N° 1435
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2013.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 1395)
de finances pour 2014
TOME V
IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION
ASILE
PAR M. Éric CIOTTI
Député
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Voir les numéros : 1428-III-31.
En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2013, pour le présent projet de loi de finances.
À cette date, l’intégralité des réponses était parvenue à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de l’Intérieur de leur collaboration.
SOMMAIRE
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Pages
I. L’ACTION « GARANTIE DE L’EXERCICE DU DROIT D’ASILE » 9
A. LES CENTRES D’ACCUEIL DES DEMANDEURS D’ASILE (CADA) 9
B. L’HÉBERGEMENT D’URGENCE 10
C. L’ALLOCATION TEMPORAIRE D’ATTENTE 11
D. LA SUBVENTION VERSÉE À L’OFPRA 12
II. L’ACTION « INTÉGRATION DES RÉFUGIÉS » 13
DEUXIÈME PARTIE : L’URGENCE D’UNE RÉFORME EN PROFONDEUR DE NOTRE SYSTÈME D’ASILE 15
I. NOTRE SYSTÈME D’ASILE TRAVERSE UNE CRISE GRAVE 15
A. LA HAUSSE LA DEMANDE D’ASILE S’ACCÉLÈRE 15
1. Son rythme de progression s’est accru en 2013 15
2. Contrairement aux idées reçues, les pouvoirs publics peuvent influer sur le niveau de la demande d’asile 16
B. LES DÉLAIS D’INSTRUCTION RESTENT EXCESSIFS 18
1. Malgré la hausse du nombre de décisions rendues, le stock d’affaires en instance à l’OFPRA augmente de manière préoccupante 18
a. Le nombre de décisions rendues a significativement augmenté grâce à d’importants renforts 18
b. Le stock d’affaires en instance n’a cependant pas été résorbé et poursuit sa hausse 19
2. Le stock d’affaires en instance a en revanche légèrement diminué à la Cour nationale du droit d’asile 19
3. Le délai moyen de traitement des demandes s’allonge 20
C. L’ALLONGEMENT DES DÉLAIS ENTRAÎNE UNE HAUSSE DES DÉPENSES D’HÉBERGEMENT ET UN DÉTOURNEMENT DE LA PROCÉDURE D’ASILE 21
1. Le coût financier de l’allongement des délais 21
2. Des délais élevés constituent un facteur d’attractivité pour les filières détournant la procédure d’asile à des fins migratoires 22
II. LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES EUROPÉENNES VA EXERCER UNE PRESSION À LA HAUSSE DES DÉLAIS 22
A. L’IMPACT DE LA DIRECTIVE « PROCÉDURES » SERA SUBSTANTIEL 23
a. La systématisation de l’entretien personnel 23
b. L’assistance par un conseil lors de l’entretien personnel 23
c. L’enregistrement de l’entretien 23
d. La possibilité de s’entretenir avec une personne du même sexe 24
e. Une prise en compte accrue des besoins particuliers des personnes vulnérables 25
B. LES DIRECTIVES « QUALIFICATION » ET « ACCUEIL » DEVRAIENT ENTRAÎNER DES MODIFICATIONS DE MOINDRE AMPLEUR 26
C. NOTRE LÉGISLATION RELATIVE À L’ASILE DEVRA ÊTRE MISE EN CONFORMITÉ AVEC D’AUTRES OBLIGATIONS EUROPÉENNES 26
1. Les règlements « Eurodac » et « Dublin III » 27
2. La directive du 11 mai 2011 étendant le statut de résident de longue aux bénéficiaires d’une protection internationale 27
3. Les conséquences ambiguës de l’arrêt I.M. c. France de la Cour européenne des droits de l’homme sur la procédure prioritaire 28
4. L’arrêt Arslan de la Cour de justice de l’Union européenne du 30 mai 2013 28
III. L’URGENCE D’UNE RÉFORME EN PROFONDEUR 29
A. LE REDRESSEMENT EXIGE DES GAINS DE PRODUCTIVITÉ SUBSTANTIELS ET UN RENFORCEMENT DES EFFECTIFS 29
1. Des gains de productivité sont réalisables 29
a. Le plan de réorganisation interne de l’OFPRA 29
b. Renforcer la professionnalisation de la Cour nationale du droit d’asile 31
2. Un renforcement indispensable des effectifs 31
B. UNE RÉFORME AMBITIEUSE DE NOTRE PROCÉDURE D’ASILE 32
1. Instaurer un délai contraignant de trois mois au plus entre l’entrée sur le territoire et le dépôt d’une demande d’asile 32
2. Subordonner le bénéfice de l’ATA à l’acceptation par le demandeur d’une éventuelle réorientation géographique de leur prise en charge 33
3. Fusionner l’OFPRA et la division de l’OFII traitant l’asile et confier la gestion de l’ATA à ce nouvel opérateur 33
4. Prévoir que la décision définitive de rejet de l’OFPRA ou de la CNDA vaille obligation de quitter le territoire français 33
5. Confier le contentieux de l’asile aux juridictions administratives de droit commun 34
Le droit d’asile est un principe à valeur constitutionnelle énoncé par le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et rappelé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France. Il est garanti par la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et s’exerce dans le respect des directives européennes adoptées en la matière.
Ce droit est actuellement menacé par l’exercice abusif qui est fait par certains de la procédure d’asile, détournée par des filières à des fins de migration économique. Notre système d’asile traverse en effet une crise grave.
La demande d’asile poursuit sa hausse : en 2012, l’OFPRA a reçu 61 468 demandes d’asile, soit une hausse de 7 % par rapport à 2011. Cette augmentation se poursuit et son rythme s’accélère en 2013, avec 32 357 demandes déposées au premier semestre, environ 50 000 fin septembre, soit une hausse prévisible de 10,8 % en tendance annuelle, ce qui laisse envisager un chiffre record de près de 70 000 demandes à la fin de cette année. Cette hausse se traduit par une augmentation du stock d’affaires en instance à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), qui est passé de 24 200 au 1er janvier 2013 à 30 400 au 30 juin 2013, soit une hausse de plus de 25 % en six mois.
Cette augmentation du stock entraîne mécaniquement un allongement des délais. Le délai moyen de traitement et de jugement d’une demande (OFPRA + Cour nationale du droit d’asile – CNDA) s’est ainsi fortement allongé et devrait atteindre 16 mois et 15 jours en 2013. Ces délais sont d’autant plus longs que près de la moitié des protections sont accordées non par l’OFPRA, mais par la CNDA, ce qui constitue une anomalie. Cette longueur des délais conduit à un détournement de la procédure à des fins d’immigration, encourage les phénomènes de filière et crée un cercle vicieux : en renforçant l’attractivité de notre système d’asile et donc sa saturation, l’allongement du délai s’auto-entretient.
Cette dégradation est d’autant plus préoccupante que les directives européennes adoptées récemment – en particulier la directive « procédures » – entraîneront un nouvel allongement des délais administratifs de traitement en 2015. Elles accordent en effet des garanties supplémentaires aux demandeurs, en particulier lors de l’entretien individuel (telles que l’enregistrement et le droit de se faire assister par un tiers).
L’objectif fixé par le président de la République lors de sa campagne, qui était de six mois (délai de recours devant la CNDA inclus) apparaît hors d’atteinte et même irréaliste. Le ministre de l’Intérieur a d’ailleurs renié cet engagement en octobre 2012, en ramenant cet objectif à neuf mois (3 devant l’OFPRA et 6 devant la CNDA).
S’ajoute à ce tableau déjà sombre, la constatation opérée par la mission réunissant trois corps d’inspection (inspection générale des finances [IGF], inspection générale de l’administration [IGA] et inspection générale des affaires sociales [IGAS]) qui a remis au ministre de l’Intérieur, en avril 2013, un rapport sur l’hébergement et la prise en charge des demandeurs d’asile, que près d’un bénéficiaire de l’allocation temporaire d’attente (ATA) (1) sur cinq (18 %) la perçoit indûment. Ce taux élevé d’indu s’explique essentiellement par la mauvaise gestion de cette allocation par Pôle Emploi, qui pâtit d’une remontée très insuffisante d’informations des institutions compétentes en matière d’asile.
Enfin, les demandeurs d’asile déboutés, pour la plupart, se maintiennent sur notre territoire au lieu d’être éloignés. Moins de 5 % des demandeurs déboutés sont éloignés. Il n’est pas excessif d’affirmer que notre procédure d’asile, menacée d’embolie, à bout de souffle, s’est transformée en véritable « machine à fabriquer des clandestins ».
Dans ce contexte, votre rapporteur pour avis se félicite que le Gouvernement ait engagé une concertation nationale sur l’asile, piloté par notre collègue Jean-Louis Touraine et par la sénatrice Valérie Létard. Il estime que cette concertation devra déboucher sur une réforme en profondeur de notre procédure d’asile. Il faudra que cette réforme soit ambitieuse et à la hauteur des enjeux. Votre rapporteur pour avis formule plusieurs recommandations à cette fin.
Le présent avis, après avoir exposé brièvement l’évolution des crédits consacrés à l’asile dans le projet de loi de finances pour 2014 (I), est consacré à l’urgence d’une réforme en profondeur de notre système de l’asile (II).
PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONSACRÉS À L’ASILE
La mission « Immigration, asile et intégration » regroupe deux programmes : le programme « Immigration et asile » (n° 303) et le programme « Intégration et accès à la nationalité française » (n° 104). Les crédits de la mission, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2014, s’élèvent à 653,53 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 664,9 millions d’euros en crédits de paiement, soit une diminution par rapport à la loi de finances initiale pour 2013 de 1,3 % en autorisations d’engagement et de 0,9 % en crédits de paiement.
L’essentiel du montant de la mission est, comme les années précédentes, consacré au programme « Immigration et asile », qui représente 90,6 % de ses crédits, avec 591,8 millions d’euros en autorisations d’engagement et 602,6 millions d’euros en crédits de paiement, soit une diminution de 0,8 % en autorisations d’engagement et de 0,3 % en crédits de paiement. Au sein de ce programme, les crédits concernés par le présent avis sont ceux de l’action « Garantie de l’exercice du droit d’asile ».
Au sein du second programme de la mission, seuls les crédits de l’action « Actions d’intégration des réfugiés » relèvent du présent avis.
Au total, plus des trois quarts des crédits de la mission (77 %) sont consacrés à l’asile.
Cette action reste la plus importante, en volume, de la mission. Elle absorbe 85,11 % des autorisations d’engagement, avec 503,73 millions d’euros, et 83,59 % des crédits de paiement, avec le même montant, de son premier programme. Ces crédits sont en légère augmentation par rapport à la loi de finances pour 2013 (+ 0,5 %), qui les avait elle-même accrus de 22,6 %.
Les quatre principaux postes des dépenses d’asile sont le financement des centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), l’hébergement d’urgence, l’allocation temporaire d’attente (ATA) et la subvention versée à l’OFPRA.
Les crédits consacrés au dispositif pérenne d’hébergement des demandeurs, c’est-à-dire aux 270 centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), aux deux centres de transit et au centre d’accueil et d’orientation des mineurs isolés demandeurs d’asile (CAOMIDA), sont en hausse de 7,5 %. Ils passent de 198,8 millions d’euros en 2013 à 213,8 millions d’euros en 2014, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, sur la base d’un coût moyen stable de 24 euros par jour.
Cette augmentation est destinée à financer la poursuite de l’augmentation du nombre de places en CADA, conformément à l’engagement pris par le Gouvernement lors de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion des 10 et 11 décembre 2012, au cours de laquelle il a annoncé la création de 4 000 places supplémentaires d’ici à 2015. D’après les informations transmises à votre rapporteur pour avis, une première vague de 2 000 places ont été créées en septembre 2013, à l’issue de la sélection de 69 projets opérée le 1er juillet 2013 par les préfets. Ces places ont principalement été créées par extension de centres existants dans l’ensemble des régions, en particulier les Pays-de-la-Loire, la Picardie, la Provence-Alpes-Côte d’Azur et la Bourgogne. Une deuxième vague de création de 1 000 places supplémentaires, initialement prévue au 1er décembre 2013, aura lieu en avril 2014 et une troisième, de 1 000 places également, est annoncée à la fin de cette même année. Une liste de 31 départements prioritaires a été définie par une circulaire du 5 avril 2013 (2) avec pour objectif de parvenir à une meilleure répartition géographique des demandeurs sur l’ensemble du territoire.
Au total, la capacité totale des CADA devrait atteindre 25 410 places au début de l’année 2015, contre 23 410 places en 2013 et 21 410 en 2012. L’effort reste cependant relativement modeste par rapport à celui opéré entre 2001 et 2010, qui a fait passer le nombre de places de 5 282 à 21 410 places, soit un quadruplement en neuf ans.
Les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile financent deux dispositifs distincts :
– le dispositif national d’accueil temporaire géré par la société Adoma, qui héberge hors d’Île-de-France les demandeurs arrivant en région parisienne (soit 45 % de la demande) ainsi que les demandeurs des autres régions accueillant une part importante du flux national ;
– les crédits déconcentrés mis à la disposition des préfets, qui financent l’hébergement d’urgence en hôtel ou en structures collectives.
Le montant total des crédits prévus pour ces deux dispositifs est en baisse de 7,7 % (– 9,6 millions d’euros par rapport à 2013), avec 115,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. 12,8 millions d’euros sont prévus pour le dispositif national, correspondant à 2 160 places avec un coût journalier de 16,23 euros par place. 103,9 millions d’euros sont prévus pour le second, correspondant à 17 250 places avec un coût journalier de 16,5 euros par place.
Le Gouvernement justifie la baisse de ces crédits, d’une part, par l’augmentation des moyens alloués à l’OFPRA, qui devrait selon lui entraîner une diminution des délais d’instruction et, d’autre part, par la création de 4 000 places supplémentaires en CADA au cours des années 2013 et 2014.
Votre rapporteur pour avis estime que ces prévisions sont peu réalistes, voire insincères. D’abord, les crédits alloués en 2013, bien que significativement revalorisés par les lois de finances initiale pour 2012 (+ 51 millions d’euros) et 2013 (+ 34 millions d’euros) jusqu’à atteindre 125 millions d’euros, se sont révélés insuffisants en cours d’exécution. Un abondement significatif, sans doute d’une quinzaine de millions d’euros, sera vraisemblablement nécessaire en fin d’année 2013. Ensuite, la création de 2 000 places en CADA prévue en 2014 n’interviendra qu’en avril (1 000) et à la fin de l’année (1 000). La baisse des dépenses d’hébergement qui peut être attendue de la création de ces places et des 2 000 créées en 2013 est donc d’environ 16,5 millions d’euros (3). Enfin, la revalorisation des moyens de l’OFPRA ne permettrait de réduire les délais que si elle résorbait les stocks, ce qui apparaît très peu probable. Dans ces conditions, si l’on se fonde sur les crédits qui vont être consommés en 2013 (plus de 140 millions d’euros), la dotation prévue pour l’hébergement d’urgence devrait s’élever à au moins 123,5 millions d’euros. Elle est donc sous-budgétisée d’au minimum une dizaine de millions d’euros.
L’allocation temporaire d’attente (ATA) est versée, à défaut de place en CADA, aux demandeurs d’asile pendant toute la durée d’instruction de leur demande (y compris en cas de recours devant la Cour nationale du droit d’asile) pour les demandes traitées en procédure normale. Depuis trois arrêts du Conseil d’État de 2008, 2011 et 20130 peuvent également bénéficier de l’ATA :
– les demandeurs d’asile en procédure prioritaire, jusqu’à la notification de la décision de l’OFPRA ;
– les demandeurs ayant sollicité un réexamen ;
– les demandeurs d’asile « sous convocation Dublin » (4) jusqu’à leur transfert vers l’État membre responsable de l’examen de leur demande.
La dotation prévue pour 2014 s’élève à 135 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit une baisse de 5 millions d’euros par rapport à 2013. Elle devrait permettre de verser l’ATA à 31 760 bénéficiaires pendant une durée moyenne de douze mois, avec un montant journalier de 11,37 euros par bénéficiaire.
Le nombre de bénéficiaires estimé est en diminution par rapport à 2013 (33 000). Cette baisse est justifiée par le Gouvernement, comme pour l’hébergement d’urgence, par la création de nouvelles places en CADA et par la diminution des délais d’instruction des demandes espérées. La diminution du nombre de personnes bénéficiant indûment de l’ATA, qui est élevé (cf. infra), et des coûts de gestion des dossiers par Pôle emploi (31,43 euros pour chaque nouveau dossier et 8,62 euros par mois par dossier) pourraient également contribuer à cette baisse. Votre rapporteur pour avis estime cependant que la dotation prévue est sous-budgétisée, d’autant que, pour l’ATA également, un abondement significatif sera nécessaire en fin d’année, sans doute de l’ordre de 30 millions d’euros.
Créé en 1952, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) est chargé de l’instruction de toutes les demandes de protection internationale (asile conventionnel, asile constitutionnel et protection subsidiaire (5)) et d’assurer la protection des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire et du statut d’apatride. La subvention qui lui est versée par l’État, qui assure son financement quasi intégral, augmente de 2,2 millions d’euros (+ 5,9 %) en 2014 par rapport à celle versée en 2012 et s’établit à 39,3 millions d’euros.
Cette augmentation vise à financer le relèvement du plafond d’emplois de cet établissement public de 10 équivalents temps plein (de 465 à 475), afin de recruter 10 nouveaux officiers de protection. Ce recrutement a pour objet de permettre une réduction des délais de traitement des demandes. Votre rapporteur pour avis estime cependant qu’il reste très en-deçà du niveau requis pour résorber les stocks d’affaires en instance et réduire significativement les délais d’instruction, même en le combinant à des gains de productivité significatifs (v. infra).
Cette action rassemble 14,36 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit 23,26 % des autorisations d’engagements et 23,04 % des crédits de paiement du programme. Elle est stable par rapport à 2013.
Elle comporte, en premier lieu, des crédits destinés à financer les centres provisoires d’hébergement des réfugiés (CPH), à hauteur de 12,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Les CPH, qui sont au nombre de 28, pour une capacité de 1 083 places, ont pour mission de préparer l’intégration dans la société française de bénéficiaires de la protection internationale présentant des difficultés d’insertion et nécessitant une prise en charge complète pendant une période transitoire.
Elle couvre, en second lieu, des dépenses relatives aux aides et secours à des réfugiés, pour un montant de 2,16 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Ces aides sont gérées par des associations. Il s’agit d’aides et secours à des réfugiés statutaires (par exemple, l’octroi de bourses pour la poursuite d’études universitaires) ou d’autres interventions en faveur de la promotion sociale et professionnelle des réfugiés (projets d’aide à l’accès au logement et à l’emploi, par exemple). Enfin, ces crédits comprennent 200 000 euros d’allocations forfaitaires régulières versées par l’État à des réfugiés d’Afrique du Nord, marocains ou tunisiens, anciens chefs ou fonctionnaires des anciens protectorats français qui ont dû se réfugier en France au moment de l’indépendance de leur pays.
DEUXIÈME PARTIE : L’URGENCE D’UNE RÉFORME EN PROFONDEUR DE NOTRE SYSTÈME D’ASILE
Dans un contexte très difficile, marqué par une poursuite de la hausse de la demande d’asile et le maintien de délais excessifs (I), la transposition des directives européennes, qui exercera une pression à la hausse sur les délais (II), devra s’inscrire dans une réforme en profondeur de notre système d’asile (III).
Notre système d’asile traverse une crise grave. La poursuite de la hausse de la demande d’asile adressée à la France (A) conduit en effet à l’augmentation des stocks d’affaires en instance et à la persistance de délais excessifs (B). Ces délais élevés font exploser les dépenses d’hébergement et d’accueil et renforcent l’attractivité de notre pays à l’égard des filières qui détournent la procédure d’asile à des fins migratoires, les demandeurs déboutés étant trop rarement éloignés (C).
La demande d’asile adressée à la France a continué sa progression en 2012, avec 61 468 demandes (mineurs accompagnants, réexamens et apatrides inclus) enregistrées par l’OFPRA, soit une hausse de plus de 7 % par rapport à 2011. Cette hausse est imputable principalement aux demandes en provenance du continent européen, qui ont augmenté de 23 %, en particulier des Balkans. Certains pays ont connu des augmentations très significatives, comme l’Albanie (+ 446 %), la Bosnie-Herzégovine (+ 335 %), le Kosovo (+ 335 %), la Géorgie (+ 55 %) ou le Pakistan (+ 35 %). La République démocratique du Congo reste le premier pays d’origine (4 010 premières demandes), suivie par la Russie (2 873), le Sri Lanka (2 436), le Kosovo (2 084) et la Chine (2 035).
Au premier semestre 2013, le rythme de cette hausse s’est accéléré, avec un taux de progression d’environ 10 % (6). Selon les informations transmises à votre rapporteur pour avis, au 30 septembre 2013, environ 50 000 demandes ont été enregistrées, ce qui laisse envisager un chiffre record de près de 70 000 demandes à la fin de cette année. Cette hausse est d’autant plus préoccupante que, contrairement à 2012, elle porte exclusivement sur des premières demandes (+ 14,5 % au premier semestre), et non sur des réexamens (– 6,3 %), alors que ces derniers peuvent être traités plus rapidement.
Au total, entre 2007 et 2012, la demande de protection internationale a augmenté de 73 %, avec un taux moyen de progression de 12,2 % par an (+ 20 % entre 2007 et 2008, + 12 % entre 2008 et 2009, + 11 % entre 2009 et 2010, + 10 % entre 2010 et 2011 et + 7 % entre 2011 et 2012).
Sur plus longue période (1981-2012), la demande connaît des variations de forte amplitude, de 1 à 3,5 entre un maximum en 1989 (61 442 premières demandes) et un minimum en 1996 (17 405 premières demandes). On observe cependant une tendance structurelle à la hausse, de 2,4 % par an en moyenne.
En termes de comparaison européenne, en 2012, la France passe du premier au deuxième rang des pays destinataires des demandes d’asile, derrière l’Allemagne, qui a connu une hausse de 41 % de la demande (64 539 premières demandes, mineurs accompagnants compris), imputable en grande partie aux demandes émanant de ressortissants syriens.
Si l’on rapporte le nombre de demandeurs d’asile à la population, la France, avec 925 demandeurs d’asile par million d’habitants en 2012, se situe derrière plusieurs pays peu peuplés comme Malte (4 980 demandeurs par million d’habitants), la Suède (4 625) ou le Luxembourg (3 905), mais nettement devant la plupart des pays plus peuplés comme le Royaume-Uni (445), l’Italie (260) ou l’Espagne (55). La Belgique (2 535) et l’Allemagne depuis 2012 (945) accueillent en revanche proportionnellement davantage de demandeurs que la France.
2. Contrairement aux idées reçues, les pouvoirs publics peuvent influer sur le niveau de la demande d’asile
La demande d’asile est généralement présentée comme une « donnée exogène », s’imposant à la France sans que les pouvoirs publics aient la moindre prise sur elle. S’il est exact qu’elle dépend largement d’éléments sur lesquels l’État ne peut influer (événements affectant les pays d’origine, présence d’une communauté déjà importante en France, etc.), il est erroné de penser que la France ne peut exercer aucune influence sur la demande qui lui est adressée. Les réformes législatives et réglementaires de notre procédure d’asile, les conditions de prise en charge des demandeurs et les délais de traitement des demandes ont un impact sur la demande d’asile.
Cette influence des mesures prises et de l’impact d’un traitement rapide des demandes sur le niveau de la demande est démontrée par les effets de l’inscription sur la liste des pays d’origine sûrs (7). Rappelons que cette inscription a pour effet d’entraîner, en principe, un examen des demandes provenant du pays concerné en procédure prioritaire, ce qui signifie notamment que l’OFPRA statue dans un délai de quinze jours – 96 heures si le demandeur est placé en rétention – et que le recours contre sa décision devant la CNDA est dépourvu d’effet suspensif.
L’inscription de l’Arménie sur la liste, le 20 novembre 2009, a entraîné une baisse de la demande arménienne de 82 % en environ huit mois. Sa radiation, à la suite d’une décision du Conseil d’État du 23 juillet 2010 (8), a entraîné une augmentation de 100 % dans les mois qui ont suivi, et sa réinscription, décidée le 6 décembre 2011, a été suivie par une baisse de 42 % des demandes en 2012.
Il en a été de même lors de l’inscription du Kosovo le 18 mars 2011, qui a été suivie par une baisse de la demande de 30 % en provenance de ce pays au 1er juillet 2011. À l’inverse, son retrait de la liste, à la suite d’une décision du Conseil d’État du 26 mars 2012 (9), a entraîné une augmentation de 446 % en 2012. Le retrait de l’Albanie à la suite de la même décision a été suivi par une augmentation de 446 %.
Ces évolutions démontrent une très forte élasticité de la demande de la demande à l’inscription sur la liste des pays d’origine sûrs.
Dans ces conditions, il ne fait pas de doute que la longueur des délais contribue à rendre la France attractive pour la demande de faible qualité en provenance de certains pays et, qu’à l’inverse, sa réduction dissuaderait une grande partie de ces demandeurs d’introduire leur demande.
On observe d’ailleurs que sur les douze dernières années, la France connaît une évolution divergente de celle de l’Union européenne : le nombre de demandes y augmente à un taux moyen annuel de 3,7 % par an, alors qu’il diminue à un taux moyen de 1,6 % par an dans l’Union européenne à 27.
1. Malgré la hausse du nombre de décisions rendues, le stock d’affaires en instance à l’OFPRA augmente de manière préoccupante
Le nombre total de décisions rendues par l’OFPRA n’a cessé d’augmenter depuis 2007, passant de 37 589 en 2007 à 60 128 en 2012 (contre 43 191 en 2008, 43 194 en 2009, 48 512 en 2010 et 55 569 en 2011), soit une hausse de 60 % en cinq ans. En 2012, la hausse a été de 8 % par rapport à 2011. Au premier semestre 2013, le nombre de décisions rendues (28 054) apparaît cependant légèrement inférieur, en tendance annuelle, à celui de 2012, mais une accélération sera peut-être observée au second semestre.
Cette hausse du nombre de décisions rendues démontre une capacité de traitement accrue. Elle résulte du renforcement des moyens de l’Office, dont le nombre total d’officiers de protection (10) (y compris hors instruction) a été accru de 26 % entre 2008 et 2012.
En leur sein, le nombre d’officiers de protection exclusivement dédiés à l’instruction a été porté à 155 en 2011, avec le recrutement de 30 officiers supplémentaires, puis à 162 en 2012, avec la création de 5 postes et le redéploiement de deux autres postes précédemment affectés dans les services d’appui (11). Au total, entre 2007 (106) et 2012 (162), le nombre d’officiers instructeurs a cru de 52,8 %. En 2013, le plafond d’emplois de l’établissement a été relevé de dix équivalents temps plein, afin de permettre le recrutement de dix officiers d’instruction supplémentaires (porté à 172), et il en est de même dans la loi de finances initiale pour 2014.
L’efficacité de ces renforts a cependant été atténuée par l’importante rotation des agents instructeurs au cours de la même période. Le taux de rotation, pour l’ensemble du personnel de l’Office, était de 11 % en 2007, de 14 % en 2008, de 5 % en 2009, de 8 % en 2010, de 17 % en 2011 et de 12 % en 2012. Ceux des officiers de protection (y compris hors instruction) étaient encore plus élevés : 13 % en 2009, 10 % en 2010, 20 % en 2011 et 13 % en 2012. En 2012, par exemple, l’Office a enregistré le départ de 29 officiers instructeurs, dont le tiers avait une ancienneté inférieure à dix-huit mois. La même année, le taux de rotation des officiers instructeurs était de 18 % et correspond à une moindre production estimée à 3 000 décisions.
En effet, cette rotation élevée diminue fortement la productivité des agents, car il faut une période de formation de trois mois pour les nouveaux officiers instructeurs, puis une période de trois mois supplémentaire est nécessaire avant de pouvoir atteindre l’objectif de productivité individuelle souhaité, qui est de l’ordre de deux décisions par jour. Les officiers déjà en poste voient en outre leur propre productivité baisser, compte tenu du temps consacré à la formation des nouveaux agents recrutés.
Elle s’explique notamment par la part élevée des contractuels, qui a été accrue par le recrutement sur contrat dans le cadre des opérations de déstockage et de réduction des délais. Celle-ci s’élève ainsi à 46 % dans l’effectif des officiers de protection en 2012 et est supérieure à 70 % pour les agents consacrés à l’instruction. Plusieurs mesures ont été prises pour faire diminuer cette rotation, telles que la revalorisation du régime indemnitaire (qui a été aligné sur celui des personnels des services déconcentrés d’Île-de-France du ministère de l’Intérieur) intervenue en 2011 (12), des opérations de titularisation et la transformation de contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée.
Malgré le renforcement des effectifs et l’augmentation du nombre de décisions rendues par l’OFPRA, le nombre d’affaires en instance s’accroît. La hausse de la demande (+ 73 % entre 2007 et 2012) a en effet été supérieure à celle du nombre de décisions rendues (+ 60 % sur la même période). Les entrées étant supérieures aux sorties, le nombre de dossiers en instance est passé de 8 200 en 2007 à 24 260 au 31 décembre 2012. Au 30 juin 2013, il s’élèverait à 30 400, soit une hausse de 25 % en six mois, extrêmement préoccupante.
2. Le stock d’affaires en instance a en revanche légèrement diminué à la Cour nationale du droit d’asile
Issue de la transformation de l’ancienne commission des réfugiés opérée par la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – qui ne relève pas de la mission « Immigration, asile et intégration », mais de la mission « Conseil et contrôle de l’État » – a également dû faire face à un accroissement continu des recours portés devant elle. En 2012, les recours ont, pour la quatrième année consécutive, augmenté, avec un taux de croissance de 13,7 % (36 362) par rapport à 2011. Cette augmentation fait suite à celles de 2011 (+ 16,5 %) et 2010 (+ 9,6 %). Au total, entre 2009 et 2012, les recours ont augmenté de 45,2 %.
Pour faire face à ce contentieux accru, la Cour a vu, elle aussi, ses effectifs renforcés. Le nombre de rapporteurs a ainsi plus que doublé entre 2007 et 2012, passant de 70 à 142. Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit la création de neuf nouveaux emplois de rapporteurs.
Ces renforts, combinés à une réorganisation interne de la Cour, ont permis d’augmenter le nombre d’affaires jugées. Celui-ci a cru de 7,9 % en 2012, avec 37 350 recours jugés (+ 2 755 par rapport à 2011). En 2009, la Cour avait jugé 20 143 affaires, en 2010 23 934 (+ 18,2 %) et en 2011, 34 595 (+ 44,6 %). Au total, entre 2009 et 2012, le nombre d’affaires jugées a augmenté de 85,4 %.
Le dynamisme des recours n’a cependant permis qu’une réduction limitée du stock de dossiers en instance, qui s’établit à 25 625 en 2012, soit une baisse de 3,7 % par rapport à 2011.
À l’OFPRA, l’augmentation du stock d’affaires en instance et donc son vieillissement accroît le délai moyen de traitement (qui est calculé en divisant la somme des délais de traitement de dossiers traités sur l’année par le nombre de dossiers effectivement traités). Celui-ci est ainsi passé de 105 jours en 2007 à 186 en 2012, soit une hausse de 77 %. En 2012, la hausse par rapport à 2011 est de 6,8 %. La prévision pour 2013 est de 204 jours, soit une nouvelle dégradation de 9,6 %.
À la Cour nationale du droit d’asile, le délai moyen constaté a fortement diminué au cours des dernières années. Il est passé de 13 mois et 17 jours (412 jours) en 2008 à 9 mois et 29 jours (303 jours) en 2012 (soit – 26,4 %). La prévision pour 2013 est de 9 mois et 24 jours.
Si l’on cumule les délais d’instruction devant l’OFPRA et la CNDA, ce qui correspond à la situation d’une part élevée de demandeurs puisque le taux de recours contre les décisions de l’OFPRA est de 87,3 % en 2012, le délai moyen constaté est de 489 jours, soit 16 mois et 3 jours. Selon les prévisions transmises à votre rapporteur pour avis, ce délai, après avoir baissé en 2011 (518 jours contre 537 en 2010, soit – 3,5 %) et 2012 (489 jours contre 518, soit – 5,6 %), repart à la hausse en 2013 et devrait s’établir à 16 mois et 15 jours.
L’objectif fixé par le président de la République lors de sa campagne présidentielle, qui était de ramener le délai de traitement des demandes d’asile à six mois, délai de recours inclus, apparaît aujourd’hui hors de portée et irréaliste. Le ministre de l’Intérieur, M. Manuel Valls, a d’ailleurs renié cet engagement, jugé déraisonnable, et s’est fixé pour objectif de ramener ce délai à neuf mois en 2015, se décomposant en un délai de trois mois devant l’OFPRA et un délai de six mois devant la CNDA.
Il convient en outre d’ajouter à ces délais d’instruction stricto sensu des « délais cachés » qui rallongent la durée totale des procédures. En effet, ces délais d’instruction ne prennent pas en compte :
– le délai entre le dépôt de la demande d’asile et son enregistrement par l’OFPRA ;
– le délai de notification de la décision de l’OFPRA ;
– le délai entre la notification de la décision de l’OFPRA au demandeur et l’enregistrement de son recours à la CNDA ;
– le délai de notification de la CNDA.
Selon la mission confiée par le ministre de l’Intérieur, le ministre du Travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social et le ministre délégué en charge du budget à l’inspection générale des finances, l’inspection générale de l’administration et l’inspection générale des affaires sociales sur l’hébergement et la prise en charge des demandeurs d’asile (13), qui a rendu ses conclusions en avril 2013, si l’on ajoute ces délais « cachés » à ceux d’instruction, la durée moyenne d’une procédure d’examen d’une première demande d’asile par l’OFPRA suivie d’un recours devant la CNDA peut être estimée à 19,5 mois en 2012.
C. L’ALLONGEMENT DES DÉLAIS ENTRAÎNE UNE HAUSSE DES DÉPENSES D’HÉBERGEMENT ET UN DÉTOURNEMENT DE LA PROCÉDURE D’ASILE
Les délais élevés de traitement des demandes d’asile ont une série d’effets négatifs. Ils sont préjudiciables, en premier lieu, aux demandeurs d’asile, qui sont en droit d’obtenir une réponse rapide à leur demande.
Ils entraînent, en deuxième lieu, une hausse des dépenses liées à la prise en charge des demandeurs d’asile, qu’il s’agisse des coûts directs, relatifs aux centres d’accueil des demandeurs d’asile, à l’hébergement d’urgence et à ATA, ou des coûts indirects, au titre de la couverture maladie universelle (CMU) pour les demandeurs admis au séjour et de l’aide médicale d’État (AME) pour ceux placés en procédure prioritaire. En 2008 et 2012, les dépenses d’hébergement d’urgence, par exemple, ont augmenté de 158 %.
L’effet de la réduction d’un mois de la procédure de traitement a ainsi été évalué par le ministère de l’Intérieur à une économie d’une vingtaine de millions d’euros.
2. Des délais élevés constituent un facteur d’attractivité pour les filières détournant la procédure d’asile à des fins migratoires
La durée excessive de la procédure rend l’éloignement des demandeurs déboutés difficile, pour ne pas dire hypothétique en pratique. Selon les estimations de la mission commune confiée à l’IGF, à l’IGA et à l’IGAS, précitée, moins de 5 % des demandeurs d’asile déboutés (1 700 départs contraints sur 39 000 déboutés du droit d’asile) feraient l’objet d’un éloignement. Cette part extrêmement faible renforce l’attractivité de notre pays pour la demande d’asile de faible qualité (c’est-à-dire ne remplissant pas les critères de la convention de Genève, de l’asile constitutionnel ou de la protection subsidiaire) et encourage le détournement, par des filières, de la procédure d’asile à des fins migratoires, au détriment des authentiques réfugiés, qui ne se voient reconnaître leur statut que tardivement à cause de l’engorgement de notre système d’asile. Détournée de sa finalité, la procédure d’asile est devenue de facto la principale voie d’immigration économique en France.
Les directives « procédures », « qualification » et « accueil » ainsi que les règlements « Eurodac » et « Dublin II » ont été récemment révisés par les institutions de l’Union européenne, dans le cadre de la mise en place d’un régime d’asile européen commun (RAEC) (14).
Ces nouveaux textes européens, en particulier la directive « procédure », apportent des garanties supplémentaires aux demandeurs qui entraîneront une hausse mécanique des délais d’instruction par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Leur transposition devra nécessairement être précédée par une résorption des stocks d’affaires en instance devant l’Office et par une réduction des délais. En l’absence de redressement préalable, notre système d’asile serait menacé par un risque d’embolie en 2015.
Leur transposition devra donc être précédée d’un important travail d’évaluation, destiné à mesurer leur impact et à éclairer les choix de transposition à opérer, de nombreuses dispositions de ces directives laissant aux États membres le choix entre plusieurs options. À cet égard, votre rapporteur pour avis déplore qu’aucun plan de transposition (tableaux de concordance et échéanciers de transposition) ne lui ait été transmis, en dépit des demandes expresses formulées dans son questionnaire budgétaire, au motif qu’il était en cours de préparation. Ce refus révèle soit un manque de transparence à l’égard d’un parlementaire, soit un manque d’anticipation de la part du Gouvernement, et apparaît préoccupant, quel qu’en soit le motif.
La directive dite « procédures » (15) devra être transposée avant le 20 juillet 2015 (16). Elle entraînera des modifications importantes de notre droit, qui auront un impact significatif sur la procédure d’examen des demandes d’asile.
La directive prévoit, en premier lieu, la quasi systématisation de l’entretien personnel avec le demandeur (art. 14). Cette modification aura un impact limité, le taux de convocation à un entretien par l’OFPRA étant déjà de plus de 96 % pour les premières demandes.
La directive prévoit, en deuxième lieu, que les États membres devront autoriser un demandeur « à se présenter à l’entretien personnel accompagné d’un conseil juridique ou d’un autre conseiller reconnu en tant que tel ou autorisé à cette fin en vertu du droit national » (art. 23, paragraphe 3). Ils pourront prévoir que le conseil juridique ou un autre conseiller ne peut intervenir qu’à la fin de l’entretien personnel. La transposition de cette disposition aura un impact important sur les entretiens des officiers instructeurs avec les demandeurs, dont elle allongera sans doute la durée.
La portée de cet impact dépendra cependant des choix opérés par le législateur et le pouvoir réglementaire lors de la transposition. Votre rapporteur pour avis estime que la loi de transposition devrait encadrer la possibilité de se faire assister par un conseil, à la fois en ce qui concerne le choix de ce conseil – il serait souhaitable qu’il appartienne obligatoirement à certaines professions réglementées ou à des associations d’assistance aux demandeurs d’asile agréées – afin d’éviter tout abus, et son intervention, qui devrait être limitée à la fin de l’entretien. Il déplore que le Gouvernement ne lui ait transmis aucune information sur ses intentions sur ces points cruciaux.
L’article 17 de la directive prévoit, en troisième lieu, que l’entretien devra faire l’objet soit d’un rapport détaillé et factuel, soit d’une transcription. Il peut également être enregistré. À la fin de l’entretien, le demandeur doit avoir la possibilité de faire des commentaires ou d’apporter des précisions, par écrit ou oralement, et de confirmer que le contenu du rapport ou de la transcription reflète correctement l’entretien.
Deux dérogations sont cependant prévues :
– si l’entretien fait l’objet d’un enregistrement et si ce dernier est recevable à titre de preuve en cas de recours, les États membres ne sont pas tenus de demander au demandeur de confirmer le contenu du rapport ou de la transcription ;
– si l’entretien donne lieu à la fois à une transcription et à un enregistrement, ils ne sont pas tenus non plus de permettre au demandeur de faire des commentaires sur la transcription ou d’y apporter des précisions.
Sur ce point également, les choix qui seront opérés au stade de la transposition influeront sur l’impact de ces nouvelles obligations sur la durée de l’entretien. Il apparaît ainsi que l’enregistrement de l’entretien, combiné à sa transcription, permettrait de réduire la durée de l’entretien, en évitant d’ouvrir la possibilité au demandeur d’effectuer des commentaires et de confirmer le contenu de ladite transcription. Sa recevabilité en tant que preuve au stade du recours pourrait, en revanche, avoir un effet négatif sur le traitement des recours devant la CNDA, qui pourrait être tenue de les écouter ou de les visionner à la demande de l’une des parties. Il conviendra de mettre ces deux effets en balance.
Selon les estimations figurant dans le rapport de notre collègue Marietta Karamanli sur le régime d’asile européen commun, précité, la présence d’un conseil à l’entretien et l’établissement d’un rapport soumis à la signature du demandeur conduirait à une diminution du nombre de décisions par agent instructeur à 1,5 par jour et par agent, contre deux aujourd’hui. Cet impact sur la productivité serait d’environ 24 officiers de protection supplémentaires.
Par ailleurs, l’enregistrement des entretiens devrait nécessiter des investissements en matériels d’acquisition du son, de numérisation, de stockage et de transmission qui représenteront environ 10 à 20 % du budget informatique actuel de l’OFPRA. Enfin, les tâches techniques supplémentaires requises des officiers de protection instructeurs (mise en route, vérification du système, transfert, etc.) pourraient représenter dix minutes par vacation, soit environ 10 000 heures agents annuel pour 60 000 entretiens, soit l’équivalent de six officiers de protection à temps plein.
En quatrième lieu, l’article 15, paragraphe 3, b) de la directive prévoit la possibilité pour le demandeur de s’entretenir avec une personne du même sexe, dans la mesure du possible, sauf si cette demande particulière est fondée sur des motifs non liées à des difficultés de sa part d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande.
Il conviendra d’encadrer strictement cette possibilité au stade de la transposition, afin qu’elle soit conforme à notre conception de l’égalité. Il ne saurait être fait droit, par exemple, à la demande d’un homme qui ne souhaiterait pas être entendu par une femme, pour des raisons indépendantes du fond de sa demande. En revanche, si la demande de protection internationale est en relation avec des persécutions liées au sexe, telles que des violences sexuelles, des mutilations génitales, des stérilisations ou des avortements forcés, il est légitime, si le demandeur le souhaite, de faire droit à une demande de s’entretenir avec une personne du même sexe.
L’impact de cette nouvelle obligation sur l’organisation des entretiens devra être évalué.
En cinquième lieu, la directive prévoit des garanties procédurales spéciales pour les personnes vulnérables.
Le « demandeur nécessitant des garanties procédurales spéciales » est défini, de manière assez vague, par l’article 2, d) de la directive, « un demandeur dont l’aptitude à bénéficier des droits et à se conformer aux obligations prévus par la présente directive est limitée en raison de circonstances individuelles ». Le considérant 29 précise la notion, en indiquant que ces garanties spéciales peuvent s’avérer nécessaires pour certains demandeurs « du fait notamment de leur âge, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, d’un handicap, d’une maladie grave, de troubles mentaux, ou de conséquences de tortures, de viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle ».
Les États membres devront s’efforcer d’identifier les demandeurs nécessitant des garanties procédurales spéciales avant qu’une décision ne soit prise en première instance. Ces demandeurs devraient se voir accorder « un soutien adéquat », et notamment disposer de temps suffisant, afin de créer les conditions requises pour qu’ils aient effectivement accès aux procédures et pour qu’ils puissent présenter les éléments nécessaires pour étayer leur demande de protection internationale.
Lorsqu’un soutien adéquat ne peut être fourni à un demandeur nécessitant des garanties procédurales spéciales dans le cadre de la procédure accélérée ou de la procédure à la frontière, le demandeur en question devrait être exempté de ces procédures. Le besoin de garanties procédurales spéciales de telle nature qu’il est susceptible d’empêcher l’application de la procédure accélérée ou de la procédure à la frontière devrait également signifier que le demandeur bénéficie de garanties supplémentaires dans les cas où son recours n’a pas d’effet suspensif automatique, afin que son recours soit effectif, dans son cas particulier.
B. LES DIRECTIVES « QUALIFICATION » ET « ACCUEIL » DEVRAIENT ENTRAÎNER DES MODIFICATIONS DE MOINDRE AMPLEUR
La directive dite « qualification » (17) devra être transposée avant le 21 décembre 2013. Sa transposition est par conséquent urgente, pour éviter qu’une procédure en manquement ne soit engagée par la Commission européenne contre la France. Elle nécessitera plusieurs modifications législatives, de portée plus modeste (allongement de la durée du titre de séjour accordé aux personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire, prise en compte renforcée des questions liées au genre du demandeur, réforme de la définition de l’asile interne, etc.).
La directive dite « accueil » (18) doit être transposée au plus tard le 20 juillet 2015. Elle conduira notamment à raccourcir d’un an à neuf mois après le dépôt de sa demande le délai à compter duquel un demandeur d’asile peut accéder au marché du travail (dans les conditions de droit commun applicable aux travailleurs étrangers).
Par ailleurs, la nouvelle définition de la notion de membre de famille inclut les parents des mineurs isolés et nous conduira à conférer aux parents des enfants mineurs demandeurs d’asile les droits attribués au demandeur d'asile.
Enfin, le texte apporte de nouvelles garanties pour les personnes vulnérables et les mineurs non accompagnés, notamment en prévoyant l’identification des besoins particuliers des personnes vulnérables, le rehaussement des garanties qui leur sont accordées et le placement en zone d’attente des mineurs non accompagnés uniquement dans des « circonstances exceptionnelles ».
C. NOTRE LÉGISLATION RELATIVE À L’ASILE DEVRA ÊTRE MISE EN CONFORMITÉ AVEC D’AUTRES OBLIGATIONS EUROPÉENNES
Outre les directives « procédures », « accueil » et « qualification », notre législation a été ou devra être mise en conformité avec d’obligations résultant d’autres textes ou de la jurisprudence européens.
Le règlement dit « Eurodac » (19) a été révisé par le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Ce texte, d’application directe comme tous les règlements de l’Union européenne, entrera en vigueur le 20 juillet 2015. Son impact sur notre droit devrait être limité.
La révision du règlement dit « Dublin II » par le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 (dit « Dublin III »), qui s’appliquera aux demandes introduites à compter du 16 janvier 2014, entraînera en revanche une modification importante. Il impose en effet de mettre en place un recours pleinement suspensif contre les décisions de remise à un autre État membre responsable de l’examen de sa demande d’asile.
2. La directive du 11 mai 2011 étendant le statut de résident de longue aux bénéficiaires d’une protection internationale
La directive 2001/51/UE du 11 mai 2011 (20) a étendu aux réfugiés et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire la possibilité d’obtenir le statut de résident de longue durée prévu par la directive 2003/109/CE (21) (dite « directive résident de longue durée UE »). Elle a été transposée par le projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens, définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 30 octobre 2013 (22).
Ce projet de loi a introduit dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile un nouvel article L. 314-8-2 étendant, d’une part, au réfugié ou au bénéficiaire de la protection subsidiaire, ainsi qu’aux membres de sa famille, la possibilité de se voir délivrer une carte de « résident longue-durée UE », et prévoyant, d’autre part, une règle de calcul spécifique s’appliquant à ces nouveaux bénéficiaires : pour déterminer si l’étranger compte bien cinq années de résidence régulière et ininterrompue sera désormais prise en compte la durée d’examen de la demande d’asile. Un nouvel article L. 314-7-1 a également été introduit dans le même code, prévoyant la possibilité de retrait de la carte de « résident longue-durée UE » lorsque le bénéficiaire d’une protection internationale s’est vu retirer le bénéfice de la protection ou s’il s’avère qu’il a obtenu cette protection par fraude.
Le délai de transposition de la directive 2011/51/UE ayant expiré le 20 mai 2013, la France était exposée à un arrêt en manquement de la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission venant d’initier une procédure d’infraction contre la France, par une mise en demeure en date du 23 juillet 2013.
3. Les conséquences ambiguës de l’arrêt I.M. c. France de la Cour européenne des droits de l’homme sur la procédure prioritaire
La sécurité juridique de la procédure prioritaire (23) semble avoir été remise en cause par un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme, le 2 février 2012, dans l’arrêt I.M. c. France (requête n° 9152/09).
Les faits de l’espèce concernaient un demandeur d’asile soudanais qui, n’ayant pas pu formuler sa demande avant son placement en rétention, avait vu sa demande examinée selon la procédure prioritaire. Celle-ci avait fait l’objet d’un rejet de la part de l’OFPRA, avant que la CNDA ne lui reconnaisse le statut de réfugié quelque mois plus tard. Dans l’intervalle, seule l’application de l’article 39 du règlement de la CEDH a permis de suspendre son éloignement, auquel plus rien ne s’opposait. La Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, garantissant le droit à un recours effectif, combiné à l’article 3 de la même convention, prohibant les traitements inhumains ou dégradants, car l’examen de la première demande du requérant selon la procédure prioritaire ne lui avait pas offert un recours effectif. La Cour a constaté que les insuffisances relevées quant à l’effectivité des recours n’ont pu être compensées en appel. Sa demande ayant été traitée en procédure prioritaire, le requérant ne disposait en effet d’aucun recours en appel ou en cassation suspensifs. Elle relève en particulier à cet égard l’absence de caractère suspensif du recours formé devant la CNDA de la décision de refus de l’OFPRA de la demande d’asile, lorsque l’examen de celle-ci s’inscrit dans le cadre de la procédure prioritaire. La portée exacte de cet arrêt, au-delà des circonstances de l’espèce, reste cependant débattue (24). Le Gouvernement semble considérer qu’il n’impose pas de conférer un caractère suspensif au recours devant la CNDA.
Les procédures d’examen des demandes d’asile placées en rétention devront également être revues au regard de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 30 mai 2013 dans l’affaire Arslan (C-534/11) (25). La Cour y a jugé qu’un demandeur d’asile peut, sur la base du droit national, être maintenu en rétention aux fins de son éloignement pour séjour irrégulier lorsque la demande d’asile a été introduite dans le seul but de retarder ou de compromettre l’exécution de la décision de retour. Les autorités nationales doivent toutefois examiner, au cas par cas, si tel est le cas et s’il est objectivement nécessaire et proportionné de maintenir le demandeur d’asile en rétention pour éviter qu’il se soustraie définitivement à son retour.
Au-delà de l’augmentation de la productivité et du renforcement des moyens de l’OFPRA et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), qui constituent un préalable indispensable (A), une réforme profonde et ambitieuse de notre procédure d’asile est nécessaire (B).
En préalable à d’importantes réformes législatives et réglementaires de notre procédure d’asile, la réduction des délais d’instruction passe par la réalisation de gains de productivité à l’OFPRA et à la CNDA, combinés au renforcement de leurs effectifs.
L’OFPRA mène un travail de rénovation de ses méthodes de travail et de son organisation, qui s’est traduit par l’adoption d’un plan d’action pour la réforme de l’OFPRA, en mai 2003, à l’issue d’un processus de concertation interne ayant impliqué les représentants de l’ensemble des agents de l’établissement. La mise en œuvre de ce nouveau plan a débuté le 1er septembre 2013. Le nouveau contrat d’objectifs et de performance signé entre l’État et l’OFPRA le 3 septembre 2013, qui couvre les années 2013-2015 et fixe les orientations stratégiques de l’établissement pour ces trois années, repose sur ce plan d’action.
Le plan d’action comporte plusieurs mesures ou séries de mesures susceptibles d’accroître la productivité de l’Office et de réduire les délais. Il est ainsi attendu que le nombre de décisions rendues par officier instructeur passe de 375 en 2012 à 420 en 2014 (+ 12,26 %), puis se situe entre 412 et 420 en 2015, compte tenu de l’impact de la transposition de la directive « procédures » à compter de l’été 2015.
Parmi les réformes programmées, peuvent notamment être citées :
– la mutualisation des principaux flux, qui consistera à mutualiser progressivement l’instruction des principaux flux entre les divisions géographiques de l’Office (26), chacune conservant parallèlement sa spécialisation géographique ;
– le traitement adapté des demandes, selon la nature et le profil du dossier, avec une orientation préalable des demandes, en vue d’un traitement différencié, dans le respect évidemment d’un socle de garanties procédurales minimales ;
– une responsabilisation accrue des officiers de protection, grâce des délégations de signature du directeur général aux officiers de protection expérimentés ;
– une meilleure articulation entre l’instruction et l’apport des divisions d’appui ;
– l’élaboration d’une doctrine, de règles, de méthodes, de pratiques et d’outils de travail harmonisés au sein de l’établissement par un comité d’harmonisation ;
– une plus grande polyvalence des agents dans le cadre d’une politique de mobilité interne, qui devrait notamment permettre de redéployer des agents des missions d’appui vers l’instruction en cas de nécessité ;
– le développement des missions foraines d’examen de la demande d’asile en région.
Les mesures prises pour lutter contre la trop forte rotation du personnel, déjà citées, permettront également de renforcer la productivité des agents.
Ces gains de productivité ne devront pas être accomplis au détriment de la qualité des décisions rendues. Au contraire, l’accroissement de cette qualité constitue un levier de réduction du traitement des demandes. En effet, le taux d’annulation des décisions de l’OFPRA reste élevé : il était, en 2012, de 15,2 %. Sur la période 2007-2012, le taux moyen d’annulation a été de 19,7 %. Combiné à un taux de recours élevé (87,3 % en 2012) et au faible taux d’admission au bénéfice de la protection internationale de l’Office (9,4 % en 2012), ce taux d’annulation explique que plus de la moitié des protections accordées le soient non pas en première instance par l’OFPRA (4 348 en 2012), mais par la CNDA (5 680 en 2012). Cette anomalie contribue bien évidemment à l’allongement des délais de traitement des demandes, le poids excessif de la phase juridictionnel dans les admissions conduisant à une augmentation des dépenses de prise en charge.
Un rapprochement des pratiques de l’OFPRA et de la jurisprudence de la CNDA apparaît donc souhaitable. Une meilleure information des officiers de protection instructeurs s’agissant des décisions récentes rendues par la CNDA et le renforcement de la représentation de l’OFPRA dans les recours portés devant la CNDA permettraient notamment de diminuer le taux d’annulation constaté. Actuellement, l’OFPRA n’est représenté que dans 3 % des affaires environ. Ce taux devrait être significativement augmenté, jusqu’à atteindre au moins 20 % des recours.
La Cour reste encore caractérisée par une proportion élevée de présidents vacataires (près de 90 % en 2012) et par un nombre élevé de formations de jugement. La combinaison de ces deux éléments contribue à amoindrir la cohérence jurisprudentielle (on relève notamment des écarts importants dans les taux d’admission selon les formations de jugement) et les contraintes de disponibilité des présidents vacataires augmentent le délai entre l’audience et la lecture de la décision (qui était de 23 jours en 2012, contre 15 jours dans le reste des juridictions administratives). La professionnalisation de la Cour se renforce cependant ; le nombre de présidents permanents, par exemple, est passé de 9 en 2009 à 15 en 2012.
Pour améliorer la productivité, la Cour ne devrait pas hésiter, en dépit des critiques que lui adressent certains avocats et associations sur ce point, à recourir davantage aux ordonnances de l’article R. 733-16 (devenu l’article R. 733-4 depuis l’entrée en vigueur le 19 août 2013 du décret n° 2013-751 du 16 août 2013) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permettent de statuer sur « les demandes qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision du directeur général de l’office ».
Il apparaît également indispensable d’obtenir une diminution du taux de renvoi des affaires : en 2012, près du tiers (31,6 %) des dossiers enrôlés ont été renvoyés à l’audience. Une part trop élevée de ces renvois résultant de l’indisponibilité imprévue d’un avocat, parfois organisée pour prolonger la durée de la procédure ou obtenir que l’affaire soit confiée à une autre formation de jugement.
Le renfort de dix officiers de protection prévu en 2014, qui fait suite à un renfort similaire en 2013, apparaît encore insuffisant pour que le stock d’affaires en instance soit résorbé avant l’entrée en vigueur des nouvelles garanties procédurales prévues par la directive « procédures ».
Un recrutement plus élevé serait d’autant plus justifié que le « taux de rentabilité » d’un renforcement des effectifs de l’OFPRA et de la CNDA est élevé. Selon les calculs de la mission confiée à l’IGF, à l’IGA et à l’IGAS, précitée, le coût du recrutement de dix officiers de protection à l’OFPRA et de onze rapporteurs à la CNDA serait de 2,8 millions d’euros en cumulé sur 2014 et 2015, tandis que les économies réalisées sur les dépenses relatives à l’hébergement d’urgence et à l’allocation temporaire d’attente seraient de 133 millions d’euros sur la même période. Le rapport est de 1 à 47 : chaque euro investi dans ces recrutements permet d’en économiser 47 en dépenses de prise en charge des demandeurs d’asile.
Au-delà des mesures évoquées ci-dessus, il convient de modifier profondément l’environnement législatif et réglementaire de la procédure d’asile, afin de redresser un système à bout de souffle. Le projet de loi relatif à l’asile qui est attendu pour la fin de l’année ne doit pas relever des « effets d’annonce » : il devra comporter des mesures ambitieuses, à la mesure des défis à relever. Votre rapporteur pour avis attend notamment qu’il comporte les cinq mesures suivantes, inspirées des recommandations de la mission confiée à l’IGF, à l’IGA et à l’IGAS, précitée.
1. Instaurer un délai contraignant de trois mois au plus entre l’entrée sur le territoire et le dépôt d’une demande d’asile
Le délai moyen entre la date déclarée d’entrée sur le territoire français et le dépôt de la demande d’asile était, en 2012, de 5,5 mois. Il arrive cependant que l’on observe des écarts très importants (7 ans, par exemple, dans l’échantillon de 753 dossiers étudié par la mission précitée). L’exigence d’un délai bref pour formuler une demande d’asile est parfaitement légitime pour des personnes ayant fui les persécutions dont elles sont l’objet dans leur pays d’origine et cherchant une protection internationale. Elle pourrait contribuer à limiter le risque de détournement de la procédure d’asile à des fins migratoires.
Le non-respect de ce délai devrait entraîner, d’une part, le placement automatique en procédure prioritaire, sous réserve d’exceptions strictement encadrées (retard imputable à l’administration, force majeure, etc.) et, d’autre part, la perte du bénéfice de l’allocation temporaire d’attente. Ces possibilités sont prévues par le droit européen, aussi bien par la directive « Procédure » (27) que par la directive « Accueil » (28).
2. Subordonner le bénéfice de l’ATA à l’acceptation par le demandeur d’une éventuelle réorientation géographique de leur prise en charge
Une meilleure répartition géographique de l’accueil des demandeurs d’asile sur le territoire est indispensable. Un nouveau dispositif de réorientation des demandeurs vers un lieu éventuellement différent de celui où ils ont présenté leur première demande doit être mis en place, en fonction des capacités d’hébergement spécialisé disponible.
Ce dispositif ne pourrait cependant fonctionner efficacement que si le refus par le demandeur de cette réorientation a une conséquence. C’est pourquoi ce refus devrait se traduire par la privation du bénéfice de l’allocation temporaire d’attente. Cette modification est également conforme au droit européen.
3. Fusionner l’OFPRA et la division de l’OFII traitant l’asile et confier la gestion de l’ATA à ce nouvel opérateur
La mission précitée a fait apparaître un taux très élevé de perception indue de l’allocation temporaire d’attente (ATA), de l’ordre d’un bénéficiaire sur cinq (18 %). Ce taux élevé résulte notamment d’une mauvaise remontée d’informations des différents acteurs de l’asile (préfectures, ministère chargé de l’asile, OFII, OFPRA) vers Pôle Emploi et du caractère marginal de cette activité pour Pôle Emploi, qui n’a pas créé les conditions d’une bonne gestion de l’ATA.
Plus généralement, la multiplicité des intervenants en matière d’asile ne favorise pas la cohérence de la politique menée. Il conviendrait par conséquent de réduire leur nombre. Cette réduction pourrait être obtenue par la création d’un nouvel opérateur – une forme d’« agence de l’asile » – qui serait issu de la fusion de l’OFPRA et de la division de l’Office français de l’immigration et de l’intégration chargée de l’accueil des demandeurs d’asile. Ce nouvel opérateur se verrait également confier la gestion de l’ATA.
4. Prévoir que la décision définitive de rejet de l’OFPRA ou de la CNDA vaille obligation de quitter le territoire français
Seuls 5 % des demandeurs d’asile déboutés font effectivement l’objet d’une procédure éloignement. Cette situation décrédibilise notre procédure d’asile, incitant les filières à la détourner à des fins de migration économique. Elle fragilise le droit d’asile, au détriment des personnes ayant réellement besoin d’une protection internationale.
Afin de mettre un terme à cette situation et de simplifier la procédure, il conviendrait de modifier le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour que la décision de rejet de l’OFPRA ou, en cas de recours, la décision de rejet de la CNDA, vaille obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Le fonctionnement de la Cour nationale du droit d’asile n’est pas tout à fait satisfaisant et contribue aux délais excessifs d’instruction des demandes. Dans ces conditions, il devrait être envisagé, dans un souci d’efficacité et de simplification, de confier le contentieux de l’asile à la juridiction administrative de droit commun, éventuellement en le limitant à quelques tribunaux administratifs spécialisés.
Cette réforme présenterait de nombreux avantages.
Elle rendrait la justice plus accessible pour les requérants, en leur évitant un déplacement au siège de la CNDA, situé à Montreuil en Seine-Saint-Denis, quel que soit leur lieu de résidence (à l’exception de l’outre-mer).
La cohérence jurisprudentielle en matière d’asile en serait renforcée, grâce à une professionnalisation accrue du traitement de ce contentieux.
Les délais d’instruction seraient significativement réduits grâce à la diminution du taux de renvoi, lié au nombre limité d’avocats concentrant ce contentieux.
C’est d’ailleurs la solution retenue dans de nombreux pays européens (Allemagne, Pays-Bas, Suisse, pays scandinaves, États baltes, Grèce, Espagne, Portugal, etc.).
Lors de sa réunion du 5 novembre 2013, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2014.
M. le président Gilles Carrez. Nous sommes réunis cet après-midi pour examiner les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » en commission élargie. Vous connaissez tous désormais cette procédure, dont l’intérêt est de permettre, entre le ministre et les parlementaires, des échanges précis et concis.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. La Commission des affaires étrangères se saisit chaque année pour avis de cette mission, portant sur trois sujets qui sont bien loin de se réduire à des questions de politique intérieure.
Le droit d’asile, qui devrait bientôt faire l’objet d’une vaste réforme, annoncée depuis bien longtemps d’ailleurs, est certes garanti par la Constitution mais repose aussi et surtout sur la convention de 1951 sur le statut des réfugiés, dite « convention de Genève » ; un travail d’harmonisation vient d’être mené à son terme au niveau européen et l’un des enjeux de la réforme à venir sera sa bonne transposition en France.
En matière d’intégration, des politiques nationales efficaces sont nécessaires au niveau national afin d’assurer la cohésion sociale au sein de l’Union européenne. La question des Roms présente à cet égard un caractère spécifique, s’agissant pour l’essentiel de ressortissants communautaires, et non de pays tiers, mais elle illustre la même nécessité.
Enfin, le drame tout récent de Lampedusa, qui n’est hélas pas isolé, a tragiquement montré le besoin d’une politique européenne en matière d’immigration, d’asile et de gestion des frontières extérieures de l’Union. Sans revenir sur les conclusions du Conseil européen des 24 et 25 octobre derniers, je voudrais insister sur la nécessité de nous doter sur ces sujets d’une stratégie et de moyens plus importants : c’est une dimension que nous ne devons pas oublier, même lorsque nous débattons de politiques nationales.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. La mission « Immigration, asile et intégration » suscite traditionnellement beaucoup de commentaires, et l’actualité en ce domaine est toujours riche.
La commission des lois a désigné deux rapporteurs pour avis, l’une, Mme Marie-Anne Chapdelaine, appartenant à la majorité, l’autre, M. Éric Ciotti, à l’opposition, ce qui est la garantie d’une expression plurielle. La première a consacré la partie thématique de son avis à l’accueil des étudiants étrangers, question essentielle pour l’influence de la France dans le monde mais aussi domaine où des choix malheureux ont été faits par le passé et où il convient donc de redoubler d’efforts. Le second s’est quant à lui, comme l’an dernier, penché sur le droit d’asile, qu’il souhaite voir réformer – chantier dont personne ne conteste l’intérêt et que vous avez d’ailleurs lancé, monsieur le ministre de l’intérieur, en confiant une mission en ce sens à deux parlementaires. Je tiens à souligner à ce propos que, pour beaucoup d’entre nous, cette question doit être clairement distinguée de celle de la gestion des flux migratoires.
M. Laurent Grandguillaume, rapporteur spécial de la commission des finances. Le projet de budget pour la mission « Immigration, asile et intégration » s’attache à conjuguer humanité, efficacité et économie.
Fixées à 653,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 664,9 millions d’euros en crédits de paiement, les dotations de la mission diminueront respectivement de 8,8 et de 5,6 millions d’euros par rapport aux crédits initiaux pour 2013. Cette baisse traduit les contributions de la mission à la réduction des déficits.
L’action 02 « Garantie de l’exercice du droit d’asile » connaîtra une légère progression : de 0,5 %, soit de 2,6 millions d’euros, portant ces crédits à 503,7 millions d’euros. Mais cette quasi-stabilité masque un nouveau renforcement des capacités d’accueil et de traitement de la demande d’asile. Ces mesures permettent d’espérer que l’on réussira enfin à endiguer les dépenses d’urgence tout en offrant une prise en charge de meilleure qualité.
Les autres actions de la mission seront, quant à elles, marquées par une optimisation des dépenses, sans renoncement aux objectifs poursuivis : ainsi, s’agissant de la lutte contre l’immigration irrégulière, la réduction des dotations ne traduit pas une diminution programmée de ces activités, mais une rationalisation des frais engagés que nous avions souhaitée. Et, si l’on peut regretter la nette baisse des crédits alloués aux actions d’intégration, l’année 2014 verra la poursuite des évaluations et réflexions lancées en 2013 pour tendre vers des dispositifs plus pertinents et plus efficaces.
Monsieur le ministre, dans le cadre de la modernisation de l’action publique, le Gouvernement a demandé aux inspections générales de l’administration et des affaires sociales d’évaluer, d’ici à la fin de l’année, les dispositifs d’accueil développés autour du contrat d’accueil et d’intégration (CAI), proposé aux primo-arrivants s’installant durablement en France. Si ce rapport vous a été remis, pouvez-vous nous présenter les principales orientations que vous en retenez ? Si ce n’est pas le cas, pouvez-vous néanmoins préciser de premières pistes de réforme ?
L’apprentissage du français est considéré comme un facteur puissant d’intégration, voire comme la condition d’une insertion réussie. Des formations linguistiques sont ainsi proposées aux signataires du CAI ainsi qu’aux personnes étrangères déjà installées, par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ou dans le cadre des programmes régionaux d’intégration des personnes immigrées (PRIPI). Plusieurs opérateurs m’ont toutefois fait part de dysfonctionnements et d’opacité en matière d’appels à projets, de labellisation ou de définition des prestations. Comment le ministère travaille-t-il à l’harmonisation et à l’amélioration de ces prestations, qui constituent un des piliers de la politique nationale d’intégration ?
Dans ce champ de l’intégration comme dans celui de l’accueil des demandeurs d’asile, beaucoup d’intervenants appartiennent à des associations dont l’équilibre budgétaire dépend fortement des ressources publiques qu’elles reçoivent. Elles sont particulièrement sensibles aux retards de paiement des fonds de concours européens – retards pouvant aller jusqu’à trois ans – et la complexité du montage et du suivi des dossiers nécessaires pour bénéficier de ceux-ci est telle que certaines envisagent de renoncer à cette ressource. La France pourrait alors sous-consommer des financements auxquels elle contribue pourtant. Comment le Gouvernement prévoit-il d’aider les associations à utiliser au mieux le nouveau fonds de concours européen « Asile et migration » (FAM), au cours de la période 2014-2020 ?
Le rapport commun des trois inspections générales des finances, de l’administration et des affaires sociales d’avril 2013 sur l’hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d’asile a fait état de dysfonctionnements dans la gestion de l’allocation temporaire d’attente (ATA) par Pôle Emploi, ce qui se traduit par un taux de versements indus non négligeable. Quelles mesures envisagez-vous pour, à court terme, corriger ces dysfonctionnements et, à plus long terme, améliorer la gestion de cette allocation ?
La lutte contre l’immigration irrégulière hors des frontières nationales s’organise, notamment, autour de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, Frontex. Pouvez-vous nous préciser le coût financier des contributions de la France à cette agence et à ses actions ? Comment l’Union européenne envisage-t-elle de la mobiliser pour éviter que ne se renouvellent des drames comme ceux de Lampedusa ?
S’agissant enfin de la prise en charge qu’offre notre pays aux mineurs étrangers isolés, j’ai eu l’occasion d’exprimer mes doutes sur les tests osseux pratiqués, et j’appelle votre attention sur les grandes disparités d’accueil d’un département à un autre. Mon département de la Côte-d’Or est le troisième à suspendre l’accueil de ces mineurs étrangers. Qu’envisage le Gouvernement pour assurer un traitement digne et égal à ces enfants particulièrement fragiles et pour faire appliquer la loi dans tous les départements ?
M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Ce budget est en partie un budget de transition ; en effet, de vastes réformes ont été annoncées pour la fin de cette année ou pour l’année prochaine : une profonde révision de notre système d’asile, dont on peut dire qu’il est aujourd’hui à bout de souffle, une refondation de notre politique d’intégration, qui semble en panne, mais aussi la création de titres de séjour pluriannuels, afin de mieux sécuriser les parcours.
Pour autant, ce budget comporte déjà des inflexions que je veux saluer. Dans le domaine de l’asile, tout d’abord, les grandes orientations fixées par le Président de la République vont conduire à une réorientation particulièrement bienvenue des crédits vers l’hébergement de droit commun – dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) – et à un nouvel effort, volontariste et salutaire, de réduction des délais de réponse aux demandes d’asile. Les résultats ne pourront être que positifs, mais il faut avouer aussi que la course de vitesse perpétuelle entre l’augmentation des demandes d’asile et l’augmentation des moyens nécessaires pour les traiter est de plus en plus difficilement soutenable. Une réforme du système d’asile a donc été annoncée.
Toute la difficulté sera de bien placer le curseur entre les garanties indispensables à accorder aux demandeurs d’asile et la nécessaire efficacité du dispositif, qui ne doit pas pour autant devenir expéditif. Sans préjuger des résultats de la concertation en cours, quelles seraient les marges de manœuvre et sur quels paramètres agir ? Que pensez-vous de l’idée, parfois avancée mais controversée, selon laquelle il faudrait donner un signal de durcissement du système d’asile, afin d’enrayer l’augmentation des demandes ? Partagez-vous cette conception ?
Les crédits de notre politique d’intégration doivent connaître une baisse sensible en 2014, dans le cadre général de l’effort de redressement des comptes publics, mais aussi dans le cadre plus particulier de cette mission, dont certaines dotations sont en hausse. Cette évolution budgétaire suscite des questions, au regard de l’importance que revêt une politique d’intégration efficace et bien conçue pour la cohésion sociale de notre pays.
Comme le rapporteur spécial, je voudrais connaître, monsieur le ministre, vos projets en matière d’accueil des étrangers primo-arrivants. Devant les limites de l’actuel contrat d’accueil et d’intégration, et sans préjuger là encore des réflexions en cours, quel sort pensez-vous réserver à l’idée selon laquelle il faudrait changer de paradigme et raisonner désormais sur plusieurs années, dans le cadre de véritables parcours d’intégration ?
Pour les Roms, dont la situation est spécifique puisqu’il s’agit de ressortissants communautaires, la Commission européenne a engagé un effort en faveur de leur intégration en demandant aux États membres d’adopter des stratégies nationales. Une sorte de triptyque a été constitué entre les États « d’origine », les États « de résidence » et l’Union européenne. Même si la situation est contrastée selon les pays, elle reste globalement insatisfaisante, voire parfois choquante. Quel jugement portez-vous sur l’action engagée par la Commission depuis 2011 ? Pensez-vous qu’il conviendrait de passer à la vitesse supérieure en renforçant son action, et, le cas échéant, de quelle manière ? Avons-nous besoin, selon vous, d’une véritable politique européenne des Roms ?
Dans le domaine de l’immigration, le drame de Lampedusa a mis en lumière la nécessité d’une action européenne plus déterminée en matière de protection, de prévention et de solidarité. Cela nécessitera des moyens supplémentaires, notamment pour la surveillance des frontières maritimes. Des crédits supplémentaires seront-ils prévus pour Frontex, ainsi qu’une participation accrue de la France à ses opérations ? Quelle position défendra la France en ce qui concerne la solidarité à manifester à l’égard des États membres les plus sollicités ?
Les aides au retour ont été réformées en 2013, en raison des effets pervers constatés au cours des années précédentes. Depuis, le nombre des bénéficiaires a nettement chuté, parfois dans des proportions considérables pour certains pays. Pensez-vous que nous avons aujourd’hui atteint un point d’équilibre ? Estimez-vous le niveau des aides désormais satisfaisant ?
Le dernier sujet que je voudrais aborder est la nécessité de maintenir l’attractivité de notre pays pour certains publics bien ciblés. La Grande-Bretagne met en place pour la délivrance des visas un nouveau système dont on dit qu’il permettra prochainement de faire une demande de visa aussi facilement que l’on peut réserver son billet d’avion. Nous avons appris que le ministère de l’intérieur et le ministère des affaires étrangères avaient eux aussi le projet de simplifier les procédures et de fluidifier la situation. Quels sont le calendrier de ce projet, son coût prévisionnel et surtout ses objectifs précis ? Dans ce domaine, deux impératifs doivent être conciliés : l’attractivité, certes, mais aussi le contrôle. Quelles évolutions concrètes prévoyez-vous ?
Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis de la commission des lois, pour l’immigration, l’intégration et l’accès à la nationalité française. Je commencerai par saluer le travail qu’avait effectué l’an dernier, à cette place, Patrick Mennucci ; je me suis d’ailleurs attachée à examiner les suites données à ses propositions.
Mon avis porte pour la plus grande part sur la mobilité des étudiants, enjeu économique, culturel et diplomatique considérable pour notre pays et pour sa place dans le monde. Chacun se souvient que la circulaire du 31 mai 2011, dite « circulaire Guéant », avait considérablement durci les conditions d’accès au marché du travail des étudiants à l’issue de leurs études. Les effets directs de cette circulaire ont été massifs : pendant sa durée d’application, environ quatre demandes de changement de statut sur cinq ont été refusées par la préfecture de police de Paris, alors qu’auparavant la proportion était inverse. Au niveau national, le taux de refus des autorisations de travail demandées dans le cadre d’un changement de statut a plus que doublé, passant de 20 % à 43 %.
Les effets indirects de ce texte ont également été considérables. Le nombre d’étudiants étrangers accueillis par la France a chuté de 10 % en 2012. Notre pays, qui était le premier pays non anglophone pour cet accueil, est passé au cinquième rang mondial, derrière l’Allemagne. La France a donc perdu du terrain et le signal de fermeture au monde envoyé par la circulaire Guéant a durablement dégradé notre image.
Celle-ci devait être restaurée. Un premier signal très positif a été envoyé, immédiatement après l’élection présidentielle, par l’abrogation de cette circulaire. D’autres mesures concrètes ont suivi, notamment avec la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche qui a assoupli les conditions d’accès au marché du travail des étudiants ayant obtenu un master. Pour que la France reste une destination de choix pour les meilleurs étudiants, il convient d’aller plus loin.
Nous devons nous doter d’une politique d’attractivité universitaire et scientifique ambitieuse. À cette fin, grâce aux auditions que j’ai effectuées, j’ai formulé une quinzaine de propositions concrètes, et j’aimerais recueillir votre avis sur certaines d’entre elles, même si elles ne relèvent pas exclusivement de votre ministère.
Il convient tout d’abord de faciliter les démarches de ceux qui souhaitent venir étudier en France. Seriez-vous favorable, par exemple, au rétablissement de la motivation des refus de visas de long séjour « étudiants » et « scientifiques » ? Prévue par la loi dite Chevènement de 1998, elle a été supprimée en 2003 ; or il me paraît indispensable qu’un étudiant qui s’est vu opposer un refus puisse en comprendre les motifs.
Il faut aussi répondre aux difficultés que rencontrent certains étudiants lorsque la validité de leur visa de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) expire au cours de l’été, en particulier lorsqu’ils souhaitent retourner, durant les congés, dans leur pays d’origine. Certaines préfectures délivrent, pour surmonter ces difficultés, des « récépissés d’été », d’une durée de validité maximale de trois mois, mais les pratiques sont très variables d’un département à l’autre. Ne pourrait-on envisager d’allonger la durée de validité maximale des VLS-TS étudiants de quelques mois, afin qu’elle couvre systématiquement la période de réinscription universitaire ? Ce serait une simplification pour les étudiants et allégerait la charge de travail des préfectures.
Il convient aussi de simplifier et d’alléger les formalités que doivent accomplir les étudiants étrangers une fois admis en France. Certains départements ont imaginé des « guichets uniques » qui permettent aux étudiants de déposer leur demande de titre de séjour dans leur université, sans avoir à se déplacer jusqu’à la préfecture. J’ai pu constater à Rennes que ce dispositif fonctionnait bien : son extension me semble donc hautement souhaitable, afin d’assurer à terme une couverture quasi complète des sites universitaires.
Je suis également favorable à une banalisation de la visite médicale obligatoire que doivent actuellement effectuer les étudiants auprès de l’OFII. Ne serait-il en effet pas plus simple qu’elle puisse être effectuée auprès d’un médecin de ville ou des services universitaires de médecine préventive des CROUS ?
Par ailleurs, je souhaite que les titres de séjour pluriannuels soient étendus aux étudiants suivant un cursus de niveau licence, à l’issue de leur première année d’études. Pourriez-vous nous confirmer que cette extension figurera dans le futur projet de loi relatif à l’immigration ?
Je suis enfin convaincue que notre pays doit accompagner et respecter, plus qu’il ne l’a fait ces dernières années, celui qui y construit son avenir avec le nôtre, en apportant la valeur ajoutée de son travail et de son histoire. Il est dès lors essentiel que notre politique d’accueil de l’immigration estudiantine s’accompagne d’un profond changement d’orientation dans les perspectives que nous voulons nous donner en matière d’immigration économique. Il y a en effet un décalage entre l’attractivité et la qualité de notre système de formation et la difficulté pour les entreprises et les jeunes diplômés de concrétiser un dessein professionnel commun.
L’abrogation de la « circulaire Guéant » était un pas dans la bonne direction. Il convient d’aller plus loin, d’abord en supprimant le délai de quatre mois imposé aux étudiants pour déposer leur demande d’autorisation provisoire de séjour, ensuite – et c’est une réforme plus ambitieuse – en supprimant l’opposabilité de la situation de l’emploi pour les étudiants étrangers titulaires d’un master : ce serait une simplification bienvenue, car il n’est guère justifiable, lorsqu’un étudiant a obtenu une promesse d’embauche avant la fin de ses études, de l’obliger à solliciter une autorisation provisoire de séjour, afin de bénéficier du régime favorable procuré par ce dispositif. Il conviendrait également d’assouplir l’accès des scientifiques et chercheurs à une carte de séjour « salarié ».
Notre politique d’accueil, d’immigration et d’intégration nécessite une vaste réflexion, nous en convenons tous. Commençons par en faire à nouveau l’un des vecteurs du rayonnement économique et culturel de la France !
M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l’asile. L’asile est bien sûr au cœur de nos valeurs républicaines et doit être préservé. Pour cela, nous devons réformer profondément notre système de demande d’asile, qui est aujourd’hui à bout de souffle. Tout récemment, les 200 tentes plantées sur une place de Clermont-Ferrand ont montré à quel point nous manquions de places d’hébergement d’urgence et de places en CADA. Je ne reviens pas sur le psychodrame de la reconduite à la frontière de la famille Dibrani ; « l’affaire Leonarda » n’a pas fait honneur à notre pays.
Les demandes d’asile continuent d’augmenter : à la fin de 2013, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) devrait avoir reçu plus de 70 000 demandes, ce qui constitue un record absolu et une hausse prévisible de 11 %, après déjà une hausse de 7 % en 2012. Vous rappellerez certainement, monsieur le ministre, que le nombre de demandeurs d’asile avait déjà fortement crû au cours des années précédentes, mais la situation atteint aujourd’hui un niveau de gravité très préoccupant. Il est faux de penser que nous n’avons pas prise sur cette situation. Ainsi, lorsque l’Arménie a, en 2009, été inscrite sur la liste des pays considérés comme sûrs, les demandes ont chuté de 82 %. En revanche, lorsque le Conseil d’État a rayé de cette liste l’Albanie, le Kosovo et le Bangladesh, les demandes d’asile de ressortissants de ces pays ont augmenté respectivement de 173 %, de 160 % et de 166 %.
Cette hausse des demandes d’asile se traduit par une augmentation du stock d’affaires en instance à l’OFPRA, qui est passé de 24 200 au 1er janvier 2013 à 30 400 au 30 juin 2013, soit une hausse de plus de 25 % en six mois ! Malgré les discours, malgré les annonces, la situation continue de se dégrader. La durée moyenne d’examen d’un dossier est passée de 14 mois et 6 jours en 2012 à probablement 16 mois en 2013. Je note aussi que près de la moitié des protections sont accordées non par l’OFPRA, mais par la Cour nationale du droit d’asile, c’est-à-dire en appel, ce qui constitue une anomalie.
La longueur de ces délais permet un détournement de la procédure à des fins d’immigration économique. Les failles de notre système en font une porte d’entrée dans l’immigration illégale ; il encourage les phénomènes de filière et crée alors un cercle vicieux : les délais longs renforcent l’attractivité de notre système d’asile et donc sa saturation, ce qui allonge encore les délais…
Vous envisagez une réforme du droit d’asile. Envisagez-vous, comme cela a été annoncé, de passer par la voie d’ordonnances ?
Avec cette réforme, la décision de rejet de l’OFPRA, en l’absence de recours, ou de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), en cas de recours et de rejet de ce dernier, vaudra-t-elle automatiquement obligation de quitter le territoire français (OQTF) ? Cela raccourcirait considérablement les délais. Je propose également, comme les trois corps d’inspection, que le demandeur soit tenu de déposer sa demande dans un délai maximal de trois mois à compter de son entrée sur le territoire. J’ai rencontré à l’OFPRA un demandeur d’asile qui était arrivé d’Afghanistan dans notre pays cinq ans avant le dépôt de sa demande !
Ma troisième question concerne les moyens que vous entendez affecter à la réduction des délais. Vous avez recruté dix officiers de protection supplémentaires en 2013, et trente avaient été recrutés en 2011. Vous prévoyez d’en recruter encore dix en 2014 : ce chiffre paraît, au regard des besoins, très insuffisant.
La transposition des récentes directives européennes va rendre la procédure plus complexe encore. Ces questions n’en sont donc que plus urgentes.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le rapporteur spécial, un rapport sur l’accueil des primo-arrivants m’a été remis le 10 octobre dernier ; il pose un diagnostic très étayé, mais les propositions qu’il formule nécessitent d’être encore expertisées car leur application emporterait des conséquences importantes en termes d’organisation et de financement. Je partage le constat qui y est fait selon lequel le dispositif actuel du contrat d’accueil et d’intégration (CAI) reste trop standardisé pour répondre à l’évolution des besoins des primo-arrivants. Il ne permet pas de lever les principaux obstacles rencontrés par ceux-ci, à savoir l’absence de maîtrise de la langue et l’inadaptation à l’emploi ; la notion de contrat n’est pas assimilée et le suivi décline fortement après trois ou quatre mois alors que ce sont les cinq premières années qui sont déterminantes dans le parcours d’insertion. Le rapport préconise une approche plus personnalisée de la situation de chaque nouvel arrivant grâce à une évaluation initiale plus approfondie, puis, sur cette base, suggère d’accorder une priorité à la maîtrise de la langue française, en élevant le niveau requis, ainsi qu’à la rénovation des outils d’accompagnement à l’emploi.
Je souhaite développer une nouvelle politique de l’accueil autour des orientations suivantes, actuellement en cours d’élaboration : préparer au mieux l’arrivée en France ; réaffirmer la responsabilité régalienne de l’État en matière d’apprentissage des valeurs et de la langue ; refonder notre partenariat avec les acteurs locaux pour permettre aux primo-arrivants d’accéder plus rapidement aux dispositifs de droit commun, au sein desquels leurs besoins particuliers devront être prise en compte ; abandonner la notion de contrat pour privilégier l’idée d’un parcours dont chacun sera acteur et responsable, à charge bien sûr pour l’État de satisfaire aux exigences relevant de sa responsabilité ; enfin, veiller à bien articuler le parcours d’insertion avec les conditions de délivrance des titres – notamment dans la perspective de la création d’un titre pluriannuel.
La maîtrise de la langue française est l’une des conditions d’une bonne insertion et nous devons, je le répète, relever le niveau exigé. La réforme de la politique d’accueil offre un levier pour parvenir à une meilleure adéquation entre la formation et les besoins des migrants – en particulier en matière d’emploi –, pour simplifier et rendre plus transparents les mécanismes d’appel à projet, pour diversifier et coordonner l’offre de formation au niveau local ; elle représentera également l’occasion de mettre à plat les différents dispositifs de labellisation, pour les rendre eux aussi plus simples et plus efficaces.
Enfin, je souhaite recentrer les interventions du ministère de l’intérieur à partir de l’idée que l’insertion se joue au cours des cinq années suivant l’arrivée en France. La tâche de l’administration doit donc être de les accompagner tout au long de cette période.
La France se prépare au déploiement du fonds « Asile et immigration » depuis novembre 2011 ; nous avons surtout cherché à résoudre les difficultés rencontrées par les porteurs de projets – notamment associatifs – dans l’utilisation des crédits du fonds européen pour l’intégration (FEI). À partir de 2014, la mise en place d’un fonds unique couvrant les thématiques de l’asile, de l’accueil, de l’intégration et du retour permettra d’optimiser cette utilisation, grâce à la présence d’une seule autorité garante de la cohérence entre les priorités décidées et les réponses apportées. Les organismes associatifs pourront avoir accès plus simplement à l’argent européen, ce qui permettra de financer des projets de trois ans – et non plus simplement de douze mois ; le plafond de cofinancement du fonds européen sera relevé de 50 à 75 %, ce taux passant même de 75 à 90 % pour les projets relevant de priorités spécifiques, comme ceux à destination des publics vulnérables ; enfin, les règles de gestion seront assouplies grâce à l’application de notions de forfait et de coût unitaire, se substituant à une exigence de justification exhaustive des dépenses..
Malgré l’augmentation significative du nombre de places dans les CADA, les crédits consacrés à l’ATA et à l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile connaissent un accroissement important ; ainsi, les dépenses liées à l’ATA ont triplé entre 2008 et 2012, passant de 47,5 millions à 150 millions d’euros, et celles allouées à l’hébergement d’urgence ont progressé dans le même temps de 57 millions à 135 millions d’euros. Mes services ont diligenté dès la fin de 2012 une mission d’inspection de ces dépenses, dont le rapport, remis en avril dernier, a été suivi d’un travail de croisement des fichiers afin d’identifier les versements indus ; ceux-ci s’élevaient à 6,9 millions d’euros au 30 mai 2013, soit environ 12 millions d’euros en année pleine, et concernaient 7,2 % des bénéficiaires. Ce n’est pas le Gouvernement actuel qui est responsable de cette situation ! Pour garantir le bénéfice de l’ATA à ceux à qui il revient, nous souhaitons en confier la gestion à un opérateur plus impliqué dans les questions d’asile – l’OFII est sans doute le plus apte à l’assurer –, mais la transition ne pourra s’opérer dans de bonnes conditions qu’au 1er janvier 2015, Pôle Emploi continuant jusque là d’assumer cette mission.
La contribution de la France au budget de Frontex transite par notre contribution au budget général de l’Union européenne ; les crédits de cette agence installée à Varsovie s’élèvent à 85 millions d’euros en 2013 et j’ai demandé, avec plusieurs de mes homologues européens, que soient annulées les amputations décidées sur ce montant. Des opérations maritimes coordonnées par Frontex permettraient d’éviter des drames comme celui de Lampedusa mais, au cours des deux dernières années, Frontex a déjà contribué à sauver 16 000 vies en mer Méditerranée. Afin de prolonger jusqu’en novembre 2013 l’opération Hermès qu’elle supervise au large des îles de Lampedusa et de la Sardaigne, 2 millions d’euros ont été débloqués et Mme Cecilia Malmström, commissaire européenne aux affaires intérieures, demandera aux États membres de lui accorder une rallonge financière. D’autre part, le conseil des ministres Justice et Affaires intérieures (JAI) a décidé de créer une task force de l’Union sur la situation en Méditerranée, composée des États membres de Frontex, d’Europol, du bureau européen d’appui en matière d’asile, de l’Agence des droits fondamentaux et de l’Agence européenne de sûreté maritime. Ce groupe s’est réuni pour la première fois le 24 octobre et le conseil JAI des 5 et 6 décembre prendra des décisions opérationnelles à partir de ses propositions. La Commission européenne a proposé le déploiement d’une opération Frontex de recherche et de secours en mer Méditerranée ; néanmoins, la mission première de Frontex consiste à surveiller les frontières et les États membres de l’agence ont mis en garde contre toute erreur de communication à propos d’une opération de sauvetage qui pourrait être utilisée comme argument « publicitaire » par les passeurs et de ce fait créer un appel d’air pour l’immigration clandestine. Le succès de l’action dans ce domaine reposera largement sur des dispositifs de coopération comme ceux déployés par l’Espagne avec le Sénégal, la Mauritanie ou le Maroc, et il est essentiel d’en développer avec la Libye et avec la Tunisie en particulier.
En 2012, une démarche interministérielle a été entamée sous la conduite du ministère de la justice pour préciser les mécanismes de prise en charge des mineurs étrangers isolés ; un travail important, conduit en association avec l’Assemblée des départements de France (ADF) – les présidents des conseils généraux estimant subir un poids croissant en la matière – a abouti le 31 mai dernier à la signature d’un protocole national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation de ces mineurs, protocole qui organise la prise d’une décision sur la minorité d’un jeune dont les déclarations suscitent le doute. Du personnel qualifié mènera des entretiens et l’on pourra vérifier les documents d’état civil étrangers produits sur le fondement de l’article 47 du code civil. Le ministère de l’intérieur apportera aux départements et à l’autorité judiciaire son expertise en matière de détection de la fraude documentaire et les conclusions de cette investigation seront adressées au président du conseil général et au procureur de la République concernés. Dans ce cadre, un test osseux pourra être pratiqué, mais uniquement en dernier recours et dans le cadre d’un processus garantissant le respect des droits de la personne.
Je précise que l’État fournit au département une aide quotidienne de 200 euros pendant cinq jours, délai nécessaire à la détermination de l’âge du jeune concerné.
Monsieur Jean-Pierre Dufau, M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, et moi-même avons pris des initiatives pour fluidifier le traitement des demandes de visa, en nous inspirant du rapport que MM. Bernard Fitoussi et François Barry Delongchamps nous ont remis l’an dernier. Notre politique de délivrance de visas s’articule autour de trois axes. Elle vise d’abord à simplifier la procédure pour certains publics cibles : des instructions conjointes viennent d’être adressées à l’ensemble du réseau pour que le taux de délivrance des visas de circulation et leur durée de validité soient augmentés, afin de faciliter les déplacements des hommes et des femmes d’affaires, des universitaires, des scientifiques, des chercheurs, des artistes et des touristes ayant la France pour destination privilégiée ou récurrente ; au niveau européen, des propositions seront formulées dans le cadre du projet de révision du code communautaire des visas, élaboré sous la conduite de la Commission européenne. La France veillera à assurer une meilleure coordination consulaire au niveau local et à renforcer l’application harmonisée de la politique commune des visas.
En second lieu, nous entendons poursuivre l’amélioration des conditions d’accueil des demandeurs de visa : sur ce point, les postes du réseau ont reçu des instructions conjointes fixant les principes généraux et les critères objectifs de notre politique d’accueil, en vue d’assurer un service quotidien de qualité, des conditions matérielles dignes et des délais d’attente resserrés. Parallèlement, le processus d’externalisation se poursuit avec l’ouverture de centres, l’emménagement dans de nouveaux locaux dans certains pays et l’intégration à des centres délocalisés dans les pays les plus vastes.
Enfin, la refonte du système d’information doit permettre d’importants gains de productivité et une fluidification des procédures de traitement des demandes, au profit des agents comme des demandeurs. Plusieurs orientations se dégagent des études menées à cette fin : constitution d’un portail d’information unique sur Internet, ouverture de téléprocédures, création d’une base centrale partagée permettant le travail en réseau de l’ensemble des services, dématérialisation des dossiers, déploiement d’un outil de collecte biométrique unifié et simplifié et renforcement de la sécurité informatique. Ce projet devrait aboutir d’ici à 2017 sous réserve que nous disposions des 15 millions d’euros nécessaires.
La Commission européenne veille à la fois à la non-discrimination des populations d’origine rom et à leur intégration, et, contrairement à ce qu’on a pu lire ici ou là, elle n’a, sur le premier point, aucun reproche à adresser à la France ; s’agissant de l’intégration, elle a mis en place un cadre institutionnel : le réseau des points de contact, dont l’une des missions consiste à évaluer les politiques nationales d’inclusion. La France lui transmettra très prochainement une nouvelle stratégie marquant une évolution forte, dans la ligne de la circulaire du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites. La Commission mobilise également le fonds européen de développement régional (FEDER) et le fonds social européen (FSE), même si la politique d’inclusion reste de la seule compétence des États-membres. La France pourrait sans doute mieux utiliser ces fonds, mais le problème majeur réside dans les faibles capacités d’intégration sociale de ces populations par leurs pays d’origine, comme l’admet le Premier ministre roumain, M. Victor Ponta.
J’assume la baisse de l’aide au retour, car elle engendrait des éloignements artificiels ; depuis la réforme du 1er février 2013, les retours aidés – qui s’élevaient à 15 000 en 2012 – ont diminué de plus de 50 %, ce taux atteignant 80 % pour les Roumains et les Bulgares, preuve de l’existence du circuit que dénonçaient les autorités roumaines, les associations et les ONG européennes ; nous constatons une baisse du nombre de Roms venant de ces pays en France. Nous réaliserons un bilan complet de cette réforme en février 2014.
Madame Marie-Anne Chapdelaine, Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, et moi-même nous sommes engagés à améliorer l’accueil des étudiants étrangers ; ceux-ci sont utiles au rayonnement de la France. L’immigration se trouve souvent diabolisée alors qu’organisée et régulée, elle peut constituer un vecteur de l’attractivité de notre pays. Le nombre d’étudiants étrangers doublera d’ici à 2020 dans le monde : la France doit tenir son rang à cet égard si elle veut compter demain. Longtemps premier pays non anglophone d’accueil des étudiants étrangers, elle se trouve maintenant dépassée par l’Allemagne et le nombre d’étudiants accueillis s’est contracté – de 10 % – pour la première fois en 2012. Il faut voir dans cette baisse brutale et inédite un effet de la circulaire du 31 mai 2011 – dite circulaire Guéant – qui a donné l’impression que la France ne souhaitait plus recevoir d’étudiants étrangers. Dès ma prise de fonctions, nous avons abrogé cette circulaire et nous avons ouvert 22 guichets uniques entre les universités et les préfectures en 2013 ; cet effort doit être poursuivi en 2014, cette mutualisation devant devenir la norme. La délivrance du titre de séjour pluriannuel pour les étudiants en master et en doctorat est maintenant la règle, les conditions du passage du statut d’étudiant à celui de salarié ont été simplifiées et le montant de la taxe sera abaissé le 1er janvier prochain. Cependant, vous avez raison : il faut aller plus loin : le titre de séjour pluriannuel pourrait être généralisé dès la licence ; un titre unique destiné aux chercheurs internationaux ou aux étudiants étrangers trouvant en France un emploi très qualifié pourrait être créé ; le changement de statut pourrait encore être simplifié pour les étudiants de niveau master trouvant un emploi qualifié, correctement rémunéré et en lien avec leur formation, et, dans le cadre de la réforme de l’OFII, la visite médicale pourrait être simplifiée. Enfin, nous devrions motiver les refus de visas étudiants – sans alourdir la charge des consulats – et nous pencher sur les questions de l’accès des étudiants étrangers aux bourses, de l’opportunité de faire davantage contribuer certains étudiants étrangers à leurs frais universitaires et de l’évaluation du rôle de Campus France. Un débat sans vote a eu lieu à l’Assemblée nationale et au Sénat sur ce sujet de l’accueil des étudiants étrangers en France, et il en ressort que les positions sont plus consensuelles qu’on ne le pense ; le Gouvernement s’engage en tout cas à restaurer la place de la France dans l’accueil des étudiants étrangers.
Depuis 2007, le nombre des demandes d’asile augmente en moyenne de 10 % chaque année et devrait atteindre 68 000 à la fin de 2013 ; pour 80 %, ces demandes se concluront par une décision de rejet de l’OFPRA et de la CNDA. Notre système d’asile ne se trouve pas au bord de l’implosion, il implose ! Les délais d’instruction s’allongent, les demandeurs d’asile se concentrent dans certaines régions comme Rhône-Alpes et la Lorraine mais arrivent aussi dans des villes comme Dijon, Rennes ou Roanne qui ignoraient jusqu’ici ce genre de phénomène et les déboutés non éloignés saturent les hébergements et occupent l’espace public au prix de conditions de vie insupportables. Dans un contexte de crise sociale et économique, cette présence tend à rompre les équilibres entre les populations. Ce n’est pas seulement notre politique de l’asile qui part à la dérive, c’est aussi notre politique de droit au séjour qui est mise à mal. M. le président de la Commission des lois a raison d’insister pour que nous tenions ces politiques séparées mais, si nous pouvons tous nous rassembler autour du principe, partagé au sein de l’Union européenne, qui fait de l’asile un droit fondamental à préserver, nous devons prendre conscience que les déboutés du droit d’asile entrent dans le champ des politiques migratoires et que les questions de délais et d’accueil revêtent de ce fait une importance essentielle.
En dépit des efforts considérables consentis par ce gouvernement et par le précédent pour accroître le nombre de places d’hébergement et l’effectif de l’OFPRA, le temps est venu de refonder l’ensemble du système en nous montrant ambitieux et courageux mais aussi en recherchant un consensus. Cette question de l’asile ne doit pas être un sujet d’affrontement politique ! J’ai donc lancé en juillet dernier une concertation que j’ai voulue la plus large possible, puisqu’elle associe les collectivités territoriales, l’Association des maires de France (AMF), l’ADF, les villes de Rennes, Besançon, Nancy et Mulhouse, les administrations, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la CNDA et toutes les associations travaillant dans ce champ de l’asile ; j’espère que cette méthode se révélera fructueuse. Dans le même souci d’aboutir à une réforme consensuelle, j’ai demandé à Mme Valérie Létard, sénatrice UDI du Nord, et à M. Jean-Louis Touraine, député SRC du Rhône, d’être les médiateurs de cette concertation et de me transmettre des propositions. La première étape de cette concertation a été consacrée au diagnostic, la deuxième aux pistes de réforme par thème et la dernière, en cours, porte sur l’élaboration de scénarios de réforme globale.
Cette concertation est sur le point de s’achever et les deux parlementaires – très impliqués dans leur mission et conscients des enjeux qu’elle recouvre – me remettront leur rapport avant la fin du mois de novembre. Il nous appartiendra ensuite de fixer le calendrier politique et législatif de la réforme et nous aurons alors l’occasion d’en reparler avec tous ceux d’entre vous que le sujet intéresse. À ce stade, aucun scénario de réforme ne peut être dessiné avec certitude dans la mesure où les différentes hypothèses possibles restent encore en discussion dans les ateliers. Cela étant, les cinq points essentiels autour desquels s’articulera le scénario définitif ont d’ores et déjà été identifiés par Mme Valérie Létard et par M. Jean-Louis Touraine.
Le premier consiste en une réduction significative des délais de traitement des dossiers, qui s’élèvent aujourd’hui à dix-sept mois en moyenne et que nous souhaiterions ramener à neuf mois en 2015. Cela suppose que nous simplifiions les pratiques en vigueur ainsi que la répartition des tâches entre acteurs publics et associatifs, par une mutualisation des structures existantes afin de réduire le nombre des intervenants.
Le deuxième consiste en la détermination, dès l’arrivée d’un demandeur d’asile, de la recevabilité ou non de sa demande. Cette étape, indispensable pour éviter tout engorgement des files d’attente, suppose un traitement réellement accéléré des demandes manifestement infondées.
Le troisième, en un pilotage directif des hébergements, favorisant un certain équilibre entre les territoires. Les filières et trafics se nourrissent en effet de l’extrême permissivité de notre système : lorsque les taxis d’un pays organisent l’acheminement systématique de demandeurs d’une nationalité donnée vers une grande ville française de la région Rhône-Alpes, c’est bien à une filière que l’on a affaire. Et c’est bien la ville de Lyon qui, en l’occurrence, en est la première victime. La conseillère fédérale suisse, que j’ai eu l’occasion de rencontrer ce matin, m’a décrit le système en vigueur dans son pays : déterminé par votation, le délai de traitement des dossiers est actuellement fixé à quarante-huit heures. Ce système est le fruit d’un partenariat très étroit entre la Confédération helvétique et des pays européens tels que le Kosovo, la Serbie et la Bosnie-Herzégovine. Sans doute nous faudrait-il examiner de plus près ce dispositif. En attendant, nous devrons faire en sorte que les demandeurs d’asile soient dirigés vers des centres d’hébergement en fonction des places disponibles et, dans la mesure du possible, qu’ils soient sanctionnés en cas de refus de s’y rendre.
Quatrième objectif : une territorialisation accrue de toute la procédure, car l’efficacité passe par la prise en compte des réalités locales. Si les préfets sont les premiers concernés par la mise en œuvre de cette idée, les collectivités locales devraient également être associées le plus en amont possible à la détermination de schémas régionaux d’hébergement. Cela nécessitera que tous accomplissent un véritable effort de solidarité.
Enfin, il convient de créer des lieux dédiés à l’assignation à résidence et d’éloigner les déboutés du droit d’asile. Ces derniers représentant 80 % des demandeurs, aucune réforme du système actuel ne sera viable s’ils continuent d’engorger nos centres d’hébergement. Rappelons à cet égard que 50 % des places d’hébergement d’urgence sont actuellement occupées par des étrangers en situation irrégulière.
Le Gouvernement se prononcera rapidement sur ces cinq propositions, qui ne sont pas exclusives d’autres.
En tout état de cause, il ne nous paraît pas optimal de réformer le droit d’asile par voie d’ordonnance. Certes, il nous faudra transposer rapidement la directive européenne sur l’asile mais, à l’exception de cette exigence, il me semblerait contradictoire de charger deux parlementaires d’une mission sur un sujet pour ensuite dérober celui-ci au débat parlementaire. Il m’importe donc que le Parlement s’en saisisse afin d’aboutir, j’y insiste, à la solution la plus consensuelle possible.
Enfin, dès sa nomination comme directeur général de l’OFPRA en décembre dernier, j’ai demandé à M. Pascal Brice de réorganiser sans attendre l’office afin de réduire les délais d’instruction des demandes d’asile. Ainsi le contrat d’objectifs et de performance que j’ai conclu à l’été 2013 avec l’établissement public prévoit de ramener ce délai, en moyenne, de six à trois mois d’ici à 2015, dans le cadre d’un délai global de traitement des dossiers par l’OFPRA et par la CNDA ramené à neuf mois. Cette réorganisation s’appuie sur une concertation menée au début de l’année 2013 par la direction de l’office auprès des officiers de protection et de leurs syndicats, concertation qui a abouti à un plan de réforme mis en application depuis l’été et qui produira ses pleins effets dès le début de l’année 2014. Cette évolution repose sur un traitement des dossiers plus adapté à la réalité différenciée des besoins de protection des demandeurs ; sur une polyvalence accrue des officiers de protection, leur permettant de traiter des demandes provenant d’un nombre plus important de pays ; sur le développement d’outils d’instruction harmonisés ; sur le renforcement du contrôle de la qualité des décisions prises, notamment grâce à l’appui fourni par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés ; et enfin, sur le renforcement de la protection des femmes victimes de violence, des mineurs, des personnes persécutées pour leur orientation sexuelle ainsi que des personnes originaires de territoires en situation de conflit généralisé, tels que les Syriens. C’est dans le cadre de cette réorganisation que l’OFPRA a institué en 2013 des missions de traitement de la demande d’asile en région, à Lyon et à Metz, afin de répondre à des situations locales d’urgence dans des délais de traitement de deux mois. À cette réorganisation en cours s’ajoute le recrutement de dix agents supplémentaires en 2013 et de dix autres encore en 2014. L’OFPRA sera ainsi en mesure d’exercer plus efficacement ses missions dans le cadre d’un droit d’asile réformé.
Si telles sont les réponses que je souhaitais vous apporter, je ne doute pas que les porte-parole des groupes et d’autres orateurs comptent eux aussi m’interroger sur ces sujets complexes, dont le traitement politique mérite d’être revu. Vous aurez compris ma détermination à mener ces réformes. J’ignore s’il existe des politiques de gauche ou de droite sur de tels sujets. Je sais en tout cas que la politique que je mène est profondément républicaine et fidèle aux valeurs de la France.
M. le président Gilles Carrez. La parole est maintenant aux orateurs des groupes.
Mme Elisabeth Pochon. Nous examinons ce soir les moyens que l’État entend mettre au service de sa politique d’immigration, d’asile et d’intégration. Si les chiffres des programmes 303 et 104 du budget 2014 traduisent les efforts fournis par la nation en ce domaine, ils nous révèlent surtout quelles priorités politiques le Gouvernement s’est fixées pour assurer un traitement humain des étrangers sur notre territoire.
Cette mission me paraît particulièrement sensible, non seulement parce que sa présentation nous permet d’appréhender quelles conditions d’accueil nous réservons aux migrants, mais aussi parce qu’elle s’inscrit dans un contexte économique, social et politique marqué par une tendance au repli national et par une certaine angoisse de l’avenir – en un mot, dans un contexte défavorable à une approche apaisée de la situation des migrants. Si ces derniers ont quitté leur terre natale et leur famille, c’est tantôt à la recherche d’un avenir meilleur, tantôt pour fuir les persécutions et sauver leur vie. D’autres, déjà installés, aspirent pour leur part à devenir enfin Français. Devant une telle diversité de situations, la France se doit de se maintenir dans le rôle qu’elle a hérité de son histoire mais qui découle également des engagements qu’elle a souscrits dans le cadre des conventions internationales qu’elle a signées.
Sur le traitement des étrangers, la majorité actuelle aspirait à une véritable rupture avec la brutalité dont avait fait preuve l’ancienne majorité en dévissant le bouchon du flacon d’un poison politique qu’il est aisé d’agiter en période de crise mais bien difficile de refermer ensuite, de sorte que ses effluves continuent à nous poursuivre. C’est pourquoi nous saluons les décisions fortes que vous avez déjà prises en la matière, monsieur le ministre, qu’il s’agisse de l’abandon de la politique du chiffre pour le chiffre dans l’éloignement des étrangers, de l’abrogation de la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers, de l’interdiction de placer les enfants en centre de rétention, ou encore de la signature d’une circulaire définissant des critères de régularisation transparents.
Si la mission budgétaire que nous examinons ce soir porte sur à la fois sur l’asile, sur l’immigration et sur la naturalisation, je me limiterai ici au premier sujet et, plus particulièrement, à la question des délais de traitement des demandes d’asile dont la longueur actuelle a des conséquences négatives en cascade sur l’hébergement et sur l’accompagnement des personnes concernées, sans parler de son coût. L’actualité récente nous a ainsi rappelé que, si la loi continue à s’imposer, la longueur des procédures fait perdre beaucoup de sens et de poids aux principes fondamentaux en vigueur. Cette remarque est d’ailleurs valable pour la justice en général.
Le budget général de la mission fait apparaître une hausse des demandes d’asile pour la sixième année consécutive, après un accroissement de 61,4 % entre 2007 et 2012. Si cette évolution devait se confirmer en 2013, nous serions confrontés à une hausse sans précédent, sachant que l’on observe depuis 2008 une dégradation progressive des délais de traitement des demandes d’asile et, par conséquent, une augmentation des stocks de demandes.
Jouant les Cassandre, M. Ciotti nous prédit 70 000 demandeurs d’asile et des coûts infinis pour cette année, sous-entendant qu’une telle explosion des chiffres serait le fruit de la libéralité d’un gouvernement de gauche et que la droite aurait, elle, obtenu des résultats probants et fait preuve d’une vraie volonté et d’un véritable savoir-faire, tandis que nous ne serions que des laxistes, voire des aspirateurs à demandeurs d’asile ! Or la réalité est tout autre : notre système d’asile n’est plus satisfaisant depuis plusieurs années. Reconnaissons-le sans quoi nous ne pourrons le sauver, alors même que l’asile est un principe constitutif de notre République.
Pendant sa campagne, le Président de la République avait d’ailleurs fixé le cap de la réforme en soulignant qu’« outre une dotation adéquate du dispositif d’accueil, [c’était] une autre gouvernance du système qu'il [faudrait] également privilégier. » Or, où en est-on aujourd’hui ? Si le budget général de la mission est en légère baisse, la dotation en faveur de notre politique d’asile augmente de 0,5 % en 2014, le Gouvernement affichant deux priorités en la matière : la réduction des délais d’instruction des demandes d’asile et une rénovation du dispositif d’accueil des demandeurs privilégiant l’hébergement pérenne, aujourd’hui saturé. Ces objectifs se traduisent concrètement par une augmentation des moyens budgétaires de l’OFPRA et par l’affectation d’agents supplémentaires à cet établissement. Ils se matérialisent aussi par la création de 2 000 places supplémentaires dans les centres d’accueil des demandeurs d’asile. Si de telles mesures sont temporairement satisfaisantes, elles demeurent cependant insuffisantes à long terme. Mes recherches m’ont d’ailleurs permis de constater qu’une véritable réforme était menée en amont des prochains changements annoncés : un contrat d’objectifs et de performance a ainsi été signé avec l’OFPRA, énonçant les principes d’un renforcement de la protection et du droit d’asile, d’une réduction des délais d’examen des demandes d’asile, d’un traitement adapté de ces dossiers, et d’une réorganisation des conditions de travail des agents qui, s’ils voyaient leurs emplois stabilisés, pourraient travailler plus efficacement.
Monsieur le ministre, vous avez, parallèlement à la conclusion de ce contrat, confié à deux parlementaires, le député Jean-Louis Touraine et la sénatrice Valérie Létard, le soin de mener une concertation nationale sur la réforme du droit d’asile, en vue de transposer en droit français des normes adoptées par l’Union européenne en juin dernier : quels en sont les premiers résultats ? Dans quelle direction le Gouvernement s’oriente-t-il en la matière ? Vous savez la majorité de gauche attachée à une politique de l’asile qui conserve son caractère spécifique. Le président de la Commission des lois a d’ailleurs exprimé le souhait de ne pas voir traités dans une même loi l’asile et l’immigration.
Le besoin d’asile s’explique tant par les conflits internationaux à nos portes que par l’instrumentalisation du viol comme arme de guerre contre les femmes dans certains conflits ou encore par la nécessité de protéger les petites filles contre des coutumes barbares. Or, si la France est le deuxième pays d’accueil des demandeurs d’asile en Europe, elle n’est qu’en vingt-et-unième place pour l’octroi du statut de réfugié. Ces chiffres relativisent donc les procès en laxisme qui nous sont intentés mais notre pays se grandit en prenant sa part à l’accueil des souffrances humaines. C’est pourquoi, dans cette période budgétaire contrainte, le budget consacré à l’asile me paraît satisfaisant.
M. Guillaume Larrivé. Monsieur le ministre, nous nous accordons pour sortir des jeux de rôle artificiels, car dans le dialogue entre le ministre de l’intérieur que vous êtes et les députés d’opposition que nous sommes, il n’y a pas, d’un côté, un laxiste gauchiste et, de l’autre, des crypto-fascistes. Contrairement à ce que semblent penser votre collègue Cécile Duflot et une partie des députés censés appartenir à la majorité, vous êtes républicain, tout comme nous qui respectons l’État dans ses missions régaliennes et savons que l’ordre est la condition de la liberté. Nous sommes donc convaincus que la France doit réguler l’immigration de manière raisonnable et responsable, dans le respect des personnes.
C’est pourquoi notre désaccord ne porte pas sur les finalités de la politique d’immigration que vous cherchez à mener, mais sur la réalité de cette politique éclatée entre différents ministères – sans cap présidentiel clair.
J’évoquerai à cet égard trois sujets de préoccupation immédiate, qui sont autant de signaux d’alerte.
Tout d’abord, la lutte contre l’immigration irrégulière est entravée par des initiatives contradictoires. Lorsque les préfets, les policiers et les gendarmes reconduisent dans leur pays les personnes venues en France sans nous en demander l’autorisation, ils ne font rien que leur travail, qui consiste à faire appliquer la loi. Je regrette très vivement que de tels efforts ne soient pas soutenus par l’ensemble des autorités de la République. Lorsque le Premier ministre – dans l’hémicycle – puis le Président de la République – devant la France entière – expliquent que, dans l’affaire bien connue de tous, les policiers ont manqué de « discernement » en renvoyant au Kosovo des clandestins ayant fait l’objet de trois décisions de justice ordonnant leur reconduite à la frontière, policiers et gendarmes se sentent désavoués au sommet de l’État. On entend dire en ce moment même dans notre pays que la haute hiérarchie préfectorale n’est pas toujours particulièrement motivée pour lutter contre l’immigration irrégulière, tant elle craint d’être désavouée par l’Élysée. On murmure également que le préfet de police a déjà donné instruction orale aux préfets de l’agglomération parisienne de ne plus éloigner de parents de lycéens ou de collégiens. Si tel était le cas – mais sans doute le démentirez-vous –, cela constituerait un renoncement à lutter contre l’immigration clandestine, puisqu'il suffira de scolariser un mineur pour avoir le droit au séjour en France.
Ensuite, l’immigration régulière n’est pas suffisamment régulée. Il est clair qu’en ce domaine, vous avez cherché à envoyer des signaux symboliques à une partie de la majorité, tant sur la question des étudiants étrangers qu’en évoquant la possibilité d’instaurer un titre pluriannuel de séjour. Mais le véritable enjeu est ailleurs : qu’en est-il de la gestion des quelque 2,2 millions de visas – dont 1,9 million de visas de court séjour – et des 200 000 cartes de séjour qui sont délivrés chaque année ? Le Gouvernement souhaite-t-il faire augmenter ou diminuer ces chiffres ? Dans quelles proportions ? Pour quels pays ? Pour quelles voies d’immigration ? Pour que ces visas soient délivrés de manière intelligente, encore conviendrait-il d’entamer un véritable dialogue avec les pays d’origine des demandeurs et négocier avec ces États des traités subordonnant l’aide au développement qui leur est accordée aux efforts de régulation de l’immigration qu’ils fournissent. Cela paraît cependant difficile lorsque notre ministre du développement s’appelle Pascal Canfin et qu’il appartient à un parti écologiste hostile à toute politique de régulation de l’immigration. La cohérence en ce domaine ne nous saute donc guère aux yeux.
Troisième difficulté : il n’existe toujours aucune politique européenne d’immigration. Si un pacte a certes été négocié puis signé par les vingt-sept États membres de l’Union européenne il y a cinq ans, encore faudrait-il passer du pacte aux actes et l’on se croirait d’ailleurs parfois revenu au temps de la Société des nations car l’immigration en provenance des pays tiers n’est guère traitée à l’échelon européen. En outre, le budget de Frontex a diminué puisqu’il s’élevait à 115 millions d’euros en 2011 et qu’il n’est plus que de 85 millions en 2013. Il est également urgent de définir un véritable régime d’asile commun aux États membres, au-delà des directives procédurales et bureaucratiques, afin d’éviter que la France ne soit une destination privilégiée pour les demandeurs. Ce régime d’asile très intégré serait fondé sur une liste de pays d’origine sûrs commune aux cinq ou six pays qui concentrent 80 % des demandes d’asile. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous essayez de faire progresser ce dossier dans le cadre du conseil Justice et Affaires intérieures, mais sans doute le sujet doit-il être pris en main directement par les chefs d’État si l’on veut sortir du type de conclusions vaporeuses auquel a abouti le dernier Conseil européen, qui s’est contenté de remettre le traitement de la question à une prochaine réunion. Enfin, il conviendra aussi d’aborder sans tabou la question de l’immigration interne à l’Union européenne. Quel contrôle celle-ci exerce-t-elle aujourd’hui sur l’utilisation, par la Roumanie et la Bulgarie, des 17 milliards d’euros de fonds communautaires versés pour favoriser l’insertion des Roms dans les pays dont ils ont la nationalité ? Quel bilan faites-vous de l’application de la directive sur le détachement des travailleurs ? On recense aujourd’hui 140 000 travailleurs européens détachés en France, dont 70 000 dans le secteur du bâtiment, pour un coût du travail inférieur de 30 % à celui des ouvriers français !
Faute de traiter ces urgences, la politique d’immigration est condamnée à l’échec. C’est pourquoi le groupe UMP votera contre un budget qui n’en est que le reflet.
M. Arnaud Richard. Avec près de 665 millions d’euros de crédits demandés en 2014, le budget consacré à l’immigration baisse de 1 % en autorisations d’engagement et en crédits de paiement par rapport à l’année précédente – preuve que l’on est loin des bonnes intentions affichées par le Gouvernement en début de mandat et que l’immigration n’est pas pour lui une priorité. Certes, on relève l’effort fourni en matière d’asile. Vous avez d’ailleurs eu des propos très forts à ce sujet, monsieur le ministre, affirmant qu’il ne s’agissait d’une politique ni de droite ni de gauche mais bien d’une politique républicaine. Les chiffres étant ce qu’ils sont, vous avez eu le louable courage de reconnaître que le système était à bout de souffle et qu’une large concertation était nécessaire dans le champ du droit d’asile. Sauf qu’il s’agit aujourd’hui d’un champ de ruines ! Nous partageons tous ce point de vue et si vous êtes assez mal à l’aise sur ce sujet, vous n’en êtes pas moins extrêmement courageux lorsque vous affirmez la nécessité d’établir un diagnostic et de définir des pistes de réforme. Espérons que le rapport dont vous avez chargé nos collègues parlementaires aura d’heureux résultats car la permissivité de notre système est flagrante et l’engorgement de nos centres d’hébergement d’urgence atteint un niveau dramatique, non seulement en Île-de-France mais aussi dans toutes les capitales régionales.
Si le groupe UDI déplorait l’an dernier, à propos de cette mission, une forme de non-choix politique, il considère qu’un véritable effort est fourni cette année. Cela étant, nous n’en attendions pas moins compte tenu de l’actualité. Certes, vous semblez mieux assumer vos choix en la matière, mais vous les avez opérés au détriment de la lutte contre l’immigration irrégulière et de la politique d’intégration alors qu’elles constituent des composantes indissociables de notre politique migratoire.
Nous attendons à présent les conclusions du rapport de nos collègues parlementaires en mission. Pour m’en être entretenu avec Valérie Létard, je sais qu’ils auront des scénarios courageux à nous proposer et j’espère que vous saurez les suivre. Compte tenu de la situation actuelle, je doute toutefois de votre capacité à réduire à neuf mois les délais de traitement des dossiers par l’OFPRA et par la CNDA. Mais j’estime encore une fois que vous menez une politique courageuse, même si toute la majorité ne la perçoit pas nécessairement ainsi.
M. Sergio Coronado. Lors de l’examen du budget de l’immigration l’an dernier, plusieurs d’entre nous avaient salué votre volonté d’extraire ce thème du débat politicien et d’un contexte passionnel. Or, aujourd’hui, entendant notre collègue Larrivé et gardant en mémoire certaines déclarations publiques, je m’aperçois qu’à l’approche des échéances électorales, ce vœu risque de s’évaporer, à mon grand regret.
Adopter un budget, c’est aussi valider une orientation politique. Or nous avons des désaccords à exprimer à cet égard. Bien que je n’aie pour ma part jamais remis en cause votre attachement à la République, permettez que ce même attachement ouvre à d’autres le droit à la critique.
J’avais déposé l’an dernier un amendement visant à réduire les montants investis dans les centres de rétention administrative (CRA), amendement qui avait suscité l’intérêt du rapporteur et de l’ancien ministre du budget, Jérôme Cahuzac. Or, rien n’a été fait depuis pour fermer les centres non utilisés, alors même que le taux d’occupation de ces lieux n’est que de 50 %. Seriez-vous opposé par principe à la fermeture à ceux de ces centres qui sont sous-utilisés ?
Je reviendrai ensuite sur une situation qui a provoqué une mobilisation importante de la part des personnels de justice et des associations. L’annexe du tribunal de grande instance de Meaux, située sur le site du CRA du Mesnil-Amelot, a été inaugurée le lundi 14 octobre. D’après plusieurs associations et figures du monde judiciaire, la création de ces villages – qui ont eux aussi un coût – contrevient aux principes d’impartialité et d’indépendance des juges, de respect des droits de la défense, de publicité des débats et de dignité des personnes. Qu’en pensez-vous, sachant que la ministre de la justice a demandé la création d’une mission d’évaluation de ces villages ?
Maintes fois repoussé, l’appel d’offres pour les associations impliquées dans les CRA a été publié le 23 octobre dernier : il entérine la poursuite de la politique menée antérieurement puisque vingt-quatre des vingt-cinq centres de rétention resteront ouverts tout en conservant leur taille actuelle. La prévision du nombre de personnes qui y seront enfermées se fonde sur les chiffres les plus élevés enregistrés au cours des années précédentes – ceux des années 2011-2012. On peut donc supposer que vous nous confirmerez le choix de ne faire diminuer ni le nombre des enfermements ni celui des expulsions.
En ce qui concerne le droit d’asile, nous nous accordons pour juger que notre système est à bout de souffle. L’augmentation de dix unités de l’effectif des officiers de protection pour faire face à l’augmentation des demandes d’asile est une bonne chose. Notre collègue Ciotti l’a d’ailleurs reconnu, même s’il a rappelé que l’ancienne majorité avait accompli un effort supérieur en la matière. Mais quelle est la position de votre ministère à l’égard des demandeurs d’asile syriens ? Plusieurs journalistes se sont en effet étonnés dans des articles de presse qu’un nombre aussi faible d’entre eux obtiennent le statut de réfugiés.
Je rappellerai également que la gauche européenne a mené un combat très déterminé en faveur de l’exclusion du Kosovo de la liste des pays sûrs et a ardemment soutenu Thomas Hammarberg, le commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, qui avait plaidé en ce sens. Je me réjouis donc de la décision du Conseil d’État à cet égard.
Je me réjouis également de votre détermination à construire 2 000 places supplémentaires en centre d’accueil des demandeurs d’asile. C’est en effet nécessaire, compte tenu de l’augmentation du nombre de demandes, mais n’est-ce pas contradictoire avec la décision de diminuer les crédits destinés à financer l’allocation temporaire d’attente et l’hébergement d’urgence ?
Enfin, la présidence de l’Assemblée nationale ayant pris l’excellente initiative de créer une mission d’information sur les migrants âgés – dont les conclusions, rendues en juin dernier, ont été adoptées à l’unanimité de ses membres –, quelles mesures avez-vous déjà prises sur ce thème et quel sera votre plan d’action pour soutenir les quatre priorités définies par la mission ?
M. Marc Dolez. J’insiste à mon tour sur la nécessité de réformer en profondeur la procédure de traitement des demandes d’asile et le dispositif d’accueil des demandeurs, notamment dans l’esprit du rapport rendu en février dernier par la Coordination française pour le droit d’asile, qui regroupe une vingtaine d’associations. Et je salue le lancement en juillet dernier du processus de concertation que vous venez d’évoquer, monsieur le ministre.
Si la longueur des délais de traitement des demandes d’asile tient au manque de moyens et de personnel de l’OFPRA – ainsi que vous l’avez d’ailleurs souligné –, il convient à mon sens de tenir compte des spécificités propres à ce contentieux et faire en sorte que le raccourcissement de ces délais ne s’opère pas au détriment de la qualité de l’instruction. Je rappellerai d’ailleurs à ce propos que le demandeur ne peut toujours pas se faire assister d’un avocat dans ce cadre.
La Cour nationale du droit d’asile est, elle, une juridiction, mais qui n’intervient qu’en appel ; si ses délais d’instruction peuvent peut-être être réduits, ce n’est que dans une faible mesure, en raison des contraintes propres à la procédure administrative, mais surtout de la nécessité absolue de garantir les droits de la défense.
Les décisions prises par l’Union européenne après le drame de Lampedusa ne sont pas satisfaisantes. De nombreux dysfonctionnements majeurs demeurent sans réponse, comme la surcharge supportée par les pays méditerranéens situés en première ligne, et qui doivent traiter les dossiers en vertu du règlement de Dublin II selon lequel cette responsabilité incombe au pays d’arrivée. La Cour de justice de l’Union européenne est appelée à se prononcer sur ce règlement, tant ses dispositions sont insuffisantes à garantir le respect par les États membres des droits fondamentaux énoncés par la charte et applicables aux ressortissants d’États tiers. Ne considérez-vous pas qu’une refonte de ce texte serait bien utile ?
En ce qui concerne la politique migratoire, pouvez-vous faire le point sur l’application de la circulaire du 6 juillet 2012, qui interdit l’enfermement des enfants en centre de rétention ?
N’y a-t-il pas contradiction entre les circulaires du 11 février 2013 et du 11 mars 2013, relatives, respectivement, à la lutte contre le travail illégal et à la lutte contre l’immigration irrégulière, et celle du 28 novembre 2012 ? Autrement dit, les deux premières ne risquent-elles pas de dissuader les employeurs de personnes sans papiers d’engager une procédure en vue de régulariser la situation de ces salariés ? Jusqu’à présent, les employeurs qui entreprenaient de telles démarches n’étaient pas poursuivis. Pouvez-vous nous garantir que ce sera toujours le cas ?
Concernant l’intégration et l’accès à la nationalité française, les assouplissements auxquels la circulaire du 16 octobre 2012 a procédé sont en réalité minimes. En outre, elle ne dit rien sur un motif fréquemment utilisé à l’appui des décisions d’ajournement : le fait d’avoir hébergé des proches, voire son conjoint, en situation irrégulière, parfois des années auparavant. Ne serait-il pas opportun d’exclure explicitement un tel motif ?
Enfin, vous avez beaucoup insisté sur la nécessité pour les migrants de maîtriser la langue française, mais c’est lorsqu’ils ont l’assurance d’un droit au séjour stable qu’ils peuvent apprendre notre langue et s’intégrer. N’y a-t-il pas là contradiction ?
M. le président Gilles Carrez. Ceux de nos collègues qui souhaitent interroger le ministre à titre personnel peuvent maintenant le faire, en se limitant à deux minutes.
Mme Cécile Untermaier. La France, terre des droits de l’homme, est très attachée à la défense du droit d’asile. Notre pays s’est toujours efforcé d’accueillir les personnes dont la situation l’exigeait et, pour cette raison, a toujours refusé de prévoir des causes d’irrecevabilité, sauf lorsque le cas relève de la compétence d’un autre État membre. Or l’article 33-2 de la directive du Parlement et du Conseil européens du 26 juin 2013, destinée à instaurer des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, prévoit de telles causes d’irrecevabilité, légèrement révisées par rapport à celles retenues auparavant. Sont maintenus en particulier les motifs suivants : protection accordée par un autre État membre ; premier pays d’asile ; pays tiers sûr ; demande distincte déposée sans justification par une personne à charge. La transposition par notre pays de cette directive aura-t-elle pour conséquence l’institution de nouvelles procédures d’irrecevabilité ?
La circulaire du 16 octobre 2012, complétée par celle du 21 juin 2013, a modifié les conditions de naturalisation. Pouvez-vous nous en dire plus sur le livret qu’elle prévoit ? Comment fonctionnent les nouveaux pôles de compétence que vous avez institués sous la forme de trois plateformes régionales d’instruction ? Quelles sont les perspectives d’évolution sur le sujet ?
M. Michel Terrot. Mon expérience permettra d’illustrer le propos de M. Ciotti : alors que la commune de 26 000 habitants dont je suis l’élu, située dans l’agglomération lyonnaise, accueille déjà 220 demandeurs d’asile, le préfet lui demande d’en héberger 300 autres, d’origine kosovare et albanaise. Or la Grande-Bretagne, la Belgique, la Suisse – pour ne citer que ces trois pays – considèrent l’Albanie et le Kosovo comme des pays sûrs. Je suis donc très surpris de voir la France soutenir le contraire depuis un arrêt du Conseil d’État de mars 2012 – soit il y a plus de dix-neuf mois. Pourtant, sur le site du ministère des affaires étrangères, je ne trouve aucune information de nature à mettre en doute le caractère sûr de ces pays. Le Conseil d’État n’étant pas la Bible, que faut-il faire pour amener l’OFPRA à réexaminer sa position ?
Mme Sandrine Mazetier. Je regrette que la mission, telle qu’elle est présentée dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances, ne nous permette pas d’examiner les crédits du titre 2, c’est-à-dire les dépenses de personnel. Tout se passe comme si cette politique était désincarnée. Pourtant, derrière les programmes et les actions se trouvent des hommes et des femmes : agents de la police de l’air et des frontières, fonctionnaires des services préfectoraux, préfets – certains, il est vrai, plus inspirés que d’autres. J’invite donc mes collègues, en particulier ceux de l’opposition, à consulter le document de politique transversale qui retrace l’ensemble des 19 programmes et des 13 missions qui concourent à la politique française de l’immigration et de l’intégration, dont vous êtes, monsieur le ministre, le chef de file.
En revanche, les indicateurs de la mission « Immigration, asile et intégration », qui ont profondément évolué, appellent des félicitations, tant ils marquent une rupture avec la politique du chiffre et avec les pratiques d’affichage de vos prédécesseurs.
De même, je vous félicite pour l’approche pacifiée que vous avez proposée sur ces questions en organisant, à froid et en dehors de tout texte de loi, un débat sur l’immigration de travail et sur l’immigration étudiante. Ce débat s’appuyait sur un rapport très complet auquel les partenaires sociaux et des universitaires avaient pu contribuer.
Afin de prolonger cette démarche, et pour faire échapper ces questions à toute polémique ou instrumentalisation, ne serait-il pas utile de créer, sur l’immigration, un observatoire statistique indépendant de votre ministère, sur le modèle de l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale ?
M. Philippe Cochet. Monsieur le ministre, il y a les déclarations et il y a la vraie vie. Vous, vous êtes confronté à la vraie vie. J’aimerais avoir quelques précisions sur un sujet qui préoccupe nos concitoyens.
Tout d’abord, quel est le coût réel, chaque nuit, de l’hébergement d’urgence ? Cette information est en effet très difficile à obtenir.
Ensuite, quelle est la situation budgétaire des préfectures s’agissant de la gestion de ce même hébergement d’urgence ? Il semblerait que certaines aient d’ores et déjà consommé leurs crédits. De ce fait, la construction de bidonvilles – qu’il sera long de faire évacuer – les arrange bien.
En dépit de certaines représentations caricaturales, l’accueil des demandeurs d’asile est de bonne qualité. C’était déjà vrai avant votre nomination et cela le reste aujourd’hui. Pour avoir visité plusieurs pays confrontés à des demandes comparables, je peux affirmer que la France traite correctement les demandeurs. On ne le dit pas assez souvent.
Cela étant, j’attends des réponses précises à mes questions tant le sujet suscite l’exaspération de nos concitoyens.
Mme Françoise Descamps-Crosnier. Je me réjouis de constater la sincérité du budget de la mission, en rupture avec la pratique précédente de sous-budgétisation des actions en faveur du droit d’asile et avec la politique d’affichage auparavant appliquée en matière de reconduite à la frontière.
L’action n° 3 du programme « Immigration et asile », consacrée à la lutte contre l’immigration illégale, intègre de manière opérationnelle le fonctionnement des centres de rétention administrative, les frais d’éloignement des migrants en situation irrégulière, la construction et l’entretien des centres de rétention, la prise en charge sanitaire dans ces centres, l’accompagnement social, etc. Elle est au centre de changements importants, entre la réorientation dès l’année dernière des priorités vers la lutte contre les filières d’immigration irrégulière – réorientation qui produit des résultats, comme l’atteste l’indicateur 3.2 – et l’ouverture cette année d’une réflexion sur la rétention et sur ses alternatives. Pouvez-vous détailler les perspectives d’évolution de cette action au sein de la mission budgétaire ?
Le système de délivrance des visas dans les consulats repose sur une application informatique ancienne qui, de l’avis général, obère nos capacités de délivrance des visas, notamment dans les pays émergents. Par conséquent, de nombreux demandeurs préféreraient solliciter un visa dans un consulat d’un autre État de la zone Schengen. Ce sont l’attractivité et l’image de la France qui sont en jeu. Est-il envisagé à brève échéance une refonte de cette application ?
Depuis l’arrivée de la gauche aux responsabilités, la politique de naturalisation a été réorientée pour que l’acquisition de la nationalité redevienne l’aboutissement d’un parcours d’intégration réussi. Entre 2011et 2012, une baisse de 30 % des naturalisations a été constatée. Le Gouvernement a réagi très vite en donnant aux préfets de nouvelles consignes quant à l’interprétation de la loi. Quels en sont les résultats ?
M. Bernard Gérard. Lorsqu’un pays de l’Union ne respecte pas la réglementation européenne, il peut être conduit à verser des pénalités. Or plusieurs pays d’Europe qui reçoivent 17 milliards d’euros pour s’occuper de leurs ressortissants ne font rien ou quasiment rien de cette somme. Comment se fait-il, par exemple, que le non-respect par la Roumanie de ses obligations n’entraîne aucune conséquence ?
Le 5 décembre dernier, nous avons reçu M. Pascal Brice, directeur général de l’OFPRA, qui a expliqué ce qu’il comptait faire pour réduire à neuf mois la durée moyenne d’instruction des dossiers, ce qui entraînerait d’évidentes conséquences budgétaires. Depuis, nous n’avons observé aucune évolution. Or des directives européennes vont bientôt entrer en application, que nous allons devoir transcrire en droit français. La marche à franchir ne risque-t-elle pas d’être beaucoup plus haute ? Je suis très attaché aux libertés publiques et je pense que cette évolution représente un progrès, mais elle est aussi une source de difficultés supplémentaires. Va-t-elle également entraîner un allongement des délais ?
Enfin, nous n’avons pas une idée claire de ce que coûte la politique du droit d’asile en France, entre les CADA, les CHRS, les chambres d’hôtel, les dépenses assumées par les conseils généraux… Pouvez-vous nous donner un chiffre précis ?
M. Erwann Binet. Monsieur le ministre, dans votre analyse de la question de l’accès au droit d’asile, vous avez fortement lié les difficultés relatives aux procédures et à leur longueur et celles qui tiennent à l’hébergement des demandeurs et des déboutés. Depuis la régionalisation de la demande d’asile, décidée en 2009, les difficultés d’hébergement ne sont plus seulement quantitatives – dues à l’insuffisance du nombre de places –, ni qualitatives – liées à la répartition de ces places entre les CADA et l’hébergement d’urgence -, mais aussi d’ordre géographique. Mon département, l’Isère, est un pôle d’accueil régional. Or, comme l’État voit ses dispositifs saturés, le conseil général a dû se substituer à lui, ce qui pose de réels problèmes, non seulement en raison des difficultés budgétaires que connaissent aujourd’hui les conseils généraux, mais aussi parce qu’il en résulte une inégalité, au sein d’une même région, entre les départements dont la préfecture accueille des demandeurs d’asile et les autres.
Dans le budget pour 2014, les crédits pour l’hébergement augmentent globalement, avec un rééquilibrage au bénéfice des CADA. Vous nous avez part de vos réflexions sur cette question en insistant sur la nécessité de mieux répartir l’accueil des demandeurs d’asile sur le territoire national. À très court terme, comment allez-vous prendre en compte ce déséquilibre géographique dans la distribution des moyens supplémentaires prévus ?
M. Didier Quentin. Vous avez convenu vous-même que les délais d’instruction des demandes d’asile tendent à s’allonger, ce qui pèse sur l’ensemble du système. Notre dispositif n’octroie l’asile qu’à une faible part des demandeurs, créant ainsi, après une instruction d’une durée moyenne de vingt mois, les conditions d’une immigration illégale, dans la mesure où la majorité des demandeurs, après refus de leur dossier, demeurent sur le territoire national. De plus, les demandes sont concentrées sur certains territoires, l’Île-de-France en recueillant 45 %.
Vous venez de confirmer votre volonté de réformer notre droit d’asile à partir des recommandations de Mme Létard et de M. Touraine, avec l’objectif d’apporter des garanties nouvelles aux demandeurs d’asile, de renforcer l’efficacité des procédures, l’accès au système d’accueil et d’hébergement sur le territoire et l’insertion des bénéficiaires d’une protection internationale. Mais comment allez-vous éviter de créer de nouveaux immigrés illégaux, compte tenu de la durée d’instruction des demandes ?
S’agissant des régularisations, combien ont été faites sur le fondement de la circulaire de novembre 2012 ? Combien d’éloignements ont été opérés en 2013 ? Le « bleu » budgétaire est muet sur ce point, ce dont on peut s’étonner.
M. Lionel Tardy. La régionalisation des demandes d’asile pose problème dans certains cas. En Bourgogne par exemple, elle a été annulée. L’impact de cette réforme est-il significatif en termes budgétaires ?
Concernant les frais d’éloignement, vous expliquiez l’année dernière que la baisse de 1 million d’euros était due au fait que les éloignements étaient effectués vers des pays proches. Qu’est-ce qui explique la nouvelle baisse des crédits observée cette année, plus importante encore puisqu’elle atteint 3 millions d’euros ?
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Je remarque que chacun des groupes a confirmé la volonté de rechercher le consensus sur cette question, même si le premier acte posé par l’opposition consiste à voter, par principe, contre ce budget en liant les questions budgétaires à des problématiques politiques plus générales – mais c’est un droit que je ne lui conteste pas ; nous en avons fait autant dans le passé.
Je laisserai de côté la question de l’asile, car je souhaite, dans ce domaine, attendre que la concertation parvienne à son terme.
Monsieur Larrivé, en ce qui concerne les parents d’enfants scolarisés et les jeunes majeurs, ce gouvernement a défini des critères de régularisation pérennes et simples – même si leur application ne l’est pas toujours –, fondés sur une durée minimale de présence sur le territoire et de scolarisation des enfants. Pour une famille, ces durées sont respectivement de cinq et trois ans ; en outre, pour la première fois, la régularisation est possible lorsque les deux parents sont en situation irrégulière, ce que la circulaire signée en 1997 par Jean-Pierre Chevènement n’avait pas autorisé. Un jeune majeur doit, lui, justifier de deux ans de présence sur le territoire lorsqu’il atteint dix-huit ans, ainsi qu’une scolarité assidue. La situation au regard du séjour des parents est également prise en compte.
Enfin, ces critères insistent sur l’importance de l’intégration et de l’absence de troubles à l’ordre public. Et si la seule scolarisation ne peut constituer un motif suffisant de régularisation, ce gouvernement, très attentif à ces questions, en a fait un élément devant être pris en compte.
Il ne peut y avoir de politique en la matière que fondée sur des critères objectifs. Dans le cas contraire, la décision dépend des préfectures ou des familles concernées, et la politique s’adapte en fonction des circonstances. À moins de ne régulariser personne – ou au contraire de régulariser tout le monde –, il faut se doter de critères clairs de régularisation. C’était d’ailleurs un engagement du Président de la République pendant la campagne.
Les préfets appliquent toutes ces règles. Toute politique est mise en œuvre par le ministre concerné ; dès lors que l’application des règles ne donne lieu à aucune faute, les préfets méritent tout le respect. Je leur rends d’ailleurs hommage, ainsi qu’aux forces de l’ordre, policiers et gendarmes qui, en matière d’immigration illégale, assument des missions extrêmement difficiles. Nous disposons d’un corps préfectoral de très grande qualité et le mettre en cause ne pourrait conduire qu’à son délitement, au détriment de la continuité républicaine. J’invite donc à ne pas réclamer la démission de tel ou tel préfet sans raison valable.
J’en viens à la question des flux migratoires après la disparition du programme 301 sur le développement solidaire. Entre 2007 et 2008, la France a conclu une quinzaine d’accords. Depuis 2013, le transfert des crédits du programme 301 au ministère des affaires étrangères a conduit à modifier l’équilibre de gestion des accords existants et à écarter le volet « développement solidaire » du champ des accords à venir. La stratégie du Gouvernement en la matière consiste à évaluer les effets des accords signés et à s’inscrire plus résolument dans la stratégie européenne des partenariats pour la mobilité, dont l’économie est inspirée de celle des accords de gestion concernés. C’est M. Canfin qui conduit cette politique.
Une mission conjointe des ministères de l’intérieur et des affaires étrangères vient d’être lancée en vue de procéder à l’évaluation de ces accords et, plus généralement, de faire des propositions sur la place des questions migratoires dans la politique extérieure de la France.
M. Larrivé m’a également interrogé sur le bilan de la directive relative au détachement des travailleurs – qui, d’ailleurs, ne relève pas directement de ma compétence. Cette directive est une conséquence de la liberté de circulation en Europe, dont les Français bénéficient également. Le problème est son détournement par des entreprises qui organisent le dumping grâce à de faux détachements. Michel Sapin est particulièrement mobilisé contre cette forme de fraude. La lutte a été renforcée et continuera à l’être.
À l’intention de M. Richard, j’indique que la lutte contre l’immigration irrégulière a été marquée en 2013 par trois tendances. La première est la hausse sensible du nombre de filières démantelées : pour la première fois depuis que cet indicateur existe, il atteint un chiffre record de 200, contre 184 en 2012, qui était déjà une très bonne année. Cela étant, des progrès restent à accomplir dans ce domaine, car d’autres filières poursuivent leurs activités.
La deuxième tendance est à la stabilité du nombre des éloignements contraints, qui sera approximativement de 21 000 en 2013, comme en 2012 et en 2011. La dynamique est plus forte qu’en 2009 et en 2012, puisque ce nombre était alors de 17 000. Chacun doit en être conscient. L’un d’entre vous l’a dit : il y a les paroles, et il y a les actes. Voilà les actes. La vraie vie, pour reprendre l’expression de M. Cochet, je la connais, pour avoir été maire pendant onze ans d’une ville ouverte au monde, qui a bénéficié de la force que peut apporter l’immigration mais sait aussi quels problèmes elle peut poser.
Les chiffres que je vous donne rappellent la difficulté, quand on gouverne, de mener des politiques de régularisation et d’éloignement du territoire, et l’écart entre les grands discours et la réalité. C’est pourquoi j’invite l’opposition à mesurer ses critiques. Ce sont des politiques difficiles, mais il faut les mener, avec nos valeurs, avec nos lois, après des débats tels que celui organisé sur l’immigration liée au travail. Cette dernière représente une part très faible de l’immigration, à côté de l’accueil des étudiants étrangers – ils sont 60 000 –, de l’immigration liée à la famille et de l’asile.
La troisième tendance est la diminution du nombre de retours aidés. On comptait 15 000 départs volontaires en 2012 ; nous n’en attendons guère plus de 7 000 pour 2013. Cette diminution de 50 % est quasi exclusivement imputable à la baisse des retours aidés des ressortissants roumains et bulgares. Je revendique cette évolution : les aides au retour trop généreuses accordées aux ressortissants communautaires étaient à l’origine d’installations massives et incontrôlées de populations attirées par un avantage que la France était le seul pays d’Europe à offrir.
Le Gouvernement lutte contre l’immigration irrégulière et il veille à limiter les effets d’aubaine liés à certaines aides. Cette politique claire produit des résultats.
Plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur la baisse des crédits destinés à la lutte contre l’immigration illégale. Entre 2007 et 2012, le précédent gouvernement pratiquait l’affichage budgétaire pour montrer sa détermination, mais les dépenses exécutées étaient systématiquement très éloignées des prévisions. En moyenne, sur la période de 2009 à 2012, seulement 75 % des crédits inscrits en loi de finances initiale ont été consommés dans le périmètre qui nous intéresse. Quant aux crédits de billetterie, ils n’ont été consommés qu’à hauteur de 77 %.
En 2013, en inscrivant 76 millions d’euros en loi de finances initiale, nous avons en conséquence veillé à ajuster la budgétisation à la réalité de la dépense. En 2014, nous proposons d’inscrire 73 millions d’euros. L’ajustement entre 2013 et 2014 s’explique par la passation de nouveaux marchés plus globaux pour le fonctionnement hôtelier des CRA, qui se traduit par une baisse de 0,8 million d’euros des crédits nécessaires; par un recul de 2,7 millions en billetterie – le total des crédits de 21,6 millions correspond au niveau moyen constaté entre 2011 et 2013 –, par la progression de l’investissement immobilier en raison de la construction du centre de rétention de Mayotte et par l’augmentation des dépenses d’action sociale et sanitaire en CRA.
En matière de rétention, madame Françoise Descamps-Crosnier, monsieur Sergio Coronado, le Gouvernement entend garantir que la privation de liberté, parfois inévitable pour assurer l’éloignement, soit la plus brève possible et se déroule dans le respect des droits de la personne étrangère et dans les meilleures conditions. Il souhaite également limiter les déplacements avec escorte qui mobilisent les forces de l’ordre pour des opérations à faible valeur ajoutée en termes de lutte contre l’immigration irrégulière. La fermeture d’un grand nombre de centres de rétention n’est pas souhaitable car elle entraînerait une hausse de la promiscuité. Depuis septembre, le taux d’occupation des CRA est globalement de l’ordre de 60 % – il est plus élevé pour les hommes seuls, atteignant dans ce cas 75 %, que pour les femmes isolées ou les familles. Depuis la circulaire du 6 juillet 2012, les familles ne sont qu’extrêmement rarement placées en détention, j’y reviendrai.
D’autre part, le Gouvernement entend faciliter l’accès des migrants aux droits et à des « temps d’occupation ». Un texte relatif à la simplification de l’accès des associations aux CRA sera publié avant la fin de l’année, et l’accès des journalistes accompagnant des parlementaires sera également facilité. Le marché public pour l’accès des personnes retenues à une procédure d’assistance juridique est en cours de passation pour une période de trois ans. Une concertation avec l’ensemble des associations spécialisées a conclu à la nécessité de développer des activités pour rompre l’isolement des intéressés ; des projets sont à l’étude et une première expérimentation doit avoir lieu avec le GÉNÉPI, le groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées.
Monsieur Coronado, la baisse des crédits destinés à l’allocation temporaire d’attente s’explique par la suppression des versements indus, à la suite de la mission conjointe menée par les inspections générales des finances, des affaires sociales et de l’administration. La baisse des crédits d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (HUDA) est due à la création de 4 000 places de CADA en 2013 et 2014, qui devrait avoir pour conséquence une moindre sollicitation de ces dispositifs.
En 2012, la France a reçu sept cents demandes d’asile de la part de ressortissants syriens : en 2013, elle en a reçu le double. Le taux d’attribution de la protection accordée par l’OFPRA s’élève à 85 %. À l’instar d’autres dirigeants européens, le Président de la République a annoncé la volonté de la France d’accueillir, en 2013-2014, cinq cents personnes supplémentaires en provenance des camps de réfugiés gérés par le HCR. Depuis deux ans, la France a accueilli 3 700 Syriens. Elle assume ses responsabilités tout en privilégiant l’accueil par les pays qui se trouvent à proximité de la zone concernée.
Dès la publication du rapport d’information parlementaire consacré aux immigrés âgés, j’ai mis en œuvre une réforme qui va au-delà des préconisations de la mission d’information. Tout immigré âgé de plus de soixante ans qui sollicite le renouvellement de sa carte de résidence doit se voir remettre une carte de résident valable sans limitation de durée – sauf évidemment en cas de problèmes spécifiques liés au demandeur.
Monsieur Dolez, la préservation et l’amélioration de la qualité des procédures mises en œuvre par l’OFPRA et par la CNDA constituent des objectifs essentiels. La concertation en cours sur l’asile s’est pleinement saisie de la question et je souhaite que la future loi apporte des garanties supplémentaires en la matière, particulièrement au bénéfice des personnes vulnérables.
Les employeurs d’étrangers en situation irrégulière qui s’engagent pour la régularisation d’un travailleur migrant satisfaisant aux critères de la circulaire du 28 novembre 2012 ne sont, en pratique, jamais inquiétés. Il n’y a aucune contradiction entre la possibilité de régularisation par le travail, qui implique des employeurs vertueux, et la lutte contre le travail illégal, qui constitue l’une des priorités du Gouvernement.
Le règlement de Dublin vient d’être réformé : il prévoit une procédure renforcée avant la décision de réadmission et un recours suspensif. Même si les débats se poursuivent au niveau européen, l’équilibre ainsi atteint paraît satisfaisant.
La loi du 31 décembre 2012 a supprimé le « délit de solidarité » applicable aux personnes ayant aidé un étranger en situation irrégulière dans un cadre humanitaire. Désormais, ces faits dépénalisés ne peuvent plus être retenus contre les personnes qui souhaitent acquérir la nationalité française.
La circulaire du 6 juillet 2012 a mis fin au primo-placement de parents accompagnés d’enfants mineurs. Un an après, une dizaine de familles seulement avait dû être placée en centre de rétention après avoir mis en échec une procédure d’assignation à résidence ou d’éloignement. Au second semestre 2012, cinquante familles ont été assignées à résidence à l’initiative de seize préfectures, conformément à la procédure prévue par la circulaire. À titre de comparaison, entre le 1er janvier et le 30 avril 2012, au moins soixante-dix familles avaient séjourné en centre de rétention durant au minimum quelques heures.
Madame Untermaier, concernant la déconcentration de la procédure de naturalisation, nous avons tiré les conclusions de l’avis budgétaire présenté l’année dernière par M. Patrick Mennucci. J’ai souhaité la création de plateformes expérimentales en Lorraine et en Franche-Comté, à partir du 1er septembre 2013, et en Picardie, à partir du 1er janvier 2014. Cette expérimentation s’achèvera le 31 décembre 2014 ; elle donnera lieu à un bilan dressé par le préfet du département pilote. Au mois d’octobre, un rapport d’évaluation sera remis par le ministre chargé des naturalisations au Premier ministre.
Je tiens à souligner qu’entre septembre 2012 et septembre 2013, les naturalisations ont augmenté de 18 %. Nous avons donc inversé la tendance par rapport à la période précédente – marquée par un recul qui ne résultait d’aucun texte et n’avait fait l’objet d’aucun débat alors même qu’il nous semble contraire à l’idée que nous nous faisons de la France. Nous poursuivrons dans cette voie sans rien brader, car devenir Français, c’est à la fois une fierté et une exigence !
Monsieur Terrot, j’ai personnellement rencontré les familles et les enfants albanais et kosovars qui risquent de se retrouver sous le pont Kitchener à Lyon dans des conditions insupportables. L’OFPRA a réagi très rapidement, mais les recours devant la CNDA doivent être instruits. En attendant, il faut que le préfet du Rhône trouve les solutions adéquates pour répartir ces personnes sur un territoire où la question de l’accueil des migrants pose déjà de grandes difficultés. Dans le cadre de la réforme du système d’asile, des améliorations devront être apportées concernant l’établissement de la liste des pays d’origine sûrs. Des évolutions ont d’ores et déjà lieu : l’Arménie par exemple est désormais un « pays sûr ». À mon sens, il faut considérer comme tels les pays européens qui frappent à la porte de l’Union. L’OFPRA et le ministère doivent prendre des initiatives et agir rapidement.
Madame Mazetier, vous avez raison, derrière les missions, les programmes et les actions, il y a des hommes et des femmes. Les dépenses de personnel retracées au titre 2 s’élèveront en 2014 à 41 millions d’euros pour la direction générale des étrangers en France (DGEF), l’ex-secrétariat général à l’immigration et à l’intégration (SGII), qui compte quelque 550 emplois équivalents temps plein. Il nous revient de soutenir et d’encourager les personnels du ministère, de l’OFII et de l’OFPRA – ce qui pourrait d’ailleurs aider, pour ce dernier, à réduire un turn-over préjudiciable à l’efficacité du dispositif d’asile.
Monsieur Cochet, le ministère de l’intérieur ne connaît que de l’hébergement d’urgence lié à l’asile, à l’exclusion des dispositifs de droit commun relevant de Mme Cécile Duflot. Les situations rencontrées cette année dans le Rhône ou à Clermont-Ferrand ont démontré l’existence d’une réelle tension en matière budgétaire. J’ai toutefois obtenu de mon collègue chargé du budget, M. Bernard Cazeneuve, le versement au début du mois d’octobre d’une rallonge de 18 millions d’euros aux préfectures les plus en difficulté.
Madame Mazetier, vous proposez la création d’un observatoire statistique de l’immigration. Il existe déjà au sein de la DGEF un service ministériel qui produit de façon indépendante et transparente des statistiques présentées dans un rapport annuel adressé à tous les parlementaires. Nous réfléchissons à renforcer ses moyens afin d’améliorer les statistiques relatives à la lutte contre l’immigration irrégulière. Je reste cependant ouvert à toute proposition en la matière.
La politique d’asile portée par le ministère de l’intérieur coûte environ 500 millions d’euros par an, mais il est exact que nous manquons de données consolidées sur le coût global supporté par l’ensemble des acteurs de cette politique.
Oui, monsieur Binet, le système de l’asile est à bout de souffle et il doit être réformé. Si la répartition géographique des places d’hébergement constitue un enjeu majeur, il faut se souvenir que 45 % de l’accueil se fait en Île-de-France. Nécessairement, ce territoire doit être pris en compte de façon spécifique dans la réforme en cours.
Monsieur Quentin, la circulaire du 28 novembre 2012 a généré des demandes supplémentaires de régularisation en préfecture. On a par exemple constaté un triplement des demandes d’admission exceptionnelle au séjour en Seine-Saint-Denis ou à Paris. Depuis vingt ans et dans de telles circonstances, ces phénomènes sont habituels. Malgré cet afflux, les préfectures ont su gérer la situation avec un grand professionnalisme. L’amélioration de l’accueil est l’un des objectifs prioritaires que je leur ai assignés ; les étrangers doivent évidemment en bénéficier et des progrès certains ont été constatés à cet égard.
Depuis décembre 2012, environ 16 600 personnes ont été régularisées au titre de la circulaire : on ne peut donc pas parler d’opération de régularisation massive. Ces régularisations sont, pour 80 % d’entre elles, demandées pour un motif familial – dans une majorité de cas, il s’agit de parents d’enfants scolarisés. La circulaire résout ainsi des cas autrefois inextricables, mais elle reste exigeante en matière de preuves d’intégration – elle exclut notamment de régulariser au seul motif de l’ancienneté de résidence sur le territoire. Il faut toutefois prendre les données chiffrées avec précaution, d’autant qu’elles ne sont que provisoires et que nombreuses sont les régularisations effectuées au titre de la circulaire qui auraient eu lieu sans celle-ci. Il serait donc faux d’affirmer que la circulaire est à l’origine de 16 600 régularisations supplémentaires. En fait, par rapport au volume de régularisations habituellement constaté, nous devrions enregistrer sur l’ensemble de l’année 2013 une hausse conjoncturelle de l’ordre de 10 000 régularisations. Nous constaterons ces chiffres lors de la publication des données consolidées de l’immigration en 2013, dont les premiers éléments devraient être disponibles à la fin du premier trimestre de l’an prochain. Ce phénomène est évidemment conjoncturel ; il est, je le répète, comparable à ceux provoqués par de précédentes circulaires de régularisation, la dernière datant de 2006.
Monsieur Quentin, le « bleu budgétaire » ne fixe pas d’objectif en matière de reconduites à la frontière car la politique du chiffre a été abandonnée. Les parlementaires sont toutefois informés postérieurement du nombre de reconduites effectuées grâce au rapport annuel du programme.
M. le président Gilles Carrez. Monsieur le ministre, nous vous remercions.
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À l’issue de l’audition de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, la Commission examine, sur le rapport de Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis « Immigration, intégration et accès à la nationalité française » et de M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis « Asile », les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».
La Commission examine l’amendement n° II-CL21 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement est identique à un amendement que j’avais déjà déposé l’année dernière. Il vise à redéployer cinq millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement du programme « Immigration et asile » vers le programme « Intégration et accès à la nationalité française », afin de diminuer la dotation consacrée aux centres de rétention administrative et d’augmenter celle allouée à l’accueil et à l’intégration des étrangers. Le taux moyen d’occupation des centres de rétention administrative, qui était de 50 % et qui est désormais de 60 % selon le chiffre que nous a communiqué le ministre, reste faible. La fermeture de certains centres inutiles serait opportune.
M. Laurent Grandguillaume, rapporteur spécial de la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire pour les crédits « Immigration, asile et intégration ». Cet amendement pose la question du « maillage territorial » des centres de rétention administrative. La fermeture de certains centres pourrait engendrer des frais supplémentaires de transport des personnes retenues. Les conséquences de l’adoption de cet amendement nécessiteraient donc d’être évaluées.
Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis « Immigration, intégration et accès à la nationalité française ». Je suis défavorable à cet amendement, car la fermeture de centres de rétention aurait pour conséquence d’éloigner les étrangers retenus des personnes et des associations dont elles sont proches. Elle risquerait de dégrader leurs conditions de rétention, en raison de l’augmentation de la densité d’occupation. Enfin, elle allongerait la durée de transport.
M. Sergio Coronado. Faudrait-il en déduire que l’implantation de centres de rétention administrative sur tout le territoire serait alors un objectif ?
La Commission rejette l’amendement.
La Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2014 suivant les conclusions de Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure pour avis « Immigration, intégration et accès à la nationalité française ».
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS
• France terre d’asile
– M. Pierre Henry, directeur général
– M. Matthieu Tardis, responsable du secrétariat administratif général
• Coordination française pour le droit d’asile (CFDA)
– Mme Florence Boreil, responsable des programmes asile
– M. Gérard Sadik, coordinateur asile de la CIMADE
Déplacement à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)
– M. Pascal Brice, directeur général
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