N° 1435
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2013.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 1395)
de finances pour 2014
TOME VII
JUSTICE
ACCÈS AU DROIT ET À LA JUSTICE ET AIDE AUX VICTIMES
PAR Mme Nathalie NIESON
Députée
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Voir le numéro : 1438-III-32.
En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir à la rapporteure pour avis au plus tard le 10 octobre 2013 pour le présent projet de loi de finances. À cette date, la Chancellerie a transmis la totalité des réponses attendues. |
SOMMAIRE
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Pages
I. L’AIDE JURIDICTIONNELLE VOIT SES CRÉDITS PROGRESSER DE MANIÈRE IMPORTANTE 7
II. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ACCÈS AU DROIT ET DU RÉSEAU JUDICIAIRE VOIT SES CRÉDITS STABILISÉS 9
III. L’AIDE AUX VICTIMES 10
A. DES CRÉDITS QUI CONTINUENT DE PROGRESSER 10
B. POUR L’INSTAURATION D’UNE CONTRIBUTION POUR L’AIDE AUX VICTIMES 11
IV. LA MÉDIATION FAMILIALE BÉNÉFICIE D’UNE DOTATION STABLE 14
DEUXIÈME PARTIE : ACCÈS AU DROIT ET AIDE AUX VICTIMES DANS LE CADRE DES PROCÉDURES DE JUGEMENT RAPIDE OU SIMPLIFIÉ 17
I. LES PROCÉDURES DE JUGEMENT RAPIDE OU SIMPLIFIÉ : DES ENJEUX SPÉCIFIQUES POUR LES VICTIMES COMME POUR LES MIS EN CAUSE 17
A. LES PROCÉDURES DE JUGEMENT RAPIDE OU SIMPLIFIÉ REPRÉSENTENT DÉSORMAIS LA MOITIÉ DES AFFAIRES CORRECTIONNELLES 17
1. La procédure de comparution immédiate 18
2. La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité 19
3. L’ordonnance pénale délictuelle 21
B. LES ENJEUX POUR LES MIS EN CAUSE ET POUR LES VICTIMES SONT PARTIELLEMENT DE MÊME NATURE 21
1. Pour la victime 21
a. Être informée des modes de poursuite et, le cas échéant, de la tenue de l’audience 21
b. Être physiquement et psychiquement en état d’être présente à l’audience 22
c. Être en mesure de faire valoir ses droits 23
d. Être informée des suites de l’audience 24
2. Pour la personne mise en cause 24
a. Avoir le temps d’organiser sa défense 24
b. Être physiquement et psychiquement en état d’être jugé 24
II. L’ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES DANS LE CADRE DES PROCÉDURES DE JUGEMENT RAPIDE OU SIMPLIFIÉ : LE PREMIER BILAN TRÈS POSITIF DE LA GÉNÉRALISATION DES BUREAUX D’AIDE AUX VICTIMES 25
A. UNE PRISE EN CHARGE PLURIDISCIPLINAIRE OU LE CLAIR PARTAGE DES RÔLES ENTRE AVOCATS ET ASSOCIATIONS 25
B. … QUI A GAGNÉ EN CONHÉRENCE AVEC LA GÉNÉRALISATION DES BUREAUX D’AIDE AUX VICTIMES 26
C. LES ENSEIGNEMENTS À TIRER DES PREMIERS MOIS D’EXPÉRIENCE DES BUREAUX D’AIDE AUX VICTIMES 28
1. Clarifier les règles de financement 29
2. Améliorer les conditions de fonctionnement des bureaux d’aide aux victimes 30
3. Donner aux permanenciers des associations un accès effectif aux données de la chaîne pénale–Cassiopée 30
III. COMMENT AMÉLIORER LE TRAITEMENT DES PRÉVENUS DANS LE CADRE DES COMPARUTIONS IMMÉDIATES ? 31
A. LA COMPARUTION IMMÉDIATE : UNE PROCÉDURE TRÈS CRITIQUÉE 31
B. UNE PROCÉDURE NÉCESSAIRE, MAIS PERFECTIBLE 33
1. Une réponse rapide après la commission de l’infraction pour mettre un terme à un grave trouble à l’ordre public 33
2. Le discernement du ministère public dans son orientation des affaires faisant l’objet d’une poursuite 34
3. La nécessité d’une réflexion d’ensemble sur le traitement des affaires pénales 34
EXAMEN EN COMMISSION 37
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS 67
DÉPLACEMENT DE LA RAPPORTEURE POUR AVIS AU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BOBIGNY 68
Alors qu’un effort très important est engagé par le Gouvernement pour diminuer la dépense publique – une économie nette de 1,5 milliard d’euros pesant sur les dépenses de l’État, hors charge de la dette et des pensions – le budget de la Justice, traduisant la priorité donnée par le président de la République, voit ses crédits progresser de 1,7 % en un an, après une hausse de 4,2 % au cours de l’exercice précédent.
Au sein de la mission « Justice », le programme « Accès au droit et à la justice », qui fait l’objet du présent avis, enregistre une progression particulièrement forte de près de 9 % sur un an. Ce programme regroupe les crédits destinés à permettre au citoyen de connaître ses droits afin de les faire valoir, quelle que soit sa situation sociale et où qu’il se trouve sur le territoire.
Il comprend quatre actions, chacune correspondant à un axe de la politique d’accès au droit et à la justice :
— l’aide juridictionnelle, qui s’adresse aux personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits devant une juridiction, en matière gracieuse ou contentieuse, en demande comme en défense ;
— le développement de l’accès au droit, qui repose sur les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) chargés de recenser les besoins, de définir une politique locale, de faire l’inventaire des dispositifs en place et d’engager des actions nouvelles ;
— l’aide aux victimes, qui vise à améliorer la prise en compte par l’institution judiciaire des victimes d’infractions et à rechercher des modalités d’indemnisation plus justes et plus transparentes ;
— la médiation familiale, dont les crédits sont destinés au soutien des fédérations nationales et du réseau des associations et services intervenant en ce domaine.
Une des caractéristiques principales de la politique d’accès au droit et à la justice et d’aide aux victimes est sa nature partenariale. Pour l’accès à la justice, cette politique se traduit par la prise en charge par l’État de tout ou partie des frais du procès au titre de l’aide juridictionnelle pour les justiciables dont les ressources sont insuffisantes, ainsi que le financement de l’aide à l’intervention de l’avocat en garde à vue. Pour l’accès au droit et l’aide aux victimes, elle se traduit par un soutien financier au secteur associatif et aux collectivités locales.
Pour 2014, la forte progression des crédits du programme est due pour l’essentiel à l’augmentation des crédits budgétaires alloués à l’aide juridictionnelle, qui progressent de près de 30 millions d’euros afin de compenser, du moins partiellement, la suppression de la contribution pour l’aide juridictionnelle de 35 euros, suppression dont se félicite votre rapporteure pour avis.
Après avoir analysé l’évolution des crédits des différentes actions du programme, votre rapporteure pour avis a choisi cette année de concentrer tout particulièrement son étude sur la situation des victimes et des personnes mises en cause dans le cadre des procédures de jugement rapide ou simplifié, que sont la comparution immédiate, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et l’ordonnance pénale délictuelle. Ce mode de traitement des affaires pénales, auquel il est de plus en plus souvent recouru pour juger un certain type d’affaires délictuelles, dès lors que les charges sont suffisantes et que l’affaire est en état d’être jugée, présente un intérêt indéniable : il apporte une réponse pénale dans un délai raisonnable et met fin au trouble à l’ordre public qu’a constitué l’infraction commise. Pour autant, la célérité recherchée est-elle toujours compatible avec la qualité du rendu de la justice, et tout particulièrement avec, d’une part, le plein respect des droits de la défense et, d’autre part, la préservation des droits des victimes ? La justice passe, mais à quel prix ?
Le présent avis est aussi l’occasion pour votre rapporteure pour avis de dresser un premier bilan des bureaux d’aide aux victimes, un an après la décision de la garde des Sceaux de généraliser leur implantation dans l’ensemble des tribunaux de grande instance ; ces bureaux apportent information et soutien à toutes les victimes qui le souhaitent, au premier rang desquelles figurent celles dont l’affaire est jugée très rapidement après la commission des faits.
Pour la préparation de ce rapport, votre rapporteure pour avis a entendu des représentants des syndicats de magistrats, des avocats et des associations d’aide aux victimes ; elle a également entendu M. Jean–Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui s’est tout particulièrement intéressé, dès ses premiers rapports, au traitement des prévenus traduits en comparution immédiate.
Elle s’est enfin rendue au tribunal de grande instance de Bobigny où elle a pu rencontrer magistrats du siège et du parquet, avocats et représentants de l’association SOS victimes 93 et échanger avec eux sur les différentes modalités de poursuite, sur le traitement réservé aux victimes dans chaque type de procédure, mais aussi sur la mise en place du bureau d’aide aux victimes ; elle a enfin assisté à une audience de comparutions immédiates qui s’est avérée très instructive pour l’établissement du présent avis.
PREMIÈRE PARTIE : LES CRÉDITS DE L’ACCÈS AU DROIT
ET À LA JUSTICE POUR 2014
Pour l’année 2014, le présent projet de loi de finances propose de doter le programme « Accès au droit et à la justice » de 369,5 millions d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 8,8 % sur un an. Le tableau ci–après détaille, par action, l’évolution des crédits de paiement du programme par rapport à ceux votés en loi de finances initiale pour 2013 :
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE PAIEMENT DU PROGRAMME
« ACCÈS AU DROIT ET À LA JUSTICE »
(en millions d’euros)
Actions du programme « Accès au droit et à la Justice » |
LFI 2013 |
PLF 2014 |
Évolution |
Aide juridictionnelle |
318,20 |
347,20 |
+ 9,11 % |
Développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité |
5,37 |
5,35 |
– 0,3 % |
Aide aux victimes |
12,86 |
13,70 |
+ 6,5 % |
Médiation familiale et espaces de rencontre |
3,25 |
3,25 |
– 0,2 % |
Total |
339,67 |
369,50 |
+ 8,8 % |
Source : projet annuel de performances pour 2014
L’aide juridictionnelle, totale ou partielle, s’adresse aux personnes dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice ; elle constitue un volet primordial de la politique de l’accès au droit et à la justice, ses crédits représentant 94 % de l’ensemble des crédits alloués au programme.
Pour 2014, ses crédits connaissent une hausse très importante de plus de 9 % sur un an, soit près de 30 millions d’euros, afin de compenser – du moins partiellement – la suppression concomitante, par l’article 69 du présent projet de loi de finances, de la contribution pour l’aide juridique, qui avait été instituée par la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 et dont le produit était affecté au règlement aux avocats de leurs missions d’aide juridictionnelle.
Régie par l’article 1635 bis Q du code général des impôts, cette taxe de 35 euros doit, depuis le 1er octobre 2011, être acquittée par chaque justiciable – le cas échéant par l’intermédiaire d’un auxiliaire de justice – qui introduit une instance en matière civile, commerciale, prud’homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou qui introduit une instance devant une juridiction administrative (1). Le produit de la contribution est exclusivement affecté à la rétribution, par l’intermédiaire des caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), des avocats effectuant des missions d’aide juridictionnelle. Il complète les crédits budgétaires destinés à l’aide juridictionnelle.
Dès son instauration, cette contribution avait fait l’objet de très vives critiques, tant de la part des magistrats et fonctionnaires des services judiciaires que des avocats, en tout premier lieu pour des questions de principe : elle remet en effet en cause le principe de gratuité d’accès à la justice, marquant un recul pour l’accès au droit, et décourage certains justiciables ne bénéficiant pas de l’aide juridictionnelle mais n’ayant pour autant pas des revenus suffisants ; sans compter qu’à cette contribution s’ajoute, en appel, le droit supplémentaire de 150 euros dû par l’ensemble des parties à la procédure d’appel en application de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel (2). Votre rapporteure pour avis salue la suppression de cette taxe au 1er janvier 2014, suppression à laquelle s’était d’ailleurs engagée par avance la garde des Sceaux dès l’an dernier, sous la réserve de trouver d’ici là un mode de financement alternatif.
Car le principal enjeu de la suppression de la taxe réside bien dans la compensation du « manque à gagner » induit. Selon les éléments d’information transmis par la Chancellerie, les CARPA ont reçu, en 2012, un produit de la taxe s’élevant à 54,39 millions d’euros, soit environ un cinquième du total des sommes versées à des avocats ayant effectué des missions d’aide juridictionnelle (277,41 millions d’euros). Entre le 1er janvier et le 31 août 2013, elles déjà ont reçu quelque 40,83 millions d’euros de produit de la taxe, ce qui permet d’évaluer la ressource attendue pour la totalité de l’année 2013 à 60 millions d’euros.
Dans le cadre de l’article 69 du présent projet de loi de finances, le Gouvernement proposait initialement de compenser le manque à gagner lié à la suppression de la taxe, non entièrement compensé par l’augmentation de près de 30 millions d’euros des crédits alloués à l’action « aide juridictionnelle » du programme, par une démodulation du barème des unités de valeur (UV) servant de base au calcul de la rémunération des avocats pour les justiciables bénéficiant de l’aide juridictionnelle totale : la contribution versée par l’État dans le système actuel est le résultat du produit de l’UV, dont le montant varie selon les barreaux et peut être majoré en fonction du volume des missions effectuées au titre de l’aide juridictionnelle rapportée au nombre d’avocats inscrits, par un coefficient qui varie selon la nature de la procédure.
Selon les éléments transmis à votre rapporteure pour avis par les représentants du Conseil national des barreaux, le montant de l’UV pour l’aide juridictionnelle totale variait en 2012, selon les barreaux, d’un minimum de 22,50 euros hors taxes à Paris ou à Nice, à un montant maximal de 25,90 euros hors taxe à Laon ou à Dunkerque, notamment ; il était de 23,18 euros à Marseille et Lyon, de 23,52 euros à Créteil et Nantes, de 24,20 euros à Aurillac et Bastia et de 25,56 euros à Saint–Omer ou Châteauroux.
L’article 69 du projet de loi de finances, dans sa rédaction initiale, supprimait cette modulation et appliquait à tous les barreaux un montant de l’UV de 22,84 euros hors taxes. Toutefois, devant les inquiétudes et le mécontentement exprimé par la profession, qui estimait que cette mesure pénalisait les petits barreaux au détriment des plus grands, la garde des Sceaux a annoncé devant l’assemblée générale extraordinaire du Conseil national des barreaux le 4 octobre 2013, qu’avec l’accord du Premier ministre, elle présenterait un amendement, au nom du Gouvernement, pour « demander au Parlement d’annuler l’application de cette démodulation pour l’exercice budgétaire 2014 ».
II. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ACCÈS AU DROIT ET DU RÉSEAU JUDICIAIRE DE PROXIMITÉ VOIT SES CRÉDITS STABILISÉS
L’action « développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité », qui représente moins de 1,6 % du volume global du programme, voit ses crédits très légèrement réduits (– 0,3 %) par rapport à l’exercice précédent.
Cette stabilisation des crédits, après la diminution plus importante enregistrée l’an passé s’explique, dans une très large mesure, par le fait que le maillage du territoire est en voie d’achèvement pour les conseils départementaux d’accès au droit (CDAD) et est bien assuré pour les maisons de la justice et du droit (MJD), ce qui réduit d’autant le volume des crédits nécessaires pour le premier équipement des structures nouvelles.
Les CDAD, dont seront dotés l’ensemble des départements d’ici la fin de l’année, avec la mise en place du CDAD de Lozère, sont chargés de recenser les besoins locaux, de définir une politique locale, d’impulser des actions nouvelles, de dresser et diffuser l’inventaire des actions menées et d’évaluer la qualité et l’efficacité des dispositifs auxquels l’État apporte son concours.
Leur action s’articule avec celle des 137 MJD et de quelque 1 200 points d’accès au droit, qui sont autant de lieux offrant l’accès au droit sur tout le territoire, y compris dans les établissements pénitentiaires. Sur ce dernier point, M. Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a, lors de son audition, souligné l’importance de donner aux détenus, notamment ceux condamnés à de longues peines, un accès aux textes législatifs et réglementaires, ce que pourrait permettre un accès – limité à certains sites institutionnels – à l’Internet, ce qui est loin d’être permis dans tous les établissements.
Le réseau des MJD a été renforcé ces dernières années par l’implantation dans des zones rurales de MJD dites de « nouvelle génération » et le développement des nouvelles technologies dans les MJD existantes. Certaines d’entre elles sont équipées de bornes dénommées « contacts visio-justice » permettant aux usagers d’entrer en contact à distance et d’échanger des documents avec le greffier de la juridiction de rattachement. Depuis 2010, treize MJD de nouvelle génération ont ainsi ouvert leurs portes à Châteaubriant (Morbihan), Toul (Meurthe-et-Moselle), Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir), Lodève (Hérault), Briançon (Hautes-Alpes), Faulquemont (Moselle), Porto-Vecchio (Corse-du-Sud), Saint-Julien-en-Genevois (Haute-Savoie), Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher), Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie), Loudéac (Côtes-d’Armor), Saint-Lô (Manche) et Romilly-sur-Seine (Aube).
Pour 2014, ce sont cinq nouvelles MJD qui devraient être créées (le budget des services judiciaires prévoit la création de cinq postes de greffiers qui seront affectés à ces structures) ; l’État devrait déléguer aux collectivités territoriales, sous la forme d’une subvention d’investissement, des crédits pour la réalisation des travaux nécessaires.
Votre rapporteure pour avis demeure très attentive au niveau des financements alloués à cette action. Les MJD et les points d’accès au droit assurent une présence judiciaire de proximité indispensable ; il est important que l’État demeure très engagé dans leur financement pour éviter que les partenaires locaux impliqués dans une démarche de cofinancement ne soient tentés de se désinvestir.
Les crédits de l’action « aide aux victimes », qui représentent 3,7 % des crédits du programme, enregistrent à nouveau cette année une forte progression, avec plus de 6 % d’augmentation par rapport à l’exercice précédent. L’an passé, les crédits avaient bondi de 25 %, accompagnant le mouvement de généralisation des bureaux d’aide aux victimes dans tous les tribunaux de grande instance. Conformément à l’objectif fixé par la garde des Sceaux, 150 bureaux d’aide aux victimes auront été créés d’ici à la fin de l’année 2013, soit un quasi-triplement en un an ; en 2014, ce sont quinze nouveaux bureaux qui ouvriront afin d’achever le mouvement de généralisation à l’ensemble du territoire.
La politique d’aide aux victimes d’infractions pénales a pour objet d’améliorer la prise en charge des victimes par l’institution judiciaire tout au long de leur parcours judiciaire, du dépôt de la plainte jusqu’à l’aboutissement de la procédure d’indemnisation ; elle s’appuie sur un réseau de 173 associations locales d’aide aux victimes conventionnées par les cours d’appel en 2013 – un nombre stable sur un an – qui assurent, de manière gratuite et confidentielle, l’accueil, l’information et l’orientation des victimes, non seulement dans les bureaux d’aide aux victimes des tribunaux, mais également dans leurs différentes permanences. En 2012, elles ont aidé au total près de 217 000 victimes d’infractions pénales (+ 0,74 % sur un an) ; plus de 40 000 victimes ont été accueillies au sein des 50 bureaux d’aide aux victimes qui étaient alors en fonction.
Votre rapporteure pour avis a souhaité dresser un premier bilan de la généralisation des bureaux d’aide aux victimes, cf. infra, Deuxième partie, II.
Dans le cadre de l’action « aide aux victimes », une enveloppe de 200 000 euros sera consacrée cette année à la mise en place d’expérimentations destinées à permettre la transposition de la directive européenne sur les victimes (3) qui prévoit l’introduction de quelques nouveaux droits pour les victimes par rapport à ceux, déjà étendus, que prévoit notre droit interne, et consacre en particulier le droit pour les victimes de bénéficier d’une évaluation de leurs besoins spécifiques de protection. Il a été indiqué à votre rapporteure pour avis par le cabinet de la garde des Sceaux qu’une réflexion s’engageait autour de nouvelles modalités de prise en charge des victimes, centrées sur leur vulnérabilité particulière et non sur la nature de l’infraction qu’elles ont subie.
Pour 2014, le financement du réseau des associations d’aide aux victimes se décompose de la manière suivante :
— 11,6 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement sont dévolus au réseau des associations locales d’aide aux victimes qui interviennent sur le territoire national (contre 11,1 millions d’euros en 2012) ; sur ce montant, 3,3 millions d’euros sont consacrés aux missions d’aide au sein des bureaux d’aide aux victimes afin d’assurer la pérennisation des permanences assurées par les associations et permettre l’ouverture de permanences dans les quinze nouveaux bureaux d’aide aux victimes qui seront créés ;
— 1,215 million d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement pour le financement des actions nationales et associations ou fédérations intervenant au niveau national, contre 1,6 million d’euros en 2012 ;
— 100 000 euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement pour le fonds de réserve pour les accidents collectifs et les procès exceptionnels, soit un montant stable par rapport à 2012.
Les récurrentes difficultés de financement des associations conduisent votre rapporteure pour avis à plaider pour un mode de financement pérenne.
La baisse des crédits qui avaient été alloués en 2011 et 2012 au réseau d’associations d’aide aux victimes a été à l’origine de la réduction du nombre d’associations assurant des permanences sur le terrain, au détriment des victimes : on en dénombrait 180 en 2010, elles ne sont plus que 173 depuis 2012. Selon une enquête menée par l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (INAVEM), 61 % des associations adhérentes étaient en déficit en 2011, contre 54 % en 2010. La plupart d’entre elles connaissent de grosses difficultés de trésorerie, les subventions étant versées de plus en plus tard par l’État. Selon les chiffres transmis à votre rapporteure pour avis par la directrice de l’INAVEM, en 2012, 26 associations étaient en état d’alerte en raison de leur situation financière ; deux étaient en liquidation judiciaire, une en redressement et cinq en cessation de paiement.
Pour les associations qui subsistent, l’absence de prévisibilité et de continuité des montants de crédits alloués d’une année sur l’autre ne leur permet pas de garantir le rendu d’un service de même qualité : un emploi à temps plein doit être transformé en temps partiel, les formations de bénévoles ne peuvent plus être assurées, les frais de déplacement ne peuvent plus être pris en charge, des permanences ne sont plus assurées à certaines heures, alors même que les besoins demeurent, sans compter l’accompagnement « hors norme » que nécessitent les victimes dans les grands procès.
Cette situation de vulnérabilité des associations a d’ailleurs été dénoncée par la Cour des comptes dans son rapport public pour 2012 (4) ; la Cour a pointé les limites d’un système fondé sur le cofinancement État–collectivités territoriales. Elle a souligné que, si « les associations bénéficient jusqu’à présent de diverses subventions, en plus de celle allouée par le ministère dans le ressort de chaque cour d’appel », « la coordination et la complémentarité de ces financements sont relativement mal assurées, ce qui conduit à une méconnaissance de la réalité de la situation financière des associations par les autorités judiciaires ». La Cour a noté que « depuis 2009, les collectivités locales se sont retirées, partiellement sinon en totalité, du subventionnement ».
Votre rapporteure pour avis salue, comme elle l’a fait l’an dernier, la volonté de la garde des Sceaux d’inverser cette tendance, comme en témoignait l’an dernier l’augmentation de 25 % des crédits de l’aide aux victimes pour le premier budget de la législature. Elle pense cependant qu’il est possible d’aller plus loin en instaurant un système de financement pérenne des associations d’aide aux victimes.
Elle plaide donc, comme elle l’a déjà fait en juillet dernier dans son rapport au Premier ministre et à la ministre de la Justice dans son rapport sur le financement des associations d’aide aux victimes et la gouvernance de la politique nationale d’aide aux victimes (5), d’une part, pour un système de financement pluriannuel des associations, au moyen de conventions pluriannuelles d’objectifs, leur donnant davantage de visibilité sur leurs dotations et leur permettant d’engager des actions plus ambitieuses au service des victimes et, d’autre part, en faveur de l’instauration d’une contribution pour l’aide aux victimes, assise sur le montant des amendes pénales : elle propose l’instauration d’une majoration de toutes les amendes pénales, y compris les amendes pour infraction au code de la route, d’un montant de 10 euros, le produit de cette majoration étant affecté au financement des associations d’aide aux victimes subventionnées par le ministère de la Justice.
Elle a déposé un amendement au présent projet loi de finances qui constitue la traduction de cette proposition.
Ce nouveau mode de financement complémentaire permettrait de poursuivre le développement, la professionnalisation et la consolidation des services d’aide pour le plus grand nombre des victimes qui en ont besoin. Il répond à une logique de justice réparatrice, en associant l’auteur de l’infraction aux répercussions de ses actes et aux dommages qui peuvent en résulter pour autrui. Les auteurs d’infractions seraient responsabilisés par cette contribution dédiée à compenser les conséquences immédiates et à long terme subies par les victimes, nécessitant aide et accompagnement par des services d’aide aux victimes.
Cette proposition s’inspire aussi de l’exemple du Fonds spécial d’aide aux victimes de la criminalité (FAVAC) mis en place au Québec depuis 1988 : ce fonds, qui finance le réseau de centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) est depuis 2002 alimenté par trois sources de financement : en premier lieu, une suramende compensatoire, dont le montant est fixé par le tribunal ; en deuxième lieu, une contribution complémentaire forfaitaire sur toutes les infractions commises à une loi du Québec, sauf s’il s’agit d’un constat délivré pour une infraction à un règlement municipal (d’un montant de 10 dollars) ; et, enfin, une proportion des produits de la criminalité.
En France, plusieurs propositions de loi en ce sens ont d’ailleurs été déposées au cours de la précédente législature, notamment, le 24 janvier 2012, par Mme Martine Carrillon–Couvreur et l’ensemble des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés (6). Cette proposition envisageait la création d’un fonds de financement d’aide aux victimes, alimenté par une contribution additionnelle de 1 % de l’intégralité des amendes pénales recouvrées.
L’action « médiation familiale et espaces de rencontre », dont les crédits représentent moins de 1 % des crédits du programme, serait dotée de 3,245 millions d’euros en 2013, contre 3,25 millions en 2012, soit une stabilisation des crédits après la très forte augmentation de plus de 33 % constatée l’an dernier.
Cette action regroupe les crédits venant à l’appui des politiques visant à maintenir les liens familiaux au-delà des séparations et des divorces. La mise en œuvre de ces dispositions repose essentiellement sur un réseau bénéficiant d’un soutien financier de l’État, composé de 257 associations locales et services de médiation familiale ou espaces de rencontre entre parents et enfants. Ces différentes structures se voient confier par les juridictions ou, à titre conventionnel, par divers organismes ou par les intéressés eux-mêmes, des missions dont la finalité est d’informer les parties et de permettre un règlement apaisé des conflits familiaux (médiation familiale) et le maintien des liens entre un enfant et ses parents dans des situations où ces derniers ne peuvent les accueillir à leur domicile (espaces de rencontre).
Pour 2014, les dépenses d’intervention en faveur des associations de médiation familiale et d’espaces de rencontre se répartissent entre deux dotations :
— une dotation de 3,175 millions d’euros destinée au réseau des associations locales ;
— une dotation de 0,07 million d’euros pour le développement du partenariat avec les fédérations et les associations nationales de médiation familiale et d’espaces de rencontre.
Le ministère de la Justice souhaite promouvoir encore davantage ce mode de résolution amiable des conflits dans le domaine familial ; deux procédures nouvelles sont en cours d’expérimentation dans les tribunaux de grande instance de Bordeaux et Arras, en application de deux arrêtés du garde des Sceaux du 16 mai 2013 :
— la première concerne la « double convocation », prévue par le décret n° 2010-1395 du 12 novembre 2010 : l’article 1er de ce décret permet au juge aux affaires familiales, dès qu’il est saisi d’un litige, d’enjoindre les parties de rencontrer, avant l’audience, un médiateur familial. Les parties reçoivent alors une double convocation, l’une devant le médiateur familial, et l’autre, devant le juge aux affaires familiales pour l’audience d’examen de l’affaire.
— la seconde, prévue à l’article 15 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, vise, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, à instituer une médiation préalable obligatoire afin de limiter ou de faciliter les procédures contentieuses ultérieures. Dans les deux tribunaux précités, par dérogation aux dispositions de l’article 373-2-13 du code civil, la saisine du juge aux affaires familiales pour fixation des modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant doit être précédée, à peine d’irrecevabilité, d’une tentative de médiation familiale, sauf dans trois cas : lorsque la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l’homologation d’une convention ; lorsque l’absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime ; lorsque la tentative de médiation préalable risque, compte tenu des délais dans lesquels elle est susceptible d’intervenir, de porter atteinte au droit des intéressés d’avoir accès au juge dans un délai raisonnable.
DEUXIÈME PARTIE : ACCÈS AU DROIT ET AIDE AUX VICTIMES DANS LE CADRE DES PROCÉDURES DE JUGEMENT
RAPIDE OU SIMPLIFIÉ
I. LES PROCÉDURES DE JUGEMENT RAPIDE OU SIMPLIFIÉ : DES ENJEUX SPÉCIFIQUES POUR LES VICTIMES COMME POUR LES MIS EN CAUSE
Cela relève assurément de l’évidence, mais un des enjeux majeurs des procédures de jugement rapide pour les mis en cause comme pour les victimes réside dans l’urgence : il s’agit, pour les uns comme pour les autres, de faire valoir leurs droits, et donc d’être informés et accompagnés par différents acteurs du monde judiciaire – pour l’essentiel avocats et associations d’aide aux victimes – qui doivent s’organiser pour être en mesure de leur apporter une aide rapide et efficace.
Après un rapide rappel du cadre juridique des trois procédures étudiées par le présent avis (comparution immédiate, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité – CRPC – et ordonnance pénale délictuelle), votre rapporteure pour avis a souhaité étudier la spécificité des enjeux que représentent ces diverses procédures pour les victimes comme pour les personnes mises en cause.
S’attachant ensuite aux victimes, elle dresse un premier bilan de l’activité des bureaux d’aide aux victimes implantés au sein des tribunaux de grande instance et appelle l’attention du Gouvernement sur un certain nombre de points qui pourraient être améliorés.
Adoptant enfin le point de vue des mis en cause jugés dans le cadre de la procédure de comparution immédiate, elle a pu constater les limites d’une telle procédure et plaide pour qu’une réflexion soit engagée sur les différentes modalités de poursuite des infractions délictuelles.
A. LES PROCÉDURES DE JUGEMENT RAPIDE OU SIMPLIFIÉ REPRÉSENTENT DÉSORMAIS LA MOITIÉ DES AFFAIRES CORRECTIONNELLES
Les procédures de jugement rapide ou simplifié – comparutions immédiates, CRPC, ordonnances pénales délictuelles – représentent une part importante du nombre total des affaires poursuivies par les tribunaux correctionnels (50 % en 2012 contre 42 % en 2007), comme l’illustre le tableau ci–après.
RECOURS AUX PROCÉDURES DE JUGEMENT RAPIDE OU SIMPLIFIÉ
2007–2012
Année |
Nombre total d’affaires poursuivies par les tribunaux correctionnels |
– dont comparutions immédiates |
Part des comparutions immédiates |
– dont ordonnances pénales délictuelles |
Part des ordonnances pénales |
– dont CRPC |
Part des CRPC |
2007 |
533 767 |
46 233 |
8,7 % |
129 914 |
24,3 % |
49 712 |
9,3 % |
2008 |
530 760 |
45 369 |
8,5 % |
136 124 |
25,6 % |
56 326 |
10,6 % |
2009 |
540 654 |
43 670 |
8,1 % |
144 711 |
26,8 % |
77 530 |
14,3 % |
2010 |
514 699 |
42 056 |
8,2 % |
136 291 |
26,5 % |
78 299 |
15,2 % |
2011 |
500 386 |
38 741 |
7,7 % |
143 093 |
28,6 % |
63 965 |
12,8 % |
2012 |
492 304 |
37 778 |
7,7 % |
146 102 |
29,7 % |
65 106 |
13,2 % |
Évolution2007-2012 |
+ 7,8 % |
-18,3 % |
- |
+ 12,5 % |
- |
+ 31,0 % |
- |
Source : 2007-2010 Cadres du parquet – 2011–2012 Système d’information décisionnelle
Dans sa rédaction en vigueur, l’article 395 du code de procédure pénale permet au procureur de la République, s’il estime que les éléments de l’espèce le justifient et « lorsqu’il lui apparaît que les charges réunies sont suffisantes et que l’affaire est en l’état d’être jugée » traduire le prévenu en comparution immédiate, dès lors que le maximum de l’emprisonnement encouru est au moins égal à deux ans, ou, en cas de délit flagrant, à six mois. Le prévenu est dès lors retenu jusqu’à sa comparution devant le tribunal – le cas échéant, il est retenu pour une durée maximale de vingt heures dans le dépôt du tribunal une fois sa garde à vue levée – et conduit sous escorte devant le tribunal.
La procédure, qui à l’origine ne concernait que les flagrants délits, a connu un élargissement progressif de son champ d’application, la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 (7) l’ayant étendu à tous les délits passibles de deux à dix ans d’emprisonnement (contre un quantum maximum de sept auparavant) et dès six mois en cas de flagrant délit (et non plus dès un an de peine encourue), sauf délits de presse, délits politiques ou infractions dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale.
Comme le relevaient en 2005 les auteurs d’un rapport d’information du Sénat (8), les critères principaux de recours à la procédure de comparution immédiate sont « la nécessité de remédier rapidement à des faits simples mais graves ayant troublé l’ordre public, commis par une personne ayant des antécédents judiciaires, par un contrôle judiciaire ou un mandat de dépôt ».
Sont ainsi jugées quotidiennement des affaires de vols simples, de trafics de stupéfiants, mais aussi de vols avec violence, de conduites sous l’emprise d’un état alcoolique en récidive ou des actes de violences contre les personnes, notamment de violences conjugales.
En pratique, dans les plus grands tribunaux de grande instance, tels ceux de Paris ou de Bobigny où s’est rendue votre rapporteure pour avis, des audiences sont spécifiquement consacrées aux comparutions immédiates ; d’autres tribunaux, les comparutions immédiates ont lieu au cours des audiences correctionnelles « classiques ».
Au cours de l’audience, le prévenu est d’abord interrogé par le président du tribunal sur son acceptation ou non d’être jugé immédiatement, en application de l’article 397 du code de procédure pénale. Si le prévenu ne consent pas à être jugé séance tenante, de même que si l’affaire ne paraît pas en état d'être jugée, le tribunal peut, après avoir recueilli les observations des parties et de leur avocat, décider de renvoyer l’affaire à une prochaine audience qui doit avoir lieu dans un délai compris entre deux et six semaines.
La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) – parfois appelée « plaider-coupable » – a été introduite par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ; elle ouvre au ministère public la faculté de proposer une peine à la personne qui reconnaît les faits, cette peine devant ensuite, en cas d’acceptation par l’intéressé, être homologuée par le président du tribunal ou le juge délégué par lui.
Son champ d’application a été sensiblement étendu par la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles : elle est désormais applicable aux personnes majeures poursuivies pour tous les délits, sauf délits de presse, homicides involontaires, délits politiques et délits d’agressions sexuelles punis d’une peine supérieure à cinq ans.
Le procureur peut, d’office ou à la demande de l’intéressé ou de son avocat, recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité dès lors que la personne reconnaît les faits qui lui sont reprochés.
Dans le cadre de cette procédure, le procureur propose à la personne d’exécuter une ou plusieurs des peines principales ou complémentaires encourues ; lorsqu’il s’agit d’une peine d’emprisonnement, la durée de la peine proposée ne peut être supérieure à un an ni excéder la moitié de la peine d’emprisonnement encourue. Le procureur peut proposer qu’elle soit assortie en tout ou partie du sursis ou qu’elle fasse l’objet d’un aménagement.
La déclaration par laquelle la personne reconnaît les faits qui lui sont reprochés, de même que la proposition de peine faite par le procureur, sont faites en présence de l’avocat de la personne, celle–ci ne pouvant renoncer à son droit d’être assistée par un avocat.
L’avocat peut consulter sur-le-champ le dossier et la personne peut librement s’entretenir avec son avocat, hors la présence du procureur de la République, avant de faire connaître sa décision. Le mis en cause peut demander à disposer d’un délai de dix jours avant de faire connaître s’il accepte ou refuse la ou les peines proposées ; dans ce cas, le procureur peut demander au juge des libertés et de la détention de le placer sous contrôle judiciaire, voire, lorsque les faits reprochés sont graves, en détention provisoire.
En cas d’acceptation de la proposition, la personne est, dans un délai maximal d’un mois, présentée devant le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui, saisi par le procureur de la République d’une requête en homologation. Le juge entend alors, en audience publique, la personne et son avocat puis décide ou non d’homologuer les peines proposées par ordonnance motivée, qui a les effets d’un jugement exécutoire. Le condamné peut faire appel, de même que le ministère public.
En cas de refus de la proposition par la personne ou de refus d’homologation, le procureur saisit le tribunal correctionnel.
S’agissant de la victime, l’article 495–13 du code de procédure pénale précise que, lorsqu’elle est identifiée, la victime est « informée sans délai, par tout moyen, de (la) procédure » et « invitée à comparaître en même temps que l’auteur des faits, accompagnée le cas échéant de son avocat, devant le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui pour se constituer partie civile et demander réparation de son préjudice ». Le juge statue sur cette demande, même dans le cas où la partie civile n’a pas comparu à l’audience. L’article précise en outre que si la victime n’a pu se constituer partie civile, le procureur de la République doit l’informer de son droit de lui demander de citer l’auteur des faits à une audience du tribunal correctionnel pour lui permettre de se constituer partie civile ; le tribunal statue alors sur les seuls intérêts civils, au vu du dossier de la procédure qui est versé au débat.
Il est très largement recouru à la procédure de CRPC dans le cadre de certains contentieux, tel le contentieux routier (conduite sous l’empire d’un état alcoolique, conduite sans permis, conduite malgré une suspension ou une annulation de permis…), mais également pour les délits de dégradations, menaces, violences, outrages, ports d’arme, atteinte aux biens ou usage de stupéfiants. Son champ d’application s’est également progressivement élargi à des contentieux plus techniques, notamment en matière de droit de la consommation, de droit du travail ou de droit de l’urbanisme.
L’article 495 du code de procédure pénale prévoit que le procureur de la République peut décider de recourir à la procédure simplifiée de l’ordonnance pénale pour une liste de délits, au titre desquels figurent notamment le vol, le recel, le délit de filouterie, les dégradations de biens et les délits routiers, dès lors que le prévenu est majeur et qu’il résulte de l’enquête :
– que les faits reprochés sont simples et établis ;
– que les renseignements concernant la personnalité, les charges et les ressources de celui-ci sont suffisants pour permettre la détermination de la peine ;
– qu’il n’apparaît pas nécessaire, compte tenu de la faible gravité des faits, de prononcer une peine d’emprisonnement ou une peine d’amende d’un montant supérieur à 5 000 euros ;
– et que le recours à cette procédure n’est pas de nature à porter atteinte aux droits de la victime.
Le III de l’article prévoit cependant qu’il ne peut être recouru à cette procédure si la victime a fait directement citer le prévenu avant que n’ait été rendue l’ordonnance et si les faits sont commis en état de récidive légale.
Dans le cadre de cette procédure écrite, sans audience, le juge ne peut statuer sur la réparation du préjudice subi par la victime ; il revient à cette dernière de saisir la juridiction.
La procédure d’ordonnance pénale délictuelle est essentiellement utilisée pour réprimer les délits routiers en l’absence de récidive de l’auteur.
L’enjeu premier pour la victime consiste dans l’information qu’elle peut obtenir sur les suites judiciaires données à sa plainte. Le code de procédure pénale lui reconnaît d’ailleurs ce droit d’être informée : l’article 393-1 de ce code, introduit par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, précise que « la victime doit être avisée par tout moyen de la date de l’audience ».
Il revient au ministère public de lui apporter cette information. M. Douglas Berthe, vice–procureur ayant dirigé la section du parquet chargée du traitement en temps réel au tribunal de grande instance de Lille, a ainsi expliqué à votre rapporteure que cette section adresse systématiquement un « avis à victime » dans le cadre des procédures rapides.
Mais il n’est pas toujours possible de s’assurer que la victime a été effectivement prévenue ; c’est notamment le cas lorsqu’il a été impossible de la joindre directement et qu’un simple message a été laissé sur un répondeur téléphonique. Une telle situation peut d’ailleurs avoir de lourdes conséquences pour un prévenu traduit en comparution immédiate : la juridiction de jugement à l’audience peut décider de renvoyer l’affaire pour ce seul motif et décider de placer le prévenu en détention provisoire jusqu’à l’audience de renvoi.
S’agissant d’une procédure de CRPC, la victime n’est informée qu’au stade de l’homologation pat le juge, ce qui ne lui permet pas de « peser » sur la proposition faite par le parquet ; au moment de l’homologation, le juge ne peut amender la proposition du parquet, il ne peut que décider ou non son homologation en l’état. En outre, la disposition permettant au parquet de citer l’auteur des faits à une audience sur les intérêts civils (dernier alinéa de l’article 495–13 du code de procédure pénale) semble inappropriée aux yeux de certains magistrats : pour le Syndicat de la magistrature, ce dispositif est insatisfaisant car l’auteur risque fort ne pas se présenter à l’audience et on peut craindre que la victime n’ait le plus grand mal à obtenir le paiement effectif des dommages et intérêts que l’auteur aura alors été condamné à payer.
La victime, dûment prévenue, peut ne pas être en état d’être présente à l’audience, soit qu’elle ne puisse pas y assister, soit qu’elle ne veuille pas être placée aussi rapidement après les faits en présence du prévenu. Elle peut ne pas être en mesure de se libérer de ses obligations personnelles et professionnelles pour se rendre à l’audience, d’autant plus qu’elle est, le plus souvent, prévenue au mieux la veille pour le lendemain. Dans les cas de violences, elle peut aussi être en état de choc ou même hospitalisée.
Il revient aux associations d’apporter un accompagnement aux victimes. Les représentants de l’INAVEM ont souligné lors de leur audition l’importance d’un accompagnement psychologique de certaines victimes, notamment d’actes de violences, pour accepter une réponse pénale très rapide après la commission des faits.
Depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes relatives aux victimes, le dernier alinéa de l’article 41 du code de procédure pénale permet au procureur de la République de « recourir à une association d’aide aux victimes ayant fait l’objet d’un conventionnement de la part des chefs de la cour d’appel, afin qu’il soit porté aide à la victime de l’infraction ». Cette disposition permet aux magistrats du parquet de signaler à une association d’aide aux victimes la situation d’une victime particulièrement atteinte par l’infraction dont il semble urgent qu’elle puisse être soutenue et aidée, sans attendre qu’elle fasse elle-même cette démarche. Les magistrats ont notamment recours aux associations d’aide aux victimes en cas d’infractions aux conséquences particulièrement traumatisantes (décès d’un proche, atteinte physique, accident collectif...), ou lorsque la personnalité de la victime révèle une particulière fragilité ou vulnérabilité qui semble l’empêcher de pouvoir demander de l’aide par elle-même.
La victime a souvent besoin de temps pour réfléchir à l’importance du préjudice qu’elle a subi, procéder au chiffrage de sa demande d’indemnisation et rassembler les justificatifs nécessaires à une constitution de partie civile. Ceci suppose qu’elle puisse faire appel aux conseils d’une association d’aide aux victimes et ou d’un avocat. Autant de démarches à accomplir dans des délais extrêmement brefs entre la commission de l’infraction et l’audience de jugement. La victime peut aussi demander le renvoi sur intérêts civils : l’affaire est jugée immédiatement au fond, mais une nouvelle audience devra ultérieurement se tenir pour déterminer l’indemnisation de la partie civile.
La victime a droit à l’assistance effective d’un avocat, comme le rappelle la circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012 (9) dans laquelle la garde des Sceaux demande aux magistrats du ministère public de « veiller à l’effectivité des convocations des victimes lors des audiences correctionnelles notamment à l’occasion des comparutions immédiates. Il conviendra de d’assurer qu’elles ont pu bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ».
En cas d’absence, la victime peut demander à un avocat ou une association de déposer en son nom sa demande de constitution de partie civile. L’article 420–1 du code de procédure pénale prévoit que « toute personne qui se prétend lésée peut se constituer partie civile, directement ou par son conseil, par lettre recommandée avec avis de réception parvenue au tribunal vingt-quatre heures au moins avant la date de l’audience, lorsqu’elle demande soit la restitution d’objets saisis, soit des dommages-intérêts dont le montant n’excède pas le plafond de la compétence de droit commun des tribunaux d’instance en matière civile » ; l’article précise que la personne doit alors joindre à sa lettre « toutes les pièces justificatives de son préjudice » – ce qui suppose donc une chiffrage rapide de sa demande par la victime – et qu’elle n’est pas tenue de comparaître à l’audience.
Une victime absente à l’audience de comparution immédiate de l’auteur de l’infraction doit être tenue informée des suites données à son affaire ; cette information est particulièrement urgente dans le cas de violences conjugales, la victime devant alors être rapidement informée dans le cas où le conjoint aurait été laissé libre mais condamné à une interdiction de paraître au domicile. Si l’affaire a été jugée en fin de journée, cela suppose que quelqu’un la prévienne immédiatement avant que le conjoint ne soit en mesure de rentrer chez lui.
L’article 393 du code de procédure pénale, applicable notamment dans le cadre de la comparution immédiate, dispose que : « Le procureur de la République informe la personne déférée devant lui qu’elle a le droit à l’assistance d’un avocat de son choix ou commis d’office. L’avocat choisi ou, dans le cas d’une demande de commission d’office, le bâtonnier de l’Ordre des avocats, en est avisé sans délai. L’avocat peut consulter sur-le-champ le dossier et communiquer librement avec le prévenu ».
Pourtant, la comparution immédiate est souvent accusée, comme le soulignait le rapport d’information du Sénat précité, d’être « une justice d’abattage servant à « faire du chiffre » et amenant une défense standardisée sans personnalisation de la peine, exercée par des avocats jeunes, inexpérimentés et commis d’office ». Il est vrai que les avocats disposent de peu de temps pour prendre connaissance du dossier (entre 15 et 45 minutes le plus souvent), mais votre rapporteure pour avis souligne que l’avocat des victimes se trouve dans la même situation et que les magistrats eux-mêmes ont disposé de très peu de temps pour prendre connaissance du dossier.
En outre, la personne mise en cause a la possibilité de demander un renvoi de l’affaire afin de préparer sa défense, l’audience devant alors avoir lieu dans un délai de deux à six semaines.
Comme le souligne M. Jean–Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté, l’enchaînement immédiat des phases de garde à vue, défèrement devant le procureur de la République et comparution immédiate devant le tribunal correctionnel induit une rupture lourde dans la vie quotidienne du mis en cause, qui peut avoir de graves conséquences dans sa vie personnelle.
II. L’ACCOMPAGNEMENT DES VICTIMES DANS LE CADRE DES PROCÉDURES DE JUGEMENT RAPIDE OU SIMPLIFIÉ : LE PREMIER BILAN TRÈS POSITIF DE LA GÉNÉRALISATION DES BUREAUX D’AIDE AUX VICTIMES
Les victimes doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement adapté à l’urgence des procédures qui les concernent. Les associations ont donc dû adapter les pratiques aux modalités de traitement en temps réel des affaires pénales par le ministère public. Dans le cadre des procédures d’urgence, une course contre la montre s’engage afin que puissent être pleinement respectés et mis en œuvre les droits des victimes, alors même que celles–ci ne connaissent le plus souvent pas les rouages de l’appareil judiciaire.
A. UNE PRISE EN CHARGE PLURIDISCIPLINAIRE OU LE CLAIR PARTAGE DES RÔLES ENTRE AVOCATS ET ASSOCIATIONS
Le rôle de conseil et, le cas échéant, de représentation de la victime que joue l’avocat est bien évidemment au centre de l’aide qui peut être apportée à la victime.
Afin de faciliter l’accès effectif de toutes les victimes à un avocat, des permanences sont organisées dans les tribunaux, distinctes des permanences organisées par les Barreaux pour la défense des mis en cause : une victime qui se présente au tribunal le jour–même de l’audience trouve ainsi un avocat disponible pour l’assister et, si elle le souhaite, la représenter à l’audience.
Les victimes dont les ressources sont modestes peuvent, de la même manière que les mis en cause, bénéficier de l’aide juridictionnelle, ce qui permet la prise en charge totale ou partielle des frais d’avocat. Pour certaines infractions les plus graves, de nature criminelle, le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale peut être obtenue par la victime quel que soit son niveau de ressources.
Selon les éléments transmis à votre rapporteure pour avis par les services de la Chancellerie, ce sont quelque 35 000 victimes qui ont bénéficié de cette aide en 2012 et 13,6 millions d’euros (hors taxes) qui ont été consacrés à l’aide juridictionnelle pour l’assistance des parties civiles, dont 4,8 millions en matière criminelle, 4,2 millions devant les juridictions correctionnelles de premier degré et 2,6 millions devant les juridictions d’appel.
Les associations d’aide aux victimes apportent une aide matérielle et un soutien psychologique aux victimes qui se présentent spontanément à elles ou leur sont adressées par le ministère public, en application de l’article 41 du code de procédure pénale (cf. supra).
L’INAVEM avait mené une enquête auprès du réseau de ses associations adhérentes en décembre 2011, enquête dont les résultats peuvent être jugés assez fiables puisque son périmètre s’étend sur près de neuf tribunaux de grande instance sur dix.
S’agissant de la saisine des associations en amont des audiences de comparution immédiate, il ressort de cette enquête que seulement 31 % des associations avaient indiqué être régulièrement saisies du cas des victimes en amont des audiences, la plupart du temps requises par le parquet (la réquisition prenant la forme d’un coup de téléphone ou d’un fax la veille ou le jour même de l’audience, avec transmission des coordonnées de la victime) sur le fondement de l’article 41 du code de procédure pénale, ou par les services de police et de gendarmerie ; il était bien plus rare que la victime se présente spontanément à l’association pour obtenir de l’aide dans ses démarches.
S’agissant de l’accompagnement physique des victimes aux audiences, 70 % des associations déclaraient le faire régulièrement afin d’apporter un soutien psychologique à la victime. Enfin, 55 % des associations déclaraient être parfois amenées à réceptionner les dossiers de constitution de partie civile des victimes concernées par une audience de comparution immédiate à laquelle elles ne pouvaient physiquement se rendre.
Une telle situation est en train d’évoluer avec la mise en place des bureaux d’aide aux victimes dans les juridictions, qui donnent une bien plus grande visibilité aux associations auprès des victimes. L’enquête de l’INAVEM montre qu’il restait de grands progrès à faire dans les tribunaux pour améliorer et développer l’aide aux victimes et mieux les accompagner. Les bureaux d’aide aux victimes, situés dans le tribunal, souvent à proximité de la salle d’audience, permettent aux associations d’accueillir les victimes avant et après l’audience pour répondre à leurs questions et les aider dans les démarches à accomplir.
Issus d’une collaboration des différents acteurs du système judiciaire et associatif, des bureaux d’aide aux victimes ont été progressivement mis en place dans les juridictions depuis 2009. La garde des Sceaux a décidé leur généralisation par décret pris dès son arrivée place Vendôme.
La mission des bureaux d’aide aux victimes est d’offrir aux victimes un accueil au sein des palais de justice, de leur apporter des informations non seulement sur le fonctionnement judiciaire en général, mais également sur les procédures qui les concernent, ainsi que sur les modalités pratiques de recouvrement des dommages et intérêts à la suite des jugements rendus, de les accompagner lors des audiences, de les orienter, le cas échéant, vers d’autres structures ou de les aider dans leurs démarches de saisine des Service d’aide au recouvrement des victimes (SARVI) ou des Commissions d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI). Les victimes bénéficient dans ce cadre d’une prise en charge par une association d’aide aux victimes.
Le plan national de prévention de la délinquance et d’aide aux victimes 2010-2012, mis en place par le précédent gouvernement, avait prévu la création de cinquante bureaux d’aide aux victimes au sein des principaux tribunaux de grande instance.
Treize premières juridictions en ont été dotées dès 2009 (Bonneville, Bourg-en-Bresse, Cambrai, Châteauroux, Lille, Lyon, Marseille, Mulhouse, Nîmes, Pau, Quimper, Les Sables–d’Olonne et Senlis), treize nouvelles en 2010 (Bayonne, Évry, Nanterre, Paris, Bobigny, Pontoise, Créteil, Saint-Denis de la Réunion, Fort-de-France, Toulouse, Nantes, Nice et Orléans), onze autres en 2011 (Amiens, Boulogne-sur-Mer, Bordeaux, Dijon, Metz, Grenoble, Perpignan, Pointe–à–Pitre, Rennes, Strasbourg et Versailles) et encore treize tribunaux en 2012 (Agen, Angers, Basse-Terre, Besançon, Béthune, Caen, Évreux, Grasse, Montluçon, Montpellier, Nancy, Reims et Sarreguemines).
La généralisation des bureaux d’aide aux victimes, dont l’objectif figurait dans le rapport annexé à la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines, a été mise en œuvre par décret du 7 mai 2012 (10).
L’article D. 47-6-15 du code de procédure pénale, issu de ce décret, précise que peut être institué, au sein de chaque tribunal de grande instance, par convention passée entre les chefs de cour d’appel et les associations concernées, un bureau d’aide aux victimes composé de représentants d’une ou plusieurs associations d’aide aux victimes. Il définit les missions des bureaux d’aide aux victimes, disposant que « Le bureau d’aide aux victimes a pour mission d’informer les victimes et de répondre aux difficultés qu’elles sont susceptibles de rencontrer tout au long de la procédure pénale, notamment à l’occasion de toute procédure urgente telle que la procédure de comparution immédiate ».
Ainsi, les bureaux d’aide aux victimes informent celles-ci de l’état d’avancement de la procédure les concernant (ouverture d’une enquête préliminaire, classement, ouverture d’une information judiciaire, date d’audience devant la juridiction de jugement, contenu du jugement rendu…).
S’agissant des procédures de comparution immédiate, ce sont désormais les bureaux d’aide aux victimes qui peuvent être directement chargés par le parquet de prendre contact dans les plus brefs délais avec la victime dont l’affaire sera évoquée à l’audience de comparution immédiate du tribunal correctionnel ou de présentation immédiate du tribunal pour enfants afin de l’informer de ses droits et éventuellement de l’orienter vers la permanence du barreau afin qu’elle puisse bénéficier des conseils et de l’assistance d’un avocat.
Lorsqu’une condamnation est rendue en présence de la partie civile, le bureau d’aide aux victimes reçoit cette dernière à l’issue de l’audience, assistée le cas échéant par son avocat, afin de l’informer des modalités pratiques lui permettant d’obtenir le paiement des dommages et intérêts qui lui ont été alloués et, s’il y a lieu, des démarches devant être effectuées pour saisir le SARVI ou la CIVI ainsi que du délai dans lequel elles doivent intervenir.
Le fonctionnement du Bureau d’aide aux victimes
du tribunal de grande instance de Bobigny
Le tribunal et l’association SOS victimes 93 ont signé une convention dès le 4 octobre 2010 afin qu’une permanence soit assurée par l’association pour recevoir les victimes au sein du tribunal ; cette permanence a été par la suite transformée en bureau d’aide aux victimes.
Chaque jour, un juriste de l’association tient une permanence de 13 heures 30 à 17 heures afin d’orienter les victimes qui se présentent spontanément au tribunal et les renseigner sur l’état de leur procédure. En fin de journée, le juriste interroge le parquet afin d’identifier les victimes qu’il devra contacter pour les aviser du passage de l’affaire qui les concerne lors de l’audience de comparution immédiate du lendemain. Il les informe qu’elles peuvent obtenir un conseil juridique auprès des avocats qui tiennent permanence le matin au tribunal.
L’an dernier, l’association a reçu un millier de personnes s’étant présentées spontanément. 1 300 victimes ont par ailleurs sollicité une aide dans le cadre d’une affaire jugée en comparution immédiate, dont 60 % ont poursuivi leurs démarches après l’audience (demande de soutien psychologique, demande d’aide pour une demande d’indemnisation par le SARVI…).
Votre rapporteure pour avis se réjouit de la généralisation des bureaux d’aide aux victimes à l’ensemble des tribunaux de grande instance, qui garantira un égal accès de toutes les victimes à ce dispositif sur l’ensemble du territoire national.
Il ressort des éléments transmis à votre rapporteure pour avis que les différents bureaux d’aide aux victimes ont informé plus de 22 000 personnes en 2010 et plus de 29 000 personnes en 2011. Les bureaux d’aide aux victimes ont ainsi démontré qu’ils constituent un dispositif performant qui facilite les démarches des victimes en leur permettant d’obtenir, dans un lieu unique, toutes les informations qui leur sont nécessaires et d’être efficacement orientées au sein d’une institution judiciaire que bien souvent elles ne connaissent pas.
Ce succès repose largement sur la démarche employée, qui a consisté dans l’association de tous les acteurs locaux du monde judiciaire (signature de conventions avec les chefs de juridiction, signature de protocoles avec les barreaux).
Le succès sur le terrain a été confirmé par les représentants de l’INAVEM entendus en audition : les victimes sont nombreuses à se présenter chaque jour dans les bureaux des tribunaux de grande instance, induisant d’ailleurs des besoins supplémentaires de financement pour ouvrir les bureaux sur de plus grandes amplitudes horaires. Au-delà des questions de financement, il ressort des auditions que l’organisation des bureaux d’aide aux victimes pourrait également être améliorée.
Dans son avis rendu sur les crédits pour 2013, votre rapporteure s’était déjà inquiétée du financement des bureaux d’aide aux victimes.
Le rapport annexé à la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines prévoyait à terme la création de près de 140 bureaux d’aide aux victimes, « pour un coût de fonctionnement annuel total s’élevant à 2,8 millions d’euros », soit une subvention de 20 000 euros par bureau d’aide aux victimes. La loi de finances pour 2013 dotait uniformément les différents bureaux d’aide aux victimes d’une subvention de 20 000 euros.
Or, un tel montant ne permet pas à une association de couvrir le coût de l’emploi d’un juriste à temps plein, ce qui pose une difficulté pour l’amplitude horaire de la permanence assurée. Lors de son audition par votre commission des Lois sur les crédits de la mission Justice pour 2013, la garde des Sceaux avait d’ailleurs reconnu que la subvention avait été calculée sur la base d’un mi–temps et qu’elle pourrait à terme évoluer si les besoins s’en faisaient sentir dans certaines juridictions.
Dans le cadre du présent projet de loi de finances, une modulation des dotations est prévue. Ainsi, le projet annuel de performances précise (11) que « l’allocation de chaque bureau (d’aide aux victimes) est déterminé sur la base d’un coût calculé en fonction du nombre d’heures d’ouverture du bureau, de l’activité prévisible et réelle du bureau, ainsi que de la prise en compte de paramètre d’environnement ». La Chancellerie estime que le dispositif permet une allocation plus fine des crédits, en fonction des besoins exprimés par le terrain afin de mieux y répondre ; les représentants de l’INAVEM entendus par votre rapporteure pour avis ont cependant regretté que les critères de la modulation ainsi opérée ne soient pas plus transparents. Ils ont en outre pointé le fait que, dans les petites juridictions, la réduction de la dotation ne permette qu’une ouverture très sporadique du bureau d’aide aux victimes, seulement quelques heures par semaine ne pouvant être ainsi financées, au détriment des victimes.
Votre rapporteure pour avis souligne l’importance du choix des locaux dans lesquels est installé le bureau d’aide aux victimes dans une juridiction : il est important que la victime soit reçue dans un lieu situé à l’écart des salles d’audiences ou des lieux où des mis en cause peuvent être conduits ; l’expérience du tribunal de grande instance de Paris, où votre rapporteure pour avis s’était rendu l’an passé, est éclairante puisque le bureau d’aide aux victimes jouxte la section du parquet qui traite des affaires en temps réel où des prévenus menottés sont déférés tout au long de la journée... Il faut également que ce lieu assure la confidentialité des échanges entre la victime et le permanencier de l’association ; à Bobigny tel est bien le cas, puisque des petits bureaux individuels permettent de recevoir les victimes sans que les personnes qui attendent ne puissent entendre la conversation.
D’une manière générale, il est important, notamment lorsqu’une réflexion d’ensemble peut être menée dans le cadre d’importants travaux de restructuration d’une juridiction, que soit pris en compte le parcours de la victime au sein de la juridiction. Dans sa circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012 (12), la garde des Sceaux précise que chaque tribunal de grande instance devra être doté d’un bureau d’aide aux victimes, clairement accessible grâce à une « signalétique ad hoc ». La circulaire invite les chefs de cour à mettre en place des procédures favorisant l’orientation des victimes vers les bureaux d’aide aux victimes, notamment en incitant les huissiers audienciers à les y conduire ou à leur indiquer leur emplacement.
Selon les éléments d’information transmis à votre rapporteure pour avis par la Chancellerie, des crédits devraient être consacrés à l’amélioration de la signalétique dans le cadre du présent budget.
3. Donner aux permanenciers des associations un accès effectif aux données de la chaîne pénale–Cassiopée
Le décret n° 2012–680 du 7 mai 2012 relatif au bureau d’ordre national automatisé des procédures judiciaires dénommé « Cassiopée » prévoit un accès à l’application pour les « membres des associations d’aide aux victimes (…), ayant prêté serment et ayant signé un engagement écrit de confidentialité, individuellement désignés et spécialement habilités par les chefs de cour d’appel, sous le contrôle de ceux–ci et pour les besoins exclusifs de l’exercice des missions (prévues par la convention) à l’exclusion des données concernant des procédures en cours couvertes par le secret de l’enquête et de l’instruction ».
Dans les faits pourtant, les membres des associations d’aide aux victimes ne bénéficient pas d’un accès à Cassiopée, alors même qu’un tel accès serait cohérent avec le devoir d’informer qui est imposé aux associations ; celles–ci ne sont plus seulement les partenaires de l’État dans le cadre de la politique d’aide aux victimes, elles assument la mission d’informer les victimes sur leurs droits, dans une relation qui s’apparente de plus en plus à une délégation de service public. Elles doivent donc disposer des outils leur permettant d’assumer leur mission sans avoir à déranger les services du greffe.
La Chancellerie a indiqué à votre rapporteure pour avis devoir attendre, pour rendre cet accès effectif, que soit techniquement mis au point, au sein de l’application Cassiopée, un module ouvrant aux membres des associations un accès limité aux seules informations dont elles ont besoin ; l’étude de faisabilité est en cours.
Fondée initialement sur l’idée de la nécessité d’une réponse pénale rapide à des actes de délinquance de faible gravité, puis étendue en 2002 à l’ensemble des délits, la procédure de comparution immédiate est avant tout devenue un mode de gestion en temps réel du flux pénal. Le ministère public est, dans sa tâche d’orientation des affaires pénales en temps réel, quotidiennement confronté à la difficile gestion de flux d’affaires auxquelles il faut apporter une réponse pénale adaptée : dans un tel contexte, on peut aisément comprendre qu’ils aient eu de plus en plus recours aux procédures rapides, qui ont pour mérite de réduire rapidement le stock.
Pourtant, assister à une audience de comparution immédiate, c’est voir que les affaires s’enchaînent sans que le tribunal n’ait véritablement de temps à consacrer à chaque prévenu, encore moins aux victimes ; le juge et les avocats tant du prévenu que de la partie civile prennent tardivement connaissance du dossier, dans le meilleur des cas le matin même de l’audience. L’enquête de personnalité n’a pu être que très rapide, se résumant souvent à un entretien avec le mis en cause dans le dépôt du tribunal – avec des conditions de confidentialité souvent insuffisantes – et, au mieux, à quelques coups de téléphone à la famille et à l’employeur, ce qui est assurément insuffisant pour replacer l’infraction commise dans son contexte.
Selon l’étude menée en 2011 par l’Observatoire des comparutions immédiates mis en place par la Ligue des droits de l’homme de Toulouse (13), portant sur 543 affaires jugées en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Toulouse à l’occasion de 102 audiences tenues entre février et juin 2011, la durée moyenne d’audience consacrée à chaque affaire n’était que de 36 minutes, ce qui est d’autant plus préoccupant que 57 % des affaires aboutissent au prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme. L’étude révèle l’existence d’une victime dans 37 % des affaires (pour l’essentiel des affaires d’atteinte aux biens ou aux personnes), victimes étant représentées à l’audience dans sept cas sur dix.
Dans sa préface à l’ouvrage issu de cette étude, M. Serge Portelli, président de chambre à la cour d’appel de Versailles et membre du syndicat de la magistrature, dénonce les dysfonctionnements de la procédure de comparution immédiate en des termes très durs : il estime que « le temps consacré à chaque affaire s’y résume au minimum vital », que l’audience résulte d’une « justice d’abattage où l’on s’excuserait presque d’être trop long, trop curieux, de vouloir trop parler, trop plaider, trop questionner » et que la procédure est devenue une « machine à produire de la prison » qui, « sous prétexte d’urgence, déshumanise la justice ».
Dès son premier rapport d’activité – pour 2008 –, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonçait les conditions matérielles particulièrement difficiles dans lesquelles étaient jugées les personnes en comparution immédiate, souvent privées de sommeil pendant leur garde à vue, parfois en outre privées de leurs lunettes ou, pour les femmes, de leur soutien-gorge. Le Contrôleur général a dénoncé des pratiques parfois systématiques, alors même qu’elles devraient être strictement proportionnées au risque encouru, tant pour les mis en cause (risque de suicide) que pour les personnels (risque d’agression), dans le respect de la dignité des personnes.
Extrait du rapport d’activité pour 2008 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Éditions Dalloz, pp. 113 et suivantes :
« Depuis plusieurs années, se développent en France les procédures de comparution rapide, notamment celle dite de « comparution immédiate ». Dans le cas où l’infraction est suffisamment grave pour exiger la comparution devant un juge correctionnel, la garde à vue peut se poursuivre naturellement dans les geôles d’un tribunal de grande instance [où s’appliquent les mêmes règles de sécurité qu’en garde à vue et où sont donc retirés lunettes et soutien–gorges, notamment] d’où l’on est extrait pour comparaître, en audience publique, devant la chambre correctionnelle compétente. Non seulement, après une nuit de garde à vue (ou davantage), le comparant n’est ni reposé, ni lavé, mais il est dépourvu de lunettes et, pour les femmes, de soutien-gorge. On peut s’interroger, dans ces conditions, sur l’équilibre qui s’établit entre les parties du procès.
Quelles justifications peuvent être invoquées à l’appui de cette habitude solidement ancrée ? ».
Depuis la publication de ce premier rapport, le Contrôleur général a cherché à évaluer les suites qui sont données à ses préconisations ; dans son rapport pour 2009, il a souligné l’absence d’instruction propre à faire évoluer favorablement la situation dénoncée ; dans son rapport pour 2012, il est à nouveau revenu sur la question des conditions matérielles de comparution des mis en cause, soulignant que la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue avait marqué « une évolution favorable des normes en vigueur » mais que, alors qu’on « aurait pu s’attendre à ce qu’elle modifie les pratiques du personnel chargé de la mise en œuvre de la garde à vue », les contrôles exercés n’avaient pas révélé une réelle amélioration sur ce point. Prenant note avec satisfaction des instructions données en 2011, tant dans la gendarmerie que dans la police nationale, il a tenu à « souligner qu’elles ne sauraient à elles seules garantir une modification des pratiques concrètes de retrait des objets » (14).
Lors de son audition par votre rapporteure pour avis, le Contrôleur général a déploré l’absence d’amélioration substantielle de la situation des prévenus traduits en comparution immédiate, ce qui pose une réelle difficulté à ses yeux : « quelqu’un qui ne se reconnaît pas lui–même peut–il réellement se défendre ? » s’est–il demandé. Il a d’ailleurs estimé que la situation était telle que notre pays risquait à terme, si rien n’était fait pour changer les conditions, une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme pour méconnaissance des droits de la défense et rupture d’égalité entre les parties. « N’ajoutons pas l’humiliation à la condamnation » a–t–il conclu.
Si votre rapporteure pour avis ne peut que souhaiter l’amélioration des conditions matérielles auxquelles les prévenus sont soumis, elle n’a pas moins acquis la conviction que la procédure de comparution immédiate demeure nécessaire pour apporter une réponse rapide à des actes de délinquance ayant gravement troublé l’ordre public.
1. Une réponse rapide après la commission de l’infraction pour mettre un terme à un grave trouble à l’ordre public
La procédure de comparution immédiate permet d’apporter une réponse rapide à un trouble grave à l’ordre public ; or, la rapidité et la lisibilité de la réponse pénale sont une nécessité, tout particulièrement dans certains ressorts, dont celui du tribunal de Bobigny en Seine–Saint–Denis où s’est rendue votre rapporteure pour avis. Retirer certains délinquants des cités, même temporairement, est parfois la seule manière d’éviter que la situation sur le terrain ne s’aggrave. La procédure de comparution immédiate devient un outil nécessaire pour répondre à un sentiment d’insécurité, comme l’a expliqué à votre rapporteure Mme Sylvie Moisson, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bobigny.
Cette procédure est d’autant plus nécessaire que, dans le cadre du traitement « classique » des affaires correctionnelles, les procédures sont longues, sans doute excessivement.
Notre système pénal souffre de l’absence d’un « juste milieu » entre des procédures très rapides, jugées expéditives par certains, et des procédures classiques qui peuvent prendre des mois avant d’aboutir à un jugement.
2. Le discernement du ministère public dans son orientation des affaires faisant l’objet d’une poursuite
Dans son travail d’orientation des affaires faisant l’objet d’une poursuite, le parquet est amené à faire un tri : comme l’ont exposé à votre rapporteure pour avis les magistrats du parquet rencontrés au tribunal de Bobigny, l’orientation est en premier lieu fonction de la gravité des faits commis et de la situation de l’auteur (sa personnalité, son éventuel état de réitérant ou de récidiviste), mais elle prend aussi en compte l’existence ou non d’une victime.
Sont renvoyés généralement en comparution immédiate les auteurs d’actes graves, ayant déjà commis un ou plusieurs actes de délinquance, pour lesquels un placement en détention se justifierait aux yeux du ministère public. En revanche, si la victime est hospitalisée ou dans le cas d’un accident de la route qui a causé le décès d’une personne, une information judiciaire est systématiquement ouverte, lors même qu’une comparution immédiate de l’auteur aurait été juridiquement possible et ce, afin de laisser à la victime le temps de se constituer partie civile ou de permettre à la famille de faire son deuil.
L’ordonnance pénale délictuelle est privilégiée pour les auteurs de petits délits routiers, non récidivistes, en l’absence de victimes. Sont prioritairement orientées vers une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité les affaires dans lesquelles aucune victime ne s’est constituée partie civile, du fait de l’inadaptation de cette procédure à la prise en charge des victimes.
L’examen du projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines (15), prévu au printemps prochain, doit être l’occasion d’une réflexion sur le traitement des affaires pénales : comment mieux sanctionner les auteurs d’infractions et permettre leur réinsertion afin de davantage prévenir la récidive et d’assurer une meilleure indemnisation des victimes ?
S’agissant de la procédure de comparution immédiate, l’article 4 du projet de loi insère dans le code de procédure pénale un nouvel article 397–3–1 permettant au tribunal qui déciderait l’ajournement, car il estimerait nécessaire de procéder à des investigations complémentaires sur la personnalité et la situation sociale du prévenu, de placer ce dernier, si nécessaire, sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou sous mandat de dépôt. Cette procédure d’ajournement permettra, le cas échéant, de prononcer une peine d’une durée plus adaptée à la situation du condamné, mais aussi de l’assortir, le cas échéant, d’un aménagement ab initio.
Au–delà de cette disposition, qui améliorera le traitement des mis en cause dans le cadre des comparutions immédiates en permettant une meilleure adaptation de la sanction à leur situation et leur personnalité, sans doute faudrait–il engager une réflexion plus large sur le traitement en temps réel des affaires pénales et sur la possibilité de mettre en place de nouvelles procédures intermédiaires entre des procédures expresses et des procédures trop longues.
Lors de sa réunion du 24 octobre 2013, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » pour 2014.
M. le président Gilles Carrez. Mes chers collègues, nous sommes réunis en commission élargie pour examiner les crédits du projet de loi de finances (PLF) pour 2014 consacrés à la mission « Justice ». La conférence des présidents a décidé cette année de soumettre l’ensemble des crédits – soit vingt-six missions – à cette procédure. En effet, les commissions élargies autorisent un débat plus interactif qu’en séance, permettant à chacun de poser les questions aux ministres.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je suis très heureux d’accueillir Mme la garde des Sceaux dans le cadre de la première commission élargie à laquelle participe la commission des lois. Les quatre avis que notre commission rend sur les crédits de la mission « Justice » passent rapidement sur les questions budgétaires, largement traitées par le rapporteur spécial de la commission des finances, pour se concentrer chacun sur un thème particulier qui s’inscrit dans la mission de contrôle qui nous incombe.
Jean-Yves Le Bouillonnec a travaillé sur les crédits de la justice administrative – qui ne relèvent pas de cette mission à proprement parler – et de la justice judiciaire, abordant spécifiquement la question des frais de justice, un sujet essentiel et préoccupant dans le contexte budgétaire actuel.
Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis pour les crédits relatifs à l’administration pénitentiaire, a traité le problème de la sécurité dans les établissements.
Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis pour les crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), a abordé la question de la prise en charge éducative des mineurs incarcérés.
Enfin notre commission salue le travail sur l’aide aux victimes que Nathalie Nieson, rapporteure pour avis pour les crédits relatifs à l’accès au droit et à la justice, a effectué cette année à l’initiative de la garde des Sceaux. Nous espérons tous que ses préconisations seront suivies d’effets, permettant d’élaborer et d’appliquer des mesures concrètes. Son avis porte sur l’accès au droit et l’aide aux victimes dans le cadre des procédures de jugement rapide ou simplifié.
M. Étienne Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire pour les crédits relatifs à la justice. « La justice coûte cher. C’est pour ça qu’on l’économise », disait Marcel Achard. En 2014, le budget de la justice augmente de 1,7 % ; le taux d’inflation étant de l’ordre de 1,3 %, l’augmentation nette représente 0,4 %. Sur les dix dernières années, entre 2003 et 2013, ce budget a crû de quelque 53,8 % ; corrigée de l’inflation de 18,8 %, l’augmentation effective représente 34,48 %, soit environ 3,4 % par an. Le PLF 2014 signe donc un ralentissement de l’augmentation du budget de la justice. Comment le justifier ? À quelles conséquences peut-on s’attendre ?
Ce budget traduit une augmentation des dépenses d’investissement mais une diminution de celles de fonctionnement. Sur l’année 2012, les délais de traitement des procédures civiles et pénales – indicateur mesurant la rapidité d’intervention de la justice – se sont dégradés. Quelles seront les incidences de la diminution des dépenses de fonctionnement sur ce phénomène ?
Les effectifs de la magistrature constituent un autre sujet de préoccupation. Les plafonds d’emploi augmentent ; pourtant, certains postes de magistrats restent non pourvus, et le nombre global de magistrats stagne, voire diminue. Quelles mesures entendez-vous prendre pour pourvoir aux postes créés ?
Dans les documents qui nous ont été remis, deux indicateurs de performance sur l’exécution des peines ne sont pas renseignés : le taux de mise à exécution des peines et le délai moyen d’exécution des peines. Il serait souhaitable que ces paramètres essentiels nous soient communiqués l’année prochaine. De manière générale, sur l’année 2013, on constate une dégradation dans le rythme et le taux d’exécution des peines. Quelles en sont les causes ? Quels moyens le Gouvernement mettra-t-il en œuvre pour y remédier ?
La diminution des crédits alloués aux frais de justice pose un sérieux problème aux magistrats. À l’occasion d’une visite à la Cour d’appel de Lyon, j’ai appris que, pour boucler l’année 2012, le président de la Cour avait été obligé de puiser dans les crédits de fonctionnement à hauteur de quelque 8 millions d’euros. Après retraitement des frais postaux et des conséquences de la réforme de la médecine légale, la diminution des moyens prévus pour les frais de justice est de l’ordre de 4 %. Le Gouvernement n’a-t-il pas sous-estimé les besoins des juridictions en la matière ? Il indique qu’il essaiera de maîtriser l’évolution des frais de justice ; quelles mesures effectives compte-t-il prendre ?
En matière de performance du service pénitentiaire, on constate une dégradation des ratios : ainsi, le taux d’occupation des établissements pénitentiaires est passé de 113,2 % au début de 2012 à 117 % au 1er janvier 2013 ; celui des places en maison d’arrêt augmente de 124 % en 2011 à 133 % en 2013. Il en va de même pour le nombre de détenus par cellule. Entre le 1er janvier 2012 et le 1er juillet 2013, le Gouvernement a créé quatre-vingt-quatre places de prison ; il annonce aujourd’hui la création de 6 500 places à l’horizon 2017. Compte tenu du ralentissement observé en 2013, le Gouvernement peut-il indiquer précisément le détail des créations de places dès 2014 ?
Le budget du programme 182 – consacré à la PJJ – est en baisse, alors que les dépenses de rémunération augmentent. Il est nécessaire d’agir rapidement : depuis une dizaine d’années, les délais de traitement des infractions commises par les mineurs se sont considérablement réduits ; ne craignez-vous pas que la réduction des dépenses de fonctionnement en 2014 puisse dégrader ces ratios ?
Le progrès que le Gouvernement affiche en matière d’accès au droit constitue une illusion d’optique. En réalité, la suppression de la contribution pour l’aide juridictionnelle (CPAJ) qui représente 60 millions d’euros, le renoncement au projet de modulation de l’unité de valeur et la mise en œuvre de plusieurs mesures visant à maîtriser le nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle posent question. Dans ce contexte, madame la garde des Sceaux, pouvez-vous nous exposer les mesures qui seront prises pour maintenir l’accès au droit, alors même que les crédits sont en diminution ? Le Gouvernement doit s’expliquer précisément sur cette question.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République pour les crédits relatifs à la justice administrative et judiciaire. Dans le PLF 2014, les crédits de la justice administrative et judiciaire progressent de 1,7 %, après avoir crû de 4,3 % l’année dernière. Il s’agit donc d’un processus d’augmentation, même s’il prend place dans l’encadrement budgétaire conduit par le Gouvernement.
L’effort le plus important concerne les effectifs, avec 535 emplois créés ; la ligne budgétaire des frais de justice se retrouve, au contraire, érodée. Les frais de justice sont sinistrés depuis une quinzaine d’années, la dégradation étant accentuée par l’effet des dispositions législatives et par les conséquences des directives européennes. Ainsi, l’obligation – parfaitement légitime – de fournir un traducteur à toute personne placée sous main de justice et qui ne parle pas français est à l’origine d’un processus d’inflation des frais extrêmement important. D’autres dispositions législatives ont pour conséquence d’augmenter considérablement le recours à des prestataires externes – experts, légistes –, mais également aux techniques nouvelles. Le problème est donc devenu récurrent, menaçant de se transformer en une véritable crise institutionnelle si la justice ne pouvait plus faire face à ses obligations. En effet, l’État ne semble pas avoir la capacité financière de répondre aux demandes des magistrats.
En matière de juridiction administrative, aux termes du décret d’août 2013, certains contentieux pourront être examinés par un juge unique, sans intervention du rapporteur public. Cette mesure – qui prend place dans le contexte d’une juridiction saturée – concerne le domaine de la solidarité, notamment le droit au logement opposable (DALO). Ne laisser, comme voie de recours dans ce domaine, que le seul pourvoi en cassation ne favorise pas l’accès des personnes concernées – souvent de condition modeste – à ces procédures.
S’agissant de la gestion prévisionnelle des effectifs, plus de 1 400 magistrats devraient partir en retraite dans les quatre années à venir ; la situation est similaire pour les personnels de catégorie C. Si nous ne prenons pas en compte ces départs, nous irons au-devant de graves difficultés.
Si les personnels de catégorie C ont été sensibles à l’augmentation de leur rémunération, il faut également réviser celle des greffiers, qui stagne depuis près de dix ans.
Des économies restent possibles dans plusieurs domaines. Il faut par exemple améliorer la technique de gestion des frais de justice en réduisant notamment le nombre de mémoires dont la surabondance gêne le fonctionnement de la justice. Les commissariats comme les juridictions doivent pour leur part prendre en compte les conséquences financières des décisions de sollicitation d’avis. Mon rapport fait des propositions sur l’ensemble de ces questions.
Enfin, une source de financement – la taxation des frais de procédure – mériterait d’être revue ; il faudrait notamment réviser l’ordonnance de taxe mise à la charge des personnes condamnées définitivement.
M. Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à l’« Administration pénitentiaire ». Le budget de l’administration pénitentiaire pour 2014 est quasiment stable en matière de crédits, les variations – moins 1,2 % en autorisations d’engagement, plus 1,4 % en crédits de paiement – apparaissant peu significatives après l’effondrement de 38,5 % en autorisations d’engagement l’année dernière. Ce budget prévoit une légère augmentation du plafond d’autorisations d’emploi, représentant 112 équivalents temps plein travaillé (ETPT).
Du fait des redéploiements d’emplois, cette augmentation du plafond doit notamment permettre l’affectation de 300 ETPT – principalement de conseillers d’insertion et de probation – pour la mise en œuvre du projet de loi relatif à la prévention de la récidive, et de 30 ETPT pour le renforcement de la sécurité des établissements pénitentiaires, avec la création de deux nouvelles brigades cynotechniques.
Pour autant, ce projet de budget ne saurait satisfaire le rapporteur pour avis que je suis, car il ne répond pas au principal problème de nos établissements pénitentiaires, celui de la surpopulation carcérale. Je reste convaincu que la mise en œuvre du projet de loi sur la récidive, dont les perspectives de discussion parlementaire et d’adoption sont pour le moins lointaines, ne permettra pas de le pallier. L’objectif de 80 000 places de prison qu’avait fixé la loi de programmation pour l’exécution des peines du 27 mars 2012 me semble toujours aussi pertinent ; je déplore l’abandon de cet objectif, et j’émettrai un avis défavorable aux crédits du programme « Administration pénitentiaire ».
Dans le cadre de cet avis budgétaire, je me suis intéressé à la question récurrente de la sécurité des établissements pénitentiaires, revenue sur le devant de la scène au mois d’avril dernier à l’occasion de l’évasion violente survenue à Lille-Sequedin. Je tiens à exprimer ma sympathie et mon soutien aux agents pris en otage lors de cette évasion, ainsi qu’à tous les agents pénitentiaires victimes de violences.
En choisissant ce thème, je me suis fixé comme objectif de formuler des propositions pragmatiques et efficaces pour renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires – objectif qui peut et doit nous rassembler, quel que soit le groupe auquel nous appartenons. Vous pouvez prendre connaissance de mes suggestions à la page 41 du projet d’avis.
J’insisterai ici uniquement sur ce qui constitue aujourd’hui le talon d’Achille des établissements pénitentiaires, à savoir l’introduction d’objets interdits. Les volumes de saisies ont connu une forte progression au cours des dernières années, et les chiffres pour 2012 – détaillés page 24 du rapport – sont édifiants : 20 500 téléphones, 8 750 produits stupéfiants, 705 armes saisis dans nos prisons.
Ces objets, qui menacent tous la sécurité des établissements pénitentiaires – y compris les stupéfiants, car ils génèrent trafics et violences –, y entrent par deux voies : soit par la porte, introduits par des personnes autorisées à y accéder, soit par les airs, par ce que l’on appelle des « projections ». Je me félicite du plan de sécurisation des établissements pénitentiaires annoncé par Mme la ministre en juin 2013, qui prévoit le financement de moyens de lutte contre ces projections : filets anti-projection et renforcement des glacis. Pour ma part, je propose de donner en outre à des agents pénitentiaires la qualité d’agents de police judiciaire, afin qu’ils puissent intervenir en dehors des établissements pour appréhender les auteurs de projections. Aujourd’hui, lorsque des personnes sont repérées aux abords d’une prison en train de lancer des objets par-dessus les murs d’enceinte, les agents de l’administration pénitentiaire ne peuvent qu’appeler la police ou la gendarmerie en espérant qu’elles arrivent assez vite pour les appréhender. Autant dire que cela n’arrive quasiment jamais. La proposition que je formule permettrait de mieux lutter contre les projections, et s’inscrirait dans la dynamique de l’évolution amorcée depuis quelques années, qui consiste à diversifier les missions de l’administration pénitentiaire par des missions exercées « hors les murs », telles que les extractions judiciaires ou la surveillance des unités hospitalières.
Je formule aussi plusieurs propositions pour lutter contre l’introduction d’objets par des personnes entrant dans l’établissement. La question a pris une acuité particulière depuis l’interdiction, par l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, des fouilles systématiques, qui, de l’avis unanime des personnels que j’ai pu rencontrer, a rendu les établissements beaucoup plus vulnérables et mis les personnels en danger. Le principal problème de cette disposition est de n’avoir retenu, pour permettre de procéder à des fouilles, que des critères individuels – la présomption d’une infraction ou le comportement de la personne –, laissant totalement de côté le risque systémique d’introduction d’objets interdits dans certaines situations de la vie en détention, telles que les visites au parloir. L’interdiction des fouilles systématiques met aussi en danger les détenus les plus vulnérables et leurs familles, forcés de jouer le rôle de « mules ».
Pour remédier à ces difficultés, je propose tout d’abord de modifier l’article 57 de la loi pénitentiaire afin de permettre aux agents de procéder à des fouilles systématiques des détenus, soit dans certaines zones, soit à certains moments de la vie en détention qui présentent des risques particuliers d’introduction d’objets interdits.
Ma deuxième proposition consiste à permettre aux équipes cynotechniques de l’administration pénitentiaire de procéder, dans le cadre d’opérations de police judiciaire menées sous l’autorité du parquet, à des contrôles de recherche de stupéfiants et d’explosifs sur les personnes entrant dans les établissements.
Enfin, je suggère de permettre la réalisation, par les agents pénitentiaires, de fouilles par palpation sur les personnes entrant dans les établissements. Ces fouilles – qui consistent seulement en une recherche extérieure et au-dessus des vêtements, par tapotements, d’objets interdits – sont pratiquées quotidiennement par des personnels de sécurité privée dans les aéroports ou à l’entrée des stades et des salles de spectacle. Il s’agit d’un geste peu intrusif, dont chacun comprend la nécessité et auquel chacun est désormais parfaitement accoutumé.
Prévenir en amont l’introduction d’objets interdits compenserait la perte d’efficacité qu’a entraînée l’adoption de l’article 57 interdisant les fouilles systématiques des détenus, et permettrait de renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires. Je pense – et j’espère – que mes propositions pourront recueillir l’approbation de Mme la ministre, car il est de notre responsabilité commune de rechercher ensemble, de façon pragmatique, les moyens d’améliorer la sécurité des personnels, celle des détenus, et la sécurité publique dans son ensemble.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à la « Protection judiciaire de la jeunesse ». La priorité que le Président de la République et le Gouvernement ont choisi de donner à la justice et à la jeunesse s’était traduite dès la loi de finances pour 2013 ; c’est à nouveau le cas cette année avec le projet de budget pour 2014.
Comme je sais que l’opposition a le goût des chiffres, ce qui lui a masqué l’essentiel lorsqu’elle était aux responsabilités, je rappellerai que l’application de la révision générale des politiques publiques (RGPP) au budget de la PJJ a eu pour conséquence de sacrifier la prise en charge des mineurs au profit d’un rapprochement idéologique de la justice des mineurs de celle des majeurs. C’est aussi cela qu’il nous faudra corriger durablement.
À première vue, le budget de la PJJ pour 2014 pourrait sembler quelque peu décevant, compte tenu de la baisse des crédits qui lui sont consacrés – moins 2,3 % en autorisations d’engagement et moins 0,6 % en crédits de paiement. Cette baisse des crédits traduit la participation du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » à l’effort de réduction de la dépense publique.
Cependant, grâce à une rationalisation et à une réorganisation des missions de la PJJ, le projet de budget pour 2014 prévoit une augmentation du plafond d’autorisations d’emplois à hauteur de 37 ETPT, qui permettra – grâce à des redéploiements au sein du schéma d’emploi – d’affecter 99 nouveaux ETPT sur l’action qui constitue le cœur de métier de la PJJ, à savoir la mise en œuvre des décisions judiciaires.
Le budget de la PJJ m’apparaît satisfaisant dans le contexte budgétaire que nous connaissons, et je donnerai un avis favorable aux crédits du programme.
Néanmoins, je tiens à exprimer une certaine préoccupation quant aux crédits de fonctionnement de la mission, en baisse de 9,2 % en autorisations d’engagement et de 4,5 % en crédits de paiement par rapport à 2013. Les organisations syndicales que j’ai entendues craignent que cette baisse des dépenses de fonctionnement n’entraîne soit une augmentation de la dette de la PJJ vis-à-vis du secteur associatif habilité – que le Gouvernement avait commencé à résorber dans le cadre de la loi de finances pour 2013 –, soit l’interruption du financement de certaines actions éducatives en fin d’exercice 2014.
Si la PJJ doit, comme l’ensemble des administrations, participer à l’effort de réduction de la dépense publique, il ne faut pas oublier qu’elle a déjà vu ses moyens diminuer très fortement entre 2008 et 2012 et a perdu 632 ETPT. Par ailleurs, le secteur associatif habilité est un partenaire essentiel de la PJJ pour la mise en œuvre des mesures judiciaires, et l’État doit entretenir avec lui des relations financières saines. Par conséquent, j’émets le vœu que les crédits de fonctionnement de la PJJ puissent, en tant que de besoin, bénéficier des mesures de levée de gel de crédits en fin d’exercice 2014, afin de permettre à la PJJ de poursuivre ses missions dans les meilleures conditions possibles tout au long de l’année à venir.
J’en viens à la présentation du thème que j’ai choisi de traiter cette année, celui de la prise en charge éducative des mineurs incarcérés.
Leur nombre est relativement bas depuis de nombreuses années, et demeure assez stable : 729 mineurs étaient incarcérés au 1er janvier 2013, contre 808 au 1er janvier 2003. Du fait de la hausse générale du nombre de détenus, la part des mineurs a d’ailleurs baissé, passant de 1,33 % en 2003 à 1,06 % en 2013. Les mineurs incarcérés sont également très minoritaires parmi l’ensemble de la population suivie par la PJJ.
Pour autant, la société a le besoin impérieux et l’obligation morale de rendre possible l’insertion de ces mineurs. J’ai donc cherché à identifier les améliorations qui pourraient être apportées à leur prise en charge éducative, afin de faire de cette incarcération une période utile dans leur parcours.
Ma conclusion est que l’individualisation du suivi doit être un objectif prioritaire, que ce soit lors du choix du lieu d’incarcération ou au moment de la sortie, quand il s’agit de garantir la continuité de l’action éducative engagée. Comment le ministère de la justice envisage-t-il d’encourager une meilleure prise en compte, par l’autorité judiciaire et l’administration pénitentiaire, de l’intérêt éducatif du mineur au moment de choisir le lieu de détention ?
La situation particulière des jeunes filles mérite également d’être soulignée. Du fait de leur petit nombre – trente-cinq jeunes filles étaient incarcérées au 1er janvier 2013 –, les établissements pouvant les accueillir sont rares, et elles souffrent toujours d’un certain isolement, que ce soit par rapport aux garçons quand elles sont en EPM – établissement pour mineurs – ou par rapport aux majeures lorsqu’elles sont en quartier pour mineurs.
Pour remédier à cette difficulté, je me demande s’il ne serait pas possible d’imaginer, sur le modèle de l’accompagnement scolaire des enfants en situation de handicap par des assistants de vie scolaire (AVS), que les jeunes filles détenues puissent bénéficier d’un « assistant de vie en prison ». Celui-ci, qui pourrait être rattaché à des équipes mobiles de la PJJ, telles qu’il en existe dans l’administration pénitentiaire pour renforcer les services pénitentiaires d’insertion et de probation faisant face à un grand nombre de mesures à exécuter, aurait pour mission de concevoir pour la mineure des activités éducatives individualisées, mais aussi de l’accompagner dans le cadre des activités scolaires.
Quelle est votre position sur cette piste de réflexion, madame la garde des Sceaux, et quelles actions entendez-vous mener pour mieux prendre en compte la situation particulière des jeunes filles ?
Enfin, pouvez-vous nous indiquer, dans la continuité des informations que vous nous aviez données l’an dernier, les actions que le ministère de la justice a menées en 2013 et compte mener en 2014 pour renforcer la diversité des lieux de placement des mineurs ?
Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis de la commission des lois pour l’« Accès au droit et à la justice ». Je veux tout d’abord féliciter le Gouvernement qui, malgré des efforts importants en faveur d’une diminution de la dépense publique, est parvenu à préserver, et même à augmenter les crédits du ministère de la justice. Cela traduit une véritable mobilisation de la garde des Sceaux pour mettre en œuvre la priorité donnée par le Président de la République.
Le programme « Accès au droit et à la justice » bénéficie de cette progression, puisque son budget augmente de 9 %, principalement sous l’effet de l’augmentation de 30 millions d’euros de la dotation pour l’aide juridictionnelle. Son rôle est essentiel, car il regroupe les crédits destinés à permettre à nos concitoyens de connaître leurs droits et de les faire valoir, quels que soient la situation sociale et le point du territoire dans lesquels ils se trouvent.
Je salue tout particulièrement la décision de renoncer au forfait de 35 euros réclamé lors de toute action judiciaire, qui constituait une entrave à la justice. Dans ma circonscription, l’association locale de défense des victimes de l’amiante (ALDEVA), dont l’action pâtissait de cette mesure, m’a chargée d’exprimer sa satisfaction de la voir supprimée.
Cette année, j’ai souhaité concentrer mes travaux sur la situation des victimes et des personnes mises en cause dans le cadre des procédures de jugement rapide, comme la comparution immédiate, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou l’ordonnance pénale délictuelle.
Ces procédures représentent une partie importante du nombre total des affaires suivies par les tribunaux correctionnels et sont même en progression : 50 % en 2012, contre 42 % en 2007. Elles permettent à la justice d’apporter une réponse rapide aux besoins de la société comme à ceux des victimes. C’est pourquoi je me réjouis de la création, cette année, de 150 bureaux d’aide aux victimes, qui a permis de tripler leur nombre.
De même, les crédits accordés aux 173 associations d’aide aux victimes conventionnées, déjà augmentés de 25 % l’an dernier, sont encore accrus de 6,5 % cette année.
Les bureaux d’aide aux victimes permettent aux associations de renseigner les victimes sur leurs droits, de les orienter, le cas échéant, vers des avocats, et de les aider à résoudre leurs difficultés.
Cela étant, tout reste perfectible. Ces bureaux bénéficient d’une dotation financière modulable de 20 000 euros. Or les critères de la modulation mériteraient d’être mieux expliqués, car elle n’est pas toujours comprise par l’INAVEM, la fédération nationale des associations d’aide aux victimes. Je présenterai par ailleurs un amendement destiné à doter ces associations de moyens supplémentaires.
Enfin, une enveloppe de 200 000 euros est prévue pour financer une expérimentation intéressante destinée à transposer la directive européenne sur les victimes. Celle-ci prévoit de nouveaux droits, comme l’évaluation de la vulnérabilité des victimes, afin de mieux adapter leur prise en charge. J’en attends les résultats avec impatience.
Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice. Avant de répondre aux questions posées, je me dois de rendre plus intelligible le budget de la justice en rappelant ce qui fait sa cohérence et de quelle façon il traduit les priorités définies par le Gouvernement. Le budget pour l’année 2013 était construit selon une logique triennale ; les priorités établies l’an dernier sont donc consolidées, qu’il s’agisse des crédits ou de l’action du ministère sur le terrain.
En 2012, nous avions entrepris de corriger les injustices accumulées au cours des dernières années, et décidé de consentir un effort particulier en faveur de la jeunesse, et donc de la protection judiciaire de la jeunesse. Aujourd’hui, nous en venons à une phase plus qualitative de l’organisation de la PJJ, qui passe notamment par une diversification des réponses en matière d’hébergement, sur le plan éducatif et en termes de sanctions auxquelles peuvent recourir les juges et tribunaux pour enfants.
Dès l’année dernière, nous avions annoncé que nous serions vigilants et actifs au sujet des ressources humaines, qui constituent la force principale du ministère de la justice. Cela ne recouvre pas seulement la question des effectifs, mais aussi celle de l’organisation du travail, des conditions de travail, de la répartition des charges, des méthodes, ainsi que des procédures et formalités qui peuvent pénaliser l’activité des magistrats, greffiers et fonctionnaires.
Cette année encore, nous proposons la possibilité de créer 590 nouveaux postes pour l’ensemble de la justice : 35 pour la justice administrative et 555 pour la justice judiciaire, la protection judiciaire de la jeunesse et l’administration pénitentiaire. Cette augmentation est d’autant plus remarquable que les effectifs de l’État vont être globalement réduits de 3 200 postes en 2014. C’est la marque incontestable d’un maintien de la priorité accordée à la justice par le Président de la République. De même, comme l’ont souligné plusieurs d’entre vous, le budget de la justice augmente de 1,7 %, alors que le budget de l’État enregistre une baisse en valeur.
Le ministère de la justice est peut-être celui qui porte la plus lourde part de l’action réformatrice de l’État. Il suffit de rappeler le nombre de textes qui viennent d’être adoptés, dont l’examen est en cours ou qui vont être examinés par le Parlement : le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, qui entraîne des conséquences en termes d’effectifs ; le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature ; le projet de loi modifiant les relations entre le garde des Sceaux et le parquet, qui n’est pas sans effet sur l’organisation du travail et les relations entre les parquets généraux et la Direction des affaires criminelles et des grâces ; le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ; les projets de loi ordinaire et organique créant le parquet financier, qui conduisent à débloquer des moyens budgétaires spécifiques et à créer de nouveaux postes de magistrat et de greffier.
Nous avons également déposé un projet de loi relatif à la collégialité de l’instruction. En effet, la loi du 5 mars 2007, dont l’entrée en vigueur a déjà été reportée deux fois, prévoyait un principe de collégialité systématique dont l’application aurait eu pour effet d’alourdir l’instruction et de nécessiter la création de 354 postes de magistrat, une charge que nous ne pouvons pas assumer. Une chose est d’ouvrir des postes au concours, une autre est de trouver des magistrats en chair et en os pour les occuper. Je reviendrai d’ailleurs sur les dispositions que nous prenons pour pallier le manque de vocations.
D’autres textes sont susceptibles d’entraîner des effets sur le budget de la justice pour 2014, comme la réforme de l’hospitalisation sous contrainte. Bien que ce projet de loi soit porté par le ministère de la santé et des affaires sociales, il implique la création de postes de juge des libertés et de la détention, mais aussi de greffiers et de fonctionnaires. Il en va de même s’agissant de la réforme de la justice commerciale, ou du texte sur le secret des sources des journalistes.
L’action du Gouvernement se caractérise donc par la continuité, qu’il s’agisse de la création de postes, de la réforme des méthodes et de l’organisation du travail ou de la modification de certaines procédures.
Pour illustrer ce dernier aspect, on peut citer l’exemple des mesures de tutelle. Les tribunaux d’instance étaient engorgés par le nombre de mesures à réviser, et nous nous sommes aperçus, à la mi-2012, qu’il serait impossible de parvenir avant la fin 2013 à une résorption du stock. Nous avons abandonné l’idée de prévoir un délai pour l’application de l’obligation de révision, car cela n’aurait fait qu’augmenter le nombre de mesures restant à réviser. Nous avons donc engagé les moyens nécessaires, en termes d’effectifs et d’organisation du travail, pour éviter que les autres contentieux civils ne soient pénalisés par le traitement du contentieux relatif à la protection des majeurs. Les effectifs sont en place, et nous sommes désormais en mesure de résorber le stock de tutelles à réviser, ce dont il faut rendre grâce aux personnels.
Mais nous avons aussi tiré les enseignements de cette expérience. Pour éviter de faire peser sur les tribunaux d’instance une charge de travail inconsidérée, nous envisageons que le juge puisse autoriser, dans certains cas particuliers – notamment en cas de pathologie lourde et évolutive, lorsqu’une révision au bout de cinq ans ne se justifierait probablement pas –, que la révision de la mesure initiale ait lieu au-delà de ce délai, au plus tard au bout de dix ans.
L’objectif du Gouvernement est donc d’améliorer l’efficacité de la justice, mais aussi de la rendre plus accessible et plus diligente.
La question des délais est évidemment essentielle. Or les effectifs font partie des facteurs qui déterminent la durée des procédures, civiles comme pénales. Alors qu’il nous manque déjà 358 postes de magistrats pour répondre aux besoins, nous allons devoir faire face à 1 400 départs à la retraite pendant la durée du quinquennat. Il aurait donc fallu ouvrir 300 postes par an en moyenne au cours des six dernières années. Or, pendant la législature précédente, entre 80 et 120 postes seulement étaient ouverts chaque année. En 2013, nous avons porté ce nombre à 300, et cette année, nous en ouvrons 420. Malheureusement, 64 de ces postes n’ont pas trouvé preneur.
Nous avons recherché les raisons de la désaffection qui touche la magistrature en dépit de la beauté de ses missions et de la variété des métiers qu’elle propose, aussi bien au parquet qu’au siège. Il ne fait pas de doute que la nature des relations observées ces dernières années entre l’exécutif et la magistrature, ainsi que les mises en cause régulières dont font l’objet les décisions de justice, n’incitent pas les jeunes à se précipiter vers ce type de carrière.
Nous avons donc décidé de rendre la magistrature plus attractive. La campagne de communication que nous avons organisée l’année dernière commence à donner ses fruits, même si, comme on l’a vu, elle reste insuffisante. Nos efforts concernent les trois voies d’accès à l’École nationale de la magistrature : en septembre, nous avons réuni les doyens des facultés de droit pour leur demander d’inciter leurs meilleurs étudiants à passer le concours, mais nous renforçons également les recrutements latéraux, c’est-à-dire externes.
Ayant été beaucoup sollicitée pour autoriser des magistrats à servir dans d’autres organismes, j’ai fait recenser le nombre de professionnels dans cette situation : ils sont environ 250, certains étant hors juridiction depuis plus de dix ans, voire depuis une vingtaine d’années. Pour réduire les délais de jugement et répondre aux besoins en effectifs, nous avons donc entrepris, il y a quelques mois, de les inciter à revenir en juridiction.
En matière d’emplois, l’année 2013 a été essentiellement consacrée à la PJJ, non pour la privilégier, mais pour rompre avec la RGPP, qui avait conduit à la suppression de 8 % de ses effectifs en trois ans, soit plus de 630 emplois en moins entre 2008 et 2012. Nous en avons recréé 205 – essentiellement des éducateurs – de façon que la prise en charge des mineurs ayant affaire à la justice soit assurée dans les cinq ans.
Vous savez, en effet, qu’une prise en charge rapide est indispensable, non seulement pour ne pas donner un sentiment d’impunité à la personne ayant commis un acte répréhensible, mais aussi parce que les statistiques montrent que la réitération a lieu rapidement après le premier acte commis. Une prise en charge rapide permet donc de casser la dynamique qui entraîne les mineurs toujours plus loin dans la délinquance.
Compte tenu de la présentation du projet de loi de prévention de la récidive, nous faisons cette année un effort particulier en faveur des conseils d’insertion et de probation, sur lesquels pèsera l’essentiel du travail d’encadrement, de suivi et de surveillance du respect des obligations et interdictions, qu’il s’agisse de la contrainte pénale, des autres exécutions de peine en milieu ouvert ou du dispositif conduisant à l’examen de la situation d’un détenu aux deux tiers de l’exécution de sa peine.
Nous allons donc créer un millier d’emplois sur les trois ans à venir pour le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) : 400 dès 2014, puis 300 par an en 2015 et 2016. En outre, nous travaillons sur la diversification du recrutement, les méthodes de travail, les outils de prise en charge et d’encadrement, les référentiels métier. J’ai installé la semaine dernière un groupe de travail sur les SPIP. Nous réorganisons également ce corps à l’intérieur de l’administration pénitentiaire.
Sur le plan immobilier, 1 097 places en prison vont être livrées en 2014. Je rappelle que nous avons pris l’engagement de faire passer le nombre de places disponibles de 57 000 à 63 500, soit 6 500 en plus. J’entends bien, monsieur Huyghe, votre désapprobation à l’égard de ce que vous appelez « l’abandon du programme de création de 80 000 places de prison », mais il convient de souligner le caractère fantomatique de ce dernier, qui n’était pas financé.
On peut d’ailleurs faire pire qu’afficher des programmes non financés : lancer des programmes dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). Certes, dans ce cas, l’État ne dépense pas un euro dans un premier temps, mais il fait porter sur deux générations le remboursement d’investissements qui auront triplé, voire quintuplé. C’est un choix que ce gouvernement ne fait pas : tout ce qu’il annonce est financé, dont la création de ces 6 500 places supplémentaires. Sans doute aurait-il fallu livrer de nouvelles places de prison dès le mois de juin 2012. Mais il faut tout de même prendre le temps de mener des études, de lancer des appels d’offres et de construire les bâtiments !
Dès cette année, nous avons procédé à d’importantes rénovations, comme à la prison des Baumettes – une centaine de cellules ont été entièrement refaites – ou à Fleury-Mérogis. Une tripale de 700 cellules va par ailleurs être livrée le 31 octobre. Le travail se poursuit donc à un rythme soutenu. En tout état de cause, dans la mesure où la politique pénale vient en amont de la politique carcérale, vous pouvez difficilement vous dire surpris par le phénomène de surpopulation carcérale.
Concernant l’aide aux victimes, je vous remercie, madame la rapporteure pour avis, de votre présentation et des éléments d’information que vous avez apportés. Nous menons une politique d’aide aux victimes très active, dynamique et attentionnée, comme en témoigne la progression des crédits qui y sont consacrés, de 25,8 % l’année dernière et de 9 % cette année.
Conformément à l’engagement qui avait été pris devant vous, nous avons ouvert une centaine de bureaux d’aide aux victimes pour la seule année 2013, ce qui porte leur nombre à environ 150. Dès le mois de juin 2012, j’ai confié à l’inspection générale des services judiciaires un audit sur leur ouverture et leur installation. À la suite de ces conclusions, nous avons substitué à la dotation forfaitaire initiale, une dotation modulable afin de proposer une réponse adaptée à chaque situation. Par souci d’efficacité, nous devons pouvoir procéder aux ajustements nécessaires, car les besoins ne sont pas identiques pour tous les bureaux. Pour certains, l’effort doit porter sur l’équipement ; pour d’autres, sur les modalités d’accueil. D’ici à un an, je demanderai une évaluation du fonctionnement de l’ensemble des bureaux. D’ores et déjà, les corrections que nous avons apportées sont de nature à améliorer leur efficacité.
Vous avez évoqué l’expérimentation en matière d’individualisation du suivi des victimes. La France doit transposer avant décembre 2015 une directive européenne établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité. Ses dispositions sont très intéressantes pour les victimes puisqu’elle leur ouvre de nouveaux droits et leur offre une meilleure prise en charge. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de lancer, avant même la transposition, une expérimentation dans quelques tribunaux de grande instance à laquelle 200 000 euros de crédits sont alloués.
La rémunération des greffiers n’a pas été revalorisée depuis dix ans, en dépit de plusieurs projets, et leur intégration dans le nouvel espace statutaire n’a pu aboutir, car celui-ci est contraire à leur statut. L’an dernier, tout en ayant bien conscience de l’injustice de cette situation, j’avais reconnu que nous ne pourrions pas faire d’effort en leur faveur avant 2015. Cette réalité est d’autant plus douloureuse pour moi que je dois constamment la répéter aux greffiers que je rencontre dans les juridictions et qui réclament légitimement un effort statutaire et indiciaire. En revanche, nous travaillons sur leurs conditions de travail. Environ 1000 greffiers sont actuellement en stage à l’École nationale des greffes ou dans les tribunaux, et devraient donc prendre leurs fonctions dans les juridictions d’ici à décembre 2014. Cela permettra d’améliorer la répartition de la charge de travail dans le corps des greffiers en attendant de pouvoir faire l’effort espéré.
Monsieur Le Bouillonnec, pour les agents de catégorie C, nous faisons un geste – modeste, j’en conviens – en accordant une prime de 219 euros nets. Je ne croyais pas, l’année dernière, que ce serait possible : c’est donc une bonne surprise.
Mme Axelle Lemaire. Vous avez déjà abordé de nombreux sujets qui sont au cœur des préoccupations du groupe SRC. Je tiens à vous féliciter pour les équilibres trouvés par le Gouvernement dans le budget de 2014, et, en particulier, pour les avancées concrètes que vous avez obtenues, madame la garde des Sceaux, dans un contexte qui, nous le savons, est très contraint pour nos finances publiques.
La justice est au cœur de notre combat. Les députés de la majorité sont profondément attachés à la défense des victimes, au respect des droits et libertés fondamentaux, à la garantie de la sécurité physique et juridique de tous. C’est donc avec une attention toute particulière qu’ils ont examiné ce budget.
On ne peut le comprendre sans avoir à l’esprit les budgets précédents, notamment le dernier exercice qui avait marqué la fin de l’application de la RGPP, dont les conséquences ont été, de l’avis unanime, désastreuses pour nos juridictions. Pour y remédier, 1 500 emplois seront créés sur la période 2013-2015, dont 500 dès 2013.
Cette année, le budget que vous nous présentez, en augmentation de 1,7 %, prévoit la création de 555 emplois, absolument nécessaires pour permettre à l’administration pénitentiaire et à la justice d’exercer correctement la mission qui leur est confiée. Pour autant, ce budget, ramené au PIB, classe la France au trente-septième rang sur quarante-trois en Europe, et ce depuis cinq ans. Cette situation oblige le Gouvernement à se livrer à un véritable exercice de rattrapage depuis l’année dernière.
Les sources potentielles de tensions au sein de la justice restent nombreuses, vous le savez, madame la garde des Sceaux, puisque vous vous efforcez au quotidien de les apaiser : atrophie des effectifs, notamment chez les magistrats et les greffiers, réforme de la garde à vue dont nous avons hérité et qui avait été très mal préparée, encombrement des juridictions, inquiétante surpopulation carcérale – il y aurait désormais 900 matelas à terre dans les prisons. Les dix années précédentes ont laissé une trace que deux exercices budgétaires ne peuvent suffire à effacer.
Une partie de la solution à l’ensemble de ces problèmes se trouve dans le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, qui a été présenté en Conseil des ministres et sera débattu l’année prochaine par notre assemblée. La première de ces solutions est l’individualisation des peines avec la suppression des peines planchers et du caractère automatique de la révocation des sursis en cas de nouvelle condamnation. Cette justice automatique, nous n’en voulons pas, ne serait-ce que parce qu’elle est contre-productive.
La seconde solution réside dans les peines alternatives à l’enfermement, dont nous savons qu’il n’est pas toujours efficace dans la lutte contre la récidive. Ainsi, la nouvelle peine de contrainte pénale, créée par votre projet de loi, pourra s’appliquer aux personnes majeures, auteurs des délits les moins graves – pour lesquels la peine maximale encourue est inférieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement. Cette nouvelle peine comportera des obligations et des interdictions : obligation de réparer le préjudice causé, interdiction de rencontrer la victime ou d’aller dans certains lieux, obligation de formation, de travail, de stage, ou obligation d’exécuter un travail d’intérêt général, de respecter une injonction de soins, etc.
Le budget de l’administration pénitentiaire prend en compte par avance cette réforme pénale que vous nous présenterez en avril. Ainsi, 432 nouveaux emplois seront créés, et plus de 3 milliards seront désormais consacrés à nos prisons.
Vous avez également annoncé la création de 6 500 places supplémentaires de prison d’ici à 2017. Enfin, des outils statistiques et informatiques accompagneront l’instauration d’un observatoire de la récidive.
Les citoyens connaissent mal leur justice, et y accéder peut relever du parcours du combattant. L’augmentation des crédits du programme « Accès au droit et à la justice » et de l’aide aux victimes est la preuve de l’importance que la majorité accorde à cette question.
En 2014, 165 bureaux d’aide aux victimes couvriront l’ensemble du territoire, après l’ouverture d’une centaine de ces bureaux en 2013. Animés par des représentants d’associations d’aide aux victimes locales et coordonnés par le juge délégué aux victimes du tribunal de grande instance, les bureaux d’aide aux victimes incarnent un service public des victimes à part entière.
Dans le même esprit, les députés socialistes ont été sensibles à la grande avancée du budget 2014, à savoir la suppression du droit de timbre de 35 euros. Cette taxe était une TVA judiciaire, et nous nous réjouissons de sa suppression.
Le groupe SRC soutient donc ce budget.
M. Gérald Darmanin. Le budget constitue un acte politique important, car il permet d’identifier les priorités du Gouvernement et de mettre à l’épreuve la cohérence entre les déclarations politiques et les actes qui en découlent. Force est de constater que la mission « Justice » n’apparaît pas, en termes budgétaires, comme une priorité de la politique gouvernementale, alors même qu’elle relève des missions régaliennes de l’État. Le budget connaît ainsi une quasi-stagnation entre 2013 et 2014, malgré vos belles promesses de campagne. Rien ne laisse donc penser que vous vous apprêtez à faire une réforme ambitieuse de la justice pénale.
En outre, la politique pénale que vous souhaitez mettre en place doit nécessairement s’accompagner de créations de postes. Le projet de budget prévoit la création de 555 postes, mais l’essentiel – soit 432 – en sera affecté aux services pénitentiaires, alors que de nombreux postes de magistrat seront toujours vacants au 1er janvier prochain. Nous avons compris que, cette fois, ce n’était pas la faute de SFR, mais celle de Nicolas Sarkozy.
Sur ce sujet, nous notons la création des 300 postes de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation pour appliquer la réforme pénale que nous attendons en février 2014. Néanmoins, la création de ces 300 postes risque d’être bien insuffisante au regard de la situation actuelle et de vos ambitions.
Alors qu’actuellement un conseiller suit quatre-vingt-onze personnes, l’objectif, selon l’étude d’impact du projet de loi relatif à la prévention de la récidive, est d’atteindre un ratio de quarante personnes par conseiller pour la libération sous contrainte. Cette même étude indique que, « suivant les scénarios envisagés, entre 3 600 et 10 400 personnes seront suivies en libération sous contrainte ». Ce seront donc autant de dossiers supplémentaires pour les conseillers pénitentiaires.
Sur ce sujet, vous ne pouvez d’ailleurs pas nous faire de leçon de morale, car l’ancienne majorité a augmenté les effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation de 80 % entre 2002 à 2011.
Enfin, il est prévu la création de soixante-dix-huit postes pour renforcer les effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse et de vingt-cinq postes de magistrats dédiés à la seule création du futur parquet financier. Cette réforme du parquet financier paraît tout à fait inopportune. Comme à votre habitude, vous réagissez avec excès à une affaire particulière – en l’espèce l’affaire Cahuzac – et en oubliez la vraie priorité : protéger les Français dans leur quotidien.
Vous souhaitez lutter contre l’engorgement des prisons. Mais vous vous attaquez aux conséquences du problème et non à ses causes. C’est bien l’insuffisance du parc immobilier pénitentiaire qui est à l’origine de la surpopulation carcérale, comme l’a d’ailleurs souligné, à plusieurs reprises, le ministre de l’intérieur, Manuel Valls. Dans sa lettre à François Hollande du 25 juillet 2013 sur le projet de réforme pénale que vous portiez, dans le point 2 intitulé « Des désaccords sur le fond », celui-ci écrit : « la surpopulation carcérale s’expliquerait exclusivement par le recours “par défaut” à l’emprisonnement, et par l’effet des peines planchers. […] Nous ne pouvons totalement ignorer la question du dimensionnement du parc immobilier pénitentiaire ».
La comparaison avec nos voisins européens est à cet égard très parlante : en France, on compte 57 235 places de prison, pour plus de 68 500 détenus et 65 millions d’habitants ; au Royaume-Uni, ce chiffre est de 96 200 pour une population identique.
Pour remédier à cette difficulté, nous avions lancé un grand programme immobilier baptisé « 13 200 » sur lequel vous revenez largement.
Le problème ne tient donc pas au nombre de détenus, mais à l’insuffisance de places de prisons, et ce n’est pas la multiplication des peines alternatives à l’incarcération, parfois nécessaires, qui permettra de résoudre ce problème.
De plus, le raisonnement selon lequel la récidive sera limitée par la suppression des peines planchers et la mise en place de la contrainte pénale relève de l’angélisme idéologique et met en péril la sécurité de nos concitoyens. Vous aurez beau doter la mission « Intérieur » d’un budget important et accroître les effectifs de police, si la justice ne met pas en place les réponses pénales adaptées, cela n’aura aucun effet.
Par ailleurs, l’efficacité et la cohérence de la sanction sont d’autant plus grandes que celle-ci est rapide. Or, l’indicateur 3.4 du programme 166 relatif au délai moyen de mise à exécution montre bien que ce dernier ne cesse d’augmenter, qu’il s’agisse des peines de prison ferme ou des peines d’amende.
Enfin, l’aide juridictionnelle est le symbole de l’attitude de votre gouvernement, caractérisée par l’hésitation et l’amateurisme. Depuis que la droite a mis en place un droit de timbre de 35 euros, la gauche n’a cessé de hurler, considérant qu’il s’agissait d’un frein inacceptable pour ester en justice. Nous l’avons encore entendu ce matin. Mme Lemaire ne dénonce pas la hausse de la TVA au 1er janvier mais se félicite de la suppression de ce qu’elle qualifie de « TVA judiciaire ». Pourtant, cette contribution, en vigueur depuis le 1er octobre 2011, sert précisément à financer l’aide juridictionnelle dont bénéficient les plus démunis.
Ainsi, vous aviez promis de supprimer ce droit de timbre dès le PLF pour 2013 avant d’y renoncer, et de reporter la réforme à 2014. Vous allez, semble-t-il, présenter en séance des amendements à l’article 69, parce que Bercy n’a pas pu, ou pas voulu, les étudier avant. Quelle impréparation ! Pouvez-vous, madame la garde des Sceaux, nous apporter quelques précisions sur ces amendements ?
M. Michel Zumkeller. Le budget que vous présentez repose sur une conception de la justice que le groupe UDI ne partage pas et qu’incarne la réforme pénale annoncée. Cette réforme, comme le budget, est envisagée à travers le seul prisme de la lutte contre la surpopulation carcérale et laisse de côté les principaux enjeux de notre système pénal que sont la prévention de la récidive, la lutte contre la délinquance des mineurs ou l’exécution des peines.
L’exécution des peines a d’ailleurs fait, sous les précédentes législatures, l’objet de multiples rapports, sans que l’on enregistre d’avancées significatives : il faudrait commencer par disposer de données statistiques qui font encore défaut aujourd’hui. Les bureaux d’exécution des peines sont une très bonne chose, mais on attend toujours leur mise en place. Que comptez-vous faire en la matière pour les majeurs, mais aussi pour les mineurs, pour lesquels c’est la protection judiciaire de la jeunesse qui assure le suivi ?
En ce qui concerne les créations de postes, les 300 nouveaux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ont principalement vocation à mettre en œuvre votre réforme pénale. À cet égard, le groupe UDI s’inquiète fortement du projet de contrainte pénale qui va à l’encontre de la nécessaire sanction et de l’indispensable réparation dans l’intérêt des victimes. Nous aurons l’occasion d’en parler plus longuement.
Je partage l’avis du groupe UMP pour ce qui est des places de prison. Peut-être restait-il des places à financer sur les 80 000 prévues par la précédente majorité, mais cela n’a rien d’inhabituel. On ne fera pas l’économie de la création de nouvelles places de prison, ne serait-ce qu’au nom de la dignité humaine. Nous devrons trouver ensemble les moyens de les financer.
La suppression du droit de timbre a pour conséquence une baisse du budget alloué à l’aide juridictionnelle : nous ignorons comment vous comptez la compenser. Vous avez indiqué que vous feriez des économies. Pouvez-vous être plus précise ?
M. Sergio Coronado. La justice demeure une priorité du Gouvernement et du Président de la République, et cela est heureux en ces temps de forte contrainte budgétaire. À l’intention de M. Darmanin, je veux rappeler que le rapport de M. Raimbourg sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale a établi que l’augmentation du nombre de places de prison n’a jamais réglé la question de la surpopulation. Ses conclusions n’étaient peut-être pas totalement consensuelles, mais, à l’époque de sa publication, loin de pousser les hauts cris, certains représentants de l’opposition avaient même exprimé leur assentiment. Il vaut donc mieux, sur le sujet, s’abstenir de toute polémique.
Madame la garde des Sceaux, l’année dernière, vous aviez eu des mots très durs et très justes contre les PPP qui hypothèquent notre capacité d’action et constituent une dette laissée aux générations futures. Je regrette que les positions et les engagements que vous aviez pris alors avec le soutien de la majorité ne se retrouvent pas complètement dans votre politique. La construction du tribunal de Caen fait ainsi l’objet d’un PPP.
Mais les PPP ne sont pas seuls à poser problème. Je pense à la gestion déléguée dans le cas du centre pénitentiaire de Beauvais.
Dans ses recommandations relatives au centre pénitentiaire des Baumettes, le contrôleur général des lieux de privation de liberté indiquait que celui-ci devait accueillir des détenus transférés d’établissements sous gestion déléguée, aux fins de « désencombrement », car un surcroît d’occupation dans ces établissements entraîne pour l’État le versement de pénalités. À cet égard, il serait utile de connaître le coût d’un détenu en fonction du type d’établissement – établissement en gestion déléguée, sous PPP, ou établissement public. Pour sortir de l’idéologie et pour la bonne information de la représentation nationale, il serait souhaitable de pouvoir quantifier sur des bases solides la dette laissée aux générations futures et ainsi établir l’irresponsabilité qui consiste à s’engager dans des PPP.
En ce qui concerne le calendrier de la réforme pénale, je suis, semble-t-il, moins bien informé que mes collègues Mme Lemaire et M. Darmanin. Pouvez-vous me préciser les dates d’examen de cette réforme que nous appelons de nos vœux depuis longtemps, pour rompre avec le « tout carcéral » et le « tout sécuritaire » de l’ancienne majorité. Sur ce sujet, vous savez pouvoir compter sur le soutien du groupe écologiste.
Enfin, je me félicite de la suppression du timbre fiscal, mais je m’inquiète du financement de l’aide juridictionnelle. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé des amendements que je serai ravi de retirer si le Gouvernement en présente en séance afin d’apporter des solutions en la matière.
M. Marc Dolez. Le groupe de la gauche démocrate et républicaine porte une appréciation nuancée mais plutôt positive sur le budget de la justice. Après une hausse significative en 2013, il connaît une légère progression pour 2014.
Nous nous félicitons de la suppression du timbre que nous avions réclamée dès le début de la législature en déposant une proposition de loi à cet effet. Quant à sa compensation, nous nous réjouissons que vous vous apprêtiez à renoncer à la démodulation de l’aide juridictionnelle, qui aurait pour conséquence de diminuer le montant de l’indemnisation des avocats dans 157 barreaux sur 161. Nous souhaitons que la concertation permette de trouver une solution juste, efficace et pérenne.
D’autre part, les emplois créés dans l’administration pénitentiaire seront affectés à l’ouverture de nouveaux établissements et à l’application de la future loi sur la récidive que nous soutenons. Ils ne pourvoiront pas aux postes vacants et ne compenseront pas les départs en retraite. Pourtant, la situation est très préoccupante dans de nombreux établissements pénitentiaires. Ainsi, le directeur de la maison d’arrêt de Douai a annoncé dans une note interne la mise sous tutelle budgétaire de son établissement.
Enfin, pour les services judiciaires, la création de postes de magistrats sera insuffisante pour pourvoir aux postes vacants et compenser les départs en retraite dans les trois prochaines années – respectivement au nombre de 400 et 1400. En outre, les budgets de fonctionnement des juridictions stagnent alors que nombre d’entre elles sont en situation délicate. Ces deux éléments font craindre une nouvelle dégradation du service public de la justice.
Le budget de la PJJ enregistre cette année une baisse inquiétante qui touche les structures éducatives. Quelles sont les conclusions de la mission d’inspection des services judiciaires sur les centres éducatifs fermés, que vous avez diligentée il y a plus d’un an ? Nous considérons que les emplois créés dans ces structures pourraient être plus judicieusement affectés à d’autres lieux d’accueil et de réinsertion.
Quels seront l’affectation et le type des emplois créés en faveur de la santé des mineurs ?
Sur les 297 emplois affectés à l’ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires, 210 proviendront de redéploiements. Quels sont les postes concernés ?
Le Gouvernement a-t-il l’intention de continuer à signer des PPP, qui coûtent fort cher ?
M. Dominique Raimbourg. Madame la garde des Sceaux, trois indicateurs disent la difficulté de votre tâche : 80 % des personnes sortant de prison se trouvent actuellement sans suivi ; 57 % de cette même population sont à nouveau condamnés dans les cinq ans – cette condamnation n’est pas nécessairement prononcée en récidive et elle n’amène pas toujours les individus concernés à retourner en prison ; en moyenne, une cellule de maison d’arrêt est occupée par 1,64 détenu.
À la lecture de ces chiffres, la justice semble inefficace. Quant aux conditions de travail du personnel pénitentiaire, elles sont anormales, de même que les conditions de détention – qui sont même, parfois, indignes. Nous héritons de cette situation, même si les difficultés financières sont très anciennes.
M. Jean-Frédéric Poisson. Merci de le reconnaître !
M. Dominique Raimbourg. La solution consistant à augmenter le nombre de places de prison a montré ses limites. Plus on a créé de places – et un réel effort a été consenti depuis dix ans en la matière –, plus le nombre de détenus a augmenté : il est passé de 48 000 à 68 000 sur la même période.
Comment rendre notre justice plus efficace ? Comment assurer des conditions de détention plus dignes ? Comment améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires ?
M. Philippe Goujon. Madame la ministre, dans la perspective de la future réforme pénale, vous envisagez l’automaticité de l’examen par le juge de la libération du condamné aux deux tiers de sa peine. En tenant compte des réductions de peines automatiques, cette mesure entraînerait la libération de 2 500 à 6 000 détenus. Vos services estiment que 40 % d’entre eux seront placés en régime de semi-liberté ou hébergés en placement extérieur. De quels moyens bénéficieront les centres de semi-liberté afin de faire face à un tel afflux ?
La Direction des affaires criminelles et des grâces a récemment publié un rapport consacré à la politique pénale qui montre qu’en matière d’exécution des peines les dysfonctionnements sont nombreux. Plusieurs parquets décident même de reports d’incarcération en raison du surpeuplement des prisons. Les bureaux d’exécution des peines se heurtent aussi à des difficultés. Quels moyens comptez-vous dégager pour résoudre ces problèmes ?
Pourriez-vous également nous donner quelques éléments sur l’état d’avancement du programme des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) – celle de Villejuif verra-t-elle le jour ? Où en est le chantier du TGI de Paris aux Batignolles ? Il semble qu’il soit suspendu. Que pouvez-vous nous dire de la prison de la Santé ?
Mme Colette Capdevielle. Le ministère de la justice travaille sur une réforme de la justice commerciale, et la création de huit postes de magistrats est d’ores et déjà prévue dans ce budget.
Le rapport d’information de nos collègues, Cécile Untermaier et Marcel Bonnot, sur le rôle de la justice commerciale, formulait en avril dernier trente propositions concrètes pour rénover l’organisation des procédures commerciales dans un souci de transparence et d’efficacité. Ce rapport propose notamment de « faciliter la procédure de “dépaysement” en l’accordant, de droit, aux parties qui la demandent », et d’ouvrir la possibilité pour les parties d’obtenir un jugement par une formation mixte.
Quelles propositions du rapport d’information envisagez-vous de retenir dans un futur projet de loi ? Selon quel calendrier ce dernier sera-t-il élaboré et examiné ? Quelles mesures financerez-vous en priorité ? Quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour améliorer la situation de la justice commerciale ?
M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la garde des Sceaux, pouvons-nous connaître, une fois pour toutes, la position du Gouvernement sur les partenariats public-privé ?
De nombreuses associations qui aident à la réinsertion des détenus ont du mal à renouveler leur agrément ou à obtenir des subventions. Elles effectuent pourtant, dans la plus grande discrétion, un travail particulièrement utile et tout à fait remarquable qui fait souvent intervenir d’anciens détenus et reste, en définitive, relativement peu coûteux pour les deniers publics. Quelles mesures comptez-vous prendre dans le budget pour 2014 afin qu’elles disposent de plus de moyens ?
L’année dernière, dès octobre ou novembre, certains établissements pénitentiaires n’ont plus reçu la part de dotation de l’État qui leur revenait. En conséquence, le paiement aux fournisseurs a été retardé. Au-delà des flux décrits dans le budget, se pose donc un problème d’ajustement de trésorerie qui n’est pas sans conséquence pour le secteur privé. Quelles dispositions prenez-vous afin que ces graves incidents ne se reproduisent pas ?
Mme Élisabeth Pochon. Ma question concerne le financement de l’enquête Violences et rapports de genre, dite « enquête VIRAGE », qui entend actualiser et approfondir la connaissance statistique des violences faites aux femmes et se propose d’étendre son champ d’investigation à la population masculine. Cette enquête quantitative de grande envergure concernera 35 000 personnes. L’opération de collecte est prévue pour 2015 en métropole, et ultérieurement dans les départements d’outre-mer.
Intitulé Violences et rapports de genre (VIRAGE) : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes, ce projet a d’ores et déjà reçu le soutien financier du ministère des droits des femmes, de la Caisse nationale des allocations familiales et de l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité via le Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance. Cette enquête qui s’étalera sur trois ans permettra de constituer des sources de données comparables à celles d’autres pays européens ; d’évaluer des politiques publiques engagées depuis l’enquête de violence envers les femmes de 2002 ; d’adapter la prévention aux réalités vécues par les deux sexes, et de faciliter le travail des associations qui se battent au quotidien contre ces violences.
Je salue à cette occasion l’observatoire des violences faites aux femmes de mon département de Seine-Saint-Denis, qui réalise depuis 2002 un travail remarquable et dont le modèle s’exporte même vers d’autres territoires – comme vers le Pays basque depuis août dernier.
Le ministère de la justice qui veut mieux protéger et garantir les droits des victimes pourrait-il soutenir financièrement cette enquête qui lui serait à ce titre très utile ? De façon plus large, elle serait bénéfique à tous ceux qui s’engagent dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
M. Yann Galut. Pendant des années, la justice a vu son budget malmené, des postes ont été supprimés – notamment dans la lutte contre la délinquance économique et financière –, et les magistrats ont été mis en cause. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui rompt avec cette logique.
Les inconséquences passées expliquent la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement tant en ce qui concerne le nombre de magistrats que pour ce qui touche à leur situation matérielle. Ces questions se posent aussi pour les greffiers, pourtant si efficaces et utiles. Comment résoudrez-vous les problèmes auxquels nous continuerons de nous heurter dans les années qui viennent ?
M. Joaquim Pueyo. L’efficacité de la peine d’emprisonnement dépend essentiellement du niveau de sécurité des établissements pénitentiaires, de la qualité de la prise en charge, et de l’anticipation et de la préparation de la sortie des détenus – qui vise notamment à éviter les sorties sèches.
Madame la garde des Sceaux, le 3 juin dernier, vous avez présenté un dispositif de sécurisation des établissements pénitentiaires particulièrement ambitieux, afin de lutter contre les évasions, contre les projections de l’extérieur, d’empêcher l’introduction d’objets et de produits interdits, de rendre plus efficaces les brouilleurs de communications téléphoniques et d’améliorer le contrôle de la population pénale en utilisant notamment les techniques de pointe. Certaines mesures annoncées amélioreront les conditions de vie des détenus et les conditions de travail des personnels. C’est le cas de l’installation des coûteux portiques à ondes millimétriques – 60 000 euros par dispositif – qui réglera en partie le problème des fouilles intégrales.
La sécurité générale des détentions est également liée aux modalités de prise en charge des détenus les plus signalés. Cela implique de mettre en place des formations adaptées et différenciées des personnels qu’il faut replacer au centre du projet d’exécution des peines. Dans les maisons centrales, où l’application d’un plan d’action spécifique est prévue, la pratique professionnelle des surveillants en contact avec les détenus dangereux doit être analysée. Qu’en est-il aujourd’hui de ce plan d’action des maisons centrales, et de la sécurisation des établissements pénitentiaires ?
Mme Françoise Descamps-Crosnier. Madame la garde des Sceaux, l’aide juridictionnelle constitue pour le groupe SRC la garantie de l’égalité d’accès au droit. Le 4 octobre dernier, devant le Conseil national des barreaux, vous avez annoncé que vous présenteriez au Parlement un amendement afin de revenir sur la suppression de la modulation de l’unité de valeur qui sert de base à cette aide. Comment comptez-vous compenser la suppression de cette mesure, inscrite à l’article 69 du PLF, qui aurait rapporté 15 millions d’euros au budget de l’aide juridictionnelle ?
M. le président Gilles Carrez. Madame la garde des Sceaux, je me permets de vous faire part d’un sentiment personnel après que la commission des finances a été amenée à de nombreuses reprises depuis plusieurs années à examiner la question des PPP.
Si ces partenariats paraissent justifiés lorsque le service public donne lieu à un péage par l’utilisateur – comme c’est le cas pour le tunnel sous la Manche ou le viaduc de Millau –, la question est plus délicate lorsque les usagers ne peuvent être redevables d’un paiement et que l’État doit régler un loyer public – comme c’est le cas pour les hôpitaux ou les établissements pénitentiaires.
Sur le strict plan financier, les taux auxquels l’État emprunte aujourd’hui restant inférieurs à ceux consentis au secteur privé, il ne peut y avoir d’avantage à conclure un PPP.
On fait parfois intervenir d’autres types de considérations en affirmant que l’efficacité des partenaires privés serait supérieure pour la conception, la réalisation, voire l’exploitation des projets, mais rien n’a jamais pu me convaincre que ces missions ne pouvaient pas être gérées aussi efficacement au sein des services de l’État.
Mme la garde des Sceaux. Monsieur le président de la commission des finances, je suis heureuse de partager votre analyse sur les partenariats public-privé. La Cour des comptes a évoqué les dangers que fait courir le recours au PPP pour la construction d’équipements publics : il crée un différé de charges très onéreux. Pour un investissement initial de moins de 600 millions d’euros consacré à la construction du futur Palais de justice de Paris aux Batignolles, l’État déboursera au final 2,4 à 2,7 milliards d’euros ! Monsieur Goujon, le maître d’ouvrage a effectivement interrompu les travaux. La société de projet Arelia fait valoir que les banques hésitent à débloquer des financements en raison des incertitudes juridiques liées à la procédure entamée par plusieurs associations d’avocats. L’État ne peut intervenir au risque de voir le marché contesté par les soumissionnaires qui n’ont pas été retenus.
Plusieurs PPP sont déjà en cours au ministère de la justice qui concernent principalement des établissements pénitentiaires. Dix établissements ont fait l’objet de partenariats entre 2004 et 2008 : Lyon, Nancy, Béziers, Roanne, Poitiers, Le Mans, Le Havre, Lille, Nantes et l’établissement sud-francilien. En 2014, le total des loyers les concernant s’élève à 124 millions d’euros. L’année dernière, j’ai interrompu les projets qui pouvaient l’être sans pénaliser ni la capacité d’accueil à terme ni les intérêts de l’État. J’ai maintenu les lots des établissements de Valence et de Riom, ainsi que le projet de Beauvais ; ils étaient trop engagés pour que leur interruption ne coûte pas à l’État – le projet des Batignolles se trouvait d’ailleurs dans le même cas.
M. le président Gilles Carrez. L’exemple des Batignolles montre bien que l’argument selon lequel le PPP serait un gage de simplicité et de rapidité est contestable. Un grain de sable dans la machine – en l’espèce, c’est un contentieux – peut créer des conséquences en chaînes.
Mme la garde des Sceaux. J’en viens aux questions transversales, et d’abord à l’aide juridictionnelle. Je remercie ceux d’entre vous qui ont souligné la suppression du timbre que devaient acquitter les justiciables disposant d’un niveau de ressources inférieur à 924 euros pour bénéficier de cette aide. Incontestablement, il s’agissait d’une entrave à la justice pour des personnes vulnérables. C’est ainsi que, dans certains ressorts, l’année dernière, le recours à la justice a diminué de 10 %, ce qui est considérable s’agissant de contentieux liés à la fragilité économique. Ce timbre, d’un montant de 35 euros, était vraiment une mesure d’injustice sociale que je m’étais engagée à abroger. En raison d’un délai trop contraint pour trouver la ressource qui compenserait les 55 millions d’euros qu’avait rapportés ce timbre, cela n’a pas été possible dans le budget de 2013. Pour 2014, la compensation est assurée par un abondement du budget du ministère de la justice de 60 millions d’euros. C’est un effort du Gouvernement qu’il convient de saluer en ce qu’il réintroduit de la justice sociale et rouvre l’accès gratuit au juge pour les justiciables vulnérables.
Pour ce qui est de la démodulation, elle ne concerne nullement les justiciables. En aucune façon les critères d’accès à l’aide juridictionnelle n’ont été modifiés. La démodulation est une mesure d’harmonisation sur l’ensemble du territoire de l’unité de valeur qui permet de rémunérer les avocats pratiquant l’aide juridictionnelle. Cette unité de valeur était comprise entre 22,50 euros et 25 euros. Pour les uns, l’harmonisation se traduira par une amélioration de leurs revenus ; pour les autres, elle se traduira par une perte. Le Conseil national de l’aide juridique le dit et les avocats eux-mêmes en conviennent, aucun élément économique ne justifie de différencier l’unité de valeur sur le territoire. Le principe de l’harmonisation ne fait donc pas débat, ce qui n’est pas le cas pour le montant de l’unité de valeur. Si nous l’avions fixée à 25 euros, personne n’aurait su que nous avions harmonisé.
L’aide juridictionnelle est une vraie prestation de service public, et les avocats consentent à la pratiquer par engagement. Il convient donc de veiller à ce que leur rémunération soit correcte. Or on sait que l’aide juridictionnelle est fragile, et cela depuis le rapport Bouchet qui date de 2001. Depuis, six rapports ont été publiés, dont, en 2007, celui du sénateur Roland du Luart intitulé L’aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle. Tous ces rapports proposent des pistes de financement de l’aide juridictionnelle, tout à fait pertinentes pour certaines. Pendant huit mois, j’ai mobilisé mon cabinet et l’administration pour essayer de construire un financement solide et pérenne. Nous n’y sommes pas parvenus avant que le budget soit adopté en Conseil des ministres, ce que je regrette profondément. L’aide juridictionnelle est donc financée de la façon qui vous est présentée et que je me suis engagée à modifier au cours de la discussion au Parlement, par voie d’amendement. Cet amendement est rédigé, il devrait être déposé dans les délais prévus avant le débat public. Je ne saurai vous dire quand, car la règle veut que ce soit le ministère du budget qui le fasse. Je peux vous indiquer en substance qu’il prévoit de ne pas appliquer la démodulation en 2014, de récupérer les honoraires d’avocat auprès du succombant, c’est-à-dire la personne qui aura perdu le procès, et de demander au juge que le règlement de l’avocat ne soit pas inférieur à l’aide juridictionnelle. Ainsi, vous pourrez exercer votre mission de contrôle à propos d’un amendement dont on peut considérer, n’étant pas déposé, qu’il n’existe pas encore.
Nous avons repris les discussions sur des points techniques avec le CNB, qui a traversé une période transitoire. J’envisage de confier une mission à une personnalité pour consulter au-delà de la profession. Nous devons vraiment régler de façon stable et pérenne le financement de l’aide juridictionnelle – ce serait l’honneur du Gouvernement d’y parvenir avec l’aide du Parlement. Bien sûr, nous aurions pu procéder indépendamment de la profession, mais ce gouvernement a fait le choix de privilégier la concertation, de construire ensemble, et cela demande du temps. Or nous en avons peu devant nous, car les discussions sur le prochain budget vont commencer dans quatre ou cinq mois.
Autre question transversale, le projet de prévention de la récidive et d’individualisation des peines. Je n’ai cessé de dire, depuis le mois de juin 2012, avant même d’installer la conférence de consensus, qu’il ne s’agit pas d’un texte visant à réduire la surpopulation carcérale. Il a pour objet de prévenir la récidive, de donner un sens à la peine, de rendre efficace la sanction, de permettre la réinsertion. S’il a un effet sur la surpopulation carcérale, tant mieux, car celle-ci est préjudiciable à l’exercice professionnel des personnels pénitentiaires, qui font un travail considérable dans des conditions extrêmement difficiles sur l’ensemble du territoire. Elle est également préjudiciable à la réinsertion des détenus, dont il faut rappeler qu’ils finiront bien, à l’exception des condamnés à la réclusion à perpétuité, par sortir de prison. Dans l’intérêt de la société, mieux vaut que cette sortie se passe dans les meilleures conditions d’insertion.
L’objectif est de réduire les sorties sèches, dont M. Raimbourg a rappelé qu’elles atteignaient 80 %, alors qu’il est établi statistiquement, en France comme dans d’autres pays, qu’elles présentent des risques de récidive. Le Gouvernement se donne les moyens de l’efficacité en prenant dès aujourd’hui des dispositions d’accompagnement de ce projet de loi : création d’un millier de postes sur trois ans pour les services d’insertion et de probation ; réorganisation du ministère public sur la base des préconisations de la commission Nadal dont le rapport me sera remis fin novembre ; renforcement, engagé en 2013, des postes d’application des peines au siège et d’exécution des peines au parquet.
En vertu de la séparation des pouvoirs, il ne m’appartient pas de définir le calendrier d’examen du texte. Le Gouvernement a indiqué très clairement que, s’agissant d’un sujet extrêmement important, il n’envisageait pas de demander la procédure accélérée, non seulement par respect pour le Parlement, mais aussi parce que la navette parlementaire permet vraiment d’enrichir les textes. Il est important que les parlementaires fassent valoir toutes les réflexions qu’ils ont accumulées sur ces sujets depuis plusieurs années, même ceux de l’opposition qui ont signé des rapports de très grande qualité. Il ne faut pas tarder, car la situation actuelle est dangereuse pour la sécurité des Français. Plus nous tarderons à rendre la peine efficace et à faciliter la réinsertion, plus nous aurons à répondre du fait que cette situation aura duré. Pour autant, ce débat ne doit pas avoir lieu dans la précipitation. Je me déplace beaucoup sur le territoire pour expliquer le contenu du projet de loi, éviter les caricatures, les raccourcis et la déformation du texte. Il importe d’inciter la société à s’interroger sur le sens de la peine et l’efficacité de la sanction, et de faire en sorte d’en finir avec les discours sommaires, faciles et absurdes.
Les données statistiques posent en effet un souci, qui nécessite de réorganiser les systèmes permettant de les établir. Nous allons installer un observatoire de la récidive et de la désistance qui aura pour mission de produire des chiffres précis, construits indépendamment de toute tentation d’instrumentalisation. S’il apparaît nécessaire de disposer de chiffres clairs, ceux-ci ne devront pour autant pas être établis de façon photographique, mais plutôt dynamique, c’est-à-dire qu’ils devront permettre de suivre le parcours des personnes sur l’ensemble du territoire. Outre un système d’observation, nous organisons le traitement des données en matière pénale à travers l’interconnexion des données de la justice et celles de la police et de la gendarmerie. Les bases de données de la gendarmerie étant relativement semblables à celles de la justice, l’interconnexion est établie depuis juin 2013. Celles de la police sont très différentes, il faudra donc attendre décembre 2014.
Si nous disons que les sorties sèches aggravent les risques de récidive, la conclusion raisonnable à en tirer, c’est la nécessité de préparer la sortie en organisant un retour progressif à la liberté. Pour plus d’efficacité, nous avons décidé d’un rendez-vous judiciaire aux deux tiers d’exécution de la peine. Ce rendez-vous judiciaire sera préparé en amont par le conseil d’insertion et de probation. Il aura eu lieu devant une commission d’application des peines qui prononcera éventuellement une libération sous contrainte ou un maintien en détention. La contrainte pénale est bien une contrainte ; elle est même beaucoup plus contraignante que certaines mesures d’exécution de peine en milieu ouvert. Ces libérations sous contrainte pourront prendre des formes différentes, comme le bracelet électronique, le placement extérieur ou la semi-liberté. À cet égard, je me suis engagée à ouvrir 800 places supplémentaires au cours du quinquennat, mais il faut savoir que certains centres ne sont pas occupés en totalité pour des raisons territoriales. Nous travaillons sur le maillage du territoire, sur la typologie des bassins.
S’agissant des effectifs, je reviens sur ceux de la justice qui bénéficiera de 555 créations de postes, mais également des redéploiements que permettra d’opérer la poursuite de l’effort d’informatisation, tant sur le système CASSIOPEE que sur le casier judiciaire GENESIS, grâce auquel des postes seront dégagés. Les effectifs de la pénitentiaire feront également l’objet de 432 créations de postes et de redéploiements. Je vous ferai parvenir le détail des chiffres ultérieurement. Je suis en train de faire procéder au contrôle de l’exécution du budget 2013, même si l’année n’est pas terminée, pour dresser l’état des créations de postes. Il faut livrer une telle bataille budgétaire pour les obtenir que je ne suis pas disposée à les laisser non pourvus. Pour l’heure, je sais que le recrutement des magistrats rencontre des difficultés, les postes ouverts ne trouvant pas preneur. Je vous ferai établir un tableau précis et compréhensible de la situation.
L’inspection générale des services judiciaires a établi un rapport très intéressant sur les centres éducatifs fermés (CEF). Je vous le ferai également parvenir. La protection judiciaire de la jeunesse travaille d’arrache-pied sur la base de ce rapport pour améliorer la gouvernance et inscrire les CEF dans le parcours du mineur, c’est-à-dire dans toute la palette des réponses judiciaires à la délinquance des mineurs. Jusqu’à présent, on a plutôt tendance à y envoyer certaines catégories de mineurs sans qu’il y ait forcément correspondance avec la durée de la mesure de justice.
Nous allons traiter la justice commerciale en deux étapes. La première passe par la simplification. Plusieurs mesures tendent à faciliter la prévention dans le cadre des procédures collectives qui pénalisent fortement les entreprises et les emplois. La seconde étape sera la réforme de la justice commerciale, dont le texte sera totalement bouclé pour le mois de janvier 2014. J’ai mis en place des groupes de travail qui ont produit des rapports de qualité, dont celui de Cécile Untermaier et Marcel Bonnot. La matière de la justice commerciale recouvre des sujets quelque peu délicats. Si nous avançons bien avec la profession sur de nombreux points, l’échevinage sonne comme un gros mot pour certains et suscite beaucoup de réticences, même intervenant en appel.
Nous disposons des coûts à la journée pour les PPP, mais nous vous enverrons des chiffres plus fins.
Nous consacrons 1,4 million d’euros à la lutte contre les violences faites aux femmes, dans laquelle le ministère est très engagé en termes de politiques publiques. Combattre le fort taux d’acceptabilité des violences dans la société passe par des campagnes de sensibilisation et d’information. Aussi avons-nous lancé plusieurs actions. D’abord, en chargeant l’École nationale de la magistrature de mettre en place une formation adressée aux magistrats, aux policiers, aux gendarmes et aux personnels des services sociaux, qui aura pour contenu la connaissance de la loi et des procédures, ainsi que la formation à l’accueil et à l’enregistrement des plaintes.
Ensuite, nous avons introduit, dans le texte sur l’égalité des hommes et des femmes porté par la ministre des droits des femmes, des dispositions contre le recours à la composition pénale dans les cas de violence domestique. Ceux-ci requièrent vraiment des sanctions et parfois une prise en charge de l’auteur en termes de soins et de formation. Avec la ministre des droits des femmes, nous avons également lancé une double mission de l’Inspection générale des services judiciaires et de l’Inspection générale de l’administration sur l’ordonnance de protection. Moi-même, j’avais mobilisé le Conseil national de l’aide aux victimes sur cette même question. Les rapports convergent pour augmenter, jusqu’à la doubler, la durée du prononcé de l’ordonnance. Elle pourra donc être de deux fois six mois.
Nous généralisons encore sur l’ensemble du territoire le téléphone de grand danger, après une expérimentation en Seine-Saint-Denis et dans le Bas-Rhin. Une autre expérimentation est en cours sur le très grand danger. Enfin, bien entendu, nous soutenons les associations d’aide aux victimes de violences conjugales.
Sur les 33 millions d’euros affectés au plan de sécurisation des établissements pénitentiaires, 9 ont été consommés au titre de l’exécution du budget de 2013 et 24 le seront au titre du budget de 2014. Ce plan permettra de renforcer les dispositifs de lutte contre les projections, tels que les filets ou les glacis, et de presque doubler le nombre des portiques à masse métallique dans les zones sensibles de tous les établissements, d’équiper vingt maisons centrales et maisons d’arrêt de portiques à ondes millimétriques.
L’exécution du plan est déjà bien engagée : l’échéancier est établi, les commandes sont passées et les établissements commencent à être équipés. Cela va permettre d’améliorer de façon substantielle les conditions de travail des personnels pénitentiaires, en allégeant les contraintes qui pèsent sur eux.
Je vous remercie pour la qualité et la densité de nos échanges, et je remercie également ceux qui ont posé des questions qui n’étaient pas exemptes de mauvaise foi – c’est la loi de l’exercice, et nous serions déconcertés si l’on venait à y manquer –, mais ne se départaient pas d’une certaine élégance.
M. le président Gilles Carrez. Je vous remercie de vos réponses, madame la garde des Sceaux.
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À l’issue de l’audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, la Commission examine, sur le rapport de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis des crédits de la justice administrative et judiciaire, de M. Sébastien Huyghe, rapporteur pour avis des crédits de l’administration pénitentiaire, de M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis des crédits de la protection judiciaire de la jeunesse et de Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis des crédits relatifs à l’accès au droit et à la justice et à l’aide aux victimes, les crédits de la mission « Justice » pour 2014.
Article 69 : Renforcement de l’équité en matière d’aide juridictionnelle
La Commission examine l’amendement n° II-CL2 rectifié de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Comme je l’ai annoncé lors de la commission élargie, nous sommes d’accord avec la suppression du timbre fiscal, mais opposés à la diminution de la valeur de référence du barème de l’aide juridictionnelle, et donc de la rémunération des avocats qui se dévouent pour assurer la tâche importante que représente l’aide juridictionnelle, qui concerne tous les barreaux. Nous avons pris acte de l’engagement de la ministre de la Justice selon lequel le Gouvernement déposerait, en réponse à la préoccupation exprimée par l’ensemble des groupes de la majorité, un amendement revenant sur le système de démodulation proposé ; je suis tenté de faire confiance au Gouvernement et retire donc mon amendement, en attendant l’examen de l’amendement gouvernemental en séance publique.
L’amendement n° II-CL2 rectifié est retiré.
M. Jean-Jacques Urvoas, président. Selon les informations dont on m’a fait part à ce stade, l’amendement en question pourrait être déposé dès demain.
Après l’article 69
L’amendement n° II-CL4 de Mme Nathalie Nieson est retiré.
Conformément aux conclusions de M. Jean-Yves Le Bouillonnec pour la « Justice administrative et judiciaire », de M. Jean-Michel Clément pour la « Protection judiciaire de la jeunesse » et de Mme Nathalie Nieson pour l’« Accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes », mais contrairement à l’avis de M. Sébastien Huyghe pour l’« Administration pénitentiaire », la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2014.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS
• Cabinet de la garde des Sceaux
– Mme Stéphanie KRETOWICK, conseillère pour le droit de la famille, l’aide aux victimes et le droit de l’environnement
– M. Romuald GILET, conseiller pour le budget, l’immobilier et la modernisation
• Contrôle général des lieux de privation de liberté
– M. Jean-Marie DELARUE, Contrôleur général
– Mme Aude MUSCATELLI, secrétaire générale
• Syndicat de la magistrature
– M. Éric BOCCIARELLI, secrétaire général
– M. Xavier GADRAT, secrétaire national
• Syndicat FO Magistrats
– M. Douglas BERTHE, délégué FO Magistrats, vice-procureur au tribunal de grande instance de Lille
• Conseil national des Barreaux
– Me Myriam PICOT, présidente de la commission de l’Accès au droit et à la justice
– Me Philippe CHAUDON, président de la commission Libertés et droits de l’homme
• Institut national d’aide aux victimes et de médiation - INAVEM
– Mme Sabrina BELLUCCI, directrice
– M. Jean-Pascal THOMASSET, directeur de l’association AVEMA de Bourg-en-Bresse
– M. Jérôme BERTIN, coordinateur du réseau associatif
La rapporteure a également reçu une contribution écrite de l’Union syndicale des magistrats - USM
DÉPLACEMENT DE LA RAPPORTEURE POUR AVIS
AU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BOBIGNY
Rencontre avec :
— Mme Sylvie MOISSON, procureur de la République
— M. Jean–Pierre MÉNABÉ, premier vice–président en charge des services pénaux
— M. Mathieu DEBATISSE, secrétaire général du Parquet
— M. Arnaud BORZEIX, secrétaire général de la Présidence
— M. Guillaume LEFEVRE-PONTALIS, substitut du procureur, chef de la permanence générale du Parquet, en charge du traitement en temps réel
— Me Robert FEYLER, bâtonnier du Barreau de Bobigny
— Me Nathalie BARBIER, ancien bâtonnier du Barreau de Bobigny
— M. Jérôme JANNIC, président de l’association SOS victimes 93
À l’audience de la17e chambre correctionnelle :
— Me Myriam WILHEIM-PRUD’HOMME, avocat de la partie civile
— Me Anna SARFATI, avocat du prévenu
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