N° 1431
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2013
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2014 (n° 1395),
TOME IV
DÉFENSE
PAR M. Guy TEISSIER
Député
——
Voir le numéro 1428 (annexe n°10 et 11).
___
Pages
INTRODUCTION 5
I. PRÉPARER LES GUERRES DE DEMAIN AVEC DES AMBITIONS RÉDUITES 7
A. UN CONTEXTE STRATÉGIQUE INQUIÉTANT 7
1. La persistance des menaces 7
a. Les incertitudes sahéliennes 7
b. Quelle issue pour la crise centrafricaine ? 8
c. Un Moyen-Orient en ébullition 9
d. Où va l’Asie ? 10
e. La piraterie, un fléau qui ne fléchit pas 11
2. Le « Pivot américain » et l’effacement militaire de l’Europe 12
B. DES RÉPONSES DÉCEVANTES 13
1. Le nouveau livre blanc et la programmation militaire 2014-2019 : la contrainte budgétaire érigée en horizon stratégique 13
a. La laborieuse élaboration d’un nouveau Livre blanc 13
b. Un budget de la défense en décroissance 14
c. Des suppressions d’emplois massives 15
d. Une réduction du format des armées 16
2. Une défiance de principe à l’égard des militaires ? 17
II. VERS UN DÉCLASSEMENT DE NOTRE PAYS ? 19
A. EN DÉPIT DES DIFFICULTÉS, LA FRANCE DISPOSE AUJOURD’HUI D’UN OUTIL MILITAIRE D’EXCEPTION 19
3. Une place majeure en Europe et dans l’OTAN 24
a. Un renouveau budgétaire à partir de 2017 peu crédible 31
b. Des ressources exceptionnelles fragiles 32
c. Le pari risqué de l’exportation : le cas du Rafale 33
3. Vers un modèle d’armée radicalement différent ? 33
III. LE BUDGET DE LA DÉFENSE POUR 2014, UN BUDGET CONTRAINT 35
A. UN BUDGET RECONDUIT À SA VALEUR DE 2013 35
B. DES PERSONNELS TOUJOURS PLUS MIS À CONTRIBUTION 37
C. LE MAINTIEN DES EFFORTS EN FAVEUR DE CERTAINS SECTEURS CLEFS 39
D. L’ÉVOLUTION INCERTAINE DES GRANDS PROGRAMMES D’ÉQUIPEMENTS 42
1. Les équipements terrestres 42
2. Les programmes navals 43
3. Les programmes aéronautiques 44
4. Les hélicoptères 45
5. Les drones 46
6. Les missiles et munitions conventionnels 47
Mesdames, Messieurs
Le projet de loi de finances dont nous discutons aujourd’hui est, s’agissant des crédits de la défense, la première annuité du projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, émanation directe du Livre blanc dévoilé au printemps dernier.
Alors que l’an passé, le « budget de transition » proposé pouvait laisser subsister des doutes quant au dessein du Gouvernement, celui-ci est désormais clairement engagé dans une voie qui ne peut satisfaire ceux qui, comme votre rapporteur, sont attachés au maintien d’une armée solide et apte à répondre aux aspirations de notre pays.
Assurément, le Livre blanc apporte des réponses décevantes aux défis sécuritaires de demain. La contrainte budgétaire est désormais érigée en horizon stratégique et conduit, une fois de plus, à faire des crédits de la défense une variable d’ajustement. Baisse des effectifs, rétrécissement du format des armées, réduction du contrat opérationnel sont autant de coups portés à un outil militaire qui a fait ses preuves et dont le récent engagement au Mali a montré l’efficacité et le professionnalisme.
Bâtie sur des hypothèses peu crédibles, la trajectoire budgétaire prévue par la prochaine programmation sera difficilement tenable. Votre rapporteur voit dans cette fragilité une menace pour nos forces et, à terme, un risque significatif de déclassement de notre pays.
Dans ce contexte, et sans surprise, le budget 2014 reconduit en valeur celui de 2013 et fait donc payer à notre défense le prix de l’inflation, comme cela sera à nouveau le cas au cours des deux années à venir.
I. PRÉPARER LES GUERRES DE DEMAIN AVEC DES AMBITIONS RÉDUITES (1)
S’il serait vain de dresser le tableau de l’ensemble des menaces qui caractérisent, aujourd’hui, notre environnement stratégique, certaines d’entre elles ont particulièrement retenu l’attention de votre rapporteur.
Dans une certaine mesure, la zone sahélienne a été la surprise stratégique de l’année 2013. Il était peu envisageable, il y a un an, d’imaginer l’ensemble des évènements qui se sont déroulés au cours des derniers mois. Contre les groupes djihadistes établis dans le nord du Mali était envisagée une intervention militaire après un processus relativement long de formation des troupes africaines. Seules ces dernières devaient y prendre part (environ 3300 hommes). La France, sans envoyer de troupes au sol, devait jouer un rôle de « facilitateur » en apportant un soutien logistique. Un plan en trois phases était envisagé : stabiliser le sud du Mali et protéger Bamako, mettre en place la formation des armées africaines, et enfin amorcer la reconquête du nord. Or, il n’en en rien été. Dans les premiers jours de l’année 2013, les groupes terroristes armés, sous l’impulsion d’Ansar Eddine, ont lancé une offensive au sud de la boucle du fleuve Niger, sur la ville de Konna, visant à terme la ville de Sévaré où se trouve un aéroport, la capitale Bamako et menaçant par là même tout le sud du Mali. La République du Mali était alors menacée dans son existence même et la perspective de l’instauration d’un sanctuaire contrôlé par des djihadistes et des narcotrafiquants au cœur de l’Afrique de l’ouest faisait peser une menace directe sur la sécurité régionale et internationale. La chute de la capitale malienne, de surcroît, aurait conduit à la plus grande prise d’otages de tous les temps eu égard au grand nombre de nos compatriotes y résidant. Répondant donc à une demande exprès des autorités maliennes, la France déclencha l’Opération Serval le 11 janvier 2013 et donna immédiatement un coup d’arrêt décisif à l’offensive djihadiste(2).
Neuf mois après le déclenchement de cette intervention, la région est-elle cependant plus sûre ?
Assurément, le Mali va mieux. Des centaines de terroristes ont été neutralisés et le nord du pays n’est plus, aujourd’hui, sous la coupe de katibas fanatiques. Certes, la situation sécuritaire est encore loin d’être pleinement satisfaisante. Un terrorisme résiduel existe. Certaines zones, comme Kidal, sont traversées de tensions entre l’armée malienne et des mouvements locaux comme le MNLA. Pour autant, le Mali n’est plus, aujourd’hui en danger de mort comme il l’était à l’aube de l’année 2013. Un nouveau Président vient d’être élu, en août dernier, et ce, dans des conditions satisfaisantes. De même, les élections législatives auront lieu les 23 novembre et 15 décembre prochains. En outre, la communauté internationale apporte une aide essentielle au Mali. Ainsi, sur le plan sécuritaire, la MINUSMA (3) qui a pris le relais de la MISMA (4) le 1er juillet dernier, devrait comprendre, à terme, 12.000 militaires et 1.400 policiers. L’Union européenne, elle, au travers de la mission EUTM-Mali(5), contribue à restaurer les capacités militaires des forces armées maliennes. Elle a pour objectif la formation de 4 groupements tactiques interarmes (GTIA), le conseil dans les domaines de la chaîne de commandement, de la chaîne logistique et des ressources humaines mais aussi la mise en place d’infrastructures cohérentes pour le besoin opérationnel.
Malgré tout, le Sahel demeure une menace persistante. La France y a, malheureusement des otages et la déstabilisation guette les pays de la région. En dépit de sa stabilité politique, le Niger, par exemple, est aux premières loges du combat contre le terrorisme comme l’ont montré les attentats d’Arlit et d’Agadez du 23 mai dernier. La Libye semble, elle, être une des première sources d’insécurité pour toute la zone en étant le lieu de départ d’attaques terroristes dans les pays alentours (6) en plus de subir, sur son sol, un nombre élevé d’attentats comme celui, en avril dernier, contre l’ambassade de France.
Depuis le départ du Président Bozizé en mars 2013, provoqué à la suite d’une offensive commencée en décembre 2012 menée par une coalition hétérogène de combattants centrafricains et étrangers, la Séléka, la République centrafricaine connaît une nouvelle fois dans son histoire une situation insurrectionnelle grave.
A la crise politique et humanitaire causée par la destitution du Président Bozizé s’ajoute désormais le risque de la montée des tensions interreligieuses. Des affrontements se sont produits entre d’un côté les membres à majorité musulmane de la coalition de l’ex-Séléka et de l’autre des paysans, principalement chrétiens comme la très grande majorité de la population centrafricaine, constitués en groupes d’autodéfense. Des pillages et des exactions ont été observés, menés par les deux groupes, et ont fait plusieurs milliers de morts au sein de la population civile.
La présence militaire française est constituée par un contingent d’environ 400 soldats envoyés en octobre 2002 dans le cadre de l’opération Boali. Ils sont principalement déployés autour de l’aéroport de la capitale, Bangui, et affectés à la protection du millier de ressortissants français et de leurs lieux d’habitation. Le coup d’État et ses conséquences sur la situation économique ont déjà provoqué le départ d’un quart de la population française en République centrafricaine. A la présence française s’ajoute le déploiement depuis août 2013 de la MISCA(7), force de paix sous l’égide de l’Union africaine forte d’environ 1.400 hommes de nationalité camerounaise, congolaise, gabonaise et tchadienne.
La résolution 2121 sur la situation en République centrafricaine a été adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies à l’unanimité le jeudi 10 octobre 2013, à l’initiative de la France. Elle appelle au déploiement effectif et rapide de la MISCA afin qu’elle atteigne les 3.600 hommes initialement prévus pour créer les conditions propices à la stabilité et à la démocratie en République centrafricaine. La résolution envisage également des options pour un soutien international de la MISCA, y compris la possibilité de transformer celle-ci en une opération de maintien de la paix sous mandat des Nations unies.
Sur la base de cette résolution, la France pourrait soutenir la MISCA par la fourniture de moyens militaires, notamment dans le domaine aérien, du renseignement et de la planification des opérations, tout en renforçant le contingent par l’envoi de troupes supplémentaires, environ 250 soldats. Une deuxième option serait celle d’une véritable intervention dans l’hypothèse où la situation humanitaire et sécuritaire venait encore à se dégrader. Le Gouvernement français n’a d’ailleurs pas écarté une réaction plus forte et rapide de la France en cas d’augmentation des exactions commises à l’encontre de la population civile.
La situation au Moyen-Orient est bien évidemment marquée par la crise syrienne. Dans ce pays, la rébellion contre Bachar al-Assad, initiée en mars 2011, a depuis longtemps dégénéré en guerre civile aux accents religieux et ethniques. La barre des 100.000 morts semble avoir été franchie cet été et le flot de réfugiés ne cesse d’enfler. On estime que plus de deux millions de Syriens ont déjà fui les violences et les combats meurtriers qui ravagent leur pays. Un palier supplémentaire dans l’horreur a été franchi le 21 août dernier avec une attaque chimique sur un quartier de la banlieue de Damas. Cet acte a été attribué au régime syrien qui a donc agi contre sa propre population. Votre rapporteur ne va pas revenir sur la séquence diplomatico-militaire qui s’est ouverte à la fin du mois d’août et au début du mois de septembre 2013, au cours de laquelle aux menaces de frappes aériennes imminentes contre la Syrie émanant des États-Unis et de notre pays a succédé une phase de discussions russo-américaines qui a débouché sur la résolution n° 2118 du Conseil de sécurité du 27 septembre 2013, contraignant le régime de Bachar al-Assad à détruire la totalité de ses armes chimiques dans le délai d’un an. Pendant quelques jours, notre pays a été sur le point de participer à sa troisième campagne de frappes en moins de trois ans. Si le « règlement » diplomatique récemment négocié n’a pas mis fin à l’horreur du conflit qui ravage la Syrie, il a quand même quelque peu éloigné la perspective d’une intervention militaire dans la région. Toutefois, la Syrie va demeurer une source de préoccupation majeure pour notre pays, lequel, il ne faut pas l’oublier, maintient 900 soldats dans la région, au Liban, dans le cadre de la FINUL. Ces soldats seraient forcément concernés dans le cas où la situation devait dégénérer et impliquer notre pays.
Dans cette crise, le régime de Bachar-al-Assad bénéficie, depuis le début, du soutien de l’Iran pour qui la Syrie est son principal allié stratégique dans le monde arabe. Logiquement, la poursuite par l’Iran d’un programme d’enrichissement de l’uranium à des fins probablement militaires inquiète la communauté internationale. La nucléarisation de l’Iran relancerait certainement la course aux armements au Moyen-Orient : en plus d’Israël, qui n’exclut pas une intervention militaire si l’Iran dépassait certaines lignes rouges, d’autres puissances régionales comme la Turquie ou l’Arabie saoudite pourraient se sentir menacées. Plus symboliquement, cela serait une remise en cause de plus du régime de non-prolifération nucléaire instauré par le TNP de 1968. Enfin, cela aurait pour conséquence d’accroître le pouvoir d’influence de l’Iran dans la région par rapport à son rival saoudien. Pour autant, le nouveau président de la République islamique, Hassan Rohani, élu en juin dernier, semble déterminé à rompre l’isolement international de son pays. Il s’est engagé dans une stratégie diplomatique tout azimut, affichant un style tranchant avec celui de son prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad. Dans ce contexte, l’évolution du dossier nucléaire iranien sera l’un des principaux enjeux stratégiques à suivre avec attention dans les mois à venir.
Alors que le risque de conflits interétatiques majeurs reste faible dans une grande partie du monde, il est relativement élevé en Asie, en particulier du fait de contentieux territoriaux non résolus entre puissances régionales (Cachemire, frontière sino-indienne et afghano-pakistanaise par exemple) mais aussi de l’instabilité de la péninsule coréenne et des tensions autour de Taïwan.
Conséquence de ces tensions, on assiste à une augmentation significative des dépenses militaires dans cette région du monde et cet effort concerne tant les arsenaux conventionnels que ceux plus sensibles tels les missiles balistiques ou de croisière. Ainsi, la Chine représente aujourd’hui le deuxième budget de la défense dans le monde : 216,6 milliards d’euros en 2012 (8) et le Japon et la Corée du Sud sont respectivement au septième et dixième rang avec 39,6 et 38,2 milliards d’euros. En réaction à la montée en puissance chinoise, un certain nombre d’États de la région ont passé ou vont passer commande de sous-marins (Vietnam, Indonésie, Japon, Corée du sud, Malaisie).
Assurément, la paix est, aujourd’hui, une donnée volatile en Asie, en particulier en mer de Chine orientale et en mer de Chine du sud. Et notre pays aurait beaucoup à perdre si un conflit ouvert devait éclater dans cette région. L’économie française est très dépendante, en ce qui concerne les flux de marchandises transportées par navires porte-conteneurs et les approvisionnements en métaux stratégiques (aluminium, cuivre, minerai de fer, mais aussi terres rares, niobium, tantale, cobalt, nickel…), de l’une des voies maritimes les plus sensibles au monde qui transite par la Méditerranée avant de parcourir l’océan Indien, de franchir le détroit de Malacca et de traverser la mer de Chine du sud. Les litiges frontaliers en mer de Chine orientale et en mer de Chine du Sud pourraient avoir des conséquences pour la libre circulation de nos navires de surface civils et militaires. Toute crise qui se développerait dans la zone serait de nature à peser sur l’économie de la France et pourrait entraver la mise en œuvre des missions de protection de nos ressortissants et de projection de force.
Après l’océan Indien, le golfe de Guinée semble être devenu le nouveau sanctuaire de la piraterie maritime.
Au large de la Somalie, les dispositifs mis en place par plusieurs États ou ensembles d’États (États-Unis, OTAN, Russie, Inde, Japon, Chine, Australie et Union européenne avec l’opération Atalante) sont aujourd’hui efficaces puisqu’aucune attaque n’a réussi depuis presque un an. On en a dénombré une dizaine, seulement, depuis le début de 2013 alors qu’on en comptait 53 et 700 otages en 2010.
La situation est cependant loin d’être satisfaisante car l’accalmie du moment, dans l’océan Indien, n’est pas irréversible puisque l’éradication durable de ce fléau ne peut que passer par la résolution de son origine à terre. De même, ce phénomène s’est considérablement développé, ces dernières années, dans le golfe de Guinée. « D’après le groupe danois Risk Intelligence, l’équivalent de 100 millions de dollars (75 millions d’euros) de marchandises ont été volés dans la région depuis 2010. Un banditisme « hautement lucratif » qui vise surtout des cargos transportant du pétrole brut, destiné aux raffineries du monde entier » (9)
La France est grandement concernée par ce problème et elle déploie dans le golfe de Guinée une mission de surveillance – « Corymbe » – depuis le début des années 90. La marine y patrouille sans discontinuer et doit désormais faire face à une piraterie de plus en plus violente qui « passe de la pure prédation économique à la prise d’otages » (10) et qui, dès lors, n’en est que plus préoccupante pour la stabilité de la région et la sécurité de nos intérêts.
Contrairement à l’Asie, l’Europe n’est plus, aujourd’hui, au cœur des préoccupations stratégiques américaines. Dans un contexte de difficultés budgétaires aigues, l’attention des États-Unis se porte désormais davantage sur la montée en puissance de la Chine, qui apparaît plus comme un rival potentiel et une menace, en particulier dans le Pacifique et en Asie.
En effet, défini dès son premier mandat par le Président Obama le « pivot » des États-Unis vers la région Asie-Pacifique symbolise les transformations profondes de la politique étrangère américaine et plus généralement de l’Amérique elle-même. Ce rééquilibrage sous-tend deux logiques complémentaires. D’une part, une nouvelle hiérarchisation des priorités géostratégiques, à l’heure de la crise de la dette, du bilan des opérations militaires en Irak et en Afghanistan et de l’affirmation de grandes puissances économiques. D’autre part, une redéfinition des instruments de la politique étrangère américaine, en privilégiant la diplomatie de l’économie au détriment du tout-militaire symbole de l’après 11 septembre 2001(11).
Cette posture américaine encore relativement récente est de nature à bouleverser les rapports de force. Concrètement, elle conduit les États-Unis à redimensionner à la baisse leurs moyens militaires présents sur le continent européen et à renforcer leurs capacités dans le Pacifique. Pour beaucoup, la certitude d’une intervention américaine en Europe n’est plus aujourd’hui acquise, ne serait-ce que parce qu’au-delà de la volonté politique, les équipements et les hommes ont désormais massivement quitté notre continent.
Il y a là une invitation faite aux États européens à assumer leur propre sécurité qui, malheureusement, ne trouve aucun écho. Les budgets militaires, en Europe ont aujourd’hui atteint un niveau dramatiquement bas. Les dépenses militaires cumulées de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de l’Italie représentent environ, de nos jours, 13 % des dépenses militaires mondiales contre presque 20 % en 2000. Dans quasiment tous les pays européens, la crise économique a eu un effet désastreux sur les budgets de la défense : en 2012, le ratio dépenses militaires / PIB a atteint, en Europe, un point bas de 1,5. « Si, par malheur, l’Europe était menacée militairement, les Européens seraient incapables de défendre eux-mêmes le continent. Seuls deux pays ont des capacités réelles – encore s’amenuisent-elles jour après jour : la Grande-Bretagne – mais les Américains (et les Anglais eux-mêmes) ont été surpris par la faiblesse des moyens britanniques dans l’affaire libyenne – et la France, malgré les contraintes budgétaires qui pèsent aussi sur elle »(12).
Dans ces conditions, malgré l’entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du Traité de Lisbonne dotant l’Union européenne de tous les instruments nécessaires pour faire de celle-ci un acteur majeur de la gestion des crises, il est logique que la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) ne parvienne pas à confirmer pleinement les ambitions placées en elle depuis le lancement des premières opérations, en 2003.
1. Le nouveau livre blanc et la programmation militaire 2014-2019 : la contrainte budgétaire érigée en horizon stratégique
Peu après le début de son mandat, le Président de la République a souhaité l’élaboration d’un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Installée par le chef de l’État en juillet 2012, la Commission chargée de l’élaboration de ce nouveau document comprenait 46 membres avec, pour la première fois, deux personnalités étrangères, M. Wolfgang Ischinger, président de la Conférence de Munich pour les politiques de sécurité, et M. Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni en France.
Cette commission a publié son rapport le 29 avril dernier avec 4 mois de retard.
Le Livre blanc 2013 définit ainsi les orientations stratégiques de défense et de sécurité d’ici 2025. Il fonde son analyse sur les évolutions intervenues depuis le précédent Livre blanc, en 2008, notamment la crise économique et le renforcement des contraintes budgétaires, le printemps arabe et la multiplication des foyers d’instabilité et la hausse des budgets militaires en Asie.
Il confirme deux grands choix effectués en 2008 : le concept de sécurité nationale – ce dernier avait été quelque peu décrié, à l’époque, par l’opposition d’alors, par crainte du tout-sécuritaire – et l’accent mis sur la fonction « connaissance et anticipation », notamment le renseignement. Votre rapporteur tient d’ailleurs à saluer cette volonté de maintenir une capacité élevée en la matière qui va de pair avec un renforcement de la gouvernance : le Livre blanc de 2013 conforte ainsi le rôle du Coordonnateur national du renseignement (CNR) dans l’animation de la communauté du renseignement, dans la préparation des orientations arrêtées en conseil national du renseignement, dans le suivi des activités et des grands programmes et dans le domaine budgétaire. Il prévoit également un renforcement du rôle du Parlement – ce que concrétise le projet de loi de programmation militaire – en dotant la délégation parlementaire au renseignement de compétences nouvelles, d’une capacité à suivre l’ensemble de la dépense publique en matière de renseignement, et en lui conférant des compétences renforcées pour exercer sa mission de contrôle de la politique gouvernementale dans ce domaine.
Sans surprise, le Livre blanc n’est également pas revenu sur les grandes orientations stratégiques de la France comme la dissuasion nucléaire et le retour de notre pays dans le commandement intégré de l’OTAN, décidé par le Président Nicolas Sarkozy au début de son mandat.
Les travaux de la commission chargée d’élaborer le nouveau Livre blanc n’ont toutefois pas été aisés comme le montre le retard de plusieurs mois relevé par votre rapporteur. Elle a été gênée « par un manque de cadrage politique et les aléas budgétaires » (13) qui ont nécessité, in fine, une réécriture du texte par le ministère de la défense. La presse s’est notamment fait l’écho des vifs débats qui ont traversé, pendant plusieurs semaines, la commission et ces querelles ont été confirmées à votre rapporteur par plusieurs de ses interlocuteurs. Différents scenarii ont ainsi été mis à l’étude dont le fameux « scénario Z » qui aurait conduit à une réduction de 30 milliards du budget de la défense sur la période 2014-2019. Les représentants de certaines administrations de l’État ont même envisagé des hypothèses conduisant à l’abandon du groupe aéronaval et du programme A400 M, à la suppression de 30 régiments et à l’arrêt des chaînes du Rafale.
En définitive, si le document final écarte ce « scénario catastrophe » qui aurait directement conduit au désarmement de notre pays, il n’est pas pour autant satisfaisant. En dépit d’un environnement international lourd de menaces et qui appelle la plus grande vigilance, l’exécutif a tranché en faveur d’une réduction de nos ambitions. D’ordinaire, un Livre blanc est toujours guidé par une ambition pour la France. Celui-ci n’a pas d’autre but que d’adapter notre politique à un budget contraint.
Sur le plan budgétaire, le Livre blanc entend fixer le montant global de l’effort financier en faveur de la défense d’ici 2025 : il sera, sur cette période, de 364 milliards d’euros, dont 179,2 milliards entre 2014 et 2019. Hors pension, la dépense militaire de la France passe donc rapidement en deçà du seuil de 1,5% pour rejoindre une moyenne européenne peu flatteuse. À cet égard, le tableau suivant est éloquent (14) :
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 | |
Prévisions de l’effort de défense (en % du PIB) |
1,52 |
1,48 |
1,44 |
1,39 |
1,35 |
1,31 |
1,30 |
Chargée de « mettre en musique » les orientations de ce nouveau Livre blanc, le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 a été déposé sur le bureau du Sénat le 2 août dernier. En dépit du discours officiel, le Président de la République et le Gouvernement ont fait le choix de considérer que les crédits de la défense devaient être une variable d’ajustement face aux difficultés budgétaires actuelles.
En effet, selon le ministre Jean-Yves le Drian, « les crédits de la défense, contrairement à ceux des autres ministères, seront préservés dans leur intégrité car il s’agit d’un effort que la nation fait, non pour les armées, mais pour sa propre sécurité »(15). Or, si stabilisation il y a, elle le sera en valeur – et non en volume – sur les trois premières années de la programmation. Ce qui veut dire que les armées vont payer le prix de l’inflation de 2014 à 2016. Cette précision est loin d’être neutre, d’autant plus que cette évolution n’est pas garantie puisqu’elle repose sur l’abondement de ressources exceptionnelles qui, comme votre rapporteur va le souligner ultérieurement, est incertain. Il en va de même du léger redressement budgétaire à partir de 2017 : l’histoire de l’exécution des programmations militaires passées montre que ce genre de scenario est rarement respecté.
RESSOURCES SUR LE PÉRIMÈTRE DE LA LOI DE PROGRAMMATION (16)
Md€ courants |
2013 (pour information) |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
|
Total 2014-2019 |
Ressources totales |
31,38 |
31,38 |
31,38 |
31,38 |
31,56 |
31,78 |
32,51 |
|
189,98 |
Dont crédits budgétaires |
30,11 |
29,61 |
29,61 |
30,13 |
30,65 |
31,50 |
32,36 |
|
183,86 |
Sur le plan humain, alors même que le Livre blanc de 2008 avait prévu la suppression d’environ 55.000 postes entre 2009 et 2015(17) et qu’une nouvelle réduction massive des effectifs ne devait pas intervenir dans la foulée, le Livre blanc de 2013 prévoit une réduction supplémentaire d’environ 24.000 postes. Au total, entre 2014 et 2019, le ministère devra donc réduire ses effectifs de 34.000 personnes, au moment même où l’on s’apprête à procéder au recrutement de 60.000 enseignants, une opération dont l’opportunité échappe à beaucoup. Plus précisément, les effectifs de la mission « défense » devront perdre, selon le projet de loi de programmation militaire, 33.675 emplois. Le rapport annexé au projet de LPM prévoit le cadencement suivant :
|
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
Total |
Déflation LPM 2014-2019 |
|
-5 000 |
-7 500 |
-7 500 |
-3 500 |
|
-23 500 |
réformes précédentes |
|
|
+ 103 |
+ 103 |
|
|
+206 |
Déflation résiduelle réformes précédentes |
-7 881 |
-2 500 |
|
|
|
|
-10 381 |
Déflation totale |
-7 881 |
-7 500 |
-7 397 |
-7 397 |
-3 500 |
0 |
-33 675 |
Cette destruction conséquente de près de 34.000 emplois en cinq ans concernera à la fois les 3 armées (à hauteur de 15.500 suppressions d’emplois environ) et les services interarmées et l’administration du ministère. 26.200 postes militaires et de 7.400 postes civils seront touchés, soit une répartition de 78 % / 22 %. À la fin de 2019, si ces objectifs sont respectés, les effectifs du ministère de la défense s’élèveront alors à 242.279 agents en équivalents temps plein.
Inévitablement, les choix budgétaires retenus par le Livre blanc de 2013 et le projet de loi de programmation militaire vont conduire à une réduction du format de nos armées. Ces textes définissent ainsi un modèle d’armée à l’horizon de 2025 qui suscite quelques inquiétudes.
Ainsi, dans le modèle d’armée pour 2025, les forces terrestres offriront une capacité opérationnelle de l’ordre de 66.000 hommes projetables comprenant notamment les forces spéciales terrestres, 7 brigades interarmes (dont 2 seront aptes à l’entrée en premier et au combat de coercition face à un adversaire équipé de moyens lourds), des unités d’appui et de soutien opérationnel, des unités prépositionnées et installées dans les outre-mer et la contribution française à la brigade franco-allemande. Ce chiffre est de 72.000 aujourd’hui. Ces forces terrestres disposeront notamment d’environ 200 chars Leclerc, 250 EBRC(18), 2.700 véhicules blindés (VBMR/VBCI(19)), 140 hélicoptères Tigre pour la reconnaissance et d’attaque, 115 hélicoptères NH90.
Comme aujourd’hui, la LPM prévoit que les forces navales disposeront de 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, de 6 sous-marins d’attaque, d’1 porte-avions. Le nombre de frégates de premier rang est fixé à 15 contre 24 dans le modèle d’armée précédent. La LPM prévoit également une quinzaine de patrouilleurs, 6 frégates de surveillance, 3 bâtiments de projection et de commandement et, à terme 15 avions de patrouille maritime rénovés.
Enfin, les forces aériennes comprendront notamment 225 avions de combat (air et marine) alors que ce nombre était fixé à 360 (dont 300 en première ligne) dans la précédente LPM. De même, il est prévu une cinquantaine d’avions de transport tactique, 7 avions de détection et de surveillance aérienne (E3 de l’armée de l’air et E2C de la marine), 12 drones de surveillance de théâtre, des avions légers de surveillance et de reconnaissance et 8 systèmes sol-air de moyenne portée. Par ailleurs, le projet de LPM 2014-2019 prévoit que l’armée de l’air devra se doter de 12 avions ravitailleurs multi rôle. Votre rapporteur entend revenir ultérieurement sur ce dernier point car si le budget 2014 prévoit la première commande, on peut s’interroger sur le rythme des livraisons et sur le fait que l’acquisition de 12 appareils est envisagée (contre 14 il y a encore peu) alors qu’ils devront remplacer 19 avions actuellement en service.
Indéniablement, le format d’armée pour 2025 se traduira par des réductions capacitaires : l’équivalent d’une brigade de l’armée de terre sera supprimé. Toutefois, les forces spéciales verront leurs effectifs renforcés d’environ 1.000 hommes. Si, d’un côté, on peut se réjouir d’une telle décision qui tire la conséquence de leur excellence et de leur emploi élevé dans la plupart des opérations dans lesquelles a été impliquée la France, il est quelque peu inquiétant de voir que cette décision intervient alors même qu’on s’apprête à réduire les forces conventionnelles, réservoir naturel des forces spéciales. Il y a certainement, là, un risque, à terme, de difficultés en matière de recrutement.
Un décret (20) paru au Journal officiel du 13 septembre dernier a sensiblement modifié la répartition des compétences prévalant jusqu’alors au plus haut niveau du ministère de la défense.
En effet, jusqu’alors, et depuis 2009, le chef d’état-major des armées, « sous l’autorité du Président de la République et du Gouvernement, et sous réserve des dispositions particulières relatives à la dissuasion, [était] responsable de l’emploi des forces, assure le commandement des opérations militaires »(21). Le ministre de la défense, lui, était responsable des moyens des armées (effectifs, programmes, cadre juridique…) mais leur mise en œuvre dans les opérations lui échappaient, l’emploi des forces relevant en effet du Président de la République et, directement, du chef d’état-major des armées.
Le Gouvernement actuel a souhaité refermer cette parenthèse ouverte par la précédente majorité. Le ministre de la défense sera désormais « responsable de la préparation et, sous réserve des dispositions particulières relatives à la dissuasion, de l’emploi des forces », le chef d’état-major des armées l’assistant dans cette tâche.
Cette mesure a été relativement mal vécue par les armées et il y avait certainement mieux à faire que de s’engager dans cette voie. Beaucoup y ont vu une marque de défiance à l’égard de la communauté militaire, comme si « les généraux ou amiraux seraient des techniciens du combat, peu aptes à gérer des hommes, des finances, des relations internationales, voire des services logistiques. »(22). Or, votre rapporteur ne peut que constater qu’au cours des dernières années, le ministère de la défense est celui qui, au sein de toute l’administration française, s’est le plus réformé. Il a vu ses effectifs décroître fortement et a dû endurer des restructurations éprouvantes sans pour autant faillir dans l’accomplissement de ses missions. De plus, au-delà de cette question relative à la gouvernance de notre outil de défense, cette mesure – que votre rapporteur pourrait presque qualifier de « vexatoire » – est venue s’ajouter à un ensemble de gestes ou propos plus ou moins maladroits. Votre rapporteur peut ainsi citer la critique de la faible « civilianisation » de certaines fonctions formulée par un récent rapport parlementaire(23), au prétexte que les militaires coûteraient plus chers que des civils. Une assertion qui ne tient pas compte de l’ensemble des obligations liées au statut militaire ni à la réalité du terrain.
Assurément, la période actuelle n’est pas bonne pour nos soldats. Le moral n’est guère élevé. Les personnels et leurs familles sont confrontés à un avenir incertain, source de doutes et d’angoisses. Les annonces de fermetures d’unités sont comme une « épée de Damoclès » au-dessus de nombreux foyers qui ne peuvent dès lors avoir de projets à long terme. C’est le cas, par exemple, de l’accession à la propriété : alors même qu’en temps normal, les militaires accèdent difficilement et tardivement à la propriété en raison de leur forte mobilité géographique(24), la situation actuelle ne va faire qu’aggraver la situation.
À travers un retour sur l’Opération Serval, votre rapporteur tient à saluer, une fois de plus, le savoir-faire mondialement reconnu dont fait preuve, aujourd’hui, l’armée française.
Lors de cette opération, il a ainsi été possible de se rendre compte de la grande réactivité de nos forces. Dès le 11 janvier 2013, la progression des djihadistes a été stoppée à Konna-Mopti par la combinaison de l’action du COS et d’opérations aériennes depuis les terrains de N’Djamena pour la chasse et de Dakar pour les Atlantique 2 de la Marine. L’intervention française a débuté cinq heures seulement après le Conseil de défense réuni par le Président de la République le vendredi 11 janvier 2013 à 11h30. De même, le dispositif d’alerte « Guépard », adapté pour répondre au contrat opérationnel fixé à l’armée de Terre par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, a montré tout son intérêt. Il prévoit que 5.500 hommes tenus en alerte, par périodes de six mois, puissent être mobilisés et déployés, par échelons successifs, dans un délai de douze heures à neuf jours. Si, au Mali, les forces prépositionnées en Afrique sont intervenues en premier, il a été possible de puiser rapidement dans les effectifs en « alerte Guépard », en métropole, ce qui a permis une montée en puissance rapide des effectifs déployés au Mali. Une compagnie du 2ème Régiment d’infanterie de marine a, par exemple, pu être envoyée le 12 janvier, après seulement huit heures de préparatifs, pour renforcer la protection de l’aéroport de Bamako.
Au-delà de ce premier constat, le professionnalisme et le niveau de compétences des soldats français ont également pu s’exprimer tout au long de l’opération Serval. L’exemple le plus fameux a sans doute été le premier raid offensif aérien mené le 13 janvier au départ de leur base de Saint-Dizier par quatre Rafale, au cours duquel l’armée de l’air a réussi à mener l’opération sans doute la plus complexe de toute l’histoire des forces aériennes françaises avec une durée de 9 h 35, sur plus de 4.000 kilomètres et nécessitant cinq ravitaillements en vol. La qualité du soutien logistique déployé à l’occasion du conflit doit également être soulignée. La consommation quotidienne moyenne de la force Serval représentait 4.500 rations de vivres, 45 m³ d’eau, 10 tonnes de munitions, 30 m³ de carburant terrestre et 200 m³ de carburant aérien. Sous des températures extrêmement élevées, dans un environnement difficile et dans un pays immense au réseau routier peu praticable et aux capacités aéroportuaires réduites, la manœuvre logistique fut particulièrement difficile mais réussie. Ainsi, les conducteurs du bataillon logistique (BATLOG) ont parcouru 2,5 millions de kilomètres, passé 12 heures par jour au volant durant des convois de 8 jours en moyenne, suivis d’une remise en condition de 24 ou 48 heures seulement et, malgré ces difficultés, il n’y a pas eu de rupture dans le soutien(25).
Enfin, l’opération Serval a permis de rappeler que notre pays détient certaines capacités enviées, qu’il est sans doute l’un de seuls au monde à savoir encore mettre en œuvre. Votre rapporteur pense notamment aux compétences en matière d’aérolargage qui ont su être maintenues, au fil des années, et qui se sont révélées très précieuses au Mali. C’est ainsi que dans la nuit du 27 au 28 janvier, une compagnie renforcée du GTIA 4 a été parachutée au nord de Tombouctou pour interdire toute possibilité de fuite tandis que le GTIA 2, débarqué à Dakar, a débuté son mouvement vers Gao, distante de 2.000 kilomètres. Cet aérolargage de nuit de 250 parachutistes avec matériel fut l’opération aéroportée la plus importante depuis l’opération menée à Kolwezi, en 1978. De même, on doit se féliciter du savoir-faire en matière de renseignement. Certes, la France a des lacunes dans ce domaine, notamment en matière de drones comme cela sera évoqué ultérieurement. Malgré tout, la rapidité d’action de nos forces mais aussi l’absence de victimes collatérales et la précision des frappes doivent beaucoup à la qualité du renseignement accumulé tout au long des dernières années. De même, l’opération Serval a confirmé les progrès de l’interarmisation et mis en lumière la faculté de notre outil militaire à mettre en place une intervention d’ampleur significative et complexe associant les trois armées et requérant la plupart de leurs compétences. A cet égard votre rapporteur tient à souligner le rôle précieux joué par la Marine nationale au cours des derniers mois, un rôle malheureusement trop méconnu en raison de la nature essentiellement terrestre des combats. Au cours de l’opération Serval, la Marine a utilisé la plupart de ses composantes : des détachements d’avions de patrouille maritime Atlantique 2, un bâtiment de projection et de commandement (BPC), des détachements de commandos intégrés au commandement des opérations spéciales mais aussi des frégates, des avisos et des équipes de protection embarquées en charge de la protection des navires affrétés pour le transport stratégique. Un avion comme l’Atlantique 2 s’est particulièrement distingué en étant capable de mener des missions de recueil de renseignement au profit du niveau stratégique (mais également au profit du niveau tactique en guidant les convois des troupes au sol ou les forces en action), en procédant à des frappes aériennes (tir de plusieurs bombes avec un guidage par drone Harfang) et en jouant un rôle de coordonnateur et de guidage d’aéronefs (avions et hélicoptères) pour des frappes au sol. Cette opération a également permis de confirmer le rôle du BPC en tant que moyen de transport opérationnel. 500 hommes et 137 véhicules (dont 33 blindés) ont ainsi pu être acheminés en l’espace de 7 jours vers le théâtre d’opérations à partir de la métropole, à des coûts très avantageux par rapport à la projection par voie aérienne.
Outre un savoir-faire particulièrement élevé, l’outil militaire français se caractérise également par sa présence globale.
Les forces de souveraineté, déployées dans les départements, territoires et collectivités d’outre-mer, garantissent la protection du territoire national et des installations stratégiques. Elles contribuent au maintien de la sécurité dans leur zone respective, participent au dialogue régional et concourent à la préservation des intérêts de la France en y maintenant une capacité d’intervention permanente des forces armées.
Le dispositif s’organise autour de trois points d’appui principaux (Guyane, Nouvelle-Calédonie et zone Sud de l’océan Indien) avec deux points d’appui secondaires à dominante maritime (Antilles et Polynésie).
A l’été 2013, les effectifs militaires des forces de souveraineté étaient les suivants (26) :
EMPLOI DES FORCES |
TERRE |
MARINE |
AIR |
TOTAL | |
FAG (Guyane) |
63 |
1261 |
114 |
274 |
1712 |
FAA (Antilles) |
41 |
419 |
371 |
4 |
835 |
FAPF (Polynésie) |
40 |
207 |
339 |
57 |
643 |
FAZSOI (Réunion/Mayotte) |
38 |
663 |
473 |
103 |
1277 |
FANC (Nvelle Calédonie) |
40 |
557 |
300 |
163 |
1060 |
Saint-Pierre et Miquelon |
|
|
11 |
|
11 |
TOTAL |
222 |
3107 |
1608 |
601 |
5538 |
Ces effectifs sont en diminution par rapport à 2012, conformément au schéma directeur de réorganisation des forces de souveraineté qui verra les effectifs poursuivre leur déflation jusqu’en 2020.
Votre rapporteur tient à relever l’importance de notre dispositif militaire en Guyane, lequel est celui qui bénéficie de la plus grosse dotation en personnels. Les unités qui y sont déployées ont la particularité de participer au dispositif interministériel de lutte contre l’orpaillage clandestin (opération HARPIE), à la lutte contre la pêche illicite dans la ZEE (Action de l’Etat en mer) et à la protection du centre spatial de Kourou (opération TITAN).
La France dispose de forces pré-positionnées dans quatre pays : dans trois anciennes colonies d’Afrique avec lesquelles elle est liée par des accords de défense (le Sénégal, Djibouti et le Gabon) ainsi qu’à Abu Dhabi (Emirats Arabes Unis). ).
Ce dispositif répond pertinemment aux objectifs fixés par le Livre blanc. En effet, ce dernier a défini cinq priorités stratégiques pour la France : la protection du territoire national et des ressortissants français, la sécurité de l’Europe et de l’espace nord-atlantique, la stabilisation du voisinage de l’Europe, qui comprend notamment les approches orientales du territoire européen, la Méditerranée et l’Afrique, la mise en œuvre de nos accords de défense au Proche-Orient et dans le Golfe Arabo-Persique et, enfin, la contribution à la paix et à la sécurité dans le monde, notamment dans l’Océan Indien, en Asie, dans le Pacifique et en Amérique latine. Dès lors, les forces prépositionnées contribuent directement à la première de ces priorités, au profit de nos quelques 200.000 ressortissants en Afrique, à la troisième par la capacité de réactivité aux crises qu’elles donnent à la France et en participant également à la formation de 50.000 Africains par an ainsi qu’à l’avant dernière et à la dernière de ces priorités par le biais de notre clause de sécurité avec Djibouti et de notre présence aux Emirats-arabes unis.
Par ailleurs, le Livre blanc souligne que les forces prépositionnées peuvent contribuer à dissuader les acteurs étatiques ou non-étatiques de susciter des conflits ouverts ou de mener des actions de déstabilisation régionale. Elles sont à même de s’engager dans des actions concourant au contrôle des espaces, à la consolidation de la paix ou dans des opérations d’évacuation de nos ressortissants. Elles concourent enfin à la fonction connaissance et anticipation par les moyens spécialisés dont elles disposent comme par le contact qu’elles entretiennent avec les acteurs locaux. Dans cette perspective, le Livre blanc indique que la France s’appuiera sur des déploiements navals permanents dans une à deux zones maritimes, sur la base des Émirats arabes unis et sur plusieurs implantations en Afrique.
LE TABLEAU SUIVANT DRESSE L’ÉTAT DES EFFECTIFS PRÉPOSITIONNÉS EN 2013 :
ÉTATS |
TOTAL |
TERRE |
AIR |
MARINE |
SOUTIEN |
AUTRES |
DJIBOUTI |
2 066 |
745 |
431 |
163 |
339 |
388 |
SENEGAL |
355 |
112 |
24 |
43 |
53 |
123 |
GABON |
954 |
590 |
53 |
0 |
122 |
189 |
EAU |
717 |
335 |
143 |
39 |
63 |
137 |
TOTAL |
4 092 |
1 782 |
651 |
245 |
577 |
837 |
Une fois de plus, votre rapporteur entend souligner l’importance stratégique de notre dispositif pré-positionné. Comme l’a montré l’Opération Serval, c’est un outil précieux dans la lutte contre le terrorisme au Sahel qui permet le déploiement rapide, si nécessaire, d’hommes et de matériels. Au demeurant, maintenir des forces pré-positionnées coûte nettement moins cher que d’affréter, le jour où c’est nécessaire, avions et navires pour ramener des effectifs en nombre suffisant.
Outre les dispositifs permanents en outre-mer et dans les bases prépositionnées, l’armée française est également présente sur trois continents par le biais des opérations extérieures.
Ainsi, s’agissant de ces « OPEX », l’année 2013 a été celle de deux faits majeurs : le retrait de l’essentiel de nos forces en Afghanistan et le déclenchement de l’Opération Serval, au Mali.
EFFECTIFS OPEX
Effectifs moyens année 2013 | |||||||
Zone |
Théâtre |
Opération |
Terre |
Air |
Marine |
Autres (27) |
Total |
Europe |
Kosovo |
TRIDENT |
286 |
4 |
3 |
34 |
327 |
Bosnie |
ALTHEA |
1 |
0 |
0 |
0 |
1 | |
Afrique |
Tchad |
EPERVIER |
584 |
245 |
9 |
74 |
912 |
RCA |
BOALI / MICOPAX |
372 |
6 |
1 |
11 |
390 | |
Côte d’Ivoire |
LICORNE |
516 |
57 |
239 |
40 |
852 | |
ONUCI/CALAO | |||||||
CORYMBE | |||||||
Océan Indien |
ATALANTA (28) |
8 |
1 |
348 |
1 |
358 | |
SAHEL |
SERVAL + MISMA |
3 025 |
721 |
178 |
478 |
4 402 | |
EUTM MALI |
127 |
1 |
0 |
10 |
138 | ||
Asie / PMO |
Liban |
DAMAN |
867 |
13 |
5 |
24 |
909 |
Jordanie |
TAMOUR |
62 |
4 |
1 |
20 |
87 | |
Afghanistan |
PAMIR |
599 |
193 |
321 |
75 |
1 188 | |
HERACLES | |||||||
EPIDOTE | |||||||
Autres opérations |
164 |
7 |
14 |
18 |
185 | ||
Total |
6611 |
1252 |
1119 |
767 |
9749 |
Ce dispositif représente une dépense significative. C’est le « surcoût OPEX », c’est-à-dire la différence entre les coûts du dispositif sur le théâtre et le coût de son équivalent en métropole. Supérieur à 1,2 milliard d’euros en 2011, il a été de 873 millions d’euros à la fin de l’année 2012 et devrait être de 1,257 milliards en 2013, année marqué, bien évidemment par l’Opération Serval qui représente, à elle seule, la moitié des dépenses.
SURCOÛT ANNUEL DES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES (EN MILLIONS D’EUROS)
Zone |
Théâtre |
Opération |
2011 |
2012 |
Prévisions 2013 |
Europe |
Kosovo |
TRIDENT |
47,3 |
39,9 |
35,6 |
Afrique |
Tchad |
EPERVIER |
97,4 |
115,5 |
106,6 |
RCA |
BOALI |
12,6 |
14,3 |
21,5 | |
RCI |
LICORNE) |
64,0 |
63,1 |
65,1 | |
Libye |
HARMATTAN |
368,5 |
- |
- | |
Mali |
SERVAL |
636,5 | |||
EUTM MALI |
10,1 | ||||
Océan Indien |
ATALANTE |
29,4 |
30,1 |
25,5 | |
Asie |
Liban |
DAMAN |
78,6 |
76,3 |
61,6 |
Afghanistan |
PAMIR |
518,3 |
485,3 |
||
HERACLES |
258,6 | ||||
EPIDOTE |
|||||
Autres opérations |
30,4 |
52,7 |
36,2 | ||
Total |
1246,5 |
873,4 |
1257,3 |
Dans le projet de loi de finances pour 2014, le montant de la provision budgétaire pour financer les opérations extérieures est de 450 millions d’euros, un montant en baisse par rapport aux années précédentes puisqu’il était stabilisé à 630 millions d’euros depuis 2011. Le financement résiduel des « surcoûts OPEX » – qui, on l’a vu, sera significatif en 2013 – fait l’objet d’un abondement interministériel.
Il convient de noter que, sur la période 2012-2013, le coût global du retrait d’Afghanistan est estimé à environ 115 millions d’euros, comprenant les affrètements de vecteurs aériens gros porteurs, les transports de surface par voie ferrée, routière et maritime. Aussi le calendrier du rapatriement complet des matériels a-t-il été allongé jusqu’en novembre 2013 afin d’exploiter au maximum l’ouverture de ces voies terrestres qui présentent des coûts de transport relativement plus faibles que les voies aériennes utilisées jusqu’à présent.
Comme votre rapporteur l’avait déjà souligné l’an passé, le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Alliance atlantique n’a pas eu les conséquences funestes avancées par certains à l’époque où cette décision fut prise par le Président Sarkozy. Notre souveraineté n’a pas été entamée et n’a pas empêché le retrait anticipé de nos forces combattantes d’Afghanistan. Sur le plan fonctionnel, notre pays a obtenu, lors des négociations pour la nouvelle NATO Command Structure (NCS), 13 postes d’officiers généraux, soit un niveau égal à celui du Royaume-Uni. Un commandement suprême, celui de la « Transformation », est même confié à un Français depuis 2009(29).
Sur le plan opérationnel, notre pays est assurément l’un des plus « capables » de l’OTAN alors que bon nombre de nos alliés se reposent essentiellement sur les États-Unis, protection dont votre rapporteur a montré l’incertitude eu égard au redéploiement de la stratégie américaine en direction de l’Asie. Notre pays conserve un large spectre de compétences contrairement à plusieurs États membres qui ont aujourd’hui complétement délaissé certaines capacités. C’est par exemple le cas du Royaume-Uni qui, depuis plusieurs années, ne dispose plus de groupe aéronaval et qui, depuis 2010, n’a plus d’avions de patrouille maritime avec le retrait des Nimrod MR2 de la Royal Air Force et l’abandon du programme Nimrod MRA4. Notre pays, lui, dispose encore de ces outils et, en dépit de ses lacunes, est aujourd’hui un acteur majeur de l’Alliance comme il l’a montré lors de l’intervention en Libye au Printemps 2011. Celle-ci, dans la foulée du retour de la France dans le commandement intégré, a profondément marqué nos alliés pour qui, notre pays, est désormais un partenaire fiable et de premier plan. A cet égard, la décision de participer à l’exercice Steadfast Jazz 2013 en novembre en Pologne et dans les Pays Baltes en y envoyant 1.200 militaires – contre à peine une compagnie pour les États-Unis et aucun soldat pour l’Allemagne – doit être salué à sa juste mesure.
En ce qui concerne la « smart defence » – le programme de mutualisation et de partage des capacités, de définition des priorités et de meilleure coordination des efforts de chacun –, la France est elle aussi un allié qui répond présent. Elle est engagée dans 18 des 28 projets lancés et assure la direction de deux d’entre eux (« logistique carburant » et « capacités médicales »), qui progressent normalement. Elle est de surcroît partie prenante de 12 parmi les 54 projets en attente de lancement.
Au mois d’avril dernier, en pleine Opération Serval, un journaliste canadien anglophone réputé se demandait s’il y avait une armée européenne. Sa réponse fut toute simple « Guess what, it’s the French »(30). La réponse est osée et sans doute exagérée mais non dénuée de fondements. Force est de constater qu’aujourd’hui, notre pays occupe une place prépondérante dans le paysage militaire européen.
Au-delà du large spectre de capacités mis en œuvre par notre outil militaire et déjà évoqué par votre rapporteur, il faut souligner que la France est l’un des États qui est les plus prompts à utiliser, lorsqu’elle l’estime nécessaire, la force militaire. Cela tient bien sûr aussi bien à la qualité des moyens mis en œuvre par nos forces qu’aux instruments juridiques qui font qu’en France, une opération peut être déclenchée immédiatement par l’exécutif alors que, dans d’autres États, les règles constitutionnelles ou législatives imposent un processus spécifique peu compatible avec la nécessaire réactivité qui prévaut dans le domaine militaire. Notre pays sait faire preuve, aussi, de volonté. Une fois de plus, l’exemple malien est flagrant : avec l’opération Serval, la France a aidé un pays agressé qui l’avait appelée à l’aide et, par là même, a participé au combat contre une menace – le terrorisme djihadiste – qui concernait également l’Europe toute entière. En un sens, pour certains, en intervenant, en janvier dernier, au Mali, la France a peut-être fait ce que l’Europe aurait dû faire si elle en avait été capable. Il y a sans doute, ici, du vrai même si votre rapporteur tient à souligner la précieuse aide apportée par certains États membres de l’Union européenne dès le déclenchement de l’opération Serval. Ces contributions ont pu sembler modestes au premier abord mais se sont pourtant révélées très précieuses. Ainsi, la Belgique et le Danemark, se sont particulièrement distingués. La première en fournissant deux avions C-130 et deux hélicoptères Augusta pour l’évacuation médicale, et ce, sans demande de contrepartie financière. Le second a fourni, lui aussi sans contrepartie et sans aucune restriction d’emploi, un avion de Transport aérien tactique un C-130J qui, du 17 janvier au 15 mai 2013, effectua plus de 200 vols. Dans le prolongement de l’Opération Serval, la France s’est également distinguée en étant la Nation cadre de la mission EUTM-Mali, déjà citée par votre rapporteur. Notre pays a été le premier contributeur de la mission avec 209 postes (sur 551), dont 67 instructeurs ou conseillers et 95 militaires déployés au titre de la Force de protection. Notre participation a été réduite à l’été 2013 à hauteur de 112 personnes (abandon de la Force de protection et de certains postes au quartier général, à Bamako).
Par ailleurs, notre pays est l’un des plus ardents partisans de l’Europe de la Défense. Plusieurs projets furent ainsi lancés ou relancés par la Présidence française de l’Union européenne, en 2008, notamment, l’Erasmus militaire, une initiative européenne pour les échanges de jeunes officiers inspirée d’Erasmus. Votre rapporteur tient aussi à souligner la contribution française à l’EATC, le commandement européen commun qui regroupe quatre pays européens (Allemagne, Belgique, France, Pays Bas) et a été inauguré, le 1er septembre 2010, sur la base néerlandaise d’Eindhoven. Comprenant 160 personnes, il est commandé par un général français jusqu’en 2015, date à laquelle un général allemand lui succèdera. L’EATC est chargé d’harmoniser la préparation, la mise en œuvre et l’emploi des capacités de transport aérien militaire (tactique et stratégique) des quatre pays. Il a atteint sa première capacité opérationnelle en mai 2011 et sa capacité en 2013 même s’il n’a pas été beaucoup sollicité à l’occasion de l’opération Serval, en raison de la complexité des procédures, peu compatible avec le tempo opérationnel. Pour autant, cet outil existe et est d’ores et déjà un exemple réussi de pooling and sharing auquel la France est le principal contributeur.
Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019, à l’instar des précédents, fixe des contrats opérationnels aux armées.
Les missions permanentes évoluent peu. Par exemple, la dissuasion conserve ses deux composantes (océanique et aéroportée) et la fonction de protection – c’est à dire celle qui vise notamment à garantir l’intégrité du territoire et à assurer une protection efficace contre l’ensemble des risques et des menaces – continuera d’être assurée dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui avec, en cas de crise majeure, la possibilité de renforcer les forces de sécurité par 10.000 hommes des forces terrestres ainsi que des éléments aériens et maritimes adaptés. De même, le projet de loi de programmation militaire prévoit un échelon national d’urgence de 5.000 hommes en alerte qui permettra le déploiement d’une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de 2.300 hommes à 3.000 km du territoire national, dans un délai de 7 jours. Cette FIRI s’apparente à la somme des dispositifs Guépard, Tarpon et Rapace qui existent aujourd’hui dans chacune des trois armées. En revanche, en ce qui concerne la Marine nationale, le Livre blanc et le projet de loi de programmation militaire consacrent une diminution sensible des ambitions en prévoyant que la France s’appuiera sur des déploiements navals permanents dans une ou deux zones maritimes. L’état-major des armées va, par conséquent, devoir faire des choix. Il ne sera plus possible de faire, en même temps, telle mission « et » telle autre. Le « ou » alternatif sera désormais la règle.
Au niveau des missions non permanentes, la réduction du format des forces provoque un resserrement des contrats opérationnels comme le montre le tableau suivant qui a trait aux capacités de la fonction « intervention » :
PRINCIPALES DIFFÉRENCES ENTRE LES CONTRATS OPÉRATIONS POUR LA FONCTION « INTERVENTION »
LPM 2009-2014 |
LPM 2014-2019 | |
Opération de gestion de crise (31) |
Opération majeure de coercition (32) | |
Forces terrestres : | ||
Projection d’environ 30 000 hommes en 6 mois, pour une durée d’un an, sans renouvellement. Missions possibles : toute la gamme allant de l’opération majeure à l’opération d’ampleur limitée, mais à réaction très rapide, ou à une opération de stabilisation de longue durée. |
Envoi de forces spéciales et d’un soutien; 6 000 à 7 000 hommes (avec engins blindés à roues, chars médians, moyens d’appui feu et d’organisation du terrain, hélicoptères d’attaque et de manœuvre) |
Envoi de forces spéciales ; Possibilité de déployer 2 brigades interarmes représentant environ 15 000 hommes. |
Forces aériennes : | ||
Capacité de projection de l’ordre de 70 avions de combat. Capacité de projeter une force de 1 500 hommes à 7-8 000 km en quelques jours,. |
Une douzaine d’avions de chasse, répartis sur les théâtres d’engagement. |
Jusqu’à 45 avions de chasse incluant les avions de l’aéronautique navale. |
Forces navales : | ||
Déploiement du groupe aéronaval, lorsque le porte-avions sera disponible, avec son groupe aérien complet et le nombre de frégates d’escorte, ainsi que les sous-marins nucléaires d’accompagnement nécessaires. Disponibilité de un ou deux groupes navals, amphibie ou de protection du trafic maritime, pour des missions d’intervention ou de présence. |
Une frégate, un groupe bâtiment de projection et de commandement, un sous-marin nucléaire d’attaque en fonction des circonstances |
Le porte-avions, deux bâtiments de projection et de commandement, un noyau clé national d’accompagnement à base de frégates, d’un SNA et d’avions de patrouille maritime ; moyens permettant d’assurer les fonctions de commandement, de renseignement et de logistique de l’opération (transport, santé, essence, munitions, stocks de rechanges). |
Ce tableau parle de lui-même. « La France, grand pays de tradition militaire, forte de 65 millions d'habitants, ne sera désormais en mesure de participer à une opération majeure en coalition qu'à hauteur de 15.000 hommes et de 45 avions ! C'est-à-dire rien. Avant le Livre Blanc 2008, nous étions encore supposés nous engager avec 50.000 hommes et 100 avions ; depuis, nous étions tombés à 30.000 hommes et 70 avions. Le fait est là : dans les interventions conventionnelles en coalition, nous sommes revenus à nos capacités de la 1ère guerre du Golfe en 1991, capacités tant vilipendées alors pour leur insignifiance. Au sein d'une coalition, nous n'aurons plus désormais ni effet, ni influence stratégique. Nous ne serons plus à l'avenir qu'un partenaire mineur, une « proxy force » » (33).
L’ensemble des personnalités rencontrées par votre rapporteur sont formelles : si la loi de programmation militaire à venir n’est pas respectée intégralement, notre outil militaire va au-devant de graves difficultés qui, inéluctablement, provoqueront une rupture radicale dans le savoir-faire et les capacités de nos armées.
Votre rapporteur tient ainsi à citer l’exemple de la préparation opérationnelle de nos soldats. L’entrainement fonde la valeur opérationnelle d’une force militaire. Il détermine aussi la capacité de notre armée à œuvrer, avec des partenaires étrangers, dans le cadre de coalitions internationales. Or, force est de constater que cette préparation est dans une situation fort préoccupante depuis de nombreuse années.
Dans l’armée de terre, le taux d’activité a été, jusqu’ici, évalué en JPAO (34) et, s’agissant des pilotes de l’ALAT, en heures de vol (HdV). La LPM 2009-2014 prévoyait une norme à 150 JPAO et à 180 HdV (simulation comprise) par an. Cet objectif s’inscrivait dans la perspective d’un engagement maximal des forces. Dans les conditions du moment, cette cible a été fixée en 2010 autour de 120 jours puis réévaluée régulièrement pour garantir la capacité d’intervention d’urgence de 5 000 hommes et l’exécution des opérations en cours ou prévisibles. Si nécessaire, la mise en condition dans les 6 mois impartis des unités destinées à assurer le contrat « 30.000 hommes » aurait nécessité un effort de préparation opérationnelle global de l’armée de terre pour atteindre la cible de 150 jours. Les conditions d’engagement des forces et les contraintes financières sur l’entretien programmé des matériels (EPM) et l’activité ont ainsi conduit à ramener la prévision de cette norme à 111 JPAO en 2012 (78 JPO + 33 JAO) et à 105 en 2013 (83 JPO + 22 JAO).
Dans la Marine nationale, les indicateurs de l’entrainement sont les jours de mer par bâtiment et les heures de vol pour les pilotes de l’aéronavale. Comme pour l’armée de l’air, ces indicateurs, dans l’ensemble, ne sont pas satisfaisants et demeurent globalement en deçà des « normes » prévues.
Au-delà de considérations budgétaires, ces carences s’expliquent par le manque de disponibilité de certains matériels (35) mais aussi par l’impact des opérations extérieures, lesquelles nécessitent la mobilisation de nombreuses ressources au détriment des moyens disponibles pour les sessions d’entrainement. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’armée de l’air.
Face à cette situation, le Livre blanc consacre un principe de différenciation des forces en fonction des missions qu’elles sont appelées à remplir. Il « consiste à équiper et entraîner prioritairement les forces de protection du territoire, les forces d’accompagnement de nos moyens de dissuasion, les forces de gestion de crise et les forces de coercition en fonction des exigences propres à leur mission et à les rendre ainsi plus performantes dans leur domaine d’action. Il s’agit également d’appliquer un principe d’économie en ne finançant les capacités les plus onéreuses ou les plus modernes que là où elles sont indispensables, notamment au bénéfice des forces prévues pour affronter des acteurs de niveau étatique. La définition de ce noyau critique est essentielle pour le renouvellement et la modernisation de nos équipements »(36). Ce principe d’adaptation des forces aux missions n’est pas nouveau et les armées y ont recours depuis longtemps. Toutefois, le contexte budgétaire actuel oblige désormais à en étudier les déclinaisons les plus poussées. Il devrait s’appliquer à travers la constitution de capacités opérationnelles spécifiquement dimensionnées et préparées. Votre rapporteur ne doit pas cacher sa crainte que, poussé encore plus loin qu’il ne l’est aujourd’hui, ce principe de différenciation ne crée une armée à deux vitesses qui distinguerait les « seigneurs » des « valets ». Les guerriers seraient envoyés dans les opérations extérieures et les autres seraient cantonnés à la Métropole et chargés de la protection du territoire dans le cadre du plan Vigipirate. Une telle évolution serait catastrophique. Elle « aurait des influences énormes sur le moral et sur le recrutement » et « serait extrêmement discriminant »(37).
Le recours à ce principe de différenciation doit notamment permettre un relèvement des principaux indicateurs du niveau d’entraînement et ainsi, de ne pas conduire à la révision à la baisse de ceux-ci au cours de la programmation comme cela a pu être le cas ces dernières années. Le rapport annexé à la LPM fixe ainsi des « normes » semblables à celle de la LPM 2009-2014 (38)et dispose que celles-ci devront être atteintes à partir de 2016, au fur et à mesure de la réalisation du nouveau modèle d’armée. 2014 et 2015 seront donc des années de redressement mais resteront en deçà des normes. La situation est loin d’être idéale mais les états-majors sont prêts à y faire face. En revanche, un non-respect de la trajectoire budgétaire de la LPM viendrait assurément remettre en cause cet objectif de remise à flot du niveau de préparation opérationnelle. Une armée qui, selon une formule largement répandue dans les milieux militaires, est déjà « à l’os » ne saurait exercer ses missions les plus élémentaires si ses moyens sont encore amputés. Il est impératif que la LPM soit parfaitement exécutée et que les budgets votés annuellement ne soient pas en partie gelés dès la promulgation des lois de finances initiales comme c’est trop souvent le cas de nos jours.
Comme votre rapporteur l’a précédemment souligné, le projet de loi de programmation militaire prévoit un léger redressement du budget des armées à partir de 2017 : stabilisé, en valeur, à 31,38 milliards d’euros pour les exercices 2014 à 2016, les ressources totales devraient être de 31,56 milliards d’euros en 2017, de 31,78 milliards d’euros en 2018 et de 32,51 milliards d’euros en 2019.
Assurément, ce scénario budgétaire suscite des interrogations. Votre rapporteur ne peut que constater que, traditionnellement, les lois de programmation budgétaires prévoient une telle trajectoire qui est ensuite méconnue par les lois de finances ultérieures. La précédente loi de programmation militaire est dans ce cas. Dans un contexte de crise économique qui n’avait pas été envisagé lors de l’élaboration du Livre blanc de 2008, la réalisation de la LPM 2009-2014 a été compliquée. Si, sur la période 2009-2011, elle a été respectée à 98 % (ce qui correspond à moins de 2 milliards d’euros d’écart sur ces trois années), ce qui a permis de poursuivre les efforts en faveur des équipements, d’engager la transformation des structures du ministère de la défense, de revaloriser la condition du personnel et d’engager la réduction du format des armées, à partir de 2011, la trajectoire du budget de la défense a commencé à dévier plus sérieusement de celle prévue par la LPM sous l’effet de la pression exercée par l’obligation de redresser les comptes publics.
Le bilan d’exécution de la LPM 2009-2014 figure dans le tableau ci-dessous (39) :
Un autre pari sur lequel repose la construction budgétaire de la loi de programmation militaire est l’abondement, à hauteur de 6,1 milliards d’euros, de ressources exceptionnelles pour compléter le montant total des ressources du ministère de la défense :
Afin d’atteindre ces montants, les ressources exceptionnelles seront composées, sans que cela soit exhaustif :
- de l’intégralité du produit de cessions d’emprises immobilières utilisées par le ministère de la défense ;
- d’un nouveau programme d’investissements d’avenir (PIA) au bénéfice de l’excellence technologique de l’industrie de défense ;
- du produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences comprise entre 694 et 790 MHz ;
- des redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquences déjà réalisées lors de la précédente loi de programmation militaire ;
- le cas échéant, du produit de cessions additionnelles de participations d’entreprises publiques.
Sorte de « clause de sauvegarde » qui n’aura pas de valeur contraignante pour les lois de finances à venir, le rapport annexé à la loi de programmation militaire indique que d’autres ressources exceptionnelles seront mobilisées s’il apparaît que le produit de celles-ci est insuffisant ou n’interviendrait que dans un calendrier incompatible avec la programmation.
Votre rapporteur est plus que réservé sur de telles prévisions qui concernent des ressources indispensables pour « boucler le budget » tel que prévu par la loi de programmation militaire. Là aussi, le passé ne plaide pas en faveur de ce type de montage. La précédente LPM prévoyait, sur la période 2009-2014, un montant total de recettes exceptionnelles de près de 3,5 milliards d’euros courant. Il s’agissait de recettes exceptionnelles issues des cessions immobilières mais aussi des cessions de bandes de fréquences. S’agissant des premières, les prévisions de cessions 2009, 2010 et 2011 de la LPM 2009-2014 n’ont pas été atteintes conduisant à un décalage des encaissements jusqu’en 2015. Cela tient à plusieurs raisons, notamment des contraintes calendaires et des appels d’offres infructueux. En ce qui concerne les secondes, alors qu’elles étaient prévues dès 2009 en LPM, les premières recettes n’ont été perçues qu’en 2011 et, au total, elles auront rapporté 2,256 milliards d’euros au ministère de la défense.
L’architecture budgétaire établie par la LPM prévoit une nette diminution du rythme de livraison des avions Rafale : sur la période 2014-2019, seuls 26 avions seront livrés à nos forces, soit un rythme de livraison bien inférieur au 11 avions par an qui étaient, jusqu’alors, jugés nécessaire pour maintenir l’existence d’une chaîne d’assemblage pleinement opérationnelle.
En fait, le gouvernement fait le pari de l’export et estime que les ventes de l’avion à des armées étrangères permettront « d’atteindre une cadence de production satisfaisante »(40). Ce pari est osé eu égard aux difficultés rencontrés, jusqu’ici, pour exporter le Rafale.
Plus que jamais, l’exécution de cette loi sera un enjeu majeur de notre politique de défense dans les prochaines années. Si son rapport annexé prévoit une « clause de revoyure » fin 2015 pour « vérifier, avec la représentation nationale, la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi et les réalisations », il sera indispensable d’assurer un suivi sourcilleux de l’exécution du texte.
Comme il l’a souligné, votre rapporteur redoute fortement qu’aucune des hypothèses budgétaires incertaines sur lesquelles repose l’architecture du projet de loi de programmation militaire 2014-2019 ne se réalisent. Il est donc fort probable que le modèle d’armée pour 2025 qu’il propose ne soit jamais tenu. Sans réel choix politique en faveur de la défense – un choix se traduisant par un investissement budgétaire bien plus important qu’il ne l’est aujourd’hui – on peut craindre que l’armée française bascule rapidement vers un modèle qui n’aura plus rien à voir avec nos prétentions, avec notre rang de membre permanent du Conseil de sécurité et de puissance présente sur tous les continents et tous les océans et à la tête du deuxième domaine maritime mondial.
La fin de la présente décennie restera-t-elle dans l’Histoire comme celle de celle de notre déclassement ? Notre pays devra-t-il faire des choix radicaux quant à ses capacités ? Faudra-t-il, par exemple, abandonner notre porte-avions nucléaire comme certains l’ont sérieusement envisagé au printemps dernier au sein de la commission sur le Livre blanc ? La dissuasion nucléaire sera-t-elle maintenue ? Elle fait aujourd’hui l’objet d’un consensus relativement large mais qui peut prédire que nous serons en mesure de la conserver ? Si oui, cela se fera-t-il en sacrifiant définitivement nos forces conventionnelles, faisant de la France une sorte de « Suisse nucléaire » désormais incapable de se projeter au-delà de ses frontières ?
Votre rapporteur ne souhaite pas une telle évolution. Mais force est de constater que notre pays est aujourd’hui confronté à un risque très élevé de perte de capacités militaires rares, précieuses et indispensables et, par là même, de subir un décrochage stratégique majeur.
Le budget 2014 de la défense est le premier à mettre en œuvre la loi de programmation militaire 2014-2019… quand bien même celle-ci n’est pas encore votée. C’est là une situation regrettable mais l’honnêteté conduit votre rapporteur à concéder qu’il en a déjà été de même, par le passé, alors que l’actuelle opposition était au pouvoir.
Comme indiqué précédemment, ce budget repose sur le principe de la reconduction des budgets de la défense 2012 et 2013, à hauteur de de 31,4 milliards d’euros. En effet, aux crédits budgétaires, s’ajoutent, en 2014, 1,767 milliards d’euros ressources exceptionnelles, pour aboutir à un total de 31,39 milliards d’euros hors pensions soit le montant prévu par le projet de loi de programmation militaire.
La mission défense comprend cinq programmes soit un de plus que l’an passé.
● Le programme n° 144 (« environnement et prospective de la défense ») « rassemble l’ensemble des actions contribuant à éclairer le ministère [de la défense] sur son environnement présent et futur, dans le but d’élaborer et de conduire la politique de défense de la France » (41). Il contient notamment les crédits des services de renseignement et de la diplomatie de défense. Placé sous la responsabilité du directeur des affaires stratégiques, ce programme est, après le programme 402(42), le moins volumineux de la mission. D’une manière générale, le programme 144, hors titre 2, connaît une quasi stabilité de ses autorisations d’engagement (-1,07 %) et une hausse de 5% en crédits de paiement, dans le but d’atteindre ses deux principaux objectifs stratégiques : le renforcement de la fonction renseignement au sein de la mission « Défense » et la poursuite des efforts en matière de recherche de défense(43).
● Le programme n° 178 (« préparation et emploi des forces ») est sous la responsabilité du chef d’état-major des armées. Il constitue le cœur de la mission « Défense » et en porte la finalité opérationnelle. Il contient, entre autres, les crédits de la préparation des trois armes (armée de terre, marine et armée de l’air), ceux de la « logistique » et du « soutien interarmées » ainsi que la prévision du « surcoût Opex ». C’est le principal programme de la mission défense puisqu’il regroupe plus de la moitié de ses moyens. Il prend une part sensible aux efforts d’économies comme votre rapporteur va avoir l’occasion de le souligner ultérieurement puisque ses crédits sont en baisse par rapport à 2014, tant en engagements (-1,6 %) qu’en paiements (-1 %). Par exemple, au titre du projet de loi de finances pour, un effort d’économie de plus de 70 millions d’euros a été effectué par le programme 178 sur les dépenses de fonctionnement par rapport à la loi de finances pour 2013. Cet effort est principalement axé sur l’alimentation, le carburant opérationnel, la compensatrice SNCF, la mobilité des personnels et la communication. De même, s’agissant de la provision pour dépenses liées aux opérations extérieures, celle-ci est de 450 millions d’euros, comme votre rapporteur a déjà eu l’occasion de le préciser alors qu’elle était de 630 millions d’euros en 2013. Cette diminution de la prévision prend en considération la réduction du volume des forces que représente le modèle défini par le Livre blanc et est également cohérente avec la moyenne observée ces dernières années sur les OPEX autres que celles d’ampleur exceptionnelle (452 millions d’euros en moyenne entre 2006 et 2012).
● Le programme n° 212 (« soutien de la politique de la défense »), sous la responsabilité du secrétaire général de l’administration du ministère de la défense, assure le soutien général du ministère afin de permettre aux autres composantes de se consacrer à leur cœur de métier. Il regroupe les grandes fonctions transversales exercées, par exemple, par le contrôle général des armées et la plus grande partie des directions du secrétariat général pour l’administration. Il représente un peu moins de 10 % des crédits de la mission Défense. Par rapport à 2013, les autorisations d’engagement et crédits de paiement sont respectivement en hausse de 2,7 et 5,9 %. Le programme 212 s’est attaché à respecter l’objectif gouvernemental de réduction, en 2014, des dépenses de fonctionnement malgré l’existence de dépenses incompressibles. Les efforts se sont principalement portés sur les fonctions support et les subventions pour charges de service public des opérateurs.
● Le programme n° 146 (« équipement des forces »), co-piloté par le chef d’état-major des armées et par le délégué général pour l’armement, « vise à mettre à disposition des armées les armements et matériels nécessaires à la réalisation de leurs missions » et « concourt au développement et au maintien des savoir-faire industriels français ou européens » (44). En ce qui concerne les crédits de paiement, ceux prévus pour 2014 sont en diminution par rapport à 2013 (10,29 contre 10,94 milliards d’euros) en raison, notamment, de l’augmentation de la part des ressources exceptionnelles dans le budget 2014, qui passent de 1 milliard d’euros en 2013 à 1,5 milliards en 2014. En revanche, s’agissant des autorisations d’engagement, les moyens inscrits connaissent une nette augmentation, de l’ordre de 21,3 % alors qu’on avait assisté à une diminution de 14,4 % entre 2012 et 2013. Cette variation s’explique principalement par le lancement de la réalisation d’équipements majeurs (4ème Barracuda, Scorpion, MRTT) et des compléments sur des programmes lancés antérieurement (ATL2 etc.)
● Le programme n° 402 (« excellence technologique des industries de défense ») n’était pas dans la mission « Défense » l’an passé. Il s’inscrit dans le cadre du nouveau programme d’investissements d’avenir (PIA) d’un montant global de 12 milliards d’euros annoncé par le Premier ministre le 9 juillet 2013. Il vise à développer la recherche et la technologie dans les domaines des applications défense de l’énergie nucléaire et de l’observation spatiale.
Le tableau suivant retrace l’évolution des crédits de la mission défense, par programme, entre 2013 et 2014 :
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION DÉFENSE ENTRE 2013 ET 2014
(en millions d’euros)
Programmes |
AE |
CP | ||||
LFI 2013 |
PLF 2014 |
Variation |
LFI 2013 |
PLF 2014 |
Variation | |
144 – Environnement et prospective de la politique de défense |
1982,7 |
1979,5 |
-0,2% |
1905,3 |
1979,4 |
+3,9% |
178 – Préparation et emploi des forces |
23 059 |
22 689 |
-1,6% |
22 433 |
22 203 |
-1% |
212 – Soutien de la politique de la défense |
3 507,8 |
3 602,9 |
+2,7 % |
2 846,9 |
3 015 |
+5,9 % |
146 – Équipement des forces |
10 055,1 |
12193,2 |
+21,3 % |
10 939,1 |
10 289,4 |
-5,9% |
402 – Excellence technologique des industries de défense (Nouveau) |
1 500 |
- |
1 500 |
|||
Total pour la mission |
38 604,7 |
41 965,1 |
+8,7 % |
38 124,2 |
38 987 |
+2,3 % |
Source : Ministère de la Défense
Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit la suppression brute de 7.952 emplois dont 7.139 sur le programme 178. Cette déflation devrait contribuer à réaliser des économies évaluées à 226,8 millions d’euros au PLF 2014 et à 201,2 millions d’euros sur le seul programme 178.
Bien évidemment ce chiffre de près de 8.000 emplois supprimés n’a rien d’abstrait et doit maintenant être répercutés sur le terrain. Il appartient désormais à l’exécutif de procéder à des fermetures d’implantations militaires et/ou au transfert d’unités, en adéquation avec le nouveau format des armées, la mise en œuvre de mesures de rationalisation et d’optimisation des structures et des fonctions d’administration et de soutien et, par voie de conséquence, une modification de l’actuel plan de stationnement des forces.
Le 3 octobre dernier, le ministère de la défense a annoncé les premières mesures de restructuration.
Pour l’armée de terre a été décidée la dissolution du 4ème régiment de dragons stationné à Carpiagne et le transfert dans cette ville du 1er régiment étranger de cavalerie, stationné actuellement à Orange. Au-delà de l’impact que peut avoir, au niveau local, le départ d’une unité, c’est d’abord la perte d’un régiment, en France, qu’on doit déplorer.
Pour l’armée de l’air, le ministère de la défense a annoncé la fermeture du détachement air de Varennes-sur-Allier entre l’été 2014 et l’été 2015, la fermeture de la plateforme aéronautique de la base aérienne 102 de Dijon-Longvic à l’été 2014 et du regroupement programmé des Alphajet sur Cazaux ; la dissolution de l’escadron de défense sol-air de la base aérienne 116 de Luxeuil à l’été 2014 et la transformation de la structure de commandement de la base aérienne de Châteaudun en élément air rattaché de la base aérienne d’Orléans-Bricy et une réduction des effectifs des formations stationnées sur ce site.
En interarmées, la Direction du renseignement militaire (DRM), localisée à Creil, sera transférée à Balard dans la perspective du projet de regroupement des états-majors, directions et services sur un site unique. Dans le cadre du projet de rationalisation et de mise en cohérence de l’organisation territoriale des soutiens, les États-majors de soutien défense (EMSD) sont dissous à l’été 2014 : cette mesure tiendra compte toutefois des besoins de coordination régionale pour certaines fonctions ou spécifiques à l’armée de terre.
Pour accompagner ces restructurations, le Gouvernement a annoncé plusieurs mesures dont une enveloppe de 150 millions d’euros en faveur des territoires les plus touchés afin de financer la reconversion des sites et des projets de développement. De même, le dispositif de cession à l’euro symbolique de certaines emprises libérées par la Défense sera reconduit pour les collectivités les plus fortement affectées. Il sera étendu aux établissements publics fonciers. Un préfet, monsieur Henri Masse, a été nommé délégué ministériel à la mise en œuvre territoriale de la réforme pour coordonner l’ensemble des actions conduites par le ministère de la Défense au titre de l’accompagnement territorial des restructurations.
En ce qui concerne les futures réorganisations, celle de la période 2015-2019, le ministère de la défense estime qu’il « est prématuré de se prononcer sur les mesures de réorganisation qui seront nécessaires » et assure que « le choix des régiments, bases aériennes ou structures administratives devant être conservés, transférés ou dissous résultera d’une analyse multicritères prenant en compte des considérations d’ordre opérationnel (respect des contrats opérationnels…) ou budgétaire (réduction des coûts de fonctionnement par mutualisation des soutiens ou densification des emprises par exemple) (…) avec le souci constant de l’aménagement du territoire » (45). Votre rapporteur estime que c’est bien là un minimum et il serait inconcevable que de telles décisions soient prises à la légère. Néanmoins, et à la suite de ses propos sur les difficultés inhérentes à la condition des militaires, il tient à rappeler une fois de plus le malaise que créé la situation actuelle sur les personnels et leurs familles. Il est désormais impossible de faire des projets d’avenir lorsqu’on ne sait pas quel sera son sort à l’horizon d’un an. Cette situation nuit au moral des armées, d’autant plus que ce manque de visibilité est propice à la rumeur. La presse, par exemple, a déjà émis des hypothèses sur les fermetures à venir. Cette situation n’est pas saine.
Le président François Hollande s’étant très tôt placés dans le sillage de ses prédécesseurs en rappelant fermement que la dissuasion ne serait pas remise en cause, le Livre blanc n’est pas revenu sur cet outil et sur le maintien de deux composantes pour répondre au besoin de complémentarité des performances et des modes d’action, et pour se prémunir d’une surprise opérationnelle ou technologique.
Le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire stipule que la période 2014-2019 sera marquée à la fois par la poursuite de la modernisation des composantes et par la préparation de leur renouvellement. Dans les 5 ans à venir, il est ainsi prévu que la composante océanique bénéficie de la livraison de nouveaux Missile M51.2, de l’adaptation de deux SNLE NG au missile M 51 et des lancements des travaux d’élaboration du sous-marin nucléaire lanceur d’engin de 3° génération (SNLE 3G) et du développement de la future version du missile M 51 (M 51.3). L’année 2014 verra aussi une mise à niveau de ses moyens et de ses installations. En ce qui concerne la composante aéroportée, la modernisation de la composante aéroportée sera poursuivie, notamment par la livraison de Rafale permettant la transformation, en 2014, du second escadron nucléaire et le lancement des travaux de rénovation à mi-vie du missile ASMP-A et des études technologiques de son successeur. Par ailleurs, – votre rapporteur aura l’occasion d’y revenir par la suite – le remplacement des ravitailleurs C 135 sera lancé l’an prochain avec, à terme, l’acquisition d’une flotte de 12 MRTT. Les Transmissions nucléaires, elles, feront l’objet de mesures de modernisation touchant principalement les réseaux de longue portée et durcis pour les deux composantes. Enfin, le programme de simulation sera poursuivi, avec la mise en service du Laser MÉGAJOULE en 2014 et la poursuite de la coopération franco-britannique dans le cadre du traité de Lancaster House.
Dans le projet de loi de finances, les crédits de deux des trois services de renseignement militaire – la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) – sont retracés dans l’action 3 du programme « environnement et prospective de la défense ». Dans l’ensemble, les moyens alloués à cette action 3 connaissent une baisse de 7,8 % en autorisations d’engagement et une augmentation de 7 % en crédits de paiement, soit un montant de respectivement 682 millions d’euros et 744 millions d’euros.
Le renseignement extérieur voit son rôle réaffirmé, au-delà des seules nécessités militaires ou strictement sécuritaires. La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) voit ses ressources humaines et financières augmenter en vue d’améliorer ses capacités en matière de prévision des menaces, d’appui au processus de décision en matière de défense et de sécurité nationale, enfin d’action extérieure. Une telle évolution est loin d’être inutile au regard de la charge de travail croissante du service. Un exemple a particulièrement frappé votre rapporteur : il y aurait aujourd’hui un vivier de 300 djihadistes ou ex-djihadistes français combattants en Syrie ou passés par ce pays. Surveiller cette population exige des ressources et, avec la DGSI, la DGSE est en première ligne et doit être soutenue. Ainsi, les crédits de paiement qui lui sont accordés sont en augmentation de 17,7 %, hors titre 2, par rapport à la loi de finances initiale pour 2013. Dans ce cadre, l’effort d’investissement dans le domaine du renseignement technique constitue un axe majeur de sa programmation. Ainsi, les crédits dévolus aux investissements de la DGSE progressent de 60 %. Au niveau du personnel, la DGSE comprend aujourd’hui d’environ 5.100 agents (hors service action) et devrait en accueillir 285 de plus au cours de la prochaine programmation. C’est certes une augmentation deux fois moindre que celle obtenue à l’issue du Livre blanc de 2008 mais il s’agit, malgré tout, d’un effort appréciable qu’il convient maintenant de concrétiser en procédant à des recrutements adéquats et correspondants aux besoins.
Concernant le renseignement de sécurité de défense, la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) – dont la dotation pour 2014 s’élève, hors titre 2, à 11,40 millions d’euros en autorisations d’engagement et en paiement – contribue à l’effort budgétaire de l’État à travers l’application de mesures d’économies structurelles. En effet, la dotation 2014 est en diminution de 4% par rapport au budget de l’an passé. En revanche, ses effectifs sont stabilisés à hauteur de 1100 personnels.
La période de mise en œuvre de la loi de programmation militaire 2009-2014 a vu une diminution constante des crédits affectés à la recherche développement, ceux-ci passant de 3,8 milliards d’euros dans le budget pour 2009 à 3,3 milliards d’euros dans celui pour 2013. En revanche, le projet de loi de finances pour 2013 avait traduit une forte hausse des crédits de paiement relatifs aux études amont qui avaient été augmentés de plus de 10 % par rapport à 2012.
Le Livre blanc de 2013 et le projet de loi de programmation militaire entendent préserver cet effort en matière de recherche. La pérennité de notre base industrielle et technologique de défense (BITD) suppose qu’elle maîtrise les technologies clés capables de répondre sur le long terme aux besoins de nos forces armées. Les études amont fournissent une contribution majeure au développement des compétences industrielles et technologiques des bureaux d’études, indispensables à la compétitivité de la BITD et à la réalisation des programmes futurs.
Dès lors, le budget de Recherche et Technologie (R&T) prévu en 2014 pour les études amont – auxquelles s’ajoutent les subventions de recherche et technologie – s’élève à 868 millions d’euros (en crédits de paiement du programme 144). Il est en diminution par rapport à 2013, les opérateurs contribuant à la maîtrise des déficits publics.
En ce qui concerne les développements réalisés dans le cadre des programmes d’armement (programme 146 « Équipement des forces »), le budget inscrit dans la loi de finances pour 2014 s’élève à 1,8 milliard d’euros.
Ce montant, additionné aux crédits pour les « études de défense » (incluant elles-mêmes notamment les études amont, les subventions aux organismes de recherche publics, les transferts de crédits au CEA, les crédits pour la recherche duale (CNES), les études technico-opérationnelles et les études prospectives et stratégiques), porte le montant total du budget de « recherche et développement » (R&D) de la défense à 3,6 milliards d’euros. La part du développement de la R&D est en sensible augmentation par rapport aux années précédentes.
ÉVOLUTION DE L’ENSEMBLE DES CRÉDITS (CP) DE R&D ENTRE 2012 ET 2014
CP M€ courants |
LFI 2012(1) |
LFI 2013(2) |
PLF 2014 |
EA |
688,0 |
747,9 |
745,9 |
R&T |
835,3 |
896,7 |
867,23 |
Etudes de défense |
1 704,5 |
1 728,4 |
1 728 |
Développements |
1 800,0 |
1 550,0 |
1 835,1 |
Total R&D |
3 504,5 |
3 278,4 |
3 563,1 |
(1) y compris 55 M€ de ressources exceptionnelles du compte d’affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l’utilisation du spectre hertzien » non inclus.
(2) y compris 45 M€ de ressources exceptionnelles du compte d’affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l’utilisation du spectre hertzien » non inclus.
Le projet de loi de programmation militaire entend réaliser un effort soutenu en faveur des équipements. Au niveau de l’agrégat « Équipement », Il prévoit, en effet, que le renouvellement des matériels bénéficie du maintien d’un volume de crédits significatifs sur toute la période programmation : 102,4 milliards d’euros courants sur la période 2014-2019, soit une dotation annuelle moyenne de plus de 17 milliards d’euros contraints pour cet agrégat « Équipement ».
L’intention est louable mais doit être fortement relativisée. Pour le programme 146 « Équipements des forces », qui est le principal programme suivi par la DGA, les ressources prévues pour les grandes opérations d’armement classique, pour les autres opérations d’armement et pour la dissuasion s’élèvent à environ 10 milliards d’euros par an, soit 59,5 milliards d’euros sur la période de la programmation. Il s’agit d’un retrait sensible par rapport à la programmation précédente, devenue insoutenable budgétairement et qui prévoyait une augmentation des ressources d’un milliard d’euros par an en moyenne. De même, une part significative de ces ressources – 5,5 milliards d’euros courants, soit 9 % – doivent provenir de ressources exceptionnelles dont on a vu le caractère incertain. Enfin, si les ressources prévues sont au rendez-vous, le report de charges du programme 146 sera stabilisé durant la nouvelle LPM à son niveau de fin 2013, prévu à environ deux milliards d’euros, les ressources escomptées ne permettant pas de le résorber. Ce report de charges représente environ 20 % des 10 milliards d’euros de ressources annuelles.
Comme l’an passé, votre rapporteur pour avis a souhaité faire le point sur les principaux équipements qui ont vocation à profiter à nos forces armées dans les années à venir et, le cas échéant, évaluer l’impact du projet de loi de finances pour 2014 sur ces programmes.
● Le programme SCORPION vise à assurer la modernisation des groupements tactiques interarmes (GTIA) afin d’accroître leur efficacité et leur protection. Il comprend le remplacement (46) ou la modernisation des véhicules existants et le développement de capacités nouvelles, en utilisant au mieux les technologies permettant les échanges d’information au sein du GTIA. Au stade d’élaboration depuis début 2010, ce programme doit enfin être lancé en fin d’année prochaine. Une telle décision, prévue initialement en 2013 était plus qu’attendue. Il est indispensable de renouveler dès 2016 les VAB (47) en fin de vie (40 ans) et fortement sollicités en OPEX, avec une attrition accélérée. Elle revêt en outre une importance vitale pour l’industrie française œuvrant dans ce domaine. Concrètement, les livraisons des premiers VMBR et EBRC sont respectivement planifiées en 2018 et 2020 et, à terme, le projet de loi de programmation militaire ambitionne un parc de 2.080 VBNMR, de 148 EBCR et de 200 chars Leclerc rénovés.
● Comme en 2012 et en 2013, il est prévu que 4.036 équipements FELIN soient livrés en 2014. La cible finale a été réduite par le projet de LPM 2014-2019, de 22.588 à 18.552 équipements, ce qui va de pair avec la déflation des effectifs voulus par le Livre blanc.
● Enfin, s’agissant des VBCI (48), si 77 exemplaires doivent être livrés l’an prochain, la période 2014-2019 sera marquée par la fin des livraisons des 630 véhicules commandés, en 2015. Au final, 95 d’entre eux disposeront d’un niveau de protection adapté aux théâtres d’opérations les plus exigeants.
● L’an passé, votre rapporteur regrettait le décalage d’un an de la commande du quatrième sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) de la classe Barracuda. Il est heureux de constater qu’un tel report n’a pas été renouvelé cette année puisque le projet de loi de finances pour 2014 prévoit enfin cette commande. À cette fin, 1,754 milliards d’euros sont budgétés en autorisations de paiement et 0,572 milliards en crédits de paiement. À ce jour, trois sous-marins (Le Suffren, Le Duguay-Trouin et Le Tourville) ont été commandés et les travaux de développement et de production se déroulent conformément au calendrier prévisionnel. Les essais à la mer du premier exemplaire de la série devraient intervenir en 2016 et en 2017 pour une entrée en service en 2018. Le 6ème et dernier sous-marin devrait, lui, être réceptionné par la Marine en 2029 ce qui, sous réserve du bon déroulement du programme, devrait permettre un « tuilage » adéquat avec la réalisation des SNLE de troisième génération.
● Aquitaine, la première FREMM(49), a été réceptionnée le 23 novembre 2012. La production en série se poursuit avec la première sortie à la mer de la deuxième frégate, Normandie, et la mise à l’eau de la troisième, Provence, au quatrième trimestre 2013. Le Livre blanc et le projet de loi de programmation militaire prévoient un étalement du rythme de livraison des FREMM : six frégates en version anti-sous-marine seront livrées d’ici à 2019, les deux suivantes possédant une capacité de défense aérienne, afin de remplacer les deux frégates d’ancienne génération, Cassart et Jean-Bart et compléter les deux unités de type Horizon. Pour les trois suivantes, livrables après 2019, leur type pourra être adapté en fonction de l’analyse du besoin et du marché, la décision étant prise au plus tard en 2016.
● La loi de programmation militaire aura un impact majeur sur le programme Rafale : 26 seulement seront livrés entre 2014 et 2019, soit un rythme bien inférieur aux 11 avions annuels qui prévalait jusqu’alors. Le Gouvernement table ainsi sur des ventes de Rafale à l’étranger pour permettre à l’industriel de maintenir la charge de travail de la chaîne d’assemblage mais aussi sur la modernisation des Mirage 2000D pour compenser ce ralentissement des livraisons (50) dont le calendrier est désormais le suivant :
Années |
Livraisons avant 2013 |
2013 |
2014 |
2015 |
Après 2015 |
Total | |
Rafale |
B |
38 |
4 |
8 |
7 |
À déterminer | |
C |
40 |
5 |
1 |
0 | |||
M |
37 |
2 |
2 |
4 | |||
Total Livraisons |
115 |
11 |
11 |
11 |
138 |
286 |
● En ce qui concerne la rénovation des Atlantique 2 – qui avait été décalée l’an passé –, celle-ci est désormais approuvée par le projet de LPM : les premières livraisons devraient intervenir en 2018 et quatre avions devraient avoir été rénovés en 2019 sur les quinze prévus. Cette décision est importante et devra être suivie avec attention eu égard aux remarquables qualités de cet appareil qui, lors de l’opération Serval, a montré toute sa polyvalence et son efficacité.
● 2013 a été marquée par la livraison du premier A400M à l’armée de l’air. Le deuxième devrait être livré à la fin de l’année et quatre nouveaux exemplaires sont prévus en 2014. Le projet de loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit la livraison de 9 autres exemplaires jusqu’en 2019, année où 15 A400M devraient ainsi être en service dans l’armée de l’air. Il y a là un ralentissement significatif du rythme des livraisons puisque la précédente programmation prévoyait une flotte de 35 appareils en 2020 et l’arrivée du cinquantième et dernier avion en 2024. De surcroît, la cible visée est désormais « 50 avions de transport tactique », ce qui ne veut pas dire que l’ensemble de la flotte sera obligatoirement des A400M, laissant ainsi planer un doute sur les intentions réelles de notre pays. En tout état de cause, en 2019, la flotte d’avions de transport tactique devrait être constituée de 15 A400M Atlas, de 14 C160 Transall maintenus en service pour compenser partiellement le décalage des livraisons A400M et de 14 C130 Hercules.
● Enfin, votre rapporteur ne saurait évoquer les programmes aéronautiques sans citer le lancement du programme MRTT (51) : la notification du marché d’acquisition doit avoir lieu en 2014, permettant une livraison du premier avion en 2018. À cet effet, 360 millions d’euros en autorisation d’engagement sont prévus dans le projet de loi de finances et 25,9 millions en crédits de paiement. Cette première commande était très attendue : les interventions en Libye et au Mali ont rendu criantes nos lacunes en matière de ravitaillement et de transport stratégique. Notre flotte est aujourd’hui hors d’âge : l’âge moyen du parc de C135 est de 50 ans ! Toutefois, l’enthousiasme qui accompagne le lancement du programme doit être quelque peu relativisé. Le précédent Livre blanc avait établi un objectif de 14 avions, l’actuel a réduit cette cible à 12. Or, les futurs MRTT devront remplacer 19 avions actuellement en service : 11 C-135 FR, 3 K/C135 R, 2 A340-200 et 3 A310-300. Certes, ces avions seront plus modernes mais n’auront pas le don d’ubiquité ! De même, le rythme de livraison est assurément trop lent : seulement 2 avions devraient avoir été livrés en fin de programmation. N’aurait-on pas pu envisager l’acquisition rapide d’un modèle éprouvé (52) ne bénéficiant pas totalement de toutes les spécifications souhaitées – comme un pore cargo latérale, par exemple – afin d’accélérer le processus ? Car le maintien en vol des C135 relève de l’exploit : il n’est pas sûr qu’ils puissent tenir jusqu’au début de la prochaine décennie.
● L’hélicoptère de transport NH90 est un hélicoptère de la classe des 11 tonnes, décliné en deux versions principales : une version navale, le NFH (NATO Frigate Helicopter) et une version terrestre, le TTH (Tactical Transport Helicopter). Premier hélicoptère au monde à être doté en série de commandes de vol électriques, le NH90 apporte des avancées significatives en matière de performances des systèmes embarqués (systèmes de vision nocturne, détecteurs d’obstacles), de manœuvrabilité et de survivabilité. Le développement du TTH français n’a pas connu de difficulté particulière ni de retard. Les 68 premiers NH90 TTH ont été commandés en 2007 à l’occasion d’un marché composé d’une tranche ferme de 12 appareils, d’une première tranche conditionnelle de 22 appareils qui a été affermie en 2008 et d’une seconde tranche conditionnelle de 34 appareils affermie le 28 mai dernier. Le projet de loi de programmation militaire prévit une cible globale de 115 hélicoptères de manœuvre à l’orizon 2025. À ce jour, 7 TTH ont été livrés à l’armée de Terre et ces appareils ont effectué environ 800 heures de vol consacrées à l’expérimentation technico-opérationnelle du TTH – laquelle s’est déroulée de manière satisfaisante –, et aux premières sessions de formation des équipages et techniciens au sein du Centre de Formation Interarmées du Luc en Provence. La Marine, elle, a prononcé une première mise en service opérationnel pour les missions de secours maritime et de contre-terrorisme maritime le 8 décembre 2011. La mise en service complète de l’appareil est prévue en 2014 avec, à terme, 27 NFH en service (26 devraient avoir été livrés en 2019).
● S’agissant du Tigre – qui a donné pleinement satisfaction en Afghanistan, en Libye et au Mali– il se décline en deux versions : la version HAP (Appui Protection) et la version HAD (Appui Destruction). La livraison du premier Tigre HAP est intervenue en mars 2005 et 40 ont été livrés à ce jour. Le prononcé de qualification du Tigre HAD par la France est intervenu le 10 avril 2013 et 3 Tigre HAD ont été remis à l’armée de terre. Le projet de LPM prévoit une transformation progressive des appareils HAP au standard HAD.
● En 2013, l’armée de terre a, comme prévu, expérimenté le drone britannique Watchkeeper. Le résultat a été quelque peu mitigé car le système a montré des défaillances faisant douter de sa maturité. Ses qualités de vol n’en sont pas moins remarquables – il vient de recevoir la certification lui permettant d’emprunter l’espace aérien britannique, une première en Europe – et la collaboration avec le Royaume-Uni doit être poursuivie. Pour mémoire, en matière de drones, les relations entre les deux pays sont excellentes et se sont traduites, en 2011, par le jumelage des deux unités qui, de part et d’autre, sont chargées de les mettre en œuvre : le 61ème régiment d’artillerie de Chaumont et le 32ème régiment de la Royal Artillery basé à Larkhill.
● La Marine nationale a elle aussi procédé à l’expérimentation d’un système de drone à voilure tournante en 2013. Votre rapporteur a été informé des potentialités offertes par un tel équipement qui multiplie, par exemple, les capacités d’observations du navire à partir duquel il évolue.
● Enfin, une avancée significative a été réalisée en matière de drone MALE (53). Aujourd’hui, l’armée de l’air dispose de 4 appareils qui ont été exploités à leur maximum lors de l’opération Serval. Ils arrivent toutefois en fin de vie et leur remplacement est urgent. Votre rapporteur ne va pas revenir sur les péripéties qui ont entouré ce dossier mais souhaite juste rappeler que sa préférence allait à une solution nationale. Il jugeait indispensable de développer la compétence « drones » en France, a fortiori dans la période actuelle où notre industrie a besoin d’être soutenue. Le Gouvernement en a décidé autrement et a décidé d’acheter, sur étagère, la solution américaine Reaper. Deux doivent être livrés avant la fin de l’année et seront déployés au Sahel. Le projet de loi de programmation militaire prévoit que douze drones MALE soient acquis d’ici à 2019. La France envisage de franciser ou d’européaniser les capteurs, les moyens de transmission et les outils de sécurisation des communications mais cette évolution doit encore être acceptée par les États-Unis. Il est fort dommage d’avoir été obligé d’en arriver là et il est indispensable de mettre en place une véritable chaîne de drone MALE en Europe d’ici le début de la prochaine décennie. L’achat de drones Reaper ne doit pas démobiliser : il nous permet de répondre à un besoin capacitaire immédiat mais ne doit être regardé que comme une solution temporaire.
Votre rapporteur se félicite que la loi de programmation militaire prévoit le lancement du missile antinavire léger (ANL) dont il avait, il y a un an, déploré l’absence au sein du budget 2013. Développé avec les Britanniques, il équipera les hélicoptères de la marine et sera destiné au combat en zone littorale et au combat asymétrique, contre des embarcations légères notamment.
En revanche, la nouvelle programmation apporte des nouvelles bien plus sombres s’agissant de la filière missile en réduisant à nouveau les cibles. Il est ainsi envisagé d’acquérir 150 missiles de croisière navals (MdCN). Destinés à être tirés des FREMM ou des SNA, il était prévu d’en acquérir initialement 250. 60 d’entre eux doivent être livrés en 2014. De même, la rénovation à mi-vie des missiles de croisière terrestre SCALP ne concernera que 100 missiles et des réductions de cible sont également prévues pour les missiles Exocet et les kits de guidage A2SM (armement air sol modulaire). Votre rapporteur ne peut que partager l’opinion d’un parlementaire de la majorité lorsqu’il déclare qu’ « une telle réduction des cibles va trop loin et compromet la capacité opérationnelle de nos forces. Rien ne sert de produire des plateformes modernes si elles ne disposent pas des armements nécessaires pour être opérationnelles »(54).
Enfin, il convient de souligner que la commande de la capacité principale du missile MMP devrait intervenir en décembre 2013. Cette arme est destiné à succéder principalement au système d’arme MILAN actuellement en service, en prenant également en compte une partie du spectre couvert par les missiles Hot et Eryx. Elle sera ainsi particulièrement utile pour les combattants en terrain découvert et dans les infrastructures ainsi que les cibles blindées fixes ou mobiles, de jour comme de nuit jusqu’à 2 500 mètres. Les premières livraisons devraient intervenir en 2017.
Le budget de la défense pour 2014 s’inscrit dans un cadre dont votre rapporteur a montré les limites.
Reposant sur une trajectoire financière incertaine, la programmation 2014-2019 risque de ne pas être tenue. Cela constitue une menace réelle qui pèse sur notre outil militaire mais aussi sur la France dont un déclassement stratégique, dans ces conditions, n’est pas à exclure.
Dès lors, votre rapporteur ne pouvant émettre un avis favorable aux crédits de la mission « Défense » du projet de loi de finances et souhaitant, malgré tout, montrer son soutien aux femmes et aux hommes appelés à servir notre pays, s’en remet à la sagesse de la Commission.
À l’issue de l’audition, en commission élargie, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense55, le mercredi 23 octobre 2013, la Commission des affaires étrangères examine, pour avis, les crédits pour 2014 de la mission « Défense », sur le rapport de M. Guy Teissier.
La Commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission, tels qu’ils figurent à l’état B annexé à l’article 44.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR
Mercredi 25 septembre 2013
- Général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air
Mercredi 2 octobre 2013
- Amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine
Mardi 8 octobre 2013
- Amiral Edouard Guillaud, chef d’état-major des armées
Lundi 21 octobre 2013
- M. Bernard Bajolet, directeur général de la sécurité extérieure
- M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement
- Général Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre