet, un tel processus pose, outre les problèmes scientifiques bien identifiés de séparation, de réelles difficultés de sûreté.
La France est le seul pays au monde qui a su développer un recyclage à grande échelle de l’uranium et du plutonium présents dans les combustibles usés, avec 22 réacteurs (sur 58 en service) qui utilisent en partie du combustible MOX, fabriqué à partir du plutonium issu du retraitement, et 4 réacteurs (à Cruas) consommant directement de l’uranium recyclé. Elle dispose, avec l’usine d’Areva de La Hague, où s’opère la séparation, et l’usine Melox de Marcoule, qui fabrique le MOX, de tout un ensemble d’installations industrielles lourdes fournissant une illustration concrète des barrières de protection nécessaires à un processus de séparation / transmutation.
L’extension au traitement des actinides mineurs poserait des problèmes industriels similaires, sous deux réserves importantes :
- d’une part, l’adjonction indispensable de barrières de protection renforcées, pour garantir la sûreté des opérateurs et de l’environnement vis à vis de matériaux d’un niveau d’activité plus élevé encore; il s’agit de passer des opérations sous boîte à gant aux opérations par télémanipulations et robots de conduite, du type de celles utilisées à l’usine de retraitement de La Hague;
- d’autre part, la nécessité de développer d’autres procédés de séparation, traitement et de conditionnement pour minimiser les risques de sûreté lors des opérations aux différents stades du recyclage; notre visite à l’Institut Kurchatov, à Moscou, nous a ainsi permis de découvrir des recherches avancées sur des concepts de combustibles sous forme de sphérules, et non plus de pastilles, qui permettent de diminuer le nombre d’étapes de la fabrication.
Vos rapporteurs sont parfaitement conscients de ces difficultés, déjà soulignées par Robert Dautray, ancien Haut commissaire à l’énergie atomique, dans un célèbre rapport de décembre 2001 à l’Académie des sciences sur “L’énergie nucléaire civil dans le cadre temporel des changements climatiques” (Cf. extrait en annexe).
Mais nous considérons néanmoins qu’elles ne doivent pas conduire à une remise en cause de l’objectif de long terme de la transmutation des déchets radioactifs. Nous réfutons notamment un raisonnement d’appréciation des risques de sûreté qui serait calé sur le seul exemple des procédés de fabrication des combustibles déjà connus et exploités, du type de ceux utilisés pour le MOX, en faisant l’impasse sur les progrès technologiques qui permettraient d’envisager d’autres processus, aux potentialités supérieures en termes de protection et de sûreté, rendant possibles une fabrication à partir des actinides mineurs.
De ce fait, il nous paraît souhaitable que l’évaluation sur les perspectives industrielles de la quatrième génération prévue en 2012 par l’article 3 de la loi du 28 juin 2006 inclut, de manière explicite, la présentation, du point de vue du recyclage, de différents scénarios, en termes de faisabilité technique, de contrainte de sûreté et de coût, correspondant à différents degrés d’engagement et différents types de stratégie, dans la séparation et la transmutation des actinides mineurs.
Cette évaluation devrait faire le point sur les différentes pistes technologiques permettant de réaliser des opérations industrielles de fabrication de combustibles, à partir de matériaux d’un niveau d’activité et de puissance thermique nettement supérieures à celles couramment maîtrisées aujourd’hui.
Ces éléments d’information devraient contribuer, en tout état de cause, à donner un arrière plan plus réaliste à la solution de la transmutation.
III. L’ABSOLUE NÉCESSITÉ DE LA POURSUITE DE L’EFFORT
Les acteurs de l’industrie nucléaire sont assez logiquement tentés par trois lignes de fuite face à l’exigence législative de poursuivre l’effort sur la transmutation. On pourrait symboliser ces lignes de fuite par trois scénarios : l’efficacité, la sécurité, la rentabilité.
Le scénario de l’efficacité consisterait à ramener l’effort pour développer une capacité de transmutation au seul creusement de l’acquis scientifique et technologique. C’est la tentation de s’en remettre exclusivement à la filière des réacteurs rapides au sodium, en mobilisant toute l’expérience accumulée par le passé sur Rapsodie, Phénix et Superphénix. Ce serait prendre le risque d’une impasse scientifique sur les autres filières au profit de la seule filière en mesure d’être maîtrisée plus rapidement.
Le scénario de la sécurité mettrait l’accent sur la nécessité de l’indépendance vis-à-vis de la ressource en uranium. L’objectif de surgénération prendrait alors le pas sur celui de transmutation. Du coup, toutes les filières à neutrons rapides conviendraient, et comme la filière au sodium est la plus avancée technologiquement, c’est celle qu’il faudrait privilégier.
Le scénario de la rentabilité prendrait en considération les investissements déjà réalisés pour la séparation et le recyclage de l’uranium et du plutonium. Ces investissements ont déjà une traduction conséquente en termes de réduction du volume des déchets à haute activité (on évoque couramment un gain en volume d’un facteur 5 à 10). Avant de lancer de nouvelles opérations industrielles pour traiter les actinides mineurs, il s’agirait alors d’assurer prioritairement le retour financier du circuit de transmutation partielle opérée à travers l’utilisation du combustible MOX, qui brûle du plutonium. Ce serait un scénario attentiste.
Chacun de ces trois scénarios renvoie de fait au positionnement stratégique des trois grands acteurs industriels du secteur nucléaire. Ainsi la contrainte budgétaire et le rapprochement des échéances prévues par la loi du 28 juin 200610 poussent le CEA vers le scénario d’un effort de recherche recentré par souci d’efficacité sur le réacteur au sodium. EDF, avant tout producteur et vendeur d’électricité, se montre prioritairement, à l’image de Rosatom en Russie, soucieux de sécurité d’approvisionnement. Enfin, comme toute entreprise exploitant un actif résultant d’investissements lourds, Areva et EDF font des arbitrages d’optimisation économique les amenant plus sur la voie de l’évolution, que sur celle de la révolution.
Au total, une entente implicite s’impose logiquement entre les trois acteurs pour faire porter l’effort d’innovation essentiellement sur le développement d’un réacteur à neutrons rapides au sodium en vue d’une production plus efficace de l’électricité, et moins sur la mise au point d’un véritable dispositif de transmutation des déchets de haute activité à vie longue. Les gains tangibles en termes de sécurité d’approvisionnement sont privilégiés, en contrepartie de simples potentialités en termes de capacité future d’élimination des actinides mineurs.
Vos rapporteurs regrettent cette dérive, que leurs divers contacts ont confirmé, et qui a été explicitement évoquée au cours de l’audition des responsables de la DGEC. Nous constatons qu’elle est fortement induite par un réalisme économique, qui peut avoir du sens dans l’immédiat, mais qui risque de jouer à terme contre la pérennité de la filière.
Dans la mesure où cette dérive est l’effet d’une contrainte financière, nous préconisons de concentrer toutes les ressources disponibles pour essayer de préserver, autant que possible, l’objectif de la transmutation.
A cette fin, il paraît essentiel d’investir dans la coopération internationale, qui permet une mutualisation des moyens pour avancer sur les pistes potentiellement prometteuses, quoiqu’encore moins avancées que la filière au sodium.
De ce point de vue, vos rapporteurs ont accueilli avec satisfaction les initiatives du CEA, annoncées au cours de l’audition du 1er juillet 2010 par son Administrateur général, M. Bernard Bigot, concernant, d’une part, la définition avec la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République Tchèque, d’un cadre de coopération sur le projet de réacteur à caloporteur gaz Allegro, d’autre part, le soutien, sans engagement financier pour l’instant, au projet belge Myrrha de système ADS sous-critique à spectre de neutrons rapides refroidi au plomb-bismuth.
Mais l’insertion des travaux relatifs aux réacteurs rapides au sodium dans un cadre coopératif devrait également permettre de dégager plus facilement des moyens pour développer les potentialités en transmutation de ces réacteurs.
Les avancées doivent d’abord viser à atteindre une sûreté au moins égale à celle de l’EPR, et concernent, en particulier, le contrôle du circuit secondaire de refroidissement, en vue d’éviter tout risque de contact entre le sodium et l’eau ; c’est précisément l’un des objets des études qui nous ont été présentées au centre de recherches du CEA à Cadarache.
Cependant il faut aussi réaliser des progrès dans la maîtrise des opérations permettant d’introduire les actinides dans le réacteur : soit au niveau du cœur, par des aiguilles spécifiques d’actinides placées à côté d’une majorité d’aiguilles renfermant un mélange d’uranium et de plutonium (MOX) ; soit à l’extérieur du cœur, au niveau des « couvertures », ce qui suppose une augmentation de la teneur en plutonium du MOX contenu dans les aiguilles du cœur. Dans les deux cas, la mise au point de la chaîne logistique de fabrication, de chargement, puis de traitement du combustible contenant les actinides conditionne la perspective d’une transmutation des actinides à l’échelle industrielle.
Vos rapporteurs se félicitent en conséquence des initiatives de M. Bernard Bigot pour approfondir, dans cette perspective, les relations, d’une part, entre le CEA et la Japan Atomic Energy Agency, et d’autre part, entre le CEA et Rosatom.
Claude Birraux a pu constater lui-même, en novembre 2010, que les échanges entre le CEA et Rosatom s’intensifiaient à Moscou, et que les responsables de l’industrie nucléaire russe, y compris sur le site de la centrale de Beloyarsk, où le réacteur au sodium BN 600 fonctionne depuis 1980, étaient très ouverts à une coopération scientifique avec la France. M. Michael Bakanov, directeur de la centrale, a dit que l’utilisation des couvertures disponibles pour des expériences de transmutation ne dépendait que d’une décision de Rosatom.
Filières de recherche russes sur les RNR à caloporteur métal liquide
Source : Rosatom
LE STOCKAGE DES DÉCHETS RADIOACTIFS
Comme toute industrie, la filière nucléaire, malgré l’option du recyclage des combustibles usés retenue par la France, produit des déchets ultimes, pour lesquels il convient de mettre en place des solutions de stockage adaptées à leurs caractéristiques propres. A cette fin, les déchets radioactifs sont regroupés en quatre grandes catégories, en fonction du double critère de la durée de vie et de la radioactivité: les déchets de très faible activité (TFA), de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC), de faible activité à vie longue (FA-VL), et, enfin, ceux de moyenne activité à vie longue (MA-VL) ou de haute activité (HA).
La France s’est préoccupée très tôt de la gestion des déchets nucléaires. Elle a été parmi les premiers pays à s’être dotés, en 1969, d’un centre de stockage pour ses déchets faiblement et moyennement radioactifs à vie courte (FMA-VC), puis, en 2004, pour ceux très faiblement radioactifs (TFA). La loi du 30 décembre 1991 a construit un cadre pour les recherches relatives aux déchets de haute activité à vie longue (HA et MA-VL) ; la loi du 28 juin 2006 a défini les perspectives industrielles du traitement de l’ensemble des catégories de déchets, y compris ceux de faible activité à vie longue (FA-VL).
C’est pour assurer la cohérence et la pérennité de la gestion des matières et déchets radioactifs que la loi du 30 décembre 1991 a confié leur gestion à un organisme public unique, l’Andra. S’agissant du stockage, les missions de l’Andra, renforcées par la loi du 28 juin 2006, recouvrent notamment la coordination des recherches, la conception, la mise en oeuvre ainsi que l’exploitation des centres de stockage.
Nous estimons que l’Andra a démontré sa capacité à maîtriser les aspects scientifiques et technologiques nécessaires à la réalisation de ses missions, tout comme son aptitude à mettre en oeuvre, sur le long terme, avec l’indispensable appui du Gouvernement, une démarche de concertation avec les élus locaux et les populations. L’Andra a également su faire preuve, au delà des objectif qui lui sont assignés, d’initiative, par exemple, pour l’optimisation de l’utilisation des exutoires existant, en définissant, en liaison notamment avec Areva, de nouvelles modalités de recyclage pour les déchets issus des démantèlements, ou encore, en matière d’innovation, en impulsant, avec Areva et le CEA, de nouvelles recherches sur le traitement des déchets de moyenne activité. L’Andra a également progressé sur le concept de réversibilité notamment quant à son impact sur l’acceptation sociale du stockage. Dans ce cadre, elle a élaboré une méthodologie d’évaluation de la réversibilité/récupérabilité, reconnue par l’ensemble des acteurs internationaux. Celle-ci a été présentée en décembre 2010, lors de la conférence de Reims, organisée sous l’égide de l’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE.
Après un examen attentif des difficultés apparues, ces deux dernières années, dans le déroulement des nouveaux projets de stockage, nous considérons que celles-ci ne sont que marginalement imputables à l’Andra, dont la compétence n’a pas été mise en défaut. Nous tenons également à souligner que cet examen, loin d’inciter à une remise en cause des principes fixés par les lois de 1991 et 2006, nous conduit, au contraire, à inviter l’ensemble des acteurs concernés à jouer pleinement leur rôle, dans le respect du cadre défini par la législation.
I. LE STOCKAGE DES DÉCHETS DE FAIBLE ACTIVITÉ À VIE LONGUE
Les déchets de faible activité à vie longue sont constitués, pour l’essentiel, des déchets graphites, issus de l’exploitation et du démantèlement des anciens réacteurs de la filière graphite-gaz ou de recherche, et des déchets dits radifères (contenant du radium), provenant, pour leur plus grande partie, de l’extraction des terres rares, indispensables aux industries de pointe, par exemple l’électronique ou encore les énergies alternatives, comme le solaire et l’éolien. De par leurs caractéristiques, l'Andra prévoit de stocker ces déchets à faible profondeur, entre quinze et deux cents mètres, dans une couche d'argile.
Pour cette catégorie de déchets, la loi du 28 juin 2006 a prévu un programme de recherches et d’études devant aboutir à la mise en service d’un centre de stockage en 2013. Conformément à l’échéancier qu’elle avait elle-même proposé fin 2007, l’Andra a contacté, dans le courant 2008, après une première étude géologique réalisée sur plans, plus de trois mille communes susceptibles d’accueillir, sous réserve d’autoriser une investigation plus approfondie des caractéristiques géologiques de leur sous-sol, un futur centre de stockage. En dépit du court délai fixé, à fin octobre 2008, aux communes, pour déposer leur candidature, une quarantaine d’entre elles sont parvenues à délibérer, parfois dans l’urgence, en faveur de l’exploration géologique proposée par l’Andra.
Pourtant, malgré sa volonté affichée d’avancer à marche forcée dans ce dossier, le Gouvernement n’est pas parvenu à annoncer sa décision de retenir, parmi les quarante communes candidates, deux communes de l’Aube, Auxon et Pars-les-Chavanges, que le 24 juin 2009. Quelques semaines plus tard, les conseils municipaux des deux communes concernées ont décidé de retirer leur candidature.
Vos rapporteurs ont, bien entendu, cherché à comprendre les causes de l’échec de ce projet. Nous avons donc interrogé, à ce sujet, les principaux acteurs du dossier, y compris l’ancien maire d’Auxon, M. Jean-Louis Caillet, dont nous tenons à saluer ici le courage et le sens du service public. Si diverses explications nous ont été fournies pour justifier le délai, de près de huit mois, séparant la limite, arrếtée par le Gouvernement de dépôt des candidatures, de l’annonce du choix de deux d'entre elles, aucune ne nous a paru complètement satisfaisante.
Par contre, il est clairement apparu que cette longue période d’attente a été mise à profit par des militants antinucléaires pour déstabiliser les conseils municipaux et les obliger à revenir sur leur décision initiale, en usant, pour parvenir à leurs fins, de méthodes variées, souvent malhonnêtes, parfois condamnables, y compris la diffamation et les menaces de mort. Qui plus est, nous avons relevé que les élus des communes candidates n’ont pas bénéficié, dans cette même période, du soutien de l’État auquel ils pouvaient légitimement s’attendre, s’agissant d’un dossier d’importance nationale.
Nous estimons que la démarche de concertation de l’Andra, bien que perfectible, aurait pu aboutir si ce dossier n’avait pas été géré avec la volonté de le conclure en quelques mois, là où une véritable concertation avec la population et les élus locaux nécessitait beaucoup plus de temps. Nous rappelons, à cet égard, la nécessité d’éviter toute précipitation dans l’instruction de ce type de dossier. S’ils ne présentent aucun caractère d’urgence, un échec peut, en effet, s’avérer lourd de conséquences pour l’ensemble de la filière. En l’occurrence, nous constatons avec satisfaction l’absence de contrecoup sur le projet, plus complexe, de stockage géologique profond.
En conséquence, nous approuvons la décision de la DGEC de desserrer le calendrier du projet, afin de laisser le temps nécessaire au dialogue, mais aussi à une réévaluation, par l’Andra, des différentes options envisageables, en particulier, du résultat des recherches, réalisées au niveau international et européen, sur le traitement préalable des déchets de faible activité à vie longue. Si ces dernières sont susceptibles de réduire les contraintes scientifiques sur le choix d’un site, nous insistons sur la nécessité d’écarter tout compromis sur la sûreté du stockage. Enfin, nous soulignons qu’une fois la phase de concertation relancée, l’État devra veiller à apporter une protection et un soutien spécifiques aux responsables des collectivités locales qui apportent leur concours à la politique nationale de gestion des déchets.
II. LE STOCKAGE GÉOLOGIQUE PROFOND
L’étude d’un centre de stockage géologique profond, destiné aux déchets de haute activité et moyenne activité à vie longue, constitue l’un des trois axes de recherche définis par la loi du 30 décembre 1991. Celui-ci a conduit, après une phase de concertation de près de cinq ans, de 1993 à fin 1998, à la construction, à partir de 2000, d’un laboratoire souterrain à Bure, à la limite entre Meuse et Haute-Marne.
A l’issue de la période de quinze années définie par la loi du 30 décembre 1991, l’élaboration de la loi de programme du 28 juin 2006 a été précédée par la remise aux pouvoirs publics de plusieurs rapports évaluant positivement le résultat des recherches menées sur cet axe, notamment, en mars 2005, celui publié par vos rapporteurs au nom de l’OPECST: “Pour s’inscrire dans la durée: une loi en 2006 sur la gestion durable des déchets radioactifs”. Elle a aussi été préparée par l’organisation, de septembre 2005 à janvier 2006, d’un débat public national sur les déchets radioactifs, auquel nous avons également participé.
Prenant acte des progrès accomplis, la loi du 28 juin 2006 a reconduit les trois axes de recherche définis par la loi du 30 décembre 1991, en fixant, pour chacun d’entre eux, de nouveaux objectifs et de nouvelles échéances. S’agissant de l’axe relatif au stockage, la loi impose le principe de la réversibilité du stockage en couche géologique profonde, prévoit que la demande d’autorisation de création d’un centre de stockage sera instruite en 2015 et sa mise en exploitation effective en 2025.
A ce stade, les efforts réalisés par les équipes de l’Andra devraient permettre de respecter les échéances définies par la loi. Ainsi, au cours de l’année 2009, l’Andra a franchi deux étapes importantes dans cette direction, avec la proposition d’une zone d’intérêt pour la reconnaissance approfondie (Zira), et la remise d’un dossier relatif aux caractéristiques scientifiques et techniques du futur centre de stockage. De plus, l’Andra a d’ores et déjà engagé les préparatifs nécessaires au débat public, prévu en 2013, et au dépôt, en 2014, de la demande d’autorisation de création11.
Nous regrettons d’autant plus de devoir constater que l’avancement satisfaisant de ce projet, voire le projet lui-même, issu de près de vingt années d’effort de la communauté nationale, notamment en matière de recherche, pourraient se trouver remis en cause par la démarche, engagée en dehors des cadres de concertation prévus par la loi, par les grands producteurs de déchets, EDF en tête, suivi d’Areva et du CEA. Dans le cadre de cette démarche, nous semble-t-il, avant tout motivée, par l’annonce, par l’Andra, d’un accroissement conséquent de son estimation du coût du projet de stockage géologique profond, les grands producteurs proposent, d’une part, de prendre en compte, sans délai, de nouvelles propositions sur l’architecture du futur centre de stockage, destinées à en réduire le coût, et, d’autre part, de mettre en place une nouvelle organisation du projet.
S’agissant des améliorations techniques proposées, nous soutenons la position de la DGEC qui a demandé à l’Andra d’évaluer leur pertinence afin de pouvoir, le cas échéant, au moment opportun, amender le projet. Les deux principales, de par leur impact sur le coût du projet, relatives, d’une part, à la réduction de la longueur totale des galeries de liaison entre les alvéoles de stockage, et, d’autre part, à l’utilisation d’un tunnelier pour le creusement des galeries, nécessitent, en effet, des études complémentaires, pour s’assurer de leur adéquation aux contraintes de sûreté. Afin de permettre leur intégration éventuelle a posteriori, sans retarder le projet, l’ASN s’est, pour sa part, déclarée ouverte à un processus d’autorisation progressive, permettant des révisions de l’architecture de l’installation dans des conditions garantissant le respect des contraintes de sûreté.
Concernant la proposition d’une nouvelle organisation pour la phase industrielle du projet, dans le cadre de laquelle les trois grands producteurs viendraient, sous couvert d’assistance à maîtrise d’ouvrage, se substituer à l’Andra dans ses attributions, nous rappelons qu’elle contredit l’article 14 de la loi du 28 juin 2006 qui confie à l’Andra la mission “de concevoir, d’implanter, de réaliser et d’assurer la gestion de centres d’entreposage ou des centres de stockage de déchets radioactifs compte tenu des perspectives à long terme de production et de gestion de ces déchets ainsi que d’effectuer à ces fins toutes les études nécessaires”. Qui plus est, s’agissant d’une mission de service public, celle-ci ne saurait, en aucun cas, même partiellement, être confiée à des sociétés, avant tout intéressées à maximiser leurs profits, et susceptibles de passer, à terme, sous contrôle privé. En outre, nous relevons que l’implication anticipée des trois principaux producteurs de déchets dans ce projet serait susceptible de soulever des difficultés vis-à-vis d’autres industriels, français ou européens, également désireux d’y participer, à l’occasion d’appels d’offres, obligatoires s’agissant d’un projet de cette ampleur.
Si nous comprenons la crainte des producteurs de déchets, qui sont également les financeurs en application du principe “pollueur/payeur”, d’une inflation excessive des coûts, nous rappelons que l’article 14 de la loi du 28 juin 2006, dispose que l’Andra “propose au ministre chargé de l'énergie une évaluation des coûts afférents à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs...” et, qu’après avoir recueilli les observations des producteurs et l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, “le ministre chargé de l'énergie arrête l'évaluation de ces coûts”, ce qui laisse un large espace à la négociation, dans un cadre institutionnel. À ce sujet, nous regrettons le retard pris par le Gouvernement dans l’installation de la Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs (CNEF), prévue au IV de l’article 20 de la loi du 28 juin 2006. La CNEF aurait, en effet, pu désamorcer ce conflit, en assurant un rôle d’arbitre entre les chiffres avancés par les différents acteurs de la filière.
Le processus de décision prévu par la loi du 28 juin 2006 qui doit conduire à l’autorisation de construire un site de stockage géologique prévoit une procédure de consultation publique. Selon son article 12 : “le dépôt de la demande d’autorisation de création du centre est précédé d’un débat public au sens de l’article L. 121-1 [du code de l’environnement] sur la base d’un dossier réalisé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs”.
Vos rapporteurs se sont inquiétés des difficultés pour mener à bien ce type de procédure organisée dans le cadre de la discussion sur les nanotechnologies : les protestataires, quelques dizaines de personnes très engagées, se retrouvaient à chaque nouvelle réunion publique, quel que soit l’endroit de France où celle-ci se tenait, et couvraient les discussions de leurs cris et bruits divers.
De tels faits remettent en cause le principe d’une discussion ouverte à tous sans autre règle que l’ouverture à l’échange, puisqu’il suffit d’une infime minorité extrémiste bafouant les droits de leurs concitoyens pour rendre impossible tout dialogue. Dans ce cas de figure, même les représentants d’associations hostiles aux nanotechnologies, et désirant néanmoins participer au débat, se sont trouvés privés du droit de faire valoir leur point de vue.
La procédure ne doit cependant pas être considérée comme complètement et définitivement invalidée par ce contre-exemple scandaleux. Lorsque nous avons auditionné les représentations de la Commission nationale du débat public, ceux-ci nous ont indiqué que la procédure prévue par les articles L121-1 et suivants du code de l’environnement conservait toute son efficacité pour des consultations relatives à des projets d’importance plus locale.
En outre, l’investissement personnel de certains préfets, qui ont utilisé les moyens de droit à leur disposition pour anticiper les manifestations, et garantir ainsi l’ordre des débats, a montré que l’amélioration de la procédure ne dépendait que de quelques ajustements.
A cet égard, vos rapporteurs ont souhaité recueillir des détails sur les procédures suivies en Suède, pays réputé pour son aptitude à produire des consensus, et notamment s’agissant du rôle dévolu au « tribunal de l’environnement ».
De ces divers recueils d’expérience, confortés par quelques analyses préliminaires, vos rapporteurs ont déduit plusieurs recommandations pour conserver à la consultation publique toute son importance, sans prendre le risque d’une fragilité face à des groupuscules peu respectueux des mécanismes démocratiques.
I. LES RESSORTS DE LA PARTICIPATION
Le principe même de la consultation publique comporte en germes les événements qui ont perturbé les réunions publiques de débats sur les nanotechnologies.
En effet, face à toute question, l’ensemble des individus concernés se partagent nécessairement en deux groupes : ceux qui se sentent concernés, et ceux qui sont indifférents. Le premier groupe se divise lui-même entre ceux qui sont plutôt favorables, et ceux qui sont plutôt hostiles.
Lorsqu’une procédure de concertation est organisée, chacun fait des arbitrages d’utilisation de son temps en fonction de ses priorités. Les individus qui sont indifférents risquent peu de modifier leurs projets personnels pour se libérer à l’heure de la réunion ; ceux qui sont plutôt favorables ne se sentent pas mieux placés que les porteurs du projet en débat pour le défendre.
Par conséquent, une telle procédure laisse face à face, la plupart du temps, d’un côté les porteurs de la question, généralement des représentants de l’industrie et de l’administration, et de l’autre, les opposants les plus motivés.
Les réunions ne peuvent toucher que marginalement les personnes moins engagées, celles dont l’activité professionnelle ou associative n’impose pas spécialement la présence.
La proportion de ces participants relativement neutres a priori, venus seulement pour s’informer, dépend dramatiquement des conditions d’organisation de la réunion : accessibilité par les moyens de transport, moment de la journée ou de la semaine, intempéries, attractivité éventuelle d’événements concurrents (match de football, par exemple), etc … Ces éléments de circonstance, prosaïques mais bien réels, marquent toute la distance entre l’idée théorique d’une consultation ouverte à tous, et sa tangible concrétisation.
De fait, la réalité des échanges au cours de la consultation publique va concerner pour l’essentiel les défendeurs d’un côté, et ceux qui parlent à charge de l’autre, comme lors d’un procès. Voilà pourquoi le concept de « tribunal de l’environnement », tel qu’il est mis en oeuvre en Suède, nous a paru pouvoir procurer des pistes d’amélioration de la procédure, sans en changer la nature.
II. LE PIÈGE DE LA RECHERCHE D’UNANIMITÉ
Lorsqu’un mode d’organisation reposant sur un principe pose des difficultés pratiques, les débats sur les voies d’amélioration se structurent généralement autour de deux lignes d’analyse : certains incriminent une mise en œuvre insuffisamment rigoureuse du principe, et réclament un approfondissement de son application ; d’autres s’efforcent de concevoir des règles complémentaires conciliant le principe avec certaines limitations qui permettent d’en préserver l’esprit.
Ainsi le constat patent des imperfections pratiques de la libre concurrence, au travers des crises financières par exemple, oppose ceux qui dénoncent une liberté encore insuffisante des acteurs économiques, et ceux qui voient au contraire une amélioration possible dans un encadrement des comportements.
L’idée profondément démocratique de la consultation publique suscite les mêmes divergences face au constat d’une perturbation possible par quelques agitateurs irrespectueux du droit de leurs concitoyens à dialoguer pour expliquer ou comprendre.
Notre collègue Bertrand Pancher, député de la Meuse, qui a reçu mission du Président de la République pour réfléchir aux améliorations possibles de la procédure de consultation publique, a choisi manifestement la voie de l’approfondissement du principe. C’est le sens du mouvement qu’il a créé : « Décider ensemble », qui se donne comme raison sociale de poursuivre la discussion tant qu’il reste des personnes à convaincre, en rendant publiques toutes les informations disponibles.
Cette approche pose deux types de difficultés assez fondamentales.
S’agissant de la communication publique de l’intégralité des informations disponibles, celle-ci se heurte, en droit, à des limites juridiques traditionnelles de protection du secret des affaires, tant sur le plan industriel que sur le plan financier. D’autres limites concernent la sécurité publique : pour n’importe quel ouvrage d’une certaine importance, la libre communication d’une cartographie précise des prises d’air, par exemple, pourrait intéresser des concepteurs d’attentat.
Surtout, c’est une conception qui, sans le dire, transforme de facto la consultation publique en un mécanisme de décision à l’unanimité.
Vos rapporteurs ne peuvent reprendre à leur compte une telle approche, et cela, pour au moins trois raisons :
- en premier lieu, la règle de l’unanimité ne peut aboutir qu’à un blocage définitif. L’histoire de la Pologne, et des malheurs dans lesquels ce pays s’est trouvé plongé à maintes reprises, disparaissant plusieurs fois de la carte, du fait de la règle d’unanimité appliquée par sa diète aristocratique, donne une illustration des risques pour une communauté à se placer dans la dépendance du veto d’un seul. Jusqu’au xviiie siècle, il suffisait qu'un membre de la Diète polonaise crie en séance liberum veto pour interrompre la séance et rendre invalides toutes les décisions préalablement adoptées. Il en résultait une paralysie politique qui a notamment facilité les trois partages successifs de la Pologne entre la Russie, la Prusse et l'Autriche entre 1772 et 179512.
- en deuxième lieu, une telle règle s’applique avec moins de légitimité dans une réunion d’individus que dans une assemblée institutionnelle. Dans les deux cas, c’est la décision d’un seul membre qui s’impose à tous, mais, du moins, la décision dissidente d’une institution résulte-t-elle (en principe) d’une délibération interne à cette institution, alors qu’aucune procédure ne peut garantir le sens de la responsabilité du membre individuel qui fait obstruction ;
- en troisième lieu, et surtout, ce basculement de facto à une décision à l’unanimité fait bon marché des procédures de démocratie représentative, que ce soit au niveau du Parlement ou des assemblées locales. C’est une chose de garantir la possibilité d’expression pour toutes les personnes localement concernées, c’en est une autre de reconnaître à chacune, individuellement, un droit de blocage absolu, en dépit de l’avis de la majorité.
Une application intégriste du principe de transparence serait donc évidemment dangereuse pour la poursuite du projet soumis à consultation publique.
Vos rapporteurs contestent donc cette fuite en avant de la démocratie consultative vers la dictature de chaque individu, et proposent plutôt des améliorations du processus de consultation basées sur les réflexions précédentes et l’exemple suédois.
III. LE DÉBAT RESTREINT AVEC LES ASSOCIATIONS
La commission consultative du débat publique a fait la preuve jusqu’ici de son efficacité lorsque les conditions d’un débat ouvert sont réunies; il s’agit de lui offrir la possibilité de poursuivre son action d’une autre manière, lorsqu’elle se trouve empêchée par l’intervention d’un petit groupe d’individus faisant obstruction à l’échange libre entre les parties prenantes et la population.
Ainsi, partant du constat objectif que les manoeuvres d’obstruction ne proviennent pas des parties prenantes, nous préconisons que l’échec d’une procédure ouverte telle qu’elle est conçue aujourd’hui, entraîne la possibilité pour le Gouvernement de demander à la Commission nationale du débat public d’engager une procédure restreinte permettant une consultation de toutes les associations ouvertes à une discussion.
Ce dispositif de consultation restreinte présenterait trois avantages :
- d’abord, la fixation d’un cadre formalisé de consultation permettrait de garantir plus facilement sa sérénité en définissant des conditions minimales pour la participation aux débats. Pour les associations, ces conditions pourraient alors reprendre celles prévues par l’article 11 du règlement CE n°1367 du 6 septembre 2006 concernant l’application de la convention d’Aarhus13 : l’antériorité, la régularité de fonctionnement et la transparence du financement ;
- ensuite, l’organisation de débats dans un lieu fermé, voire protégé, bénéficierait plus facilement de tous les moyens de droit pour maintenir des conditions apaisées d’échanges, y compris l’appel à la force publique en cas de tentative d’intrusion de manifestants voulant empêcher les participants de s’exprimer ;
- enfin, l’inscription dans la loi de cette procédure de recours à une configuration restreinte, encadrée juridiquement, en cas d’impossibilité constatée d’organiser une procédure ouverte, permettrait de poursuivre le processus échelonné prévu par l’article 12 de la loi du 28 juin 2006. En effet, le débat public, comme prévu, aurait bien lieu, puisqu’en pratique, toutes les parties prenantes non violentes pourraient s’exprimer.
Cette nouvelle procédure prévoyant une solution de rechange en cas d’obstruction manifeste ne pourrait évidemment résulter que d’une modification législative. L’article 39 de la Constitution précise que : “L’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement”. Cela signifie qu’à défaut de mise en oeuvre par le Gouvernement, l’idée pourra en être portée par voie d’amendement.
IV. LE “TRIBUNAL DE L’ENVIRONNEMENT”
Le modèle suédois du “Tribunal de l’environnement”, dont le principe essentiel consiste à organiser la discussion entre les parties prenantes informées sous la protection de la justice, peut inspirer une autre réforme de l’organisation du droit de l’environnement en France.
L’organisation d’un cadre juridictionnel spécifique est en effet concevable dès lors qu’il serait intégré à l’ordre des juridictions administratives.
Une chambre spéciale au sein des cours administratives d’appel pourrait connaître en première instance des actes administratifs relatifs à l’environnement. Un droit de recours, en cassation, serait alors ouvert devant le Conseil d’Etat, qui pourrait renvoyer le jugement devant la chambre de l’environnement d’une autre cour administrative d’appel.
Sur le modèle suédois, le collège des juges pourrait comprendre pour partie, à côté d’un ou deux magistrats garants de la procédure et chargés de diriger les débats, des professionnels formés aux problématiques de l’environnement.
La France connaît déjà ce genre de collèges mixtes avec le Tribunal des affaires de Sécurité sociale, présidé par un magistrat du siège entouré de deux assesseurs désignés par le premier président de la Cour d'appel sur présentation des organisations syndicales de salariés et d'employeurs. En outre, le Conseil de prud’hommes, et le Tribunal de commerce sont des juridictions de premier degré composées exclusivement de juges élus.
Cette clarification par la création d’un ordre de juridiction spécialisé éviterait la multiplication des procédures essayant de trouver leur voie dans l’organisation de la justice, avec les incertitudes accrues qui en résultent quan aux délais des décisions.
Si notre évaluation concerne la gestion des déchets nucléaires, cette gestion dépend pour partie de la bonne organisation de la filière nucléaire. Or certaines tensions se sont fait jour au sein de cette filière qui nous semblent devoir être évoquées, car elles peuvent nuire à la solidité de l’édifice sur lequel la France a construit son engagement historique dans le domaine de l’énergie nucléaire, notamment en remettant en cause les principes de constance, cohérence et patience que l’OPECST considère comme fondamentaux.
Ainsi, les manoeuvres de déstabilisation d’Areva peuvent être perçues comme un manque de constance par rapport aux choix antérieurement faits pour le périmètre des entreprises publiques. Ensuite, la loi NOME, en créant un statut pour des « passagers clandestins » de l’offre électronucléaire, a instillé les germes d’un manque de cohérence au regard des conditions de l’acceptation de l’énergie nucléaire en France. Enfin, le défaut de coopération entre les acteurs français sur les marchés à l’exportation traduit un manque de patience dommageable face au regain d’intérêt mondial pour l’énergie nucléaire.
Certains de ces points sont évoqués dans le rapport de juin 2010 remis par M. François Roussely au Président de la République sur « L’avenir de la filière française du nucléaire civil ». Cependant, comme nous ne connaissons de ce rapport que la synthèse rendue publique, nous nous abstiendrons d’effectuer des comparaisons qui risqueraient de manquer de fondement au niveau des intentions.
I. LE JEU SUR LE PÉRIMÈTRE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
La création d’Areva en 2001 a correspondu à l’idée de rassembler toutes les compétences de service de l’industrie nucléaire française en une seule entité, lui conférant ainsi une taille critique suffisante pour développer une position forte sur les marchés internationaux.
Notre visite à l’atelier de la Somanu, à Maubeuge, nous a permis de vérifier combien cette stratégie était pertinente, puisque cette filiale d’Areva créée en 1985, à l’époque au sein du groupe Jeumont Schneider, pour la réparation des équipements mécaniques et hydrauliques du parc nucléaire français, réalise désormais plus de la moitié de son chiffre d’affaires avec des exploitants nucléaires étrangers.
Les efforts d’Anne Lauvergeon ont permis de hisser le groupe Areva au premier rang mondial dans son domaine, sa réussite étant symboliquement illustrée par un flux d’embauche de dix mille collaborateurs nouveaux chaque année, et par la vente d’un réacteur EPR en Finlande et de deux autres à la Chine.
Pourtant les rumeurs du départ de sa présidente ne s’estompent que pour reprendre quelques mois plus tard, et le groupe Areva lui-même fait l’objet d’annonces renouvelées quand à sa restructuration; déjà, il a dû revendre en 2009 sa filiale dans les équipements de distribution d’électricité. Des informations ont circulé sur la reconstruction d’un grand pôle de l’énergie nucléaire français centré sur EDF au prix d’un démantèlement d’Areva.
L’annonce en septembre 2010 de la création de six groupes de travail pour redéfinir les conditions d’un partenariat entre les deux groupes a confirmé a contrario l’existence de dissensions.
Vos rapporteurs tiennent à souligner combien toutes les velléités de réorganisation franco-française leur paraissent peu pertinentes : la coexistence indépendante du premier exploitant nucléaire au monde et du premier fournisseur de service nucléaire au monde constitue une chance, plus qu’un handicap, pour notre pays, et laisse à chacun des deux groupes la possibilité de développer sa présence internationale indépendamment de l’autre.
A l’inverse, un regroupement différent des activités de la filière n’aiderait en rien à résoudre des problèmes tangibles comme le relèvement du coefficient d’utilisation du parc nucléaire, ou l’avancement de la construction de l’EPR de Flamanville.
Il serait donc heureux que les forces à l’oeuvre dans les grands appareils de direction français se consacrent à faire prévaloir sur le terrain des logiques de développement industriel, en France et dans le monde, plutôt qu’à conduire des intrigues de cabinet qui n’auraient finalement aucune retombée évidente pour notre pays, voire des effets désorganisateurs ou destructeurs.
II. LES PASSAGERS CLANDESTINS DE L’OFFRE ÉLECTRONUCLÉAIRE
Le droit de la concurrence européenne exerce sur le service public français de l’électricité une pression qui ne peut avoir pour effet que de faire perdre à la collectivité nationale l’avantage de coût qu’elle s’est donné en construisant son parc électronucléaire.
En effet, sur un marché ouvert, le prix est déterminé par le coût de l’offre marginale, c’est à dire de l’offre qui reste disponible lorsque toutes les offres moins chères ont déjà trouvé preneur.
Sur le marché européen, l’offre marginale est celle des centrales à gaz, indispensables pour équilibrer la demande, mais produisant une électricité à un coût plus élevé que les centrales nucléaires, les centrales hydroélectriques, ou même les centrales à charbon encore nombreuses en Allemagne et au Danemark.
L’équilibre de marché pousse donc naturellement à ce que le prix de l’électricité en Europe soit déterminé par les coûts de production des centrales à gaz, d’un niveau plus élevé que le prix rendu possible par une production à 90% d’origine nucléaire ou hydraulique, comme celle dont bénéficie la France.
Pour maintenir cet avantage de coût, et éviter qu’EDF ne s’approprie l’intégralité de la « rente nucléaire », en vendant l’électricité française au prix européen, un système de tarification redirige cette rente vers les consommateurs nationaux. En dépit de la libéralisation intervenue au 1er juillet 2007, ce système de tarification a été largement préservé, du fait du choix des consommateurs français en faveur de la poursuite de leur contrat conclu dans le cadre du service public. La Commission européenne, qui ne voit dans ce système de tarification qu’une barrière à l’entrée pour des producteurs d’électricité aux coûts plus élevés, dénonce un manquement à l’ouverture des marchés.
La commission sur l’organisation des marchés de l’électricité, présidée par M. Paul Champsaur, a été chargée de trouver une solution pour desserrer cette contrainte. Elle a écarté l’idée d’une récupération de la rente à travers une taxe, qui aurait conduit à un transfert de la rente au fisc, sans contrepartie bien certaine pour les consommateurs. Elle a proposé un principe d’accès des fournisseurs d’électricité à la production nucléaire, qui permet de conserver en théorie un prix bas, par l’effet de la concurrence. C’est la solution mise en place par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME).
Cette solution s’inspire des schémas retenus pour les activités dépendant fondamentalement d’un réseau (télécoms, gaz, électricité). Elle correspond à l’hypothèse d’une infrastructure historique dont les frais de construction ont été amortis depuis longtemps, et dont le coût d’utilisation ne correspond plus alors qu’aux frais de maintenance. On peut alors envisager un “accès” au fournisseurs tiers, rendu possible par la marge disponible entre, d’un côté, le prix de marché du service final, et de l’autre, le coût d’utilisation de l’infrastructure qui permet de le fournir.
Tel n’est pas le schéma envisageable avec “l’accès” pour les fournisseurs d’électricité tiers au parc électronucléaire, pour au moins deux raisons qui tiennent aux conditions fondamentales de l’acceptation de l’énergie nucléaire en France.
La première raison tient au rôle clef de la tarification. Depuis les fameuses analyses de Marcel Boiteux en tant qu’économiste (1956), qu’il a pu mettre en oeuvre ensuite en tant que dirigeant d’EDF (1967-1987), cette tarification se cale sur le coût marginal de la production d’électricité française, de façon à concilier le double objectif de redistribuer vers le consommateur la rente nucléaire, tout en lui rendant sensibles les tensions temporaires, hivernales en particulier, sur les capacités de production. Cette tarification ne permet pas en principe d’acheter de l’électricité à prix coûtant pour la revendre à un prix plus élevé ... sauf à faire l’hypothèse qu’une hausse des prix surviendra, permettant aussi bien à EDF, qu’à ses concurrents utilisateurs de “l’accès” ouvert par la loi NOME, de s’approprier une part au moins de la rente nucléaire. Ce schéma entame le pacte national implicite que la France a passé avec son industrie nucléaire depuis le premier choc pétrolier.
La seconde raison tient à l’engagement de responsabilité. La construction des centrales nucléaires s’est effectuée dans le cadre du service public, et EDF bénéficie encore de la confiance qui s’attache, en France, au fait d’avoir oeuvré pour l’intérêt général. Cette confiance s’étend à la gestion des risques d’exploitation que représente le recours à l’énergie nucléaire. La multiplication de revendeurs d’électricité nucléaire qui ne prendront aucune part à la gestion des risques de production va donner l’impression d’un désinvestissement des entreprises d’énergie dans ce qui devrait rester le coeur de leur métier, au profit d’une évolution vers une activité de pur marketing. Le contact direct avec un fournisseur dont on appréciait qu’il était capable de gérer des questions techniques difficiles, voire dangereuses, va se perdre. Et la confiance de la population dans la sûreté de l’appareil de production va s’en trouver altérée.
En lieu et place de ce dispositif ouvrant la porte à des “passagers clandestins” de l’offre électronucléaire, c’est à dire, au sens propre de la notion économique de “free rider”, à des acteurs qui profiteraient des bas coûts de la production nucléaire, sans supporter les contreparties en termes d’engagement de responsabilité, vos rapporteurs opposent un modèle venu des pays du Nord de l’Europe : celui des consortiums finlandais (Fortum, TVO, Fennovoima), au sein desquels des entreprises, en l’occurrence souvent des papeteries, se regroupent pour investir conjointement dans la construction des centrales nucléaires, et se partager ensuite les parts de production.
Ce modèle peut rendre compatible un “accès” à l’offre électronucléaire, et une tarification favorable au consommateur. L’ouverture du marché passe alors par l’ouverture du capital des consortiums détenant les centrales nucléaires. Et cette détention d’une part au capital oblige à un engagement dans le suivi des conditions de production, et donc à une prise en charge des questions de sûreté et de gestion des déchets.
Tel est le modèle que vos rapporteurs auraient préféré voir prévaloir; tel est le modèle vers lequel on pourra revenir lorsque le dispositif de la loi NOME aura montré ses limites.
III. LE MANQUE DE COORDINATION À L’ÉTRANGER
La perte du marché d’Abou Dabi en décembre 2009 s’explique pour partie par une coordination insuffisante des acteurs français dans la démarche commerciale, et pour partie par le surdimensionnement de l’EPR par rapport au besoin formulé par les Emirats arabes unis.
Mais, comme l’a rappelé M. André-Claude Lacoste, président de l’ASN, lors de la présentation du rapport annuel de l’ASN devant l’OPECST en avril 2010, il faut aussi considérer que l’offre concurrente coréenne, quoique d’un niveau technologique un peu moins poussé, s’appuyait sur une expérience industrielle tout à fait sérieuse, et surtout sur une capacité à faire jouer les économies d’échelle qui a disparu en France depuis 1998 avec l’arrêt de la construction en chaîne des centrales de deuxième génération.
Le réajustement de la structure de l’offre française est donc devenu d’autant plus nécessaire que la concurrence internationale s’est véritablement renforcée.
Ce réajustement est nécessaire pour répondre aux besoins à la fois des pays déjà équipés et des pays primo-accédants.
Pour les pays déjà équipés, il faut une palette d’offres de services correspondant notamment aux trois différentes compétences indispensables pour la construction d’une centrale nucléaire, à savoir celles d’assistance à la maîtrise d’ouvrage, de maîtrise d’œuvre, d’ingénieur ensemblier. Ensuite, interviennent, le cas échéant, les prestations de maintenance, voire d’exploitation.
Une structure d’offre bien coordonnée, mais non intégrée, de manière à pouvoir participer à certains segments seulement de ce panier d’offre de services, constitue la meilleure manière de profiter au mieux de la demande mondiale qui se manifeste en matière d’équipements nucléaires.
En ce qui concerne la coopération envers les primo-accédants, elle doit prendre au contraire la forme d’une offre intégrée pour aider à installer des systèmes complets, c'est-à-dire des systèmes nucléaires :
1°) qui s’appuient sur une autorité de sûreté nationale disposant d’une solide assise constitutionnelle, et d’une compétence autonome poussée ; les réflexions au sein du groupe international des autorités de sûreté (International Nuclear Regulators’ Association - INRA) montrent, à partir des précédents de la Corée du Sud et de Taiwan, qu’il faut au moins une quinzaine d’années pour cela ;
2°) qui comprennent une filière nationale de gestion des déchets, car l’offre technique de fourniture d’un cycle complet ne permettra jamais de faire l’impasse sur le stockage des déchets ultimes. A cet égard, vos rapporteurs ont noté l’annonce de Rosatom, lors de leur visite à Moscou, s’agissant d’une future offre russe d’équipement nucléaire intégrant une reprise intégrale des combustibles usés.
Tout cela milite pour organiser une offre française globale cohérente sur les marchés internationaux.
Il ne faut pas que l’offre française devienne monolithique, avec la reconstitution d’un appareil industriel complètement intégré dont l’offre « d’un seul bloc » pourrait être vécue comme contraignante pour les pays qui souhaitent à terme pouvoir faire jouer la concurrence internationale sur les services. De là, l’intérêt de maintenir l’autonomie du prestataire Areva par rapport à l’exploitant EDF. La qualité de l’offre française doit reposer sur une cohésion plurielle entre partenaires, et non sur une intégration monopolistique.
Cette cohésion plurielle doit faire une place à la composante “transmission et distribution d’électricité”, car un réacteur nucléaire a besoin d’un réseau capable de transporter 10 fois sa puissance, ce qui impose souvent d’étayer le réseau local.
La réflexion stratégique française sur une réponse à la future concurrence russe intégrant une reprise définitive des déchets mériterait certainement d’inclure l’ANDRA.
L’offre française doit en outre être rendue modulaire pour répondre à des besoins de taille différente selon la demande formulée. De ce point de vue, les efforts pour développer à côté de l’EPR de 1600 MW, un réacteur ATMEA avec Mitsubishi de 1000 MW, dont GDF Suez se propose d’être le premier client en participant à sa conception, constitue une bonne nouvelle.
Vos rapporteurs tiennent à souligner la pertinence de l’initiative du CEA l’ayant conduit à créer en 2008 l’Agence française nucléaire internationale (AFNI). Il s’agit là d’un instrument conçu pour combiner au mieux les efforts à conduire simultanément dans les domaines de l’investissement, de la sûreté et de la formation pour établir un « système » nucléaire.
Jusqu’à présent, l’expérience a montré que les acteurs industriels lui accordaient peu d’attention, notamment parce qu’ils manifestent individuellement une certaine impatience à se positionner par rapport aux premiers appels d’offre internationaux. Il serait préférable pour tous que chacun accepte de s’inscrire dans une démarche collective, axée sur la durée.
A cette fin, cet embryon de structure de coordination que constitue l’AFNI mériterait d’être renforcé, et même doté d’un véritable soutien logistique pérenne, intégrant notamment des moyens en capacité d’études économiques, pour permettre à la France de profiter dans l’avenir, au mieux de ses intérêts industriels, du regain d’intérêt pour l’énergie nucléaire dans le monde.
Il paraît clair que le bilan de la mise en oeuvre du dispositif de gestion des déchets nucléaires résultant des lois du 30 décembre 1991 et des 13 et 28 juin 2006 est plutôt encourageant, car les institutions prévues, dont le groupe de travail PNGMDR, fonctionnent de manière correcte, et le dialogue avec les associations, à travers les travaux du HCTSIN notamment, s’enrichit et s’approfondit.
Vos rapporteurs auraient pu alors en tirer la conclusion que l’investissement au long cours de l’OPECST a finalement porté ses fruits, que tous les efforts faits par l’Office pour concevoir, rapport après rapport, depuis 1990, un dispositif de gestion et de contrôle alliant transparence et efficacité, combinant science et sûreté, ont abouti à un édifice cohérent appelé à se consolider par lui-même à la faveur de l’expérience. Dans ce schéma, l’Office aurait pu même envisager un désengagement pour se contenter d’une posture de supervision, appuyée sur les exercices de compte rendu annuel de l’ASN, de la CNE, prévus par le cadre législatif.
Telle n’est pas l’impression que nous laisse notre évaluation.
C’est plutôt une analogie avec la théorie des crises financières qu’elle nous inspire. En effet, le domaine de la gestion des déchets nucléaires semble être en proie lui-aussi, comme le monde des investisseurs en bourse, à ce que M. Jean-Paul Betbèze, lors de l’audition organisée par l’OPECST, le 14 octobre dernier, sur “les apports des sciences et technologies à l’évolution des marchés financiers”, a appelé le « paradoxe de la tranquillité ».
Ce paradoxe, formulé initialement en 1970 par l’économiste américain Hyman Minsky (1970), veut que les crises menacent quand la situation se stabilise dans l'économie, car les circonstances favorables finissent par pousser nombre d’opérateurs à s’endetter au delà du raisonnable.
De la même façon, l’amélioration du contexte de la gestion des déchets nucléaires, grâce au bon fonctionnement des instances de transparence et de dialogue mises en place par les lois du 30 décembre 1991 et des 13 et 28 juin 2006, semble faire oublier aux acteurs industriels toutes les étapes antérieures qui ont été nécessaires pour atteindre progressivement ce palier d’échanges pacifiés.
L’amélioration du contexte les amène, au nom de la rentabilité à court terme, à remettre en cause la conduite par l’ANDRA du projet de stockage géologique, ou la pertinence de la réduction de l’activité des déchets par transmutation. Les tensions internes à la filière nucléaire, succinctement évoquées de manière synthétique dans notre rapport, confirment d’une autre manière leur recentrage sur des préoccupations de courte vue.
Ce faisant, ils risquent de remettre en cause toute la crédibilité du dispositif.
Notre message de conclusion est donc que les acteurs de l’industrie nucléaire doivent se reprendre, et ne pas céder au paradoxe de la tranquillité. Il conviendrait qu’ils se réapproprient l’idée que l’avenir de la filière dépend crucialement de sa capacité à démontrer qu’elle sait gérer les déchets radioactifs dans les meilleurs conditions de sûreté, au travers d’un dialogue serein entre partenaires scientifiques et industriels, et avec les associations.
Ce vingt-cinquième rapport de l’OPECST touchant aux questions nucléaires se veut un rappel aux trois maîtres mots d’une gestion durable dans ce domaine : constance, cohérence, patience.
— Contenu du prochain PNGMDR
1. L’ASN et la DGEC doivent prendre en considération que le plan est devenu un document de référence, y compris à destination du grand public, pour une description complète du fonctionnement de la filière de gestion des matières et déchets radioactifs.
2. En conséquence, la présentation du PNGMDR doit proposer plusieurs niveaux de lecture en un document unique: synthèse, référence dans la synthèse à des parties du corps du PNGMDR, renvoi dans le corps du PNGMDR vers des liens Internet.
3. Dans le corps du PNGMDR, les informations relatives à une filière doivent être regroupées et restituées dans leur perspective historique.
4. Le PNGMDR doit prévoir de façon plus complète toutes les options stratégiques d’évolution de la filière nucléaire pouvant être retenues à la suite d’un nouveau choix politique de la Nation.
5. Le PNGMDR doit comporter un descriptif des enjeux financiers de la gestion des matières et déchets, notamment du point de vue des ordres de grandeur, avec des indications sur les coûts et les mécanismes de financement (présentation, par la DGEC, d’un exposé préparatoire en réunion avant fin 2012).
— Organisation du groupe de travail du PNGMDR
6. L’ASN et la DGEC doivent veiller, dès septembre 2011, à ce que la taille des délégations ne constitue pas un obstacle à la participation de tous les membres du groupe de travail.
7. Afin d’améliorer les conditions de préparation des discussions, l’ASN et la DGEC doivent, dès septembre 2011, imposer la communication des documents faisant l’objet des débats au moins une semaine à l’avance.
8. Lorsqu’après une recherche approfondie du consensus, des désaccords fondamentaux subsistent sur un point, ceux-ci doivent être mentionnés dans le PNGMDR (effet immédiat).
9. L’ASN et la DGEC doivent mettre en place, d’ici fin 2013, en liaison avec l’IRSN, le CEA et l’Andra, des facilités pour la formation des représentants des associations participant au PNGMDR.
10. L’amélioration de l’efficience du groupe de travail doit être une préoccupation constante de la DGEC et de l’ASN.
— Transmutation
11. La transmutation doit rester au coeur des réflexions de conception sur les réacteurs de quatrième génération.
12. L’évaluation, prévue en 2012, des perspectives industrielles des filières de quatrième génération, doit présenter un échelonnement des solutions possibles de transmutation en fonction des gains attendus et des difficultés estimées.
13. Les solutions possibles de transmutation prévues par cette évaluation doivent faire une place à des conceptions industrielles innovantes de recyclage des déchets de haute activité.
14. Les recherches sur les réacteurs de quatrième génération doivent résolument tirer le meilleur avantage de la coopération internationale, pour mutualiser les coûts et préserver l’objectif de la transmutation.
— Stockage
15. La construction des filières de stockages doit se poursuivre dans le cadre institutionnel prévu par la loi du 28 juin 2006.
16. Nul n’étant sensé ignorer la loi ni s’en exonérer, les acteurs de la filière nucléaire doivent respecter les procédures de concertation mises en place par la loi Birraux précitée.
17. Le Gouvernement doit veiller, sans délai, à l’installation effective de la Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, prévue au IV de l’article 20 de cette même loi.
18. La démarche de redéfinition et de rééchelonnement engagée pour palier les difficultés rencontrées pour la mise en place de la filière FA-VL doit être poursuivie.
19. Les difficultés politiques rencontrées dans la démarche de mise en place d’un centre de stockage pour les déchets FA-VL ne doivent pas conduire à transiger sur les critères scientifiques de choix du ou des futurs sites.
20. La concertation sur le choix d’un site de stockage pour les déchets FA-VL doit être menée en impliquant les conseils généraux, voire régionaux.
21. L’Etat doit une protection et un soutien spécifiques aux responsables des collectivités locales qui apportent leur concours à la politique nationale de gestion des déchets.
— Consultation publique
22. La Commission nationale du débat public doit inclure les associations participant au PNGMDR dans la préparation des prochains débats nationaux relatifs à la gestion des matières et déchets radioactifs.
23. La Commission nationale du débat public doit évaluer l’apport des nouveaux modes de communication, tels que les réseaux sociaux, pour informer le public, notamment les plus jeunes, et l’inciter à participer au débat.
24. En cas d’obstruction grave au déroulement d’un débat, le Gouvernement doit saisir la Commission nationale du débat public pour organiser une consultation restreinte réservée à toutes les associations remplissant les critères objectifs d’ancienneté, de transparence financière, et de fonctionnement régulier prévus par l’article 11 du règlement CE n°1367 du 6 septembre 2006 concernant l’application de la convention d’Aarhus (initiative parlementaire, à défaut d’initiative du Gouvernement - Art. 39 de la Constitution).
25. Le Gouvernement doit créer, auprès de chaque cour administrative d’appel, un “tribunal de l’environnement”, ayant compétence pour juger en première instance les contentieux attachés aux décisions administratives relatives aux questions d’environnement. Le juge administratif qui le préside doit être entouré de deux assesseurs disposant d’une compétence et d’une expérience professionnelle dans ces questions.
— Filière nucléaire
26. Le périmètre des entreprises du secteur nucléaire français doit être stabilisé sur les bases qui ont montré jusqu’ici leur pertinence.
27. La détention d’une participation au capital doit constituer la voie privilégiée pour accéder au droit de vendre une part de l’offre électronucléaire française (en cas de révision de la loi NOME).
28. Le Gouvernement doit assurer la coordination des acteurs de la filière nucléaire française face aux appels d’offre internationaux pour l’équipement des pays émergents.
EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE
M. Claude Birraux, député, rapporteur, président de l’OPECST. La publication de notre rapport d’évaluation du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs marque un double anniversaire pour les travaux que l’Office a consacré à la question de l’énergie nucléaire. D’abord, vingt ans nous séparent de la publication des deux premiers rapports de l’Office sur cette question: le 14 décembre 1990, Christian Bataille présentait son rapport sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité; trois jours plus tard, mon rapport sur la sécurité des installations nucléaires était publié. Ensuite, il s’agit du vingt-cinquième rapport de l’OPECST sur ces sujets.
Conformément à la loi du 28 juin 2006, ce deuxième PNGMDR couvrant la période 2010-2012, a été transmis au Parlement, au nom du Premier ministre, le 3 mars dernier. L’OPECST s’est saisie de l’évaluation en nous désignant, Christian Bataille et moi-même, en tant que rapporteurs, le 31 mars 2010.
Après avoir largement auditionné les parties prenantes, nous considérons que ce Plan et le groupe de travail pluraliste chargé de son élaboration contribuent utilement à un dialogue constructif entre l’administration, l’industrie et les associations. Nous suggérons quelques pistes d’amélioration, notamment une place plus grande aux conséquences d’une réorientation stratégique suite à un nouveau choix politique de la Nation, une indication des enjeux financiers, et la mise en place d’une formation à destination des représentants d’association prêts à prendre la relève des discussions techniques.
Nous sommes soucieux du renforcement des préoccupations financières de courte vue chez les industriels, et particulièrement chez EDF, qui les amènent à freiner l’effort de recherche sur l’élimination d’une partie des déchets nucléaires par transmutation, et à contester, hors des instances de dialogue prévues à cet effet, les modalités du projet de stockage géologique profond, alors que celles-ci relèvent de l’ANDRA, agence nationale investie par la loi du 28 juin 2006.
Concernant l’échec du projet parallèle de stockage des déchets de faible activité à vie longue, nous incriminons l’inconstance du Gouvernement, qui a prêché l’urgence pour le recueil des candidatures tout en différant ensuite sa propre décision, permettant ainsi aux extrémistes anti-nucléaires d’exercer des menaces sur les élus locaux volontaires. Nous approuvons la décision de desserrer le calendrier du projet et insistons sur la nécessité d’écarter tout compromis sur la sûreté du stockage.
Au-delà de la problématique de gestion des déchets, nous regrettons les tensions survenues au sein de la filière nucléaire, nous dénonçons l’inconstance du Gouvernement s’agissant des manoeuvres de déstabilisation d’Areva, l’incohérence de la création par la loi NOME de « passagers clandestins » de la revente de l’électricité nucléaire, et le manque de coordination des acteurs français face aux appels d’offre internationaux des pays émergents.
M. Christian Bataille, député, rapporteur. Au sortir de cette évaluation, compte tenu du bilan plutôt positif de la mise en oeuvre du dispositif de gestion des déchets nucléaires et du fonctionnement de son groupe de travail, nous avions la faiblesse de penser que l’investissement au long cours de l’OPECST avait finalement porté ses fruits. Mais notre évaluation nous a, au contraire, conduit à une analogie avec une théorie des marchés financiers appelée “paradoxe de la tranquillité”, qui veut que les crises menacent quand la situation se stabilise dans l'économie, car les circonstances favorables poussent certains opérateurs à s’endetter de façon déraisonnable.
De la même façon, dans le domaine nucléaire, le bon fonctionnement des instances de transparence et de dialogue mises en place par les lois de 1991 et 2006, semble avoir fait oublier la prudence aux acteurs industriels; et aussi toutes les étapes antérieures qui ont été nécessaires pour atteindre progressivement ce palier.
Je voudrais revenir sur la polémique concernant le fond de gestion des déchets nucléaires qui finance toutes les recherches : celles concernant, la séparation-transmutation, le laboratoire de Bure, et d’autres recherches à venir. Les sommes mises en jeux suscitent en effet la convoitise. Je crois qu’il faut marteler que les sommes provisionnées ne sont pas propriété d’EDF, qu’elles ne relèvent pas de l’initiative du président d’EDF. Ces sommes sont provisionnées au bénéfice de la recherche en général, et doivent être mises a disposition de ceux qui décident des programmes de recherche. Certes, il faut sans doute que l’ANDRA modère des visions parfois vertigineuses. Pour autant, cet argent provisionné dans les caisses d’EDF n’appartient pas à EDF mais aux consommateurs, à la recherche, à l’Etat, en fin de compte à la Nation. Il faut arrêter la polémique. Le président d’EDF doit arrêter de dire que ces recherches lui coûtent cher. Ces recherches ne lui coûtent rien. EDF n’a pas à ouvrir sa bourse. Il y a là une incompréhension totale.
L’amélioration du contexte amène les producteurs, au nom de la rentabilité à court terme, à remettre en cause la conduite par l’ANDRA du projet de stockage géologique, ou la pertinence de la réduction de l’activité des déchets par transmutation. C’est une grande imprudence que de remettre ces axes de recherche en question, car tout cela peut rouvrir un débat qui a été apaisé depuis une vingtaine d’années.
Pourtant, en 1993, à l’occasion d’une mission sur le choix d’un site pour le laboratoire de recherche souterrain, j’avais pu constater que mes interlocuteurs au sein d’EDF, du CEA et des prédécesseurs d’AREVA, considéraient le coût de la recherche sur le stockage des déchets et la séparation-transmutation comme relativement faible en regard de l’énormité des enjeux pour la filière nucléaire nationale. A l’époque, ils s’accordaient pour dire que la gestion des déchets nucléaires n’avait pas de prix.
Les tensions internes à la filière nucléaire, évoquées précédemment, confirment le recentrage des producteurs sur des préoccupations de courte vue.
Ce faisant, ils risquent de remettre en cause toute la crédibilité du dispositif. Notre message de conclusion est donc que les acteurs de l’industrie nucléaire doivent se reprendre, et ne pas céder au paradoxe de la tranquillité. Il conviendrait qu’ils se réapproprient l’idée que l’avenir de la filière dépend crucialement de sa capacité à démontrer qu’elle sait gérer les déchets radioactifs dans les meilleurs conditions de sûreté, au travers d’un dialogue serein entre partenaires scientifiques et industriels, et avec les associations.
L’Office a contribué à assurer la crédibilité de la gestion des déchets. Toute avancée dans la gestion des déchets radioactifs fait grincer des dents du côté des opposants à l’énergie nucléaire, qui sont à l’affût du moindre impair. Il ne faudrait pas qu’EDF, pour des préoccupations financières de courte vue, fasse ainsi le jeu des opposants.
M. Claude Birraux. Il est grand temps que tout le monde se mette autour de la table et que chacun n’oublie pas les termes de la loi de 2006 qui confie la mission du stockage à l’ANDRA. Il y est dit explicitement que l’ANDRA “propose au ministre chargé de l'énergie une évaluation des coûts afférents à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs...” et, qu’après avoir recueilli les observations des producteurs et l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, “le ministre chargé de l'énergie arrête l'évaluation de ces coûts”. Nous ne sommes pas des juges, mais nous nous permettons de faire un rappel à la loi. La perspective d’une prise en charge par les producteurs de la gestion de leurs déchets radioactifs est, d’ailleurs, inacceptable non seulement sur le plan légal, mais aussi sur le plan éthique.
A ce propos, j’ai eu récemment la grande satisfaction de présider une conférence internationale de l’OCDE sur la “réversibilité/récupérabilité”. Tous les pays membres de l’OCDE participants avaient intégré ces notions à leurs projets de stockage. J’ai constaté qu’une catégorie d’acteurs était absente des discussions: les producteurs d’électricité. Aussi, dans ma conclusion, j’ai indiqué que plutôt que de se lamenter dans les couloirs sur la facture qui allait leur être présentée, les producteurs feraient mieux de se mettre autour de la table pour en discuter.
M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président de l’OPECST. Je voudrais féliciter les rapporteurs d’être parvenu à traiter les principaux problèmes affectant aujourd’hui la filière nucléaire. Les récents soubresauts révèlent des velléités de remise en cause du consensus existant depuis vingt ans sur la gestion des déchets, que le Parlement a contribué, au travers de l’Office, à bâtir. Les progrès réalisés semblent aussi bien gêner EDF, pour des raisons financières, que les opposants au nucléaire.
S’agissant de la CNEF, son installation apparaît plus que jamais indispensable. L’apparition, à côté de l’opérateur historique, d’autres acteurs, impose de fixer de nouvelles règles du jeu pour les producteurs et les vendeurs d’électricité. Ces derniers doivent apporter leur contribution, au moins en affectant une partie de leur prix de vente à la gestion des déchets et aux démantèlements. Si nous n’avions pas relevé ce problème, cela nous aurait été reproché, d’autant qu’il est mieux pris en compte dans d’autres pays.
Sur la séparation-transmutation, la France dispose d’une réelle expertise. L’évaluation des recherches sur la quatrième génération par le Parlement, prévue en 2012, doit permettre de mettre en évidence les gains possibles. Les fuites sur les déclarations du président d’EDF, formulées à Bure, à l’égard de l’ANDRA, la bataille entre Areva et EDF, le blocage de la participation japonaise au capital d’Areva par un autre acteur, l’échec d’Abu Dhabi, tout cela montre le désordre de la filière nucléaire. Je crois que votre rappel à l’ordre s’imposait et qu’il aura du succès. Faute de redresser la situation, cette filière essentielle pour la France risque de se déliter.
Je terminerai par les déchets FAVL. Il faut continuer à traiter de cette question. Je partage votre analyse. Je suis dans une région qui a accepté d’accueillir le laboratoire souterrain, suite à une concertation réussie qui a abouti à un consensus global. La même démarche n’a pas été adoptée pour les déchets FAVL. Cet échec me rappelle celui des quatre sites auxquels nous avions été contraints de renoncer voici vingt ans. A l’époque, le projet avait été traité au niveau des communes laissées livrées à elles-mêmes. Nous en avions tiré les conséquences en considérant que pour traiter des sujets d’importance nationale, le niveau communal n’est pas approprié. La démarche adoptée pour les FAVL n’a pas tenu compte de cette expérience. Faute de tenir compte de l’histoire, on a refait les mêmes erreurs. Par ailleurs, je considère qu’il ne faut pas spécialiser une région dans la gestion des déchets. Si la même partie du territoire accueille les déchets à vie longue, le laboratoire souterrain et le stockage géologique du CO2, on dira très vite que la Champagne-Ardenne ou la Lorraine sont les poubelles de la France.
M. Claude Birraux. Ma proposition de création de la CNEF résultait du bilan positif de la CNE, formée d’experts indépendants, qui joue un rôle d’aiguillon pour la recherche. La nécessité de vérifier l’adéquation au besoin du financement de la gestion des déchets motivait mon amendement, aucun dispositif adapté n’étant prévu par le texte du Gouvernement. Il s’agissait de s’assurer que l’argent nécessaire était bien disponible, pas seulement sous forme de provisions, mais aussi d’actifs dédiés. J’avais été frappé par l’exemple de la privatisation de British Energy qui avait révélé la disparition des provisions pour les déchets et les démantèlements. Il s’agit donc d’une garantie fondamentale. Aucun des arguments fournis pour expliquer le retard dans l’installation de la CNEF ne m’a convaincu. Il n’est pas sérieux d’arguer de difficultés pour assurer son secrétariat alors que de nombreux inspecteurs des finances ou cadres de la Caisse des dépôts et consignations en retraite seraient ravis de le prendre en charge.
Sur la transmutation, le programme de recherche Curien n’est pas entièrement accompli puisque Phénix est arrêté et Super-Phénix démantelé. Pour continuer, et passer de l’échelle de quelques milligrammes à quelques grammes, se pose la question de la coopération internationale. Alors que les Japonais rencontrent toujours des difficultés, le réacteur russe BN-600, qui délivre 600MW, fonctionne sans problème depuis plusieurs décennies, après avoir rencontré des incidents parfaitement gérés. Nous l’avons visité en fonctionnement, ainsi que le chantier du réacteur BN-800. Les Russes ont en projet un modèle de 1200MW. Conformément à l’idée du forum génération IV, la coopération internationale permet de partager les frais de la recherche et, le cas échéant, les bénéfices résultant des applications.
Sur les FAVL, le maire d’Auxon nous a expliqué qu’un opposant ne lui avait pas caché que leur véritable objectif était d’empêcher l’utilisation du site d’Auxon, géologiquement parfaitement adéquat, pour contraindre le Gouvernement à choisir un autre site, politiquement satisfaisant mais inadapté sur le plan géologique, et ainsi pouvoir attaquer légitimement ce nouveau choix.
Mme Geneviève Fioraso, députée. En tant que représentante du Parlement au Conseil d’administration de l’ANDRA, je suis témoin des tensions avec EDF. Au Congrès mondial de l’énergie, j’ai ainsi entendu le président d’EDF affirmer sommairement que quelques tunneliers remplaceraient avantageusement l’ANDRA. Pourtant, je peux attester du sérieux des travaux de l’ANDRA. D’autre part, je m’interroge sur l’influence des modifications intervenues en matière de fiscalité, notamment avec la suppression de la taxe professionnelle, sur l’attitude des élus locaux.
M. Claude Birraux. Pour le laboratoire souterrain de Bure, les départements et les communes bénéficient d’une redevance ad hoc équivalente, calée sur le modèle de la taxe sur les installations nucléaires de base.
M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST. Les deux Groupements d’intérêt public ont effectivement la chance de bénéficier d’une taxe additionnelle spéciale sur les INB (installations nucléaires de base), partagée entre les deux départements, équivalente à celle d’une tranche nucléaire.
Mme Geneviève Fioraso. En tout cas, l’ANDRA a fait des efforts en matière de concertation. Toutes les présentations faites par le directeur scientifique, M. Patrick Landais étaient très convaincantes. Mettre dans la balance l’appel à quelques tunneliers révèle un mépris injustifié de l’opérateur national à l’égard de l’ANDRA.
Pour le reste, je fais parti de ceux qui déplorent qu’on se ridiculise, à l’exportation, par nos bisbilles, alors même qu’on dispose d’une expertise formidable, y compris en matière de traitement des déchets. Celle-ci pourrait être valorisée à l’exportation. Aussi, un échec sur le projet de stockage géologique profond conduirait également à perdre un débouché commercial à l’étranger. L’ANDRA a accumulé une expertise significative en ingénierie du stockage, sans équivalent à l’étranger, qui pourrait, une fois intégrée à notre offre commerciale, lui donner une valeur ajoutée supplémentaire. Je regrette qu’on se prive de la valorisation de cette expertise.
Je soutiens le rappel de l’Office sur le nécessaire respect de la loi et la remise en ordre de la filière. Je ne souhaite diaboliser personne. Le président d’EDF a trouvé une situation très difficile, avec un taux d’indisponibilité des centrales tellement élevé qu’il révèle une perte de compétences et de savoir-faire. Je crois qu’il convient de remettre de l’ordre rapidement dans cette maison.
M. Claude Birraux. Je crois comme vous qu’il faut une véritable réflexion stratégique à ce sujet. Si nous ne savons pas valoriser notre savoir-faire en matière de stockage, Rosatom va en tirer profit. Ils ont engagé l’exploration géologique des formations granitiques de la région de Krasnoyarsk et vont prochainement se doter d’une loi sur la gestion des déchets nucléaires. Ils se préparent à annoncer une offre pour louer des alvéoles à qui voudra bien leur confier ses déchets radioactifs. Je crois utile de rappeler que Rosatom construit actuellement dix centrales dans le monde et en a onze en commande. De plus, Rosatom peut former jusqu’à quatre mille opérateurs, russes ou étrangers, par an. D’autre part, pour assurer sa crédibilité face aux industriels, l’ANDRA aurait tout intérêt à muscler son ingénierie, si nécessaire en faisant appel à l’assistance à maîtrise d’ouvrage.
M. Bruno Sido. Sur la question des déchets FAVL, c’est l’exemple même d’une conduite de dossier à éviter. Le résultat s’est avéré catastrophique tout simplement parce que l’échelon communal n’est pas le bon échelon pour traiter cette question. Seuls, les maires ne sont pas assez forts pour faire face aux oppositions. En creux, pour le stockage géologique profond, il me semble que le législateur de l’époque, Christian Bataille, a bien vu que le département était l’échelon adéquat. Par la suite, une autre décision judicieuse a consisté à s’appuyer sur deux départements et deux régions, donnant un socle encore plus solide à la démarche.
Je voudrais aussi évoquer la question des provisions. Il est essentiel de veiller à ce que les provisions soient faites et ne soient pas considérées par EDF comme sa propriété. Etant présents sur le terrain quasiment en permanence, nous savons très bien que les détracteurs du programme nucléaire et de son aval, c’est à dire les déchets, vont jusqu’à prétendre que les provisions ne sont pas suffisantes et que l’électricité nucléaire n’est donc pas à son véritable prix. Il est donc très important de prouver que les provisions sont suffisantes, sont disponibles et ne sont pas propriété d’EDF. D’ailleurs les démantèlements ne sont pas réalisés. Il est quand même incroyable de voir Brennilis, en Bretagne, toujours debout. L’Office pourrait peut être s’intéresser à ces questions.
M. Claude Birraux. Dès 2003, dans un rapport de l’OPECST sur la durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs, je posais un certain nombre de questions sur le démantèlement que tout le monde se pose à nouveau aujourd’hui.
M. Bruno Sido. Si les compétences d’EDF sont limitées en matière de creusement, il serait dommage que l’ANDRA se prive, en raison des tensions survenues avec les producteurs, des compétences d’Areva. D’autre part, il est essentiel de ne pas poursuivre cette polémique au risque de donner le sentiment aux populations que l’on va vers un stockage au rabais. Ce serait catastrophique.
M. Christian Bataille. Bruno Sido a raison, le département constitue le bon échelon. Je me souviens avoir consulté dix départements avant d’en retenir quatre aux caractéristiques géologiques adéquates. Il est en effet nécessaire de réunir à la fois les critères humains et géologiques. Sur le dossier des FAVL, je pense que les choses ont été précipitées par le ministère. Je rejoins Jean-Yves Le Déaut pour considérer que le dossier du stockage géologique profond ne doit pas être pollué par d’autres dossiers mineurs. Il faut donc que l’ANDRA cherche une solution dans d’autres départements et d’autres régions. Je regrette qu’une décision politique également malheureuse ait conduit autrefois à renoncer à un deuxième laboratoire souterrain, par exemple à Marcoule. Sur la question des provisions, j’estime que Claude Birraux et moi devrions exiger du Gouvernement un bilan sur le montant exact des sommes provisionnées. Nous l’avions réclamé dans le précédent rapport d’évaluation et nous le réclamons à nouveau. Il faudrait avoir des indications claires. EDF ne veut pas en entendre parler, car ces sommes sont diluées dans ses comptes. Je me souviens que lors du vote de la loi de 2006, Pierre Gadonneix, à l’époque président d’EDF, s’était opposé à l’idée de la création d’un fond dédié. A mon sens, l’actuel président réagit de la même façon. Je pense que le Parlement est en position de réclamer des éclaircissements à ce sujet.
M. Claude Birraux. Tout à fait, cela fait d’ailleurs partie de nos recommandations et des questions posées au Gouvernement.
A la suite de cet échange, les recommandations ont été approuvées à l’unanimité et la publication du rapport autorisée.
ANNEXE 1 :
LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES
— Centre du CEA à Cadarache, le 9 juillet 2010
M. Serge Durand, Directeur du centre (en fin de mandat)
M. Maurice Mazière, Directeur du centre (successeur)
M. Xavier Bravo, Responsable du projet de réacteur Jules Horowitz
M. Philippe Guiberteau, Directeur de l’assainissement et du démantèlement nucléaire
M. Alain Porracchia, Directeur de l’Innovation et du Soutien nucléaire
M. Jean-Claude Maguin, Responsable du laboratoire sur la métrologie du sodium
M. Olivier Gastaldi, Responsable du laboratoire sur la neutralisation du sodium
— Espagne, les 20, 21 et 22 octobre 2010
Ministère de l’industrie, du tourisme et du commerce
M. Antonio Hernandez Garcia, Directeur général de la Politique énergétique
M. Javier Arana Landa, Sous-directeur général de l’Énergie nucléaire
M. Alfonso Gonzalez Aparicio, Sous-directeur général des Relations énergétiques internationales
Sénat - Commission de l’industrie, du tourisme et du commerce
José Antonio Alonso García, Président
Ana Luisa Durán Fraguas, Première Vice-présidente
José Muñoz Martín, Second Vice-président
Diego García Caro, Premier Secrétaire
Isaac Vila Rodríguez, Second Secrétaire
CSN (Conseil de sécurité nucléaire)
M. Francisco Fernandez Moreno, Conseiller
Mme Carmen Ruiz Lopez, Chef du service des Résidus de haute activité
M. Alfredo de los Reyes Castelo, Chef du service des Relations Internationales
ENRESA (Société nationale des déchets radioactifs)
M. Jorge Lang-Lenton, Directeur de la Division Administration d'ENRESA
M. Alvaro Rodriguez Beceiro, Directeur Technique en fonction
Mme Eva Noguero, Directrice du centre de stockage d’El Cabril
— Russie, du 8 au 12 novembre 2010
Douma
M. Konstantin Zaytsev, député d’Irkoutsk
Conseil de la Fédération
M. Alexandre Torshin, Premier vice-président
M. Valentin Mezhevitch, vice-président de la Commission des monopoles naturels
M. Valentin Kosarev, vice-président du Comité de la protection de l’environnement
M. Yuri Ilyin, chef du secrétariat du Premier vice-président
M. Andrey Baklanov, chef du service des relations internationales
Rosatom
M. Nicolaï Martyanov, Conseiller du Directeur général
M. Eugene Eustratov, Directeur général adjoint
Mme Tatiana Elfimova, Directrice générale adjointe
M. Andrey Kulintsev, Conseiller du Directeur général ajoint
M. Igor Konyshev, Directeur des relations avec les associations et les régions
Mme Helena Tchak, Responsable du forum annuel des associations
M. Vladimir Kagramanyan, Professeur à l’Institut de physique d’Obninsk
M. Alexander Abramov, Responsable du programme de gestion des déchets radioactifs
Institut Kurchatov
M. Nicolaï Ponomarev-Stepnoy, ancien vice-Président
M. Yaroslav Shtrombakh, Premier directeur adjoint
M. Dmitry Tsurikov, Directeur de l’Institut des réacteurs nucléaires
M. Sergey Semenov, Chef du service des technologies de démantèlement
M. Pavel Alekseev, Chef du service des systèmes nucléaires avancés
M. Stanislas Subbotin, Chef du service des études stratégiques
Centrale de Beloyarsk
M. Michaël Bakanov, Directeur
M. Youri Nosov, Ingénieur en chef du réacteur BN 600
M. Nicolaï Leontieff, Ingénieur en chef du projet BN 800
M. Alexandre Shestakov, Responsable de la coopération internationale
Municipalité de Zaretchny
M. Andreï Kislitsyn, maire
— Suède, les 29 et 30 novembre 2010
Riksdag
M. Jan Bjurström, Chef du service des commissions
M. Lars Erikson, Chef du département des études
Tribunal de l’environnement de Nacka
Mme Ylva Osvald, présidente
M. Jan-Olof Arvidsson, juge assesseur
Ministère de l’environnement
Mme Ansi Gerhardsson, adjointe au chef du département de la qualité de l’environnement
Autorité suédoise de radioprotection
M. Johan Anderberg, chef du département des matières radioactives
Mme Josefin Paivio Jonsson, chef de la section du stockage géologique
Conseil national des déchets nucléaires
M. Torsten Carlsson, Conseiller, ancien conseiller municipal d’Oskarshamn
Mme Holmfridur Bjarnadottir, Chef du secrétariat
Université d’Uppsala
M. Gabriel Michanek, Professeur de droit de l’environnement
Institut royal de technologie (KTH)
M.Janne Wallenius, Professeur, chef du département des réacteurs nucléaires
Société SKB
M. Claes Thegerström, Président directeur général
Municipalité d’Oskarshamn
M. Ted Lindquist, Responsable des questions nucléaires
M. Rolf Persson, Chef des projets relatifs aux déchets nucléaires
— Entreprise Somanu, le 13 janvier 2011
Somanu
M. Thierry Schietecatte, Président directeur général
Mme Marie-Laure Fitamant, Directeur d’établissement
Conseil général du Nord
M. Laurent Roussel, Chef du service “Risques, nuisances, déchets”
Areva - direction “Sûreté, santé, sécurité, environnement”
M. Philippe Bosquet, adjoint au directeur
M. Philippe Poncet, spécialiste “Sûreté des déchets et démantèlements”
ANNEXE 2 :
COMPTE RENDU DES VISITES EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER
— VISITE AU CENTRE DE RECHERCHES DE CADARACHE - 9 JUILLET 2010
Les rapporteurs ont été accueillis à Cadarache par MM. Serge Durand et Maurice Mazière, actuel et futur Directeur du centre, qui devaient se passer le relais au cours de l'été.
La visite à Cadarache a permis de découvrir trois aspects de l'activité du CEA sur ce site de recherche créé en 1959, qui rassemble aujourd'hui 4500 chercheurs : le chantier du réacteur Jules Horowitz, le centre d'entreposage Cedra et la plate-forme de recherche sur le sodium.
I - Le chantier du réacteur Jules Horowitz
Cette visite a été pilotée par le responsable du projet, M. Xavier Bravo.
Le réacteur expérimental « Jules Horowitz » est désigné d'après le nom d'un grand scientifique, spécialiste de neutronique, qui fut longtemps directeur de la recherche fondamentale au CEA.
Ce réacteur est destiné à la recherche sur les comportements des combustibles et des matériaux pour les réacteurs nucléaires actuels et futurs.
La neutronique s’appuie sur des équations parfaitement représentatives des phénomènes physiques intervenant dans la propagation des neutrons. Mais l’amplitude des domaines d’énergie en jeu (de quelques meV à quelques MeV), la multiplicité des matériaux envisagés et la complexité de la géométrie des assemblages combustibles font que, dès qu’il s’agit de qualifier avec précision l’ensemble des données physiques et des modèles de calcul, l’expérimentation est nécessaire. Elle le reste dans le contexte du développement de la simulation numérique pour permettre les recalages et la qualification des méthodes.
Pour ces expérimentations, le site de Cadarache héberge déjà les « maquettes critiques » Minerve et Mazurca, qui sont des réacteurs expérimentaux de puissance quasi nulle, qui permettent d’étudier une très large palette de configurations neutroniques.
La mise en service du « RJH » prévue en 2014 répondra au besoin complémentaire de disposer de flux neutroniques élevés pendant de longues durées, afin de suivre sous irradiation les comportements d’échantillons de combustibles nucléaires ou de matériaux de structure et procéder à des essais d'endurance.
Le « RJH » produira également des radioéléments pour la médecine nucléaire, jusqu'à 25% des besoins européens.
Le chantier est remarquable par la très grande précision des opérations, en dépit de la taille de l'ouvrage. On observe aussi que la géographie des lieux place celui-ci au creux d'une cuvette entourée de collines, positionnement qui renvoie évidemment à la préoccupation d'empêcher une collision avec un avion.
II - Le centre d'entreposage Cedra
Cette visite a été pilotée par M. Philippe Guiberteau, Directeur de l’assainissement et du démantèlement nucléaire.
L’installation Cedra (Conditionnement et Entreposage de Déchets RAdioactifs) remplace les installations de traitement et d'entreposage des déchets faiblement et moyennement radioactifs à vie longue (plus de trente ans) construites à Cadarache au début des années 60 (les INB 37 & 56).
La capacité d’entreposage de Cedra a été établie non seulement à partir des volumes de déchets actuellement entreposés à Cadarache, mais aussi de ceux qui seront produits dans les trente prochaines années, à Cadarache ou dans d’autres laboratoires de recherche du CEA (Cadarache, Saclay, Fontenay-aux-Roses, Grenoble, Marcoule, Valduc, Bruyères-le-Châtel).
La durée de vie de l'unité d'entreposage est réglementairement limitée à 50 ans.
L’installation se scinde en deux parties :
- quatre entrepôts pour les colis de déchets faiblement radioactifs d’une capacité maximale de 10.000 m3, soit 12.500 colis de 500 et 870 litres empilés. Ces derniers renferment des fûts en acier dont le contenu est bloqué dans une chape de béton ;
- un entrepôt voué à l’entreposage des déchets moyennent radioactifs d’une capacité de 2.350 m3, soit 4.700 fûts de 500 litres au total. Ces colis sont placés dans des alvéoles métalliques insérées dans une dalle de béton de 7 mètres de profondeur.
Un bâtiment intermédiaire d’une capacité d’environ 1.500 m3 est destiné à la réception, au contrôle et à la réexpédition des colis de déchets faiblement radioactifs en attente de référencement auprès de l'ANDRA.
III - La plate-forme de recherche sur le sodium
Le centre de Cadarache regroupe les recherches industrielles associées à la préparation des opérations de démantèlement de Superphénix, commencées en 1998. Ces recherches ont permis de conserver des compétences utiles en vue de la mise en œuvre de l’éventuel prototype de réacteur à neutrons rapides Astrid.
La continuité de l’effort de suivi des technologies de maîtrise du sodium est symbolisé par la pérennité de « L’école internationale du sodium et des métaux liquides », qui a accueilli, depuis sa création en 1975, plus de 4000 stagiaires.
L’essentiel des recherches s’applique au fonctionnement d’un générateur de vapeur chauffé directement par une circulation de sodium, et vise au contrôle du risque de contact entre le sodium et l’eau. Mais des expériences concernent aussi l’hypothèse d’un générateur de vapeur alimenté par un circuit tertiaire au gaz, avec un circuit secondaire au sodium.
Le sodium est un métal mou dans les conditions de température ambiante, qui passe à l’état liquide vers 100°C ; c’est sous cette forme qu’il doit alimenter les circuits caloporteurs des futurs réacteurs à neutrons rapides dits « au sodium ».
La plateforme de recherche se distribue sur quatre bâtiments : le premier regroupe les expériences à petite échelle (quelques litres à quelques mètres cubes de sodium), le deuxième permet un test à l’échelle 1 ; un bâtiment contient une casemate servant à l’entreposage du sodium ; un dernier bâtiment héberge certains équipements lourds de laboratoire : fours, cellules blindées.
La visite s’est concentrée, en compagnie de M. Alain Porracchia, Directeur de l’Innovation et du Soutien Nucléaire, d’une part, sur les expériences à petite échelle, présentées par M. Jean-Claude Maguin, d’autre part, sur les expériences de neutralisation du sodium, présentées par M. Olivier Gastaldi.
Les expériences à petite échelle visent pour l’essentiel à développer une instrumentation de visualisation à travers le sodium, lequel comme tout métal, est opaque, puisqu’il reflète l’intégralité des rayons lumineux. Il s’agit de mettre au point des techniques de métrologie indispensables pour des opérations de surveillance en continu, utiles aussi bien pour la maintenance d’une installation en voie de démantèlement que pour le pilotage, ou le suivi de sûreté, d’un futur réacteur.
Les études concernent également le développement d’une capacité d’inspection des structures internes, notamment en vue de détecter des fuites, avec la mise au point de mécanismes de réparation, notamment pour rétablir, le cas échéant, l’étanchéité. Elles visent enfin l’optimisation de la chaîne de manutention des assemblages, dont l’efficacité est essentielle pour préserver un haut niveau de facteur de disponibilité.
Les techniques étudiées s’appuient sur l’acoustique, pour la détection des débuts d’ébullition ou de l’état d’engazement du sodium, les ultrasons, pour des mesures de température ou de débit, la chimie pour la mesure de la teneur en oxygène, les courants de Foucault pour le repérage des défauts, la télémétrie, pour la mesure des distances. Les capteurs sont testés en immersion dans le sodium, puis sont soumis à des essais d’endurance.
Les expériences de neutralisation du sodium ont deux enjeux : d’une part, la vidange du réacteur et des circuits annexes dans le cadre d’un démantèlement ; d’autre part, le nettoyage des surfaces, utile aussi bien pour certaines opérations plus ponctuelles de démantèlement (toutes les parois mouillées) qu’en phase de maintenance.
La vidange du réacteur repose sur le procédé NOAH déjà mis en œuvre pour Rapsodie (37 tonnes de sodium), et le réacteur britannique PFR arrêté en 1994 (1500 tonnes, traitées aux trois-quarts jusqu’en 2005). C’est le procédé en préparation pour Phénix (1500 tonnes également), et Superphénix (5500 tonnes). Il permet de traiter 120 kilogrammes de sodium par heure en continu, en mélangeant le sodium avec de la soude ; il produit de la soude et un dégagement d’hydrogène.
Le nettoyage des surfaces utilise un procédé de « carbonatation » beaucoup plus lent (une fraction de millimètre par jour), qui produit des carbonates de sodium, inertes et solubles, grâce à une étape d’exposition de la soude obtenue à un flux de gaz carbonique. L’opération est réalisée dans des boites à gants. Les expériences visent à adapter le procédé à des géométries particulières.
— MISSION EN ESPAGNE - 20 AU 22 OCTOBRE 2010
La visite en Espagne, conduite par M. Claude Birraux, s’est déroulée sur trois jours. Elle avait pour objectifs de faire le point sur l’organisation générale de la gestion des déchets radioactifs, plus particulièrement sur les conditions d’élaboration du document espagnol équivalent au PNGMDR, et de recueillir des informations sur l’avancement des projets de stockage. Les entretiens ont permis de rencontrer une quinzaine de personnes impliquées, à un titre ou un autre, dans la politique de gestion des déchets nucléaires ou sa mise en oeuvre, sans compter de fructueux échanges avec l’Ambassadeur de France à Madrid, M. Bruno Delay, et les membres du service Economique.
I - L’organisation de la gestion des déchets radioactifs en Espagne
Avec seulement six centrales (huit réacteurs) en activité, l’énergie nucléaire occupe, en Espagne, une place nettement plus modeste qu’en France, puisqu’elle représente seulement de l’ordre de 20% de la production d’électricité, contre près de 80% dans notre pays. Son avenir reste en suspend, aucune décision majeure n’ayant été prise, depuis la fin du moratoire sur la construction de nouvelles tranches, décidé en 1983. De fait, la baisse de la consommation d’électricité, consécutive à la crise économique, a contribué à retarder la définition d’une nouvelle politique énergétique cohérente.
Le filière nucléaire espagnol dispose pourtant de nombreux atouts, sur le plan industriel, avec plusieurs entreprises de pointe et quatre opérateurs, représentant neuf mille emplois directs et dix mille indirects, comme institutionnel, avec un corpus législatif et réglementaire particulièrement complet, répartissant clairement les responsabilités entre les différents acteurs.
En matière de gestion des déchets radioactifs, ainsi que l’ont mis en évidence les entretiens au ministère de l’Industrie, du tourisme et du commerce (MITYC) et au Conseil de sécurité nucléaire (CSN), trois organismes publics jouent un rôle majeur: en premier lieu, le MITYC, directement responsable des aspects réglementaires et des autorisations de création de nouvelles installations d’entreposage et de stockage des déchets; en deuxième lieu, le CSN, équivalent de notre ASN, principalement chargé de soumettre au Gouvernement des avis sur la sûreté des nouveaux projets d’installations, de proposer des normes et règles de sûreté, d’attribuer des licences aux opérateurs d’installations d’entreposage et de stockage et d’inspecter ces installations; en troisième lieu, l’ENRESA, dont les missions comprennent, à l’égal de notre Andra, le traitement et le conditionnement des déchets, la conception, la construction et l’exploitation des centres d’entreposage et de stockage de ces déchets, mais aussi le démantèlement des installations nucléaires.
A ces trois organismes, il convient d’ajouter le CIEMAT, organisme de recherche dans le domaine de l’énergie et de l’environnement, dépendant du ministère de la Science et de l’innovation, et actionnaire majoritaire de l’ENRESA, ainsi que le Parlement, dont le Conseil de sécurité nucléaire dépend, pour la nomination de sa présidence, composée d’un président et de quatre conseillers, et devant lequel il présente son rapport annuel.
II - Le 6ème plan général de gestion des déchets
Le processus d’élaboration du plan général de gestion des déchets espagnol diffère notablement de celui du PNGMDR. En effet, l’ENRESA est chargé de préparer, tous les quatre ans ou sur demande du MITYC, un projet de plan qui est ensuite directement soumis à l’approbation de ce dernier. A cette fin, le ministère auditionne, pour recueillir leur avis, le Conseil de sécurité nucléaire, les gouvernements régionaux, les industriels, les organismes non gouvernementaux et les syndicats. Le public peut également s’exprimer via Internet. Après approbation par le Gouvernement, le plan est présenté devant le Parlement.
Le 6ème plan général de gestion des déchets diffère également du PNGMDR quant à son contenu. Après une courte présentation de son objet et de sa structure, le plan espagnol est introduit par un bref rappel du contexte historique et institutionnel de la gestion des déchets radioactifs. Cette introduction est suivie par trois chapitres résumant, pour le premier, les conditions de génération des déchets, pour le deuxième, les modalités de gestion des différentes catégories de déchets, les modalités de démantèlements des installations et les recherches et développement en cours, pour le dernier, les aspects financiers. Ces trois derniers chapitres sont ensuite développés dans des annexes.
De fait, ce plan fournit toute les informations essentielles relatives à la gestion des déchets radioactifs sous une forme accessible aux non spécialistes et, plus généralement, au grand public espagnol.
L’accent mis sur les aspects financiers de la gestion des déchets s’explique par une organisation du financement significativement différente de celle prévue par la législation française. En effet, si en France le financement de la gestion des matières et déchets nucléaires et des démantèlements, conformément à la loi du 28 juin 2006, fait l’objet de provisions par les producteurs, en Espagne, les différentes sources de financement viennent abonder un fond de financement séparé, géré par l’ENRESA, sous le contrôle du MITYC et soumis à de multiples audits.
III - L’entreposage et le stockage des déchets radioactifs
Conformément au 6ème plan général de gestion des déchets radioactifs, les déchets espagnols de faible et moyenne activité à vie courte ainsi que les déchets de très faible activité, y compris ceux issus des démantèlements, sont centralisés dans le centre de stockage d’El Cabril.
Vue aérienne du centre de stockage d’El Cabril
Source : ENRESA - licence Creative Commons
Celui-ci est situé en pleine nature, à proximité de la ville de Cordoue. La visite du centre d’El Cabril, présenté par sa directrice, Mme Eva Noguero, et par le directeur de la division Administration de l’ENRESA, M. Jorge Lang-Lenton, a permis de prendre connaissance des techniques avancées mises en oeuvre par l’ENRESA pour assurer un très haut niveau de protection des personnels et de l’environnement.
Le centre de stockage comprend deux secteurs, l’un destiné aux déchets de très faible activité et l’autre aux déchets de faible et moyenne activité, ainsi que des ateliers pour le traitement et le conditionnement préalables des déchets issus des centres hospitaliers, de recherche et des industries non nucléaires (la majorité des déchets, en provenance des centrales, arrive déjà conditionnée). La mise en oeuvre des procédés d’automatisation et de contrôle à distance des opérations permettent de réduire l’exposition des personnels aux radiations. Lors de la visite, nous avons d’ailleurs constaté que le centre de contrôle centralisé à partir duquel ces opérations sont pilotées venait d’être modernisé.
L’organisation des visites du centre d’El Cabril et, plus généralement, les aspects de communication ne représentent pas une activité mineure pour l’ENRESA. Les différentes technologies mises en oeuvres sont présentées avec professionnalisme. De même, l’entretien des abords du centre, avec ses nombreuses plantations, comme de tout le domaine arboré, font l’objet d’un soin particulier, destiné à créer un environnement idyllique.
El Cabril constitue donc une véritable vitrine du savoir-faire scientifique et technologique d’ENRESA, en matière de stockage des déchets de faible et moyenne activité à vie courte, à destination du grand public espagnol mais aussi de nombreux visiteurs étrangers (ainsi, notre visite a été suivie, début décembre, par celle d’une importante délégation russe, conduite par Mme Tatiana Elfimova, Directrice générale adjointe de Rosatom). Les efforts consentis par nos interlocuteurs espagnols démontrent que la gestion des déchets ne doit pas seulement être vue comme source de coûts, mais aussi comme une opportunité pour l’exportation, pouvant venir compléter une offre industrielle.
S’agissant des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue, la situation apparaît plus contrastée. Certes, le 6ème plan général de gestion des déchets prévoit, à court terme, une reconfiguration des piscines des centrales nucléaires destinée à accroître la densité des combustibles usés pouvant y rester immergés et le maintien d’entreposages à sec à proximité de deux centrales, dont une en cours de démantèlement. Mais la construction d’un centre d’entreposage centralisé, dont l’entrée en exploitation était prévue en 2015, n’était, d’après les informations recueillies au Conseil de sécurité nucléaire, toujours pas engagée, le choix d’un site correspondant se trouvant compliqué par les élections régionales. Quant à la perspective d’un stockage géologique profond, elle constitue un objectif de long terme, son entrée en exploitation n’étant pas envisagée avant 2050.
— MISSION EN RUSSIE - 8 AU 12 NOVEMBRE 2010
Les deux objectifs principaux de la visite conduite par M. Birraux étaient, premièrement, de faire le point sur l’avance de la Russie dans le domaine des réacteurs de quatrième génération, deuxièmement, de recueillir des informations sur les principes guidant le cadre législatif, en cours de finalisation, sur la gestion des déchets et matières radioactifs. Les discussions ont permis en outre de mettre à jour, d’une part, la démarche suivie par les autorités russes en matière de consultation publique, d’autre part, les principes guidant la politique d’exportation russe dans le domaine de l’énergie nucléaire.
Les informations ont été recueillies à l’occasion de quatre visites, d’abord au siège de Rosatom, où M. Birraux a été reçu par M. Eugene Eustratov, directeur général adjoint, ensuite au Conseil de la Fédération, où il a été reçu par M. Alexandre Torshin, Premier vice-président, puis à l’Institut Kurchatov, où il a été accueilli par M. Yaroslav Shtrombakh, premier directeur adjoint, enfin à la centrale nucléaire de Beloyarsk, près d’Ekaterinbourg dans l’Oural, dont tout l’encadrement supérieur, autour de son directeur Michaël Bakanov, a été mobilisé pour le recevoir.
M. Birraux a pu discuter à deux reprises, à l’Ambassade de France, puis au Conseil de la Fédération, avec Mme Tatiana Elfimova, directrice générale adjointe de Rosatom, chargée du suivi de la mise en place du nouveau cadre législatif de de gestion des matières et déchets radioactifs.
Au vu du rang des interlocuteurs, il paraît évident que la partie russe a donné à la venue de M. Birraux une véritable importance, dans la perspective d’un resserrement des liens de coopération entre la France et la Russie dans le domaine nucléaire.
En marge des visites à caractère officiel, deux contacts plus informels ont eu lieu avec l’Académicien Nicolaï Ponomarev-Stepnoy, ancien vice-Président de l’Institut Kurchatov et ancien contact de M. Birraux au Conseil de l’Europe, et avec M. Andreï Kislitsyn, maire de la ville de Zaretchny, sur le territoire de laquelle se situe la centrale de Beloyarsk.
M. Konstantin Zaytsev, originaire d’Angarsk et député d’Irkoutsk à la Douma de la Fédération, dont il est membre de la commission de l’énergie, accompagnait M. Birraux au cours de sa visite à Beloyarsk et Zaretchny.
I - Les réacteurs de quatrième génération
La visite de la centrale de Beloyarsk a permis de vérifier que la Russie disposait d’un réacteur à neutrons rapides de quatrième génération au stade de l’exploitation courante ; les échanges avec Rosatom ont montré que cette nouvelle génération de réacteurs était appelée à se développer en Russie à relativement brève échéance, essentiellement dans la perspective stratégique d’une anticipation de la diminution des ressources en hydrocarbures et en uranium ; néanmoins, les travaux conduits à l’Institut Kurchatov montrent que la transmutation des actinides mineurs demeure un objectif de plus long terme de la politique nucléaire russe.
A. La centrale de Beloyarsk
Cette centrale donne une dimension très concrète au projet de réacteur de quatrième génération, qui était une perspective de la recherche dans la loi sur la gestion des déchets nucléaires de 1991, et dont la réalisation en France a été remise en cause par l’arrêt en 1998 de Superphénix.
Le réacteur BN 600 a été raccordé au réseau en 1980. Après une période de rodage qui a duré une dizaine d’années, au cours de laquelle se sont concentrés la quasi totalité des 23 arrêts d’urgence qui sont intervenus à ce jour, le réacteur est entré en phase d’exploitation commerciale, avec un taux de disponibilité moyen de 73%, en hausse depuis 2000 jusqu’à atteindre 76% aujourd’hui. Il constitue aujourd’hui l’une des 31 tranches en service composant le parc nucléaire russe.
Le dernier arrêt d’importance est survenu en 1998, à la suite d’une fuite de sodium causée par une opération de maintenance sur le générateur de vapeur, au niveau du circuit secondaire : une canalisation a été coupée à l’endroit où l’on avait à tort identifié un bloc de sodium gelé, et la découpe a occasionné un écoulement, laissant échapper un volume de l’ordre du mètre cube. L’incident a conduit au remplacement du bloc correspondant du générateur de vapeur.
D’une façon générale, ainsi que l’a précisé l’ingénieur en chef du réacteur BN 600, M. Youri Nosov, qui a ensuite piloté la visite de l’installation en fonctionnement, l’architecture du générateur de vapeur en plusieurs compartiments parallèles cloisonnés, formant six échangeurs, a permis d’augmenter la fiabilité de cette partie critique de la centrale, qui avait été à l’origine de plusieurs incidents lors du lancement de Superphénix.
Une partie de la production électrique du réacteur, de l’ordre de 40 MW sur 600 MW, sert à alimenter en énergie la ville voisine de Karetchny, qui compte 27 000 habitants. De ce fait, les arrêts de maintenance sont programmés en été, c'est-à-dire en dehors des périodes de froid. Le directeur de la centrale, M. Michaël Bakanov, a indiqué, en réponse à une question de M. Birraux, qu’une chaufferie au fuel pouvait prendre le relais pour alimenter la ville en chaleur, en cas d’arrêt d’urgence du réacteur BN 600 en hiver. Il a néanmoins observé que cette solution de secours n’était efficace que si la température ne descendait pas en dessous de – 20 degrés, sachant qu’elle passe couramment en dessous de – 15 degrés au cœur de l’hiver de décembre à février.
La construction du réacteur BN 800 est très avancée, puisqu’elle en est au stade de la mise en place prochaine, en décembre, du couvercle de la seconde enveloppe de confinement. La délégation, pilotée par l’ingénieur en chef responsable du chantier, M. Nicolaï Leontieff, a pu visiter le vaste entrepôt d’assemblage, où ce couvercle est actuellement en attente. Le bâti sera achevé autour du réacteur, une fois que l’assemblage de celui-ci sera terminé. Le chantier comprend aussi les bâtiments affectés aux tâches liés à l’exploitation, comme celui destiné au nettoyage des vêtements des opérateurs. La construction devrait s’achever en 2014, permettant une mise en service vers 2020-2022, selon M. Michaël Bakanov.
Le site doit accueillir la tranche BN 1200 qui servira de prototype industriel pour la future filière de réacteurs à neutrons rapides au sodium. Son emplacement au sein de la centrale est déjà réservé.
Le réacteur BN 600, comme ses futurs voisins BN 800 et BN 1200, resteront principalement dédiés à la production d’électricité, l’utilisation pour la transmutation des actinides mineurs n’étant pas, à ce stade, envisagée. Néanmoins, le réacteur BN 800 est conçu pour permettre d’irradier des matériaux disposés en couverture. Le réacteur BN 600 est alimenté en uranium enrichi. Les deux autres réacteurs sont prévus pour fonctionner, au moins pour partie, avec du combustible MOX. Pour l’instant, le réacteur BN 600 n’est utilisé en mode expérimental que pour tester des matériaux et des combustibles. M. Mihaël Bakanov a indiqué qu’une utilisation pour des expériences de transmutation des actinides mineurs était possible, mais que la décision dépendait de Rosatom.
B. La stratégie suivie par Rosatom
Cette stratégie a été présentée par M. Vladimir Kagramanyan, de l’Institut de physique d’Obninsk.
La recherche sur les réacteurs rapides fait l’objet d’un programme fédéral adopté par décret en février 2010, qui est doté, sur la période 2010-2015, de 110 milliards de roubles, c'est-à-dire environ 2,5 milliards d’euros. Il se donne comme objectifs d’utiliser directement l’uranium 238 comme combustible, de mettre au point des procédés plus efficaces de retraitement des combustibles usés (grâce à des procédés à sec) et d’éliminer complètement certains déchets de haute activité.
Il concerne trois filières : celle du refroidissement au sodium, représenté par les réacteurs de Beloyarsk ; celle du refroidissement au plomb, qui doit se concrétiser dans le projet BREST ; celle du refroidissement au plomb-bismuth, héritière des réacteurs assurant la propulsion de sous-marins (APL-705), qui conduira à la construction d’un réacteur SVBR de 100 MW.
Le taux de combustion (burn-up) du combustible devrait doubler entre celui du réacteur BN 600 (9 à 11%), et celui des réacteurs de quatrième génération à l’horizon 2020 (16 à 18%).
Une usine de traitement des combustibles usés issus des réacteurs rapides, et une usine de fabrication de combustibles à partir de matières recyclées de haute activité, devraient entrer en service à l’horizon 2018. Cela devrait permettre de convertir le flux annuel actuel de 634 tonnes de matières radioactives entreposées en sortie de l’ensemble du complexe nucléaire en un flux annuel de déchets de haute activité de 100 tonnes, destinés à un stockage géologique.
Cycle actuel du combustible de Rosatom
Source : Rosatom
Cycle futur du combustible de Rosatom
Source : Rosatom
Tous les projets de recherche correspondants et leurs financements ont été définis comme prioritaires par la Commission d’Etat en charge du développement technologique de l’économie russe, laquelle est rattachée directement au Président de la Fédération. Une partie additionnelle du financement (de l’ordre de 10% en plus) sera apportée par Rosatom.
Trois outils serviront de support à l’effort de recherche : le réacteur de recherche BOR 60, dont la durée de fonctionnement sera prolongé jusqu’en 2015 ; un nouveau réacteur de recherche polyvalent, refroidi lui aussi au sodium comme le BOR 60, sera mis en service en 2019 ; enfin, le centre BFS de simulation des réacteurs, qui permet d’évaluer des paramètres de neutronique, disposera de moyens renforcés.
M. Vladimir Kagramanyan, appuyé par M. Eugene Eustratov, a insisté sur le fait que cette stratégie vise une échéance de moyen terme, à l’horizon 2020, bien plus rapproché que celle envisagée au niveau international pour la quatrième génération. En outre, elle est axée prioritairement sur l’objectif d’utiliser plus efficacement la ressource en uranium, en rangeant au deuxième plan l’effort de transmutation des actinides mineurs.
Cette stratégie est en fait dominée par le souci de profiter au mieux des réserves en hydrocarbures de la Russie, en utilisant les revenus financiers qu’elles procurent pour développer la part de l’énergie nucléaire dans le bilan énergétique de la Russie, et ainsi maximiser ultérieurement les volumes d’exportation des hydrocarbures.
C. Les recherches à l’Institut Kurchatov
Tandis qu’en ce qui concerne la quatrième génération, Rosatom s’inscrit dans une démarche très industrielle de maximisation à brève échéance des acquis technologiques de la Russie, l’Institut Kurschatov développe une démarche de recherche fondamentale diversifiée, bien plus en ligne avec l’esprit du projet international Gen IV.
Le docteur Pavel Alekseev a ainsi présenté des réflexions concernant les réacteurs à gaz, et les réacteurs à sel fondu.
Le docteur Stanislas Subbotin a détaillé les difficultés posées par la fermeture du cycle du combustible, en concluant sur l’investissement très important en équipements de retraitement que celle-ci suppose, ce qui donne à penser que des stratégies d’attente vont prévaloir à court terme dans ce domaine, repoussant au XXIIe siècle la perspective d’une fermeture véritable du cycle.
II - La gestion des déchets radioactifs
La Russie est en train de se doter d’un dispositif législatif définissant le cadre de la gestion des déchets radioactifs. La première lecture du projet de loi s’est achevée en février 2010, et une seconde lecture doit avoir lieu en décembre pour l’adoption finale, et une mise en œuvre à partir de 2011.
Le dispositif présente de nombreuses similitudes avec le cadre défini par les deux lois françaises de 1991 et 2006, ce qui n’est pas un hasard, car la véritable cheville ouvrière de cette construction législative, Mme Tatiana Effinova, Directeur général adjoint de Rosatom, a expliqué qu’elle était allée jusqu’à faire l’effort d’une lecture intégrale de la loi française de 2006 dans sa version originale, bien qu’elle ne maîtrise pas la langue française, afin de mieux comprendre le sens exact des dispositions, grâce au repérage précis de l’endroit où se situent les virgules. La présence de Mme Effinova à côté du premier vice-Président Torshin lors de la visite de M. Birraux au Conseil de la Fédération souligne son implication et sa position clef dans le pilotage de la discussion législative sur l’organisation russe de la gestion des déchets.
Les similitudes sont évidentes lorsqu’on constate que le projet de loi russe structure la démarche à partir d’une classification des déchets en fonction du double critère de la durée de vie et de l’activité, d’un inventaire annuel des déchets d’après ces critères, qu’il prévoit des solutions de stockage différentiées et échelonnées selon les catégories de déchets, et qu’il institue un organisme dédié au pilotage de l’identification des sites potentiels, puis à la construction des solutions de stockage.
Le cadre législatif russe en cours d’adoption comporte cependant deux différences notoires avec le dispositif français en vigueur :
- d’une part, les Autorités russes ont retenu le principe « Pay and forget », permettant aux exploitants, en pratique Rosatom à travers sa filiale Rosenergatom, de se libérer de la responsabilité de la gestion des déchets par le versement d’une soulte ; en France, les propriétaires des déchets en conserveront la propriété, et donc la responsabilité, même lorsque ceux-ci auront été stockés ;
- d’autre part, le dispositif russe n’établit pas d’instances de pilotage et d’évaluation permettant d’assurer un suivi dynamique de la mise en œuvre du cadre législatif, à l’image du groupe de travail du PNGMDR, de la Commission nationale d’évaluation, et en dernière instance, de la compétence explicitement reconnue à l’OPECST dans la supervision du fonctionnement d’ensemble. La loi russe fixe une architecture de gestion de manière précise, sur des échéances assez courtes, sans apparemment anticiper des risques de dérive ou des besoins d’adaptation.
S’agissant du stockage des déchets HAVL, il est envisagé la construction, dans une couche granitique, d’un laboratoire souterrain à 500 mètres de profondeur dans la zone de Krasnoïarsk. Le choix du granit pour le confinement n’a pas été explicité ; mais il n’a pas été non plus présenté comme une solution définitive, et lors de la visite de M. Birraux à Rosatom, M. Eustratov, parfaitement au fait de la situation française où les recherches concernent un confinement dans l’argile, a souligné la complémentarité des voies de recherche française et russe, et a appelé à un échange d’informations réciproques.
A la différence de la loi française de 2006 qui couvre les deux domaines des déchets et des matières, la législation russe traitera des principes régissant le cycle du combustible dans un texte spécifique, dont l’examen commencera en 2011.
III - Les procédures de consultation publique
Nos interlocuteurs de Rosatom se sont inscrits en faux contre la vision simpliste d’une absence d’opposition au déploiement de l’industrie nucléaire en Russie, car les manifestations publiques d’hostilité ne sont apparemment pas rares, à Moscou, devant le siège de Rosatom, comme sur les sites de construction d’équipements.
Des procédures de consultation publique sont engagées en préalable à tout nouveau projet de construction, et l’attitude des autorités locales semble y jouer un rôle déterminant. Néanmoins, il n’a pas été fait état d’un exemple de rejet de la population ayant contraint à la relocalisation d’un projet.
La visite effectuée à la mairie de Zarechny a mis en évidence la très forte dépendance de la vie sociale locale par rapport à la centrale voisine de Beloyarsk. Sur une population totale de 27000 habitants, environ 10000 travaillent directement ou indirectement pour la centrale, et cela explique le soutien explicite de son directeur Michaël Bakanov aux activités associatives locales, qu’elles soient culturelles ou sportives.
M. Igor Konyshev, Directeur à Rosatom des relations avec les associations et les régions, a décrit une procédure annuelle de consultation publique instituée à l’initiative du Directeur général de Rosatom, M. Sergey Kirienko, depuis son arrivée à la tête de la structure en 2005, consistant en un forum qui se tient chaque année au mois d’avril à Saint-Petersbourg. Ce forum dure deux jours et rassemble les représentants de toutes les associations qui le souhaitent ; les débats sont organisés en plusieurs tables rondes, à l’occasion desquelles les responsables de Rosatom répondent aux questions de l’assistance. Une table ronde a pour objet spécifique de faire état des expériences étrangères.
M. Konyshev a observé qu’il était vain de dialoguer avec les associations dont l’objet même est de manifester a priori leur hostilité à l’énergie nucléaire, puisque ces associations refusent d’entrer dans un échange structuré d’arguments ; en revanche, il a souligné l’apport pour Rosatom d’un dialogue avec les associations qui font l’effort de formuler en toute objectivité leurs inquiétudes, car ce dialogue permet de mieux identifier les éléments méritant une attention particulière.
IV - La stratégie d’exportation
L’objectif de disposer assez rapidement d’une filière industrielle de quatrième génération répond non seulement au besoin d’économiser les ressources en uranium, mais aussi au souci de la Russie de prendre une avance concurrentielle dans le domaine nucléaire au niveau international. D’ores et déjà, à côté des onze centrales en construction en Russie même, Rosatom poursuit huit chantiers à l’étranger. Au total, les commandes à l’exportation concernent vingt centrales, dont deux en Chine pour l’installation de réacteurs BN 800.
Cet effort d’exportation s’appuie sur le développement d’une offre très complète, qui comprend à tout le moins la formation des futures cadres des centrales. Les capacités d’enseignement en Russie ont été ainsi fortement relevées, jusqu’à permettre de diplômer 4000 opérateurs par an, aussi bien pour les besoins nationaux que pour accueillir des ressortissants étrangers : ainsi, l’obtention récente d’un marché au Vietnam prévoit la formation des ingénieurs qui seront chargés de l’exploitation.
En outre, l’offre russe comprend la fourniture du combustible. Cela permet de justifier en même temps la récupération des combustibles usés, et par conséquent l’élimination pour le pays d’accueil de la charge de la gestion des déchets de haute activité.
La vente des réacteurs BN 800 à la Chine ne pose aucun problème de principe en dépit de la capacité de ceux-ci à produire du plutonium par surgénération. Au contraire, les Autorités russes y voient l’occasion d’obtenir une aide de la Chine, via la consommation des combustibles MOX, pour l’élimination du stock excédentaire de plutonium militaire russe conformément aux accords de désarmement conclus avec les Etats-Unis.
Conclusion
La visite de M. Birraux à Moscou et Beloyarsk a pleinement répondu aux attentes concernant le recueil d’information sur la situation russe dans la perspective de l’évaluation du PNGMDR français. Les échanges ont permis de découvrir des éléments nouveaux concernant la politique d’exportation ou les procédures de consultation publique.
L’accueil très attentionné réservé à la délégation s’est inscrit manifestement dans un souci plus large de favoriser la coopération entre la France et la Russie dans les domaines de la gestion des déchets et de la quatrième génération.
— MISSION EN SUÈDE - 29 ET 30 NOVEMBRE 2010
La visite de M. Claude Birraux en Suède a permis de vérifier la parfaite cohérence du dispositif de gestion des déchets nucléaires de haute activité dans ce pays, d’étudier les bases du consensus national obtenu autour du sujet, et d’analyser les modalités de fonctionnement du tribunal de l’environnement. En outre, un échange a autorisé une courte incursion dans la recherche sur les réacteurs de quatrième génération.
I - La cohérence du dispositif nucléaire suédois
M. Claude Birraux s’est rendu à Oskarshamn, où il a pu visiter le site d’entreposage des combustibles usés (CLAB), le laboratoire souterrain (Hard Rock Laboratory), puis le laboratoire de mise au point des futurs conteneurs en cuivre de ces combustibles (Canister Laboratory). L’implantation de la future usine de ces conteneurs à Oskarshamn est présentée comme la compensation de la préférence finale de SKB, en juin 2009, pour un stockage géologique sur le site rival de Forsmark.
La filière nucléaire suédoise donne l’impression d’une construction industrielle cohérente, bien adaptée aux conditions du pays.
La délégation de la gestion des déchets à la société SKB, filiale commune des exploitants d’énergie nucléaire en Suède, à savoir la société suédoise Vattenfall, la société allemande E.on et la société finlandaise Fortum, organise un dispositif tel que les producteurs de déchets nucléaires, au delà de leur objectif à court terme de maximisation du profit, se trouvent en prise directe avec leur intérêt collectif, consistant en la mise en place d’une solution socialement acceptée de stockage géologique. Cette structure responsabilisante permet, par comparaison, de mieux comprendre les tensions inhérentes, en France, à la dissociation organique entre les exploitants et l’ANDRA, qui place cet établissement public, du point de vue des “centres de profits” que sont les producteurs de déchets, en position de simple “centre de coûts”.
Le choix d’un stockage direct des combustibles usés paraît adapté à un parc nucléaire de taille intermédiaire (dix réacteurs, produisant 45% des besoins en électricité); celui-ci ne génère pas des flux de combustibles usés suffisants pour faire jouer les économies d’échelle d’un lourd dispositif industriel de recyclage; à l’inverse, ces flux sont suffisamment peu importants, malgré la perte d’un facteur 10 en volume par rapport à une situation de recyclage, pour envisager un stockage géologique d’une taille, et donc d’un coût, raisonnables.
L’option d’une enveloppe épaisse de cuivre pour former le conteneur définitif de stockage n’est sans doute pas étrangère à l’abondance historique de ce métal dans le pays. Il faudra produire environ 200 conteneurs par an. La visite du Canister Laboratory comporte l’étape incontournable de la présentation du canon en bronze retrouvé dans la vase de la mer baltique, qui provient du vaisseau amiral suédois Kronan, coulé au cours de la bataille d’Öland, en 1676, par les Danois et les Hollandais (conséquence lointaine de la guerre déclenchée par Louis XIV contre les Provinces-Unies). Certes, on peut constater l’absence d'altération du métal après un séjour de trois siècles dans l’eau salée. Mais, par un heureux hasard, le pays est connu pour ses mines de cuivre, dont celle de Falun, l’une des plus importantes dans le monde au Moyen Âge. La filière nucléaire suédoise profite donc de l’atout d’une tradition métallurgique.
La Suède a décidé par une loi adoptée en juin 2010 de mettre fin au processus d’extinction de son énergie nucléaire engagé à la suite du référendum de 1980 et de la loi de 1997, et de lever son moratoire sur les constructions, en autorisant le remplacement des centrales parvenues en fin de vie. Cette décision est postérieure à celle de juin 2009 concernant la localisation du site de stockage géologique à Forsmark. Mais la perspective d’un accroissement des volumes de combustibles à stocker n’a pas eu d’impact rétrospectif sur le projet de stockage.
M. Claes Thegerström a souligné qu’une prolongation de l’activité nucléaire se traduirait par une prolongation de la durée d’exploitation du site de stockage, mais ne changerait pas l’ordonnancement des flux pour toute la partie des combustibles usés antérieurement pris en compte. Le supplément de volume à stocker se présente comme un complément au projet à étudier d’ici la fin du temps d’exploitation déjà prévu; le sous-bassement géologique de Forsmark pourrait du reste parfaitement héberger des alvéoles supplémentaires.
II - Les procédures de consultation publique
La visite a permis d’approfondir à plusieurs occasions les fondements de l’accord des populations concernées pour le stockage géologique : à l’occasion d’une rencontre avec les représentants du Gouvernement, lors d’une présentation des responsables de la mairie d’Oskarshamn, et surtout à travers les discussions avec M. Claes Thegerström, président de SKB.
Ces échanges ont conduit à relativiser l’image de société naturellement concensuelle par laquelle on caractérise souvent la Suède en France. En effet, les premières tentatives durant les années 80 pour identifier des communes ouvertes à l’étude géologique de leur territoire en vue d’y déceler des potentialités de stockage profond ont été conduites de manière prétorienne, et se sont heurtées à de vives protestations locales; ensuite, les démarches fondées au cours des années 90 sur le volontariat des communes se sont conclues par de nombreux désistements; enfin, les candidatures de Forsmark et d’Oskarshamn, qui ont donné lieu à une véritable concurrence entre ces deux villes jusqu’à la décision en faveur de Forsmark le 3 juin 2009, reposent sur des fondements encore difficiles à élucider aux yeux mêmes des responsables suédois.
Les motivations des deux communes combineraient une moindre appréhension face à l’industrie nucléaire liée à la présence déjà ancienne d’installations nucléaires sur leur territoire, la compréhension de l’enjeu de la gestion des déchets radioactifs, un intérêt bien compris pour les contreparties économiques d’une implantation industrielle locale.
Certains éléments institutionnels sont mis en avant pour expliquer cette attitude coopérative, voire volontariste; notamment la possibilité juridique des communes candidates de formuler un veto, quel que soit le stade d’engagement de la procédure. Par ailleurs, les représentants du ministère de l’environnement ont signalé un mécanisme de subventions d’Etat accordées sous certaines conditions aux associations participant au dialogue avec les responsables de l’administration et de l’industrie; celui-ci inclut un contrôle strict a posteriori de l’utilisation des fonds, qui conditionne la poursuite du versement.
Cependant nos interlocuteurs suédois sont restés interdits, lorsqu’on leur a demandé ce qui adviendrait si ce droit de veto des communes était utilisé après un engagement définitif. Les retournements de position suite à des basculements électoraux leur paraissent inconcevables. D’autre part, le mécanisme des subventions aux associations ne concerne qu’un petit nombre d’entre elles, moins d’une dizaine d’après nos conversations, et aucune ONG d’envergure comme Greenpeace parmi elles.
Même si cet aspect de l’expérience suédoise mérite réflexion, on ne peut donc guère voir des éléments explicatifs transposables dans ces aménagements institutionnels manifestement ancrés dans un particularisme culturel.
En revanche, le conseil unanime, de tous nos interlocuteurs, du ministère de l’environnement, de l’autorité de radioprotection, du Conseil national des déchets nucléaires, de la commune d’Oskarshamn, de SKB, invitant à laisser le temps nécessaire au dialogue avec la population, pour expliquer le projet de stockage géologique et ses enjeux, s’est nourri d’analyses intéressantes. D’une part, c’est la seule manière d’impliquer des personnes qui, dans le fil de leur vie courante, n’ont pas toujours une disponibilité suffisante pour s’intéresser à brûle pourpoint à la gestion des déchets nucléaires; d’autre part, une procédure longue met en porte-à-faux les opposants dogmatiques à l’énergie nucléaire, qui se mobilisent aisément pour réaliser des coups médiatiques, mais n’ont pas la patience de participer à un dialogue au long cours.
Les responsables suédois de la gestion des déchets nucléaires n’excluent pas la résurgence d’un extrémisme antinucléaire maintenant qu’on en arrive au commencement de la réalisation du projet de stockage. Mais ils observent que, du moins, son absence notoire durant les années du dialogue de longue durée engagé par l’administration et l’industrie avec la population locale, soulignera fortement, aux yeux de celle-ci, la dimension artificielle et importée des courants que cet extrémisme réprésente.
III - Le modèle du « tribunal de l’environnement »
La Suède compte cinq tribunaux de l’environnement, compétents chacun sur une subdivision du territoire. Ils constituent ensemble un ordre de juridiction spécialisé, qui comporte aussi une cour d’appel, et relève en dernière instance de la Cour suprême. Ce dispositif a été mis en place par le code de l’environnement adopté en 1998, qui est entré en vigueur l’année suivante.
Chaque tribunal est formé de quatre juges : le magistrat qui le préside ; un autre magistrat, titulaire d'un diplôme d’ingénieur, et formé aux questions de l’environnement; deux experts des questions de l’environnement disposant d’une expérience dans l’industrie ou l’administration locale.
Nous avons pu rencontrer, dans leurs propres locaux, deux juges du tribunal de Narka, qui prend en charge les dossiers concernant Stockholm et ses environs : Mme Ylva Osvald, présidente et M. Jan-Olof Arvidsson, magistrat - ingénieur.
Le tribunal de l’environnement intervient après une phase préalable de large communication, aux frais du demandeur, invitant toutes les associations et personnes intéressées à faire valoir leur point de vue sur le projet faisant débat. La qualité de la préparation du dossier du défendeur, qui se mesure notamment à l’importance des efforts de concertation préalable qu’il a entrepris, entre en ligne de compte dans le jugement.
Selon l’importance de l’affaire, le jugement du tribunal, après l’audition des parties prenantes, vaut véritable décision, si l’enjeu est local, ou simple avis, avec renvoi à la compétence du Gouvernement, si l’enjeu est national. Dans le second cas, lorsque le Gouvernement a délivré l’autorisation de réaliser le projet, le tribunal a compétence pour préciser les limites de cette autorisation.
SKB devrait déposer les demandes de permis de construction du site de stockage à Forsmark, et de l’usine de fabrication des conteneurs à Oskarshamn, en mars 2011; la procédure devrait conduire ultérieurement à un examen de ces projets par le tribunal de l’environnement. Cette procédure se déroulera parallèlement à celle conduite par l’autorité suédoise de radioprotection pour examiner ces deux projets du point de vue de la sûreté nucléaire.
IV - Les recherches sur la quatrième génération
Bien que n’ayant pas investi dans un dispositif industriel de recyclage, la Suède participe néanmoins aux recherches européennes sur les filières de quatrième génération devant permettre la transmutation d’une partie des actinides mineurs.
Le professeur Janne Wallenius de l’Institut royal de technologie (KTH) a indiqué que la Suède allait investir près de 5 millions d’euros dans le projet Astrid de réacteur à neutrons rapides au sodium (SFR), dans le cadre d’une convention passée avec le CEA en décembre 2010. Des chercheurs suédois, docteurs et doctorants, iront renforcer les équipes de recherche de Cadarache.
Mais la piste privilégiée par le Gouvernement suédois est celle des réacteurs refroidis au plomb (LFR). L’ambition du professeur Wallenius, qui a souligné la capacité de ce type de réacteur de se refroidir par un mouvement de convection naturel, est de construire un réacteur de recherche à l’horizon 2020 (projet ELECTRA - European Lead Cooled Training Reactor). Une partie du financement pourrait provenir de l’allocation reçue par la commune d’Oskarshamn en dédommagement du rejet de sa candidature au projet de stockage géologique.
En parallèle, le projet GENIUS étudie les matériaux, et notamment l’utilisation des nitrures d’actinides pour les combustibles, notamment parce qu’ils présentent l’avantage d’une plus grande densité et d’une meilleure conductivité thermique que les mélanges d’oxydes.
— VISITE DE L’ATELIER SOMANU À MAUBEUGE - 13 JANVIER 2011
M. Christian Bataille s’est rendu, à Maubeuge, sur le site de l’entreprise Somanu (Société de maintenance nucléaire), en compagnie de deux responsables de la direction “Sûreté, santé, sécurité, environnement” du groupe Areva, dont l’entreprise Somanu est une filiale : M. Philippe Bosquet, adjoint au directeur, et M. Philippe Poncet, spécialiste “Sûreté des déchets et démantèlements”.
Il a été accueilli par M. Thierry Schietecatte, Président directeur général de la Somanu, et Mme Marie-Laure Fitamant, Directeur d’établissement.
M. Laurent Roussel, Chef du service “Risques, nuisances, déchets” au Conseil général du Nord, participait aux entretiens; il suit les travaux des CLI (Commissions locales d’information) associées aux deux installations nucléaires de base (INB) du département du Nord : celle de la Somanu, et celle de la centrale nucléaire de Graveline.
Comme son nom l’indique, la Somanu est un atelier de maintenance, qui s’occupe de l'entretien et la réparation des parties mécaniques ou hydrauliques des équipements de centrales nucléaires et notamment les pompes primaires.
L’effectif de l’entreprise est de 37 personnes, mais le nombre de travailleurs présents atteint couramment la centaine, car la Somanu fonctionne sur le principe de la location de son infrastructure technique à des équipes de réparation dépêchée par les exploitants nucléaires, pour intervenir elles-mêmes sur les pièces à réparer, avec les équipements mis à disposition sur place.
Une part importante de l’activité est généré par la maintenance du parc français d’EDF (environ 45 %), mais une diversification de la clientèle s’est opérée depuis la création de l’atelier par Jeumont-Schneider en 1985, et l’atelier accueille aujourd’hui presque en permanence des équipes allemandes, et travaille pour des commanditaires espagnols, voire chinois.
Les commandes sont le plus souvent transmises par la société JSPM, autre filiale d’Areva qui fabrique et vend des pompes et mécanismes pour les centrales nucléaires, ainsi que des pièces de remplacement, et qui renvoie vers la Somanu pour les opérations de révisions, de contrôle périodiques ou de réparations. L'usine de JSPM est implantée à Jeumont, également dans le département du Nord. M. Thierry Schietecatte assure du reste le lien entre les deux entreprises, puiqu’il est directeur des services nucléaires de JSPM. La Somanu génère le reste de son chiffre d’affaires par sa propre prospection commerciale.
La vigilance radiologique est omniprésente dans l’organisation du travail de la Somanu, car les pièces qui arrivent pour maintenance ont toujours été plus ou moins exposées auparavant aux radiations près du coeur d’un réacteur. La Somanu ne traite cependant pas les équipements devenus source de radiation alpha. Les bâtiments distinguent les zones dites “chaudes” dans lesquelles les travailleurs peuvent être exposés à des rayonnements ionisants et dont l’entrée est soumise à des procédures de protection (passage par des portiques, port de vêtements spéciaux), des zones dites “froides” ou conventionnelles, identiques à une entreprise classique accessibles directement. A l’intérieur de l’atelier, des zones de confinement peuvent être aménagées pour les travaux sur les pièces les plus actives; les techniciens y travaillent en scaphandre.
L’espace de l’atelier est mis en dépression pour retenir les particules radioactives. Il communique avec l’extérieur par des sas, dont celui servant à la livraison des pièces à réparer. A leur arrivée, celles-ci peuvent être soumises à un bain de décontamination, en fonction de leur niveau d’activité. Des capteurs mesurent en permanence la radioactivité de l’environnement.
Le travail d’usinage est très précis, au moins au dixième de millimètre, même s’il s’agit d’un équipement de plusieurs mètres de diamètre. Le positionnement de la pièce sur l’outil prend beaucoup plus de temps que l’intervention elle-même : plusieurs heures de calage, quelquefois au centième de millimètre, pour quelques minutes d’usinage. Un laboratoire est disponible sur place pour l’analyse de structure de matériaux.
L’activité génère des déchets de faible et moyenne activité à vie courte, qui sont conditionnés pour être renvoyés aux commanditaires étrangers en même temps que les pièces réparées. Les déchets produits par les interventions sur les équipements du parc français sont soit renvoyés à EDF, soit remis directement à l’ANDRA en vue de leur stockage sur le site FMAVC ou CSTFA de l’Aube.
ANNEXE 3 :
LA GESTION DES DÉCHETS NUCLÉAIRES EN ALLEMAGNE
I - Contexte historique
Les Allemands sont passés d’un soutien très fort à l'énergie nucléaire dans les années 1970, notamment suite au choc pétrolier de 1973 qui leur avait donné un sentiment de vulnérabilité dans leur approvisionnement en énergie, à une véritable défiance suite à l'accident de Tchernobyl, au début de l’année 1986. Le Bundestag adopte ainsi, en août 1986, une résolution visant à abandonner l'énergie nucléaire dans les dix ans.
L'effet le plus immédiat de ce changement de politique est de mettre fin à la R&D sur les réacteurs à haute température refroidis au gaz et les réacteurs à neutrons rapides. Le dernier réacteur nucléaire allemand est mis en service en 1989.
Les gouvernements suivants reviendront sur cette limite de dix ans, et décideront, en juin 2000, dans le cadre d’un accord entre les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts, du maintien des réacteurs en fonctionnement jusqu’au terme de leur durée de vie moyenne, évaluée à trente-deux ans, en ne prévoyant pas leur remplacement ou la construction de nouveaux réacteurs. L’objectif est ainsi une diminution progressive de la production nucléaire par la fermeture successive des réacteurs.
L’accord prévoit également une neutralité des partis politiques sur la question du stockage des déchets, un moratoire de 10 ans sur l’exploration de la mine de sel de Gorleben, et le maintien jusqu’à leur terme des accords sur le retraitement des combustibles nucléaires signés avec la France et le Royaume-Uni. Il introduit aussi le principe de stockage sur site pour le combustible usé, et l'entretien de deux projets de stockage de déchets.
Par ailleurs, le gouvernement allemand s’est également fixé, avec son concept énergétique adopté fin 2010, des objectifs extrêmement ambitieux en termes de réduction des gaz à effet de serre et d’évolution de ses modes de production d’énergie et d’électricité à l’horizon 2050 :
- baisser la demande en énergie primaire de 50% et augmenter l'efficacité énergétique de 2,3% par an
- réduire la demande d'électricité de 25%, la demande finale d'énergie dans le secteur des transports de 40%, et doubler le rythme de rénovation des logements
- augmenter la part des énergies renouvelables dans la demande d'électricité à 80% (contre 17% aujourd'hui)
- augmenter la part des énergies renouvelables dans la demande d'énergie finale brute à 60% (contre 9% aujourd'hui)
- diminuer les émissions de gaz à effet de serre de 80% par rapport à 1990
A partir de l’année 2007, notamment suite au rapport du GIEC de 2007 sur le climat, plusieurs agences nationales et internationales (Deutsche Bank, Agence Internationale de l’Energie, …) ont alerté le gouvernement allemand sur l’incompatibilité entre la fin programmée, et rapide, de la production électronucléaire, les objectifs en terme d’émissions de CO2, et l’évolution de la demande énergétique.
II - L’allongement de la durée de vie des réacteurs nucléaires
Depuis septembre 2009, la nouvelle coalition entre chrétiens-démocrates (CDU) et libéraux-démocrates (FDP), s’est engagée à revenir sur l’accord de 2000 afin de le concilier avec les objectifs du pays en matière d’énergie et d’émission de CO2.
Après une année de négociation, l’option d’un allongement de la durée de vie des 17 réacteurs en activité est retenue.
L’extension de la durée de vie moyenne décidée par le gouvernement est la suivante :
- huit ans de plus pour les sept réacteurs les plus anciens (mis en service avant 1980) ;
- quatorze ans de plus pour les dix réacteurs les plus récents (mis en service après 1980).
Les profits générés par ce prolongement seront partagés entre l’industrie nucléaire et l’Etat, via l’instauration sur la période 2011-2016 d’une taxe sur le combustible nucléaire de 145 € par gramme d'uranium fissile ou de plutonium consommé (soit 18 € / MWh environ). Le ministère fédéral des Finances anticipe un produit annuel de 2,3 milliards d’euros par an, dont une partie sera affectée au démantèlement des réacteurs et au stockage des déchets.
L’accord prévoit également le versement, par les opérateurs, d’une subvention au développement d’énergies renouvelables, par le biais d’un « fonds énergie-climat ». Cette contribution, de 300 millions d'euros en 2011 et 2012, de 200 millions d'euros sur la période 2013 - 2016, puis de 9 € / MWh à partir de 2016, pourra être réduite si les coûts de renforcement de sûreté pour une centrale dépassent 500 millions d’euros.
La loi ne précise pas le montant ni les mesures de sûreté que les opérateurs doivent réaliser pour la mise à niveau de leurs installations. Ces mesures sont laissées à l’appréciation des autorités de sûreté des Länder et sont toujours en cours de chiffrage.
III - La politique de gestion des déchets nucléaires en Allemagne
L’Allemagne prend très tôt la décision de réutiliser d’anciennes mines comme lieu privilégié d’entreposage ou de stockage de ses déchets nucléaires. Ce choix sera maintenu après la réunification, en intégrant des solutions similaires développées en Allemagne de l’Est.
1. La classification des déchets en Allemagne
En Allemagne, les déchets radioactifs sont classés selon leur production de chaleur.
Pour les déchets dont la production de chaleur est négligeable (puissance rayonnée de l’ordre du milliwatt), l'augmentation de température de la roche environnante est faible. Ces déchets sont composés notamment de filtres, d’outils, d’eaux chimiques usées, de boues, de matériaux de nettoyage... Les matériaux radioactifs liquides sont concentrés, par exemple par vaporisation de l'élément non-radioactif. Les matériaux radioactifs solides sont broyés et comprimés, ou, si possible, réduits en cendres. Ces déchets sont ensuite placés dans des fûts ou des conteneurs en acier ou en béton.
Dans le cas des déchets à forte production de chaleur (puissance rayonnée de l’ordre du kilowatt), l’augmentation de la température de la roche hôte adjacente peut atteindre plus de cent degrés. Pour refroidir ces déchets, et optimiser au mieux l’utilisation des zones de stockage, les déchets à forte production de chaleur sont entreposés, pour plusieurs décennies, dans des installations temporaires de surface avant leur stockage définitif en sous-sol. Ils sont composés des déchets radioactifs vitrifiés issus du retraitement en France et au Royaume-Uni des éléments combustibles usés allemands, ainsi que des autres combustibles usés acheminés directement vers un entrepôt. Les combustibles, tout comme les conteneurs en acier inoxydable contenant les déchets vitrifiés issus du retraitement, sont placés dans des fûts Castor pour leur entreposage. Pour leur élimination définitive, ils seront probablement transférés dans des récipients conçus pour une durée de vie plus longue, par exemple dans des fûts Pollux, similaires aux fûts Castor, mais à usage unique.
Le volume de déchets à production négligeable de chaleur est estimé à un total cumulé d’environ 290 000 m³ jusqu’en 2080. Les déchets à forte production de chaleur devraient représenter, à terme, environ 24 000 m³.
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2. L’échec des premières démarches
Au cours des années 1960, après la construction de plusieurs réacteurs, la question des déchets nucléaires est posée. La décision prise, au niveau fédéral, de les stocker dans des couches de sel est considérée, à l’époque, comme étant à la pointe de la technique, et permettait également de profiter des installations minières déjà en place.
En 1965, l’attention des autorités se porte donc sur la mine de sel d’Asse, comme prototype de lieu de stockage avant le stockage définitif dans le dôme de sel de Gorleben ou de Konrad.
Il s’agit d’y poursuivre des recherches pour y mettre au point les technologies appropriées, bien qu’un problème d’infiltration d'eau y soit déjà connu.
Des déchets à production de chaleur négligeable y sont acheminés jusqu’en 1978, date où l'entreposage de déchets nucléaires est interdit par un amendement de la loi allemande sur l'énergie nucléaire. Les nouvelles autorisations de stockage ne peuvent plus être délivrées que par un processus strict de planification soumis à enquête publique. Or la mine est à l’époque toujours soumise au code minier et non au code de fonctionnement nucléaire.
Au cours des années 1990 et 2000, la mine passe finalement sous contrôle de l'Office fédéral pour la radioprotection et la sûreté nucléaire. Des contaminations radioactives de la saumure environnante (mélange d’eau et de sel) sont détectées, ainsi qu’une déformation importante de la mine qui se révèle instable, à relativement courte échéance. La décision est alors prise de sa fermeture, voire du déplacement des déchets vers les autres sites d’entreposage.
3. Les sites actuels d’entreposage et de stockage
L’Allemagne dispose d’un certain nombre de sites d’entreposage des déchets nucléaires sur son territoire. Les trois principaux sites sont les suivants :
a) Site d’Ahaus
Le site d’Ahaus est utilisé pour l’entreposage des éléments combustibles irradiés en provenance des réacteurs de puissance, mais également pour l’entreposage des déchets nucléaires en provenance des 7 réacteurs d’essai et des 22 réacteurs de recherche qui produisent près de 43,4% des déchets nucléaires allemands.
Le site d’Ahaus doit également recevoir, à partir de 2011, 152 conteneurs Castor actuellement entreposés dans le centre de recherche de Jülich, ce dernier devant être décontaminé suite à un accident survenu en 1978.
b) Site de Gorleben
Le site de Gorleben regroupe deux centres d’entreposage et un centre de stockage, le dôme de sel de Gorleben. Il est destiné aux déchets radioactifs à forte production de chaleur. Le choix du dôme de sel de Gorleben comme zone de stockage est étudié depuis la fin des années 1970.
L’entreposage s’effectue dans des conteneurs secs, maintenus au dessus du sol et refroidis par circulation d’air, du combustible usé. Il concerne des produits de retraitement vitrifiés en provenance de France ou du Royaume-Uni. Jusqu’à 420 conteneurs peuvent y être entreposés.
Site de Gorleben
Le choix d’une mine de sel est très critiqué, car il tranche avec le choix des formations argileuses ou des formations de granite généralement fait dans les autres pays. De plus, au cours des années 1979 à 1999, huit sondages montrent que la mine est probablement instable, notamment en raison de la disposition des roches environnantes ; ils ont, de surcroît, mis en évidence une circulation d’eau juste au dessus du dôme.
La circulation d’eau est susceptible de causer une remontée de la radioactivité, mais également un effondrement du sol au dessus du dôme, et de former une doline, formation courante près des mines de sel allemandes (« Rambower See », par exemple). Suite à ces découvertes, le développement du site comme zone de stockage définitif fait l’objet, depuis 2000, d’un moratoire. L’utilisation de ce site demeure une question ouverte en 2011, malgré la levée du moratoire par le gouvernement en octobre 2009.
c) Mine de sel de Morsleben
Mine de Morsleben
En 1965, l’autorité en charge de l’énergie atomique en Allemagne de l’Est décide d’utiliser cette ancienne mine de sel comme site d’entreposage de 500 m³ de déchets nucléaires, notamment pour désengorger le site central de Lohmen.
Au cours des années 80 et jusqu’en 1991, c’est jusqu’à 14 432 m³ de déchets de faible et moyenne activité, à production de chaleur négligeable, qui y sont entreposés. Après la réunification allemande, de 1994 à 1998, 22 320 m³ y sont entreposés, soit un total de 36 752 m³, pour une activité totale de 0.38 PBq14.
Depuis 1998, l’entreposage de déchets à Morsleben est interrompu, suite à la découverte de zones d’instabilité dans la mine qui a nécessité l’injection d’un mélange de 480.000 m³ de sel et de béton pour stabiliser les zones supérieures du site, et 4.000.000 m³ pour stabiliser les zones inférieures.
d) Mine de fer de Konrad
Après avoir été utilisée comme mine de fer de 1961 à 1976, une étude est menée pour étudier sa reconversion en zone de stockage définitif de déchets nucléaires. En effet, l’une des caractéristiques de cette mine est d’être sèche, critère important dans le choix d’un site de stockage.
Mine de Konrad
Après vingt années d’étude et de planification, le site reçoit sa licence pour l’entreposage et le stockage de déchets à faible et moyenne intensité (production de chaleur négligeable).
La licence autorise le stockage de 300 000 m³ de déchets sur neuf niveaux (800, 850, 1000, 1100, 1200 et 1300 mètres de profondeur), notamment le stockage initial des 88 000 m³ de déchets provenant des autres sites.
Dans le meilleur des cas, ce site serait opérationnel en 2013.
e) La création d’une commission pour le stockage des déchets radioactifs
En 2008, le ministère fédéral de l’environnement allemand décide de créer un nouvel organe de conseil indépendant, l’ESK, dédié aux questions de gestion des déchets radioactifs, avec une structure proche de la commission nationale d’évaluation (CNE) française. Constitué de 11 experts internationaux indépendants, l’ESK est compétente dans les domaines suivants :
• Traitement et entreposage des déchets radioactifs ;
• Fermeture des installations nucléaires ;
• Stockage définitif des déchets radioactifs.
L’ESK s’est notamment vu confier la délicate question du site d’Asse.
Bilan
La France, suite à la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, tout comme la Suède, a fondé ses recherches d’un site approprié pour le stockage des déchets nucléaires sur une démarche scientifique ouverte, s’appuyant sur des études géologiques et une consultation de la population locale lorsqu’il s’agit d’implanter un laboratoire. Cette phase en amont a permis la réalisation de nombreuses études géologiques (porosité de l’argile, du granite, …), et une sensibilisation des populations concernées sur ces questions.
L’Allemagne, en prenant très tôt la décision de réutiliser des mines existantes comme site de stockage de ses premiers déchets, a rapidement été confrontée à des difficultés techniques qui nécessitent à présent un certain réexamen. Des difficultés d’ordre politique ont également fait surface, les populations locales ayant très peu, voire pas du tout, été consultées lors du choix de ces sites dans les années 70.
En conclusion, il apparaît que les dossiers techniques relatifs à la gestion des déchets nucléaires sont suivis en Allemagne, dans un contexte politique difficile, avec de fortes oppositions et un grand écho médiatique.
Dans la pratique, l'ensemble des déchets nucléaires allemands produits se retrouve, en 2010, dans des entrepôts provisoires, car aucun site n'est disponible.
On peut espérer un début de résolution du stockage définitif des déchets à production négligeable de chaleur (faible et moyenne activité), dans les années à venir, grâce au site de Konrad. Par contre les fermetures des sites d'Asse et de Morsleben vont certainement continuer à susciter de nombreux débats.
Pour les déchets à forte production de chaleur (haute activité), l'arrêt du retraitement et l'accumulation correspondante sur de nombreux sites des assemblages usés ne pose pas de problèmes de sûreté, mais ne donne pas non plus une vue claire à long terme du choix technique de gestion de ces assemblages. Cela, joint au durcissement continu des règles de sûreté imposées à un site de stockage définitif, laisse présager de fortes difficultés pour le projet de site à Gorleben.
ANNEXE 4 :
EXTRAIT DU RAPPORT DE ROBERT DAUTRAY
À L’ACADÉMIE DES SCIENCES
“L’énergie nucléaire civile dans le cadre temporel des changements climatiques”
(Décembre 2001)
Nous avons cité (…) cinq critères relatifs au stockage des déchets radioactifs (radioactivité, radiotoxicité, dose effective sanitaire, puissance résiduelle, contribution éventuelle à la prolifération) qui seuls nous ont paru avoir une base scientifique (que nous sachions analyser). Nous avons toutefois voulu en montrer les limites, et pour chacun, et pour l'ensemble. (…)
Ce qui est quelquefois proposé, par exemple un accent particulier sur la transmutation/fission, peut-il être scientifiquement faisable, simultanément pour les trois premiers critères ? Mais au détriment de qui ? Avec quelles servitudes ? Quelles conséquences sanitaires lors des incidents, accidents, erreurs humaines, malveillances, etc. ? A quel prix et avec quelles ressources ? Qui les paiera en adversités nouvelles ?
Qu'est-ce qui sera nécessaire ?
Citons notamment :
- les procédés de séparation, de transformation chimique et physique de corps radioactifs ;
- les équipements pour faire tout cela ;
- les irradiations ;
- les fabrications d'objets radioactifs (et leurs traitements mécaniques, physiques, chimiques après irradiation) ;
- les transports de tous ces corps radioactifs ;
- les manipulations de ces objets de plus en plus radioactifs ;
- les nouveaux déchets radioactifs (tout cela non seulement radioactif, mais avec tous les types de rayonnements, y compris les plus pernicieux);
- tout cela exploité par les travailleurs de ce siècle, dans des zones au voisinage peuplé, où il est impossible qu'il n'y ait pas de fuites, ni de rejets radioactifs.
C'est donc un système nucléaire vaste et complexe qui est à créer.
Il faudra, de toute façon, qu'un bilan sanitaire sérieux, détaillé et comparatif, soit effectué avant toute dépense significative. (…)
Ce système radioactif ne pourrait être créé, pour éviter de trop nombreux transports de substances radioactives, que dans un immense parc nucléaire adossé à l'usine séparant tous ces corps réputés potentiellement plus dommageables que les autres, et que l'on devrait séparer chimiquement. Donc, cet immense parc nucléaire devrait être adjacent à l'usine de retraitement sur laquelle on ajouterait les nouvelles unités de séparation chimiques. Il faudrait y placer toutes les fabrications de cibles à irradier, les réacteurs brûleurs et le traitement des cibles irradiées, et cela avec de nombreux recyclages. Il faudrait exiger des pertes et des impuretés minimales, au prix d'une complication technique extrême et d'un effort supplémentaire. N'oublions pas les usines-pilotes, puis les usines-prototypes, les réacteurs-démonstrateurs avant que les réacteurs-brûleurs ne soient construits en grande taille en grande quantité. Tout cela nous paraît d'une complexité jamais égalée, mettant en jeu toutes sortes de rayonnements. Ce parc nucléaire contiendrait tant de corps radioactifs aux multiples risques potentiels qu'il faudrait le protéger, le garder comme une citadelle militaire, y compris du dessus. Et que dire des servitudes des travailleurs qui devraient y entrer et en sortir chaque jour, et des transports de corps radioactifs inévitables qui pénétreraient et sortiraient ?
Pourquoi tant de radioactivité croissante ? Parce que l'on voudrait remplacer des isotopes radioactifs à vie longue, donc très peu radioactifs, par des isotopes radioactifs à vie courte, donc très radioactifs. Il faut ajouter les problèmes de radiotoxicité rendue accessible, parce que tous ces éléments devront bien être entreposés pour rendre compatibles ces demi-vies différentes et ces divers processus: donc le voisinage avec les travailleurs et les populations serait long.
Qui doit juger de tout cela et notamment des questions posées ci-avant ? Là encore, apparaît la nécessité d'un critère général de protection et de confiance. De toute façon, le parlement en aura besoin pour juger des résultats des études remises fin 2006 et pour décider des suites à y donner.
Peut-on commencer par quelque chose de plus modeste ? Ne risquons-nous pas de mettre le doigt dans un engrenage ou tout le bras puis le corps passeront ? Là encore, c'est avec l'aide du critère général de protection et de confiance que le parlement pourra en juger.
Observons que la faisabilité scientifique de la séparation chimique est déjà établie et que son fonctionnement, suivi d'un conditionnement (qui est une véritable réussite scientifique méconnue) et d'un entreposage local (c'est-à-dire sur place), pourrait démarrer progressivement et sans difficulté d'une manière expérimentale. C'est la suite qui nous paraît faire problème, c'est-à-dire « l'élimination » de tels et tels corps radioactifs, pour remplacer des corps à vie longue, donc peu radioactifs, par des corps à vie courte, donc très radioactifs, pendant tout ce siècle (et les suivants ?).
ANNEXE 5 :
LES PROJETS DE RÉACTEURS DE QUATRIÈME GÉNÉRATION
I - Gestion des déchets nucléaire : l’intérêt des nouveaux réacteurs à neutrons rapides.
L’utilisation de neutrons rapides pour la fission nucléaire a, jusqu’à présent, été confrontée à deux obstacles importants. Surmonter ces obstacles implique des avancées technologiques considérables, mais relever un tel défi permettra à terme de profiter des nombreux avantages liés à l’utilisation de ces neutrons très énergétiques.
A. Les obstacles à l’utilisation de neutrons rapides
Les neutrons produits lors de la fission d’un atome sont des neutrons rapides. Ils se révèlent inutilisables, en l’état, dans les réacteurs actuels, principalement pour deux raisons :
Obstacle 1 : Ces neutrons sont tellement rapides qu’ils s’échappent immédiatement du réacteur, en ligne droite, et n’interagissent pas suffisamment avec la matière fissile pour permettre de maintenir une réaction en chaîne ;
Obstacle 2 : La probabilité d’obtenir, avec de neutrons rapides, une fission de l’uranium 235, matière fissile actuellement utilisée dans les centrales, est très faible :
Ces neutrons rapides doivent donc être ralentis par un modérateur (par exemple de l’eau, du graphite, ou de l’eau lourde) pour devenir des neutrons faiblement énergétiques, dits neutrons thermiques. Ces neutrons thermiques se propagent avec un mouvement aléatoire (mouvement brownien) et « à temps long », ce qui permet une réaction en chaîne efficace et donc un meilleur rendement du réacteur pour l’uranium 235 dont la probabilité de fission par neutrons thermiques est élevée.
Toutefois, l’évolution constante dans la maîtrise des environnements à forte densité de neutrons rapides, notamment par l’utilisation de refroidisseurs comme le sodium, permet à présent d’envisager l’utilisation de neutrons rapides comme un moyen efficace de collision. Ces progrès techniques offrent ainsi une solution au premier obstacle.
B. L’intérêt des neutrons rapides pour la question des réserves énergétiques
L’uranium naturel est composé à 99% d’uranium 238 et à 0,7% d’uranium 235. Or, c’est ce dernier isotope qui est actuellement utilisé dans les centrales.
En effet, comme on peut le voir sur le graphique suivant, la probabilité de fission de l’uranium 238 par neutrons thermiques est relativement faible ; cet isotope se révèle donc inutilisable dans les réacteurs actuels :
En revanche, la probabilité de fission de l’uranium 238 par des neutrons rapides est élevée. L’utilisation d’uranium 238 offre donc une solution au deuxième et dernier obstacle, et ouvre ainsi la voie à la construction de réacteurs à neutrons rapides.
Les neutrons rapides présentent un avantage considérable en termes de réserves énergétiques, puisqu’ils permettent l’utilisation de l’isotope de l’uranium le plus abondant.
C. La nouvelle génération de réacteurs à neutrons rapides : vers la valorisation des déchets nucléaires comme matière fissile.
La probabilité de fission des actinides mineurs, qui constituent une bonne part des déchets radioactifs à vie moyenne ou longue, est globalement similaire à celle de l’uranium 238. Ils pourront donc également être utilisés, dans les réacteurs à neutrons rapides, pour produire de l’énergie. La plupart des déchets actuels pourront ainsi être valorisés comme matière fissile.
D. Le forum international Génération IV
Le Forum International Génération IV (Generation IV International Forum) est destiné à instaurer une coopération internationale dans le cadre du développement des systèmes nucléaires de nouvelle génération.
Sur six projets de réacteurs retenus en 2006, trois d’entre eux utiliseront des neutrons rapides, et deux pourront potentiellement les utiliser.
Il nous semble donc pertinents d’inclure, dans le cadre de cette annexe à notre rapport sur la gestion des déchets radioactifs, une présentation succincte des projets de réacteurs de quatrième génération. En effet, la valorisation des déchets nucléaires comme matière fissile est une orientation pertinente, et complémentaire des projets actuels d’entreposage et de stockage.
Ces réacteurs de nouvelle génération, qui produiront eux-mêmes des déchets radioactifs, ne sont bien évidemment pas des réacteurs miracles qui résoudront tous les problèmes liés à la gestion des déchets nucléaires à vie moyenne et longue. Mais ils peuvent se révéler un outil utile pour réduire considérablement la quantité de déchets nucléaires à stocker, tout en les valorisant comme source d’énergie, ce qui se révèle être un atout majeur dans un contexte international de gestion des réserves fossiles et de limitation des émissions de CO2.
E. Les réacteurs sous-critiques
Le réacteur nucléaire sous-critique, et plus particulièrement le réacteur hybride piloté par accélérateur (ADS), n'a pas été retenu parmi les concepts du forum génération IV.
Néanmoins, la possibilité offerte de transmuter les déchets nucléaires (actinides mineurs, …) de manière contrôlée nous amène à penser qu’il est également utile de présenter cette technologie innovante dans la gestion des déchets nucléaires de moyenne et longue vie.
II - La nouvelle génération de réacteurs nucléaires
A. Réacteurs à neutrons rapides
- Le « réacteur rapide à caloporteur gaz » (gas-cooled fast reactor, GFR)
- Le « RNR à caloporteur sodium » (sodium-cooled fast reactor, SFR)
- Le « réacteur rapide à caloporteur plomb » (lead-cooled fast reactor, LFR)
B. Réacteurs potentiellement à neutrons rapides
- Le « réacteur à sels fondus » (molten salt reactor, MSR)
- Le « réacteur à eau supercritique » (supercritical-water-cooled reactor, SCWR)
C. Réacteur à neutrons thermiques
- Le « réacteur à très haute température » (very-high-temperature reactor, VHTR)
D. Réacteurs sous-critiques
- Réacteur piloté par un accélérateur (ADS)
Le « réacteur rapide à caloporteur gaz » - (gas-cooled fast reactor, GFR)
Le GFR est un réacteur à haute température (850°C) refroidi à l’hélium, qui a pour objectif une production efficace d’électricité, mais qui peut également être utilisé pour produire de l’hydrogène.
C’est un réacteur à neutrons rapides qui fonctionne en cycle fermé, permettant ainsi le recyclage des actinides. Ce mode de fonctionnement, et le projet de recycler le combustible sur le site même du réacteur, rendent le GFR très performant en termes d’utilisation des ressources naturelles et de minimisation des déchets à vie longue.
Le réacteur de référence, d’une puissance électrique de 1200 MWe, et une température de l’hélium en sortie du coeur de 850°C. Son fonctionnement à haute température optimise son efficacité, et lui confère un rendement de conversion d’énergie de près de 50%.
La recherche s’oriente aujourd’hui vers de nouveaux combustibles constitués de matériaux réfractaires pouvant opérer à très haute température, tout en assurant le bon confinement des produits de fission, même en situation accidentelle (la puissance volumique dans le coeur est déterminée de façon à limiter la température du combustible à 1600 °C en période transitoire): céramiques composites, céramiques-métal, ou combustible à base de particules capables de piéger les produits de fission.
CEA
Le « RNR à caloporteur sodium » - (sodium-cooled fast reactor, SFR)
Le RNR à caloporteur sodium, réacteur à neutrons rapides et à cycle fermé, qui utilise du sodium comme caloporteur, est conçu pour la génération d’électricité à partir des déchets radioactifs de haute activité tels que le plutonium et les actinides.
Le cycle du combustible peut suivre trois voies différentes. La première, pour des réacteurs de grande puissance (600 à 1 500 MWe), est d’utiliser comme combustible un mélange d’oxyde d’uranium et de plutonium (le MOX). La deuxième option, pour des générateurs de taille intermédiaire (300 à 600 MWe) de type “piscine”, et la troisième pour des générateurs de petite taille (50 à 150MWe) serait modulaire à base d’un alliage d’uranium-plutonium-actinide-zirconium. La température de sortie du coeur est de 550°C pour les trois concepts.
Les outils de sécurité du dispositif incluent notamment une réponse thermique longue, une température d’ébullition élevée (utile pour la production d’hydrogène et l’efficacité thermique), et un fonctionnement à pression atmosphérique (contrairement à l’eau). Les principaux axes de recherche concernent l’inspection du sodium en cours de fonctionnement (celui-ci n’étant pas transparent), et les systèmes de sûreté passive. L’utilisation du sodium pose également un certain nombre de problèmes sur le plan de la sécurité, puisqu’il s’enflamme au contact de l’air et explose au contact de l’eau. De plus, une petite partie du sodium peut transmuter en sodium-24, lui-même radioactif.
Tous les réacteurs à neutrons rapides en fonctionnement actuellement sont conçus avec un circuit de refroidissement par du sodium liquide. La France n'a désormais plus de réacteur à neutrons rapides : le prototype industriel Superphénix a été arrêté en 1998, tandis que son prédécesseur le réacteur expérimental Phénix a été arrêté le 12 septembre 2009, pour un démantèlement prévu pour 2012. En Russie, le réacteur de 600 MWe BN-600 fonctionne depuis 1980 à la centrale nucléaire de Beloïarsk (Russie). Le réacteur BN-800 reprenant la même technologie, mais de puissance supérieure, est en construction sur le même site. Il existe également des projets en Inde et en Chine. Le réacteur de Monju au Japon a redémarré en 2010, après avoir subi une fuite significative de sodium en 1995 et exigé de lourds travaux de remise en état de fonctionnement.
CEA
Le « réacteur rapide à caloporteur plomb » - (lead-cooled fast reactor, LFR)
Le GFR est un réacteur refroidi au plomb (ou au plomb-bismuth), qui peut produire de l’électricité à des températures de fonctionnement relativement faibles (de l’ordre de 400 à 500°C), et éventuellement de l’hydrogène dans le cas de températures plus élevées. C’est un réacteur à neutrons rapides qui fonctionne en cycle fermé, permettant donc une utilisation optimale des ressources naturelles et une minimisation des déchets à vie longue. Les combustibles peuvent être soit métalliques, soit de type nitrure.
L’usage du plomb, élément abondant sur Terre, en qualité de refroidisseur inerte, accroît la sécurité du réacteur. De plus, le plomb bloque naturellement les rayons gammas tout en laissant librement passer les neutrons rapides. L’intérêt d’un alliage plomb-bismuth réside dans son point d’ébullition élevé (1600°C) qui permet une bonne efficacité et la possible production d’hydrogène sans pression élevée, contrairement à l’eau. Son point de fusion est plus faible que celui du plomb seul (<200°C pour l’alliage contre 325°C pour le plomb seul), ce qui permet d’éviter tout risque de solidification du refroidisseur à basse température. De plus, l’effet encore mal maîtrisé de la corrosion du plomb (pour des températures de sortie du cœur supérieures à 480°C) pose un sérieux défi et empêche pour l’instant tout projet de réacteur à forte puissance. Les puissances unitaires actuellement considérées sont de l’ordre de 50-100 MWe, ainsi que certains concepts modulaires de 300-600 MWe.
Néanmoins, la possible transmutation du bismuth en polonuium radioactif (qui est un émetteur alpha) pourrait également poser problème.
Il existe actuellement deux prototypes différents :
Le “Small Secure Transportable Autonomous Reactor” (SSTAR), développé aux Etats-Unis, d’une puissance de 20MWe à une température de sortie du coeur de 567°C.
Le “European Lead-cooled System” (ELSY), développé en Europe, d’une puissance de 600MWe et qui fonctionne à une température de sortie du cœur de 480°C.
De petits réacteurs plomb-bismuth de 150MWt (OK-550 ou BM-40A) sont également utilisés pour la propulsion des sous-marins nucléaires russes de classe Alfa depuis les années 1970.
SSTAR - 20 MWe (45 MWt) |
ELSY–600MWe |
Le « réacteur à sels fondus » - (molten salt reactor, MSR)
Le MSR est un réacteur qui utilise comme refroidisseur et comme caloporteur des sels fondus de fluorure, pour lequel il était initialement envisagé d’utiliser des neutrons thermiques (avec du graphite comme modérateur) pour la production d’électricité.
Néanmoins, depuis 2005, de nouveaux développements permettent d’envisager de combiner les avantages des neutrons rapides (utilisation optimale des ressources et minimisation des déchets) avec ceux des sels fondus (caractéristiques thermiques et hydrauliques avantageuses, température d’ébullition élevée, transparence optique), et un fonctionnement à cycle fermé par pyrochimie.
Les sels fondus ont, en effet, la caractéristique de posséder un coefficient négatif de réaction à une augmentation de chaleur, et agit donc comme une rétroaction négative en cas d’emballement du cœur (tel un stabilisateur, ils agissent comme un système de sécurité passif, intrinsèque, et non soumis à une éventuelle erreur humaine). Cette propriété est une sécurité unique, qui n’existe pas dans les projets à combustibles solides.
Le transport de chaleur des sels fondus de fluorure, bien meilleur que celui de l’hélium, permettra de développer des réacteurs d’une puissance supérieure à 4000 MWt et dotées d’un système passif de sécurité.
Le type de sel retenu pour le concept de référence (puissance unitaire de 1000 MWe) est à base fluorure de sodium, de zirconium et d’actinides.
CEA
Le « réacteur à eau supercritique » - (supercritical-water-cooled reactor, SCWR)
Le réacteur à eau supercritique est un réacteur refroidi à l’eau supercritique. Il a la caractéristique d’être à neutrons thermiques dans une première étape (cycle du combustible ouvert) et à neutrons rapides dans sa configuration aboutie (cycle fermé et recyclage de l’ensemble des actinides).
Le prototype de référence vise une puissance électrique de 1,700 MWe, une pression de 25 MPa, et une température de sortie du coeur allant de 510°C Celsius à 550°C (c'est-à-dire au dessus du point critique de l’eau, qui se trouve à 374°C et 22.1 MPa). Le combustible est de l’oxyde d’uranium. Des systèmes de sécurité passive y sont inclus tels que ceux conçus dans les réacteurs à eau pressurisée plus simples. Néanmoins, la nécessité de travailler à pression élevée pour rester au dessus du point critique de l’eau pose un certain nombre de problèmes pour une sécurité passive vraiment efficace.
Le système utilisant de la technologie déjà expérimentée dans les réacteurs actuels, ce design constitue un pallier relativement facile à franchir. L’option d’une deuxième étape, permettant une gestion optimale des actinides et un cycle fermé, se révèle donc être une orientation privilégiée.
CEA
Le « réacteur à très haute température » - (very-high-temperature reactor, VHTR)
Le VHTR est un réacteur à très haute température (1000 °C et plus), à neutrons thermiques, refroidi par de l’hélium gazeux. Il est conçu pour fonctionner en cycle de combustible ouvert, ce qui le rend donc très similaire à un réacteur de troisième génération sur le plan de la gestion des déchets.
Son coût économique et sa sûreté en font un projet remarquable notamment pour la production d’hydrogène et pour des procédés importants pour l’industrie pétrochimique, même s’il doit aussi permettre la production d’électricité (seule ou en cogénération).
Son fonctionnement à très haute température permet de fournir la chaleur nécessaire pour scinder les molécules d’eau par thermochimique ou électrolyse à haute température. Le système de référence a une puissance unitaire de 600 MWt, une température de sortie du cœur de 1 000°C, et utilise l’hélium comme caloporteur.
Le VHTR offre donc notamment la possibilité de cogénération électricité/hydrogène. La technologie de base nécessaire est déjà bien connue et ce réacteur est plus une évolution qu’un saut technologique. Néanmoins, les températures supérieures à 1000°C constituent de réels défis technologiques sur le plan du combustible, des matériaux, ou de la sécurité.
CEA
Le réacteur sous-critique
Le réacteur nucléaire sous-critique, et plus particulièrement le réacteur hybride piloté par accélérateur (ADS), n'a pas été retenu parmi les concepts du forum génération IV.
Les types de réactions nucléaires peuvent être classées selon 3 régimes15 différents :
En régime surcritique, avec k>1. Ce régime implique qu’une réaction de fission primaire induit plus d’une réaction de fission secondaire. La réaction est alors divergente, non contrôlée ; c’est le cas typique d’une bombe nucléaire.
En régime critique, avec k=1. Ce régime implique qu’une réaction de fission primaire induit une réaction de fission secondaire. C’est typiquement le genre de réaction obtenue dans un réacteur nucléaire, ou l’on maintient k près de 1, en faisant monter ou descendre des barres de contrôle. La réaction est alors auto-entretenue, sans pour autant diverger.
En régime sous-critique, avec k<1. Ce régime ne permet pas de maintenir une réaction nucléaire stable. En effet, une réaction primaire entraînera, en moyenne, moins d’une réaction secondaire. La réaction s’atténue donc au cours du temps, puis s’arrête.
L’idée d’un réacteur sous-critique consiste à transmuter les déchets nucléaires (actinides, …) de manière contrôlée, par l’utilisation d’un accélérateur de particule comme régulateur de la réaction (réacteur dit « hybride » qui fonctionne par spallation : le choc d'un proton à très haute énergie sur un noyau cible émet des neutrons utilisés pour initier la réaction).
Le réacteur piloté par un accélérateur (ADS)
Dans un réacteur de type ADS, on renonce donc à l'auto entretien de la réaction en chaîne ; le nombre de réactions induites par une réaction primaire dépend de l'écart avec k=1 : par exemple pour k=0.98, chaque fission initiale engendrera au total 50 fissions. Cette marge de 2% offre une sécurité intrinsèque considérable, qui n'existe pas dans les réacteurs classiques : c'est l'intensité du faisceau de protons qui détermine la puissance produite, l'arrêt du faisceau entraîne l'arrêt du système au bout d’un temps moyen de 50 fissions.
1 Cf. le rapport Miquel - Poignant de 1999 sur le recyclage des déchets ménagers (méthanisation), le rapport Galley - Gatignol de 2001 sur la pile à combustible, le rapport Birraux - Le Déaut de 2001 sur les énergies renouvelables.
2 Les aides directes ne suffisent pas, comme l’actualité de la fin de l’année 2010 l’a illustré dans le cas de l’énergie solaire : un soutien public annuel de plusieurs milliards d’euros a favorisé l’installation quasi-spéculative de panneaux photovoltaïques produits à l’étranger, tandis que le budget annuel pour la recherche de solutions innovantes porteuses d’une percée industrielle française (couches minces, films organiques) ne dépasse pas quelques millions d’euros.
3 L’article 14 de loi du 28 juin 2006 autorisant l’Andra à “diffuser à l’étranger son savoir faire”, il serait tout à fait envisageable que celle-ci puisse être associée à une offre industrielle à destination d’un pays étranger soucieux de mettre en place des solutions pour la gestion de ses matières et déchets radioactifs. Les industriels russes ont bien compris l’importance de cette question à l’export, en proposant une offre intégrant la reprise des combustibles usés, solution évidemment exclue en France, la loi interdisant l’importation de déchets radioactifs.
4 Pour illustrer l’intérêt d’une telle mise en perspective, on se reportera à l’ouvrage “Le Chemin Parcouru”, publié par l’Andra, relatif aux vingt-cinq ans du Centre de stockage de la Manche (octobre 1996).
5 Le plan espagnol de gestion des déchets radioactifs, publié en 2006, constitue, malgré les dissimilitudes avec la France dans le mode de financement, un exemple intéressant de présentation des enjeux financiers de la gestion des déchets.
6 Proposal for a council directive on the management of spent fuel and radioactive waste, Article 14: “National programmes shall include... (7) assessment of programme costs and the underlying basis and hypotheses for this assessment, which must include a profile over time; (8) description of the financing scheme(s) in force to ensure all programme costs can be met according to the foreseen schedule.”
7 La traduction en anglais du plan espagnol de gestion des déchets radioactifs, publié en 2006, est ainsi consultable à l’adresse: http://www.enresa.es/files/multimedios/ing_6pgrr_indexed.pdf
8 Pour une analyse détaillée de ces inepties, voir notre rapport de décembre 2009 sur la performance énergétique des bâtiments.
9 Certains auteurs évoquent la possibilité d’une diminution par cent, en masse, des actinides, et un gain du même ordre de grandeur, après quelques centaines d’année, sur la radiotoxicité des déchets résiduels de haute activité. Cf « Impact of Partitionning and Transmutation on the High Level Waste Management », EM Gonzalez-Romero, in FISA 2009, Seventh, European Commission Conference on Euratom Research and Training in Reactor Rystems, Conference Proceedings, European Commission, 2010.
10 L’article 3 de la loi du 28 juin 2006 prévoit “une évaluation des perspectives industrielles” des nouvelles générations de réacteurs nucléaires en 2012, et la mise en exploitation d’un prototype avant fin 2020.
11 Les préparatifs du débat public font apparaître le besoin de définir par avance quelques principes relatifs aux éléments de fiscalité locale qui s’appliqueront aux futures installations. Il appartiendra au seul législateur de les fixer, s’agissant d’un ensemble d’ouvrages sui generis avec une importante emprise souterraine, tout à fait inédite. Notre souci, à cet égard, consiste à préserver l’incitation à mener l’opération jusqu’à son terme : le prélèvement devrait être dégressif, pour chaque producteur, en fonction des quantités de déchets qu’il aurait déjà stockées ; l’allocation du produit aux collectivités locales devrait inversement progresser en fonction de l’avancée du stockage. Enfin, il est essentiel que le bassin des collectivités bénéficiaires couvre assez largement la zone concernée par les travaux, puis les transports.
12 “ The Cambridge History of Poland (1697-1935)”, Cambridge, 1941, p. 56
13 Règlement (CE) n°1367/2006 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006 concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement.
14 1PBq = un million de milliards de désintégrations par secondes.
15 Le paramètre k indique le nombre de fissions induites par une première fission.
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