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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2014.
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2015,
CRÉATION ; TRANSMISSION DES SAVOIRS
ET DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE
Par Mme Annie GENEVARD,
Députée.
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Voir les numéros : 2234, 2260 (annexe n° 9).
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS EN FAVEUR DE LA CRÉATION, DE LA TRANSMISSION DES SAVOIRS ET DE LA DÉMOCRATISATION CULTURELLE 7
A. LE PROGRAMME « CRÉATION » 7
1. L’action 1 : « Soutien à la création, à la production et à la diffusion du spectacle vivant » 8
2. L’action 2 : « Soutien à la création, à la production et à la diffusion des arts plastiques » 10
B. LE PROGRAMME « TRANSMISSION DES SAVOIRS ET DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE » 11
1. L’action 1 : « Soutien aux établissements d’enseignement supérieur et insertion professionnelle » et l’ancienne action 3 : « Soutien aux établissements d’enseignement spécialisé » 12
2. L’action 2 : « Soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle » 15
3. L’action 6 : « Action culturelle internationale » 16
4. L’action 7 : « Fonctions de soutien du ministère » 16
II. POUR UN AMÉNAGEMENT ÉQUILIBRÉ DU TERRITOIRE EN MATIÈRE CULTURELLE : QUELS OUTILS D’OBSERVATION POUR LE MINISTÈRE DE LA CULTURE ? 19
A. UN SUJET DONT LES ENJEUX SONT CONNUS MAIS QUI DEMEURE CEPENDANT ENCORE TROP PEU DOCUMENTÉ 24
1. Le constat de l’existence de failles dans l’aménagement culturel du territoire 24
2. Les enjeux d’une politique de lutte contre la désertification culturelle sont connus 25
3. Le manque global d’outils d’analyse à disposition du ministère de la culture 27
a. Les analyses quantitatives restent concentrées sur les grands pôles urbains et les villes moyennes 28
b. Les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français ne prennent que partiellement en compte les problématiques territoriales étudiées 28
B. QUELLE MÉTHODOLOGIE D’OBSERVATION METTRE EN PLACE POUR PROMOUVOIR DES POLITIQUES PUBLIQUES EN FAVEUR DE LA CULTURE SUR CES TERRITOIRES ? 29
1. Utiliser des ressources existantes 30
2. Remettre le territoire au centre de l’action publique en matière culturelle 33
a. Établir une cartographie des équipements culturels dans chaque région… 33
b. …afin de prendre les mesures adaptées pour combler les failles ainsi identifiées 35
TRAVAUX DE LA COMMISSION 37
ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS 61
Le présent avis a pour objet d’examiner, au sein de la mission « Culture », les deux programmes 131 « Création » et 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », le programme 175 « Patrimoines » faisant l’objet d’un avis distinct confié cette année à Mme Sophie Dessus.
Le programme 131 « Création » est le support des crédits correspondant aux actions d’encouragement à la création et à la diffusion des œuvres, dans le domaine du spectacle vivant comme dans celui des arts plastiques.
Le programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », programme support du ministère de la culture et de la communication, comporte les crédits en faveur de la démocratisation culturelle, qu’il s’agisse des dispositifs d’éducation artistique et culturelle à destination de la jeunesse ou de ceux visant à assurer une égalité d’accès à l’offre culturelle pour tous.
Ces deux programmes, dont les dotations s’élèveront pour 2015 respectivement à 734 millions d’euros et 1,1 milliard d’euros, représentent environ 70 % des crédits de la mission « Culture ».
Dans un contexte budgétaire difficile, le Gouvernement, à la suite du mouvement des intermittents du spectacle qui menaçait la saison estivale des festivals, a annoncé la « sanctuarisation » des crédits dédiés à la culture dans son ensemble. La rapporteure pour avis ne peut que se réjouir d’une telle décision, même si la stabilisation globale des crédits cache des évolutions contrastées selon les programmes, et, notamment, la réduction sensible des crédits de paiement dédiés au soutien à la création, à la production et à la diffusion du spectacle vivant pour 2015 (action 1 du programme 131, cf. infra).
La rapporteure pour avis souhaite surtout replacer ces évolutions sur un temps plus long et rappeler que, depuis 2012, le budget de la mission Culture dans son ensemble s’est réduit de 147 millions d’euros et que la part du budget de la culture (incluant le programme 186 « Recherche culturelle et culture scientifique » de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur) dans le budget général n’a fait que décroître pour ne représenter, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, que 0,87 % du budget de l’État (contre 1,03 % dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012 et 1,08 % dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010) (1).
Après avoir analysé l’évolution des crédits alloués aux deux programmes étudiés (I), la rapporteure pour avis a choisi cette année de concentrer son analyse sur un sujet méconnu et à ses yeux trop peu étudié : les pratiques culturelles dans les villes de moins de 10 000 habitants en zone rurale et les moyens d’observation de ces pratiques dont dispose le ministère de la culture et de la communication au niveau central (II).
Une des grandes missions assignées à la politique culturelle, aux côtés de la préservation des patrimoines et du soutien à la création, réside dans la démocratisation de l’accès à la culture. En la matière, les inégalités sociales sont très souvent soulignées ; c’est aux inégalités territoriales – qui recoupent parfois les précédentes – que veut s’intéresser plus particulièrement la rapporteure pour avis.
En matière d’offre culturelle sur les territoires, il y a eu au cours des dernières décennies un rééquilibrage entre Paris et les grandes agglomérations en régions ; l’offre culturelle dans les villes moyennes (entre 30 000 et 50 000 habitants) s’est sensiblement développée. Mais qu’en est-il dans les villes de moins de 10 000 habitants en zone rurale et périurbaine ? Quels sont les moyens à la disposition de l’État pour observer la situation de ces communes ? Pour connaître les pratiques culturelles qui se développent sur leur territoire, évaluer les politiques qu’il met en œuvre et soutenir les initiatives locales dans les zones les moins dotées ?
Le programme 131 « Création », ainsi qu’il est rappelé dans le projet annuel de performances de la mission Culture pour 2015 (2), comporte pour priorités, outre le soutien à la création, un bon « maillage du territoire par des réseaux de référence (scènes nationales, centres d’art, fonds régionaux d’art contemporain) » facilitant l’accès aux œuvres. Parmi les orientations stratégiques retenues au titre des années 2015-2017 figure « l’amélioration de la qualification des modes d’intervention de l’État dans le champ de la création et la modernisation des outils d’observation ». C’est justement sur la question des outils d’observation du maillage territorial de l’offre culturelle qu’a souhaité se pencher la rapporteure pour avis ; la liste des personnes entendues figure en annexe au présent avis.
*
* *
L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances fixe au 10 octobre la date butoir pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.
À cette date, 58 % des réponses étaient parvenues.
I. L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS EN FAVEUR DE LA CRÉATION, DE LA TRANSMISSION DES SAVOIRS ET DE LA DÉMOCRATISATION CULTURELLE
Le programme « Création » soutient la diversité et le renouvellement de l’offre culturelle en encourageant la création et favorisant la diffusion des œuvres, que ce soit dans le domaine du spectacle vivant ou dans les arts plastiques.
La mise en œuvre de cette politique s’appuie non seulement sur l’administration centrale et déconcentrée du ministère de la culture et de la communication, mais également sur quinze opérateurs de l’État (cf. tableau ci-après) ainsi que sur un réseau dense de structures de création et de diffusion réparties sur l’ensemble du territoire et financées en partenariat avec les collectivités territoriales. Il s’agit notamment de trente-huit centres dramatiques, soixante-dix scènes nationales, dix-neuf centres chorégraphiques, treize théâtres lyriques, plus de mille compagnies et ensembles, vingt-quatre orchestres, soixante-douze scènes de musique actuelle (SMAC), vingt-deux fonds régionaux d’art contemporain ou bien encore quarante-sept centres d’arts.
Pour 2015, le programme « Création » enregistre une réduction de 12 millions d’euros en crédits de paiement (hors fonds de concours et attribution de produit), soit une diminution de 1,7 % sur un an, justifiée, dans les réponses du ministère au questionnaire budgétaire de la rapporteure pour avis, par une « contribution à l’effort gouvernemental de redressement des comptes publics ».
Le tableau ci-dessous retrace l’évolution des crédits du programme « Création » depuis 2012 :
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 131 – CRÉATION
(hors fonds de concours et attribution de produits)
(en millions d’euros)
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement | |||||||||
LFI 2012 |
LFI 2013 |
LFI 2014 |
PLF |
Évolution 2014/ |
LFI |
LFI 2013 |
LFI 2014 |
PLF |
Évolution 2014/ | |
Action 1 – Soutien à la création, à la production et à la diffusion du spectacle vivant |
665,2 |
679,3 |
664,9 |
657,1 |
– 1,2 % |
718,9 |
712,9 |
712,7 |
667,9 |
– 2,3 % |
Action 2 – Soutien à la création, à la production et à la diffusion des arts plastiques |
70,4 |
72,6 |
61,7 |
60,7 |
– 1,6 % |
69,0 |
62,5 |
63,5 |
66,4 |
+ 4,6 % |
Total programme 131 – Création |
735,7 |
751,9 |
726,5 |
717,7 |
– 1,2 % |
787,9 |
775,4 |
747,2 |
734,3 |
– 1,7 % |
Sources : Rapport annuel de performances pour 2013 et projet annuel de performances pour 2015.
L’évolution globale des crédits cache des disparités entre les deux actions du programme, un effort particulier étant, cette année encore, engagé en faveur des arts plastiques : si les crédits de paiement diminuent de 2,3 % pour l’action « Soutien à la création, à la production et à la diffusion du spectacle vivant », ceux inscrits à l’action « Soutien à la création, à la production et à la diffusion des arts plastiques » augmentent en effet de 4,6 %.
L’action 1 voit ses crédits réduits sur un an de 7,8 millions d’euros en autorisations d’engagement (– 1,2 %) et de 15,8 millions d’euros en crédits de paiement (– 2,3 %).
Les dépenses d’intervention, qui représentent 57 % du total des crédits de paiement de l’action 1, enregistrent pour 2015 une réduction de 21,9 millions d’euros. Les crédits d’intervention, pour les trois-quarts gérés à l’échelon déconcentré, sont destinés à soutenir le fonctionnement des structures subventionnées afin de garantir leurs capacités de création, de production et de diffusion, ainsi que le développement des publics et le travail d’éducation artistique. Il ressort des documents budgétaires (3) que la réduction de crédits portera sur la ligne des « transferts aux autres collectivités » qui recouvrent les actions de soutien aux structures à statut associatif.
En réponse à une question de la rapporteure pour avis, la ministre de la culture et de la communication a indiqué, lors de son audition le 30 octobre 2014 en commission élargie à l’ensemble des députés (4) que le « décalage entre AE et CP s’explique par le fait que les travaux liés aux opérations menées à l’Opéra Comique et au Théâtre national de Chaillot ont déjà été engagés et ne requièrent pas l’ouverture de nouvelles autorisations d’engagement en 2015. Ils donneront en revanche lieu à des paiements au cours de cet exercice, qui nécessitent l’ouverture de CP. Pour les dépenses d’intervention, la baisse de 26,4 millions d’euros en crédits de paiement correspond à l’abattement des crédits liés aux dépenses d’investissement de la Philharmonie achevée. La fin des travaux de la Philharmonie, et l’évolution de ceux de l’Opéra Comique et du Théâtre national de Chaillot expliquent en conséquence la réduction apparente des crédits du spectacle vivant ».
Une enveloppe de 9,8 millions d’euros est inscrite en 2015 pour couvrir la part des frais de fonctionnement de la Philharmonie de Paris prise en charge par l’État. À ce sujet, la rapporteure pour avis s’inquiète du respect de l’engagement de la Ville de Paris à un financement paritaire de ces frais qui, s’il n’était pas tenu, mettrait en péril le très beau programme pédagogique qui donne toute son âme au projet en diffusant la musique classique auprès d’un plus large public.
Les dépenses d’investissement sont en nette progression : 8,6 millions d’euros supplémentaires, soit un bond sur un an de 114 %. Ces crédits sont destinés à financer plusieurs programmes de travaux, notamment la poursuite des chantiers prioritaires engagés à l’Opéra-Comique et au Théâtre national de Chaillot et à la mise aux normes indispensable de certains établissements, notamment le Centre national de la danse et l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique-IRCAM.
Les dépenses de fonctionnement, qui constituent 39 % des crédits de paiement de l’action 1, se réduisent de 2,3 millions d’euros. L’effort ne pèse néanmoins pas de manière uniforme sur les subventions pour charges de service public destinées aux établissements publics nationaux de spectacle vivant : la plupart de ces subventions progressent sur un an, hormis celle attribuée à l’Orchestre de Paris qui, quant à elle, se réduit de 12 % comme l’illustre le tableau ci-après.
ÉVOLUTION DES SUBVENTIONS POUR CHARGE DE SERVICE PUBLIC DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS NATIONAUX DE SPECTACLE VIVANT
(autorisations d’engagement et crédits de paiement)
(en millions d’euros)
Opérateur |
PLF 2014 |
PLF 2015 |
Évolution 2014/ |
Comédie Française |
24,6 |
25 |
+ 1,6 % |
Théâtre National de Chaillot |
13,1 |
13,3 |
+ 1,65 % |
Théâtre National de l’Odéon |
11,7 |
11,9 |
+ 1,6 % |
Théâtre National de la Colline |
9,1 |
9,4 |
+ 3,3 % |
Théâtre National de Strasbourg |
9,3 |
9,5 |
+ 1,67 % |
Théâtre National de l’Opéra-Comique |
10,59 |
10,60 |
+ 0,08 % |
Opéra National de Paris (ONP) et École de danse de Nanterre |
98,8 |
97,8 |
– 1,01 % |
Établissement public du parc et de la grande halle de la Villette (EPPGHV) |
20,6 |
21,3 |
+ 3,28 % |
Centre National de la Danse (CND) |
8,7 |
8,9 |
+ 1,74 % |
Cité de la musique |
22,8 |
24,4 |
+ 6,62 % |
Caisse nationale de retraite de l’ONP |
13,6 |
13,8 |
+ 1,38 % |
Caisse nationale de retraite de la Comédie Française |
3,48 |
3,46 |
– 0,55 % |
Orchestre de Paris |
9,1 |
8 |
– 12,1 % |
Centre national des variétés (CNV) |
0,5 |
0,5 |
– |
Ensemble intercontemporain |
3,8 |
3,9 |
+ 1,01 % |
Total |
263,8 |
261,5 |
– 0,87 % |
Sources : Projets annuels de performances de la mission Culture pour 2014 et 2015.
Les crédits de la Cité de la musique enregistrent une progression sensible dans la perspective de l’ouverture prochaine de la Philharmonie de Paris, dont la gestion sera intégrée à celle de la Cité de la Musique.
L’action 2, dont les crédits ne représentent que 8,5 % des crédits du programme, voit ses crédits de paiement progresser de 2,9 millions d’euros sur un an, soit une progression de 4,6 % tandis que les autorisations d’engagement reculent de 1 million d’euros (– 1,6 %).
La progression globale des crédits de paiement s’explique par :
– Une progression de 2,1 millions d’euros des dépenses d’intervention, qui représentent 70 % du total des crédits de paiement de l’action 2 ; les DRAC bénéficieront de moyens d’intervention en fonctionnement légèrement accrus (+ 1,2 %) pour atteindre 18,5 millions d’euros qui seront affectés aux Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) de nouvelle génération afin de leur permettre de poursuivre leurs missions de conservation, de développement des publics et de diffusion « hors les murs » ;
– Une augmentation d’un million d’euros (soit + 53 % sur un an) des dépenses d’investissement - qui ne constituent cependant que 4 % des crédits de paiement de l’action 2 - destinée au financement de la poursuite des travaux de modernisation du Musée de Sèvres et de la rénovation des sites du Mobilier national ;
– Une stabilisation des dépenses de fonctionnement à 14,5 millions d’euros, ces dépenses représentant 22 % du total des crédits inscrits à l’action 2.
Dans le cadre du présent projet de loi de finances, la dotation du fonds de soutien aux galeries d’art, mis en place en 2014, est, compte tenu de son importance pour le secteur, maintenue à hauteur de 800 000 euros. Elle vise à répondre aux spécificités économiques de production et de diffusion des œuvres, à maintenir une diversité de l’offre et à développer le réseau de galeries indépendantes permettant la promotion de la création artistique française, notamment à l’international.
Les crédits des opérateurs des arts plastiques seront en légère baisse en 2015. Ainsi, leurs dotations s’établiront à 13,4 millions d’euros, en baisse de 2,5 %. Ces dotations intègrent la subvention de la Cité de la céramique Sèvres-Limoges et les crédits budgétés au titre de la loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique (dite « loi Sauvadet »).
Le Centre national des arts plastiques (CNAP) disposera en 2015 d’une subvention en fonctionnement renforcée (+ 7 %) ; la subvention destinée à ses acquisitions est maintenue à hauteur de 2 millions d’euros afin de préserver cette mission de l’établissement.
La maquette budgétaire de ce programme est sensiblement modifiée par rapport à l’exercice précédent : d’une part, le dispositif de soutien aux établissements d’enseignement spécialisé, inscrit jusqu’en 2014 dans l’action 3, est intégré dans l’action 1 « Soutien aux établissements d’enseignement supérieur et insertion professionnelle » et l’action 3 n’est par conséquent pas dotée de crédits de paiement ; d’autre part, et surtout, le Centre national du cinéma (CNC) et la Cinémathèque française, opérateurs jusque-là rattachés au présent programme, sont désormais rattachés au programme 334 « Livre et industries culturelles » au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Ce nouveau rattachement est d’autant plus curieux que les crédits du CNC et de la Cinémathèque avaient été, dans le cadre du précédent projet de loi de finances, rattachés au programme 334, en réponse aux critiques exprimées par la Cour des comptes. Ces incessantes évolutions de périmètres nuisent à la lisibilité des crédits alloués aux différents programmes.
Le tableau ci-après retrace l’évolution des crédits du programme « transmission des savoirs et démocratisation de la culture » depuis 2012.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME 224 – TRANSMISSION DES SAVOIRS ET DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE
(hors fonds de concours et attribution de produits)
(en millions d’euros)
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement | |||||||||
LFI 2012 |
LFI 2013 |
LFI 2014 |
PLF |
Évolution 2014/ |
LFI |
LFI 2013 |
LFI 2014 |
PLF |
Évolution 2014/ | |
Action 1 – Soutien aux établissements d’enseignement supérieur et insertion professionnelle |
208,5 |
218,2 |
239,1 |
254,5 |
+ 0,01 % |
226,5 |
232,2 |
248,9 |
265,8 |
+ 0,3 % |
Action 3 – Soutien aux établissements d’enseignement spécialisé (ancien) |
29,2 |
21,9 |
15 |
29,2 |
21,9 |
15 | ||||
Action 2 – Soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle |
30,7 |
83,7 |
85,8 |
81,5 |
– 5 % |
31,9 |
83,7 |
85,8 |
81,5 |
– 5 % |
Action 4 – Actions en faveur de l’accès à la culture (ancien) |
52,2 |
52 |
||||||||
Action 6 – Action culturelle internationale |
9,2 |
6,1 |
6,1 |
6 |
– 2 % |
9,2 |
6,1 |
6,1 |
6 |
– 2 % |
Action 7 – Fonctions de soutien du ministère |
727,6 |
743,8 |
741,7 |
749,6 |
+ 1 % |
730,6 |
741,8 |
740 |
747,9 |
+ 1 % |
Total programme 224 – Transmission des savoirs et démocratisation de la culture |
1 057,5 |
1 073,8 |
1 087,7 |
1 090,9 |
+ 0,3 % |
1 079,5 |
1 085,9 |
1 095,8 |
1 099,9 |
+ 0,4 % |
Sources : Rapport annuel de performances pour 2013 et projet annuel de performances pour 2015.
1. L’action 1 : « Soutien aux établissements d’enseignement supérieur et insertion professionnelle » et l’ancienne action 3 : « Soutien aux établissements d’enseignement spécialisé »
L’enseignement supérieur dans le domaine de la culture compte 101 établissements, répartis sur le territoire et accueillant plus de 35 000 étudiants. Les crédits de paiement à l’action 1, qui assurent le financement de ces établissements, augmentent de prime abord très sensiblement par rapport à l’exercice précédent, mais cette progression est largement due à l’absorption de certains crédits jusque-là inscrits à l’action 3, action qui est supprimée dans le cadre du présent projet de loi de finances. En agrégeant pour 2014 les crédits des anciennes actions 1 et 3, la progression globale n’est que de 0,3 %.
Les crédits de soutien aux établissements d’enseignement supérieur progressent sur un an de 10 millions d’euros, dont 3,5 millions consacrés à une progression des crédits affectés aux bourses sur critères sociaux afin de soutenir un nombre croissant de boursiers.
Les crédits de l’ancienne l’action 3, qui consistaient exclusivement en des dépenses d’intervention déconcentrées, au titre de l’aide apportée par l’État aux 36 conservatoires à rayonnement régional (CRR) et aux 101 conservatoires à rayonnement départemental (CRD), sont réduits de 9,5 millions d’euros ; comme l’indiquent les réponses au questionnaire budgétaire adressé par la rapporteure pour avis, « faute d’accord des collectivités territoriales sur le niveau de financement consenti par l’État, il a été décidé de procéder au redéploiement de ces crédits, qui représentent une part peu importante des crédits de fonctionnement des différents établissements, au bénéfice des bourses allouées aux étudiants des conservatoires en voie de professionnalisation et aux établissements qui portent un projet de pôle régional d’enseignement supérieur ».
Le tableau ci-après présente les subventions (comportant les subventions pour charges de service public et les dotations en fonds propres) versées aux établissements publics d’enseignement supérieur relevant de l’action 1.
SUBVENTIONS AUX ÉTABLISSEMENTS PUBLICS D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR CULTURE INSCRITES DANS LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2015
(en millions d’euros)
Crédits de paiement | |
Écoles nationales supérieures d’architecture |
50,5 |
Institut national du patrimoine |
6,3 |
École du Louvre |
2,1 |
Sous-total architecture et patrimoine |
58,9 |
École nationale supérieure des Beaux-Arts |
7,7 |
École nationale supérieure des arts décoratifs |
11,6 |
École nationale supérieure de création industrielle |
4 |
Écoles d’art en région |
11,5 |
Académie de France à Rome |
5,2 |
Sous-total arts plastiques |
40 |
Conservatoire national supérieur d’art dramatique |
3,7 |
Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris |
25,4 |
Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon |
13,7 |
Centre national des arts du cirque |
3,4 |
Sous-total spectacle vivant |
46,2 |
Mise en œuvre de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, dite « loi Sauvadet » |
2,4 |
Projets de communautés d’universités et d’établissements |
0,8 |
Total |
148,3 |
Source : Rapport annuel de performances de la mission Culture pour 2015.
L’enseignement supérieur Culture poursuit trois priorités : l’achèvement du processus d’intégration au système LMD (licence-master-doctorat) par le soutien à la recherche, l’accroissement du rayonnement au plan européen et international et la consolidation de la dimension professionnelle.
Sur ce dernier point, la rapporteure pour avis s’inquiète de l’évolution de l’indicateur 1.1 du programme 224 qui mesure le taux d’insertion professionnelle des diplômés de l’enseignement supérieur Culture ; ces chiffres ont eu tendance à se dégrader entre 2012 et 2013 dans les domaines de l’architecture et du patrimoine, comme dans le spectacle vivant et le cinéma ; ils demeurent moins satisfaisants dans le domaine des arts plastiques, même s’ils progressent légèrement, comme le rappelle le tableau ci-après.
ÉVOLUTION DU TAUX D’INSERTION PROFESSIONNELLE DES DIPLÔMÉS DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR CULTURE (INDICATEUR 1.1 DU PROGRAMME 224)
2012 |
2013 | |
Architecture et patrimoine |
82,17 % |
81,44 % |
Arts plastiques |
67,66 % |
68,03 % |
Spectacle vivant et cinéma |
91,31 % |
90,31 % |
Établissements d’enseignement supérieur culture |
81,44 % |
80,33 % |
Source : Projet annuel de performances de la mission Culture pour 2015.
Ces chiffres, issus d’enquêtes menées annuellement auprès des jeunes diplômés, illustrent les effets de la conjoncture économique sur l’insertion de ces jeunes, qui, d’après ces mêmes enquêtes, étaient en 2013 en recherche d’emplois pour 12,9 % entre eux pour les diplômés en architecture et pour 19,2 % dans le secteur des arts plastiques.
Les crédits dévolus à l’action 2 passent, en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement, de 85,8 à 81,5 millions d’euros dans le cadre du présent projet de loi de finances, accusant ainsi une réduction de 5 % qui demeure difficilement compréhensible pour votre rapporteure pour avis au regard de la priorité donnée par le ministère à l’éducation artistique et culturelle (EAC).
La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de juillet 2013 (5) a fait de l’EAC une composante fondamentale de la formation de tous les élèves. Elle instaure en outre un parcours d’EAC pour tous, qui doit se développer sur l’ensemble des temps de vie.
Dans le projet annuel de performances de la mission Culture pour 2015, il est dit que « le projet du ministère vise non seulement à conforter l’ambition d’une EAC repensée en tant que levier structurant de développement culturel mais aussi à renforcer le partenariat avec les collectivités territoriales » (6). Est-ce à dire qu’il reviendra aux collectivités territoriales de contribuer davantage pour compenser la réduction des crédits alloués par l’État ?
La rapporteure pour avis note en outre que les résultats de la politique d’EAC tardent à produire leurs effets. Ainsi, l’indicateur 2.1 du programme 224, qui mesure la part des enfants et adolescents ayant bénéficié d’une action d’EAC dans une année – ambition qui semble quand même bien modeste – progresse très lentement : cette part était de 27,77 % en 2012 et 28,82 % en 2013. Les prévisions sont de 29 % en 2014 et 30 % en 2015. Il faut dire que l’indicateur ne comptabilise que les actions menées par ou avec des structures subventionnées par le ministère, telles notamment les classes à option, les actions inscrites dans les conventions avec les collectivités territoriales, les actions d’éducation à l’image, les résidences d’artistes et jumelages.
En réponse à une question de la rapporteure pour avis, la ministre de la culture et de la communication a indiqué, lors de son audition le 30 octobre 2014 en commission élargie à l’ensemble des députés (7) que « le recul de 5 % des crédits de l’action « Soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle » entre la loi de finances initiale pour 2014 et le PLF 2015 résulte de l’imputation de la réserve parlementaire. Une fois les crédits 2014 retraités de la réserve, l’on constate une augmentation de 3,5 % des crédits de cette action. La part de la réserve imputée représente 6,9 millions d’euros en 2013 ». La ministre a indiqué que « L’EAC est une priorité forte de ce budget ; elle le restera dans les prochaines années grâce à la mise en œuvre du plan en faveur de l’éducation artistique et culturelle, doté de 7,5 millions d’euros en 2014, et de 10 millions d’euros en 2015 – sur un total de crédits directs réservés à l’EAC de 41 millions, hors moyens mis en œuvre par les opérateurs ».
Pour 2015, les crédits dédiés à l’action culturelle internationale se caractérisent par un recul de 2 % en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement.
Plus de la moitié des 6 millions d’euros de crédits alloués à cette action, soit 3,8 millions d’euros, financent des actions en faveur de la diffusion des cultures étrangères en France et de l’accueil des professionnels et des artistes étrangers en France. 440 000 euros sont consacrés à la promotion de la création et des industries culturelles françaises à l’étranger dans le domaine du livre, de la musique et de l’architecture. Le reste des crédits finance la coopération technique et les échanges entre institutions culturelles.
Cette action comprend l’ensemble des moyens financiers consacrés aux fonctions de soutien (ressources humaines, systèmes d’informations, logistique…) de l’administration centrale et des services déconcentrés. Elle regroupe également, depuis le projet de loi de finances pour 2011, la masse salariale en titre 2 de l’ensemble du ministère.
Ces crédits s’élèvent pour 2015 à 747 millions d’euros, en hausse de 1 % par rapport à l’exercice précédent.
Hors titre 2, les crédits de l’action 7 sont en progression de 3,81 % en autorisations d’engagement, et 3,95 % en crédits de paiement, ces augmentations assurant le financement de l’augmentation des crédits d’investissement des services déconcentrés ainsi que de la subvention pour charges de service public de l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC).
Les crédits inscrits en titre 2 s’élèvent à 662,1 millions d’euros en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement. Le plafond d’emplois demandé pour 2015 (10 961 ETPT) est en progression de 29 ETPT. Cette augmentation résulte des opérations suivantes :
– l’extension en année pleine du schéma d’emplois 2014, à hauteur de + 23 ETPT ;
– les suppressions au titre du schéma d’emplois 2015, à hauteur de – 73 ETPT ;
– des transferts pour un solde de + 79 ETPT.
Le tableau ci-après rappelle les indications données par le projet annuel de performances de la mission Culture pour 2015 s’agissant de la répartition des emplois et de la masse salariale en fonction des programmes auxquels ils contribuent :
RÉPARTITION INDICATIVE DES EMPLOIS ET DE LA MASSE SALARIALE
PAR PROGRAMME
Emplois |
Crédits | |
Programme 175 – Patrimoines |
6 191 |
374 |
Programme 131 – Création |
1 083 |
65,4 |
Programme 224 – Transmission des savoirs et démocratisation de la culture |
2 916 |
176,1 |
Programme 186 – Recherche culturelle et culture scientifique |
197 |
11,8 |
Programme 180 – Presse |
47 |
2,8 |
Programme 313 – Contribution à l’audiovisuel et à la diversité radiophonique |
31 |
1,9 |
Programme 334 – Livre et industries culturelles |
496 |
30 |
Total |
10 961 |
662,1 |
II. POUR UN AMÉNAGEMENT ÉQUILIBRÉ DU TERRITOIRE EN MATIÈRE CULTURELLE : QUELS OUTILS D’OBSERVATION POUR LE MINISTÈRE DE LA CULTURE ?
La rapporteure pour avis a souhaité aborder un sujet très peu étudié, celui des pratiques culturelles dans les petites villes en zone rurale ou périurbaine et des outils d’observation dont dispose le ministère de la culture pour mesurer, dans ces territoires, les effets des politiques publiques, notamment pour celles qu’il engage.
Ce choix a été dicté par un triple constat :
1. L’accès de tous à la culture est une priorité politique. La « démocratisation culturelle et l’irrigation culturelle des territoires » (8), la prise en compte de « l’ensemble des populations, notamment les plus éloignées de la culture pour des raisons sociales ou géographiques » (9) figurent au nombre des priorités que s’assigne le ministère de la culture, ce dont la rapporteure pour avis ne peut que se réjouir. Elle note également que, dans sa directive nationale d’orientation 2013-2015 du 26 septembre 2012, la ministre de la Culture et de la Communication de l’époque invitait les différentes directions régionales des affaires culturelles (DRAC) à « définir une stratégie pour l’égalité des territoires ».
2. Toute politique publique visant à réduire les inégalités des territoires devrait se fonder sur une observation des pratiques et sur leur analyse, ce qui suppose l’existence d’outils de pilotage : il est nécessaire de dresser un état des lieux et de mesurer des évolutions pour analyser l’efficacité d’une action sur les territoires. Or, il apparaît que le champ d’observation des petites villes demeure un angle mort des indicateurs à la disposition du ministère de la culture.
3. Et pourtant, les petites communes ne ménagent pas leurs efforts en cette matière : nombre de bourgs-centres sont dotés de médiathèques, de salles de cinéma, parfois d’un théâtre, organisent des festivals ou des saisons culturelles, accueillent des artistes en résidence… On pourrait multiplier à l’envi les exemples d’initiatives locales. L’itinérance des bibliobus, des cinémas ou des troupes de spectacle constitue une réponse adaptée aux territoires éloignés ou enclavés. La progression de l’intercommunalité, la structuration de divers territoires de projets que sont les pays, les parcs naturels régionaux ou les pôles d’excellence rurale sont autant de supports pour ce type d’initiatives. Et pourtant, le ministère de la culture demeure dans une assez grande méconnaissance de la cartographie de ces pratiques, faute d’un outil d’observation et d’analyse adapté.
Comment lutter contre les fractures territoriales, éviter la désertification de certains territoires en offre culturelle si on ne dispose pas de la cartographie des équipements et des pratiques culturelles sur un territoire ?
Rappelons que les communes de moins de 10 000 habitants ne représentent pas moins de 97 % des communes de France et la moitié de la population française (cf. tableau ci-après) ; on mesure donc pleinement l’enjeu qu’il y a pour le ministère à se doter d’outils d’étude adaptés.
LES COMMUNES PAR TAILLE DE POPULATION AU 1ER JANVIER 2006
Taille |
Nombre de communes |
Population municipale | ||||
Effectif |
Cumul |
Pourcentage cumulé |
Effectif |
Cumul |
Pourcentage cumulé | |
moins de 50 |
955 |
955 |
2,6 % |
32 814 |
32 814 |
0,1 % |
de 50 à 99 |
2 774 |
3 729 |
10,2 % |
210 986 |
243 800 |
0,4 % |
de 100 à 199 |
6 158 |
9 887 |
27,0 % |
909 345 |
1 153 145 |
1,8 % |
de 200 à 399 |
8 117 |
18 004 |
49,1 % |
2 337 280 |
3 490 425 |
5,5 % |
de 400 à 999 |
9 392 |
27 396 |
74,7 % |
5 977 017 |
9 467 442 |
15,0 % |
de 1 000 à 1 999 |
4 366 |
31 762 |
86,6 % |
6 086 297 |
15 553 739 |
24,6% |
de 2 000 à 3 499 |
2 092 |
33 854 |
92,3 % |
5 486 368 |
21 040 107 |
33,3% |
de 3 500 à 4 999 |
859 |
34 713 |
94,6 % |
3 574 675 |
24 614 782 |
38,9 % |
de 5 000 à 9 999 |
1 047 |
35 760 |
97,5 % |
7 213 026 |
31 827 808 |
50,3 % |
de 10 000 à 19 999 |
484 |
36 244 |
98,8 % |
6 765 893 |
38 593 701 |
61,0 % |
de 20 000 à 49 999 |
319 |
36 563 |
99,7 % |
9 677 533 |
48 271 234 |
76,3 % |
de 50 000 à 99 999 |
83 |
36 646 |
99,9 % |
5 422 498 |
53 693 732 |
84,9 % |
de 100 000 à 199 999 |
28 |
36 674 |
100,0 % |
3 788 993 |
57 482 725 |
90,9 % |
200 000 et plus |
11 |
36 685 |
100,0 % |
5 752 843 |
63 235 568 |
100,0 % |
Source : Insee, recensement de la population 2006.
Notre assemblée s’est déjà - du moins partiellement - saisie de ce sujet dès 2006, lorsqu’un rapport d’information a été confié à M. Jean Launay et Mme Henriette Martinez, au nom de la Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire, sur « l’action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires » (10). Si ce rapport ne se limitait pas à l’analyse des petites communes, il n’en déplorait pas moins le manque d’instruments de mesure de l’action culturelle qui se déploie sur leur territoire. Partant du constat qu’il existe des fractures territoriales majeures en matière culturelle, les rapporteurs avaient alors souligné l’obstacle majeur à l’analyse de ces phénomènes que constitue le manque d’outils d’observation et de mesure des effets de l’offre culturelle d’un territoire sur son potentiel de développement.
La rapporteure pour avis souhaite pousser plus loin l’analyse et, après avoir dressé le constat (A), s’essayer à des propositions de méthodes qui permettraient au ministère de la culture et à ses services déconcentrés de disposer de véritables outils de pilotage d’une politique de démocratisation culturelle sur tous les territoires (B).
*
Dès avant de commencer son étude, la rapporteure pour avis a souhaité interroger quelques communes du département du Doubs dont la population est inférieure à 10 000 habitants, afin de connaître les équipements culturels dont elles disposent, les actions culturelles menées sur leur territoire, les modalités de financement de ces actions, ainsi que le jugement qu’elles portent sur la connaissance dont peuvent disposer les services déconcentrés du ministère de la culture et de la communication de leurs actions culturelles.
Les résultats de cette consultation sont présentés dans l’encadré ci-dessous :
L’exemple de trois communes du Doubs
Baume-les-Dames
La commune de Baume-les-Dames, dont la population s’élevait en 2011 à 5 290 habitants, dispose d’une médiathèque, d’un cinéma, ainsi que d’une salle polyvalente utilisée pour les spectacles.
La saison culturelle municipale se déroule de septembre à juin ; des tarifs très avantageux sont proposés et permettent un large accès du public (5 euros pour les adultes, gratuité pour les moins de 18 ans). Des séances scolaires sont organisées pour les spectacles dans le cadre de la saison culturelle municipale : en 2014, un spectacle musical réalisé en collaboration avec les Jeunesses Musicales de France fait partie intégrante de la saison.
La médiathèque accueille également les élèves des établissements scolaires et leur propose des activités dédiées : les agents de la médiathèque interviennent tout particulièrement pendant les heures de « temps d’activités périscolaires ».
Le budget accordé aux pratiques culturelles est connu : environ 90 000 euros pour les spectacles de la saison culturelle et les animations estivales, 11 600 euros pour l’achat de livres/CD/DVD pour la médiathèque, 38 500 euros en participation au fonctionnement de l’école de musique, environ 25 000 euros en subventions aux associations culturelles (hors école de musique). Concernant le personnel, on dénombre 1 ETP au service culturel, et 3 ETP (4 agents) à la médiathèque.
Ces sommes sont comprises dans le budget octroyé en début d’année à la culture. L’intercommunalité (Communauté de communes du Pays Baumois) met à disposition la salle polyvalente, qui sert pour les spectacles dans la limite de 12 spectacles par an. Le Département aide la Commune dans le cadre de la saison culturelle départementale (avec quatre spectacles par an pour la ville de Baume-les-Dames) en finançant la moitié des spectacles proposés sur son catalogue. Il existe également une aide financière départementale pour la médiathèque de la commune, répartie pour des interventions extérieures, des spectacles, du conseil ; en échange, la médiathèque de Baume-les-Dames se fait le relais de la médiathèque départementale au niveau des prêts pour les bibliothèques de la communauté de communes. De plus, la région et le département fournissent des subventions ponctuelles lorsque la ville organise des festivals, comme le « Swimming-Poule Festival » jusqu’en 2013.
Baume-les-Dames sollicite très peu la DRAC pour des aides sur les actions culturelles, hormis l’achat de livres. La ville pense donc que la DRAC n’a probablement pas connaissance des actions mises en place au niveau communal, mais qu’un soutien juridique et logistique de sa part serait intéressant.
Seloncourt
La commune de Seloncourt, dont la population s’élevait en 2011 à 5 924 habitants, dispose d’un centre culturel – regroupant une médiathèque, une salle de spectacles et une salle de conte –, une salle polyvalente pour les manifestations importantes, ainsi qu’une scène mobile pour les spectacles joués en extérieur, avec le matériel technique de sons et lumières accompagnant.
Trois grandes manifestations ont lieu à Seloncourt : le 72, festival de musique classique ; les Trois temps du Swing, festival de jazz ; ainsi qu’un salon d’art contemporain. Il faut ajouter quelques événements ponctuels, comme des représentations théâtrales, des expositions, des concerts ainsi que des manifestations comme la Fête de la musique. Actuellement, la ville a de nombreux projets en cours en matière culturelle : l’agrandissement de la médiathèque, la création d’un festival de cinéma indépendant, ou encore l’organisation d’un week-end rencontres et initiation pour les jeunes avec des groupes de musiciens confirmés.
Le secteur de la lecture publique est particulièrement actif, avec 1 600 personnes par an et 50 000 documents empruntés à la médiathèque. Il existe plus de 300 actions menées chaque année autour du livre qui mériteraient d’être détaillées, tels des spectacles de conte, des rencontres avec des auteurs, des ateliers, des projections de documentaires, des expositions… Un important travail est réalisé en partenariat avec les écoles : près de dix classes viennent chaque semaine emprunter des livres et écouter une histoire contée par les bibliothécaires.
Le financement de ces actions est assuré par la ville de Seloncourt. Toutes les activités culturelles sont gratuites : il n’y a donc aucune recette. Dans le cadre du salon d’art contemporain, la ville bénéficie de trois subventions annuelles : 1 620 euros par la communauté de communes, 1 800 euros par le Conseil général, et 2 500 euros par la région. Concernant la médiathèque, celle-ci fonctionne avec un budget de 23 000 euros annuels pour les frais de fonctionnement du bâtiment, 175 000 euros pour les charges de personnels, 85 000 euros pour les achats, dont 34 000 euros pour la médiathèque et 51 000 euros pour l’événementiel : soit un total de 283 000 euros, pour un budget de fonctionnement communal de 5,5 millions d’euros.
La ville de Seloncourt estime que le ministère de la culture n’a pas une bonne connaissance des actions qu’elle mène. La ville n’informe pas le ministère de ses actions qui ne la sollicite pas non plus. Aucun soutien financier, logistique, juridique… n’est apporté par le ministère à la commune, qui souhaiterait pourtant recevoir davantage de subventions. Seloncourt estime également qu’il serait intéressant d’initier, à l’échelle de la région ou du département, des actions mutualisées, pour des actions qu’une commune de 6 000 habitants ne peut se permettre d’assumer seule : par exemple, des expositions itinérantes permettraient au public local de découvrir des collections qui existent ailleurs, et qui sont souvent stockées pendant plusieurs années dans des réserves, mais que la ville de Seloncourt ne pourrait se permettre financièrement d’acquérir.
Morteau
La ville de Morteau, dont la population s’élevait en 2011 à 6 758 habitants, dispose de quatre bâtiments à vocation culturelle. Ainsi la Maison Klein abrite une médiathèque, des salles associatives ainsi qu’un auditorium. Le théâtre municipal, d’une capacité d’accueil de 348 personnes, accueille des représentations de théâtre, de danse, de musique, soit près de 20 000 entrées par an… mais également des conférences et fait office de salle de cinéma associative : l’Atalante, cinéma classé Art et Essai, qui est géré par la Maison des jeunes et de la culture, et dont la numérisation a été financée en 2012 par la ville de Morteau, avec l’aide du CNC. On trouve aussi le château Pertusier, propriété de la Ville, où est logé à titre gratuit le Musée de l’Horlogerie. Enfin, la Salle du Temps présent est une salle d’exposition, attenante au château, et accueille chaque année de nombreuses expositions d’art contemporain.
Six personnels communaux sont affectés à la culture et à la communication, dont 4 agents dédiés à la médiathèque. Récemment rénovée, la médiathèque accueille plus de 2 000 lecteurs et réalise plus de 40 000 prêts par an. Elle organise chaque année depuis 20 ans une fête du livre de jeunesse avec accueil d’auteurs et d’illustrateurs. De plus, 17 associations subventionnées (près de 60 000 euros de subventions pour 2014) permettent de réaliser des actions à caractère culturel. Depuis 17 ans, un partenariat culturel est proposé en temps scolaire et périscolaire dans les disciplines suivantes : théâtre, cinéma, arts plastiques, musique, culture scientifique.
Morteau consacre ainsi à la culture 9 % de son budget global et la part des usagers représente 13,4 % des dépenses culturelles. L’action culturelle représente chaque année un peu plus de 20 % des dépenses d’intervention de la ville : en 2013, ces crédits ont atteint 22 % des dépenses, soit 453 320 euros de dépenses de fonctionnement, qui constituent le troisième poste de dépenses d’intervention après les affaires scolaires et les affaires sociales. Durant le dernier mandat, la culture a également représenté une part importante de l’investissement, avec 1,96 million d’euros investis sur la période 2008-2013, soit 15 % des dépenses d’équipement de la commune pendant cette période.
Outre ces dépenses communales, les actions culturelles sont également financées par des subventions de l’État pour des projets spécifiques, notamment dans le cadre du Contrat territorial Culture (environ 15 000 euros), mais aussi par des subventions de la région et du département. L’intercommunalité apporte un soutien financier non négligeable. Enfin, une partie du financement se fait par les fonds propres et par une participation raisonnable des spectateurs et usagers.
La commune de Morteau considère que le ministère de la culture, parce qu’elle l’a souvent sollicité, a une bonne connaissance de l’offre culturelle sur son territoire. La DRAC apporte un soutien financier, mais surtout aussi technique et logistique, à la réalisation des actions culturelles au sein de la commune.
*
Ces trois villes, respectivement 9e, 8e et 7e villes du département du Doubs en nombre d’habitants, deux en zone rurale, une en agglomération, montrent l’effort consenti par des collectivités locales en matière de culture, à la fois en équipements et en fonctionnement, ainsi que par la professionnalisation des équipes municipales, phénomène relativement nouveau dans les petites collectivités.
Ils démontrent également le rôle culturel que peuvent jouer de petits bourgs-centres ruraux (moins de 10 000 habitants), dynamiques et équipés, à l’échelle de l’intercommunalité, que cette dernière ait la compétence culture ou non.
On notera au passage l’importance que peut avoir l’implication culturelle du Département dans le soutien à l’itinérance de spectacles vivants. Qu’en sera-t-il demain si les conseils départementaux ne disposent plus de cette compétence ou n’ont plus les moyens de l’assumer ?
Les villes elles-mêmes, dont les prévisions budgétaires pour 2015 ont fait l’objet d’une enquête conduite auprès de 200 communes par l’Association des Petites villes de France (APVF), envisagent, pour 95 % des villes de 3 000 à 20 000 habitants interrogées, de dépenser moins en faveur du poste culture.
Loin de réduire l’inégalité territoriale en matière culturelle, ces perspectives pourraient l’amplifier.
En 2010, l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) a été chargée d’un rapport consacré aux « failles de l’aménagement culturel du territoire » (11). Déplorant l’absence de cartographique disponible, les inspecteurs de l’IGAC ont tenté d’analyser les facteurs expliquant l’existence de ces failles territoriales qui affectent, notamment, les zones rurales isolées ou touchées par l’exode lié à l’absence ou à la disparition des activités économiques.
Dans ce rapport, les régions métropolitaines ont été classées en trois grands groupes, selon le niveau de failles territoriales constatées dans le domaine culturel :
– le groupe des régions marquées par des « failles territoriales majeures » comprend la Bretagne, la Champagne-Ardenne, le Languedoc-Roussillon, la Lorraine et la Picardie ;
– celui marqué par des « failles territoriales importantes » regroupe l’Auvergne, la Basse-Normandie, la Bourgogne, le Centre, le Poitou-Charentes, le Limousin, le Nord-Pas-de-Calais et la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ;
– enfin, l’ensemble des régions marquées par des « failles territoriales d’importance relative » est composé de l’Alsace, l’Aquitaine, la Franche-Comté, l’Ile-de-France, Midi-Pyrénées, les Pays-de-la-Loire et la région Rhône-Alpes.
Les inspecteurs de l’IGAC ont relevé que les inégalités d’accès à la culture sont dues, le plus souvent, à des carences locales plus générales en matière d’aménagement du territoire. Il s’ensuit une superposition de handicaps, parfois paradoxaux, tels que la proximité de régions très riches offrant une importante offre culturelle, qui constitue un obstacle « inhibant » pour les régions avoisinantes, et non un phénomène d’émulation - c’est notamment le cas de la Picardie avec l’Île-de-France ; à cela s’ajoutent les faiblesses démographiques dans certaines communes, qui rendent rédhibitoires les coûts de création et de fonctionnement d’équipements, le manque d’infrastructures routières ou ferroviaires desservant une zone (a contrario la présence proche d’une ligne à grande vitesse accentue la concentration des équipements dans les zones urbaines desservies par la ligne) et la concentration excessive d’équipements en zone urbaine.
Un autre facteur est peut-être aussi à trouver dans l’orientation très forte des financements publics vers les grandes métropoles. L’IGAC a remis en juin 2014 à la ministre de la Culture et de la Communication, un rapport sur l’analyse des interventions financières et des politiques culturelles en région (12) qui présente une très intéressante répartition des dépenses d’intervention du ministère de la culture (dépenses centrales et déconcentrées) selon les régions. Il ressort de cette étude que, sur les 3,3 milliards d’euros consacrés en 2013 par le ministère aux régions, 2,2 milliards (soit 66 %) sont allés à la région Île-de-France. Cette région concentre 13 % des crédits déconcentrés mais 77 % des crédits centraux du ministère. Une telle situation s’explique largement par l’implantation majoritairement parisienne des établissements publics nationaux, qui a pour effet de surreprésenter le montant des dépenses culturelles du ministère sur cette région, alors même que ces dépenses « ont vocation à couvrir l’intégralité du territoire national ou toucher un public non francilien » écrivent les auteurs du rapport. Encore faudrait-il disposer des éléments d’analyse de la fréquentation de ces équipements par des non-franciliens pour se persuader de la pertinence de ce déséquilibre des financements…
La rapporteure note en outre que cette concentration des crédits s’observe également au niveau territorial. Ainsi, dans le département de la Loire, 5,7 millions d’euros – sur un total de 6,4 millions d’euros - sont dépensés sur Saint-Étienne Métropole. Ne restent que 700 000 euros pour le reste du département, monuments historiques compris…
Lutter contre la désertification culturelle de certains de nos territoires apparaît comme un impératif, au nom de l’équité territoriale, de l’égal accès de nos concitoyens à la culture et de la préservation du lien social (a). C’est aussi un facteur de développement économique non négligeable (b).
La lutte contre la désertification culturelle d’une partie de notre territoire est avant tout question d’équité entre nos concitoyens pour l’accès à la culture, c’est un problème politique et une exigence morale.
Les récents travaux du géographe et chercheur Christophe Guilluy ont souligné la persistance dans notre pays de fractures territoriales pesant sur le modèle républicain et fait le constat d’un phénomène de relégation d’une France « périphérique » des petites villes et des territoires éloignés des métropoles régionales (13). Deux France s’éloignent irrémédiablement : celle des 40 % de la population qui vit dans une métropole reliée à la mondialisation et qui bénéficie de très nombreux équipements, notamment culturels, et celle des 60 % de la population éloignée de la sphère d’influence de ces métropoles, cette France périphérique qui se sent reléguée et ressent la mondialisation comme une menace.
Ces études montrent également que le dynamisme démographique rural est essentiellement le fait de néoruraux pauvres. La classe moyenne se désintègre sous le coup des plans sociaux qui touchent tout particulièrement les sites industriels éloignés des grands centres urbains.
Enjeu de cohésion sociale, la lutte contre la désertification, notamment culturelle, de nos territoires est également facteur de développement économique comme l’a montré un autre rapport d’inspection publié en 2013.
L’impact économique des implantations culturelles dans les petits bassins de vie a été souligné par le rapport établi conjointement par l’inspection générale des finances et l’inspection générale des affaires culturelles sur l’apport de la culture à l’économie en décembre 2013 (14). Ce rapport, qui concluait que la culture contribue pour 3,2 % à la richesse nationale d’un point de vue global, analysait également le différentiel d’impact de l’intervention publique selon les secteurs et surtout établissait une corrélation positive entre les initiatives culturelles et le développement local, tout en soulignant le manque structurel d’outils méthodologiques : « les études réalisées en France dans les dernières dizaines d’années sur l’impact local de manifestations culturelles sont disparates en termes de méthodes, de résultats et de pertinence » déploraient les inspections.
Les inspections ont pour ce rapport élaboré une méthodologie s’appuyant sur de récents travaux de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) cherchant à dégager l’existence d’une corrélation entre une implantation culturelle structurelle (équipement fixe, festival reconduit sur la durée) et le développement à long terme d’un territoire. Pour ce faire, elles ont identifié quarante-trois « bassins de vie » ayant bénéficié d’implantations culturelles significatives entre 1996 et 2008, puis pour chacun d’entre eux les cinq bassins de vie « témoins » les plus proches sur les plans démographiques, géographiques et économiques, mais n’ayant pas bénéficié d’implantation culturelle notable sur cette même période. Les conclusions de l’étude montrent un impact positif pour les territoires ayant bénéficié d’implantations culturelles, impact d’autant plus déterminant que l’implantation concerne un bassin de vie faiblement peuplé (cf. extrait du rapport dans l’encadré ci-après).
Extrait du rapport sur L’apport de la culture à l’économie,
établi conjointement par l’Inspection générale des finances
et l’Inspection générale des affaires culturelles, décembre 2013 (page 85)
« L’analyse des bassins de vie culturels les plus performants par rapport à leurs témoins met en évidence que la présence d’une implantation culturelle est d’autant plus importante que le bassin de vie est de taille modeste (« petit » bassin). (…)
« De plus, les territoires les plus performants ont pour 60 % d’entre eux moins de 30 000 habitants (40 % entre 15 000 et 30 000 et 20 % en dessous de 15 000). La part des bassins de vie de 15 000 à 30 000 habitants est équivalente entre les bassins les plus performants et le contingent initial (40 %). À l’inverse, 37 % des bassins de vie culturels traités comptent moins de 15 000 habitants.
« La présence d’une implantation culturelle serait d’autant plus déterminante en termes de dynamisme territorial que le territoire d’implantation serait moins peuplé ».
En créant du lien social, les activités culturelles en zone rurale se révèlent indispensables pour faire vivre les petites communes, mais également pour les intégrer au réseau des bourgs-centres avoisinants : en effet, la qualité de l’offre culturelle d’une région incite les populations à se déplacer d’un territoire à l’autre, ce qui développe le maillage de la vie locale, par exemple lorsqu’un festival est organisé.
C’est dans cette perspective qu’il est nécessaire de disposer d’outils d’observation, pour permettre d’amplifier ce facteur de richesse, d’attractivité et de consolidation d’identité pour le territoire local.
Pour pouvoir pleinement évaluer les effets des politiques publiques engagées en matière d’équité territoriale devant la culture, le ministère devrait pouvoir disposer d’éléments statistiques et cartographiques relatifs non seulement à l’offre culturelle déployée sur les territoires (nombre et implantation des salles de spectacles, des salles de cinéma, des médiathèques…) mais aussi à la fréquentation de ces lieux (nombre de visiteurs-spectateurs mais aussi origine géographique de ces derniers, afin de mesurer le rayonnement des différents équipements).
Il ressort cependant des auditions menées par la rapporteure pour avis que ces données ne sont que très imparfaitement connues du ministère. Tout au plus le sujet est-il approché de différentes manières par des études menées sous des perspectives diverses : s’agissant de l’offre culturelle, la structure du financement des actions culturelles est étudiée, mais elle laisse très largement de côté l’analyse des petites communes (a) ; s’agissant des pratiques, les zones rurales sont incluses dans les enquêtes décennales du département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture sur les pratiques culturelles des Français, mais la catégorie « communes de moins de 10 000 habitants » n’est pas connue (b) ; si une intéressante approche interministérielle a été lancée sur ces questions, elle demande encore à être confortée et étendue à l’ensemble des DRAC (c).
a. Les analyses quantitatives restent concentrées sur les grands pôles urbains et les villes moyennes
Une des méthodes d’analyse consiste à se pencher sur la question des financements de la culture sur les territoires. La culture étant un champ partagé de l’action publique, la répartition des financements entre les niveaux de collectivités est un outil d’étude pertinent.
En mars 2014 une grande étude sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2010 a été publiée par le DEPS, en association avec le Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales (15). Cette étude, fruit d’une enquête statistique nationale, a conclu que les dépenses culturelles de ces collectivités se sont élevées à 7,6 milliards d’euros en 2010. Elle a mis en avant l’importance croissante des intercommunalités en matière culturelle, essentiellement les communautés d’agglomération et les communautés de communes.
Cette étude, fort intéressante au demeurant, a toutefois limité son champ d’investigation aux régions, aux départements et aux seules communes de plus de 10 000 habitants et leurs groupements. Là encore, le cas des communes de moins de 10 000 habitants n’a pas été exploré.
L’étude a mis en avant une relative stabilité dans la répartition des financements de la culture par les différents niveaux de collectivités, les communes comprises dans l’étude consacrant en moyenne 8, % de leur budget pour la culture, les départements 2,1 % et les régions 2,7 %. Si les 97 % des communes absentes de l’étude avaient été incluses dans celle-ci, on peut donc raisonnablement penser que le chiffre de 7,6 milliards d’euros serait très largement dépassé…
b. Les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français ne prennent que partiellement en compte les problématiques territoriales étudiées
Le DEPS réalise tous les dix ans une grande enquête sur les pratiques culturelles des Français dont les principaux critères statistiques sont le diplôme et l’âge, souvent placés en corrélation avec le lieu d’habitation, mais sans que ce dernier critère ne soit systématiquement mobilisé.
Lorsque le critère du lieu d’habitation est pris en compte, le DEPS distingue différentes catégories : les communes rurales, les communes de 2 000 à 20 000 habitants, celles de 20 000 à 100 000 habitants, celles de plus de 100 000 habitants, Paris intra-muros, et le reste de l’agglomération parisienne. La catégorie spécifique des villes de moins de 10 000 habitants se retrouve donc incluse dans deux catégories, dont l’une bien plus large, ce qui ne permet pas de répondre avec précision aux interrogations de la rapporteure pour avis.
Des enseignements peuvent néanmoins être tirés de ces différentes enquêtes ; il ressort ainsi du dernier opus, datant de 2008 (16), que les taux de pratiques culturelles observés en zones rurales sont inférieurs aux moyennes nationales, même si l’écart tend à se réduire.
Concernant la lecture publique par exemple, le taux d’emprunteurs actifs est supérieur à la moyenne nationale, mais le nombre total de prêts par emprunteur demeure inférieur.
Les taux de fréquentation des équipements culturels patrimoniaux et des cinémas opèrent selon la même logique : la fréquentation a fortement progressé ces dernières années en zone rurale, mais les taux restent bien moins élevés que ceux des zones urbaines : 46 % des habitants des communes rurales interrogés déclarent être allés au cinéma au cours des douze mois précédant l’enquête, contre 51 % dans les villes de 2 000 à 20 000 habitants, 64 % des populations urbaines - 76 % à Paris.
Il en va de même concernant la fréquentation des équipements culturels : seuls 13 % des habitants des plus petites villes ont une fréquentation régulière des lieux culturels, contre 27 % dans les grandes villes, et 60 % à Paris. Parmi la population des zones rurales, la majeure partie fréquente de manière nulle ou occasionnelle ces équipements culturels, quand cette catégorie représente la moindre partie de la population des zones urbaines.
14 % des habitants des communes rurales et 12 % des habitants des villes de moins de 20 000 habitants sont allés au moins une fois au théâtre au cours des douze mois précédant l’enquête, contre 19 % pour les villes de plus de 100 000 habitants et 56 % pour Paris.
La rapporteure pour avis ne peut que plaider pour que le critère de lieu d’habitation des personnes interrogées soit systématiquement renseigné dans les enquêtes décennales sur les pratiques culturelles des Français.
B. QUELLE MÉTHODOLOGIE D’OBSERVATION METTRE EN PLACE POUR PROMOUVOIR DES POLITIQUES PUBLIQUES EN FAVEUR DE LA CULTURE SUR CES TERRITOIRES ?
Le propos de la rapporteure pour avis n’est pas de mettre en cause les services du ministère de la culture mais de démontrer que, en s’appuyant sur des ressources existantes (1), il est possible d’établir des outils cartographiques permettant de remettre le territoire au centre des politiques culturelles (2).
L’INSEE, service de la statistique publique dépendant du ministère de l’économie et des finances, mène de multiples études qui développent une approche territorialisée ; même si ces études ne se bornent pas aux enjeux culturels, l’approche méthodologique employée peut être transposée aux études du ministère de la culture.
Il en va ainsi, entre autres, de la récente étude sur l’approche de la qualité de vie dans les territoires (17). Cette étude, fondée sur l’application d’une trentaine d’indicateurs (dont la culture) à l’échelle de 2 677 territoires de vie de France métropolitaine, vise à appréhender la qualité de vie dans les différents territoires de vie. Dans cette étude, l’INSEE a cartographié de manière précise huit grands types de territoires : des territoires franciliens, certains aisés mais assez inégalitaires et très denses, d’autres dans le sud-ouest parisien, particulièrement favorisés, hormis pour les temps de trajet domicile-travail ; les métropoles régionales, qui possèdent des équipements fournis et accessibles mais présentent certaines difficultés sociales ; le périurbain des grandes métropoles régionales dynamiques, un peu moins aisé que les précédents mais plus impliqué dans la vie citoyenne ; des territoires plutôt denses en situation peu favorable, essentiellement dans le Nord-Est et le Sud-Est ; des bourgs et petites villes en situation intermédiaire dans le Bassin parisien et à l’Est ; des territoires autour de villes moyennes présentant de nombreux atouts dans l’Ouest et le Sud-Ouest ; des territoires plutôt isolés, peu urbanisés, hors de l’influence des grands pôles.
De la même manière, le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) – établissement public né de la fusion en mars 2014 de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), du Comité interministériel des villes (CIV) et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSÉ) - mène des travaux qui peuvent au premier chef intéresser le ministère de la culture. Ainsi ceux qu’il conduit depuis septembre 2012 sur l’accessibilité des services au public peuvent être utilement transposés. Dans cette étude, le CGET entend passer d’une logique fondée sur la localisation d’équipements à celle, plus concrète et complète, de services effectivement délivrés aux habitants.
En novembre 2012 avait été établie, sous l’égide de la DATAR une « définition interministérielle de l’accessibilité des services au public » qui renvoie à la facilité pour un usager de disposer de ce service.
Comme l’a indiqué lors de son audition M. Baptiste Laplaze, chargé de mission au service des systèmes territoriaux et de l’accès aux services du CGET, la notion d’accessibilité est approchée au travers de six dimensions : le temps et la facilité d’accès, la disponibilité du service, son coût, son niveau, la possibilité pour l’usager de choisir entre plusieurs opérateurs, et l’information sur l’existence et les modalités du service. Ces six dimensions sont définies dans l’encadré ci-après.
Les six dimensions de la notion d’accessibilité
Le premier critère réside dans le temps (temps de trajet et temps d’attente sur place) et la facilité d’accès à l’équipement ou au service culturel.
Le temps de trajet dépend d’une part de la localisation respective de l’usager et du service (mesurable par la « chronodistance »), d’autre part des modes de déplacement disponibles, qui déterminent la commodité d’accès. Ainsi, un service éloigné d’un usager mais bien desservi par les transports en commun peut être plus accessible qu’un service plus proche mais nécessitant un moyen de transport individuel dont tous ne disposent pas, ou une succession de moyens collectifs et individuels dont les ruptures de charge rendent l’accès mais aussi la lisibilité vulnérables. Ces situations peuvent constituer un obstacle – physique mais aussi culturel – pour certains usagers. La capacité d’un équipement à offrir des accès aisément praticables pour les personnes à mobilité réduite participe de cette dimension.
Le temps de trajet peut être annulé lorsqu’il est à la charge de l’opérateur ce qui est le cas de services itinérants, comme les bibliobus.
La disponibilité du service renvoie à la possibilité pour un usager d’y avoir recours, et ce dans un délai compatible avec ses besoins. Elle découle du degré de saturation du service ou de l’équipement, déterminé par le rapport entre l’offre et la demande. En cas de forte tension de la demande, ou de sous-dimensionnement de l’offre, un service ou équipement peut devenir totalement inaccessible pour une proportion plus ou moins importante d’usagers : ce peut notamment être le cas de tel ou tel conservatoire de musique confronté à un nombre de demandes bien supérieur aux places disponibles. L’accès au service suppose alors un processus de sélection, reposant soit sur les caractéristiques des usagers (niveau de revenus, lieu d’habitation, degré d’activité…), soit sur le hasard (ordre de traitement des demandes, tirage au sort…). Dans ces deux cas, il y a rupture d’égalité des citoyens face à l’accès au service.
Une autre dimension doit être prise en compte pour appréhender la disponibilité d’un service : celle des horaires d’accès. L’amplitude horaire peut être insuffisante, ou les plages horaires mal adaptées aux besoins des usagers, ou du moins de certains d’entre eux.
Le coût du service peut être dissuasif, voire rédhibitoire, pour certains usagers, freinant ou interdisant le recours au service. L’accessibilité financière peut à l’évidence avoir des implications sur la fréquentation. Trop onéreuse, elle peut amener certaines catégories de populations à renoncer à son usage.
Le niveau du service recouvre deux composantes : la qualité du service (cinéma équipé de la technologie numérique) et son amplitude.
La présence d’un équipement sur un territoire ne suffit pas à déterminer l’accessibilité du service : il est important de connaître en parallèle les lignes de service associées à l’équipement. C’est une des limites de la Base permanente des équipements de l’INSEE (même si elle s’efforce de tenir compte partiellement de cet aspect), qu’il conviendrait de dépasser dans la mesure du possible.
Intimement liée à la question de la qualité, mais aussi à celle du coût, la possibilité de choix suppose une certaine densité de services ou d’équipements. Lorsqu’elle est trop faible, certains usagers se retrouvent captifs et des situations de monopole se créent.
Enfin, dernière dimension, la connaissance, par les usagers, des différents facteurs évoqués précédemment (localisation précise d’un équipement, ses horaires d’ouverture, les moyens permettant d’y accéder, les types et la qualité des services qui y sont offerts, …) peut jouer un rôle majeur dans l’accessibilité.
Dans le cadre de ces travaux, le CGET a développé, avec l’expertise de l’Institut National de Recherches Agronomiques (INRA), la mesure dite « en chronodistances », qui permet de connaître le temps de trajet vers un service que mettrait un usager, dans les conditions habituelles de circulation automobile liée à la configuration géographique des lieux : ce type d’outil permet ainsi de mesurer l’écart entre la localisation d’un service culturel et ses usagers.
Une cartographie nationale de l’accès en chronodistances des salles de cinéma a ainsi pu être établie par le CGET et l’INRA. Souvent premier lieu de la culture et de la découverte collective, qui touche particulièrement le public dès le plus jeune âge, l’offre de services cinématographiques délivrée dans les territoires est un sujet d’intérêt particulier.
Cette carte nationale permet d’identifier des territoires insuffisamment équipés en Languedoc-Roussillon ou en Champagne-Ardenne, et à l’inverse d’observer des territoires bien dotés en Rhône-Alpes, Bretagne ou encore dans le département du Gers.
Le Centre National du Cinéma (CNC) a mis en place une commission d’aide sélective à la création et à la modernisation des salles de cinéma qui a pour mission d’accorder des aides à la création et à la modernisation d’équipements, prioritairement attribuées aux porteurs de projets dans des zones insuffisamment dotées.
Sur l’exemple de l’offre de services cinématographiques, il conviendra de compléter le panorama par le maillage des cinémas itinérants, un réseau innovant en émergence, complémentaire des sites fixes et pertinent dans les territoires ruraux et périurbains, notamment lorsque ces services permettent de construire des passerelles territoriales, transversales et apportent de la souplesse : projections dans les écoles, en plein air, dans les salles mutualisées…
Cette démarche peut également s’appliquer pour les services culturels proposés par les bibliothèques, médiathèques, salles de spectacles ou encore les centres d’interprétation de l’architecture et du patrimoine.
Il apparaît au total nécessaire et possible de développer une coopération au niveau régional entre les DRAC et les délégations de l’INSEE en régions, en lien avec le CGET pour parfaire les outils d’observation et l’analyse des politiques culturelles sur les territoires.
La logique sectorielle qui prévaut en matière de politique culturelle et qui se comprend pleinement sur un plan scientifique, doit aujourd’hui faire une place plus grande, de manière transversale, à une approche territorialisée de cette politique afin de répondre aux enjeux de la démocratisation culturelle. Au sein des DRAC, cela suppose, notamment, une plus grande mutualisation des approches entre les conseillers chargés de la création, des enseignements artistiques ou de l’éducation artistique et culturelle.
Il est aujourd’hui crucial de mettre en place des outils de diagnostic territorial dans chaque région (a) afin de prendre les mesures adaptées pour combler les failles ainsi identifiées (b).
La rapporteure pour avis estime, à l’issue des auditions qu’elle a menées, que l’échelon régional est sans doute le plus adapté à l’établissement des outils cartographiques, quitte à ce que les données soient par la suite agrégées au plan national. Elle rappelle que, hors Île-de-France, l’essentiel des crédits affectés par l’État en régions sont des crédits déconcentrés.
Au niveau territorial, les DRAC disposent souvent de données très précises sur les actions et les politiques culturelles réalisées sur les territoires ; les conseillers ont une connaissance fine des pratiques culturelles qui s’y déroulent. Des enquêtes sont menées empiriquement sur le terrain sans qu’aucune harmonisation des critères d’enquête ne soit cependant organisée, ni que la remontée de l’information au niveau central ne soit systématisée.
Ainsi, le ministère laisse l’initiative des études aux DRAC, mais le manque de moyens, à la fois méthodologiques et financiers, apparaît comme un véritable obstacle à la mise en place de réels instruments d’observation. Par exemple, les indicateurs de performance des scènes conventionnées indiquent précisément leur activité « hors siège », mais ces données sont limitées à l’échelon national et international, ce qui ne permet pas de rendre compte de l’itinérance d’un spectacle à l’échelle d’une même région.
La multiplicité des intervenants rend ainsi nécessaire, à titre préalable, une uniformisation de la nomenclature utilisée pour définir les « activités culturelles ». Seule la définition d’un cadre homogène pour l’ensemble des régions, et cohérent avec l’approche nationale du ministère de la culture, permettra l’agrégation des données au plan national.
La mesure des effets des politiques menées en matière de lutte contre les fractures territoriales passe nécessairement par la création d’outils de diagnostic territorial et l’établissement de cartographies à différentes échelles pour avoir connaissance précise des failles culturelles territoriales.
La rapporteure pour avis préconise que la méthode utilisée par le CGET pour cartographier l’accès en chronodistances aux salles de cinéma soit prolongée et que soit établi le même type de cartes pour l’accès aux médiathèques et bibliothèques et l’accès au spectacle vivant.
Elle est persuadée que ce n’est que grâce à la superposition de ces différentes cartes, via un système d’informations géographiques (SIG), que le ministère pourra disposer d’une vision plus fine des localisations de lieux de culture et des éventuelles zones blanches qui mériteraient que davantage d’attention leur soit portée. La modélisation de ce SIG supposera sans doute d’engager une collaboration permanente avec l’INSEE et l’IGN ; ce système devra également faire l’objet de mises à jour régulières pour connaître l’état d’avancement des opérations de comblement des failles territoriales.
Un exemple à suivre : la méthode mise en place par la DRAC de Rhône-Alpes
La région Rhône-Alpes a déjà amorcé un très intéressant travail de cartographie qui lui a permis d’engager une démarche de conventionnement avec certains établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en faveur du développement de l’éducation aux arts et à la culture dans les zones les moins dotées d’équipements culturels. La rapporteure pour avis a été très sensible à la démarche ainsi engagée, sous l’impulsion du directeur régional des affaires culturelles, M. Jean-François Marguerin, qu’elle a entendu en audition.
Conformément aux orientations arrêtées par la ministre de la Culture et de la Communication dans sa Directive nationale d’orientation 2013-2015, invitant les différentes DRAC à « définir une stratégie pour l’égalité des territoires », la DRAC de Rhône-Alpes a dressé l’état des lieux des pratiques culturelles des villes les moins peuplées de la région. Celles-ci sont en effet enclavées par les différents massifs montagneux et les lacs, et les pratiques culturelles de leurs habitants ont longtemps été ignorées des observations statistiques.
Ainsi, sous l’impulsion du Préfet, la DRAC a utilisé des données statistiques et cartographiques établies en 2011 par la DATAR sur le « nouveau visage de la France rurale », pour identifier les territoires nécessitant une action prioritaire en matière culturelle car éloignés de l’offre culturelle. Une cartographie de ces territoires prioritaires a été établie en 2013, ce qui a permis l’identification de 49 EPCI auxquels la DRAC Rhône-Alpes a proposé une convention de développement culturel ayant pour but de promouvoir la découverte et l’éducation aux arts et à la culture. Une vingtaine d’entre eux se sont immédiatement impliqués dans le projet ; les premières conventions seront prochainement signées.
Grâce à une nouvelle répartition des crédits destinés à l’action culturelle et en association avec les collectivités territoriales et les autres directions régionales – directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et des forêts, de la jeunesse et des sports et de la cohésion sociale, la DRAC Rhône-Alpes a pu dégager 500 000 euros, sur trois ans, spécifiquement dédiés à la mise en place de ces conventions. En contrepartie, les EPCI se sont engagés à accueillir en résidence artistes et écrivains, durant ces trois années de financement.
De nombreuses avancées sur le plan culturel sont attendues au niveau local grâce à l’apport financier issu de la convention. Les écrivains en résidence dans les bibliothèques et médiathèques développeront des ateliers lecture et écriture ; des artistes sont déjà intervenus dans le cadre d’ateliers dans des écoles, collèges et lycées ; diverses conférences et rendez-vous publics autour des questions culturelles se sont déjà tenus dans les petites villes. Des travaux ont été entrepris pour rendre possible les pratiques artistiques dans les salles des fêtes des villages.
Pour assurer le bon fonctionnement de l’opération, les élus et les artistes ont véritablement suivi et accompagné l’offre instaurée, en partenariat avec un référent DRAC nommé pour chaque territoire, quelle que soit sa spécialité.
Les résultats probants des actions menées par la DRAC Rhône-Alpes peuvent servir de modèle aux autres régions, avec une diffusion des informations à l’échelle du territoire national.
• Concentrer les nouveaux équipements et les actions de médiation culturelle dans les zones sous-dotées
Une fois identifiées les « zones blanches » qui apparaîtront sur les cartographies, il conviendrait d’encourager l’implantation dans ces zones de médiathèques de proximité, qui constituent l’équipement de base de l’aménagement culturel d’un territoire ; il pourrait être envisagé d’y développer des actions de médiation culturelle polyvalente à destination d’un large public : ateliers de lecture, accès à l’outil numérique, lieux d’exposition voire de projection cinématographique, ateliers d’artistes…
• Encourager et soutenir les fonctions d’appui des petits bourgs-centres
Les petits bourgs-centres disposent d’équipements culturels qui sont utiles à leurs populations mais aussi aux populations alentour. Ils jouent un rôle important dans la structuration culturelle du territoire. On pourra utilement engager, à l’échelle de chaque territoire, avec des collectivités territoriales concernées, une réflexion sur les conditions nécessaires à la mobilité des publics.
• Encourager l’itinérance artistique et la diffusion hors les murs des spectacles montés par les structures subventionnées
En milieu rural, l’éloignement géographique et la dispersion des populations rendent nécessaires des actions pour faire aller la culture vers le public. L’itinérance constitue une première réponse, qu’il s’agisse de la lecture publique avec les bibliobus, des circuits itinérants de cinéma ou des troupes de spectacle.
En matière de spectacle itinérant, la rapporteure souhaite saluer toutes les troupes qui diffusent la culture dans les campagnes. Elle souligne notamment le caractère très novateur de la démarche engagée par Mme Charlotte Nessi à la tête de l’ensemble Justiniana, devenu « compagnie nationale de théâtre lyrique et musical » et qui consiste à impliquer la population dans la création même du spectacle. La compagnie s’installe ainsi quelques mois afin de former par les artistes professionnels les amateurs qui souhaitent prendre part au spectacle.
La diffusion de spectacles hors les murs est une autre piste d’avenir. On pourrait notamment s’inspirer de l’expérience de La Passerelle, scène nationale des Alpes du Sud qui produit, depuis 1993 déjà, des spectacles dénommés « Les Excentrés » qui sont joués dans plusieurs communes alentours (Embrun, Chabottes, Veynes-Tallard, notamment).
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Rompre avec une approche exclusivement centrée sur les différentes disciplines de la création pour adopter le territoire comme clé d’entrée des politiques culturelles est devenu un enjeu majeur de la démocratisation culturelle dans notre pays.
C’est de la connaissance fine des territoires, de leur cartographie et de la connaissance qui en découlera des zones les moins dotées, des zones blanches, des zones de relégation culturelle parfois, comme des zones « d’appui culturel », que pourra plus efficacement être pilotée une politique culturelle adaptée au niveau de chaque région.
La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède, le jeudi 30 octobre 2014, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, sur les crédits pour 2015 de la mission « Culture » (18).
La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’examen des rapports pour avis de Mme Annie Genevard (Création ; Transmission des savoirs et démocratisation de la culture) et de Mme Sophie Dessus (Patrimoines) sur les crédits pour 2015 de la mission « Culture » lors de sa séance du mercredi 29 octobre 2014.
M. le président Patrick Bloche. Les rapports pour avis de Mme Annie Genevard et de Mme Sophie Dessus sur les crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015 sont les derniers à être examinés par notre Commission. Nous poursuivrons néanmoins nos travaux sur le PLF 2015 en commission élargie et en séance publique. Je souligne par ailleurs que nous nous illustrons en matière de parité puisque nos deux rapporteures succèdent aux trois rapporteures qui ont présenté hier leurs rapports pour les crédits des missions « Enseignement scolaire » et « Enseignement supérieur et recherche ». Nous allons même au-delà puisqu’il y a eu, cette année, une majorité de femmes parmi les dix rapporteurs.
Je cède maintenant la parole à Mme Annie Genevard, qui a souhaité centrer son rapport relatif au programme 131 « Création » et au programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » sur les outils d’observation dont dispose le ministère de la culture pour assurer un aménagement équilibré du territoire en matière culturelle.
Mme Annie Genevard, rapporteure pour avis. J’ai souhaité aborder un sujet très peu étudié, sur lequel on ne dispose, par conséquent, que de peu de renseignements : l’observation par le ministère de la culture des politiques culturelles dans les petites villes rurales ou périurbaines et la mesure de leurs effets sur les territoires.
Ce choix a été dicté par un triple constat.
L’accès de tous à la culture est une priorité politique, comme l’a rappelé le projet annuel de performances de la mission « Culture » pour 2015. En septembre 2012 déjà, la précédente ministre de la culture invitait les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) à définir une stratégie pour l’égalité des territoires.
Deuxièmement, il apparaît nécessaire de se doter d’outils de pilotage pour observer et analyser les pratiques. Or, les villes de moins de 10 000 habitants, qui représentent tout de même 97,5 % des communes de France et 50 % de la population nationale, demeurent dans l’angle mort des indicateurs du ministère.
Enfin, dernier constat, les petites communes ne ménagent pas leurs efforts en la matière. L’étude que nous avons menée dans trois communes du Doubs – deux en milieu rural, une en agglomération – a montré qu’elles jouaient un rôle essentiel dans le déploiement territorialisé d’une offre culturelle de qualité et de proximité, notamment grâce à la présence quasi systématique du triptyque d’équipements culturels que sont la médiathèque, la salle de cinéma et la salle de spectacle. Par ailleurs, il est apparu qu’elles consentaient un effort notable de professionnalisation de l’emploi culturel, phénomène relativement récent dans les petites villes.
Le sujet que j’ai retenu a déjà été partiellement évoqué en 2006 dans le rapport d’information sur l’action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires, élaboré par Jean Launay et Henriette Martinez, au nom de la Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire. Il pointait déjà le manque d’instruments de mesure de l’action culturelle.
J’ai souhaité pousser plus loin l’analyse et présenter des pistes dont l’exploration permettrait au ministère de la culture de disposer d’outils de pilotage d’une politique de démocratisation culturelle.
En 2012, un rapport de l’inspection générale des affaires culturelles (IGAC) a constaté l’existence de « failles » dans l’aménagement culturel du territoire. Le terme est intéressant car il évoque à la fois la défaillance des politiques publiques, dont la mission est pourtant d’assurer l’égalité de territoires, et la faille au sens géographique, c’est-à-dire la rupture territoriale et la segmentation de l’offre culturelle. Il a établi un classement des régions en trois catégories qui montre que certaines d’entre elles cumulent plusieurs carences en matière d’aménagement du territoire, y compris dans le domaine de la culture.
Un autre facteur d’inégalités territoriales est peut-être à chercher du côté de l’orientation très forte des financements publics vers les grandes métropoles. L’IGAC a remis en juin 2014 à la ministre de la culture un rapport analysant les interventions financières et les politiques culturelles en région qui comporte une très intéressante étude de la répartition régionale des dépenses d’intervention du ministère – crédits centraux et déconcentrés. Elle montre qu’en 2013, avec 2,2 milliards d’euros sur 3,3 milliards d’euros, la région Île-de-France a concentré 66 % de la totalité des crédits du ministère destinés aux régions – 13 % des crédits déconcentrés et 77 % des crédits centraux. Une telle situation s’explique en grande partie par l’implantation majoritairement parisienne des établissements publics nationaux, qui a pour effet de surreprésenter dans cette région les dépenses culturelles du ministère alors même que celles-ci « ont vocation à couvrir l’intégralité du territoire national ou toucher un public non francilien », selon les auteurs du rapport. Encore faudrait-il disposer des éléments d’analyse de la fréquentation de ces équipements par des non-franciliens pour se persuader de la pertinence de ce déséquilibre des financements.
La lutte contre ces inégalités de traitement renvoie à des enjeux multiples.
Un enjeu de cohésion sociale, tout d’abord : la lutte contre les failles culturelles qui touchent une partie de notre territoire est avant tout une question d’équité entre nos concitoyens pour l’accès à la culture. C’est un problème politique et une exigence morale. Dans ses travaux récents, le géographe et chercheur Christophe Guilluy a souligné la persistance dans notre pays de fractures territoriales et fait le constat d’un phénomène de relégation d’une France périphérique des petites villes et des territoires éloignés des métropoles qui, elles, bénéficient de très nombreux équipements notamment culturels.
Un enjeu économique, ensuite : l’impact économique des implantations culturelles dans les petits bassins de vie a été souligné dans un rapport élaboré conjointement par l’inspection générale des finances et l’IGAC. Il établit une corrélation positive entre les initiatives culturelles et le développement local mais déplore le caractère disparate et non méthodique des études réalisées sur le sujet. Il met en évidence – un fait extrêmement important à mes yeux – la présence d’une implantation culturelle significative est d’autant plus importante que le bassin de vie est modeste en nombre d’habitants.
C’est dans cette perspective qu’il est nécessaire de disposer d’outils d’observation pour amplifier les effets de ce facteur de richesse.
Les auditions ont démontré que le ministère ne dispose que de très peu de connaissances sur la cible que nous avons retenue, à savoir les communes de moins de 10 000 habitants. Les analyses quantitatives restent concentrées sur les grands pôles urbains et les villes moyennes. En mars 2014, une grande étude portant sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales en 2010 a montré que celles-ci s’élevaient à un total de 7,6 milliards d’euros et que la part de budget qui y était consacrée était de 2,7 % pour les régions, 2,1 % pour les départements et de 8 % pour les communes de plus de 10 000 habitants et leurs groupements. Que dépensent les 97,5 % communes restantes et pour quelles actions ? Nous ne le savons pas. Des études thématiques portant sur les pratiques culturelles des Français existent – surtout pour la lecture publique et le cinéma, les données faisant particulièrement défaut pour ce qui est du spectacle vivant – mais les enquêtes menées ne prennent que partiellement en compte les problématiques territoriales. Il ressort néanmoins que, même si la fréquentation en zone rurale progresse – et on le doit sans doute à l’effort de structuration culturelle consenti par les communes –, les taux de fréquentation restent bien moins élevés et moins réguliers que dans les zones urbaines. La politique culturelle est d’abord une politique de l’offre. Si celle-ci est abondante, la demande, c’est-à-dire la fréquentation, est là.
La question est de savoir quelle méthodologie d’observation mettre en place pour promouvoir la culture sur les territoires.
L’approche territorialisée développée par L’INSEE, service de la statistique publique, pourrait être transposée aux études du ministère de la culture.
Le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) mène des études sur l’accessibilité des services au public au travers de cinq dimensions, point qui nous a particulièrement intéressés lors des auditions : le temps et la facilité d’accès, la disponibilité du service, son coût, son niveau, le choix et l’information sur le service. Ainsi, une cartographie nationale de l’accès aux salles de cinéma en fonction des chronodistances a pu être établie par le CGET et l’Institut national de recherches agronomiques (INRA). Elle a permis d’identifier des territoires insuffisamment équipés et le Centre national du cinéma (CNC) a mis en place une commission d’aide sélective qui donne la priorité aux projets dans ces zones moins dotées. Cette démarche pourrait aisément être appliquée à d’autres services culturels, comme la lecture publique ou le spectacle vivant, grâce à une coopération, au niveau régional, des DRAC et de l’INSEE, en lien avec le CGET.
Remettre le territoire au centre de l’action publique en matière culturelle a du sens. C’est une logique plus transversale et susceptible de répondre aux enjeux de la démocratisation culturelle. Mais pour cela, il est crucial de mettre en place des outils de diagnostic territorial dans chaque région, par exemple, en établissant une cartographie des équipements culturels et de leur accessibilité selon la méthode utilisée par le CGET, ou en uniformisant la nomenclature d’observation des activités culturelles et de leur financement.
Lors des auditions, j’ai été particulièrement impressionnée par la méthode mise en place par la DRAC Rhône-Alpes qui a dressé un état des lieux des pratiques culturelles des villes les moins peuplées de la région, grâce aux données statistiques et cartographiques. C’est ainsi que quarante-neuf EPCI ont été identifiés comme territoires prioritaires auxquels la DRAC a proposé une convention de développement culturel ayant pour but de promouvoir la découverte et l’éducation à l’art et à la culture tout au long de la vie.
L’observation fine peut aider à ajuster les politiques culturelles aux territoires. Les auditions ont permis de dégager quelques lignes de force pour combler les failles culturelles dont souffre notre pays. J’en dénombrerai trois : encourager et soutenir la fonction d’appui des petits bourgs centres qui disposent d’équipements culturels ; concentrer les nouveaux équipements et les actions de médiation culturelle sur les zones blanches ; encourager l’itinérance artistique et la diffusion hors les murs.
Rompre avec une approche exclusivement centrée sur les différentes disciplines de la création pour adopter le territoire comme clé d’entrée des politiques culturelles est devenu un enjeu majeur de la démocratisation culturelle dans notre pays.
C’est grâce à la connaissance fine des territoires, à leur cartographie, à l’identification des zones les moins dotées, des zones blanches, des zones de relégation culturelle parfois, comme des zones d’appui culturel, que pourra plus efficacement être pilotée une politique culturelle appropriée.
Je vous remercie pour votre attention et surtout pour l’appui qui pourra être donné à la suite de ces travaux.
M. le président Patrick Bloche. Nul doute que nombre de nos collègues se montreront sensibles à la volonté d’assurer un aménagement équilibré du territoire en matière culturelle, enjeu dont l’importance se mesure aussi à l’aune de notre histoire récente : la politique de développement culturel, mise en œuvre dans les années quatre-vingts sous l’égide de Dominique Wallon, a sans doute été l’un des facteurs les plus marquants de la réorientation des politiques publiques en matière de culture.
Sophie Dessus va maintenant nous présenter son rapport sur le programme 175 relatif aux « Patrimoines », consacré plus spécifiquement à la protection et à la reconversion du patrimoine industriel des XIXe et du XXe siècles, sujet qui n’est pas sans rapport avec les travaux de la mission d’information sur la création architecturale, qui nous ont permis de montrer combien la réhabilitation était essentielle à la création.
Mme Sophie Dessus, rapporteure pour avis. Qui eût pu dire qu’en travaillant sur le budget du patrimoine, nous partions vers une étonnante aventure, qui nous a conduits des usines désaffectées au cœur de la création artistique et des utopies urbaines ?
On ne peut présenter le budget du patrimoine sans se poser la question : qu’est-ce que le patrimoine ? Patrimoine d’hier, patrimoine d’aujourd’hui, patrimoine de demain, patrimoines tout simplement réunis dans le temps par la création artistique.
Le patrimoine d’hier et son budget, nous l’évoquerons demain, à l’occasion de la commission élargie. Le patrimoine d’aujourd’hui, ou celui récemment considéré comme tel, j’y consacrerai mon intervention en m’attardant sur la réhabilitation de sites industriels des XIXe et XXe siècles et leur reconversion en sites culturels. Quant au patrimoine de demain, il renvoie à la question de savoir si l’on veut se donner les moyens d’avoir un patrimoine du XXIe siècle et si l’on laisse aux créateurs la possibilité de le bâtir dans une société où la diversité cède la place à la standardisation, standardisation qui, selon Rudy Ricciotti, est un « laminoir qui vous pèle l’âme jusqu’à l’os ».
Si le XIXe siècle a été marqué par l’invention des monuments historiques, encensés par une mémoire collective – loi de 1913, mesures de protection des années 1930 –, il faudra attendre André Malraux puis Jack Lang pour que notre patrimoine industriel, scientifique ou technique devienne objet de convoitise et que l’on bascule de la notion d’un patrimoine révéré mais figé à un patrimoine « recyclé », un patrimoine « de lieux vivants, pour des gens vivants, et porté par un projet collectif : une utopie urbaine », selon les termes de Fabien Jannelle de la Ferme du Buisson. Et c’est à travers l’exemple de quelques sites industriels que nous avons tenté de comprendre ce que cette utopie voulait dire.
À côté du plus emblématique d’entre eux, le Lieu Unique, ancienne biscuiterie de la famille Lefèvre-Utile à Nantes, citons entre autres la Ferme du Buisson à Marne-La-Vallée, ancienne chocolaterie de la famille Menier, le Channel, anciens abattoirs de Calais, la Papeterie à Uzerche, le Centquatre, anciennes pompes funèbres de la Ville de Paris, le Magasin, ancienne chaudronnerie à Grenoble, ou la Belle de Mai, ancienne usine d’allumettes, à Marseille.
Ce qui est frappant, c’est leur point commun à tous, le secret de la réussite de leur réhabilitation, qui tient à la réunion de trois éléments : un site, une équipe, un projet. S’il en manque un seul, la greffe prend plus difficilement et la réhabilitation perd de sa raison d’être.
« Pour réussir la grande aventure culturelle, il faut la sainte alliance entre le monde culturel et le monde politique », nous a expliqué Fabien Jannelle de la Ferme du Buisson. Il a estimé ne pas être parvenu à relever le défi jusqu’au bout parce que l’adhésion de la collectivité lui avait manqué. Peut-être n’a-t-il pas eu les élus locaux derrière lui autant qu’il l’aurait souhaité, mais il a eu l’appui du ministre de la culture, Jack Lang, et son utopie urbaine a pris corps.
Au Channel à Calais, un élu, l’architecte Patrick Bouchain, et Francis Peduzzi, l’initiateur du projet, ont formé une équipe soudée, investie, adaptant le chantier en permanence à l’évolution du projet, qui a permis la création, dans les anciens abattoirs, d’un lieu correspondant aux attentes du public, des initiateurs et des élus, pour 15 millions d’euros, soit un coût au mètre carré moins élevé que pour la construction de logements sociaux.
Le Lieu Unique, quant à lui, reste le plus exemplaire. À son origine, on trouve un élu, Jean-Marc Ayrault, un initiateur, Jean Blaise, un architecte, Patrick Bouchain. Et ces trois « allumés », titre que je leur donne en mémoire de l’histoire culturelle de Nantes qu’ils ont portée, ont conquis la ville à partir de leur projet culturel. En 1999, pour 60 millions de francs, ils ont créé le Lieu Unique, qui a été suivi par les spectacles de Royal de Luxe, les Machines de l’Île et le Voyage à Nantes. Ils avaient rêvé de faire de la politique culturelle l’épine dorsale de l’économie et de la redynamisation du territoire et ils l’ont fait.
Au Centquatre, la conception fut différente. Il n’y a pas eu d’équipe à proprement parler, mais un architecte qui a signé une belle restructuration. Toutefois ni la complicité politique, ni le projet n’étaient aussi présents qu’ailleurs. « On aurait dû être à la fois plus audacieux et plus modeste, on n’avait pas assez défini les besoins en amont, ce qui a entraîné un surcoût important, et des contraintes architecturales que les élus un peu trop éloignés du dossier n’ont pas pu négocier », nous a expliqué l’un des coordinateurs, Frédéric Fisbach. Ici a manqué au projet le rêve qui se doit d’aller avec le site, pour que l’âme et l’histoire de ce dernier soient respectées.
Ce mélange d’utopie et respect, on le retrouve à la Papeterie ou au Channel, où Francis Peduzzi explique qu’ « un milieu culturel au XXIe siècle n’est pas un théâtre, mais un lieu de vie, où l’on se rend sans avoir à assister à une pièce, où l’on trouve un resto, un bar, une librairie, une crèche, un lieu de rencontre et de création, un lieu au service de l’imaginaire ». Jean Blaise, pour sa part, parle d’un « lieu qui va transpirer l’art », et Patrick Guyer, actuel directeur du Lieu Unique, d’un « familistère toujours ouvert à tous ».
Ainsi, à la Ferme du Buisson, projet et site s’entremêlent. Dans ce village saint-simonien, on a appliqué les principes de l’abbaye de Thélème, chers à Rabelais. On y joue la carte patrimoniale, tout autant que celle de la création ; on n’y dissocie pas l’enseignement de la détente. Point de luxe ostentatoire, mais l’essentiel : dialogue et confrontation entre les artistes, les passants, les entreprises. Sur les chantiers, on ne danse pas avec les loups mais avec les pelleteuses. Sur le site, prime la volonté que les habitants s’approprient l’espace et réalisent l’utopie de croire en la culture pour changer le monde.
Pour réussir, explique Marc Warnery du cabinet d’architectes Reichen et Robert, « il ne faut pas démolir pour reconstruire, il faut faire avec », en s’adaptant aux territoires, en redonnant vie à des quartiers désertifiés, en aménageant des projets urbains dans des zones en friche, en évitant la banalisation, en réapprenant à vivre ensemble, en amenant une nouvelle identité à un lieu. Le site de DMC à Mulhouse en est un exemple.
Tout cela n’est que l’illustration des propos de Christian de Portzamparc selon lesquels « respecter le passé, c’est le faire revivre ». C’est ainsi que se dessinent aujourd’hui de grands projets qui feront les villes de demain, avec une autre façon de les habiter et de vivre ensemble, que ce soient le projet Darwin à Bordeaux ou Pompeia à São Paulo.
Vouloir des villes de demain, vouloir des utopies urbaines implique d’être prêts à se battre pour soutenir ce que sera le patrimoine de demain. Et vouloir un patrimoine demain, c’est laisser libre cours à l’imaginaire du créateur, ce qui, à écouter les porteurs de projets comme les architectes, est devenu très complexe dans la société standardisée qui est la nôtre, régie par un océan de normes. Certains s’y résignent, tels les membres de l’agence Reichen et Robert : « le problème des normes, c’est qu’elles sont aveugles, et qu’elles changent avant même que le projet ne soit terminé ; elles se cumulent, sont limitatives et non incitatives ». D’autres, plus philosophes ou plus aguerris, comme au Lieu Unique, contournent les obstacles, avec le soutien des municipalités qui décident de ramener la notion de bon sens là où elle n’est plus. D’autres encore, plus poétiques, comme Francis Peduzzi, réclament désormais une norme, mais une seule, la HQH, norme de « haute qualité humaine ».
Rudy Ricciotti quant à lui, y va à la marseillaise. Avec sa verve toute méditerranéenne, dans son ouvrage L’architecture est un sport de combat, il déclare la guerre au « salafisme architectural, à la pornographie réglementaire » ; il crie haro sur « les criminels de l’environnement, les déserts de la répétition, la perte des savoir-faire ». Il nous alerte enfin sur les abus du principe de précaution, « oxymore du cauchemar forniquant avec l’utopie » : « le principe de précaution provoque l’augmentation du consumérisme, avec à la clé un désastre environnemental ». « À qui profite, ajoute-t-il, ce principe de précaution qui permet de fabriquer des marchés ? Qui écrit les champs normatifs ? Qui les conseille ? Les sachants ne seraient-ils pas, en réalité, les fabricants ? Ceux qui jour après jours participent à l’exil de la beauté ? ». Et ces questions, il nous les pose à nous, députés, il nous demande de travailler sur ce sujet et d’y travailler vite, car « le suicide collectif est engagé, dans l’indifférence citoyenne ».
Excessif, allez-vous me dire. Pourtant, Rudy Ricciotti n’est pas le seul à sonner l’alerte. Sur un ton plus angevin, mais tout aussi catastrophé, Jack Lang nous rappelle que nous sommes responsables. Il importe selon lui que la future loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine s’attaque à ces problématiques, afin que le patrimoine ait un avenir. « Ouvrons les yeux, écrit-il. Arrêtons le massacre. Arrêtons d’anéantir les beautés du passé, nous dépouillons l’avenir. Ce n’est pas manquer d’imagination que de vouloir conserver des monuments qui ont perdu leur usage, c’est au contraire avoir confiance en celle des hommes pour les réinventer. Déclarons la guerre à la routine stérile et au byzantinisme. Nous avons laissé s’installer partout le même lotissement. Nous avons réussi à standardiser la périphérie des villes ; nous avons fait des zones commerciales des champs de tôles ondulées. Nos jardinières en granulo-béton sont devenues des tombeaux à mégots. Nous célébrons la dictature du thuya. Nous multiplions les ronds-points devenus la spécialité de l’art décoratif français. Ouvrons les yeux, il est grand temps d’utiliser le patrimoine comme un levier de l’aménagement du territoire et de l’urbanisation. Il est temps que le respect de la beauté passée se double d’une exigence de beauté à venir. » Et de conclure en citant René Char : « Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté ».
M. le président Patrick Bloche. Nous pourrions être, pour notre part, à l’initiative d’une nouvelle norme, la HQP, « haute qualité parlementaire ». Qu’en pensez-vous, chers collègues ?
Nous en venons aux orateurs des groupes.
Mme Marie-Odile Bouillé. Mesdames les rapporteures, je vous remercie pour le travail que vous avez réalisé et pour votre choix particulièrement pertinent en matière d’angles d’étude – d’un côté, l’aménagement équilibré des territoires en matière culturelle, de l’autre, le patrimoine industriel.
Mon intervention sera constituée davantage de remarques que de questions à proprement parler.
S’agissant de l’architecture industrielle, il faut noter que les bâtiments construits entre 1945 et 1990 sont encore peu labellisés. Mais au-delà de la mise en valeur de ce patrimoine, madame Dessus, vous insistez sur une autre voie, celle de la reconversion : « respecter le passé, c’est faire revivre les lieux ». Vous soulignez, à juste titre, l’importance de l’engagement des élus, du rôle de l’architecte et celui de l’appropriation des lieux par les habitants, facteurs essentiels de réussite pour redonner vie au patrimoine industriel. Mon seul regret, chère collègue, est que, de Nantes, vous n’ayez pas poussé jusqu’à Saint-Nazaire pour visiter le théâtre, installé dans une ancienne gare ferroviaire.
Madame Genevard, vous abordez une problématique à laquelle les uns et les autres nous sommes trouvés confrontés dans nos régions, départements ou communes : pour assurer un aménagement équilibré du territoire en matière culturelle, à quels outils d’observation le ministère de la culture doit-il avoir recours ?
Mais avant d’aborder ces questions avec vous, je voudrais revenir sur quelques points de votre analyse du projet de budget pour 2015.
Je me réjouis tout d’abord de la sanctuarisation du budget de la culture. Elle illustre une fois de plus l’engagement de notre gouvernement en faveur de la culture, malgré la situation économique difficile et très contrainte. Le budget total s’élève à 3,22 milliards d’euros, soit une petite augmentation – 0,31 % – par rapport à 2014. Les moyens en faveur des structures de création et des projets territoriaux sont consolidés, grâce notamment à une augmentation de 1,4 % des interventions pour le spectacle vivant et un effort particulier pour les scènes de musiques actuelles et les scènes nationales. Les DRAC connaîtront une augmentation de 1,2 % des moyens dévolus aux arts plastiques, au développement des lieux de présentation et aux dispositifs permettant de développer la scène artistique française.
Pour ce qui est des crédits relatifs à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture, soulignons la priorité politique accordée à la mise en œuvre du plan en faveur de l’éducation artistique et culturelle, dont les dotations sont passées de 7,5 millions d’euros en 2014 à 10 millions en 2015, soit une augmentation de 6,5 %. Ce plan, qui doit permettre à chaque enfant ou jeune de rencontrer les acteurs de la culture tout au long de sa scolarité, est désormais inscrit dans le parcours d’éducation artistique de la programmation pour la refondation de l’école. À cela s’ajoutent les 36,33 millions d’euros de dotation alloués à l’ensemble des institutions culturelles subventionnées par le ministère mais aussi aux structures labellisées et réseaux soutenus par les régions.
Les crédits déconcentrés sont essentiellement délégués aux DRAC pour l’accompagnement des démarches des collectivités territoriales dans un cadre contractuel et pluriannuel comme les conventions de développement culturel. C’est à travers cette ligne budgétaire, madame Genevard, que les DRAC pourraient répondre à votre attente en matière d’équilibre des territoires.
Dans votre rapport, vous observez à juste titre la concentration des crédits à Paris par rapport à l’Île-de-France dans son entier. Le même constat s’impose à l’échelon du département de la Loire : sur un total de 6,4 millions d’euros, Saint-Étienne Métropole se voit allouer 5,7 millions d’euros, ce qui ne laisse que 700 000 euros pour le reste du département.
Nous pouvons tout à fait partager votre triple constat que vous faites sur la priorité politique que doit constituer l’accès à la culture pour tous, sur les petites communes qui ne ménagent pas leurs efforts pour la culture, et sur la nécessité de mettre en place des outils d’observation.
Se pose toutefois la question de la part de budget que les petites communes accordent à la culture ; celle-ci est hautement significative de la volonté politique des élus. Vous ne précisez de chiffres que pour une seule commune, la vôtre, je crois.
Autre élément que je voudrais mettre en avant et que vous n’abordez pas dans vos préconisations : le projet culturel construit par les élus. Cette dimension concerne les villes plus petites qui, dans le cadre des EPCI, mettent en place des conventions culturelles auxquelles participent les autres collectivités – département, région –, les acteurs culturels des territoires et les DRAC. À cet égard, la démarche de la DRAC Rhône-Alpes que vous citez est exemplaire : elle a dégagé 500 000 euros pour un conventionnement avec les EPCI constitués de communes éloignées des métropoles, en s’appuyant sur les scènes nationales ou conventionnées, en mutualisant les outils – médiathèques, écoles de musique, interventions d’artistes plasticiens –, en développant l’accueil d’artistes en résidence, pour faire vivre la culture dans tous les territoires.
L’approche que vous nous présentez, à savoir la superposition d’outils géographiques, est probablement nécessaire mais elle n’est pas suffisante. Pour mettre en place des projets culturels dans ces lieux que l’on dit éloignés, la volonté des élus au sein des EPCI est essentielle. Cela suppose de partager les compétences, les outils et de développer la solidarité. Je vous remercie de me dire ce que vous pensez de la contribution que pourrait apporter un projet culturel de territoire à l’aménagement équilibré des territoires.
M. Michel Herbillon. Faisant écho aux déclarations de Manuel Valls en juillet, la nouvelle ministre de la culture s’est félicitée, devant notre commission, de pouvoir annoncer la sanctuarisation du budget pour la période 2015-2017. Ce serait le signe tangible de la priorité donnée par le Gouvernement à la politique culturelle. Présentation des choses pour le moins audacieuse qui ne résiste pas hélas ! à l’examen des faits.
Audacieuse car cette promesse de sanctuarisation a un côté déjà-vu, séquence boîte à souvenirs du plus mauvais effet quand on sait que cet engagement de François Hollande pendant la campagne présidentielle s’est traduit depuis deux ans par une saignée des moyens dédiés à l’action culturelle de l’État, sans précédent depuis les débuts de la Ve République. Certes, en 2015, les crédits ne subiront pas les amputations des années passées. Néanmoins, cette stabilisation se fait à un étiage budgétaire très bas. Elle masque aussi de nouvelles baisses dans des secteurs déjà très affectés par les réductions antérieures.
Les travaux de nos deux collègues rapporteures, Annie Genevard et Sophie Dessus, sont tout à fait éclairants.
Concernant les crédits du patrimoine, le rapport de Mme Dessus illustre la chute vertigineuse des crédits depuis 2012. Si 5 millions d’euros supplémentaires seront dévolus au patrimoine en 2015, ce n’est qu’une goutte d’eau face à la baisse de 115 millions d’euros par an subie par le patrimoine entre 2012 et 2014. La situation est particulièrement préoccupante pour la restauration des monuments historiques, dont le budget continuera de décroître en 2015, diminution d’autant plus inquiétante que les collectivités locales se désengagent du financement de ces opérations du fait des baisses de leurs dotations budgétaires.
Dans le même esprit, soulignons que les moyens dédiés aux musées et à l’enrichissement des collections publiques seront étales l’an prochain, à des niveaux historiquement bas, après des baisses respectives de 10 % et 50 % de leur montant depuis 2012. Si l’on se félicite de la décision d’ouvrir sept jours sur sept les grands musées parisiens, on ne peut que s’inquiéter de la prolongation de la baisse des dotations des grands musées, je pense en particulier au musée d’Orsay. De même, la stagnation en 2015 des crédits compensant la gratuité, qui ont fortement baissé en 2014, pose la question de la sincérité du Gouvernement quand il dit vouloir privilégier l’accès des jeunes à la culture.
En matière de création, si la baisse des crédits a été moins marquée, elle est cependant bien réelle : 7 % depuis 2012. L’année 2015 marquera une situation contrastée. Des réductions budgétaires pour quelques opérateurs du spectacle vivant – l’Opéra de Paris et l’Orchestre de Paris, par exemple – permettront un saupoudrage de crédits pour d’autres. Seule la Cité de la Musique verra ses crédits croître sensiblement dans la perspective de l’ouverture de la Philharmonie. Toutefois, je demeure inquiet, comme Annie Genevard, concernant les moyens dont la Philharmonie bénéficiera pour remplir ses missions, du fait de la position de la Ville de Paris qui revient sur son engagement de financer ce nouvel équipement à parité avec l’État.
Sophie Dessus a excellemment souligné l’insuffisante implication des élus dans le projet du Centquatre, qui, doit-on le souligner, se situe à Paris. Ses propos sonnent comme un réquisitoire. Je ne voudrais pas que la Philharmonie pâtisse de ce même phénomène alors même que, du fait de sa situation géographique, elle constitue un accès privilégié à la culture, à la musique sous toutes ses formes, pour les populations de l’Est parisien, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.
Le budget 2015 mettra certes un terme à l’hémorragie budgétaire subie par la culture depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir mais il ne traduit à l’évidence aucune dynamique, encore moins une perspective claire et ambitieuse en matière de politique culturelle. Le groupe UMP se prononcera donc contre l’adoption des crédits des programmes « Création » et « Patrimoines ».
Je veux terminer en remerciant Annie Genevard et Sophie Dessus pour la qualité et l’intérêt des études qu’elles ont présentées sur les pratiques culturelles dans les petites villes rurales ou périurbaines et sur la protection et la reconversion du patrimoine industriel.
Les pistes qu’Annie Genevard trace pour l’accès de tous à la culture à travers l’égalité des territoires doivent, au-delà de nos sensibilités, nous réunir, mes chers collègues, tout comme nous devons adhérer à l’objectif de nous doter d’indicateurs pour mesurer l’effort des collectivités en matière culturelle. Notre collègue a eu raison de souligner combien le ministère manque d’outils pour suivre l’activité culturelle des communes de moins de 10 000 habitants, qui forment le maillage de notre pays.
Le rôle assez méconnu des petites communes en matière culturelle est crucial puisque la moitié de la population vit dans ces communes, qui font des efforts considérables pour faciliter l’accès à la culture. Hélas, une étude de l’Association des petites villes de France qui vient de paraître révèle que 95 % des petites villes de 3 000 à 20 000 habitants pensent réduire dès 2015 les moyens dédiés à la culture, compte tenu des réductions des dotations de l’État.
Mettre en exergue le rôle de ces petites villes et proposer une approche des politiques culturelles par territoire pour mieux adapter nos moyens aux besoins, comme le fait notre collègue Annie Genevard, paraît donc pertinent et répond à une vraie nécessité dans le contexte budgétaire actuel.
Enfin, je voudrais dire combien j’ai été sensible aux conclusions du rapport de Sophie Dessus lorsqu’elle insiste sur l’urgence de remettre la beauté et l’innovation au cœur de la création architecturale, en particulier en limitant la multiplication des normes qui poussent à une standardisation de mauvais aloi.
Monsieur le Président, mesdames les rapporteures, je souhaiterais profiter de cette occasion pour savoir si vous avez connaissance, à ce stade, des grandes orientations que Mme la ministre de la culture entend proposer dans le volet architectural qu’elle veut ajouter au projet de loi qui sera présenté au début de l’année 2015. Elle serait bien inspirée de s’appuyer sur les conclusions de la mission d’information sur la création architecturale présidée par notre président, Patrick Bloche.
Mme Isabelle Attard. À mon tour, j’aimerais féliciter nos deux rapporteures pour leur passionnant travail, qui nous oblige à nous poser des questions qui vont bien au-delà du domaine de la culture, en particulier pour ceux d’entre nous qui sont élus de territoires ruraux.
Annie Genevard a souligné la nécessité de cartographier nos territoires afin de fournir des outils d’aide à la décision pour l’attribution de subventions. À cet égard, nous pouvons déplorer que, de manière générale, les services de nos brillantes universités de géographie et des systèmes d’information géographiques, qui existent depuis plus de vingt ans, soient sous-utilisés par les administrations en matière d’aménagement du territoire.
Ces outils doivent permettre de déterminer quelles zones et quels équipements favoriser. Les villes sont suffisamment arrosées et nous avons coutume de dire, au groupe écologiste, qu’il ne faut pas arroser là où c’est déjà mouillé ! Mais en zone rurale, comment orienter l’argent public ? Vous avez cité, madame Genevard, le travail admirable effectué par la DRAC Rhône-Alpes ou encore l’étude fine menée par le CNC sur les salles de cinéma. De telles observations devraient être disponibles pour d’autres équipements : quel temps de trajet pour accéder à une salle de spectacle, une galerie d’art, un lieu d’exposition ?
Je citerai dans ma circonscription l’exemple incroyable du DOC, le Doigt dans l’Oreille du Chauve. Animé par des bénévoles, ce lieu de musiques actuelles repose sur un défi : dans une commune de 325 habitants, attirer des jeunes, pour qu’à leur tour ils attirent des plus âgés et transmettent des savoirs nouveaux. Si le conseil régional de Basse-Normandie a l’intention de subventionner de telles structures, il doit pouvoir s’appuyer sur une bonne connaissance du maillage territorial et savoir quelles distances séparent ce type d’équipement des bourgs les proches et des villes plus importantes.
Votre propos fait écho à la réforme territoriale en cours. Pourquoi, dans le cadre des discussions sur la nouvelle cartographie des régions, n’avons-nous pas sollicité en priorité nos géographes ? Pourquoi n’avons-nous pas procédé à la superposition de cartes produites par les systèmes d’information géographiques ? Croiser les cartes des densités, des bassins d’emploi, des réseaux de transports, des lieux de culture, voilà qui nous aurait permis de procéder à un découpage territorial pertinent tenant compte des réalités des bassins de vie d’aujourd’hui et non de ceux du début des années 1980, voilà qui nous aurait permis de mener une réflexion plus ancrée dans les besoins des Français.
Sophie Dessus, vous avez choisi d’axer votre propos sur la réhabilitation du patrimoine industriel. De manière générale, nous aurons à faire des choix. Nous ne pourrons pas mettre en valeur toutes les anciennes mines de charbon cévenoles. Nous ne pourrons pas non plus sauver toutes les églises et les chapelles de France qui menacent de s’effondrer. Nous sommes tous ici concernés par la rénovation d’un clocher, d’une nef ou d’un chevet, même si, en milieu urbain, le problème se pose moins, les cathédrales relevant de l’État. De quels outils disposerons-nous pour procéder aux choix qui s’imposent ? Quel budget accorderons-nous ? Tout n’est cependant pas une question d’argent, pensons aussi aux idées nouvelles. Dans ma commune de Rosel, il a été ainsi proposé d’utiliser l’église comme salle des fêtes tout en continuant à y célébrer des mariages.
En France, nous manquons cruellement de lieux de création. Toute personne se rendant à Londres, au Leake Street Tunnel, près de la gare de Waterloo, pourra constater ce qu’est la liberté de créer en regardant les artistes s’activer jour et nuit pour peindre des graffs appelés à être remplacés par d’autres le lendemain, à la suite de l’artiste Banksy dont les œuvres sont aujourd’hui cotées à plus de 500 000 euros. Lorsque nous aurons en France des lieux comparables, nous pourrons enfin sentir un libre bouillonnement de créativité. Et comme nous le savons, la culture rapporte déjà à notre pays plus que l’industrie automobile.
M. Rudy Salles. Aux yeux du groupe UDI, la préservation des crédits de la mission « Culture » et la hausse des moyens du ministère de la culture et de la communication pour l’exercice budgétaire 2015 ne feront oublier ni les deux baisses successives subies précédemment ni le reniement de François Hollande qui avait promis, durant la campagne pour les élections présidentielles, que ce budget serait sanctuarisé pendant le quinquennat.
J’ajoute que, pour 2015, les crédits du programme « Création » enregistrent un recul de 12 millions d’euros en crédits de paiement, soit une diminution de 1,7 % sur un an. En outre, comment ne pas souligner, comme le fait notre rapporteure, que la stabilisation globale des crédits cache des évolutions contrastées selon les programmes. Je pense notamment à la réduction sensible des crédits de paiement dédiés au soutien à la création, à la production, et à la diffusion du spectacle vivant pour 2015.
Madame Genevard, vous avez consacré la partie thématique de votre rapport aux inégalités territoriales en matière d’accès à la culture. La lutte contre les déserts culturels constitue un impératif de cohésion sociale. Vous préconisez de rompre avec une approche exclusivement centrée sur les différentes disciplines de la création pour adopter le territoire comme clé d’entrée des politiques culturelles. Comment les priorités de ce programme pourraient-elles traduire ces objectifs l’année prochaine ?
Pour 2015, le programme 175 « Patrimoines », qui préfigure la politique de l’État en matière de patrimoine culturel, connaît une progression de ses crédits de 0,6 %, soit 4,4 millions d’euros de crédits de paiement supplémentaires. Nous ne pouvons que saluer cet effort dans un contexte de tension budgétaire extrême tant le patrimoine, sa préservation et sa valorisation, sont au cœur du rayonnement culturel de la France. Le patrimoine est en effet le visage de l’histoire séculaire de notre pays, l’expression de son génie créatif. Il a façonné nos villes, nos paysages, et incarne notre identité singulière. Il est enfin un moteur de développement économique puisqu’il contribue à renforcer notre attractivité touristique.
Ainsi que notre rapporteure le souligne, la réduction des crédits alloués par l’État demeure préoccupante du fait du désengagement progressif des collectivités territoriales. Ces dernières doivent contribuer à hauteur de 11 milliards d’euros aux 50 milliards d’euros d’économies annoncées dans le cadre du programme de stabilité budgétaire 2014-2017. Ces coupes claires dans les dépenses des collectivités territoriales ne permettent pas de distinguer les dépenses allouées à leur fonctionnement et celles dévolues à la préservation et à la valorisation du patrimoine. L’effort demandé par l’État aux collectivités territoriales apparaît disproportionné au regard des charges toujours plus nombreuses qu’il leur impose d’assumer. Notre groupe craint par conséquent que ce mouvement de désengagement ne s’accentue et ne s’aggrave.
Enfin, nous saluons la possible ouverture sept jours sur sept des musées, annoncée par le Président de la République. Cette mesure présente un intérêt culturel, touristique et économique évident. Aurait-elle un impact sur l’action 3 « Patrimoine des musées de France » qui représente 44,4 % de l’ensemble des crédits du programme finançant notamment la politique de promotion d’un égal accès à la culture ?
M. Jean-Noël Carpentier. Au nom du groupe RRDP, j’exprime ma satisfaction quant à la décision du Gouvernement de vouloir « sanctuariser » les crédits dédiés à la culture dans son ensemble : le soutien à la culture a déjà suffisamment fait les frais du « sérieux budgétaire », pour reprendre une expression que certains affectionnent. Cet engagement financier de l’État doit perdurer dans le temps car la culture est indispensable à une société démocratique.
Je remercie moi aussi nos deux collègues pour la qualité de leurs rapports. Je traiterai principalement de celui consacré par Mme Annie Genevard aux programmes « Création » et « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
Parce que la culture doit être accessible à tous, quelle que soit l’origine sociale ou géographique des personnes concernées, j’ai apprécié le choix de Mme Genevard de consacrer cette année une partie de son rapport aux communes de moins de 10 000 habitants. Parce qu’une grande partie de la population française vit en dehors des grandes métropoles, on comprend l’enjeu que représente l’aménagement du territoire en matière d’équipements culturels dans des zones qui, trop souvent, se sentent légitimement délaissées. Les « failles de l’aménagement culturel du territoire » constatées par l’IGAC doivent être comblées.
S’il est indéniable que, depuis la décentralisation, les collectivités territoriales s’impliquent pour la culture et qu’elles contribuent à la vivacité culturelle de notre pays dans sa diversité, des disparités territoriales dans l’offre culturelle persistent, dues notamment à l’inégalité des implantations des infrastructures – ces disparités existent évidemment dans de nombreux autres domaines. Comme le constate Mme Annie Genevard, plus les équipements de culture sont éloignés du lieu de vie, plus il est difficile de se familiariser avec cette culture. Ni la télévision, ni la radio, ni internet ne peuvent procurer les mêmes sensations que la relation directe avec les arts vivants ou les arts plastiques.
Pour améliorer le réseau des équipements culturels existants, une meilleure répartition des dotations de l’État sur le territoire national paraît indispensable. Une plus grande synergie entre les différentes collectivités locales constituerait également un levier financier efficace. Il faudrait surtout que les collectivités aient les moyens d’investir, ce qui aujourd’hui n’est malheureusement pas évident. L’amélioration de la connaissance de l’offre culturelle dans les territoires ruraux que la rapporteure appelle de ses vœux serait aussi particulièrement utile pour parvenir à l’indispensable mutualisation entre les territoires et mettre en place des projets culturels régionaux.
Dans ce contexte, l’école joue un rôle majeur. Il faut donner envie aux élèves de se rendre à des expositions, de voir des pièces de théâtre, ou encore de se déplacer dans des bibliothèques, et peut-être ainsi réduire un peu la fracture culturelle dont on parle souvent.
De ce point de vue, même si les programmes scolaires ont la responsabilité de l’éducation à la culture, les activités périscolaires mises en place par la réforme des rythmes scolaires, largement décriée par la formation politique à laquelle vous appartenez, madame la rapporteure, constituent une opportunité nouvelle pour donner aux élèves, grâce à l’action des communes, la possibilité de se consacrer à des pratiques culturelles que l’école n’a pas forcément le temps d’organiser.
Si, comme vous le soulignez, le manque d’équipements culturels dans certaines zones du territoire est problématique, ne pensez-vous pas qu’une relation plus étroite entre les élus locaux, l’État et l’institution scolaire en matière de pratiques culturelles permettrait une fréquentation plus régulière des infrastructures culturelles déjà existantes, même si elles sont un peu éloignées géographiquement ?
Mme Marie-George Buffet. Madame Genevard, votre rapport pose fort justement la question de l’aménagement équilibré du territoire et de l’accès de tous et partout à la culture. Les fractures territoriales existent bien. Vous l’avez rappelé, 60 % de nos compatriotes vivent dans une France « périphérique ». En Île-de-France, entendre parfois parler des communes situées « au-delà du périphérique » n’est-il pas le symptôme d’une sorte de relégation ? Le sentiment d’abandon se nourrit du manque d’équipements sur ces territoires – cela ne concerne évidemment pas le seul secteur culturel mais également le sport, les transports et de nombreux autres services.
Si la volonté politique est bien l’élément fondateur de la politique culturelle d’une collectivité locale, cette dernière ne peut agir sans disposer de moyens. Or la baisse de la dotation globale de fonctionnement obligera les communes à effectuer certains arbitrages dont je crains qu’ils ne soient pas favorables à la culture.
La réforme territoriale constitue également un enjeu. Je m’interroge notamment sur le rôle des métropoles. À mon sens, la question du découpage est moins importante que celle des compétences qui doivent être partagées.
Au-delà de cette réforme, pour assurer la cohésion de notre République, nul n’est mieux placé que l’État à qui il revient d’assurer l’accès de tous à la culture. Le ministère doit donc jouer son rôle, et les DRAC doivent disposer de moyens pour agir et corriger les inégalités – la réduction de leurs crédits dans les deux précédents budgets les a empêchées de soutenir de nombreux équipements locaux comme les conservatoires.
Le patrimoine des XIXe et XXe de notre pays doit être regardé sans nostalgie. Il ne faut pas faire comme si l’histoire industrielle ou minière de la France était seulement derrière nous. De grandes choses peuvent sortir de ce passé et pourraient se situer dans sa continuité. Construit en 1932 par les mineurs eux-mêmes, le vélodrome des Taillades à seize kilomètres d’Alès vit ainsi, depuis quelques années, une nouvelle jeunesse, en partie grâce aux crédits débloqués par la préfecture pour la réhabilitation des friches industrielles. Si la reconversion culturelle peut constituer une solution, le ressort vers l’avenir peut aussi être industriel et économique, comme ce fut le cas pour les Grands moulins de Pantin qui ont retrouvé une activité de service créatrice d’emplois après l’arrêt de la minoterie, mais aussi de la ville de La Courneuve qui a su installer sur ses friches industrielles divers services, administrations, et centres de production.
M. Hervé Féron. Nos rapporteures ont fait un excellent travail ; il leur manque seulement peut-être d’avoir visité, en Meurthe-et-Moselle, la commune de Tomblaine, dont je suis le maire : son projet urbain a permis la requalification d’une friche industrielle que je les invite à découvrir.
À la lecture d’une grande enquête menée en 2010 par le magazine Télérama, intitulée Comment la France est devenue moche, nous constations que les paysages français avaient beaucoup changé ces trente dernières années du fait de la multiplication des zones commerciales et industrielles à l’entrée des villes. Ces constructions modernes faisant la part belle aux halles et autres hangars disgracieux seraient le fait de l’avènement du consumérisme de notre société, mais aussi de décisions politiques. S’il est sûr que nous « libérerons » la création artistique et architecturale en simplifiant les normes qui pèsent sur elles, pensez-vous que cela suffise à endiguer cette tendance de long terme d’enlaidissement d’un territoire sur lequel se sont bâtis non seulement le renom touristique et pittoresque de la France, mais aussi sa légende de pays de l’art de vivre ?
Madame Dessus, en lisant votre projet de rapport, qui ne laisse aucun doute concernant l’intérêt de la valorisation du patrimoine industriel français, je n’ai pu m’empêcher de penser aux expositions universelles. Comme vous le savez, une mission d’information a travaillé à l’Assemblée nationale sur les enjeux et la faisabilité du projet de l’accueil en France de l’exposition universelle de 2025. Hier, alors que notre commission examinait les avis budgétaires relatifs à l’enseignement supérieur et à la recherche, les députés membres de cette mission d’information adoptaient le rapport qui sera bientôt transmis au Gouvernement. Vos travaux, madame la rapporteure, me font tout particulièrement penser à ce projet car l’un des axes envisagés consiste à utiliser exclusivement les infrastructures existantes sans procéder à aucune nouvelle construction. La valorisation du patrimoine industriel aurait donc toute sa place dans une future exposition universelle. Comme le dit M. Jack Lang, que vous citez, « notre pays a la chance extraordinaire d’être un manuel d’histoire de l’art et de l’architecture à ciel ouvert » et « nul besoin d’effacer des pages pour écrire un nouveau chapitre ». Quel est votre avis sur ce sujet ?
M. Christian Kert. Mme Sophie Dessus semble avoir été sensible au charme romantique et galvanisant de M. Rudy Ricciotti dont elle reprend les propos enflammés. Élu d’une circonscription proche de Marseille, je relève que cet architecte n’est pas le plus à plaindre en matière de commande publique !
Mme Sophie Dessus, rapporteure pour avis. Il en est d’autant plus crédible !
M. Christian Kert. Je m’interroge sur l’initiative publique que nos deux rapporteures appellent de leurs vœux. Alors qu’une réforme territoriale est en cours, Mme Marie-George Buffet a raison de poser la question en termes de compétences : à quel niveau de collectivité faut-il agir ? Une réglementation plus contraignante est-elle nécessaire comme semble le suggérer Mme Dessus ? Une cartographie des zones blanches de la culture, telle que la souhaite Mme Genevard, doit-elle se traduire par une politique incitative ou par de nouvelles obligations imposées aux collectivités ? Les rapporteures peuvent-elles nous en dire plus ?
M. Stéphane Travert. Je me félicite de la sanctuarisation du budget de la culture pour l’année 2015 après deux exercices budgétaires au cours desquels le secteur culturel a fortement contribué au redressement économique de notre pays.
Mon propos se concentrera sur le rapport de Mme Sophie Dessus relatif au programme 175 « Patrimoines ». Madame la rapporteure, vous traitez en particulier de la reconversion du patrimoine industriel des XIXe et XXe siècles. Ce sujet, plus que jamais d’actualité, incite à poser de nombreuses questions. Comment redonner vie à des lieux de production industrielle parfois situés en périphérie de nos villes et délaissés ? Comment les intégrer au cœur du tissu culturel et inviter les publics à les découvrir sous un nouveau jour ? Comment leur redonner de l’éclat, et transmettre cet héritage passé en le renouvelant sans pour autant le dénaturer ?
Dans votre projet de rapport, vous nous proposez un historique de l’intérêt croissant pour ces lieux depuis les années 1970 ainsi que des exemples de reconversion réussie : le Lieu Unique à Nantes, le Centquatre à Paris… Il existe aujourd’hui de nombreux lieux de dimensions très diverses sur tout le territoire, destinés à différents usages culturels comme des lieux d’exposition – je pense aux Abattoirs à Toulouse qui ont conservé un nom en lien avec l’ancienne fonction du site –, ou encore des lieux de concerts, comme le Channel de Calais.
Vous proposez la « recette idéale » d’une reconversion réussie. À vous lire, on comprend que lorsque les parties prenantes, l’architecte, les élus, les porteurs de projet, s’inscrivent dans une dimension transversale des politiques publiques prenant en compte, non seulement l’aspect culturel d’une reconversion, mais aussi son versant économique et social, elles peuvent agir pour le désenclavement des zones réinvesties, auparavant délaissées.
Ne pensez-vous pas qu’au-delà même d’une volonté architecturale et d’un projet culturel, une politique d’aménagement du territoire incitative doit accompagner ces projets culturels afin que la « greffe prenne » et que ces lieux rencontrent tous les publics ?
M. Paul Salen. La réforme territoriale constitue un réel sujet d’inquiétude pour la conservation du patrimoine. Dans le département de la Loire, où je suis élu, le conseil général est propriétaire de sites remarquables qui sont certes une véritable richesse pour le territoire mais aussi un gouffre financier. Lorsque le conseil général aura disparu, qui financera l’entretien de ce patrimoine qui ne se situe pas sur le territoire d’une communauté d’agglomération ? Mme Sophie Dessus peut-elle nous rassurer sur ce sujet ?
M. William Dumas. Les Cévennes qui disposent d’un patrimoine minier exceptionnel ont depuis longtemps entrepris de réhabiliter des friches industrielles. Une mine témoin a été créée à Alès, et le puits Ricard, dernier puits en service du bassin houiller cévenol, a été classé monument historique en mai 2008. Les touristes nombreux découvrent notre riche passé dans le musée du mineur situé à côté de ce puits.
En tant que président de l’établissement public de coopération culturelle (EPCC) du Pont du Gard, je ne peux que me féliciter de l’augmentation des crédits du programme 175 « Patrimoines » dans un contexte économique et budgétaire difficile.
La question se pose cependant du désengagement progressif des collectivités locales, véritables cofinanceurs de la culture aux côtés de l’État. Depuis 2010, les départements n’ont eu d’autres choix que de se concentrer sur leurs compétences obligatoires. Il est aujourd’hui urgent de stabiliser les crédits alloués à la protection du patrimoine monumental. Les différents acteurs ont besoin de visibilité à moyen et long terme.
Je me félicite de l’engagement fort en faveur de l’Institut de recherches archéologiques préventives (INRAP). Cet opérateur public unique intervient sur tout le territoire en s’intéressant à toutes les périodes de l’histoire. Il permet de sauvegarder notre patrimoine historique.
Défenseur des langues régionales qui constituent un élément du patrimoine culturel national, je suis satisfait de constater la progression des crédits de l’action 7 « Patrimoine linguistique ».
Mme Martine Martinel. Madame Genevard, votre passionnant rapport aurait sans doute pu faire une place plus grande au rôle des centres dramatiques nationaux (CDN), subventionnés à la fois par l’État et les collectivités territoriales avec lesquelles ils nouent des partenariats. Une décentralisation à plusieurs échelles se met ainsi en place.
Madame Dessus, en conclusion du projet de rapport qui nous a été remis, vous associez les propos de M. Rudy Ricciotti à ceux de M. Jack Lang qui semblent s’inquiéter de l’inflation des normes à l’origine d’un mauvais goût standardisé. Vous laissez le dernier mot à René Char, citant Les feuillets d’Hypnos : « Toute la place est pour la beauté. » Selon vous, les normes entravent-elles nécessairement la beauté architecturale ?
Mme Annie Genevard, rapporteure pour avis. Je reviendrai demain soir, lors de la réunion de la commission élargie, sur les questions strictement budgétaires que certains d’entre vous ont soulevées.
Madame Bouillé, je ne peux qu’adhérer à l’idée des projets culturels de territoire qui se fondent sur l’approche territoriale que je recommande. La méthode mise en œuvre par la DRAC de Rhône-Alpes, grâce à la merveilleuse énergie de M. Jean-François Marguerin, directeur régional des affaires culturelles devrait servir d’inspiration.
Si je reconnais que l’approche cartographique est a priori un peu aride, j’estime, comme vous, madame Attard, que, de façon générale, les politiques publiques n’explorent pas assez l’extraordinaire potentiel des systèmes d’information géographique. La superposition des données révèle des informations précieuses et les explorations en ce domaine devraient être poursuivies.
Monsieur Carpentier, vous avez raison : rien ne remplace le contact direct avec les œuvres. Cette rencontre rend nécessaire une meilleure allocation des ressources sur tout le territoire. L’école doit évidemment jouer un rôle pour réduire la fracture culturelle. Nous n’avons jamais remis en cause le bien-fondé de l’éducation artistique et culturelle – élue de Morteau, j’ai mis en place il y a plus de quinze un partenariat culturel avec les écoles –, ni même celui de l’esprit de la réforme des rythmes scolaires que vous évoquiez. Ses modalités de mises en œuvre nous ont en revanche paru poser des problèmes, notamment en ce qui concerne le financement des activités périscolaires.
Pour réduire les failles territoriales, la question des transports, citée par Mme Marie-George Buffet, est essentielle. Le travail du Commissariat général à l’égalité des territoires sur l’accessibilité des équipements montre combien la cartographie dynamique peut être utile. Les distances ne se mesurent pas seulement en nombre de kilomètres : un lieu apparemment isolé mais correctement relié par les transports peut rayonner sur une vaste aire géographique, contrairement à un lieu qui se trouverait à proximité de tout mais se révélerait difficilement accessible. Comme Mme Buffet, je suis favorable aux compétences partagées, mais il ne faut pas que l’arbre cache la forêt. Détenir une compétence et ne pas pouvoir l’exercer est à mon sens presque pire que de ne pas du tout disposer de cette compétence. L’État doit évidemment demeurer un pilote actif des politiques, notamment en région. Enfin, je suis moi aussi convaincue que les friches industrielles doivent d’abord rechercher leur avenir dans la sphère économique mais je ne veux pas trop empiéter sur le domaine de ma collègue rapporteure.
Madame Martinel, dans ma ville, l’accueil des spectacles du CDN ne coûtent pas moins cher sous prétexte qu’ils viennent d’un lieu plus proche de nous que s’ils avaient été montés à Paris. L’ « itinérance » depuis les scènes labellisées doit être privilégiée mais elle ne peut constituer l’alpha et l’oméga d’une politique culturelle. Les CDN n’en sont d’ailleurs pas si friands car elle est également onéreuse pour eux. Il faut que les collectivités locales aient le choix entre des spectacles provenant de plusieurs lieux. Je note que le ministère est aujourd’hui dans l’incapacité de faire le tri entre les spectacles de CDN joués dans d’autres CDN, et ceux qui se donnent dans des communes ne disposant pas de cette structure. À nouveau, il est clair qu’il faut affiner le recueil de données relatives à la vie culturelle en France. Nous manquons d’outils d’analyse qui permettraient de mieux ajuster les politiques publiques.
Mme Sophie Dessus, rapporteure pour avis. À l’ère du recyclage, il n’est pas absurde de souhaiter que le patrimoine évolue et qu’il poursuive sa vie. Il serait vain de tout démolir en espérant faire mieux ; il est préférable de construire sur les fondements solides du passé. Ce n’est pas une question de nostalgie !
Je n’ai évoqué que les sites industriels anciens utilisés à des fins culturelles parce qu’ils se trouvent précisément dans un environnement qui ne permet plus d’en faire un usage marchand et productif dans la vie économique moderne. Imagine-t-on aujourd’hui de réinstaller une usine fabriquant du papier, avec toutes les pollutions et nuisances qu’elle génère, au cœur d’un bourg au bord de l’eau comme on le faisait autrefois ? La Papeterie à Uzerche a pris le relais sur un lieu où l’économie n’a pas pu reprendre ses droits. Cela dit, ces lieux culturels deviennent créateurs d’emplois et irriguent aussi la vie économique.
S’il est vrai que la volonté politique constitue l’une des clés de la réussite en matière de traitement du patrimoine, M. Michel Herbillon s’est peut-être introduit un peu rapidement dans une brèche de mon intervention relative au Centquatre. Je ne faisais que citer les propos de l’un des coordonnateurs du projet. Simplement, ce site ne fonctionne peut-être pas aussi bien que certains autres…
M. Michel Herbillon. Mme Dessus a le sens de la litote !
Mme Sophie Dessus, rapporteur pour avis. Pour paraphraser Jean Jaurès – cité désormais par tous –, je dirai qu’il faut aller à l’idéal en passant par le réel. Le Centquatre marche malgré tout ! J’ai évoqué le problème des coûts ; il est certain qu’il est plus facile de surveiller un architecte et un chantier en milieu rural que dans une immense collectivité.
M. Michel Herbillon. C’est une question de volonté politique !
Mme Sophie Dessus, rapporteure pour avis. C’est vrai, et je l’ai dit : la complémentarité avec les élus est essentielle.
J’ai été interrogée sur l’impact de l’éventuelle disparition des conseils généraux sur le patrimoine qu’ils gèrent, des bâtiments les plus emblématiques d’un département jusqu’aux moulins, aux petits ponts ou aux fours à pain qui constituent notre histoire. Il semble d’abord que ce niveau de collectivité ne disparaîtra pas totalement en milieu rural, comme le Premier ministre l’a indiqué hier au Sénat. Il faut ensuite insister sur le fait que les pouvoirs publics locaux ne sont pas seuls à lutter pour préserver le patrimoine. Des instances comme le conseil d’architecture d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) continueront d’aider gratuitement les petites communes. Il ne faut pas non plus négliger le mécénat qui a un rôle important à jouer, notamment grâce à la Fondation du patrimoine.
La différence de coûts entre la réalisation du Lieu unique à Nantes et celle du Centquatre à Paris a plusieurs explications. Il est évidemment essentiel de veiller à éviter tout débordement des budgets. Il faut aussi globalement les réduire en remettant à plat certaines des normes en vigueur parfois très coûteuses pour ne conserver que celles qui sont indispensables. Pour certaines d’entre elles, les prescripteurs ne sont autres que les agents économiques qui y trouvent un intérêt – dans un autre domaine, les fabricants d’alcootests étaient les premiers à inciter le législateur à les rendre obligatoires dans tous les véhicules.
Les normes sont-elles un obstacle à la beauté architecturale ? Elles ont, en tout état de cause, couvert notre pays de ronds-points magnifiquement décorés de leurs amphores de style, de leurs fausses ruines ou de voitures calcinées. Nous frisons le ridicule sans même nous en apercevoir ! Pour le prix d’un rond-point, soit 500 000 à 800 000 euros, ne ferait-on pas mieux de financer la réhabilitation du patrimoine ? La ministre nous répondra demain, mais le seul fait que le patrimoine ne soit pas relégué dans un texte autonome, et que le prochain projet de loi qu’elle nous présentera porte à la fois sur la liberté de création, sur l’architecture et sur le patrimoine montre une évolution très positive. Évidemment, il ne s’agit que d’un premier pas et du chemin reste à faire : il nous faudra traiter des plans locaux d’urbanisme (PLU), des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP), et simplifier la réglementation en vigueur sans oublier la mission protectrice de la puissance publique.
Monsieur Hervé Féron, il serait merveilleux de faire revivre lors d’une future exposition universelle en France des sites dont l’appartenance à notre patrimoine vient d’être reconnue. En leur apportant une touche contemporaine, il serait aisé de montrer que le XXIe siècle hérite du passé et construit aussi le patrimoine du futur.
M. le président Patrick Bloche. Je remercie vivement nos deux rapporteures pour l’énergie avec laquelle elles nous ont présenté un travail approfondi et passionnant.
Même si j’évite dans cette commission de me référer à mon département d’élection, je signale tout de même que le Centquatre a déjà eu deux vies. Le deuxième Centquatre dirigé par M. José-Manuel Gonçalvès, dont la renommée est internationale, n’est plus celui de la première période.
À l’issue de l’audition, en commission élargie, de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation examine, pour avis, les crédits pour 2015 de la mission « Culture ».
M. le président Patrick Bloche. Mesdames les rapporteures, pouvez-vous nous donner votre avis sur les crédits de la mission « Culture » pour 2015 ?
Mme Annie Genevard, rapporteure pour avis. Mon avis est défavorable, monsieur le président.
Mme Sophie Dessus, rapporteure pour avis. Pour compenser, mon avis sera très favorable !
M. le président Patrick Bloche. Merci. Je consulte donc maintenant la commission sur les crédits 2015 de la mission « Culture ».
La Commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Culture ».
ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS
Ministère de la Culture :
Ø Direction générale de la création artistique –M. Michel Orier, directeur général, Mme Laurence Tison-Vuillaume, chef de service, adjointe au directeur général de la création artistique, et M. Alain Brunsvick, chef du département des publics et de la diffusion
Ø Secrétariat général – Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) – M. Xavier Niel, chef du département, et M. Jean-Cédric Delvainquière, chargé des études sur les questions relatives au financement de la culture et sur les aspects territoriaux des politiques culturelles
Ø Secrétariat général - Département de l’éducation et du développement artistiques et culturels (DEDAC) – Mme Isabelle Dufour-Ferry, chargée de mission culture-territoires ruraux
Ø Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de Rhône-Alpes – M. Jean-François Marguerin, directeur régional
Ø Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de Rhône-Alpes, M. Christian Chemin, conseiller pour l’action culturelle
Ø Direction régionale de l’action culturelle (DRAC) de Basse-Normandie –Mme Ariane Le Carpentier, conseillère pour le développement culturel
Ø Ministère de l’agriculture – Direction de l’enseignement et de la recherche – M. Philippe Schnabele, directeur général adjoint, et M. Emmanuel Hemery, chef du bureau de la vie scolaire, étudiante et de l’insertion
Ø Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) – service des systèmes territoriaux et de l’accès aux services – pôle de l’égalité d’accès aux services publics et aux publics – M. Baptiste Laplaze, chargé de mission
Ø Observatoire des politiques culturelles – M. Jean-Pierre Saez, directeur
La rapporteure pour avis a en outre reçu une contribution écrite de l’Association des petites villes de France (APVF).