N° 258
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2012
AVIS
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2013 (n° 235),
TOME VI
JUSTICE
ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE
PAR M. Sébastien HUYGHE,
Député.
Voir le numéro : 251 (annexe 32).
En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2012, pour le présent projet de loi de finances.
À cette date, l’intégralité des réponses était parvenue à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de la Justice de leur collaboration.
INTRODUCTION 5
PREMIÈRE PARTIE : LES CRÉDITS DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE POUR 2013 7
I. UN BUDGET MARQUÉ PAR UN EFFONDREMENT DES AUTORISATIONS D’ENGAGEMENT 7
II. UN BUDGET PRÉVOYANT UNE LÉGÈRE AUGMENTATION DES EFFECTIFS DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE 9
DEUXIÈME PARTIE : APRÈS 2012, QUELLE POLITIQUE IMMOBILIÈRE POUR L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ? 11
I. DE 2002 À 2012, UNE POLITIQUE IMMOBILIÈRE AMBITIEUSE A PERMIS D’AMORCER UNE AMÉLIORATION SIGNIFICATIVE DES CONDITIONS DE DÉTENTION ET DE L’EXÉCUTION DES PEINES 11
II. LES CHOIX BUDGÉTAIRES DU GOUVERNEMENT TRADUISENT UN RENONCEMENT À DOTER LA FRANCE D’UN PARC PÉNITENTIAIRE RÉNOVÉ CORRESPONDANT À SES BESOINS RÉELS 14
A. L’abandon de l’ambition d’adapter le parc pénitentiaire aux besoins réels en matière d’exécution des peines 15
1. L’objectif de 63 500 places fixé par le Gouvernement n’est pas conforme aux besoins réels en matière d’exécution des peines. 15
2. Une critique des modes de financement recourant au secteur privé qui ne justifie pas l’abandon de toute ambition immobilière 17
B. Une absence d’ambition aux conséquences lourdes 19
1. Des choix budgétaires contraires à plusieurs dispositions législatives en vigueur 19
2. Faire survivre la France pénitentiaire du XIXe siècle peut-il être une ambition ? 23
a) Est-il raisonnable de maintenir en service des établissements âgés en moyenne de 146 ans ? 23
b) Quel avenir pour la maison centrale de Poissy ? 25
3. Des choix budgétaires opérés au détriment du milieu fermé sans aucun moyen nouveau pour le milieu ouvert 28
EXAMEN EN COMMISSION 31
PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 59
DÉPLACEMENT EFFECTUÉ PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 61
La présentation du premier budget d’une législature est un moment fort de la démocratie, qui permet au Gouvernement d’exprimer clairement ses priorités d’action.
Dans l’exposé des motifs de son projet de loi de finances pour 2013, le Gouvernement indique que la justice et la sécurité constituent un « axe prioritaire du Gouvernement », 1 000 emplois étant créés sur ces deux missions (520 pour la justice et 480 pour la sécurité). Il précise que « s’agissant de la justice, les moyens supplémentaires permettront la mise en œuvre d’une politique publique de la justice rénovée, renforçant la justice civile, réaffirmant la spécificité de la justice des mineurs, développant les aménagements de peine et l’insertion pour prévenir la récidive, développant l’aide aux victimes et l’accès au droit et modernisant les services au bénéfice de ses acteurs et bénéficiaires » (1).
Pourtant, malgré ces créations d’emplois et des crédits de paiement en hausse de 4,3 % pour l’ensemble de la mission « Justice », les autorisations d’engagement sont, quant à elles, en forte baisse pour la majorité des programmes de la mission (- 16,2 % pour la justice judiciaire, - 38,5 % pour l’administration pénitentiaire, - 15,5 % pour l’accès au droit et à la justice) et pour l’ensemble de la mission (- 24,8 %). C’est que, au-delà de l’affichage du caractère prétendument prioritaire de la mission « Justice », le Gouvernement abandonne en réalité l’essentiel des grands chantiers de modernisation de la justice qui avaient été ouverts sous la précédente législature, et en particulier celui de la modernisation et de l’extension du parc pénitentiaire français.
En effet, l’exposé des motifs du projet de loi de finances pour 2013 indique que « pour assurer la stabilisation en valeur des dépenses hors charges de la dette et de pensions, il est indispensable de dégager des économies importantes » et que « pour en assurer la soutenabilité », l’effort portera notamment sur les investissements à hauteur de 1,2 milliard d’euros par l’interruption ou le décalage de « projets non prioritaires ou dont le financement n’a jamais été établi ». Parmi ces projets considérés comme non prioritaires, est citée « la programmation de la construction de prisons, notamment le recours massif aux partenariats publics-privés dans ce secteur, [qui] est ainsi remise en cause, en cohérence avec un changement de cap de la politique pénale, consistant à réduire le nombre d’incarcérations en privilégiant les peines alternatives à l’incarcération » (2).
Ce changement radical de paradigme s’agissant de l’avenir de la politique immobilière de l’administration pénitentiaire aura des conséquences particulièrement lourdes pour la politique d’exécution des peines et la sécurité de nos concitoyens. Pour cette raison, il est apparu nécessaire à votre rapporteur pour avis de s’intéresser, après une présentation générale des crédits ouverts pour le programme « Administration pénitentiaire » pour 2013 (première partie), à l’avenir de la politique immobilière de l’administration pénitentiaire après 2012 (deuxième partie).
PREMIÈRE PARTIE :
LES CRÉDITS DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE POUR 2013
Le budget du programme « Administration pénitentiaire » pour 2013 présente deux caractéristiques saillantes : un effondrement des autorisations d’engagement ouvertes (I) et une légère augmentation des plafonds d’autorisation d’emplois (II).
Les crédits ouverts pour 2013 pour le programme « Administration pénitentiaire » s’élèvent à 2,9 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 3,2 milliards d’euros en crédits de paiement (CP). Si les CP sont en hausse de 6 % par rapport aux crédits votés dans la loi de finances de 2012, les AE sont en baisse de 38,5 %.
Les tableaux suivants présentent la ventilation des crédits par action ainsi que leur évolution sur une année.
En autorisations d’engagement
Crédits votés en LFI pour 2011 |
Crédits consommés en 2011 |
Crédits votés en LFI pour 2012 |
Crédits demandés pour 2013 |
Évolution 2012-2013 | |
Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice |
2 251 |
1 850 |
3 695 |
1 880 |
- 49,13 % |
Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02) |
653 |
824 |
735 |
752 |
+ 2,38 % |
Soutien et formation (Action 04) |
376 |
293 |
261 |
255 |
- 2,27 % |
Total |
3 280 |
2 967 |
4 691 |
2 887 |
- 38,45 % |
En millions d’euros
En crédits de paiement
Crédits votés en LFI pour 2011 |
Crédits consommés en 2011 |
Crédits votés en LFI pour 2012 |
Crédits demandés pour 2013 |
Évolution 2012-2013 | |
Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice |
1 646 |
1 635 |
1 829 |
1 948 |
+ 6,51 % |
Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02) |
820 |
875 |
924 |
994 |
+ 7,61 % |
Soutien et formation (Action 04) |
356 |
303 |
261 |
253 |
- 3,05 % |
Total |
2 822 |
2 814 |
3 014 |
3 195 |
+ 6,02 % |
En millions d’euros
Les actions composant le programme « Administration pénitentiaire » sont au nombre de trois.
• L’action n° 01 « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice », qui regroupe les fonctions relevant de la garde des personnes détenues et du contrôle des personnes placées sous main de justice, représentera en 2013 65,1 % des AE du programme avec un montant de 1,8 milliard d’euros, contre 78,8 % du programme en 2012 avec un montant de 3,7 milliards d’euros. La baisse des AE pour cette action, qui comprend le financement des programmes immobiliers, est particulièrement importante (- 49,1 %).
• L’action n° 02, intitulée « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice », qui regroupe les moyens nécessaires à l’accueil et à l’accompagnement des personnes détenues dans des conditions dignes et satisfaisantes (maintenance et entretien des établissements, réinsertion). En 2013, cette action représentera 26 % des autorisations d’engagement du programme, soit 752 millions d’euros.
• L’action n° 04 « Soutien et formation » s’articule autour de trois axes prioritaires : la fourniture de moyens pour l’administration générale, le développement du réseau informatique et la formation du personnel. En 2013, cette action représentera 8,8 % des AE du programme, soit 255 millions d’euros. En 2013, les crédits ouverts pour cette action sont en baisse de 2,27 % en AE et 3,05 % en CP.
L’évolution positive des CP traduit la poursuite de la mise en œuvre de certains des programmes immobiliers engagés au cours des dix années écoulées pour étendre et moderniser le parc pénitentiaire français. En revanche, l’effondrement des AE traduit, quant à lui, l’abandon par le Gouvernement de tout nouvel effort en faveur de l’immobilier pénitentiaire (3).
La baisse de l’action n° 04 « Soutien et formation » apparaît également préoccupante à votre rapporteur pour avis, dans une période où doivent encore être assurées la formation initiale de nombreux agents recrutés pour permettre l’ouverture des derniers établissements du plan « 13 200 », ainsi que la formation continue des agents chargés de missions nouvelles pour l’administration pénitentiaire, telles que les extractions judiciaires et la surveillance des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI). Les représentants des organisations syndicales entendus par votre rapporteur pour avis ont tous fait part de leur inquiétude vis-à-vis de cette diminution des crédits consacrés à la formation.
Plutôt que de diminuer le montant de la subvention à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), d’autres économies plus pertinentes pourraient être recherchées. En particulier, votre rapporteur pour avis estime que des solutions devraient être recherchées pour faire face au gaspillage des denrées alimentaires dans les établissements pénitentiaires. En effet, dans la majorité des établissements pénitentiaires, une part importante des détenus ne consomme pas les repas qui leur sont fournis, préférant préparer eux-mêmes leurs repas avec les produits achetés en « cantine » (4). Dans le meilleur des cas, les repas distribués sont seulement perdus, mais nombre de détenus ont malheureusement la déplorable habitude de lancer ces repas par les fenêtres. Des restes alimentaires jonchent alors le sol au pied des bâtiments, attirant chats, rats ou pigeons et créant dans certains cas de réelles difficultés sanitaires.
Pour remédier à ce gaspillage, il pourrait être envisagé de limiter la distribution des repas aux seules personnes qui en feraient la demande, l’administration pénitentiaire étant naturellement tenue de satisfaire aux besoins de toutes les personnes confiées à sa garde qui ne peuvent ou ne veulent pas acheter leurs repas en « cantine ». Les repas non livrés aux personnes détenues préférant préparer elles-mêmes leurs repas permettraient de générer une économie non négligeable et de mettre fin à ce regrettable phénomène de gaspillage.
S’agissant du plafond d’autorisation d’emplois de l’administration pénitentiaire prévu par le projet de loi de finances pour 2013, il s’élève à 35 700 ETPT, contre 35 511 en 2011, soit 189 ETPT supplémentaires.
Les deux tableaux suivants détaillent la répartition de ces plafonds d’autorisation d’emplois, le premier par action, le second par catégorie d’emplois.
Par action | ||||
|
Plafond autorisé pour 2012 |
Plafond demandé pour 2013 |
Variation 2012/2013 en nombre d'ETPT |
Variation 2012/2013 en pourcentage |
Action 01 : garde et contrôle des personnes placées sous main de justice |
25 627 |
25 836 |
+ 209 |
+ 0,8 % |
Action 02 : accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice |
6 636 |
6 663 |
+ 27 |
+ 0,4 % |
Action 03 : Soutien et formation |
3 248 |
3 201 |
- 47 |
- 1,4 % |
Total du programme |
35 511 |
35 700 |
+ 189 |
+ 0,5 % |
Par catégorie d’emploi | ||||
Plafond autorisé pour 2012 |
Plafond demandé pour 2013 |
Variation 2012/2013 en nombre d'ETPT |
Variation 2012/2013 en pourcentage | |
Magistrats |
17 |
17 |
0 |
0 % |
Personnel d’encadrement |
1 391 |
1 386 |
- 5 |
- 0,4 % |
B métiers du greffe, de l’insertion et de l’éducatif |
4 131 |
4 156 |
+ 25 |
+ 0,6 % |
B administratifs et techniques |
1 019 |
1 013 |
- 6 |
- 0,6 % |
C Personnels de surveillance |
26 033 |
26 247 |
+ 214 |
+ 0,8 % |
C administratifs et techniques |
2 920 |
2 881 |
- 39 |
- 1,3 % |
Total |
35 511 |
35 700 |
189 |
+ 0,5 % |
Cette hausse des moyens humains de l’administration pénitentiaire apparaît particulièrement modeste pour un programme important au sein d’une mission que le Gouvernement qualifie pourtant de prioritaire. Par comparaison, il peut être utile de rappeler ici que la précédente majorité avait, pendant dix ans, augmenté le plafond d’autorisation d’emplois de l’administration pénitentiaire en moyenne de 2,7 % par an (5).
Il pourrait être objecté à votre rapporteur pour avis que cette augmentation du plafond d’autorisations d’emploi plus modeste s’explique par le choix du Gouvernement d’interrompre les programmes de construction immobilière initiés sous la précédente majorité afin de « développer les aménagements de peine et l’insertion pour prévenir la récidive », comme l’affirme l’exposé des motifs du projet de loi de finances pour 2013 (6). Pourtant, dans le projet annuel de performances de la mission « Justice » pour 2013, le Gouvernement indique que seulement 43 ETPT seront consacrés au renforcement des missions d’insertion et 20 ETPT à la lutte contre la récidive, l’essentiel de l’augmentation du plafond d’autorisation d’emplois étant destiné à l’armement des nouveaux établissements pénitentiaires dans le cadre de l’achèvement du programme immobilier « 13 200 ».
Dans ces conditions, affirmer que le développement des aménagements de peine et l’insertion des personnes détenues constituent une priorité du Gouvernement, alors que ne leur seront consacrés en 2013 que 63 nouveaux ETPT, apparaît pour le moins excessif.
DEUXIÈME PARTIE : APRÈS 2012, QUELLE POLITIQUE IMMOBILIÈRE
POUR L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ?
De 2002 à 2012, une politique immobilière ambitieuse portée par un effort budgétaire conséquent et durable a permis d’amorcer une amélioration significative des conditions de détention et de l’exécution des peines (I). À l’opposé de cette ambition, les choix budgétaires opérés par le Gouvernement traduisent un renoncement à doter la France d’un parc pénitentiaire rénové correspondant à ses besoins réels (II).
I. DE 2002 À 2012, UNE POLITIQUE IMMOBILIÈRE AMBITIEUSE A PERMIS D’AMORCER UNE AMÉLIORATION SIGNIFICATIVE DES CONDITIONS DE DÉTENTION ET DE L’EXÉCUTION DES PEINES
En 2000, deux commissions d’enquête parlementaires chargées d’évaluer les conditions de détention s’accordaient pour critiquer très fermement le caractère indigne des conditions de détention en France, tant en raison de la vétusté du parc pénitentiaire alors en service que de la surpopulation affectant les maisons d’arrêt (7). Le délabrement de notre parc carcéral était alors si grave que le Sénat avait fort justement qualifié la situation de nos prisons d’« humiliation pour la République » (8).
En sus du caractère indigne des conditions de détention dans nombre de ses établissements pénitentiaires, notre pays a également été pendant longtemps confronté à d’importantes carences dans l’exécution des peines. Comme l’avaient relevé nos collègues Jean-Luc Warsmann en 2003 et Étienne Blanc en 2007 (9), l’exécution des peines – notamment d’emprisonnement, mais pas uniquement – était alors caractérisée par un taux d’inexécution si élevé et des délais de mise à exécution si longs que la mission d'information sur l’exécution des décisions de justice pénale créée par la commission des Lois de l’Assemblée nationale sous la précédente législature avait estimé que cette situation avait « décrédibilis[é] durablement l’action de la justice » (10).
Malgré le constat sévère dressé en 2000 par les commissions d’enquête parlementaires sur les prisons et ces lourdes carences dans l’exécution des peines, ce n’est qu’à partir de 2002 que les gouvernements qui dirigèrent notre pays firent de l’amélioration des conditions de détention et de l’exécution des peines une priorité, au travers d’un ambitieux programme de réhabilitation et d’extension du parc pénitentiaire.
C’est tout d’abord la loi n° 2002-1138 d’orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) du 9 septembre 2002 qui lança un programme immobilier d’envergure, appelé « Programme 13 200 ». Rappelons que ce programme, porté par M. Dominique Perben alors garde des Sceaux, prenait la suite de deux autres programmes initiés par les ministres de la Justice Albin Chalandon en 1986 et Pierre Méhaignerie en 1995. Le programme « 13 200 » devait conduire, par la création de 13 200 places nouvelles et la fermeture de 2 485 places, à l’ouverture de 10 800 nouvelles places de prison. Désormais en cours d’achèvement, ce programme s’est accompagné d’un important mouvement de rénovation des établissements pénitentiaires déjà existants. Dans ce cadre, des établissements comme Fleury-Mérogis, Les Baumettes ou La Santé, ont fait, font ou feront prochainement l’objet d’importants travaux de rénovation. Comme votre rapporteur le soulignait dans son avis sur les crédits de l’administration pénitentiaire pour 2012, ce programme « aura ainsi permis le renouvellement de la moitié du parc carcéral en vingt-cinq ans, ce qui aura largement contribué à améliorer les conditions de détention des personnes détenues » (11).
C’est ensuite le lancement, à partir de 2010, d’un « nouveau programme immobilier » (NPI) qui confirma le caractère prioritaire de l’amélioration des conditions de détention et de l’exécution des peines pour le Gouvernement et la majorité d’alors, conformément aux engagements publics pris par M. le président de la République, Nicolas Sarkozy, devant le Parlement réuni en Congrès en juin 2009 puis mis en œuvre par Mme Michèle Alliot-Marie, alors garde des Sceaux. Le programme « NPI » prévoyait la construction de 25 nouveaux établissements, dont 2 en outre-mer, ainsi que deux réhabilitations (maison d’arrêt de Paris-La Santé et centre pénitentiaire de Nouméa) et une extension (centre pénitentiaire de Ducos). Parallèlement à la livraison de ces structures, la fermeture de 36 sites était programmée. Étaient ainsi créées 7 400 places nettes supplémentaires (12).
C’est enfin la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines qui a fixé un objectif de 80 000 places d’incarcération disponibles en 2017, afin de tenir compte de l’évolution prévisible de la population carcérale et d’améliorer les délais de mise à exécution des peines d’emprisonnement sans sursis et insusceptibles de faire l’objet d’un aménagement (13). Pour atteindre cet objectif, le rapport annexé à cette loi prévoyait en premier lieu, d’une part, une adaptation des programmes dits « 13 200 » et « NPI » afin d’augmenter la capacité d’accueil des établissements prévus dans le cadre de ces programmes, sans toutefois dépasser une capacité de 850 places par établissement, et, d’autre part, l’ajout de cinq nouvelles constructions (quatre nouveaux centres de semi-liberté et un établissement supplémentaire de 220 places en Guyane) (14). En second lieu, le rapport annexé à la loi du 27 mars 2012 prévoyait le lancement d’un nouveau programme dédié à la construction de structures réservées aux courtes peines. Destinés à accueillir des condamnés à de courtes peines ne présentant pas la même dangerosité que les personnes condamnées à des peines plus longues, ces établissements devaient bénéficier d’une sécurité allégée. Comme l’avait souligné le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, ces établissements, « moins oppressants pour les détenus, (…) limiteront l’effet désocialisant de l’incarcération et assureront, à ce titre, une réinsertion et une préparation à la sortie mieux adaptées au profil de ces détenus » (15).
Au terme de l’exécution de ces trois programmes, en 2017, notre pays aurait été doté de 80 000 places d’incarcération, suivant la programmation définie dans le tableau suivant.
NOMBRE DE PLACES DANS LE PARC PÉNITENTIAIRE PRÉVUES ENTRE 2011 ET 2017 PAR LA LOI DU 27 MARS 2012 DE PROGRAMMATION RELATIVE À L'EXÉCUTION DES PEINES
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
Total 2011-2017 | |
Nombre de places brutes ouvertes au titre des programmes « 13 200 » et « NPI » |
1 790 |
1 896 |
1 014 |
802 |
968 |
1 454 |
981 |
8 905 |
Nombre de places brutes ouvertes au titre de la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines |
0 |
0 |
60 |
1 024 |
5 523 |
9 679 |
8 111 |
24 397 |
Total des places brutes ouvertes |
1 790 |
1 896 |
1 074 |
1 826 |
6 491 |
11 133 |
9 092 |
33 302 |
Nombre de places fermées |
- 807 |
- 982 |
- 438 |
- 272 |
- 2 149 |
- 3 383 |
- 2 601 |
- 10 632 |
Total des places nettes ouvertes |
983 |
914 |
636 |
1 554 |
4 342 |
7 750 |
6 491 |
22 670 |
Nombre de places disponibles |
58 366 |
59 280 |
59 916 |
61 470 |
65 812 |
73 562 |
80 053 |
Source : rapport (n° 4112, XIIIe législature) de M. Jean-Paul Garraud sur le projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines
Sur le plan budgétaire, ces différents programmes ont pu être menés à bien ou initiés grâce à un effort constant de la précédente majorité. Cet effort s’est traduit chaque année, entre 2005 et 2011 (16), par une augmentation significative des crédits de paiement consommés au titre du programme « Administration pénitentiaire », les crédits votés pour 2012 étant également en augmentation par rapport à ceux consommés en 2011. En 2013, les crédits de paiement augmentent à nouveau de 6 %, mais uniquement pour permettre l’achèvement de la mise en œuvre du programme immobilier « 13 200 » engagé depuis 2002.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE PAIEMENT CONSOMMÉS, VOTÉS OU PRÉVUS
POUR LE PROGRAMME « ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE » ENTRE 2005 ET 2013
… consommés en |
… votés en |
… prévus en | ||||||||
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 | ||
Montant des crédits de paiement… |
1 555 |
2 108 |
2 208 |
2 369 |
2 502 |
2 711 |
2 814 |
3 014 |
3 195 | |
Évolution annuelle |
- |
+ 35,6 % |
+ 4,7 % |
+ 7,3 % |
+5,6 % |
+8,3 % |
+3,8 % |
+ 7,1 % |
+ 6,0 % |
Montants en millions d'euros
À la suite du changement de majorité intervenu cette année, votre rapporteur pour avis a estimé nécessaire de s’intéresser à l’avenir de la politique immobilière pénitentiaire, afin de mesurer l’ambition de la nouvelle majorité en la matière.
II. LES CHOIX BUDGÉTAIRES DU GOUVERNEMENT TRADUISENT UN RENONCEMENT À DOTER LA FRANCE D’UN PARC PÉNITENTIAIRE RÉNOVÉ CORRESPONDANT À SES BESOINS RÉELS
Tant le projet de loi de programmation pour les finances publiques pour les années 2012 à 2017 que le projet de budget de l’administration pénitentiaire pour 2013 traduisent sans aucune ambiguïté possible que toute ambition d’adaptation du parc pénitentiaire aux besoins réels en matière d’exécution des peines est abandonnée (A). Votre rapporteur pour avis ne peut que regretter l’absence d’ambition du Gouvernement s’agissant de l’avenir de la politique immobilière de l’administration pénitentiaire, dont les conséquences lui apparaissent particulièrement lourdes (B).
A. L’ABANDON DE L’AMBITION D’ADAPTER LE PARC PÉNITENTIAIRE AUX BESOINS RÉELS EN MATIÈRE D’EXÉCUTION DES PEINES
L’abandon de l’ambition immobilière du précédent Gouvernement apparaît comme un renoncement à adapter l’offre de places de prison aux besoins réels de notre pays (1). Ce renoncement est d’autant plus contestable qu’il se fonde en large partie sur une remise en cause excessive des modes de financement retenus par la précédente majorité pour mettre en œuvre son programme immobilier (2).
1. L’objectif de 63 500 places fixé par le Gouvernement n’est pas conforme aux besoins réels en matière d’exécution des peines.
L’abandon de l’essentiel du programme immobilier « NPI » ainsi que du nouveau programme initié dans le cadre de la loi n° 2012 409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines est acté par le projet de loi de programmation pour les finances publiques pour les années 2012 à 2017 :
« La mise en œuvre d’un programme immobilier pénitentiaire repensé accompagnera le développement des aménagements de peine, au service des objectifs de réinsertion comme de sécurité et d’humanité de la détention.
« Une partie des dépenses prévues par la loi de programmation pénitentiaire axée sur le développement du nombre de places de prison sera abandonnée en cohérence avec la volonté du Gouvernement de développer l’accompagnement en « milieu ouvert ». Cet abandon a notamment pour conséquence la limitation de la création de nouvelles prisons aux réponses aux situations de vétusté et de surpopulation carcérale, ce qui conduira à limiter les dépenses nouvelles qui étaient prévues en fin de programmation, et ce d’autant plus que les modalités de financement prévues, sous forme de partenariat public privé, étaient particulièrement coûteuses » (17).
Le projet annuel de performances de la mission « Justice » détaille les modalités de cette remise en cause des projets engagés par le précédent Gouvernement : sur les 27 opérations prévues au titre du programme « NPI » (18), seules sont maintenues cinq constructions nouvelles (Beauvais, Lutterbach, Orléans-Saran, Riom et Valence), la réhabilitation de la maison d’arrêt de Paris-La Santé et l’extension du centre pénitentiaire de Ducos en Martinique. En revanche, parmi les programmes gelés ou abandonnés, l’on peut citer les trois nouveaux établissements prévus en région parisienne, l’extension du centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes (opération « Baumettes 3 ») ainsi que la réhabilitation du centre pénitentiaire de Nouméa, dont la situation est pourtant particulièrement préoccupante (19). Le programme immobilier prévu par la loi du 27 mars 2012 précitée est, quant à lui, purement et simplement abandonné.
L’objectif affiché par le Gouvernement se limite ainsi désormais à un parc pénitentiaire d’une capacité de 63 500 places à la fin de 2018, alors que la population incarcérée s’élevait au 1er juillet 2012 à 67 373 personnes et qu’aucune mesure concrète qui permettrait de diminuer le nombre de personnes incarcérées n’a pour l’heure été prise (20).
Par ailleurs, sur les 36 établissements dont la fermeture était prévue dans le cadre du programme « NPI », étant rappelé qu’une fermeture – celle de la maison d’arrêt et du centre pénitentiaire de Loos – avait déjà eu lieu en 2011, le Gouvernement n’a pour l’heure confirmé la décision de fermeture que pour 13 établissements (21). Le sort des 22 autres établissements qui devaient fermer n’est pour l’heure pas tranché, ce qui pose de sérieuses difficultés sur lesquelles votre rapporteur pour avis reviendra (22).
Votre rapporteur ne peut que regretter l’abandon de l’ambition de la précédente majorité d’étendre et de rénover le parc pénitentiaire français, alors pourtant que le nouveau président de la République s’était engagé pendant la campagne présidentielle à ce que « les peines prononcées [soient] toutes effectivement exécutées et les prisons [soient] conformes à nos principes de dignité » (23).
En effet, le parc pénitentiaire rénové et doté d’une capacité de 80 000 places dont aurait pu disposer la France à l’issue de l’exécution de la loi de programmation pour l’exécution des peines lui aurait permis de répondre à ses besoins réels, en disposant d’une capacité carcérale rapportée à sa population plus proche de celle de ses voisins européens. Il n’est en effet ici pas inutile de rappeler que la France ne dispose aujourd’hui que de 83,5 places de prison pour 100 000 habitants, quand l’Allemagne en possède 96,8, l’Espagne 113,1 et le Royaume-Uni 155 (24).
Un parc pénitentiaire doté de cette capacité aurait également permis d’apporter une réponse durable et pragmatique à la situation de surpopulation chronique que connaissent nos établissements pénitentiaires, dont la mission d’information constituée en juillet dernier par votre Commission sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale ne peut, à nouveau, que constater les effets néfastes tant sur les conditions de détention que sur l’efficacité des actions de réinsertion menées en prison (25).
2. Une critique des modes de financement recourant au secteur privé qui ne justifie pas l’abandon de toute ambition immobilière
Le Gouvernement justifie en partie son choix d’abandonner l’ambitieuse politique immobilière menée par la précédente majorité par des critiques à l’encontre des modes de financement retenus pour la mettre en œuvre. En effet, certains des établissements ont été construits selon les formules soit de l’autorisation d’occupation temporaire-location avec option d’achat (AOT-LOA), soit du partenariat public-privé (PPP). Dans chacune de ces deux formules, l’État confie à un opérateur privé non seulement le financement, la conception et la construction mais également la responsabilité de l’entretien et de la maintenance en intégrant au sein du contrat de construction les services « bâtimentaires », moyennant le versement de loyers pendant 30 ans, avant d’en devenir propriétaire. La différence entre ces deux formules réside dans le fait que, dans la formule AOT-LOA, la construction et les services à la personne font l’objet de deux appels d’offres distincts et peuvent donc être attribués à deux partenaires différents, tandis que dans la formule du PPP, l’État délègue par le même contrat la construction et l’ensemble des services à la personne (restauration des détenus et des personnels, hôtellerie, buanderie, transport, cantine, accueil des familles, formation professionnelle et travail). Depuis 2002, 7 établissements ont été construits en AOT-LOA et 3 en PPP (26).
Certaines réserves ont pu être émises quant au choix effectué par la précédente majorité de recourir à ces modes de financement, notamment par la Cour des comptes dans une communication adressée à la commission des Finances de l’Assemblée nationale en octobre 2011. Toutefois, ces réserves ne portent ni sur le principe même du recours à des partenaires privés ni sur la qualité des prestations de ces partenaires, mais sur certaines difficultés à comparer les coûts respectifs des constructions et gestions publiques et privées :
« En tout état de cause, l’instruction a permis de vérifier que le recours au secteur privé donne des résultats satisfaisants qu’il s’agisse des constructions comme de la gestion et de l’exploitation des prisons. Néanmoins, cette performance ne semble pas hors de portée du secteur public.
« L’efficacité de la solution PPP apparaît donc indéniable. En revanche, comme la Cour l’avait déjà relevé dans ses rapports publics thématiques (RPT) de 2006 et 2010 il est difficile d’établir son efficience en raison de l’insuffisance des outils de mesure et de comparaison des coûts des gestions pénitentiaires publiques et privées (…). » (27)
La Cour a formulé un certain nombre de recommandations qui tendent pour l’essentiel à mieux évaluer, tant en amont de la décision de construction qu’en aval de celle-ci, les coûts des différents modes de construction et de gestion.
Le Gouvernement ne saurait donc aujourd’hui affirmer sans nuance que le recours au secteur privé pour la construction et la gestion des établissements pénitentiaires est intrinsèquement un mauvais choix économique, faute de données disponibles permettant de comparer à périmètre comparable l’efficacité et le coût des différents modes de construction et de gestion. Le Gouvernement reconnaît lui-même, dans les réponses qu’il a apportées aux questions posées par votre rapporteur pour avis, que « malgré une méthodologie de calcul de plus en plus fine, la comparaison de l'efficience de la gestion déléguée par rapport à la gestion publique n'est pas tout à fait réalisable ».
Une autre critique adressée plus spécifiquement aux PPP tient au poids des loyers et à la rigidification du budget qu’entraînent ces dépenses contractuelles contraintes. Dans les réponses qu’il a apportées aux questions posées par votre rapporteur pour avis, le Gouvernement a indiqué qu’il n’était pas en mesure de communiquer un prix de journée de détention (JDD) pour les établissements en PPP, en raison de leur entrée en service récente. Toutefois, si l’on examine dans le détail le montant des loyers prévus pour les 30 prochaines années pour les trois établissements construits en PPP, l’on s’aperçoit que le coût journalier d’une place de détention s’élève à 86 €, hors coût d’intervention personnels pénitentiaires mais incluant la construction, la maintenance ainsi que l’ensemble des services à la personne (28).
À titre de comparaison, le prix de JDD moyen s’est élevé en 2011 à 92,5 € en gestion publique et à 94,6 € en gestion déléguée. Toutefois, la comparaison des coûts doit être relativisée par le fait que la maintenance de ces établissements, surtout en gestion publique, y est souvent délaissée, car comme votre rapporteur pour avis l’a souvent entendu à l’occasion de ses visites dans des établissements pénitentiaires, si l’État sait construire, en revanche il ne sait généralement pas entretenir son patrimoine. Il suffit pour s’en convaincre de visiter des établissements pénitentiaires construits dans les années 1970 ou 1980, qui après moins de 40 ans d’utilisation tombent littéralement en ruine, faute d’un entretien et d’une maintenance réguliers et sérieux.
Dans ces conditions, si la formule du PPP peut effectivement apparaître à première vue plus onéreuse que d’autres modes de construction et de gestion, il ne faut pas méconnaître l’importance du fait que son prix inclut l’entretien et la maintenance pour une durée de 30 ans. Ce modèle économique du PPP apparaît donc comme un modèle prévoyant, qui, plutôt que d’attendre la dégradation du patrimoine pour entreprendre des travaux de remise en état, anticipe et provisionne les frais de maintien en état de ce patrimoine.
Enfin, quand bien même la nouvelle majorité n’adhérerait pas – pour des raisons autres que strictement économiques – au choix du recours au secteur privé pour la construction de prisons, elle aurait tout à fait la possibilité de mener une politique de l’immobilier pénitentiaire ambitieuse en recourant à un financement public. Mais malheureusement, la réalité est que le Gouvernement ne souhaite pas adapter l’étendue et la configuration du parc pénitentiaire français aux besoins réels en matière d’exécution des peines et que cette absence d’ambition sera demain lourde de conséquences.
B. UNE ABSENCE D’AMBITION AUX CONSÉQUENCES LOURDES
Les choix budgétaires du Gouvernement s’agissant de l’avenir de l’immobilier pénitentiaire apparaissent très clairs : ils traduisent un renoncement à doter la France d’un parc pénitentiaire rénové et conforme à ses besoins en matière d’exécution des peines. Ce renoncement apparaît très lourd de conséquences et critiquable, à un triple titre. Tout d’abord, cette absence d’ambition est contraire à plusieurs dispositions législatives en vigueur (1). Ensuite, l’absence de décision sur le sort des établissements dont la fermeture avait été décidée en 2011 amène à se demander si l’ambition du nouveau Gouvernement n’est pas, en réalité, de faire survivre plus longtemps encore la France pénitentiaire du XIXe siècle (2). Enfin, bien que l’abandon de l’effort budgétaire en faveur du milieu fermé soit présenté comme destiné à favoriser le milieu ouvert, celui-ci ne bénéficie d’aucun moyen nouveau (3).
1. Des choix budgétaires contraires à plusieurs dispositions législatives en vigueur
La décision du Gouvernement d’abandonner l’essentiel des projets d’extension et de rénovation du parc pénitentiaire français engagés sous la précédente législature sont contraires à au moins deux lois que le Gouvernement entend peut-être remettre en cause dans les mois à venir, mais qui n’en demeurent pas moins toujours en vigueur et donc pleinement applicables : les lois nos 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines. Elle est aussi susceptible de mettre en péril le principe du placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt, qui sera, aux termes de l’article 100 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, applicable le 25 novembre 2014.
● S’agissant tout d’abord de la loi précitée du 27 mars 2012 de programmation pour l’exécution des peines, dont le rapport annexé à l’article 1er prévoit un programme de construction devant s’étaler de 2013 à 2017, il apparaît pour le moins surprenant – et fort peu respectueux de la loi votée, « expression de la volonté générale » selon les termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – que son application soit écartée, faute de moyens budgétaires, sans qu’aucune initiative formelle ne soit prise par le Gouvernement pour l’abroger ou la modifier.
Pour justifier son choix de ne pas ouvrir les moyens budgétaires nécessaires à l’application de la loi du 27 mars 2012, le Gouvernement invoque, dans l’exposé des motifs de son projet de loi de finances pour 2013, l’argument selon lequel le financement de ce programme n’aurait pas été « établi » par le précédent Gouvernement (29). Cet argument apparaît d’une assez faible portée. En effet, si les lois de programmation « déterminent les objectifs de l’action de l’État » (30), elles ne sauraient se substituer aux lois de finances en prévoyant avec la précision de celles-ci le financement des objectifs qu’elles déterminent. Au contraire, c’est aux lois de finances qu’il revient de définir, année par année, les moyens nécessaires à la réalisation des objectifs déterminés par les lois de programmation. En outre, il serait également inexact de prétendre que l’impact budgétaire de cette loi de programmation n’aurait pas été mesuré par la précédente majorité, puisque la réalisation du programme immobilier prévu par la loi du 27 mars 2012 avait été chiffrée à 3 milliards d’euros de crédits d’investissement sur cinq ans (31).
● La seconde loi toujours en vigueur dont le projet de loi de finances pour 2013 fragilise l’application est la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs. Celle-ci prévoit que toute personne condamnée en état de récidive légale pour un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement doit être condamnée à une peine d’emprisonnement d’une durée minimale, sauf décision contraire de la juridiction motivée par les circonstances de l’infraction, la personnalité de l’auteur ou ses garanties de réinsertion. Cette durée minimale de la peine d’emprisonnement devant être prononcée est fixée à un an si le délit est puni de trois ans d’emprisonnement, deux ans s’il est puni de cinq ans d’emprisonnement, trois ans s’il est puni de sept ans d’emprisonnement et quatre ans s’il est puni de dix ans d’emprisonnement (32).
Si, en application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, toute personne qui a comparu libre et a été condamnée à une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à deux ans doit bénéficier, « dans la mesure du possible et si [sa] situation et [sa] personnalité le permettent » (33), d’un aménagement de peine lui permettant d’exécuter celle-ci en milieu ouvert, cette durée de deux ans est ramenée à un an pour les personnes condamnées en état de récidive légale. Concrètement, cela signifie que toute personne condamnée en état de récidive légale pour une infraction punie de cinq, sept ou dix ans d’emprisonnement doit en principe être condamnée à une peine d’une durée minimale d’au moins deux ans et ne peut bénéficier d’un aménagement de peine avant que son reliquat de peine restant à purger n’ait atteint un an.
La loi du 10 août 2007 – qui avait pour objet et a eu pour effet de rendre plus effective la réponse pénale apportée par la justice aux actes commis par les récidivistes – conjuguée à la politique volontariste et efficace menée entre 2002 et 2012 pour renforcer l’effectivité de l’exécution des peines est donc indéniablement à l’origine d’une part de l’augmentation de la population incarcérée constatée depuis 2007. Cette volonté de fermeté dans la réponse pénale apportée aux récidivistes et dans l’exécution des peines d’emprisonnement impliquait que l’État soit en mesure de proposer un nombre suffisant de places de détention, raison pour laquelle la précédente majorité avait engagé les programmes immobiliers précédemment décrits.
Au jour où a été présenté le présent projet de budget par le Gouvernement, les peines plancher étaient toujours applicables – et elles le sont sans doute encore pour un certain temps, le Gouvernement n’ayant pour l’heure pris aucune initiative pour les abroger. Dès lors, abandonner les projets d’extension du parc pénitentiaire engagés par la précédente majorité sans abroger la loi de 2007 sur les peines plancher revient pour le Gouvernement à en empêcher sciemment la bonne mise en œuvre, alors même que les juridictions sont toujours tenues de prononcer ces peines minimales.
À cet égard, votre rapporteur pour avis voit mal quel effet pourrait avoir la circulaire de politique pénale adressée aux juridictions par la garde des Sceaux le 19 septembre 2012 sur les peines prononcées à l’encontre des personnes en état de récidive légale. En effet, cette circulaire donne aux parquets, s’agissant des sanctions à requérir, les orientations suivantes :
« Le traitement de la récidive doit s’accompagner d’une indispensable fermeté, mais il ne devra pas s’abstraire du principe général d’une constante individualisation de la réponse pénale tant au stade de la poursuite que de l’audience, puis de la mise en œuvre de la peine. Ainsi, s’agissant des peines plancher, en l’état actuel du droit en cette matière, je vous demande de tenir le plus grand compte, dans vos réquisitions et vos choix de poursuites, de la situation personnelle, sociale et économique de chaque prévenu, conformément aux dispositions de l’article 132-18-1 du code pénal. » (34)
Cette demande apparaît à votre rapporteur pour avis assez surprenante et teintée d’une défiance pour le moins inappropriée vis-à-vis des magistrats du parquet. Pour sa part, votre rapporteur pour avis n’a aucun doute sur le fait que tant les magistrats du parquet que ceux du siège aient toujours tenu « le plus grand compte » de la situation personnelle de chaque prévenu. Dès lors, cette demande de la garde des Sceaux ne saurait avoir pour effet de réduire ni le nombre ni la durée des peines prononcées par les juridictions correctionnelles à l’encontre des récidivistes.
● Enfin, l’abandon de l’ambition de la précédente majorité d’étendre le parc immobilier pénitentiaire met en danger la mise en œuvre du principe du placement en cellule individuelle dans les maisons d’arrêt, qui sera applicable le 25 novembre 2014 aux termes de l’article 100 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.
Alors que la courbe de la population incarcérée suit une tendance durablement haussière depuis 2001, qu’expliquent les efforts volontaires réalisés en matière d’exécution des peines et le choix assumé d’une réponse pénale raffermie aux actes commis par des récidivistes, il paraît pour le moins hasardeux d’envisager à court terme une inversion de cette tendance. D’une part, s’agissant des personnes en état de récidive, il est plus que probable – et d’ailleurs souhaitable – qu’une large part d’entre elles continuent à purger leur peine en milieu fermé. La circulaire de politique pénale précitée de la garde des Sceaux n’appelle d’ailleurs heureusement pas à une autre réponse de la part des juridictions, en demandant aux parquets de veiller à « purger » les situations pénales des récidivistes au moment de leur comparution pour de nouveaux faits, à « solliciter la révocation totale ou partielle des sursis avec mise à l’épreuve » et à prendre des « réquisitions tendant à la réincarcération du condamné » en cas de manquement aux obligations d’un suivi socio-judiciaire (35).
D’autre part, la seule perspective de la création d’une nouvelle peine de « probation », annoncée par la garde des Sceaux, ne paraît pas de nature à faire décroître rapidement le nombre de personnes incarcérées. La question de la création de cette nouvelle peine est pour l’heure soumise à la réflexion d’une « conférence de consensus », mais aucun calendrier quant à sa discussion parlementaire et à sa mise en œuvre n’est avancé par le Gouvernement. Surtout, son champ d’application, qui devra être déterminé par le Parlement avec la plus extrême prudence afin de ne pas fragiliser la lutte contre la récidive, n’est évidemment pas connu à l’heure de la présentation du présent projet de loi de finances. Enfin, quand bien même cette nouvelle peine serait juridiquement susceptible d’être prononcée à l’encontre de personnes qui sont aujourd’hui incarcérées, il est impossible d’anticiper ce que sera la pratique juridictionnelle. Cette peine sera-t-elle prononcée à l’encontre de personnes aujourd’hui incarcérées, comme semble le souhaiter le Gouvernement, ou sera-t-elle appliquée à des personnes actuellement condamnées à un sursis avec mise à l’épreuve ou placées sous bracelet électronique ? Nul ne peut aujourd’hui le dire.
Dès lors, anticiper dès aujourd’hui une baisse de la population incarcérée, alors même qu’aucune évolution juridique ne la rend crédible, revient à faire le choix délibéré d’empêcher l’application effective à la fin de l’année 2014 du principe de l’encellulement individuel voté dans la loi pénitentiaire.
2. Faire survivre la France pénitentiaire du XIXe siècle peut-il être une ambition ?
Comme votre rapporteur pour avis l’a déjà indiqué, sur les 36 décisions de fermetures d’établissements arrêtées par la précédente majorité, 22 ont été remises en cause par le nouveau Gouvernement. La moyenne d’âge de ces établissements est de 146 ans : est-il vraiment raisonnable de les maintenir en service (a) ? Pour illustrer les difficultés engendrées par la remise en cause des décisions de fermeture qui avaient été annoncées, votre rapporteur pour avis s’est rendu à la maison centrale de Poissy, dont l’avenir est aujourd’hui suspendu à la décision du Gouvernement (b).
Dans les réponses qu’il a adressées aux questions posées par votre rapporteur pour avis en application de l’article 49 de la LOLF, le Gouvernement indique que son objectif est que, à la fin de l’année 2018, la France soit « dotée de près de 63 500 places de prison, dont 40 600 auront été construites après 1990 ; en outre, 9 245 places auront été fermées depuis 1990 ». Votre rapporteur pour avis tient tout d’abord à rappeler que ce bilan est dû aux programmes initiés par les ministres de la Justice Albin Chalandon, Pierre Méhaignerie, Dominique Perben et Michèle Alliot-Marie, programmes qui n’ont pu être mis en œuvre que grâce au soutien de majorités parlementaires qui ont voté les budgets correspondants. Surtout, si ce bilan peut apparaître positif, le Gouvernement omet de préciser que la remise en cause de 22 des 36 décisions de fermetures prises dans le cadre du programme « NPI » a pour effet de maintenir en service 4 460 places de prison dont la construction est très largement antérieure à 1990, dans des établissements de surcroît extrêmement surpeuplés.
Le tableau suivant indique, pour chaque établissement dont la fermeture a été remise en cause par le nouveau Gouvernement, son année d’ouverture en tant qu’établissement pénitentiaire (36), sa capacité d’accueil et son taux d’occupation.
DATE D’OUVERTURE, CAPACITÉ D’ACCUEIL ET TAUX D’OCCUPATION DES ÉTABLISSEMENTS DONT LA FERMETURE PROGRAMMÉE DANS LE CADRE DU PROGRAMME « NPI » N’A PAS ÉTÉ CONFIRMÉE PAR LE NOUVEAU GOUVERNEMENT (37)
Établissement |
Date de mise en service en tant qu'établissement pénitentiaire |
Nombre de places opérationnelles |
Nombre de détenus au 1er juillet 2012 |
Taux d'occupation |
MA Rochefort |
1827 |
51 |
68 |
133,3 % |
MA Saintes |
1831 |
83 |
113 |
136,1 % |
MA Bordeaux-Gradignan |
1967 |
448 |
712 |
158,9 % |
MA Agen |
1854 |
146 |
166 |
113,7 % |
CD Eysses |
1803 |
301 |
296 |
98,3 % |
MA Troyes |
1810 |
116 |
163 |
140,5 % |
MA Dijon |
1852 |
185 |
282 |
152,4 % |
MA Rouen |
1860 |
649 |
617 |
95,1 % |
MA Béthune |
1895 |
180 |
443 |
246,1 % |
MA Dunkerque |
1830 |
105 |
114 |
108,6 % |
MA Saint-Pierre de La Réunion |
1970 |
88 |
82 |
93,2 % |
CD Melun |
1808 |
308 |
282 |
91,6 % |
MC Poissy |
1817 |
235 |
223 |
94,9 % |
MA Fontenay-le-Comte |
1899 |
39 |
84 |
215,4 % |
MA Caen |
1907 |
302 |
504 |
166,9 % |
CP Caen |
1821 |
490 |
415 |
84,7 % |
MA Coutances |
1862 |
48 |
78 |
162,5 % |
MA Cherbourg |
1856 |
46 |
81 |
176,1 % |
MA Angers |
1907 |
266 |
429 |
161,3 % |
MA La Roche-sur-Yon |
1825 |
40 |
90 |
225,0 % |
MA Sarreguemines |
1902 |
71 |
123 |
173,2 % |
CD Oermingen |
1938 |
263 |
234 |
89,0 % |
Total : 22 fermetures programmées, non confirmées |
Année moyenne d’ouverture : 1866 |
4 460 |
5 599 |
125,5 % |
Source : données communiquées par la direction de l’administration pénitentiaire
16 de ces 22 établissements datent du XIXe siècle, l’année moyenne d’ouverture étant 1866. L’âge moyen de ces établissements que le nouveau Gouvernement ne veut pas fermer est donc de 146 ans, tandis leur taux moyen d’occupation s’élève à 125,5 % au 1er juillet 2012. Votre rapporteur pour avis ne peut que s’étonner que la nouvelle majorité, prompte à s’émouvoir sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires de notre pays, puisse faire le choix de prolonger la durée de vie d’un parc pénitentiaire surpeuplé et datant du XIXe siècle qu’elle a tant décrié.
Certes, ancienneté ne signifie pas nécessairement vétusté : certains établissements bicentenaires sont en meilleur état que certaines constructions des années 1970 ou 1980. Cependant, compte tenu de l’usure accélérée des établissements qu’engendre inévitablement la sur-occupation, plusieurs de ces établissements sont en réalité extrêmement délabrés. En outre, des établissements aussi anciens sont généralement affectés de lourds handicaps structurels, qui les rendent très largement inadaptés aux exigences actuelles en matière d’exécution des peines. La maison centrale de Poissy, que votre rapporteur pour avis a visitée dans le cadre de la préparation du présent avis, illustre parfaitement cette situation de fait.
Votre rapporteur pour avis a souhaité, dans le cadre de la préparation du présent avis, visiter l’un de ces établissements dont la fermeture est remise en cause, et s’est donc rendu à la maison centrale de Poissy. Son objectif était d’évaluer, le plus objectivement possible et sans a priori sur la meilleure solution à retenir, les avantages et les inconvénients que présenterait soit une fermeture soit un maintien en service.
Votre rapporteur pour avis remercie chaleureusement le directeur de la maison centrale de Poissy et l’ensemble des personnels qu’il a pu rencontrer à l’occasion de cette visite, tant pour la qualité de leur accueil que pour les informations qui lui ont été communiquées, et salue leur dévouement à l’institution et leur investissement évidents.
Les maisons centrales sont des établissements pénitentiaires accueillant les personnes condamnées à des longues peines dont les perspectives de réinsertion apparaissent comme les moins favorables. Située au centre historique de la vieille ville, la maison centrale de Poissy est un ancien couvent fondé en 1645, en partie détruit à la Révolution et transformé en 1810 en dépôt de mendicité. En 1817, les bâtiments sont transformés en prison, puis convertis en maison centrale de correction en 1821. Presque complètement reconstruite sous le Second Empire, puis à nouveau en 1975, la maison centrale est désormais composée d’un bâtiment cellulaire construit sur quatre niveaux, les locaux administratifs étant situés dans une aile de l’ancien couvent tandis qu’une autre aile de cette partie historique est désaffectée depuis 1975. Aujourd’hui, la maison centrale de Poissy dispose d’une capacité opérationnelle de 235 places.
La maison centrale de Poissy faisait partie des établissements dont le précédent Gouvernement avait, en juillet 2010, annoncé la fermeture dans le cadre du programme « NPI », parallèlement à l’ouverture de trois établissements neufs en Ile-de-France. Comme pour les 35 autres sites dont la fermeture était programmée, cette décision avait été prise en prenant en compte les conditions de détention, notamment au regard des normes de la loi pénitentiaire, la difficulté à le rénover ou à le mettre aux normes du fait des contraintes financières ou de contre-indications techniques et sa situation géographique particulière.
Dans sa configuration actuelle, la maison centrale de Poissy présente indéniablement un certain nombre d’atouts, à commencer par sa situation en centre-ville et sa bonne desserte tant routière que ferroviaire, qui favorisent le maintien des liens familiaux (38). Elle paraît également fonctionner de façon globalement satisfaisante et apaisée, les personnels rencontrés par votre rapporteur pour avis n’ayant pas fait part de difficultés particulières en matière de conditions de travail et ayant souligné que l’établissement faisait partie des plus demandés par les personnels pénitentiaires en Ile-de-France.
Toutefois, cette maison centrale souffre également d’un certain nombre de handicaps tenant aux conditions de détention, à sa sécurité et aux activités accessibles aux détenus. Tout d’abord, sur le plan des conditions de détention, sa mauvaise isolation (fenêtres sans double vitrage, courants d’air et combles non isolés) la rendent particulièrement vulnérable aux grands froids (39) et coûteuse en énergie. En outre, la superficie de 7 m² des cellules les placent tout juste au-dessus du niveau indicatif souhaitable fixé par le Comité européen pour la prévention de la torture à 6 m² pour une cellule occupée par une personne seule. Cette faible superficie s’avère particulièrement problématique lorsque la personne détenue est une personne à mobilité réduite, se déplaçant en fauteuil roulant et dormant dans un lit médicalisé, comme cela est de plus en plus fréquemment le cas en raison du vieillissement de la population pénale.
En deuxième lieu, sur le plan de la sécurité de l’établissement, son implantation en centre-ville, la configuration de ses bâtiments et sa proximité des immeubles environnants le rendent aujourd’hui impropre à sa destination théorique de maison centrale à haut niveau de sécurité. De fait, selon le directeur de l’établissement, le profil des personnes qui y sont aujourd’hui écrouées s’apparente – à quelques exceptions près – davantage à la population d’un centre de détention pour longues peines plutôt qu’à celle des autres maisons centrales dites « sécuritaires ».
En troisième lieu, sur le plan des occupations accessibles aux détenus, les surfaces d’ateliers trop restreintes et l’impossibilité pour les camions semi-remorques d’accéder à l’établissement en raison de sa localisation en centre-ville nuisent à l’attractivité de l’établissement pour les entreprises. Au-delà du contexte actuel difficile pour l’emploi en général et pour l’emploi pénitentiaire en particulier, cette faible attractivité aboutit à ce que seuls 60 détenus puissent aujourd’hui travailler en ateliers (40), les détenus nouvellement affectés à la maison centrale devant attendre en moyenne un an avant de pouvoir travailler.
Ces différents éléments avaient conduit le précédent Gouvernement à considérer qu’un maintien en service en l’état de cette maison centrale n’était pas envisageable : un choix clair et rapide devait être fait entre une fermeture et une réhabilitation. Le coût d’une réhabilitation complète du site avait alors été évalué à 55 millions d’euros, sans accroissement de la capacité d’accueil, soit un coût à la place de 239 000 €. Toutefois, une telle réhabilitation n’aurait pas permis de gommer les défauts structurels de l’établissement, que sont le manque de surface disponible pour créer des zones d’ateliers attractives et la localisation en centre-ville qui rend impossible l’accès aux véhicules semi-remorques. Par comparaison, le coût moyen de construction à la place dans le cadre d’un établissement neuf a été évalué par la Cour des comptes à un montant allant de 108 300 € à 145 500 € selon la formule juridique retenue (41).
Au vu de ces éléments financiers, des inconvénients qu’aurait présentés une réhabilitation par rapport à une construction neuve et de la nécessité d’étendre et de moderniser le parc pénitentiaire français pour répondre aux besoins en matière d’exécution des peines, le précédent Gouvernement avait pris la décision de fermer la maison centrale de Poissy et de la remplacer par un établissement neuf, plus grand et totalement adapté aux standards pénitentiaires actuels.
Cependant, le nouveau Gouvernement a, dès son installation, gelé ce projet de construction d’une nouvelle maison centrale. Un nouveau projet de restructuration, consistant à transformer la maison centrale en centre de détention pour longues peines d’une capacité de 350 places auquel seraient accolés un centre de semi-liberté de 50 places et un centre pour peines aménagées de 30 places, a été préparé par la direction de l’établissement, et évalué à 19 millions d’euros. Un projet complémentaire de réalisation d’un centre de formation continue et de séminaires de l’administration pénitentiaire, dans des bâtiments adjacents au nouvel établissement, a également été élaboré et évalué à 12 millions d’euros.
Votre rapporteur pour avis a entendu le souhait exprimé par les représentants du personnel de l’établissement qu’il a rencontrés que le site de Poissy demeure un site pénitentiaire et le soutien apporté par ces personnels au projet présenté par la direction. Toutefois, il estime nécessaire d’attirer l’attention sur l’inconvénient majeur d’une nouvelle restructuration du site de Poissy : le fait que la surface disponible sera nécessairement limitée et le risque élevé que les zones d’activités (ateliers, espaces de formation et installations sportives) se révèlent trop limitées compte tenu de l’augmentation de capacité envisagée.
Surtout, il estime qu’il importe que le Gouvernement prenne rapidement une décision sur l’avenir de la maison centrale de Poissy, l’incertitude qu’il laisse planer sur l’avenir de ce site pouvant être source de démobilisation des personnels et ayant pour effet de maintenir en service un établissement qui ne saurait rester plus longtemps en l’état.
3. Des choix budgétaires opérés au détriment du milieu fermé sans aucun moyen nouveau pour le milieu ouvert
Dans l’exposé des motifs de son projet de loi de finances pour 2013, le Gouvernement indique qu’il entend « réduire le nombre d’incarcérations en privilégiant les peines alternatives à l’incarcération » (42). En toute logique, votre rapporteur pour avis se serait attendu à ce que cette affirmation se traduise par un report d’une partie des moyens non utilisés pour étendre et rénover le parc pénitentiaire vers le milieu ouvert. Malheureusement, il n’en est rien : l’abandon de l’ambition de mettre à niveau les places disponibles en milieu fermé n’est pas compensé par une augmentation conséquente des moyens consacrés au milieu ouvert.
En effet, hormis l’augmentation des effectifs rendue nécessaire par la poursuite de la mise en œuvre du programme immobilier « 13 200 » et l’armement des établissements devant ouvrir en 2013, le plafond d’autorisations d’emploi du programme « Administration pénitentiaire » n’est augmenté que de 43 ETPT consacrés au renforcement des missions d’insertion et 20 ETPT à la lutte contre la récidive. Certes, le contexte budgétaire contraint dans lequel se trouve la France et la nécessité impérieuse dans laquelle elle se trouve de réduire ses déficits rend souhaitable, de façon générale, de limiter les créations d’emplois dans la fonction publique aux missions considérées comme prioritaires. Or, la justice fait précisément partie, avec l’enseignement, la jeunesse et l’emploi, des priorités affichées par le Gouvernement.
Pourtant, si la justice constitue une priorité du Gouvernement, comment ne pas s’étonner que des moyens aient pu être trouvés pour créer 11 000 nouveaux emplois dans l’éducation nationale en 2013, tandis que l’insertion des condamnés et la lutte contre la récidive ne bénéficient dans le même temps que de 63 emplois ? Si l’idée de recruter un nombre aussi élevé d’enseignants est déjà en elle-même très discutable, dans la mesure où la France a aujourd'hui plus de professeurs qu’en 1990 alors que le nombre d'élèves a diminué, elle l’est encore plus lorsqu’on la compare avec l’absence totale de moyens nouveaux consacrés à la prise en charge des condamnés en milieu ouvert.
Votre rapporteur pour avis estime nécessaire de rappeler, à titre de comparaison, que la précédente majorité avait, quant à elle, considérablement et régulièrement augmenté les effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Ainsi, les personnels affectés dans les SPIP étaient passés de 2 262 en 2002 à 4 080 en 2011, soit une augmentation de 80,4 %, comme le montre le tableau suivant.
ÉVOLUTION DES PERSONNELS AFFECTÉS DANS LES SPIP ENTRE 2002 ET 2011
Année |
Ensemble des personnels affectés dans les SPIP (43) |
Variation en nombre d’ETPT |
Variation en pourcentage |
2002 |
2 262 |
— |
— |
2003 |
2 350 |
+ 88 |
+ 3,9% |
2004 |
2 527 |
+ 177 |
+ 7,5% |
2005 |
2 707 |
+ 180 |
+ 7,1% |
2006 |
2 887 |
+ 180 |
+ 6,6% |
2007 |
3 244 |
+ 357 |
+ 12,4% |
2008 |
3 491 |
+ 247 |
+ 7,6% |
2009 |
3 747 |
+ 256 |
+ 7,3% |
2010 |
3 941 |
+ 194 |
+ 5,2% |
2011 |
4 080 |
+ 139 |
+ 3,5% |
Évolution 2002-2011 |
+ 1818 |
+ 80,4 % |
Source : direction de l’administration pénitentiaire
À cette aune, l’augmentation des effectifs consacrés à l’insertion dans le projet de loi de finances pour 2013 apparaît d’autant plus modeste.
À tout le moins, l’abandon de la politique immobilière ambitieuse menée par la précédente majorité devrait être compensé par une hausse significative des moyens consacrés au contrôle et à l’accompagnement des condamnés en milieu ouvert. À défaut, le bilan de la politique pénale menée par le Gouvernement sera perdant sur tous les plans : un milieu fermé sacrifié, un milieu ouvert nullement renforcé et, par voie de conséquence, la sécurité des Français gravement mise en péril.
Lors de sa séance du jeudi 18 juillet 2012, la Commission procède d’abord à l’audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, sur les crédits de la mission « Justice », puis examine les crédits de cette mission.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Mes chers collègues, nous accueillons ce matin avec un grand plaisir Mme la garde des Sceaux, qui va nous présenter son budget pour 2013 dont nous sommes impatients de connaître la teneur. En effet, il y a déjà bien longtemps que, dans cette maison, nous sommes nombreux à nous plaindre à l’unisson du peu de crédits alloués à la Justice. Si j’en crois le Conseil de l’Europe, nous sommes la Cendrillon du continent puisque, sur les trente-huit pays pris en compte, la France se situe au dix-huitième rang. Quant à la dépense exprimée en proportion du PIB par habitant, notre pays est classé par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) au trente-septième rang sur quarante-trois États. C’est dire si le défi est immense pour améliorer l’efficacité de notre système !
Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux. Merci d’être si nombreux ce matin. Le président Urvoas vient d’évoquer le classement européen établi par la CEPEJ, sans doute pour créer un peu d’ambiance !
S’agissant de la présentation de mon budget, j’ai bien conscience de ne pas m’adresser ce matin à une assemblée de comptables mais à une commission d’élus responsables, parfaitement rompus à ces questions et j’ai donc choisi de vous exposer mes priorités politiques et leur traduction budgétaire, tout en étant prête à répondre à toutes vos questions.
Le budget de la Justice est prioritaire, pluriannuel et politique. Il est prioritaire dans la mesure où il traduit l’engagement du président de la République de faire de l’Éducation nationale, de la Sécurité et de la Justice les trois priorités de son quinquennat. Cela se traduit pour la Justice par une progression des crédits de 4,3 % qui lui permet d’atteindre 7,7 milliards. Cet effort est à apprécier au regard de la stabilité du budget global de l’État.
La priorité donnée à la Justice s’exprime aussi dans l’effort en matière d’effectifs avec la création de 500 postes dès 2013. Il s’agit d’une augmentation appréciable, conforme à l’engagement du président de la République de créer un millier d’emplois par an au cours du quinquennat au profit des ministères de l’Intérieur et de la Justice. Réserver la moitié de ces postes à la Justice trace une orientation claire, particulièrement remarquable dans le contexte actuel de stabilisation des effectifs de la fonction publique – laquelle tranche déjà avec les nombreuses suppressions de postes découlant, au cours de la précédente législature, de la révision générale des politiques publiques.
En vue de renforcer nos capacités d’anticipation, le budget de la Justice se décline sur trois exercices. Cela procure une certaine souplesse, car les efforts accomplis la première année peuvent être modulés par la suite afin de satisfaire plusieurs engagements. La progression budgétaire pour les trois exercices à venir peut sembler relativement modérée – plus 4,3 % en 2013, plus 1,6 % en 2014 et plus 0,3 % en 2015 – mais elle restera toujours positive. Il est légitime que la Justice prenne sa part dans l’effort de redressement des finances publiques. S’agissant des emplois, l’effort sera par contre continu : 500 postes créés chaque année, soit 1 500 dans la période triennale de référence.
Ce budget est politique dans la mesure où il va servir des priorités clairement définies. J’ai du reste déjà eu l’occasion de les exposer en plusieurs circonstances : devant votre Commission au tout début de la législature, devant le groupe de travail sur les zones de sécurité prioritaires, lors de l’installation du comité d’organisation de la conférence de consensus – à laquelle plusieurs d’entre vous ont participé –, devant le Sénat à l’occasion d’un débat sur la carte judiciaire, devant les magistrats de la famille et devant l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM).
Conformément aux engagements du président de la République, la première priorité de la mission « Justice » pour 2013, c’est la jeunesse. L’année qui vient sera celle de la jeunesse, et des efforts tout particuliers seront accomplis en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Alors que la PJJ a perdu 600 postes au cours des cinq dernières années, nous allons en créer 205, d’éducateurs et de psychologues, afin de réduire à cinq jours, à compter de 2014, le délai de prise en charge suivant une décision judiciaire et ce, conformément à la loi. En partenariat avec l’Éducation nationale, ces éducateurs et psychologues seront aussi présents dans les classes relais au titre de la prévention. La rapidité de la réponse apportée vise à permettre au jeune de bien mesurer la portée de ses actes.
Je m’attacherai aussi à diversifier les solutions offertes aux juges : familles d’accueil, foyers « classiques » et centres éducatifs fermés (CEF). Quatre centres ont été créés en 2012 par la transformation d’anciens foyers. Il était prévu de faire évoluer dix-huit foyers en CEF, mais je n’ai pas souhaité donner suite à l’ensemble du projet car je considère que la création de tels centres ne doit pas se faire au détriment des autres solutions mises à la disposition des magistrats. En 2013, quatre autres CEF verront cependant le jour, dont trois par création pure et un – à Marseille – par la transformation d’un foyer.
Le moment venu, je vous rendrai compte des conclusions de la mission d’inspection des services judiciaires que j’ai diligentée au sujet des CEF. Sur les quarante-deux centres existants, trente-trois sont gérés par des associations habilitées. Le service associatif habilité est fragilisé depuis plusieurs années par une créance de 35 millions d’euros, que je vais alléger par l’injection de 10 millions dès 2013. Cela donnera du souffle à la trésorerie des associations, qui pourront ainsi mieux assurer les missions de service public qui leur sont confiées.
Compte tenu de la priorité donnée à la jeunesse, le budget de la PJJ va donc augmenter de 2,4 % alors que les autres crédits de fonctionnement enregistrent une baisse globale de 7 %.
Une autre priorité consiste à améliorer la justice civile, laquelle représente 70 % de l’action de la justice, même si la justice pénale fait infiniment plus de bruit. Nous avons d’ores et déjà travaillé à la redéfinition des périmètres de contentieux, en vue d’optimiser l’efficacité globale du système et de raccourcir les délais de réponse. La réforme de la carte judiciaire ayant entraîné la suppression de plus d’un tiers des tribunaux d’instance, des adaptations des modes de fonctionnement locaux sont souvent nécessaires.
Les crédits consacrés à l’informatisation doublent, ce qui va permettre de redéployer des postes, de rendre plus fluides certaines procédures et d’exempter les personnels de certaines tâches par trop fastidieuses.
La loi prévoyait la suppression des juridictions de proximité à compter de 2014 mais il ne me semble pas souhaitable de maintenir cette échéance. Compte tenu notamment de la réforme de la carte judiciaire, la surcharge de travail qui en découlerait pour les tribunaux d’instance serait difficilement supportable et les délais de réponse aux demandes des justiciables en pâtiraient. La mise en extinction des juridictions de proximité sera donc différée, de manière à permettre aux tribunaux d’instance de mieux anticiper l’augmentation de leur charge de travail.
La justice civile bénéficiera du recrutement de 142 magistrats, auxquels s’ajouteront les redéploiements rendus possibles par l’informatisation.
J’en viens aux frais de justice, essentiels dans la mesure où ce sont eux qui permettent aux magistrats d’accomplir leur mission, en recourant à des experts, à des tests ADN, à des psychiatres, etc. Tout ce qui est indispensable à la manifestation de la vérité doit pouvoir être financé et c’est pourquoi les frais de justice augmenteront de 15 %. Souvent alertés sur ce point dans vos circonscriptions, vous savez que les frais de justice représentent un énorme problème. Au cours des dernières semaines, j’ai dû obtenir des compléments budgétaires et des dégels de crédits pour éviter que certaines juridictions ne se retrouvent en cessation de paiement. C’est aussi à cause des frais de justice que le ministère a acquis sa réputation de très mauvais payeur et il est donc urgent de redorer son image. L’augmentation de 15 % correspond à 62 millions d’euros, ce qui fait passer l’enveloppe de 415 à 477 millions.
Conformément à la lettre de cadrage du Premier ministre, les frais de fonctionnement vont baisser de 7 %. Cette mauvaise nouvelle doit cependant être nuancée car, au cours des dernières années, les budgets de fonctionnement avaient été ponctionnés à hauteur de 15 millions d’euros pour couvrir les besoins de frais de justice et de 6 millions au titre de la réforme de la carte judiciaire. En 2013, nous n’aurons pas à prélever ces 21 millions et la baisse de 7 % sera donc compensée, d’autant que nous allons faire des efforts en matière de commande publique et d’organisation.
L’aide juridictionnelle progresse aussi, puisqu’elle passe de 232 à 271 millions d’euros, soit une augmentation de 16 %.
Parmi mes priorités figure la réflexion sur le sens de la peine, grâce notamment à l’installation du comité d’organisation de la conférence de consensus de prévention de la récidive. Au plan budgétaire, cela se traduira par 120 recrutements, dont 70 juges de l’application des peines (JAP), une dizaine de parquetiers et une quarantaine de greffiers. 63 recrutements sont également prévus dans les services d’insertion et de probation, dont le travail en amont est indispensable à celui des JAP.
Les placements extérieurs seront étendus, sous la forme notamment du placement sous surveillance électronique (PSE). L’objectif est de doubler le nombre de PSE au cours du quinquennat, de manière à passer de 8 000 à 16 000. On constate un certain tassement des travaux d’intérêt général (TIG) mais cela reste très variable d’une région à l’autre et j’entends bien remobiliser les collectivités territoriales à ce sujet. Enfin, nous créons 220 places dans les quartiers de semi-liberté.
Telles sont nos principales orientations en matière de prévention de la récidive et d’accompagnement des personnes détenues.
S’agissant de l’aide aux victimes, je vous ai indiqué tout à l’heure que l’aide juridictionnelle augmentait. Parallèlement, le nombre de bureaux d’aide aux victimes, présents dans une cinquantaine de tribunal de grande instance, sera progressivement étendu à la totalité d’entre eux. Plusieurs parlementaires de tous les groupes, dont le président Urvoas et Mme Nieson, ont déjà travaillé sur des propositions de loi en faveur de l’aide aux victimes et je pense donc que nous aurons l’occasion d’y revenir.
Parallèlement au recrutement de nouveaux agents, des efforts sont nécessaires en matière de revalorisation salariale et d’amélioration du régime indemnitaire des personnels en place. Il convient de respecter la parole de l’État envers les magistrats puisque nous allons entrer dans la troisième et dernière année de revalorisation prévue par décret. Cet engagement sera tenu. S’agissant de l’administration pénitentiaire, les actions engagées seront poursuivies en 2013, cependant que la PJJ bénéficiera d’un effort beaucoup plus modeste.
Au-delà de 2013, j’entends remédier au fait que les personnels de catégorie C n’ont bénéficié d’aucune revalorisation depuis une dizaine d’années. Je n’ai malheureusement pas été en mesure de faire un effort dès cette année, hors le maintien du budget de l’aide sociale (à hauteur de 24 millions d’euros), dont les catégories les plus modestes sont les premières à bénéficier. En 2015, je me pencherai sur la situation des greffiers, en notant toutefois que s’ils n’ont pas bénéficié d’une forte revalorisation salariale au cours des dernières années, leurs conditions de travail ont été améliorées par des recrutements.
Le présent quinquennat sera un quinquennat de construction. S’agissant de l’immobilier judiciaire, une vingtaine de villes sera concernée : onze chantiers sont déjà plus ou moins engagés et il y aura neuf mises en construction. Trois partenariats publics-privés (PPP) étaient prévus, à Caen, Lille et Perpignan. Celui de Caen sera maintenu, car il correspond à une réelle urgence, celui de Perpignan sera reconsidéré au cours des dix-huit prochains mois – je renonce au PPP défavorable à l’État et je dispose des moyens budgétaires pour 2014-2015 – et celui de Lille – où se pose un problème de terrain – n’est pas assez mûr pour être traité en 2013.
Le budget de l’immobilier pénitentiaire augmente de 7,8 %. Les opérations de rénovation les plus emblématiques concerneront La Santé, les Baumettes et Fleury-Mérogis. Quant au budget d’entretien courant du patrimoine, il passe de 55 à 66 millions d’euros, soit une augmentation de 20 %.
La vétusté de certains établissements est criante et insupportable. Au titre d’un programme de substitution, plusieurs constructions vont permettre de remplacer des structures extrêmement vétustes par des constructions neuves. Parallèlement, seront poursuivis des programmes de restauration et de réorientation, en vue notamment de privilégier les modules à taille humaine. Les personnels ont appelé notre attention sur les difficultés particulières que pose la gestion des gros établissements, de 600 à 800 places, et je suis résolue à en tenir le plus grand compte.
Telles sont, brièvement présentées, les grandes orientations de notre politique et leur traduction budgétaire. Bien entendu, je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis pour les crédits de la « Justice administrative et judiciaire ». Au cours de la série d’auditions que j’ai conduites dans le cadre de la préparation de mon rapport, je n’ai pas rencontré un seul interlocuteur qui ne se réjouisse de la priorité donnée à la Justice. Dès lors, qu’il s’agisse de la conduite de votre politique ou de la traduction budgétaire des priorités que vous avez rappelées, vous pouvez, madame la ministre, compter sur le soutien de la majorité.
Au regard de la situation actuelle, je n’hésite pas à dire que nous sommes au bord du sinistre dans nombre de juridictions. Il y a, dans les personnels des greffes, chez les acteurs de la Justice, beaucoup d’attente pour essayer de réparer les choses et j’avoue que je ne mesurais pas l’ampleur de leur désarroi.
Sur la suggestion de notre président, j’ai concentré mon analyse sur un thème bien précis : la justice d’instance.
Permettez-moi d’aborder en premier lieu des questions générales.
Constatant la situation de quasi cessation de paiement de certaines juridictions, vous faites progresser les frais de justice de 15 %. Avez-vous bien conscience que cela sera totalement insuffisant pour rétablir le processus normal de gestion annuelle de ces prestations ? Qu’est-il prévu pour les prochaines années ? Il semble que le contrôle de l’utilisation de ces fonds soit souvent défaillant et que les régies des tribunaux ne soient pas toujours en mesure de vérifier le bien-fondé de certaines dépenses. Comment peut-on peser davantage dans les négociations avec les grands opérateurs, notamment de télécommunications ?
La contribution de 35 euros est souvent perçue comme un moyen de réduire l’accès à la justice des familles modestes et certaines juridictions enregistrent une baisse de leurs saisines. Certains la considèrent aussi comme une absurdité dans la mesure où elle crée un report sur l’aide juridictionnelle, finalement plus coûteuse pour la collectivité.
Ma troisième question porte sur la collégialité de l’instruction, censée intervenir dès 2014. Nous confirmez-vous cette date ?
S’agissant du fonctionnement, je ne puis concevoir que l’on reste englué dans le « purisme de la mouise ». Pas de chauffage dans certaines juridictions ! Une qualité de papier tellement insuffisante qu’elle « fusille » les imprimantes et empêche la reprographie ! Il faut se battre sur ces différents fronts car l’on ne peut se résoudre à laisser les personnels supporter de telles conditions de travail.
Les personnels non magistrats nous font part d’une certaine amertume. Vous avez clairement indiqué que vous assumiez les engagements triennaux traduits par décret qui conduisent à une dernière année de revalorisation des indemnités des magistrats. Certains considèrent que cela est injuste et que l’on aurait dû faire un effort immédiat en faveur des catégories C, ainsi que des greffiers. Cela entretient l’idée que notre Justice donne toujours la priorité aux plus éminents de ses serviteurs, qui sont les magistrats. Or il y a aussi de très grands serviteurs parmi les greffiers et les assistants administratifs. Sans compter les vacataires recrutés pour trois mois, qui quittent les juridictions une fois achevée leur période de formation car l’on ne veut pas assumer les responsabilités liées à leur précarité.
Les crédits alloués à l’École nationale de la magistrature (ENM) diminuent de 5,2 % : sera-ce compatible avec le besoin de magistrats que nul ne conteste ?
Si, au départ, les juges d’instance ont été hostiles à l’arrivée des juges de proximité, ceux-ci ont acquis une véritable légitimité et les « faire remonter » dans les tribunaux de grande instance en tant qu’assesseurs des juridictions correctionnelles collégiales serait la pire des solutions.
La réforme de la carte judiciaire a créé des difficultés d’accès aux juges d’instance et d’organisation des effectifs. Un tsunami va déferler sur nos juridictions avec la question des majeurs protégés. À compter de janvier 2014, tous les dossiers en stock devront avoir fait l’objet d’une révision et cela semble totalement impossible. Comment allons-nous faire alors que la vague des mesures de protection des majeurs postérieures à la loi va également arriver ? Au tribunal de Nogent-sur-Marne, où je me suis rendu, les personnels concernés travaillent à flux tendus, sans parvenir à résorber le stock.
Le retour du contentieux du surendettement devant les juges d’instance pose également problème et plusieurs juridictions sont aujourd’hui complètement bloquées.
Il y a enfin un problème d’affectation des personnels d’instance, magistrats et greffiers. Le recours trop massif aux vacataires est catastrophique car il entraîne une déperdition des compétences et déstabilise les effectifs.
Madame la garde des Sceaux, vous avez du pain sur la planche et une œuvre colossale à mener à bien. Les choix pertinents opérés dans votre projet de budget traduisent une volonté politique. Ne décevons pas l’incroyable attente de ceux qui servent la justice au quotidien.
Mme la garde des Sceaux. Oui, monsieur le rapporteur, certaines juridictions sont en état de sinistre ; j’y ai été confrontée et j’en suis profondément contrariée. Je connais la situation et j’ai sollicité les chefs de cour pour qu’ils fassent remonter les besoins. La direction des services judiciaires n’a pas chômé au cours des dernières semaines et nous avons trouvé quelques solutions. Toutefois, nous ne règlerons pas tout en un seul exercice. Et je ne me contenterai pas de répondre aux besoins matériels, car j’ai aussi le souci d’améliorer l’ensemble de l’environnement de travail. Il est plus insupportable encore d’être confronté à des conditions de travail compliquées si le rôle du juge a été embrouillé ou si les effectifs sont insuffisants. Cela forme un ensemble et il est urgent de créer des conditions de travail plus acceptables pour nos personnels.
S’agissant des frais de justice, vous trouvez l’augmentation de 15 % insuffisante, mais permettez-moi de vous dire que cela n’est pas négligeable non plus. Quant à la question de la maîtrise des frais de justice, je ne sais pas si quelqu’un dans cette salle a une réponse. Doit-on affecter un budget en début d’exercice et considérer que, quoi qu’il arrive, il faut s’en tenir là ou faut-il tenir compte des circonstances particulières qui peuvent jouer sur la mission des magistrats ? Vous avez cependant raison de dire que certains progrès sont possibles, comme dans le domaine de la téléphonie et des télécommunications où nous engageons une renégociation avec les principaux opérateurs. Il existe un projet bien avancé de plateforme téléphonique auquel nous ne renonçons pas et l’effort sera continu.
Pour que puisse s’exercer un véritable contrôle des frais de justice, il faut aussi que l’État soit bon payeur. Sinon, les magistrats sont parfois conduits à commander les frais de justice dans des conditions qui ne sont pas optimales. Des affaires douloureuses rappellent d’ailleurs que les difficultés liées à la négociation des frais de justice ont parfois été à l’origine de graves erreurs judiciaires.
Vous avez rappelé les échéances fixées dans la loi au sujet de la collégialité de l’instruction. Il est prévu de recruter dix juges d’instruction, ce qui me semble correspondre aux besoins. En effet, au cours des dernières années, il y a eu bien plus d’enquêtes préliminaires maintenues au Parquet que d’informations judiciaires portées par les juges d’instruction. Il ne semble donc pas que nous soyons confrontés à une situation d’engorgement au stade de l’instruction.
Le président de la République et le Premier ministre ont rappelé que le juge d’instruction ne serait pas supprimé et qu’on allait lui donner les moyens de travailler et améliorer ses méthodes. L’échéance de la collégialité sera respectée, mais les magistrats eux-mêmes considèrent qu’elle doit être aménagée. Il semble que l’instauration d’une collégialité systématique sur tout dossier n’emporte la préférence de personne ; en revanche, la collégialité à certains moments de la procédure, sur certains types d’affaires, sur certains dossiers plutôt que sur chaque acte recueille un a priori plus favorable.
Comme vous, j’ai été taraudée par la réflexion sur la revalorisation du régime indemnitaire des magistrats et j’ai harcelé les membres de mon cabinet pendant trois nuits pour qu’ils échafaudent toutes sortes de simulation. Ayant reçu les organisations syndicales et présidé un comité technique ministériel, je trouve insupportable qu’il ne soit pas possible de faire un geste en faveur des catégories C. Malheureusement, je ne disposais que de 4 millions d’euros. Si l’engagement à l’endroit des magistrats n’avait été que verbal, j’aurais pris sur moi de les consulter pour leur demander s’ils acceptaient de renoncer à cette dernière tranche de revalorisation de 0,5 % pour me permettre de faire un effort pour les catégories C. Mais il se trouve qu’il y a un décret et que je me sens tenue par la parole de l’État.
S’agissant des échéances fixées dans la loi sur les tutelles, nous sommes parfaitement conscients du risque d’engorgement. Nous recherchons des solutions et des aménagements mais il s’agit à l’évidence d’un véritable casse-tête dont la résolution ne saurait être différée.
Enfin, en ce qui concerne le contentieux du surendettement, il est impératif d’améliorer les délais en résorbant les stocks, mais il y a aussi un volet qualitatif à prendre en compte car 83 % des dettes sont des dettes bancaires. Je sais que vont intervenir des réformes sur le crédit revolving mais il est urgent de desserrer l’étau qui étrangle certaines familles modestes.
M. Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis pour les crédits de l’« Administration pénitentiaire ». Le premier budget d'une législature constitue un acte politique important puisqu’il permet au Gouvernement de donner une traduction budgétaire aux priorités qu'il affiche. À cette aune, le budget de la justice pour 2013 – tout particulièrement celui de l'administration pénitentiaire – apparaît comme extrêmement décevant car il y a entre les paroles et les actes budgétaires un écart immense. En effet, l'affirmation du caractère prétendument prioritaire du budget de la justice ne trouve aucune traduction budgétaire.
Le budget de l'administration pénitentiaire est, pour 2013, en hausse de 6 % pour les crédits de paiement, mais en baisse – ou plutôt, devrais-je dire, en chute libre ! – de 38,5 % pour les autorisations d'engagement. Le plafond d'autorisation d'emplois est en hausse de 189 ETPT, soit une progression de 0,5 %.
Ces chiffres démontrent s’il en était besoin que l'ambition du nouveau Gouvernement se limite à achever l'exécution du programme immobilier « 13 200 » lancé par la précédente majorité, en abandonnant l'essentiel du programme « Nouveau programme immobilier pénitentiaire » et l'intégralité du programme inscrit dans la loi du 27 mars 2012 de programmation pour l'exécution des peines. L'objectif est de porter la capacité d'accueil du parc pénitentiaire à 63 500 places en 2018, alors que 67 300 personnes sont aujourd'hui incarcérées, soit 4 000 de plus que le nombre de places prévues par le nouveau Gouvernement. On est donc bien loin de l'ambition que s'était donnée la précédente majorité d'adapter le parc pénitentiaire aux besoins réels du pays en matière d'exécution des peines, avec une capacité portée à 80 000 places.
La hausse des crédits de paiement et la légère augmentation du nombre d'emplois ne correspondent en réalité qu'aux crédits et aux emplois nécessaires pour l'armement des nouveaux établissements dont la construction a été lancée par la précédente majorité. Comment le Gouvernement justifie-t-il ce virage ? Il affiche sa volonté de réduire les incarcérations et de développer les aménagements de peine. Mais, à y regarder de près, ni la volonté de réduire le nombre d'incarcérations ni celle de développer les aménagements de peine ne se traduisent en actes concrets.
S'agissant de la volonté de réduire le nombre d'incarcérations, si la poursuite de cet objectif à tout prix – y compris celui de la sécurité de nos concitoyens – est en lui-même très discutable, la baisse du nombre de détenus que le Gouvernement appelle de ses vœux n'est rendue crédible par aucune évolution qu'il aurait engagée.
Mme la garde des Sceaux nous dira certainement qu'elle a, par sa circulaire de politique pénale, demandé aux magistrats du parquet de tenir « le plus grand compte » de la situation individuelle de chaque prévenu. Au passage, j’observe que cette demande paraît pour le moins surprenante par le message de défiance qu'elle adresse aux magistrats du parquet : Mme la garde des Sceaux doute-t-elle du fait que les magistrats tenaient déjà « le plus grand compte » de la situation de chaque prévenu ? Au-delà, il n’est pas inutile de rappeler que les juridictions sont souveraines dans leurs décisions et qu'elles ont toujours la possibilité d'écarter le prononcé de peines plancher. Lorsqu'une décision d'incarcération est prise, c'est donc que la juridiction estime n'avoir pas pu faire autrement, et je vois mal ce qui pourrait amener demain à une autre décision en l'absence de l’abrogation ou d’une modification de la loi sur les peines plancher.
Alors, Mme la garde des Sceaux nous dira sans doute aussi qu'elle réfléchit à la création d'une nouvelle peine de « probation ». Fort bien, mais beaucoup d'inconnues entourent la création de cette nouvelle modalité : quel sera son champ d'application ? Sera-t-elle applicable aux récidivistes ? Dans la pratique judiciaire, ne risque-t-elle pas de « mordre » sur la population qui bénéficie aujourd'hui d'un sursis avec mise à l'épreuve ou d'un TIG, plutôt que sur la catégorie de celle qui est incarcérée ? Enfin, quel sera le calendrier de discussion et de mise en œuvre ? Face à toutes ces interrogations, invoquer la possible création de nouvelles peines pour anticiper une baisse de la population carcérale à court terme semble pour le moins hasardeux.
Par ailleurs, le Gouvernement justifie la remise en cause des programmes immobiliers décidés par la précédente majorité par des critiques adressées aux modes de financement qui avaient été retenus – autorisations temporaires d’occupation-locations avec option d’achat (AOT-LOA) ou partenariats public-privé (PPP). Or il convient de rappeler que la Cour des comptes n'a pas mis en cause le principe même de ces modes de financement, pas davantage que la qualité des prestations des partenaires privés, mais qu’elle s’est contentée de formuler des observations tendant à mieux évaluer les coûts des différents modes de construction et de gestion. En effet, le soi-disant surcoût du PPP n'est absolument pas vérifié
– ni du reste vérifiable – via les seules données dont dispose actuellement le ministère de la Justice, sachant que le coût des loyers inclut non seulement la construction et les services à la personne, mais aussi la maintenance des établissements pendant trente ans, maintenance que l'État a souvent eu du mal à assurer pour les établissements qu'il a construits en gestion publique, comme j’ai eu l’occasion de le vérifier au cours de mes visites de différents établissements.
Surtout, si le Gouvernement ne souhaite pas utiliser des modes de financement recourant au secteur privé, rien ne lui interdit de mener une politique immobilière de conception et de gestion publiques. Au vrai, votre critique des modes de financement est un prétexte pour justifier votre refus d'étendre la capacité d'accueil du parc pénitentiaire et ce, pour des raisons totalement dogmatiques.
Quant à la volonté du Gouvernement de développer les aménagements de peine, j'y suis naturellement favorable pour toutes les personnes pour lesquelles un tel aménagement semble possible, soit celles qui manifestent une réelle volonté de s'engager dans la voie de la réinsertion. Je rappelle qu'aucune autre majorité que celle ayant dirigé notre pays au cours des dix dernières années n'a fait autant pour développer les aménagements de peine, tant sur le plan des outils juridiques que sur celui des moyens. N’oublions pas que les effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) sont passés de 2 260 ETPT en 2002 à 4 080 ETPT en 2011, soit une augmentation de 80 %.
Dans la mesure où le Gouvernement délaisse le milieu fermé, je pensais qu'un réel effort serait fait en faveur du milieu ouvert, en cohérence avec l'objectif de développement des aménagements de peine. Las, quelles ne furent pas ma déception et mon inquiétude en découvrant que le Gouvernement ne prévoyait que 63 nouveaux ETPT pour l'insertion et la lutte contre la récidive !
Au final, le budget pour 2013 de l'administration pénitentiaire, c'est un milieu fermé abandonné et un milieu ouvert absolument pas renforcé, avec, au bout de la chaîne, la sécurité des Français, hélas sacrifiée.
J'en viens aux questions que je souhaite poser à Mme la ministre.
Madame la garde des Sceaux, dans le projet annuel de performances pour la mission « Justice », vous affirmez vouloir « centrer la politique pénitentiaire sur la réinsertion, en lançant un programme immobilier pénitentiaire de construction et de réhabilitation qui réponde aux situations de vétusté ». Pourtant, vous avez remis en cause 22 des 36 décisions de fermeture de prisons qui avaient été annoncées sous la précédente législature parallèlement à la création de nouveaux établissements. Ces 22 établissements que vous avez renoncé à fermer présentent un âge moyen de 146 ans et un taux d'occupation de 125 %. Croyez-vous répondre valablement aux situations de vétusté et de sur-occupation en maintenant en service des établissements surpeuplés datant du XIXe siècle ? Dans mon avis, figurera un tableau édifiant sur la situation de ces prisons.
Parmi les 36 établissements dont la précédente majorité avait considéré qu'ils ne pouvaient demeurer en service dans leur état actuel, tant pour des raisons de dignité des conditions de détention qu’au titre de la qualité de l'exécution des peines, figure la maison centrale de Poissy, que j'ai visitée pour préparer l’examen de ce budget. En remettant en cause la décision de fermeture, vous avez plongé les personnels dans une situation de doute extrêmement pénible à vivre. Certes, la fermeture décidée par la précédente majorité les aurait contraints à changer d'affectation, ce qui n'est pas forcément agréable mais ressortit aux contraintes inhérentes au statut d'agent public. Votre indécision est pire encore, puisqu'en maintenant ces personnels dans l'incertitude, vous les empêchez de se projeter dans l'avenir. Combien de temps comptez-vous encore repousser une décision de fermeture ou de réhabilitation, laquelle s'impose d’évidence ?
Dernière question, vous affirmez vouloir donner plus de moyens aux services d'insertion et de probation. Or, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, ce budget ne prévoit que 63 nouveaux ETPT au profit de l'insertion. Certes, il convient dans cette période de crise d'être mesuré dans la création d'emplois publics, mais cette augmentation très modérée contraste avec un autre secteur que votre Gouvernement présente également comme prioritaire, celui de l'éducation, où sont créés 11 000 postes d'enseignants. Si le nombre d'enseignants recrutés est démesurément élevé, celui des personnels d'insertion et de probation est ridiculement bas. Comment expliquez-vous un tel écart entre des missions présentées toutes deux comme prioritaires par le Gouvernement ?
Madame la ministre, j’attends de vraies réponses de votre part, pas de la démagogie ni des considérations politiciennes.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Chacun aura compris que Mme la ministre n’est adepte ni de la démagogie ni des réponses superficielles, comme elle l’a montré lors de précédentes auditions. Il me semble que la liberté de ton qu’on peut observer dans cette Commission tranche avec ce qui peut se passer ailleurs.
Mme la garde des Sceaux. Les procès que vous me faites, monsieur le rapporteur pour avis, manquent de crédibilité. Mais l’interpellation directe est une marque de courtoisie et de courage.
Selon vous, l’affirmation du caractère prioritaire de la justice ne trouverait pas de traduction budgétaire. Je vous renvoie à mon exposé liminaire. Vous relevez que les crédits de paiement augmentent, mais que les autorisations d’engagement diminuent. Gonfler les autorisations de paiement était une pratique de l’ancien Gouvernement ! Mon prédécesseur, M. Mercier, avait ainsi prévu 1,8 milliard d’euros d’autorisations d’engagement en 2012 sans aucun crédit de paiement correspondant. Nous avons une pratique différente : nous augmentons les crédits de paiement, c’est-à-dire la dépense effective de l’État ; nous ne nous contentons pas d’afficher des autorisations d’engagement dénuées de toute portée pratique.
Vous me reprochez d’avoir abandonné le nouveau programme immobilier (NPI). On n’abandonne pas ce qui n’a qu’une existence virtuelle ! Le NPI a été inscrit dans la loi de programmation de mars 2012 sans que le moindre euro ait été budgété pour le mettre en œuvre.
La volonté du Gouvernement de réduire le nombre d'incarcérations et de développer les aménagements de peine ne se traduirait par aucun acte concret. Je vous renvoie, là encore, à ce que j’ai dit sur les juges de l’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Vous estimez que 63 ETPT pour les SPIP ne sont pas suffisants. Nous avons pourtant stabilisé et même augmenté ce nombre, ce qui tranche singulièrement avec la révision générale des politiques publiques (RGPP).
Vous semblez vous étonner que, dans ma circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, j’aie donné instruction aux parquets généraux d’aménager les peines – et votre étonnement est dans la ligne de certaines déclarations publiques de certains orateurs de l’UMP. J’ai en effet demandé que le recours à l’incarcération soit strictement limité aux cas prévus par la loi pénitentiaire de 2009. Dois-je en déduire, monsieur le rapporteur pour avis, que vous contestez le contenu de cette loi ?
Un sénateur UMP a reconnu que la majorité précédente avait fait preuve de schizophrénie en multipliant, d’un côté, les lois sécuritaires et les procédures qui aboutissent à l’incarcération et – j’ajoute – à l’engorgement des juridictions, et en adoptant, de l’autre, cette loi pénitentiaire, qui contient de bonnes dispositions. Nous allons d’ailleurs en publier les décrets d’application manquants.
Vous me donnez des leçons en rappelant que les décisions des magistrats sont souveraines. On ne peut pourtant pas me reprocher de méconnaître ce principe. J’espère que vos collègues qui m’accusent d’être laxiste, de rendre des jugements insuffisamment sévères, de vider les prisons et d’être responsable de l’acte de tel ou tel auteur d’infraction, tiendront compte de votre rappel !
S’agissant de la nouvelle peine de probation, dont la création serait, selon vous, entourée de nombreuses inconnues, je rappelle qu’un comité d’organisation a été mis en place et qu’une conférence de consensus se tiendra en février 2013.
Toujours selon vous, la Cour des comptes n’aurait pas remis en cause le principe des partenariats public privé (PPP). Elle estime pourtant qu’ils consistent à faire appel à des opérateurs privés qui empruntent à des taux beaucoup plus élevés que l’État et qu’ils reviennent donc à reporter dans le temps une dépense publique tout en la multipliant par trois. Certains contrats de PPP signés en février ou en avril 2012 vont donner lieu à des investissements que l’État va payer cinq fois trop cher. Il faudra l’expliquer aux générations futures.
Enfin, vous prétendez que nous mettons en danger la sécurité des Français. Tel est, en réalité, le résultat des politiques que vous avez menées ces dernières années. La multiplication des procédures conduisant à l’incarcération, notamment pour les courtes peines ; la surpopulation carcérale qui en découle ; l’insuffisance des effectifs – personnels d’insertion et de probation, juges d’application des peines, psychologues – chargés d’accompagner les détenus dans leur projet de réinsertion ; la proportion accrue – 80 % aujourd’hui – de sorties « sèches », sans accompagnement, sont autant de facteurs qui favorisent la récidive. Différentes études le montrent. Le procès sur la sécurité des Français, c’est nous qui sommes fondés à vous le faire.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis pour les crédits de la « Protection judiciaire de la jeunesse ». Après plusieurs années pendant lesquelles la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) a payé un lourd tribut à la RGPP, le projet de loi de finances pour 2013 inverse la tendance et redonne espoir aux acteurs de la PJJ. C’est ce qui ressort des auditions et des visites de terrain que nous avons effectuées.
Entre 2008 et 2011, les crédits de la PJJ n'avaient cessé de diminuer. En 2012, ils avaient légèrement augmenté, mais seulement pour permettre la transformation de vingt foyers traditionnels en centres éducatifs fermés (CEF), l'ensemble des autres services – en particulier ceux qui sont responsables de la prise en charge en milieu ouvert – étant à nouveau sommés par l'ancienne majorité de faire toujours plus avec toujours moins de moyens.
Sur cette même période, la PJJ a perdu 600 emplois. Une partie des suppressions a pu être absorbée par la réorganisation administrative – les fonctions » supports » –, mais l’autre a affecté son cœur de métier : la prise en charge des mineurs délinquants.
Le président de la République et le Gouvernement ont décidé de faire de la jeunesse et de la justice deux axes prioritaires de leur action, conformément aux engagements pris par M. François Hollande pendant la campagne présidentielle. La PJJ se trouvant à l’intersection de ces deux priorités, ses crédits augmenteront très logiquement en 2013 de 1 % en autorisations d'engagement et de 2,4 % en crédits de paiement. Le plafond d'autorisations d'emplois augmentera de 75 ETPT, soit 205 emplois en année pleine, ce qui représente un effort important pour une administration de taille relativement modeste, dont le budget s’établit à 800 millions d’euros.
J’approuve donc pleinement les crédits de la PJJ pour 2013. Dans cette période budgétaire difficile où les moyens doivent nécessairement être concentrés sur un certain nombre de secteurs prioritaires, je salue l'effort consenti en sa faveur.
Mes questions concernent la diversité des modes de placement des mineurs délinquants, thème que j'ai choisi de traiter cette année dans le cadre de mon avis budgétaire.
Au cours des dernières années, l'ancienne majorité a focalisé l’attention sur les mineurs faisant l'objet d'un placement – qui ne représentent, rappelons-le, que 5 % des mineurs pris en charge par la PJJ – et tenté de faire croire à nos concitoyens qu'il existait une recette miracle pour traiter leur cas : les CEF.
Certes, le CEF est une solution désormais acceptée par la plus grande partie de la communauté éducative et judiciaire et par la majorité des élus de droite comme de gauche. Certaines conditions doivent néanmoins être remplies : chaque centre doit être doté d’un projet éducatif cohérent, être pourvu d’une direction et d’une équipe éducative soudées et expérimentées et faire l’objet – j’y insiste – d’un contrôle effectif.
Pour autant, le CEF ne sera jamais la solution miracle, qui pourrait être utilisée indistinctement pour tous les mineurs : il n'est que l'une des solutions possibles au sein de la palette des différents modes de placement dont doivent disposer magistrats et éducateurs pour répondre aux situations des mineurs.
La précédente majorité avait étendu la possibilité de placement en CEF aux mineurs de 13 à 16 ans non récidivistes. Pour permettre cette évolution, elle avait prévu de transformer vingt foyers d'hébergement traditionnel en CEF. Elle avait ainsi soulevé une question intéressante, celle du nombre de places nécessaires dans chaque type de structure et de l’équilibre entre elles, mais en lui apportant une mauvaise réponse, celle du « tout CEF » au détriment des autres modes de placement.
En effet, les professionnels de la justice des mineurs sont traditionnellement très attachés, avec raison, au fait de disposer d'une large palette de solutions éducatives, afin de pouvoir adapter au mieux la réponse pénale à la situation particulière de chaque mineur. L’éventail des différents modes de placement va en effet de la famille d'accueil au CEF, en passant par l'hébergement individualisé, l'hébergement collectif traditionnel, le centre éducatif renforcé ou le placement dans un centre de l’Établissement public d’insertion de la défense (EPIDE).
Or, chacun de ces modes de placement a sa spécificité, son utilité et son public. Chacun doit bénéficier d'un nombre de places et de financements à la hauteur des besoins. Dès lors, privilégier un mode de placement au détriment d'un autre – comme la précédente majorité aurait voulu le faire avec les CEF – serait une erreur, qui porterait préjudice à la recherche de la bonne réponse éducative.
Ma première question porte sur les familles d'accueil. Ce mode de placement est particulièrement intéressant pour les mineurs ayant des difficultés à vivre au sein d'un collectif ou qui souffrent de carences affectives. Cependant, le statut des familles d'accueil de la PJJ n'est pas assez attractif, dans la mesure où elles ne sont indemnisées qu’à hauteur de 31 euros par jour, alors que celles qui travaillent pour les départements bénéficient d’un statut salarié. En conséquence, la PJJ ne disposait en 2011 que d’un vivier de 350 familles d'accueil.
Il est sans doute difficile, dans le contexte budgétaire actuel, d'envisager une évolution significative du statut des familles d’accueil de la PJJ. Néanmoins, quelles mesures comptez-vous prendre, madame la garde des Sceaux, pour rendre ce statut plus attractif et étendre le vivier de familles disponibles ?
Ma deuxième question concerne l'hébergement diversifié. Au cours des dernières années, la PJJ a accumulé à l'égard du secteur associatif habilité une dette importante, qui révèle toute l'absurdité de l'étranglement budgétaire subi par la PJJ et dont le présent projet de budget prévoit heureusement de commencer le remboursement. Cette dette a plongé dans de grandes difficultés financières de nombreuses associations œuvrant dans le champ de l'hébergement diversifié. Je pense en particulier aux petites associations qui ont créé des lieux de vie et rendent de réels services sur un territoire donné. Certaines associations ont même dû cesser leurs activités, faute de paiement par l'État. En privilégiant certains modes de placement, on a en sacrifié d’autres qui avaient fait leurs preuves ; nous en avons tous été témoins dans nos circonscriptions. Quelles mesures entendez-vous prendre au cours de cette législature pour revitaliser le secteur de l'hébergement diversifié ?
Mes deux dernières questions portent sur les CEF.
Vous avez demandé, madame la garde des Sceaux, une inspection sur les besoins de places en CEF et sur les modalités d'une éventuelle extension du parc. J’estime pour ma part, au terme des échanges que j'ai eus dans le cadre de la préparation du présent avis budgétaire, que le nombre de places en CEF est globalement satisfaisant – 7 nouveaux CEF devant ouvrir en 2012 et 2013 – et que les éventuelles difficultés tiennent moins au nombre de places qu’à la répartition géographique des CEF.
En outre, je le rappelle, la loi du 10 août 2011 a étendu la possibilité de placement en CEF aux mineurs de 13 à 16 ans non récidivistes. Cette évolution a éloigné les CEF de leur vocation initiale, à savoir la prise en charge renforcée de mineurs ancrés dans la délinquance pour lesquels d'autres solutions ont déjà été tentées. Elle peut également avoir des conséquences lourdes : un mineur dont le premier placement a lieu en CEF risque désormais, en cas de nouvelle infraction – mais aussi d'écart de conduite au sein du CEF qui peut être lié à la difficulté à supporter ce mode de placement contraignant –, d'être directement incarcéré, ce qui peut s’avérer très préjudiciable dans son parcours. Envisagez-vous, madame la garde des Sceaux, d'abroger cette disposition ?
Enfin, pour réaliser des économies et financer l'extension du parc des CEF, la précédente majorité avait prévu d'abaisser de 27 à 24 le nombre d'ETPT prévu par le cahier des charges des CEF. Or, leur efficacité réside précisément dans le fort taux d'encadrement des jeunes et l'abaissement à 24 ETPT pose de sérieux problèmes pratiques : dépassement des volumes légaux d'heures supplémentaires, fatigue excessive des équipes, difficulté à dégager du temps pour la formation continue, pourtant essentielle. Au lieu d'envisager une extension importante du nombre de CEF, ne serait-il pas préférable de rechercher une solution de compromis sur le nombre d'ETPT, afin de réaliser des économies qui ne fragilisent pas le fonctionnement de ces centres ?
Mme la garde des Sceaux. Je vous remercie, monsieur le rapporteur pour avis, de cet exposé précis et lucide. Je partage votre analyse de la situation de la jeunesse en difficulté.
Je rappelle que les départements sont également compétents en matière de protection de l’enfance en danger et d’accompagnement de la primo-délinquance. Nous devons donc articuler notre action avec la leur, lorsque nous mettons des outils à la disposition des magistrats.
Je suis très attachée à la diversité des modes de placement, qui correspond d’ailleurs à une demande unanime des magistrats. Elle relève du bon sens : la réponse doit être adaptée à la situation du jeune – son parcours, sa personnalité, les circonstances de son acte, le processus postérieur à l’infraction.
En outre, il est essentiel que la prise en charge intervienne très rapidement, car les réitérations – l’observation le montre – se produisent généralement peu de temps après le premier acte commis. La sanction délivre un premier message au jeune. La prise en charge peut permettre, elle, d’interrompre le parcours de délinquance. Le recrutement d’éducateurs et de psychologues supplémentaires que nous avons décidé doit permettre d’en réduire les délais.
Vous avez raison, monsieur le rapporteur pour avis, de rappeler que les CEF – qui ont fait l’objet d’une sorte de fixation – n’accueillent que 5 % des jeunes pris en charge par la PJJ. Je ferai part à la représentation nationale du rapport d’inspection sur les CEF. J’invite les députés de la majorité et de l’opposition qui le souhaitent à participer à un groupe de travail pour en exploiter au mieux les conclusions. Nous verrons alors si l’abrogation de l’extension décidée en 2011 se justifie ou non. Il n’en reste pas moins que l’implantation des CEF sur le territoire demeure déséquilibrée. C’est d’ailleurs le constat qui m’a amené à demander une inspection.
Les familles d’accueil constituent en effet une réponse très intéressante pour une catégorie de jeunes dits « immatures », selon l’appréciation portée par les psychologues. Ce mode de placement concerne pas moins de 600 mineurs. Les résultats en sont très encourageants : 80 % ne commettent pas de récidive. Il est donc important de maintenir cette offre. L’objectif est de passer de 399 familles d’accueil en 2012 à 450 en 2013.
Vous avez soulevé avec raison, monsieur le rapporteur pour avis, la question de l’indemnisation de ces familles, qui sont bénévoles. Nous allons faire passer l’indemnité de 31 à 36 euros la journée dès 2013, afin de l’aligner sur le salaire versé par les services d’aide sociale à l’enfance. De plus, une mission d’inspection a été chargée d’évaluer la possibilité de leur attribuer un statut, étant entendu que nous devons contenir les coûts qui découleraient d’une telle décision.
Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis pour les crédits de l’« Accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes ». Le ministère de la Justice a consacré des crédits supplémentaires à l’expérimentation prévue par la loi de répartition des contentieux en matière de médiation. Quels sont les tribunaux de grande instance concernés ?
Les associations d’aide aux victimes souffrent d’un manque de moyens – les crédits ont diminué depuis deux ans – et d’un manque de visibilité sur leur avenir. Elles souhaiteraient que les engagements de l’État soient pluriannuels.
Dans votre circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, vous envisagez, madame la garde des Sceaux, de financer des permanences des associations à partir du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), alors que ce dernier a plutôt été utilisé, ces dernières années, pour développer la vidéosurveillance. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette réorientation ?
Par ailleurs, je vais présenter un amendement proposant l’instauration d’une « contribution pour l’aide aux victimes » : il serait demandé à toute personne déclarée coupable d'une infraction de verser une contribution additionnelle de 1 % à l'amende pénale, dont le produit serait affecté au financement des services d'aide aux victimes. Cette idée est soutenue par l’Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM), qui fédère une grande majorité des associations. Ce dispositif répondrait à une logique de justice réparatrice, qui responsabilise les auteurs d'infractions en les associant aux conséquences de leurs actes pour autrui. Il s'inspire de l'exemple du fonds spécial d'aide aux victimes de la criminalité (FAVAC), créé au Québec en 1988. Plusieurs propositions de loi ont déjà été déposées en ce sens, en particulier par Mme Martine Carrillon-Couvreur et l'ensemble des membres du groupe SRC le 24 janvier 2012. Quelle est votre appréciation sur l’idée d’instaurer une telle contribution ?
Enfin, vous avez annoncé que vous alliez étendre le réseau des bureaux d’aide aux victimes (BAV) à l’ensemble du territoire. Malheureusement, la subvention annuelle de 20 000 euros attribuée à chaque BAV ne semble pas suffire pour payer un juriste à temps complet et assurer une véritable permanence dans ces bureaux. Prévoyez-vous de moduler les enveloppes en fonction du niveau d’activité des tribunaux de grande instance ? Quelle coordination envisagez-vous entre le dispositif des BAV et celui des maisons de justice et du droit (MJD), qui apparaissent à mes yeux très complémentaires ? Pouvez-vous nous rassurer sur le financement des MJD ?
D’une manière générale, la Cour des comptes a relevé, dans son rapport public pour 2012, la « faiblesse du pilotage du réseau associatif » par le ministère de la Justice et les juridictions. Une réflexion est-elle en cours pour y remédier ?
Mme la garde des Sceaux. La loi de 2011 a retenu les tribunaux de grande instance d’Arras, Bordeaux, Niort, Paris et Saint-Pierre – à La Réunion – pour l’expérimentation de la médiation dans les contentieux familiaux. À ce stade, l’expérimentation est financée dans les tribunaux de grande instance d’Arras et de Bordeaux.
Je suis consciente que 60 % des associations d’aide aux victimes, connaissent, selon l’INAVEM, de grandes difficultés financières. Cependant, nous ne pouvons pas conclure avec elles d’engagements pluriannuels, compte tenu des règles de la comptabilité publique. Pour autant, nous avons fait un effort budgétaire et le travail que nous conduisons avec elles leur donne de la visibilité. De plus, je m’engage à améliorer le pilotage du réseau associatif par le ministère de la Justice. Le ministère et les associations en tireront mutuellement avantage, en termes budgétaires pour le premier, en termes de professionnalisme pour les secondes.
S’agissant des BAV, je confirme que nous allons en installer dans tous les tribunaux de grande instance dans un délai d’un an, ce qui correspond à un triplement de leur nombre. Ce sera un vrai progrès pour les victimes. La dotation de 20 000 euros permet de financer une permanence à mi-temps, ce qui nous paraît correspondre aux besoins. Nous verrons ensuite si une montée en charge est nécessaire dans certains tribunaux de grande instance.
Dans ma circulaire de politique pénale, j’ai demandé aux parquets généraux et aux parquets de veiller à accueillir correctement les victimes, à les informer des audiences, en particulier en cas de comparutions immédiates, à les orienter vers la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, à leur fournir toutes les informations qui les aident à surmonter le moment de détresse qui suit de près les faits et marque le début du processus judiciaire.
Je rappelle que les collectivités territoriales interviennent également dans le financement des associations d’aide aux victimes et des actions menées en faveur de ces dernières. Au cours des années récentes, elles se sont désengagées, à la suite de l’État. Je m’en suis entretenu avec M. Claudy Lebreton, président de l’Association des départements de France, et avec une délégation du Conseil national des villes. Nous devons nous concerter avec les collectivités pour examiner l’ensemble des problèmes et procéder à une réorganisation, de sorte que chacun s’implique à nouveau dans le financement de l’aide aux victimes. Il nous faudra notamment apporter des réponses à leurs interrogations sur le périmètre de leur action, les zones d’intervention, le mode de recrutement des permanents.
Pour ce qui est de la contribution pour l’aide aux victimes, la réflexion mérite d’être approfondie. Les premières séances de travail que j’ai organisées sur le sujet ont permis de faire ressortir des interrogations, dont certaines de principe, et d’identifier quelques risques. Le dispositif doit avoir un sens, en particulier pour les victimes. L’instauration de la contribution ne doit pas servir de prétexte à un désengagement des financeurs publics. Il conviendra de déterminer précisément le parcours de la recette en identifiant notamment une structure intermédiaire, le produit de l’amende ne pouvant être versée directement aux associations. Il faudra anticiper la réaction des assurances et des mutuelles, qui ne manqueront pas de s’inviter dans le débat. Le Sénat vient de nommer deux rapporteurs – un de la majorité, un de l’opposition – sur l’aide aux victimes. Nous pourrons aborder à nouveau ce sujet en séance publique.
Quant au FIPD, il a été piloté ces dernières années par le ministère de l’Intérieur et, dans les territoires, par les préfets. Ses crédits ont financé à 75 % le développement de la vidéosurveillance. Il doit désormais redevenir un instrument interministériel. J’ai alerté mon collègue ministre de l’intérieur sur ce point dès le mois de juin. Des réunions interministérielles se tiennent en ce moment. La dotation du FIPD est passée de 50 à 46 millions d’euros, mais il est en effet envisageable d’en consacrer une partie à l’aide aux victimes.
Mme Cécile Untermaier. À la justice pénale traditionnelle répressive, reposant sur la sanction de l’agresseur, peut s’ajouter une justice réparatrice, qui se concentre sur la réparation de l’acte par le dialogue entre la victime et l’auteur. Il n’est pas question, naturellement, de nier l’agression ou l’acte délictueux : cette démarche est organisée par le juge en marge du procès pénal.
Ce concept, largement mis en œuvre en Afrique du Sud après l’apartheid, mais également au Canada, fait son chemin en France. Une expérimentation a été lancée en matière civile avec le développement de la médiation. Que pensez-vous de cette démarche en matière pénale ? Envisagez-vous des actions dans ce domaine en 2013 ?
M. Philippe Goujon. Souffrez, madame la garde des Sceaux, qu’un membre de l’opposition s’exprime en usant – et non en abusant – de son droit d’opposition sans déclencher votre colère et votre indignation.
En matière pénale, votre ligne directrice est à l’évidence de défaire tout ce qu’ont fait vos prédécesseurs. À cet égard, votre circulaire pénale du 19 septembre dernier fera date. J’y vois la confirmation de ce que vous nous avez dit lors de votre première audition : la sécurité n’est pas la mission de votre ministère.
Sous un certain angle, toutefois, ce budget s’inscrit dans la continuité de ceux de vos prédécesseurs puisque jamais les crédits de la justice n’ont autant augmenté que ces dix dernières années, où cet effort, conjugué à d’autres, s’est traduit pas une baisse de la délinquance sans précédent.
Comme l’a montré Sébastien Huyghe, la politique pénitentiaire n’est pas, loin s’en faut, votre priorité, étant donné que vous ne considérez plus la prison comme la sanction de référence. La construction des places prévues se poursuit, certes, mais les 20 000 places supplémentaires que nous proposions ne seront pas réalisées. Les détenus en pâtiront les premiers puisque nombre d’établissements vétustes ne seront pas abandonnés.
Par ailleurs, votre politique repose sur le principe qu’il y a trop de condamnés à des peines de prison. Nous considérons pour notre part que l’on ne peut abandonner ainsi, par simple idéologie, la détention.
Bien que la décision de la sanction appartienne aux seuls juges, vous vous prononcez par exemple contre les courtes peines. Vous savez pourtant que 82 000 peines de prison ferme restent inexécutées en France, ce qui nous amène à considérer que notre pays ne souffre pas d’un excès d’emprisonnement mais d’un manque de places de prison. Il faudrait porter le parc carcéral à 80 000 places, tout en privilégiant la construction de structures allégées, moins coûteuses, pour les détenus qui ne nécessitent pas un niveau maximal de sécurité, et tout en permettant les peines alternatives à la prison – qui du reste n’ont jamais été prononcées en aussi grand nombre qu’aujourd'hui. Peut-on inférer de l’insuffisance du budget consacré à la construction que vous êtes favorable au numerus clausus en matière de peines de prison ?
Par ailleurs, comment améliorer la lutte contre l’islamisme radical dans les établissements pénitentiaires ? Vous comptez augmenter le nombre des imams, ce qui est une bonne chose, mais cela ne peut être la seule mesure. Bien que des dispositions aient déjà été prises par le passé, il reste certainement à faire !
En matière d’exécution des peines, la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002 visait à développer la capacité de sanction – objectif que nous partageons tous, quelle que soit la sanction infligée – par la création de bureaux d’exécution des peines, dont les premiers ont été mis en œuvre il y a quelques années. Quand atteindra-t-on la généralisation de ces structures, si tout au moins vous en avez l’intention ?
Pourriez-vous également nous apporter des précisions sur les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Le taux d’occupation de celle de Lyon dépasse les 80 %. Deux autres unités sont en service et il est prévu d’en ouvrir neuf d’ici à 2014, dont une de 440 lits à Villejuif. Quel est l’état d’avancement de ce programme. Quand l’UHSA de Villejuif verra-t-elle le jour ? La capacité de 440 lits sera-t-elle respectée ?
Où en est-on dans le transfert des escortes de prisonniers à l'administration pénitentiaire ?
Quel est le calendrier des travaux prévus à la prison de la Santé ? Quelle sera la date de livraison ? Confirmez-vous qu’un établissement d’environ 350 places en région parisienne permettra de reconstituer la capacité initiale de 1 300 places de l’établissement, sachant que les places rénovées ne seront plus que 1 000 ?
Prévoit-on de créer un nouveau centre éducatif fermé en région parisienne ?
Enfin, vous n’avez pas parlé du nouveau tribunal de grande instance de Paris. Vous êtes, je crois, hostile aux partenariats public-privé. Quel est dès lors l’avenir de ce projet ?
M. Georges Fenech. L’organisation de nos travaux ne nous laisse pas le temps de poser toutes nos questions et je le regrette. Je me contenterai, madame la garde des Sceaux, de vous soumettre des réflexions d’ordre général.
Si l’on peut saluer la hausse de 4,3 % du budget pour 2013, il ne faut pas s’en satisfaire : la justice reste déshéritée. Un retard considérable a été pris pendant des dizaines d’années. Malgré les rattrapages budgétaires des précédentes mandatures, nous sommes, pour reprendre l’expression du président Urvoas, « la Cendrillon de l’Europe », au trente-septième rang pour ce qui est du ratio des crédits de la justice rapportés au PIB par habitant. Il n’y a pas lieu de donner dans l’autosatisfaction. Après les photocopieurs mentionnés par M. Le Bouillonnec, je pourrais citer les fientes de pigeons qui s’abattent à travers les toitures de certaines cours d’assises ! Bref, même s’il est épargné par la rigueur qui atteint d’autres ministères, ce budget est loin de répondre à toutes les attentes du monde judiciaire et de nos concitoyens.
Il s’agit somme toute d’un projet traditionnel – en dépit de différences d’appréciation en matière de lutte contre l’insécurité, de parc pénitentiaire, etc. – où l’on ne perçoit pas le souffle qui pourrait provoquer l’indispensable « choc de modernité ». La redéfinition des périmètres de contentieux, que vous avez rapidement évoquée, me semble être la clé de l’avenir de notre Justice. Je parlerais plus volontiers de recentrage des missions du juge : il est grand temps d’aborder de façon sereine la place et le rôle du juge dans notre société, de redéfinir et de recentrer ses missions, d’inventer des moyens différents de règlement du contentieux, et de réserver l’intervention du juge aux cas où il est le dernier recours.
Il faut en même temps donner au juge de vrais moyens de rendre la justice. À cet égard, je me réjouis de la création d’un corps d’assistants de justice dont la mission serait d’apporter aux magistrats une aide à la décision. Imagine-t-on un parlementaire travailler sans assistants ? Imagine-t-on la commission des Lois fonctionner sans administrateurs ? Les magistrats des chambres régionales des comptes disposent de tels assistants, mais pas les autres. La rationalisation du travail du juge et du parquetier ainsi permise leur permettrait de rendre la justice dans de meilleures conditions.
Une remarque au sujet du bracelet électronique. En juin 2012, on dénombre seulement 51 PSEM – placements sous bracelet électronique mobile – en France, alors qu’il y en a des dizaines de milliers en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Pourquoi un tel retard, alors que nous avions voté ce dispositif de façon assez consensuelle ?
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je précise que la discussion de ce matin ne solde pas nos échanges sur les crédits de la Justice. À mes yeux, l’essentiel du travail parlementaire se fait en Commission. C’est pourquoi je ne veux pas limiter le temps de parole comme cela se fait parfois dans d’autres commissions. Je compte sur une certaine autodiscipline et j’espère que nous trouverons le rythme adéquat pour éviter des frustrations qui, en fin de compte, ne font que des perdants. Précisons toutefois que la discussion des crédits de la Justice en séance publique est prévue pour les 30 et 31 octobre. Les groupes et les parlementaires pourront s’y exprimer.
M. Dominique Raimbourg. J’ai trois motifs de satisfaction et trois sujets d’inquiétude.
Premier motif de satisfaction : la réflexion sur le sens de la peine, qui se traduit par la création de la conférence de consensus et qui limitera le recours à l’emprisonnement. Le recentrement de la peine de prison est une des réponses à la délinquance, sachant que ces réponses doivent être immédiates. La généralisation des bureaux d’exécution des peines constitue également un signe encourageant à cet égard. La limitation du parc pénitentiaire à 63 500 places en 2015 nous placera dans la moyenne européenne et mettra fin à la fuite en avant du « tout carcéral ».
Deuxième motif de satisfaction : l’attention que vous portez, madame la garde des Sceaux, à la justice civile, qui est la justice du quotidien.
Troisième motif de satisfaction : dans cet ensemble de mesures, la place des victimes est sauvegardée, avec notamment la réorientation du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).
J’en viens aux sujets d’inquiétude. Nous héritons d’une situation difficile. La politique néfaste menée pendant dix ans en est la cause, mais pas seulement. La sous-administration et la sous-dotation de la Justice sont anciennes. Il en résulte trois urgences.
D’abord, la surpopulation pénale, mesurée à 132 % dans les maisons d’arrêt. La conférence de consensus doit aboutir au plus vite à des solutions où la prison ne sera plus l’élément central.
Ensuite, la résorption des délais de traitement des dossiers. Votre rapport nous apprend qu’il s’écoule un peu plus de 12 mois entre la commission d’une infraction et son jugement par le tribunal correctionnel, et 16,3 mois entre la commission d’une infraction par un mineur et la décision rendue par la justice des mineurs. Nous devons donc simplifier le plus possible la tâche des tribunaux. En particulier, je crois nécessaire de revenir sur la création des tribunaux correctionnels pour mineurs, qui n’aura été qu’un effet d’annonce : sur les 33 000 mineurs poursuivis, seuls 630 sont concernés et la procédure qui leur est appliquée complique la tâche des tribunaux pour enfants. Il faut aussi revenir sur les peines plancher, qui ne sont prononcées que dans 10 000 cas sur les 600 000 dossiers jugés chaque année par les tribunaux correctionnels mais qui compliquent et ralentissent les procédures.
Enfin, la frustration des personnels. Jean-Yves Le Bouillonnec a souligné à juste titre que les agents de l’administration et les greffiers attendent une reconnaissance, alors que la gestion par les primes engendre des rivalités d’un corps à l’autre. Les personnels judiciaires reprochent aux pénitentiaires d’être mieux payés, tandis que les pénitentiaires font valoir leurs sujétions particulières. On gagnerait en sérénité en mettant à plat le système et en consentant un effort budgétaire important en direction de ces catégories.
Mme la garde des Sceaux. Le dispositif que vous évoquez, madame Untermaier, est d’autant plus intéressant que son initiative revient à l’INAVEM, la fédération nationale des associations d'aide aux victimes. Les expériences menées à Poissy et à Meaux sont en cours d’évaluation. Notre appréciation est sans doute moins précise qu’en Afrique du Sud et au Canada, où l’on a du recul et où le projet relève d’une politique publique. Mais j’en retiens le principe : poser la réalité du dommage et amener les auteurs à prendre conscience de la gravité des actes qu’ils ont commis, de manière à instaurer une relation différente avec les personnes qui en ont été les victimes. La Fédération protestante est particulièrement mobilisée en la matière. Il nous faudra mesurer de façon plus rigoureuse et plus systématique l’impact de ces expériences. Quoi qu’il en soit, je suis très sensible à ces sujets et à la générosité des associations d’aide aux victimes.
Lorsque je parlais d’« orateurs de l’UMP », monsieur Goujon, c’est précisément parce que je me refuse à globaliser. Mais le fait est que, depuis le mois de mai, on profère à mon égard des inexactitudes, des contrevérités, des mensonges, des horreurs, et que l’on me fait des procès d’intention. Ces propos ne sont pas tenus en conclave mais sur les médias, et par des personnes qui ont l’étiquette UMP. Je préfère que l’on m’adresse des critiques en face – comme l’a fait M. Huyghe – pour pouvoir y répondre en face !
M. Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis. C’était le cas, et mon intervention était très respectueuse.
Mme la garde des Sceaux. Je vous en donne volontiers acte. Vous n’êtes nullement en cause. Je dis les choses avec franchise et j’entends que vous les disiez avec la même franchise. Mais, lors de ma précédente audition, un de vos collègues a repris une calomnie qui circulait sur moi, parfois sur papier à en-tête de l’UMP !
M. Goujon estime que ma ligne directrice est de défaire ce que l’ancienne majorité a fait, tandis que, pour M. Fenech, je ne fais rien d’original, me contentant de poursuivre ce qui était déjà en place. Il vous faudra trouver un peu de cohérence entre vous, messieurs les députés, car je n’ai pas l’intention de devenir schizophrène ! Je choisis un chemin, je l’identifie, je le décline et je l’assume, ainsi que tous les désaccords auxquels il peut donner lieu. J’assume mes choix parce c’est ma responsabilité. Je doute que vous puissiez tenir tout le quinquennat en m’accusant de toujours défaire. Cela n’a du reste pas grande importance, sauf si vous illustrez cette assertion de façon précise. Je ne défais pas pour vous déplaire mais parce vous avez pris des mesures qui, de l’avis quasi unanime des magistrats, apportent des complications dans le fonctionnement des juridictions. Ce sont les chefs de cour eux-mêmes qui affirment que les tribunaux correctionnels pour mineurs engorgent leurs juridictions et provoquent des retards considérables dans les calendriers d’audiencement. En l’espèce, je répare plus que je ne défais !
Au reste, lorsque l’on dénonce la lenteur de la Justice, peut-être veut-on être désagréable envers la garde des Sceaux mais en réalité on met en cause les magistrats ! La Justice est lente parce qu’elle doit prendre son temps, mais elle est ralentie par des mesures malheureuses qu’il est de notre responsabilité de rectifier.
La sécurité ne serait pas pour moi la mission de la Justice, dites-vous. Par cette formulation, vous continuez le procès en irresponsabilité, en laxisme et en mise en cause de la sécurité des Français que l’on me fait. Je vous donne rendez-vous à la fin du quinquennat. Vous verrez que nos chiffres seront tout autres et que nous aurons amélioré la sécurité des Français !
Ce que je disais lors de la dernière audition, c’est que le ministère de l’Intérieur a la responsabilité de l’ordre public et que le ministère de la Justice prend sa part dans la sécurité des Français par la prévention de la récidive. Je le maintiens. La Justice est une mission régalienne et constitutionnelle. Ce n’est pas moi qui en définis le contenu ! Quant à la responsabilité qui nous incombe s’agissant de la sécurité des Français, nous la prenons pleinement. J’ai défini la prévention de la récidive comme une priorité : non une priorité de principe ou de pétition, mais une priorité d’action qui se traduit par des choix de recrutement, par la conférence de consensus et par toute une série de mesures.
Vous évoquez aussi la hausse continue et spectaculaire du budget de la Justice ces dix dernières années. Mais le résultat est que l’emprise de la pénitentiaire est passée de 30 à 40 % tandis que la protection judiciaire de la jeunesse perdait 600 emplois...
Et que signifie la « chute spectaculaire de la délinquance » dont vous vous prévalez ? Tout dépend de ce que l’on entend par « délinquance » ! Tout récemment, j’ai entendu M. Estrosi expliquer que les violences faites aux personnes avaient augmenté de façon spectaculaire.
M. Philippe Goujon. C’est la seule exception. Et la hausse a été beaucoup moins forte que sous le gouvernement Jospin.
Mme la garde des Sceaux. Pas du tout. L’amélioration était très nette avant que votre sensibilité n’arrive au pouvoir en 2002.
Nous avons déjà débattu du nombre de places de prison supplémentaires. Je ne me suis pas prononcée contre les courtes peines ou contre la détention. Mon rôle n’est pas celui d’un avocat. En tant que ministre de la Justice, je rappelle que le code de procédure pénale prévoit des aménagements de peine et que la loi pénitentiaire de 2009, adoptée par la précédente majorité, non seulement les prévoit mais, de plus, incite à les privilégier et porte à deux ans le quantum de peine d’emprisonnement susceptible de faire l’objet d’un aménagement. Alors cessez d’affirmer que je suis contre les courtes peines ! Ce n’est ni moi qui juge ni moi qui défends !
Je précise également que je ne me suis jamais prononcée sur le numerus clausus.
L’islamisme radical est à prendre très au sérieux. Il faut néanmoins se garder de le surestimer dans les établissements pénitentiaires, car on risque alors de le sous-estimer dans les autres endroits où il prospère. Dans l’affaire de l’attentat à Sarcelles, qui a donné lieu à des interpellations à Strasbourg et à Cannes notamment, seules deux des huit personnes interpellées avaient eu un parcours judiciaire et pénitentiaire. Il s’agissait, dans tous les cas, de conversions récentes et de radicalisation très rapide. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour combattre ce phénomène dans les établissements, mais cela ne dispense pas les pouvoirs publics de l’identifier et de le contrer partout ailleurs.
Par ailleurs, ce budget permettra d’augmenter le nombre de vacations d’imams. Nous couvrirons une trentaine d’établissements supplémentaires en 2013 et le même nombre en 2014. Le ministère dispose également d’un bureau de renseignement pénitentiaire qui permet de repérer les imams autoproclamés et les leaders qui, souvent, prennent en charge matériellement des détenus indigents non seulement dans l’établissement mais aussi à leur sortie de prison. Ce bureau a été renforcé récemment par le recrutement d’officiers. Les surveillants, pour leur part, bénéficient de formations à l’École nationale de la magistrature. Vous le savez, nous sommes intraitables : dès qu’un détenu faisant du prosélytisme est identifié, il est transféré dans un autre établissement – et ainsi de suite s’il recommence – de manière à casser son action.
Il existe 80 bureaux d’exécution des peines à l’heure actuelle et nous allons en créer une quarantaine.
Par ailleurs, 704 places sont prévues en UHSA. Un premier programme sera financé par le ministère de la Santé et remboursé par le ministère de la Justice. En 2014-2015, 440 places seront créées.
La question du transfert des escortes avait été mal évaluée. Elle fait l’objet d’une nouvelle évaluation qui sera portée à votre connaissance en janvier 2013.
Il n’y a pas de projet de nouveau CEF en région parisienne pour l’instant.
Le rapport consacré au tribunal de grande instance de Paris m’a été remis récemment et je vous informerai de son contenu. L’opération est très coûteuse. Le contrat signé en février 2012 ne prévoit pas de clause de négociation, ce qui complique les choses. Le projet représente environ 600 millions d’euros, mais, en 2043, il aura coûté 2,7 milliards d’euros, avec un loyer annuel moyen de 90 millions d’euros. Il faut savoir que les opérateurs privés empruntent au taux élevé de 11 %. Si le projet est maintenu, l’État aura donc remboursé 2,7 milliards d’euros. Parmi les options possibles, il y a soit la poursuite du projet en l’état, soit l’étude des marges éventuelles de négociation dans le partenariat public-privé, soit l’abandon. Rien n’est tranché et je tiens à votre disposition toutes les informations nécessaires.
Il est exact, monsieur Fenech, que la justice est déshéritée. Vous citez à cet égard les chiffres de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ). Si je voulais être perfide, j’invoquerais votre bilan. Mais mon sens des responsabilités me l’interdit. Il nous faut avant tout bien identifier les faiblesses et les défauts de notre justice de façon à les corriger. Je ne saurais me réjouir du constat de l’insuffisance du nombre de magistrats et de greffiers et de la faiblesse des dotations. L’important est de prendre la mesure du travail à accomplir et de s’atteler à trouver rapidement les bonnes réponses.
En outre, j’ai le sentiment que l’opposition au sein de la commission des Lois, même si elle cherche le défaut de la cuirasse pour m’atteindre, a malgré tout le profond souci que nous réussissions au service de notre justice. J’accepte la dose de mauvaise foi inhérente à l’exercice de l’opposition – tant qu’elle reste à un niveau acceptable ! –, mais je crois que nous partageons ce souci. Comme vous, je suis très préoccupée de la situation de certaines juridictions : pas de chauffage, moquettes élimées, installations électriques défectueuses, peintures écaillées... L’environnement est pénible, c’est une raison de plus pour être attentive aux conditions de travail.
Vous avez parfaitement raison d’estimer que l’essentiel est la mission du juge. À telle enseigne que j’ai chargé l’Institut des hautes études sur la justice de mener une réflexion sur ce thème précis. Les magistrats eux-mêmes en sont demandeurs. Et le législateur doit lui aussi réfléchir aux éléments qui encombrent ou perturbent le juge dans l’accomplissement de sa mission.
Sur le plan de l’organisation du travail, vous soulignez très justement l’importance des équipes d’assistants et d’assistants spécialisés, qui apportent aux juges une collaboration directe. À Marseille, par exemple, j’ai pris des dispositions pour placer auprès des magistrats des assistants et des assistants spécialisés. Ces derniers, je le précise, sont spécialisés dans différents métiers. Selon le type de contentieux que le magistrat doit traiter, il peut faire appel à un médecin, à un ingénieur, etc.
Vous n’ignorez pas que le PSEM en est encore au stade expérimental, monsieur Fenech.
M. Georges Fenech. Depuis 2008, quand même !
Mme la garde des Sceaux. Et vous n’en ignorez pas non plus le coût.
M. Georges Fenech. Il est très faible.
Mme la garde des Sceaux. Non, c’est le coût du PSE qui est faible – environ 20 euros par jour. En raison de la géolocalisation, le PSEM revient à 100 euros.
M. Georges Fenech. Aux États-Unis, le PSEM coûte 15 dollars par jour depuis longtemps.
Mme la garde des Sceaux. Nous monterons en puissance et réduirons les coûts au fur et à mesure des décisions de justice en ce sens. Je ne peux néanmoins vous promettre que je rédigerai une circulaire pour demander la multiplication des prononcés de PSEM !
M. Georges Fenech. C’est pourtant un très bon outil de peine alternative, qui évite la désocialisation et qui permet un contrôle permanent.
Mme la garde des Sceaux. Il revient aux juges d’en décider !
Je prends acte de vos motifs de satisfaction, monsieur Raimbourg.
La moyenne de la surpopulation carcérale est en effet de 132 %, sachant que dans certains établissements, à La Roche-sur-Yon par exemple, le taux s’élève à 240 % et qu’il atteint même 328 % outre-mer.
Dans les maisons d’arrêt, la cohabitation entre des prévenus passibles de courtes peines et des grands bandits en détention provisoire est lourde de dangers.
En ce qui concerne le traitement des dossiers, mieux vaut, je le répète, ne pas accumuler les dispositifs qui provoquent des retards. La circulaire de politique pénale demande aux parquets de travailler à la résorption des stocks et à la réduction des délais d’audiencement. Cet objectif s’accompagne d’un accroissement des moyens, notamment en termes de recrutement et d’informatisation. Même si certaines procédures comme la comparution immédiate – qui implique, à l’instar des tribunaux correctionnels, une formation collective – engendrent des encombrements, les mesures prises devraient permettre de résorber les stocks et de réduire les délais.
Je vous remercie enfin, monsieur Raimbourg, d’avoir eu le courage d’évoquer les difficultés provoquées par les peines plancher et par le tribunal correctionnel pour mineurs.
Je suis reconnaissante à tous les commissaires de leurs questions, de leurs interventions et de la grande qualité de leurs rapports. Ils me permettent d’affiner considérablement mon analyse et d’améliorer ainsi les décisions que je suis amenée à prendre pour la justice.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Merci, madame la garde des Sceaux. D’autres collègues souhaitaient poser des questions. Ils devraient avoir priorité pour le faire dans l’hémicycle.
Après le départ de la ministre, la Commission examine les crédits de la mission « Justice ». Conformément aux conclusions de M. Jean-Yves Le Bouillonnec pour la « Justice administrative et judiciaire », de M. Jean-Michel Clément pour la « Protection judiciaire de la jeunesse » et de Mme Nathalie Nieson pour l’« Accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes », mais contrairement à l’avis de M. Sébastien Huyghe pour l’« Administration pénitentiaire », elle donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2013.
PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS
MINISTÈRE DE LA JUSTICE
— M. Henri MASSE, directeur de l’administration pénitentiaire
— M. Francis LE GALLOU, sous-directeur de l'organisation et du fonctionnement des services déconcentrés
— Mme Fabienne DEBAUX, sous-directrice des ressources humaines et des relations sociales
SYNDICATS :
● Force ouvrière pénitentiaire
— M. René SANCHEZ, secrétaire général adjoint
● Syndicat national des directeurs de prison
— M. Jean-Michel DEJENNE, premier secrétaire
— M. Antoine DANEL, membre
● Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP/FSU)
— Mme Charlotte CLOAREC, secrétaire générale
— Mme Nadège THOMAS, secrétaire nationale
● Union générale des syndicats pénitentiaires (UGSP-CGT)
— M. Eric SCHMITT, secrétaire national
— M. Alexis GRANDHAIE, secrétaire national
— M. Fabrice DORIONS, membre du bureau national, référent SPIP
● Syndicat national justice Force ouvrière des personnels administratifs (SNJFOPA) (contribution écrite)
DÉPLACEMENT EFFECTUÉ PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS
Maison centrale de Poissy (Yvelines)
— M. François GOETZ, directeur
— M. Joseph COLY, directeur adjoint
— Mme Vanessa PREMPAIN, directrice adjointe
— M. Habib TRAORE MAMA, chef de détention
— M. Jérémy TERRAL, lieutenant
— M. Papa-Moussa FAYE, lieutenant
— M. Jean-Charles LAMOTTE, premier surveillant
— Mme Medha JEHL, psychologue
— Mme Maridza MAURIN, surveillante, secrétaire locale de la CGT
— M. Joseph NEBOR, surveillant, secrétaire local de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP)
— M. Raymond PAJOT, adjoint administratif, secrétaire local adjoint de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP)
— Mme Nadine KANDA, surveillante, secrétaire locale adjointe de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP)