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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2014.
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2015,
MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES
LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES
Par M. Rudy SALLES,
Député.
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Voir le numéro : 2234, 2260 (annexe n° 32).
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS EN FAVEUR DU LIVRE ET DES INDUSTRIES CULTURELLES 7
I. L’ACTION « LIVRE ET LECTURE » 7
A. LE SOUTIEN À LA LECTURE ET À LA CHAÎNE DU LIVRE : ASSURER LA TRANSMISSION DU SAVOIR 8
3. Soutenir la chaîne du livre 11
B. MAINTENIR UN ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE ENTRE TOUS LES ACTEURS 14
II. L’ACTION « INDUSTRIES CULTURELLES » 15
A. LE CINÉMA 15
B. LA HAUTE AUTORITÉ POUR LA DIFFUSION DES œUVRES ET LA PROTECTION DES DROITS SUR INTERNET (HADOPI) 17
C. LA MUSIQUE ENREGISTRÉE 18
DEUXIÈME PARTIE : LE JEU VIDÉO : UN ENJEU CULTUREL ET ÉCONOMIQUE 21
I. UN SECTEUR NOUVEAU ET DYNAMIQUE DANS LE PAYSAGE DES INDUSTRIES CULTURELLES 21
A. LE DERNIER NÉ DES PRODUITS CULTURELS 21
B. UN SECTEUR AU SAVOIR-FAIRE RECONNU 26
a. Le crédit d’impôt pour les dépenses de création de jeu vidéo 27
b. Le fonds d’aide au jeu vidéo 29
c. Les dispositifs non spécifiques 30
II. UN SOUTIEN REPENSÉ FACE AUX MUTATIONS DU SECTEUR 31
A. UN SECTEUR EN MUTATION 32
B. UN SOUTIEN REPENSÉ 34
1. Adapter le crédit d’impôt à l’évolution des jeux 34
2. Accroître l’accès aux aides transversales 35
a. Les aides liées à la recherche 36
b. Les aides liées à l’innovation 36
c. Les aides liées à la compétitivité 37
3. Résoudre la question du financement et répondre à la sous-capitalisation des entreprises 37
TRAVAUX DE LA COMMISSION 41
ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 71
DÉPLACEMENT EFFECTUÉ PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 72
Créé en loi de finances initiale (LFI) pour 2011, le programme 334 Livre et industries culturelles de la mission « Médias, livre et industries culturelles » comprend deux actions.
La première, Livre et lecture, a pour objectif de favoriser le développement de la création littéraire, d’encourager la pratique de la lecture et de soutenir la chaîne du livre qui est composée d’intervenants aussi divers que les auteurs, les éditeurs, les libraires ou les bibliothèques. Cette action permet d’assurer une meilleure visibilité aux crédits consacrés à la politique publique en faveur du livre et de la lecture, qui étaient éclatés auparavant au sein de la mission Culture.
La seconde action, Industries culturelles, finance les politiques transversales en faveur du développement des industries culturelles comme le cinéma, le jeu vidéo ou la musique enregistrée, ainsi que la lutte contre le piratage des œuvres culturelles en ligne, par l’intermédiaire d’une autorité publique indépendante. Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) est rattaché cette année au programme.
Le Rapporteur a choisi, cette année, de consacrer la deuxième partie de son rapport au jeu vidéo.
L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances fixe au 10 octobre la date butoir pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.
À cette date, 100 % des réponses étaient parvenues.
PREMIÈRE PARTIE :
L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS EN FAVEUR DU LIVRE ET DES INDUSTRIES CULTURELLES
Pour 2015, 271,5 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 268,5 millions d’euros en crédits de paiement (CP) seront alloués au programme 334 Livre et industries culturelles, contre 315,5 millions d’euros d’AE et 261,7 millions d’euros de CP en LFI pour 2014. 96,7 % des crédits sont consacrés à l’action Livre et lecture.
RÉPARTITION DES CRÉDITS PAR ACTION
(en euros)
LFI 2014 |
PLF 2015 |
Évolution en % | ||||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP | |
Action 1 « livre et lecture » |
305 063 600 |
251 269 700 |
261 225 635 |
258 252 519 |
– 14,4 |
3 |
Action 2 « industries culturelles » |
10 582 568 |
10 528 568 |
10 302 140 |
10 302 140 |
– 2,2 |
– 2 |
Total |
315 592 168 |
261 798 268 |
271 527 775 |
268 554 659 |
– 14 |
3 |
Source : questionnaire budgétaire.
Malgré le contexte budgétaire restreint, les crédits de paiement du programme augmenteront (+3 %) essentiellement au bénéfice du livre et de la lecture, tandis que les autorisations d’engagement connaîtront une forte diminution (- 14 %).
Pour 2015, 261,2 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 258,2 millions d’euros en crédits de paiement (CP) seront alloués à cette action contre 305 millions d’euros d’AE et 251,2 millions d’euros de CP en LFI pour 2014, soit une diminution de 14,4 % des autorisations d’engagement mais une augmentation de 3 % des crédits de paiement.
Ces évolutions reflètent l’état d’avancement des travaux de rénovation de la Bibliothèque nationale de France sur le quadrilatère Richelieu.
En 2013, le montant budgété pour cette opération en AE avait été moindre qu’initialement prévu, soit 6,8 millions d’euros, tandis qu’en 2014 64 millions d’euros en AE avaient été programmés en raison de travaux supplémentaires, liés à la découverte d’amiante et de plomb. Cette année, la fin de la première tranche des travaux permettra une réouverture au public.
La sous-action Développement de la lecture et des collections bénéficie de 11,7 millions d’euros dont 1,4 million d’euros de crédits centraux et de 10,3 millions d’euros en crédits déconcentrés au titre des dépenses d’intervention.
Afin d’encourager la pratique de la lecture et, indirectement, de contribuer à lutter contre l’illettrisme, l’État mène des opérations expérimentales en lien avec les collectivités territoriales.
Les contrats territoires-lecture, qui ont pris la suite des contrats ville-lecture, se développent avec succès depuis trois ans. En septembre 2014, 73 contrats sont en vigueur.
Ces contrats prennent la forme de partenariats pluriannuels (sur trois ou quatre ans) entre l’État, les collectivités territoriales (départements, communes ou établissements publics de coopération intercommunale) et des acteurs associatifs ou parapublics autour d’actions ciblées sur le développement de la lecture publique.
L’État verse une subvention aux collectivités territoriales, via les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), selon une convention établie entre les deux partenaires. Elle peut aller de 10 000 euros à 20 000 euros. Ce financement n’est pas pérenne mais joue un rôle d’impulsion. En 2014 ce soutien s’est élevé à près de 1,3 million d’euros.
Par ailleurs, l’État subventionne les très nombreuses associations qui s’investissent pour développer le goût pour la lecture auprès de publics défavorisés ou empêchés et aider ainsi à leur insertion sociale.
La France dispose d’un réseau dense et actif de 7 100 bibliothèques, répartie sur tout le territoire.
Selon les données d’activités des bibliothèques municipales recensées en 2011, 55 millions de Français peuvent accéder à un établissement de lecture publique et 83 % ont accès à une bibliothèque.
À l’exception de la Bibliothèque nationale de France (BnF) et de la Bibliothèque publique d’information (BPI), opérateurs de l’État, le réseau des bibliothèques est géré par les collectivités territoriales et principalement par les communes.
Néanmoins, l’État conserve un pouvoir d’impulsion et d’accompagnement dans le domaine de la lecture publique, en apportant son concours financier et technique aux bibliothèques.
Son soutien financier s’exerce à travers le versement, chaque année, du concours particulier de la dotation générale de décentralisation (DGD) affectée aux investissements dans les bibliothèques, d’un montant de 80,4 millions d’euros en 2014, reconduit en 2015 (1). Cette dotation a été réorientée afin de lutter contre la fracture numérique et encourage les bibliothèques à s’adapter aux nouvelles technologies.
Les crédits accordés à la Bibliothèque nationale de France (BnF) en 2015 seront en légère progression (+ 1,6 %), s’élevant à 206,8 millions d’euros en CP contre 203,4 millions d’euros en CP en LFI pour 2014. La subvention de l’État qui s’élève à 188,8 millions d’euros est reconduite, tandis que les dotations en fonds propre augmentent passant de 14,6 millions d’euros en 2014 à 18 millions en 2015.
Le plafond d’emploi sera en baisse, 18 ETP étant supprimés et passera de 2 287 ETP en 2015 contre 2 335 ETP en LFI pour 2014.
Comme l’année précédente, une partie des crédits est consacrée à la rénovation du quadrilatère Richelieu. Initiée en 2011 afin de mieux accueillir les chercheurs et de moderniser l’accès aux collections, cette opération doit s’étaler sur six années. Le coût total estimé à 211 millions d’euros en 2011 a été réévalué en 2014 à 218,7 millions d’euros. Le Rapporteur souhaiterait relever et déplorer que les dépenses de ce programme progressent régulièrement, notamment en raison de travaux imprévus de désamiantage. En effet, en 2012, le montant global avait déjà été réévalué à 212,8 millions d’euros et en 2013 à 217,8 millions d’euros.
Cette rénovation est financée conjointement par les ministères de la culture et de la communication pour 176 millions d’euros et par celui de l’enseignement supérieur et de la recherche pour 42,7 millions d’euros. Le programme 334 doit, pour sa part, participer à hauteur de 141,9 millions d’euros en CP. 73,5 millions d’euros en CP dont 12 millions de fonds de concours ont déjà été engagés sur la période 2011-2014.
13,2 millions d’euros en CP sont budgétés dans le projet de loi de finances pour 2015.
BUDGET DE LA RÉNOVATION DU QUADRILATÈRE RICHELIEU
(en millions d’euros en 2014)
Aménagement |
177,600 |
– Coût initial |
149,140 |
– Avenant 1 : actualisation du coût initial |
28,460 |
Clos et couvert (avenant 3) |
26,720 |
Façades (avenant 3) |
6,700 |
Coût initial (actualisé) |
211,020 |
Aménagement |
7,295 |
– Avenant 2 : étude escalier |
0,103 |
– Avenant 4 : travaux CNMH |
0,880 |
surcoût du 65 rue de Richelieu |
0,765 |
programmation muséographique |
0,050 |
– Avenant 5 : surcoût du 65 rue de Richelieu |
0,167 |
– Avenant 6 : amiante et plomb |
4,600 |
études muséographiques |
0,200 |
– Avenant 7 : restauration façade Labrouste |
0,400 |
surcoût du 65 rue de Richelieu |
0,130 |
Surcoûts |
7,295 |
Coût final |
218,315 |
Source : questionnaire budgétaire.
Cet établissement public a relevé le défi de l’adaptation aux nouvelles technologies et a commencé la numérisation des œuvres détenues dans ses collections afin de les rendre accessibles au plus grand nombre. En juillet 2014, le projet Gallica contient 3 millions d’ouvrages. En 2013, 350 000 monographies ont ainsi été mises en ligne et 375 000 le seront en 2014. Le site internet Gallica a trouvé son public puisqu’il a enregistré 8,1 millions de visites en juillet 2013, en progression de 33 % par rapport à la même période de 2012. Le Centre national du livre contribuera à la numérisation à hauteur de 7 millions d’euros en 2013.
Un nouveau contrat de performance a été signé pour la période 2014/2016 qui fixe trois priorités :
– garantir l’accès aux collections ;
– partager ses richesses et son savoir-faire ;
– optimiser ses ressources.
La BPI, établissement public administratif, est une composante du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou. Dotée d’un statut spécifique, elle n’a pas d’activité de prêt et se concentre sur l’accès gratuit à ses collections, à des services de médiation en faveur des lycéens, des demandeurs d’emploi ou des personnes handicapées et accompagne les bibliothèques municipales dans la transition numérique.
La subvention pour charges de service public augmentera de 1,4 % par rapport à 2014 et s’élèvera pour 2015 à 6,7 millions d’euros. La dotation en fonds propres est maintenue à 375 812 euros. La BPI disposera donc de 7,1 millions d’euros de crédits.
64 ETP seront budgétés en 2015, soit une très légère diminution d’un emploi par rapport à la LFI pour 2014. Il convient de noter qu’en 2013, tous ces postes n’ont pas été pourvus, la BPI comptant seulement 56 ETP.
Depuis 2011, le nombre d’entrées a augmenté de 2 %, passant de 1 508 620 entrées en 2011 à 1 540 000 en 2013. Cette progression s’est interrompue l’année dernière avec une baisse de 1 460 000 entrées, notamment en raison de l’allongement de la durée moyenne de la présence des visiteurs à la bibliothèque.
Une réflexion a été menée en mars 2012, dans le cadre du projet de rénovation de l’établissement, autour de deux axes :
– le contenu : un programme intitulé « Lire le monde » vise à mettre en place des départements documentaires autour de trois thèmes, comprendre le monde (le savoir classique), imaginer le monde (le savoir artistique, culturel) et vivre le monde (le savoir pratique). Ce projet a pour ambition de diversifier le public et les usages de la BPI et de valoriser son expertise dans le domaine de la médiation ;
– les espaces : une entrée commune avec le musée sur la place devrait être créée afin d’augmenter la superficie et d’ouvrir la bibliothèque de façon plus large.
À ce titre, les travaux de réaménagement de l’accueil du public ont été estimés à 9 millions d’euros. 10 millions d’euros d’autorisations d’engagement ont donc été budgétés dans le présent projet de loi de finances et 3 millions de crédits de paiement sont prévus sur la période 2016-2017. Un maître d’œuvre devrait être choisi cette année.
Le soutien à la politique en faveur du livre passe par un opérateur de l’État, le Centre national du livre (CNL), établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de la culture et de la communication. Sa mission consiste à encourager la création, l’édition et la diffusion des œuvres littéraires et scientifiques.
Le budget du Centre s’est élevé à 36,4 millions d’euros en 2013 et son budget prévisionnel pour 2014 serait de 36 millions d’euros (2).
98 % des recettes du CNL proviennent du produit de deux taxes qui lui sont affectées :
– une taxe de 0,20 % est due par les éditeurs en fonction de leurs ventes d’ouvrages en librairie. Elle a rapporté presque 5,2 millions d’euros en 2013 et serait estimée à 5,3 millions d’euros en 2014 ;
– la taxe relative aux appareils de reprographie, de reproduction et d’impression est perçue à hauteur de 3,25 % sur toute vente de ces appareils. 29,4 millions d’euros ont ainsi été prélevés en 2013 et seraient perçus en 2014.
Ces deux taxes ont été plafonnées par la loi de finances pour 2012 (3), à hauteur de 5,3 millions d’euros pour la taxe sur l’édition et 29,4 millions d’euros pour la taxe sur le matériel de reproduction. De plus, ce plafonnement reconduit en 2015 est appliqué avant le prélèvement des frais de gestion qui représentent 1,2 million d’euros, amoindrissant d’autant les recettes du Centre, qui au final s’élèvent à 33,5 millions d’euros.
Le nombre d’emplois restera stable en 2015 avec 66 emplois en 2015 dont 16 ETPT pris en charge sur le budget du ministère de la culture et de la communication.
Les missions du CNL sont multiples et couvrent tout le champ de la chaîne du livre.
Dans le domaine de la création, le CNL attribue des bourses d’écriture, des crédits de traduction, de préparation ou des crédits de résidence à des auteurs reconnus. En 2013, ces aides se sont élevées à 2 millions d’euros et ont bénéficié à 253 auteurs, en augmentation par rapport à 2012 où ces aides s’étaient élevées à 1,8 million d’euros.
Dans le domaine de l’édition, le CNL peut accorder des subventions à la traduction et à des publications. En 2013, elles se sont élevées à 5,8 millions d’euros pour 1 391 bénéficiaires, en progression par rapport à 2012 où 5,3 millions d’euros avaient été attribués à 1 431 projets, il est vrai plus nombreux.
S’agissant du soutien au numérique, 7,6 millions d’euros ont été distribués.
L’accent a été mis sur les aides à la diffusion dont fait partie le plan librairie, qui représente désormais 31 % de son budget d’intervention en valeur pour 2013. Ces dispositifs seront détaillés ci-dessous.
La France peut s’enorgueillir d’avoir su préserver un réseau dense de près de 2 500 librairies indépendantes dont 538 disposent d’un label de qualité « librairie indépendante de référence » (LIR). Néanmoins, ainsi que Mme Sonia Lagarde dans son avis budgétaire pour 2013 (4) l’avait relevé, ce réseau est menacé à la fois par l’arrivée de nouveaux modes de diffusion du livre (vente en ligne, livre numérique) et par une chute de la rentabilité de leur modèle économique. La part de marché des librairies indépendantes continue de diminuer, passant de 19 % en 2012 à 17 % en 2014 (5).
La diffusion de la vente de livre par internet connaît une forte progression. Si, en 2000, 1 % des achats s’effectuait en ligne, en 2013 18 % des ventes s’effectuent par ce biais, se rapprochant des librairies, qui conservent toujours, néanmoins, 22 % des ventes.
La pénétration du livre numérique, moindre en France par rapport à d’autres pays européens, reste inéluctable. Les revenus de l’édition numérique représentent aujourd’hui environ 4 % du chiffre d’affaires des éditeurs.
Les atouts des librairies indépendantes sont autant de points faibles. Elles sont situées en centre-ville où les loyers sont élevés, elles dispensent un accueil et un conseil qui supposent l’emploi de personnel qualifié (les charges de personnel peuvent atteindre 20 % de la masse salariale) et elles offrent une diversité éditoriale qui suppose le financement d’un stock important et la présence de locaux appropriés. C’est pourquoi, le taux de rentabilité des libraires s’est effondré pour devenir inférieur à 0,5 % de leur chiffre d’affaires. Or un taux de rentabilité inférieur à 2 % rend la profession à la merci du moindre aléa.
L’État a donc fait du soutien des librairies une de ses priorités. Les dispositifs existants ont été renforcés et un plan de soutien spécifique a été mis en œuvre cette année. Le CNL joue un rôle pivot en accordant des aides directes. Ces dernières se composent d’aides aux entreprises se traduisant par des prêts sans intérêt ou des subventions pour l’accompagnement de projets de création, de reprise ou de développement des librairies et d’aides pour des actions qualitatives consistant en des prêts sans intérêt ou des subventions pour soutenir des actions d’animation culturelle, ou l’élargissement et la création de fonds thématiques.
Par ailleurs, le CNL abonde d’autres dispositifs et notamment le plan de soutien aux librairies. Celui-ci cible les aides vers deux domaines où les demandes sont les plus importantes : les besoins ponctuels de trésorerie des libraires et la transmission des fonds de commerce.
Au total, le budget consacré au soutien à la librairie a été renforcé de 2 millions d’euros en 2014.
S’agissant des difficultés que rencontrent les libraires pour accéder au crédit bancaire, les libraires peuvent via l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), disposer d’un fonds d’avances en trésorerie doté de 5 millions d’euros, provenant du CNL. Cette année, 31 librairies ont ainsi pu en bénéficier pour un montant total de 840 000 euros (soit 27 000 euros en moyenne par bénéficiaire). Ce mécanisme a également permis un effet de levier, assurant à ces librairies le maintien ou l’octroi d’un crédit complémentaire.
Quant aux transmissions de commerces, le fonds de soutien à la transmission, créé en 2008 et géré par l’Association pour le développement de la librairie de création (ADELC) a été renforcé. En effet, nombre de libraires partiront en retraite d’ici les prochaines années. Il a été abondé de 4 millions d’euros en 2014, provenant du CNL, afin d’intervenir sous forme de prises de participations au capital de l’entreprise et d’apports remboursables. Lors de la faillite du réseau Chapitre, ce fonds est, par exemple, intervenu à hauteur de 1,6 million d’euros et a permis d’assurer la reprise de 14 librairies.
La loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre unique a été complétée en 2014 (6) afin de rétablir un équilibre à la fois entre les acteurs de la vente en ligne et les autres opérateurs, particulièrement les libraires eux-mêmes et entre les opérateurs de vente à distance.
La loi interdit désormais de pratiquer la gratuité des frais de livraison des livres à domicile. Elle encadre le prix de vente et la tarification des frais de port pour les commandes de livres expédiées à l’acheteur. Tous les types d’achat sont concernés, qu’ils soient réalisés sur internet, en librairie ou par tout autre mode de commande à distance.
Dès lors que le livre est expédié à l’acheteur, il est interdit, de façon cumulative, de pratiquer un rabais de 5 % sur le prix public fixé par l’éditeur et d’appliquer la gratuité des frais de port. À l’inverse, si le livre est retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le rabais de 5 % peut être appliqué.
Par ailleurs, la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation a créé une instance de médiation (7). L’arrivée de nouveaux acteurs, professionnels de la vente en ligne, qui ne font pas partie des instances interprofessionnelles et qui interprètent à leur avantage les lois précitées, a en effet rendu nécessaire la création d’une telle structure. Mme Laurence Engel a été nommée à ce poste. (8)
Ce médiateur, autorité administrative indépendante, est donc chargé de régler les litiges entre les acteurs de la chaîne du livre sur l’application des lois relatives au prix unique du livre et au prix du livre numérique. Il dispose de pouvoirs d’investigation larges et le secret des affaires ne peut lui être opposé. Il devra inciter les parties à trouver un accord dans le respect de la liberté de négociation commerciale des parties. En cas d’accord, il rédige un procès-verbal précisant les mesures à mettre en œuvre. Si sa conciliation échoue, il pourra intervenir comme autorité régulatrice et adresser une recommandation aux parties. Enfin, s’il constate un manquement aux pratiques concurrentielles, il pourra saisir l’Autorité de la concurrence et si les faits sont susceptibles de recevoir une qualification pénale, il informera le ministère public.
Par ailleurs, des agents relevant du ministre chargé de la culture et de la communication seront assermentés afin de pouvoir constater les infractions à la loi sur le prix unique du livre et « après une procédure contradictoire, enjoindre au professionnel, en lui impartissant un délai raisonnable, de se conformer à ces obligations ou de cesser tout agissement illicite » et le cas échéant engager des poursuites. Ils disposeront de pouvoirs importants et pourront « demander la communication des livres, factures et tous autres documents professionnels et en obtenir ou prendre copie par tous moyens et sur tous supports ».
Pour 2015, 10,3 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) seront alloués à cette action contre 10,5 millions d’euros d’AE et de CP en 2014, soit une diminution de 2 %.
Cette action regroupe notamment les crédits accordés à la musique enregistrée, au cinéma et au jeu vidéo. Ce dernier sera développé dans la seconde partie du présent rapport.
Ce soutien s’inscrit dans une démarche visant à encourager un secteur participant à l’activité économique du pays et pourvoyeur d’emploi. Selon un rapport conjoint de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale des affaires culturelles, le secteur culturel au sens large, aurait représenté 3,2 % de la richesse nationale en 2011. (9)
Pour la première année, le Centre national du cinéma (CNC) est rattaché au programme. Cet établissement public national à caractère administratif créé en 1946 (10) présente une spécificité, étant à la fois établissement public et administration centrale. Sa principale mission consiste à soutenir, réglementer et promouvoir les industries cinématographiques et audiovisuelles. À ce titre, il contribue au financement, au développement et à la promotion du cinéma, par l’intermédiaire d’un fonds de soutien.
Les recettes constituant son fonds de soutien proviennent principalement de trois taxes affectées, la taxe sur les entrées en salle de cinéma (TSA), la taxe sur les services de télévision (TST) et la taxe sur la vidéo et la vidéo à la demande. Le CNC assure le recouvrement et le contrôle fiscal des deux principales taxes affectées (TSA en 2007 et TST depuis 2010).
Le produit de ces taxes affectées s’est élevé en 2013, en exécution, à 688,39 millions d’euros, contre un budget primitif prévu de 700 millions d’euros euros. Cette tendance à la baisse se confirme en 2014 avec une estimation de rendement autour de 663 millions d’euros par rapport à un budget initial de 700 millions d’euros.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette diminution : faible niveau de fréquentation des salles de cinéma en 2013, recul du marché de la vidéo physique, baisse du chiffre d’affaires des opérateurs télécoms mais aussi stratégie de contournement de ces opérateurs qui réduisent leurs offres incluant des services de télévision.
Pour 2015, le produit des taxes affectées est estimé à 630,44 millions d’euros, une nouvelle fois en net recul par rapport au budget primitif 2014 (- 10 %) et par rapport à la prévision 2014 (- 5 %).
Le tableau ci-après détaille les évolutions des différentes taxes affectées au fonds de soutien depuis 2013.
Source : Document stratégique de performance du CNC dans le cadre de l’examen du PLF 2015
Comme l’indique le Document stratégique de performance du CNC dans le cadre du l’examen du PLF 2015, depuis 2010, le fonds de soutien prend également en charge, outre les dispositifs de soutien aux industries cinématographiques et audiovisuelles, des actions auparavant financées par la mission Culture, comme les dispositifs d’éducation à l’image, le plan de restauration des films anciens, l’action culturelle internationale ainsi que la subvention allouée à la cinémathèque française. Depuis 2012, le CNC assure également, via le fonds de soutien, la subvention à l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (ancienne FEMIS) et aux cinémathèques en région. « Au total, ce sont désormais près de 56 millions d’euros de charges pérennes annuelles qui sont ainsi financées par le fonds de soutien ».
Le budget de gestion du CNC s’est élevé à 43,81 millions d’euros en 2014, financé par un prélèvement sur le produit des taxes affectées de 32,2 millions d’euros et, pour le solde, par des ressources propres.
Pour 2015, dans un contexte de baisse du montant prévisionnel des taxes affectées, le budget de gestion du Centre, évalué à 44,38 millions d’euros, sera financé par un prélèvement de 33,9 millions d’euros sur le montant prévisionnel des taxes affectées (soit 5,38 % des recettes fiscales prévues pour 2015, contre 4,6 % des produits initialement prévus en 2014) et 10,48 millions d’euros de ressources propres (soit une baisse de près de 12 % par rapport à 2014 du fait, notamment, de certaines évolutions réglementaires). Néanmoins, les économies de gestion engagées par le CNC au cours de ces dernières années devraient permettre de maintenir le prélèvement sur le fonds de soutien en deçà des niveaux de 2011 (41,98 millions d’euros) et de 2012 (35,04 millions d’euros).
Le plafond d’emploi pour 2015 est fixé à 465 ETP, en légère diminution par rapport à 2014.
2,6 millions d’euros sont prévus en 2015 (soit un montant identique à celui de 2014) dans les crédits de la mission pour le soutien au cinéma. Ils sont inscrits à la sous-action Soutien dans le domaine du cinéma.
Selon le PAP 2015, ces crédits sont destinés à soutenir des manifestations – festivals et associations régionales de salles de proximité et d’art et essai – qui favorisent la découverte d’œuvres cinématographiques peu diffusées et/ou produites localement. « Les manifestations régionales soutenues ont un ancrage fort dans le territoire se traduisant par une activité tout au long de l’année, et s’attachant à mettre en place et entretenir des relations de partenariat avec d’autres structures culturelles régionales ».
Autorité publique indépendante chargée de promouvoir le développement de l’offre légale et de protéger les œuvres d’atteintes aux droits d’auteur, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), créée par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, est chargée de trois missions : appliquer un dispositif de réponse graduée, favoriser l’offre légale et mener des études afin d’adapter les industries culturelles aux défis du numérique.
Depuis le second semestre 2010, la Hadopi a envoyé environ 3,2 millions de premières recommandations, et 116 dossiers ont été transmis aux tribunaux.
Depuis le changement de majorité en 2012, le gouvernement a souhaité réorienter la lutte contre le piratage vers les sites de téléchargement illégal à des fins commerciales. Un décret (11) a donc supprimé la peine complémentaire de suspension d’accès à internet. En cas de condamnation pour téléchargement illégal, le juge pourra seulement prononcer une amende contraventionnelle de cinquième classe, et non plus suspendre l’accès à internet.
Dans cet esprit, le récent rapport présenté par Mme Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la commission de protection des droits de l’Hadopi (12) propose d’impliquer les acteurs de la publicité qui contribuent à financer les sites d’hébergement de téléchargement illégal, par la signature d’une charte précisant leur cadre d’implication et d’intervention en matière de lutte contre la contrefaçon du droit d’auteur sur internet. Une injonction de retrait prolongé des contenus illégaux pourrait être également instituée.
La subvention de 6 millions d’euros en AE et CP et le plafond d’emploi de 71 ETPT sont reconduits pour 2015. Lors de son audition par le Rapporteur, le secrétaire général de la Hadopi, M. Éric Walter a jugé cette reconduction de crédits insuffisante pour mener à bien toutes ses missions et considère qu’ils aboutiront à la disparition de facto de l’autorité, ayant dû prélever sur son fonds de roulement l’année dernière pour continuer son activité.
La mission Lescure (13) avait proposé de confier à terme les missions d’Hadopi au CSA, mais cette solution semble désormais abandonnée. Le Rapporteur s’étonne que le Parlement n’ait pas été saisi du sort de cette autorité et d’une remise à plat de ses activités.
1,7 million d’euros pour 2015 seront alloués à la sous-action Soutien dans le domaine de la musique enregistrée, soit une diminution des crédits par rapport à ceux accordés en 2014 qui s’élevaient à 1,8 million d’euros.
La difficulté de la filière musicale à s’adapter à un nouveau modèle économique dominée par le numérique et la pratique du piratage expliquent les mauvais résultats enregistrés depuis une dizaine d’années dans ce secteur. En 2012, le marché de la musique enregistrée représentait 489 millions d’euros contre 1,3 milliard d’euros en 2002, soit une diminution de plus de 60 %.
En 2013, une embellie conjoncturelle s’est produite, liée à la sortie d’albums à succès, permettant une progression du chiffre d’affaires de 0,8 % pour s’élever à 493 millions d’euros. Les prévisions pour 2014 confirment toutefois les difficultés du secteur.
L’essentiel des revenus des producteurs provient de ventes physiques, soit 70 % à 80 % du chiffre d’affaires. Les ventes numériques stagnent, le streaming prédomine face au téléchargement. En 2013, le marché du streaming représentait 54 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Le secteur est composé de trois filiales de multinationales dites majors mais aussi de nombreuses PME et TPE indépendantes.
C’est pourquoi, afin de soutenir la diversité culturelle au sein du secteur un dispositif de soutien en faveur des petites entreprises phonographiques a été mis en place en 2013 et 2014. Ce crédit d’impôt (14) concernant les entreprises de production phonographique assujetties à l’impôt sur les sociétés et créées depuis au moins trois ans au titre des dépenses de production, de développement et de numérisation d’un enregistrement phonographique ou vidéographique musical a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2015. La somme des crédits d’impôt calculés au titre des dépenses éligibles ne peut excéder 800 000 euros par entreprise et par exercice. Cette aide cible les entreprises indépendantes, au premier rang desquelles les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME).
DEUXIÈME PARTIE :
LE JEU VIDÉO : UN ENJEU CULTUREL ET ÉCONOMIQUE
Longtemps dominé par le livre et les industries audiovisuelles et cinématographiques, le secteur des industries culturelles compte désormais un nouveau produit, le jeu vidéo, qui est devenu le bien culturel le plus vendu en France et le deuxième marché de divertissement après le livre (15). La filière française est particulièrement dynamique et notre pays se distingue aussi bien en termes de création que d’innovation technologique.
Définir le jeu vidéo est un exercice complexe, tant différents types de jeux et de processus de création coexistent.
Les différentes catégories de jeux vidéo
Jeux d’aventure : l’intérêt prédominant des jeux d’aventure se focalise sur la recherche et l’exploration, les dialogues, la résolution d’énigmes, plutôt que sur les réflexes et l’action. Le joueur peut agir sur l’histoire : certains jeux d’aventures offrent ainsi plusieurs embranchements scénaristiques ;
Jeux de stratégie ou wargames : dans les jeux de gestion et de guerre, dits aussi jeux de stratégie, le joueur endosse le rôle d’un personnage devant construire et gérer un espace de vie (une ville), de loisir (un parc d’attractions), ou gagner un combat ;
Jeux de rôle en ligne multi-joueurs ou MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Game) ou MMO (Massively Multiplayer Online) : Il s’agit de la transposition numérique du jeu de rôle traditionnel « sur table ». Le joueur incarne un personnage qui doit effectuer une quête et évolue au cours du jeu. Ce type de jeux innove par la mise en place d’univers fonctionnant 24 heures sur 24 appelés « mondes persistants » ;
RPG (Role Playing game) : les jeux vidéo de rôle s’inspirent des jeux de rôle traditionnels tels que Donjons & Dragons. Le joueur incarne un ou plusieurs « aventuriers » qui se spécialisent dans un domaine spécifique (combat, magie, etc.) et qui progressent à l’intérieur d’une intrigue linéaire. Ce type de jeu est aujourd’hui largement concurrencé par les jeux de rôle en ligne multi-joueurs ;
Jeux de plateformes : les jeux de plateformes sont caractérisés par des sauts d’une plateforme suspendue à l’autre ou au-dessus d’obstacles, ainsi que divers « pièges » tendus au personnage contrôlé par le joueur ;
Jeux de simulation : les jeux de simulation visent à reproduire de manière réaliste les sensations ressenties aux commandes d’une voiture ou de tout autre véhicule. Ils tiennent compte des lois de la physique et des limites de la réalité, ainsi que d’un certain nombre de paramètres du comportement propres aux engins pilotés ;
Jeux de sport : les jeux de sport regroupent diverses disciplines. Ils placent le joueur directement dans l’action ou lui proposent de diriger une équipe ;
Jeux de réflexion : il s’agit des jeux de labyrinthes, de puzzles, de casse-tête et, plus largement, de tous les jeux faisant appel à la logique et à la réflexion du joueur ;
Jeux d’apprentissage ou Serious games : cette catégorie de jeux permet l’accompagnement d’un apprentissage dans un contexte ludique.
Source : MM. André Gattolin et Bruno Retailleau, Rapport d’information présenté au nom de la Commission des affaires économiques et de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Sénat, XIVe législature, n° 852, septembre 2013.
La définition des jeux vidéo donnée par le code des impôts intègre, quant à elle, des données techniques et des critères artistiques. Est ainsi considéré comme jeu vidéo, tout logiciel de loisir mis à la disposition du public sur un support physique ou en ligne intégrant des éléments de création artistique et technologique, proposant à un ou plusieurs utilisateurs une série d’interactions s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées et se traduisant sous forme d’images animées, sonorisées ou non. (16)
Si l’on se réfère enfin à la jurisprudence, le jeu vidéo est composé de deux éléments, le logiciel et les aspects audiovisuels, graphiques et sonores. (17) D’où cette nature hybride, à la fois produit technologique et culturel, qui qualifie le jeu vidéo.
Cette ambiguïté se retrouve dans la tutelle exercée sur le secteur, à la fois par le ministère de la culture et de la communication, en tant qu’industrie culturelle, et par le ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique et plus particulièrement par sa direction générale des entreprises, en tant que produit industriel numérique faisant appel à des innovations technologiques.
Lors des auditions de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) et de la direction générale des entreprises (DGE) Il est apparu que le ministère de la culture privilégiait les questions liées au droit d’auteur et la défense de l’exception culturelle tandis que le ministère de l’économie se concentrait sur les thématiques ayant trait à la compétitivité du secteur et à l’innovation.
Le Rapporteur regrette ce double pilotage qui n’encourage pas la lisibilité de la politique menée en faveur du jeu vidéo. Lors de son audition devant de la commission d’enquête sur l’exil des forces vives de France, M. Nicolas Gaume, président du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV), a ainsi résumé la situation : « Le problème est sans doute dû au fait que notre secteur est perçu, comme je l’ai déjà dit, comme trop culturel pour le numérique, trop numérique pour le culturel. Nous sommes « à cheval » entre la rue de Valois et Bercy, entre la DGCIS (Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services) et le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). Certes, tous manifestent leur intérêt pour le jeu vidéo. Mais quand il s’agit de rentrer dans le concret, il semble que nous n’existions plus. (18) ».
Cette qualification ambiguë domine la question de la reconnaissance d’un droit d’auteur pour les créateurs de jeu vidéo. Le sujet est délicat, à la fois en termes juridiques et commerciaux.
Le jeu vidéo, en tant que tel, ne figure pas dans le code de la propriété intellectuelle. Ainsi, il n’est pas mentionné à l’article L.112-2 du code précité dans la liste des œuvres de l’esprit.
Plusieurs questions se posent quant à sa qualification juridique :
● La nature du jeu vidéo : est-il assimilé à une œuvre logicielle, à une œuvre multimédia ou à une œuvre audiovisuelle ?
Après une instabilité jurisprudentielle au cours des années 1990-2000 où le jeu vidéo a été reconnu comme une œuvre logicielle puis comme une œuvre audiovisuelle, en 2009, l’arrêt Cryo (19) affirme que les différentes composantes du jeu sont à la fois graphiques, narratives et musicales et que cohabitent plusieurs régimes de droit d’auteur. Ainsi, « le jeu vidéo est une œuvre complexe, qui ne saurait être réduite à sa seule dimension logicielle, quelle que soit l’importance de celle-ci, de sorte que chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature ». Cet arrêt, confirmé par la Cour d’appel de Paris en 2011 (20), consacre la qualification contributive du jeu vidéo.
● Les conditions de son élaboration : plusieurs métiers interviennent dans la création, s’agit-il d’une œuvre de collaboration ou d’une œuvre collective ?
L’œuvre de collaboration est une œuvre créée par plusieurs personnes physiques (21) dont la propriété est commune aux coauteurs qui se partagent les droits (22). Les différents co-auteurs doivent alors réaliser l’œuvre ensemble suivant un processus de création concerté.
L’œuvre collective est, quant à elle, une œuvre créée par une personne physique ou morale qui l’édite, la publie ou la divulgue et dans laquelle la contribution personnelle des auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue (23). La propriété appartient alors à celui qui divulgue l’œuvre (24).
Dans le cas du jeu vidéo, il est difficile de mesurer la part de chaque intervenant dans une création qui sollicite des métiers divers. Plusieurs disciplines participent à l’élaboration d’un jeu, dont notamment des graphistes, des décorateurs, des scénaristes, des musiciens, des photographes ou des monteurs. Ils sont regroupés sous une nouvelle catégorie de créateur dénommé « game designer ».
Enfin, sur un plan commercial se pose la question suivante :
● Comment concilier la reconnaissance de la création dans ce secteur et le respect des principes du droit d’auteur avec la sécurisation des investissements des entreprises du secteur du jeu vidéo et leurs intérêts économiques ?
Ici, deux modèles coexistent et s’opposent : le modèle français du droit d’auteur et le modèle anglo-saxon du copyright et du « Work made for hire ».
Dans le modèle français, l’auteur, personne physique, ne peut être dépossédé de sa création s’il ne l’a pas cédée expressément à l’éditeur, ou au studio qui l’emploie. S’il permet une protection du créateur, dont l’esprit d’inventivité et la réputation contribuent très fortement au succès d’un jeu, en revanche ce système pénalise le financier, sans qui le jeu n’aurait jamais pu être commercialisé.
Inversement, dans le modèle du copyright, c’est la partie qui a commandé et donc financé la création et non l’auteur salarié qui est titulaire du droit d’auteur. Ce modèle permet néanmoins de faciliter la production et la diffusion de l’œuvre en simplifiant considérablement les règles.
Afin de tenter de trouver un compromis entre les sociétés de droits d’auteur et les éditeurs de jeu vidéo et de rechercher un régime juridique adapté, plusieurs missions ont été confiées au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, au député Patrice Martin Lalande (25) et à M. Philippe Chantepie (26).
En septembre 2012, le rapport de M. Philippe Chantepie propose d’insérer dans le code de la propriété intellectuelle une nouvelle catégorie d’œuvre de l’esprit, à savoir les jeux vidéo, assimilés aux logiciels de loisirs. La rémunération des salariés aurait relevé du régime du droit d’auteur avec possibilité de prévoir un accord d’entreprise dérogatoire qui aurait été fonction d’une négociation entre le salarié et son studio. Finalement, les acteurs du secteur ont renoncé à l’application du droit d’auteur. La majorité des studios ont opté pour un intéressement des salariés aux résultats du jeu, en contrepartie d’une cession de leurs droits.
Dans l’immédiat, le maintien d’un statu quo semble convenir à toutes les parties. Selon Mme Aude Accary Bonnery, conseillère en charge de l’audiovisuel et du cinéma au cabinet de la ministre de la culture et de la communication, le secteur n’est pas favorable à un dispositif contraignant et souhaite préserver sa liberté contractuelle de reconnaître ou non un droit d’auteur selon le jeu. Ainsi, le créateur, clairement identifié, du jeu « Soldats inconnus » édité à l’occasion du centenaire de la Grande guerre a bénéficié du droit d’auteur.
Lors de son audition, M. Philippe Chantepie, chargé de mission au ministère de la culture et de la communication, a d’ailleurs souligné que les personnes travaillant dans ce secteur se considéraient plus comme des salariés que comme des auteurs.
Par ailleurs, il a relevé que le jeu vidéo n’était pas menacé par le piratage. En effet, a contrario de la filière musicale, les acteurs du jeu vidéo se sont adaptés à l’univers numérique et ont su l’utiliser à leur profit. Ainsi, une étude réalisée par la Hadopi (27) fait apparaître que 82 % des joueurs consommaient des jeux dématérialisés de façon licite en 2013. Le public reconnaît le travail de création des équipes et est prêt, à ce titre, à financer la pérennité du jeu.
Néanmoins, la question de la patrimonialisation des jeux reste posée. M. Philippe Chantepie proposait, lors de son audition, de recourir au dépôt légal.
C’est dans cet esprit que le ministère de la culture et de la communication a souhaité valoriser ce secteur et a annoncé la création d’une cité du jeu vidéo. Sous l’égide d’Universciences, établissement public industriel et commercial qui œuvre à la réconciliation de la culture et des sciences et techniques, un espace d’environ 1 000 m2 devrait être dédié à l’univers du jeu vidéo à la Cité des sciences et de l’industrie. Une exposition « le jeu vidéo, l’expo » consacrée à ce thème s’est d’ores et déjà tenue d’octobre 2013 à août 2014.
Lors de leurs auditions, le Syndicat national du jeu vidéo (SNVJ) et le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) ont, par ailleurs, souligné que le jeu vidéo pouvait être un vecteur d’influence culturelle pour la France, les talents de ses « game designer » étant largement reconnus.
Représentant près de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires direct en 2013 (28) contre 700 millions d’euros en 2002, l’industrie du jeu vidéo a connu une indéniable dynamique.
En un peu plus d’une décennie, le jeu vidéo est devenu la deuxième industrie culturelle après le livre.
De spécialistes passionnés, le public de joueurs s’est élargi au cercle familial. Selon le CNC, si 20 % des Français jouaient aux jeux vidéo en 1999, ils sont désormais 67 % en 2013 (29). Ainsi, la France compterait 31 millions de joueurs dont la moyenne d’âge s’élève à 41 ans. 52 % de ces joueurs sont des femmes (30). Ils dépensent, en moyenne, 40 euros par mois.
Parallèlement, le taux d’équipement en jeu vidéo progresse, particulièrement les équipements mobiles. Entre 2008 et 2013, le taux de foyers équipés d’une console est passé de 40 % à 51,2 % et celui des foyers dotés d’un ordinateur a progressé de 64 % à 79 %. 6 millions de tablettes et 16 millions de smartphones ont été vendus en 2013.
Le secteur français du jeu vidéo jouit d’une excellente réputation internationale et 80 % de la production des entreprises est destinée au marché étranger. Ainsi, beaucoup de succès mondiaux sont le fruit d’un travail de création français.
Trois groupes français occupent une position dominante : Ubisoft, qui est le troisième éditeur mondial, Ankama et Quantic Dream. Un studio indépendant, Pretty simple, a connu une forte croissance en quelques années et est devenu le deuxième éditeur mondial de jeux sur Facebook. Focus Home Interactive a connu également une croissance rapide.
Le principal atout du secteur réside dans la qualité des formations de ses équipes et notamment celle de ses ingénieurs. Parmi ces formations reconnues internationalement on peut citer, l’École nationale des jeux et des médias interactifs numériques à Angoulême qui délivre un master professionnel jeux et médias interactifs numériques mais aussi Supinfogame à Valenciennes qui offre trois filières de formation : le game design, le game art et la programmation, ou encore l’école de l’image, les Gobelins, à Paris qui dispense une formation en cinéma d’animation et un enseignement spécifique en interactive digital expérience.
Ces professionnels qualifiés contribuent à la réalisation de jeux de qualité et innovants. Selon M. Emmanuel Forsans, directeur général de l’Agence française pour le jeu vidéo (AFJV), cette recherche d’un produit d’excellence peut toutefois se révéler un handicap face à une concurrence plus soucieuse de réussite commerciale.
Par ailleurs, l’industrie du jeu vidéo est constituée d’un réseau structuré et décentralisé sur tout le territoire. Deux tiers des entreprises sont implantées en région. Deux pôles de compétitivité sont consacrés au jeu vidéo, Imaginove pour la région Rhône-Alpes et Cap-Digital pour Paris et la région parisienne.
Aucun crédit budgétaire ne figure au sein du programme 334. L’essentiel du dispositif de soutien consiste dans un crédit d’impôt et un fonds d’aide au jeu vidéo, tous deux gérés par le CNC.
Depuis 2008 (31), les entreprises de jeux vidéo installées en France peuvent déduire de leur impôt sur les bénéfices des dépenses affectées directement à la création de ces jeux.
Pour être éligible à ce dispositif fiscal, le jeu vidéo doit respecter plusieurs critères cumulatifs :
– avoir un coût de développement supérieur ou égal à 150 000 euros (32) ;
– être destiné à une commercialisation auprès du public ;
– être réalisé principalement par des auteurs ou collaborateurs de nationalité française ou de nationalité européenne ou bénéficier du statut de résident français ;
– « contribuer au développement de la création française et européenne en matière de jeux vidéo ainsi qu’à sa diversité en se distinguant notamment par la qualité, l’originalité ou le caractère innovant du concept et le niveau des dépenses artistiques. ».
N’ouvrent pas droit au bénéfice du crédit d’impôt les jeux vidéo comportant des séquences à caractère pornographique ou de très grande violence, susceptibles de nuire gravement à l’épanouissement physique, mental ou moral des utilisateurs.
Les entreprises peuvent déduire de leur impôt sur les bénéfices 20 % des dépenses affectées directement à la création de ces jeux. Sont visées notamment :
– les dotations aux amortissements des immobilisations affectées directement à la création du jeu vidéo ;
– les rémunérations versées aux auteurs au titre de la propriété littéraire et artistique et leurs charges sociales ;
– les dépenses de personnel des salariés et leurs charges sociales ;
– les autres dépenses de fonctionnement, comme les achats de fournitures, les loyers, les frais de déplacement ;
– les dépenses de sous-traitance européenne, plafonnées à un million d’euros par jeu.
Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), après avis d’un comité d’experts, vérifie si le jeu vidéo remplit les conditions ouvrant droit au bénéfice du crédit d’impôt et délivre un agrément en deux étapes. Un premier agrément provisoire est délivré sur la base d’un devis prévisionnel, et une fois le jeu terminé, un agrément définitif atteste de l’éligibilité du jeu au dispositif.
Le crédit d’impôt est plafonné à 3 millions d’euros par exercice pour chaque entreprise.
Ce dispositif a été prolongé de six ans par la Commission européenne en avril 2012.
CRÉDIT D’IMPÔT « JEU VIDÉO »
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 * |
Total | |
Projets agréés |
45 |
23 |
16 |
11 |
3 |
13 |
12 |
123 |
Taux de sélectivité |
39 % |
53 % |
52 % |
73 % |
21 % |
68 % |
71 % |
49 % |
Non agréés |
69 |
20 |
15 |
4 |
11 |
6 |
5 |
130 |
Dont inéligibles |
8 |
1 |
9 | |||||
Total |
114 |
43 |
31 |
15 |
14 |
19 |
17 |
253 |
Dépense fiscale (en millions d’euros) |
10 |
11 |
6 |
6 |
3 |
3 |
39 |
(*) Données au 15 juillet 2014
Source : questionnaire budgétaire.
Depuis 2008, le CNC a reçu 253 demandes et a accordé son agrément à 123 dossiers, soit un taux de 49 %. En 2013, sur 19 projets, 13 ont reçu l’agrément soit un taux de 68 %. Le montant prévisionnel de la dépense fiscale pour 2014 est estimé à 3 millions d’euros. Entre 2008 et 2013, le devis moyen des jeux agréés s’est élevé à 3,7 millions d’euros, mais environ la moitié de ces jeux présente un budget inférieur à un million d’euros. Pour 2015, le montant du crédit d’impôt est évalué à 8 millions d’euros par le CNC (33).
Depuis 2003, ce fonds soutient la recherche et le développement, l’innovation et la création dans le secteur du jeu vidéo à travers trois dispositifs :
• L’aide à la préproduction
Créée en 2003, cette aide apporte aux studios de jeux vidéo un accompagnement financier à l’innovation dans la phase de préproduction (travail d’études), en vue de la réalisation d’un prototype. Lorsque celui-ci sera finalisé, l’entreprise pourra le mettre en production. Le montant de l’aide est plafonné à 35 % des dépenses de préproduction. L’aide est attribuée sous forme d’avance remboursable pour 50 % de son montant, le reste étant attribué en subvention.
Entre 2008 et 2014, le CNC a attribué 24 millions d’euros d’aide à la préproduction. Le nombre de dossiers examinés chaque année est stable et le taux de réponse positive tourne autour de 40 % à 50 % des dossiers.
En 2013, sur 23 dossiers, 8 ont été aidés pour un montant total de 1,4 million d’euros, soit une moyenne de 180 500 euros par projet. Les prototypes présentés sont des jeux sur supports physiques dits de dernière génération, 56 % d’entre eux ayant des budgets supérieurs à 500 000 euros.
• L’aide à la création de propriétés intellectuelles
Il s’agit d’une aide sélective à la production mise en place en 2010. Dans le contexte d’une évolution des modes de distribution dématérialisée, ce dispositif favorise de nouvelles créations et incite les entreprises à créer une valeur patrimoniale autour des jeux vidéo qu’elles produisent, en les engageant à conserver les droits de propriété intellectuelle.
L’aide à la création de propriétés intellectuelles, attribuée sous forme de subvention, est plafonnée à 50 % du coût du projet et ne peut dépasser 200 000 euros sur trois ans conformément à la réglementation européenne.
En 2013, sur 81 projets, 27 ont bénéficié d’une aide moyenne de 72 500 euros pour un devis moyen de 240 336 euros. Le montant total des aides s’est élevé à 1,9 million d’euros.
• L’aide aux opérations à caractère collectif
Cette aide est destinée, par des subventions, à l’accompagnement de colloques, journées d’études, journées professionnelles, festivals de portée nationale ou internationale et qui relèvent de la promotion de l’ensemble de la profession du jeu vidéo. L’aide est plafonnée à 50 % du budget de l’opération envisagée.
Le fonds est cofinancé par le ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique et le CNC. Ce dernier gère le dispositif. Depuis 2008, ce fonds a aidé 327 projets sur 703 demandes, soit un taux de sélectivité de 47 % et le montant total des aides s’est élevé à 24, 4 millions d’euros. En 2013, sur 8 projets, 5 ont bénéficié d’une aide et le montant total des aides s’est élevé à 112 000 euros.
FONDS D’AIDE AU JEU VIDÉO
2011 |
2012 |
2013 | |
Aide à la préproduction |
|||
– Nombre de dossiers déposés |
15 |
13 |
23 |
– Nombre de dossiers aidés |
7 |
4 |
8 |
– Taux de sélectivité |
46,6 % |
30,7 % |
34,7 % |
– Montant global de l’aide accordée |
974 000 € |
414 000 € |
1 444 000 € |
Aide à la création de propriétés intellectuelles |
|||
– Nombre de dossiers déposés |
93 |
93 |
81 |
– Nombre de dossiers aidés |
38 |
41 |
27 |
– Taux de sélectivité |
40,8 % |
44 % |
33,3 % |
– Montant global de l’aide accordée |
4 443 000 € |
2 304 700 € |
1 957 000 € |
Aide aux opérations à caractère collectif |
|||
– Nombre de dossiers déposés |
10 |
11 |
8 |
– Nombre de dossiers aidés |
5 |
5 |
5 |
– Taux de sélectivité |
50 % |
45,4 % |
62,5 % |
– Montant global de l’aide accordée |
101 000 € |
69 000 € |
112 000 € |
Source : questionnaire budgétaire.
• Les aides du réseau recherche et innovation en audiovisuel et multimédia
Crée en 2001, ce réseau soutient les projets d’innovation des petites et moyennes entreprises (PME) du secteur dans les domaines de la production, du traitement, de la distribution et de la publication d’images et de sons débouchant sur de nouveaux produits et services. Il est cofinancé par le CNC et la Banque publique d’investissement (BPI) Oséo.
Les projets retenus reçoivent une aide composée d’une subvention accordée par le CNC qui couvre au moins 10 % du coût du projet et d’une avance remboursable d’Oséo à hauteur de 30 % à 50 %. Ces projets peuvent consister dans des études de faisabilité technique, la recherche et développement ou la recherche de partenaires.
• L’aide à la création pour les nouveaux médias
Créée en 2007, cette aide propose une aide sélective à l’écriture, au développement et à la production pour des contenus multisupports ou destinés à internet. Le jeu vidéo peut y prétendre comme la télévision, le cinéma ou la bande dessinée.
Le programme « Europe créative »
Ce programme de l’Union européenne doté pour 2014 de 169,2 milliards d’euros, est divisé en trois volets, un volet média dont relève le jeu vidéo, un volet culture et un volet transsectoriel.
Au sein du volet média, un volet développement, doté de 17,5 milliards d’euros par an, permet à des entreprises de jeu vidéo européennes de postuler pour recevoir des aides européennes.
Ce soutien est soumis à plusieurs critères :
– L’entreprise doit présenter des valeurs innovantes, originales permettant d’augmenter la diversité culturelle, l’héritage européen et doit disposer d’un potentiel commercial lui permettant d’atteindre les marchés internationaux ;
– Cette entreprise doit avoir déjà produit et commercialisé un jeu dans les deux dernières années précédant la demande ;
– Le jeu doit présenter une interactivité et inclure une composante narrative.
Les coûts éligibles comprennent des activités de création (écriture, définition des concepts visuels initiaux), l’acquisition de droit, la réalisation d’un prototype et les dépenses de marketing.
L’aide est attribuée sous forme de subvention à hauteur de 50 % maximum du budget présenté, plafonnée à 200 000 euros.
S’agissant d’une aide au développement de concept, la subvention sera comprise entre 10 000 euros et 50 000 euros, tandis que pour une aide au développement de prototype, le montant maximum alloué oscillera entre 10 000 euros et 150 000 euros. Ces deux aides ne pourront être cumulées.
Depuis l’éclatement de la bulle internet, le secteur du jeu vidéo n’est plus aussi florissant même si ses taux de croissance restent élevés. Selon l’AFJV, la crise est liée aux conditions économiques difficiles mais aussi à des mutations technologiques. Le soutien de l’État se doit donc d’être réactif, comme l’a rappelé M. Philippe Chantepie, face à un marché extrêmement concurrentiel.
Les bons résultats du secteur enregistrés autour des années 2000 s’effritent. Si l’on se réfère au classement par nombre de salariés, la position française se dégrade, passant du 5e rang de pays producteur au début des années 2000 au 8e rang en 2013 (34).
Le nombre d’entreprises diminue et l’emploi dans le secteur a été divisé de moitié : ils ne sont plus que 12 000 salariés à travailler dans la filière en 2013, contre 25 000 en 2000 selon les chiffres cités par le SNJV.
L’industrie française est majoritairement composée de petites et moyennes entreprises (PME) et de très petites entreprises (TPE), à l’exception du groupe Ubisoft, troisième éditeur mondial. 50 % des entreprises comptent moins de dix salariés et 77 % déclarent un chiffre d’affaires inférieur à un million d’euros (35).
S’agissant d’un marché extrêmement globalisé, la concurrence internationale et notamment européenne est vive. Lors de leur audition, le SNJV et le SELL ont ainsi cité l’émergence de la Finlande, de l’Allemagne et du Royaume-Uni comme concurrents directs. Quant à l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), il a rappelé que le Québec, à la suite de la mise en œuvre d’un crédit d’impôt très avantageux, avait permis au secteur de passer de 500 emplois à 16 500 emplois en quinze ans. (36)
C’est pourquoi, en 2013, s’est constituée une association « le Game » qui regroupe les syndicats professionnels, Ubifrance et, les associations régionales afin de favoriser le développement à l’international des entreprises françaises. Malheureusement, ce projet ne serait pas financé et ne devrait pas aboutir.
Quant à la somme allouée à Ubifrance, 50 000 euros, pour soutenir le jeu vidéo à l’international, elle n’est pas suffisante selon les syndicats.
Depuis l’apparition des premiers jeux dans les années 1990, le modèle économique du secteur s’est profondément transformé pour passer de jeux sur supports physiques où les éditeurs détenaient une situation quasi-monopolistique dans le processus commercial à des jeux dématérialisés, permettant une relation commerciale directe entre les studios de développement et le joueur.
Le premier modèle économique consiste en une chaîne de production verticale. Les développeurs et studios de création dépendent des éditeurs qui financent et produisent les projets, eux-mêmes ayant besoin des distributeurs pour commercialiser leurs jeux. Ces jeux nécessitent l’achat d’une console. Trois grands groupes dominent ce modèle : Nintendo, Sony et Microsoft.
Dans ce système, les budgets affectés à la production et à la promotion des jeux sont conséquents, autour de 30 millions d’euros à 50 millions d’euros. Plusieurs projets sont menés de concert sur plusieurs années, afin que l’un d’eux devienne un succès, dénommés jeux AAA.
Depuis 2008, le volume de ces jeux baisse en moyenne d’environ 10 % par an. En termes de chiffres d’affaires, entre 2008 et 2012, le marché physique est passé de 1,6 milliard d’euros à 1,2 milliard d’euros. En 2013, il a représenté 1,07 milliard d’euros soit une diminution de 13 % par rapport à 2012. Cette baisse est particulièrement marquée pour les jeux pour ordinateur qui ne représentent plus que 7,4 % de part de marché en 2013 contre 10,3 % en 2012.
Ce modèle, en perte de vitesse, semble néanmoins conserver une attractivité avec l’apparition de nouvelles consoles de type PS4 commercialisé par Sony ou la Wii U de Nintendo et la Xbox one produite par Microsoft, il continue de représenter toujours 60 % du marché des jeux.
Le deuxième modèle économique fait apparaître une chaîne de production inclusive. Les jeux sont dématérialisés, soit sur des applications mobiles (tablettes ou smartphones), soit sur les réseaux sociaux. Ils peuvent être créés, produits et distribués par le même studio. Ce marché a connu une progression de 12 % entre 2012 et 2013, passant de 650 millions d’euros à 730 millions d’euros. Il représente désormais 40 % du marché. Les jeux sociaux représentent 36 % du marché dématérialisé.
Cette évolution entraîne de nombreuses conséquences :
– le contenu de ces jeux dématérialisés nécessite moins d’effets spéciaux et d’innovation, leur réalisation est donc moins onéreuse et peut devenir plus facilement rentable ;
– la faiblesse des coûts de production permet aux créateurs et studios de développement de s’affranchir des éditeurs ;
– les moyens de financement sont devenus plus ouverts. Les jeux en ligne peuvent être financés par la publicité, l’abonnement, de micro-transactions pour des biens virtuels ou par le système du parrainage sur les réseaux sociaux ;
– un nouveau modèle économique émerge, reposant sur la gratuité du téléchargement mais nécessitant un investissement régulier et minime pour continuer à jouer, dit « free to play » ;
– le public des jeux s’est élargi, à la fois en termes de sexe et d’âge. Les jeux en ligne attirent un public féminin et ciblent des joueurs plus âgés.
Face à cette mutation du secteur, il est nécessaire d’adapter le dispositif de soutien. C’est dans cet esprit qu’un groupe de travail, constitué de représentants du secteur et des deux ministères de tutelle, a été mis en place en avril 2013 par la ministre de la culture et de la communication et la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique. Cinq thèmes de travail ont été retenus, dont le financement de la production et le soutien à l’innovation (37).
Selon les syndicats de la profession et les chefs d’entreprise du secteur, auditionnés par le Rapporteur, les critères d’éligibilité retenus pour prétendre au crédit d’impôt sont trop restrictifs et ne correspondent plus à l’évolution des jeux.
La principale difficulté provient des critères culturels, qui interprétés strictement, excluent nombre de jeux AAA destinés aux plus de 18 ans selon la classification PEGI dits jeux adultes (38). Pour les professionnels du secteur, il est impératif d’adapter le crédit d’impôt à ces jeux. La moyenne d’âge des joueurs s’est élevée et ces jeux représentent un enjeu économique, particulièrement à l’exportation.
Un autre critère, le coût du développement, qui concerne des jeux d’au moins 150 000 euros, ne tient pas compte de la forte progression de jeux dématérialisés dont les coûts de production sont inférieurs, et pour beaucoup conçus par studios indépendants, de type PME voire TPE.
Enfin, lors de son audition, M. Philippe Chantepie a regretté que parmi les dépenses éligibles au crédit d’impôt ne figurent pas les dépenses liées au marketing. Or, dans le cas des jeux sur supports physiques, ces dépenses sont aussi importantes que celles liées à la production, de l’ordre de 30 millions à 50 millions d’euros. La réussite commerciale d’un jeu dépend essentiellement de son lancement et sa durée de vie est courte, de l’ordre de trois mois.
Par ailleurs, les syndicats auditionnés ont insisté sur des difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de ce crédit d’impôt. Les formalités administratives apparaissent compliquées et longues. Le dispositif d’agrément provisoire limité à 36 mois n’est plus adapté aux jeux sur supports physiques dits de nouvelle génération qui font appel à des innovations technologiques, qui de ce fait contribuent à allonger leur durée de production.
À la suite des recommandations du rapport d’information des sénateurs André Gattolin et Bruno Retailleau (39), la loi de finances pour 2014 (40) a introduit plusieurs aménagements au crédit d’impôt :
– Le coût de développement du jeu a été abaissé à 100 000 euros afin de pouvoir toucher des jeux développés sur supports dématérialisés, dont les budgets sont plus modestes que ceux développés sur supports physiques et élargir l’accès de ce crédit d’impôt aux studios indépendants de type PME ou TPE ;
– Les dépenses éligibles ont été étendues aux dépenses en personnel technique et administratif indirectement affecté à la création du jeu vidéo ;
– Les jeux concernés peuvent être des jeux adultes AAA ;
– Le délai entre l’agrément provisoire et définitif est passé à 72 mois (soit presque sept ans) pour les jeux dont le coût de développement est supérieur à 10 millions d’euros afin de s’adapter aux délais nécessaires pour produire des jeux dits de nouvelle génération.
Ces aménagements ont été notifiés à la Commission européenne cet été. Néanmoins, vu le délai tardif de la transmission, ces dispositions ne seront pas applicables en 2014, et il n’est pas certain qu’elles entrent en vigueur en 2015, ce que déplore le Rapporteur.
L’aménagement de ce crédit d’impôt est nécessaire car, comme l’a indiqué le CNC lors de son audition, ce dispositif contribue à éviter la délocalisation des entreprises de jeu vidéo en permettant de combler partiellement la différence de coût des studios français avec ceux de l’étranger. De plus, il contribue à générer des recettes fiscales. En 2013, sur 1 euro de crédit d’impôt versé, 1,80 euro de recettes fiscales et sociales était perçu par l’État et 8 euros de dépenses étaient réalisées dans la filière.
Les entreprises de jeu vidéo peuvent prétendre à de nombreux dispositifs transversaux visant à encourager la recherche, l’innovation ou la compétitivité. Selon les termes de la DGE, un travail pédagogique sur ce sujet est nécessaire, tant du côté des entreprises que du côté des administrations.
Plusieurs initiatives ont ainsi vu le jour :
– un guide sous l’égide du ministère de la culture et de la communication est en cours d’élaboration qui recense les principales aides destinées au jeu vidéo, ce dont se félicite le Rapporteur ;
– un collectif baptisé Merci, soutenu par le ministère de la culture et de la communication, met en réseau les créateurs d’entreprises afin de les aider dans leurs démarches.
Le crédit d’impôt recherche peut s’appliquer au secteur du jeu vidéo.
L’entreprise peut déduire de son impôt sur les sociétés 30 % de ses dépenses de recherche jusqu’à 100 millions d’euros et 5 % de ses dépenses au-delà. Néanmoins, le SNVJ et le SELL se sont émus de la requalification des dépenses éligibles à ce crédit d’impôt et de ce fait de la mise en œuvre de redressements fiscaux dans nombre d’entreprises du secteur. Ils ont notamment relevé un tropisme de l’administration fiscale privilégiant la recherche fondamentale au détriment de la recherche développement. Le Rapporteur regrette cet état de fait qui renforce l’instabilité des règles pour les entreprises et n’incite pas à un processus de création permettant de rivaliser avec la concurrence internationale. Lors de son audition, la DGE a indiqué qu’une circulaire était en cours de rédaction afin d’éviter ces redressements.
Lors de son déplacement chez Ubisoft, le Rapporteur a été attentif à un partenariat de recherche et développement conclu entre cette entreprise, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le laboratoire d’informatique en image et systèmes d’information (LIRIS) du CNRS qui lui semble une piste intéressante. Dénommée « Mango », cette convention va permettre d’apporter de nouvelles innovations aux jeux dits de nouvelle génération et s’avère stratégique pour la société en termes d’avantages compétitifs.
Un autre crédit d’impôt, le crédit d’impôt innovation permet aux entreprises de jeu vidéo de déduire de leur impôt sur les sociétés 20 % des dépenses engagées pour concevoir des prototypes, dans la limite de 80 000 euros.
Par ailleurs, au titre de jeunes entreprises innovantes, les entreprises du secteur peuvent bénéficier d’allégements fiscaux tels qu’une exonération de l’impôt sur les sociétés et une exonération des cotisations patronales sur les personnels affectés à des activités d’innovation.
Cinq conditions sont requises :
– Être une P.M.E., à savoir employer moins de 250 personnes et, d’autre part, réaliser un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros ;
– Avoir moins de huit ans ;
– Avoir un volume minimal de dépenses de recherche. L’entreprise doit avoir réalisé, à la clôture de chaque exercice, des dépenses de recherche représentant au moins 15 % des charges fiscalement déductibles au titre de ce même exercice ;
– Être indépendante ;
– Être réellement nouvelle.
Les propositions du rapport de M. Steven Hearn « le développement de l’entreprenariat dans le secteur culturel en France » (41) rejoignent le constat dressé ci-dessus. Il préconise d’insérer les entreprises du secteur culturel dans les programmes d’innovation, en élargissant son champ de compétence et en reconnaissant le concept d’innovation culturelle. Le lancement du programme « French tech » va dans ce sens.
Plusieurs dispositifs visant à encourager la compétitivité pourraient s’appliquer aux entreprises du jeu vidéo. Le fonds unique interministériel (FUI) finance des projets de recherche appliquée portant sur le développement de produits, procédés ou services susceptibles d’être mis sur le marché à court ou moyen terme, généralement 5 ans.
Les projets, pilotés par une entreprise, sont retenus à l’issue d’appels à projets (deux par an). Ils doivent être préalablement labellisés par les pôles de compétitivité. Ils sont collaboratifs, c’est-à-dire qu’ils associent au moins deux entreprises et un organisme de recherche ou de formation.
La principale difficulté à laquelle est confronté le secteur reste la question du financement. M. Nicolas Gaume, président du SNJV, l’a résumé ainsi : « Il s’agit d’un problème de capitaux et non d’entrepreneurs. ».
Le secteur bancaire se montre particulièrement frileux vis-à-vis des entreprises de ce secteur. Traditionnellement prudent vis-à-vis des produits culturels, le secteur bancaire n’est pas familier des problématiques des industriels de l’immatériel et notamment des contraintes propres au secteur du jeu vidéo. Par ailleurs, beaucoup de ces sociétés sont des TPE et l’absence de fonds propres obère leur développement et la pérennité de leur activité.
Afin de pallier le manque d’investisseurs privés, l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), établissement de crédit détenu à 49 % par l’État (dont 30 % par BPI France), a été créé afin d’accompagner les entreprises du secteur culturel dans leurs recherches de financements.
S’agissant des entreprises du secteur du jeu vidéo, l’IFCIC offre sa garantie financière aux banques qui octroient leurs concours aux entreprises, ce qui permet de limiter les cautions personnelles qui sont susceptibles d’être demandées. Cette garantie représente généralement 50 % du montant du crédit. Sont éligibles les concours bancaires – crédit, crédit-bail, location financière et engagement par signature – répondant aux besoins financiers de l’entreprise : financement partiel du cash-flow nécessaire au développement d’un jeu vidéo, investissements matériels, renforcement du fonds de roulement, création ou rachat d’activité.
De plus, l’IFCIC peut jouer un rôle d’interface entre les entreprises du jeu vidéo et les banques et leur faire profiter de son expertise.
Néanmoins, ce soutien ne permet pas de répondre au défaut majeur des entreprises de ce secteur qui sont sous-capitalisées.
C’est pourquoi, afin de permettre aux studios de création de renforcer leurs fonds propres, l’IFCIC devrait mettre en place un fonds d’octroi de prêts participatifs doté de 20 millions d’euros. Son financement serait assuré à la fois par l’IFCIC, à hauteur de 5 millions d’euros (prélevé sur la dotation de 20 millions d’euros transférée du CNC (42)) pour contribuer à la transition numérique et par le programme des investissements d’avenir (PIA) à hauteur de 15 millions d’euros. L’idée générale est de créer un effet de levier pour ces entreprises, qui pourraient, en complément de ce prêt participatif, obtenir des crédits complémentaires auprès des banques.
Le Rapporteur insiste sur la nécessité de la mise en œuvre effective de ce fonds, en gestation depuis plusieurs années.
Enfin, l’IFCIC, de par sa capacité d’interface avec le système bancaire et son expertise, a toute légitimité pour nouer un partenariat avec la BPI et l’impliquer davantage dans ce secteur.
En effet, les représentants des syndicats ont déploré le manque d’intérêt de la BPI pour leur filière. Mme Aude Accary Bonnery a confirmé la prudence de cette dernière sur les dossiers liés à des jeux vidéo, considérant que le taux de rentabilité n’était pas assez élevé et la prise de risque forte. Parmi les propositions du rapport de M. Steven Hearn, cité ci-dessus, figure la nécessité de créer un outil piloté par la BPI consacré à l’amorçage des entreprises culturelles.
L’IFCIC pourrait signer une convention cadre avec la BPI qui lui permettrait de co-garantir des crédits s’élevant jusqu’à 500 000 euros à hauteur de 70 % et d’utiliser le réseau régional des agences de la BPI. Le Rapporteur souligne l’intérêt de ce projet.
La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède, le jeudi 23 octobre 2014, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, sur les crédits pour 2015 des missions « Médias, livre et industries culturelles » et « Avances à l’audiovisuel public » (43).
La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’examen des rapports pour avis de Mme Martine Martinel (Audiovisuel ; Avances à l’audiovisuel public), de M. Jean-Noël Carpentier (Presse), et de M. Rudy Salles (Livre et industries culturelles) sur les crédits pour 2015 des missions « Médias, livre et industries culturelles » et « Avances à l’audiovisuel public » lors de sa première séance du mercredi 22 octobre 2014.
M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2015 avec la présentation des trois rapports pour avis sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », ainsi que ceux figurant au compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », autrement dit, la répartition de la contribution à l’audiovisuel public (CAP), communément appelée redevance.
Dans leurs avis budgétaires, Mme Martine Martinel, M. Jean-Noël Carpentier et M. Rudy Salles ont chacun abordé un thème spécifique, ce qui leur a permis de porter un éclairage particulier sur une entreprise, un secteur ou un enjeu particulièrement important pour l’action publique dans le domaine des médias et des industries culturelles.
Je vous rappelle que Mme la ministre de la culture et de la communication nous présentera demain soir son budget « Médias » pour 2015 en commission élargie.
Nos trois rapporteurs pour avis présenteront successivement leurs travaux avant que n’interviennent un représentant de chaque groupe politique, puis les orateurs qui le souhaitent.
Mme Martine Martinel, rapporteur pour avis. J’ai consacré la partie thématique de mon rapport pour avis à Radio France qui, ces dernières années, a fait l’objet de beaucoup moins d’attention que les autres sociétés de l’audiovisuel public, en particulier France Télévisions et France Médias Monde.
L’année qui s’achève a été marquée à Radio France par la nomination d’un nouveau président, M. Mathieu Gallet, la fin de l’application du contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2010-2014 et la préparation d’un nouveau COM pour la période 2015-2019. Il s’agit donc pour l’entreprise d’une période de bilan et de transition.
La Cour des comptes, dont le dernier contrôle remontait à 2005, devrait publier prochainement un rapport très attendu sur Radio France. Alors que le CSA annonce un bilan détaillé de France Télévisions sous la présidence de M. Rémy Pflimlin, je regrette qu’un travail similaire n’ait pas été réalisé pour Radio France. La loi du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public a pourtant prévu que le CSA rende un avis motivé sur les résultats des sociétés de l’audiovisuel public quatre ans après le début du mandat de leurs présidents. Ce bilan aurait été très utile pour éclairer le choix d’un projet stratégique et préparer l’avenir d’une entreprise confrontée à des défis majeurs.
La stratégie éditoriale constitue le premier de ces défis.
Radio France est confrontée à une crise de ses audiences. Si des évolutions favorables ont été constatées entre 2009 et 2013, depuis 2013, les résultats sont beaucoup plus inquiétants pour la plupart des antennes. Et les résultats de 2014 amplifient ces inquiétudes : France Inter est tombée à 9 % d’audience en juillet, son plus mauvais score depuis 2006, France Musique est à 1,4 % alors que Radio classique passe la barre des 2 %, et France Info ne dépasse pas les 7,5 %.
Radio France connaît aussi un vieillissement très préoccupant de ses auditeurs dont l’âge médian est supérieur de dix ans à celui des auditeurs du média radio : il frôle soixante ans pour certaines antennes et atteint soixante-huit ans pour France Musique. Le rajeunissement doit donc être au cœur de la stratégie du nouveau COM ; il en va de l’avenir du service public de la radio. Par ailleurs, les chiffres montrent que l’objectif affiché par le COM de voir les antennes s’adresser à tous les publics, en termes de profil sociologique, et favoriser la diversité sociale des auditeurs, est loin d’être atteint.
Le projet stratégique de M. Mathieu Gallet, que notre Commission a entendu le 18 juin dernier, comporte des propositions très intéressantes qui vont dans le sens d’une clarification de l’identité des antennes. Elle est nécessaire pour éviter les phénomènes de prédation de l’audience entre stations. L’un des objectifs consiste à rendre à France Info son identité de chaîne d’information en continu. Le COM devra également clarifier la place de la musique sur les antennes.
Je m’interroge fortement sur l’avenir du Mouv’. À l’heure où nous sommes contraints par des choix budgétaires, devons-nous conserver une antenne qui réunit un si petit nombre d’auditeurs et coûte 20 millions d’euros par an ? Pour le Mouv’, le COM 2010-2014 devait être celui de la dernière chance. Le nouveau président annonce une relance fondée sur une nouvelle ligne éditoriale en cours de définition : il s’agirait de faire de la station la radio des jeunes et des cultures urbaines, notion qui n’a pas été clarifiée au cours des auditions. J’ai déjà eu l’occasion de regretter le caractère de chaîne « alibi » ou « ghetto » de France Ô. Je mets en garde contre le même risque pour le Mouv’. Le rajeunissement et la diversification de l’audience doivent au contraire irriguer l’ensemble des antennes et surtout constituer un axe majeur de la stratégie numérique. Si le choix est néanmoins fait de maintenir la station, il conviendra de bien clarifier son identité de service public par rapport à l’offre existante privée.
Enfin, pour diversifier les publics, il faut évidemment que l’antenne soit représentative de la diversité de la société française. À cet égard, je note que trop peu de femmes s’expriment encore à l’antenne – elles n’étaient que 37 % environ en 2013. Par ailleurs elles ne représentent que 33 % des cadres de direction alors que le COM fixe un objectif de 35 %.
Le numérique constitue un autre défi pour Radio France. Le démarrage en la matière a été tardif puisque l’entreprise ne l’a véritablement amorcé qu’en 2012 avec la création de la direction des nouveaux médias. Une grande partie du retard a pu être comblée, mais les résultats apparaissent contrastés. En matière de podcasts, ils sont remarquables pour France Culture mais demeurent assez modestes pour les autres antennes.
En ce qui concerne la fréquentation des sites, les comparaisons que j’ai établies dans mon rapport font état d’un retard de Radio France. Calculées en nombre de visiteurs uniques mensuel, les audiences, pour l’année 2013, des sites d’Europe 1 et de RTL atteignent à 2 millions contre un peu plus de 960 000 pour France Inter, et 580 000 pour France Culture. Par ailleurs, je note qu’on ne trouve aucune des applications mobiles de Radio France parmi celles qui ont été les plus fréquentées au mois de juillet 2014. Radio France ne fait donc pas encore suffisamment figure de « média de référence » sur les réseaux numériques, d’où l’urgence de définir des offres numériques communes à l’ensemble de l’audiovisuel public. Lors des cinquante ans de la Maison de la radio, le Président de la République a d’ailleurs affirmé que cette articulation était nécessaire.
Cette ambition figure dans le projet stratégique de M. Mathieu Gallet, et je m’en félicite, mais il ne peut agir seul. L’idée d’une coordination se fonde sur le constat qu’on ne peut plus raisonner par type de média à l’ère de la convergence, comme le montre la stratégie retenue avec succès par les groupes audiovisuels publics dans de nombreux pays européens, tels que la BBC en Grande-Bretagne, ou la RTBF en Belgique. Notre audiovisuel public est trop cloisonné : les relations entre les sociétés sont davantage marquées par la concurrence que par la recherche de complémentarités. Mme Véronique Cayla, présidente d’Arte, l’a rappelé : l’idée même de créer des renvois entre les sites des uns et des autres ou de faire des promotions croisées n’a jamais pu être menée à bien… Pour renforcer et pérenniser le service public audiovisuel à l’ère numérique, il me semble impératif de lancer ce chantier à la faveur de la négociation des nouveaux COM qui va avoir lieu pour l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public d’ici à 2016.
Dans la continuité de ce que nous avons été plusieurs à exprimer lors de l’audition de M. Mathieu Gallet, je réitère mon opposition à la remise en cause de la gratuité des podcasts dans le cadre de la nouvelle stratégie numérique. Cette solution me paraîtrait de nature à fragiliser l’acceptation de la redevance et les fondements mêmes de la notion de service public audiovisuel à l’ère numérique.
En ce qui concerne la couverture du territoire par Radio France, je rappelle qu’à travers la redevance, les contribuables financent les sept programmes du groupe. Il ne me paraît donc pas acceptable que certains n’en reçoivent que trois. C’est pourquoi je soutiens la volonté du président de Radio France de tout mettre en œuvre pour les rendre accessibles. À cet égard, je souhaite également qu’un indicateur de couverture soit fixé par le futur COM selon la même méthodologie que celle appliquée par le CSA aux autres services.
Pour le nouveau président de Radio France, la clarification de la stratégie des formations musicales constituera par ailleurs un enjeu majeur du futur COM dans le contexte d’ouverture du nouvel auditorium en fin d’année.
La modernisation de la gestion apparaît comme un autre défi et comme une priorité dans un contexte de contrainte forte sur les ressources publiques et alors que les marges d’augmentation des ressources propres sont modérées.
La maîtrise de la masse salariale devrait rester le premier objectif de gestion du futur COM. Je rappelle qu’elle représente presque 60 % des dépenses de l’entreprise et qu’elle a continué d’augmenter de manière dynamique ces dernières années, au point que le CSA en octobre 2013 a appelé Radio France à une meilleure maîtrise de ses charges de personnel. Au cours des auditions, mon attention a été appelée sur un effet pervers du COM auquel il conviendra de remédier. Il fixe en effet un plafond d’emplois – 4 619 équivalents temps plein – qui ne prend pas en compte les cachets et les piges. L’entreprise est donc de facto encouragée à recourir à l’intermittence pour contourner ce plafond. À cet égard, je propose que soit évaluée l’idée de créer un groupement des employeurs de l’audiovisuel public sous forme d’une association loi de 1901, qui permettrait d’employer les intermittents dits « techniques » en CDI.
Dans un contexte de baisse des moyens de l’entreprise, l’augmentation continue de la masse salariale rend également indispensable la modernisation de la gestion des ressources humaines, qui est, selon les observateurs, « éloignée des standards applicables dans les grandes entreprises ». Cette modernisation passe d’abord par la renégociation encore en cours des conventions collectives. Le nouveau président a dit sa volonté de voir un nouvel accord collectif signé avant la fin de l’année.
Au cours des auditions, des observations sévères ont été formulées sur la gestion et ses étonnants archaïsmes. Ont notamment été relevés l’absence, jusqu’en 2012, de procédures formalisées, publiées, contrôlées dans leur mise en œuvre, l’absence de comptabilité analytique, une organisation « en silo » marquée par un dialogue insuffisant entre les directions opérationnelles et les directions de soutien. S’y ajouteraient une architecture des systèmes informatiques obsolète, des défaillances dans la mise en œuvre des règles applicables aux achats publics, et une gestion globalement lourde, inefficiente et insuffisamment contrôlée. La Cour des comptes apportera sans doute plus de précisions sur ces aspects. Quoi qu’il en soit, le renforcement du contrôle interne est logiquement affiché comme l’une des priorités du management.
Des améliorations de la gouvernance et de la transparence seraient également souhaitables. Je salue les efforts réels fournis en la matière par la nouvelle direction. Cependant, afin d’améliorer encore la transparence, je suggère que les comptes des entreprises publiques financées majoritairement par l’impôt soient rendus publics, et qu’ils soient accessibles sur la plateforme data.gouv.fr. En matière de gouvernance, les observateurs, y compris la direction, appellent de leurs vœux une dynamisation du conseil d’administration – ce qui ne concerne évidemment pas notre collègue Michel Françaix. (Sourires) Une clarification me paraît en outre nécessaire sur les rôles respectifs des tutelles et du CSA.
Je souhaite conclure sur un autre défi de taille : le chantier de réhabilitation de la Maison de la radio, qui a mis au jour les défauts de gestion que je viens d’évoquer. Depuis 2004, le coût total de ce chantier a fait l’objet de nombreuses réévaluations. Il est aujourd’hui estimé à 584 millions d’euros, dont 116 millions d’euros de coûts de fonctionnement, soit une augmentation de plus de 80 % par rapport aux prévisions sur lesquelles s’est fondé le choix des travaux en 2004.
Les objectifs du COM concernant le chantier sont donc loin d’être tenus. En termes de calendrier, la date prévisionnelle d’achèvement des opérations, fixée à août 2016 à la signature du COM, est désormais repoussée à la fin de l’année 2017 par le rapport d’exécution du COM pour 2013. Certains observateurs n’excluent pas une dérive supplémentaire du coût tandis que la fin des opérations ne devrait pas avoir lieu avant le début de 2018.
Lors de son audition, Radio France a mis en avant la complexité, réelle, d’une telle opération de réhabilitation en site occupé et estimé que les dépassements qui résultent nécessairement de la « vie d’un chantier » seraient « mesurés » compte tenu de la difficulté des travaux. Les auditions ont toutefois montré que la programmation des besoins et des opérations a été notoirement insuffisante. Une analyse des dépassements montre qu’ils sont dus pour au moins plus de la moitié, voire les deux tiers, à des décisions de l’entreprise.
La tutelle indique avoir été alertée très tardivement de ces surcoûts – pas avant février 2014. Cependant, la Cour des comptes et la mission de contrôle de Bercy s’accordent à estimer que la pression exercée par les tutelles – la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la culture, et la direction du budget à Bercy –, sur l’entreprise de manière générale, et dans ce dossier en particulier, a été insuffisante, le conseil d’administration s’étant contenté de constater les dépassements. La Cour des comptes apportera, je l’espère, plus de précisions concernant une gestion de chantier aujourd’hui très mal vécue par les salariés : ces derniers évoquent un « gouffre financier » et portent un regard sévère sur un dossier géré, disent-ils, avec « amateurisme ». Quoi qu’il en soit, on ne peut que regretter avec eux que les débordements de cette opération de réhabilitation soient amenés à peser lourdement sur l’équation financière du groupe, notamment sur ses marges d’investissement dans la stratégie éditoriale et numérique.
M. Jean-Noël Carpentier, rapporteur pour avis. La partie thématique de mon rapport pour avis est consacrée au soutien à la presse à l’ère numérique. Je ne vous parlerai donc pas ce matin de l’imbroglio des aides d’État à la presse, de leur efficacité toute relative ni des effets d’aubaine qu’elles suscitent chez certains patrons d’industrie qui s’offrent ainsi de l’influence à bon compte. Permettez-moi simplement de faire quelques remarques concernant l’actualité de la presse à l’heure du numérique.
Aujourd’hui 40 % de la population mondiale est connectée sur la toile, et ce n’est pas fini ! Déjà, près de 80 % des habitants des pays de l’OCDE sont connectés. Résultat d’une évolution des technologies spectaculaire, le numérique bouscule tout ; certains évoquent même une véritable révolution industrielle. En 1950, les plus gros ordinateurs traitaient mille opérations par seconde ; depuis, ce nombre a été démultiplié tous les ans, et les ordinateurs peuvent aujourd’hui effectuer plusieurs milliards d’opérations dans ce même laps de temps. Cette progression est exponentielle : il faut s’attendre à voir émerger, comme le préconisent certains, des machines dotées de la capacité du cerveau humain.
Cette puissance informatique alliée à la connexion massive à internet modifie profondément nos sociétés. Le travail, les loisirs, les communications, l’éducation et la circulation de l’information : rien n’est dorénavant plus tout à fait comme avant ! Nos démocraties elles-mêmes évoluent sans doute, et certains chercheurs affirment qu’un nouveau monde est né. Un monde incertain dans lequel l’on se demande si le système capitaliste va redistribuer aux peuples les dividendes des avancées technologiques. Un monde aussi où l’on a l’impression parfois de perdre pieds tellement il va vite. Un monde où l’on peut légitimement s’inquiéter d’être fichés et suivis à la trace par les géants du net, les fameux « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon).
Mais le numérique offre aussi des potentialités puissantes pour l’économie et des outils nouveaux et formidables pour la démocratie.
Au terme des auditions que j’ai menées pour préparer mon rapport pour avis, j’ai acquis la conviction que le numérique était une chance pour la presse et le journalisme, à condition que le journalisme sache se réinventer et que les éditeurs de presse remettent en question un système en difficulté.
Avec internet, les médias et les industries culturelles (musique, livre, cinéma, audiovisuel…) font face à une profonde mutation qui modifie leur écosystème. Le secteur de la presse et du journalisme est donc lui aussi transformé. Les comportements de nos concitoyens sont dorénavant modifiés. Toujours friands d’information, ils veulent pouvoir la consommer partout et tout le temps. Il faut qu’elle soit rapide et crédible. M. Patrick Le Floch le rappelle dans son ouvrage L’économie de la presse à l’ère numérique : « L’arrivée des sites d’actualités casse les frontières traditionnelles des marchés de la presse, l’aire géographique de diffusion et la périodicité n’ont plus de sens. » Alors qu’un monde ancien recule, un nouveau émerge.
Pourtant, même si les Français doutent parfois légitimement de l’indépendance des médias face aux pouvoirs politiques et économiques, ils font toujours davantage confiance aux médias dits « traditionnels », comme la radio, la presse écrite et la télévision, qu’à internet, même si sa cote de confiance progresse. On sent comme une retenue de nos concitoyens face au flot d’informations disponibles. Il serait toutefois erroné d’en conclure que la presse ne peut progresser sur internet. Bien au contraire, la tendance est bien celle-là.
Pour le débat public et pour notre démocratie, il est essentiel qu’à travers des titres de presse reconnus et crédibles un journalisme de référence donne des repères aux lecteurs sur la toile. Le numérique est avant tout une chance pour la démocratie. Internet n’est pas qu’un danger pour la presse ; c’est aussi une opportunité. Il est d’ailleurs rassurant de constater que les sites les plus consultés en France sont ceux de la presse quotidienne nationale, devant ceux des autres médias que sont TF1, France Télévisions, ou les radios en ligne. On ne peut que s’en féliciter. La récente proposition de rachat de LCI par le groupe Le Monde témoigne des évolutions en cours.
Internet n’est pas seulement une opportunité en termes économiques, elle en est également une pour le journalisme. Pour les grands titres de presse, la nécessité de réactualiser continuellement l’information exige de nouveaux moyens. Il faut notamment permettre la vérification plus rapide des sources afin d’éviter la propagation de rumeurs, enrichir les contenus par la vidéo ou par l’infographie, et puis, surtout, créer plus d’interactivité avec le lecteur, ce qui modifie le rôle du journaliste et des rédactions.
Sur internet, le nouveau rapport entre le lecteur et l’information, ainsi que des coûts d’investissement moins importants que dans la presse papier, permettent l’émergence de nouveaux titres de journaux dits « pure players » qui se veulent plus indépendants des pouvoirs économiques et offrent assurément un ton différent et plus libre sur plusieurs sujets de l’actualité.
Le modèle de soutien de l’État est-il pertinent à l’ère numérique ?
Le soutien de l’État à la presse demeure massivement centré sur la diffusion papier et sur la distribution – points de vente, distribution des abonnements… Il s’élève à environ 260 millions d’euros. Comme les années précédentes, les aides à la presse en ligne continuent de représenter une partie très faible des aides budgétaires, environ 10 %. Déjà en 2013, Michel Françaix, alors rapporteur pour avis de notre Commission, faisait ce constat : « L’écosystème actuel continue à orienter l’essentiel de ses ressources vers le maintien de modèles anciens, indépendamment de toute réflexion sur leur finalité, leur pertinence et leur viabilité. »
On peut légitimement s’inquiéter de la grande difficulté des éditeurs de presse papier à s’entendre et à améliorer ensemble l’efficacité de leurs réseaux de diffusion. Des synergies sont pourtant indispensables pour maintenir une activité papier en constante diminution. Des aides d’État ne pourront indéfiniment combler les carences des éditeurs qui se refusent à prendre des décisions.
Cette politique est vouée à l’échec dans un contexte où la mutation numérique apparaît inéluctable tant la baisse de la diffusion papier s’accélère : le recul est tout de même de 25 % en douze ans alors que la population sur la même période a augmenté de près de 10 %. Cette baisse de la diffusion, inégale selon les médias, touche plus particulièrement la presse quotidienne nationale. M. Francis Morel, président du syndicat de la presse quotidienne nationale, a reconnu lors de son audition que l’État avait trop soutenu la dimension industrielle de la presse papier au détriment du soutien à la presse en ligne, ce qui explique peut-être en partie le retard de la presse française dans sa mutation numérique.
L’État a toutefois fait évoluer les choses positivement avec notamment l’application du taux de TVA super-réduit de 2,1 % à la presse en ligne – le président de notre Commission n’étant pas étranger à cette évolution. De même, un ciblage accru du fonds stratégique pour les services de presse en ligne (SPEL) est mis en place depuis le mois de juin dernier. Désormais, seuls les SPEL d’information politique et générale sont éligibles à ce fonds et les sites d’information pratique en sont écartés. Je me félicite de ce ciblage resserré qui n’est que la première étape dans la révision complète du modèle de soutien français à la presse.
Nous devons en effet nous interroger sur la pérennité de notre système d’aides à la presse à l’ère numérique.
Contrairement à l’édition d’un journal sous format papier, la création d’un site internet ne nécessite pas d’infrastructure très importante : les barrières à l’entrée du secteur sont bien moindres et les opinions peuvent s’y exprimer plus facilement dans toute leur diversité. De ce fait, la question de la protection du pluralisme, qui fonde le système français d’aide à la presse, ne peut plus se poser dans les mêmes termes depuis l’avènement du numérique.
Nous pouvons aussi interroger notre système d’aides en le comparant à celui de nos voisins. Si les aides à la presse papier existent chez un grand nombre d’entre eux, leur niveau est beaucoup plus élevé en France. Les aides directes telles que nous les pratiquons sont d’ailleurs interdites dans plusieurs pays au nom même de la liberté de la presse.
Au final, on peut s’interroger sur le maintien d’un système d’aide particulièrement généreux qui contribue parfois à nourrir les interrogations de nos concitoyens sur l’indépendance politique de la presse. De même, l’évolution récente du profil des propriétaires de presse accrédite l’idée qu’on n’achète plus aujourd’hui forcément un titre de presse pour sa rentabilité mais peut-être plutôt pour l’influence politique qu’il procure. Dans un tel contexte, les aides à la presse peuvent, hélas ! conforter des logiques d’influence plus que des logiques d’investissement au service du journalisme et de l’information du citoyen.
Le même raisonnement me fait m’interroger sur les fondements du « fonds Google ». Si le principe de cet accord de compromis avec Google reste pragmatique puisqu’il offre des ressources supplémentaires, il ne peut constituer à mon sens une solution à long terme pour résoudre les défis auxquels est confrontée la presse en ligne, et répondre à l’enjeu que représentent les conditions de diffusion et de rémunération des contenus de cette dernière. Compte tenu de la position dominante de ce moteur de recherche et de son rôle capital et controversé dans l’accès à l’information, il serait malsain que Google devienne de manière durable le principal mécène de la presse française. Ces accords devront être encadrés. Ceux qui profitent de contenus produits par d’autres doivent rémunérer ceux qui les ont créés.
Au vu des évolutions du secteur de la presse, la question d’une redéfinition et d’une réduction de certaines aides à moyen ou à long terme peut désormais être posée. Il faut le faire sereinement, en veillant à ne pas déstabiliser un secteur industriel qui emploie des milliers de personnes et en accordant aux quotidiens à faibles ressources une attention particulière afin de préserver le pluralisme.
Dans le temps très limité qui m’était imposé, j’ai peut-être présenté certaines de mes propositions de façon abrupte, mais la mutation numérique déjà engagée doit impérativement être accélérée. Les patrons de presse, les journalistes et les citoyens ont tout à gagner si elle se fait au nom de la démocratie et du débat public.
M. Rudy Salles, rapporteur pour avis. J’ai choisi cette année de consacrer l’avis budgétaire relatif au programme « Livre et industries culturelles » au jeu vidéo. En effet, longtemps dominé par le livre, le secteur des industries culturelles compte désormais un nouveau venu : le jeu vidéo, qui est devenu le bien culturel le plus vendu en France et représente le deuxième marché de divertissement. Il mérite d’autant plus notre attention qu’il constitue un enjeu culturel et économique pour notre pays.
Enjeu culturel, tout d’abord : le jeu vidéo n’est plus seulement une affaire de passionnés : son public élargi est même devenu familial. Quelques chiffres sont susceptibles de bouleverser les idées reçues : la moyenne d’âge du joueur tourne autour de quarante et un ans, et 52 % des joueurs sont des joueuses. Le jeu vidéo est un vecteur d’influence culturelle, et les jeux français se distinguent à la fois par la qualité de leur création et par leurs innovations technologiques. Notre savoir-faire est reconnu internationalement : 80 % de la production est destiné au marché étranger. La filière musicale n’a pas le monopole de la « touche française » !
Les studios français bénéficient d’équipes de qualité composées de graphistes, de scénaristes, de monteurs ou d’ingénieurs. Nos écoles de formation sont réputées dans le monde entier et notamment l’école des Gobelins à Paris, pour n’en citer qu’une.
Le jeu vidéo est ensuite un enjeu économique. On compte en France trente et un million de joueurs, et le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) estime qu’un joueur dépense en moyenne 40 euros par mois. La filière française est très dynamique, son chiffre d’affaires direct, qui était de 700 millions d’euros en 2002, a atteint presque 3 milliards d’euros en 2013. La société Ubisoft, troisième éditeur mondial de jeu vidéo, en est l’exemple même.
L’État soutient le secteur à travers deux dispositifs spécifiques : le crédit d’impôt pour les dépenses de création de jeu vidéo et le fonds d’aide au jeu vidéo.
Le premier permet aux entreprises installées en France de déduire de leur impôt sur les bénéfices 20 % de leurs dépenses affectées directement à la création de ces jeux. Ce dispositif contribue à éviter la délocalisation des entreprises en comblant partiellement la différence entre les coûts de conception dans les studios français et ceux des studios étrangers. De plus, il génère des recettes fiscales : en 2013, pour 1 euro de crédit versé, 1,80 euro de recettes fiscales et sociales a été perçu par l’État.
Le deuxième dispositif, le fonds d’aide au jeu vidéo, comprend trois aides : l’une destinée à la réalisation de prototypes de jeux – l’aide à la pré-production, une autre destinée à créer une valeur patrimoniale – l’aide à la création de propriétés intellectuelles, et la dernière consacrée à la promotion de ces jeux et de la profession – l’aide aux opérations à caractère collectif.
Malgré ce soutien, la position française s’effrite, concurrencée par le marché asiatique, canadien, mais aussi européen où se positionnent la Finlande, le Royaume-Uni ou l’Allemagne. En dix ans, nous sommes passés du cinquième au huitième rang des pays producteurs de jeu vidéo. L’emploi dans le secteur a été divisé par deux : seulement 12 000 salariés y travaillaient en 2013, alors qu’ils étaient 25 000 durant les années 2000.
Le Syndicat national du jeu vidéo et l’IDATE ont publié le 15 octobre dernier un baromètre annuel du jeu vidéo en France. On y apprend que 62 % des entreprises interrogées considèrent la France comme peu attractive. C’est pourquoi il est urgent que le soutien de l’État soit repensé. De nombreuses pistes existent, des solutions sont connues, des projets annoncés. Il est temps que ces annonces soient suivies d’effet, et que ces projets deviennent opérationnels. Trois grandes priorités devraient s’imposer.
Première priorité : l’aménagement du crédit d’impôt au jeu vidéo. Ce dispositif n’est plus adapté à l’évolution des jeux. De plus, il est concurrencé par des dispositifs extrêmement agressifs mis en place à l’étranger, notamment à Singapour qui propose un crédit d’impôt de 50 %. La production des jeux sur supports physiques, dits de nouvelle génération, nécessite de longues années de travail, c’est pourquoi la procédure d’agrément doit être revue – le délai entre l’agrément provisoire et l’agrément définitif doit être allongé. En revanche, les coûts de développement des jeux dématérialisés sur tablettes ou téléphones sont moindres, ce qui devrait permettre d’abaisser, pour ce qui les concerne, le seuil des dépenses éligibles au crédit d’impôt.
Ces points d’amélioration ont été identifiés et des aménagements ont été votés l’année dernière, lors de l’examen de la loi de finances pour 2014. Cependant, le nouveau dispositif n’est toujours pas applicable et il n’est pas certain qu’il s’appliquera en 2015. En effet, une aide d’État doit être notifiée à la Commission européenne et validée. Je m’étonne que la transmission à Bruxelles ne soit intervenue que cet été, retardant d’autant la mise en œuvre effective du nouveau crédit d’impôt.
Deuxième priorité : inciter les entreprises du secteur à prétendre à des aides transversales liées à l’innovation, à la recherche ou à la compétitivité, comme les crédits d’impôts recherche ou innovation, le dispositif jeune entreprise innovante, ou des projets dans le cadre du fonds interministériel. Encore faut-il que l’administration fiscale joue le jeu ! Les entreprises du secteur peuvent prétendre au crédit d’impôt recherche. Malheureusement, depuis un an, les dépenses éligibles à ce crédit d’impôt qu’elles déclarent sont requalifiées, et nombre d’entreprises subissent de ce fait des redressements fiscaux. Je déplore cette instabilité juridique qui ne leur permet pas de rivaliser avec la concurrence internationale.
Troisième priorité : l’accès au financement. Il s’agit d’un enjeu crucial pour un secteur composé majoritairement de très petites entreprises qui ne disposent pas de fonds propres, ce qui menace leur pérennité. Le secteur bancaire, traditionnellement frileux à l’égard des industries culturelles, l’est plus encore lorsqu’il a affaire à un secteur méconnu où les risques sont grands.
Sur ce sujet également, plusieurs projets sont en gestation. En particulier celui d’un fonds d’octroi de prêts participatifs géré par l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), doté de 20 millions d’euros, qui servirait de levier aux entreprises pour trouver ensuite des crédits complémentaires auprès du secteur bancaire traditionnel. La Banque publique d’investissement (BPI France) devrait aussi s’impliquer davantage dans ce secteur. Son manque d’intérêt et sa prudence dans ce domaine doivent être dépassés. Un projet existe : la signature d’une convention cadre avec l’IFCIC lui permettrait de co-garantir des crédits et d’utiliser le réseau régional de ses agences.
Il est grand temps que tous ces dispositifs soient opérationnels afin de préserver un secteur culturel d’avenir, à forte valeur ajoutée.
M. Le président Patrick Bloche. Ces trois rapports pour avis portant sur la même mission budgétaire, il n’y aura qu’un seul orateur par groupe. Au demeurant, les représentants des groupes auront trois fois l’occasion d’intervenir : ce matin, demain soir en commission élargie et in fine la semaine prochaine, en séance publique.
M. Michel Françaix. Italo Calvino s’interrogeait sur nos capacités réelles à pouvoir reconnaître un nouveau monde s’il se présentait à nous et sur la cécité devant ce qui émerge de neuf d’une société tout entière occupée à prévoir le passé, l’œil rivé au rétroviseur. Gramsci, quant à lui, définissait la crise comme le moment où une société se meurt sans qu’une autre soit encore née. Gardons-nous donc de sauter sans discernement sur toute technologie nouvelle ; à force de vouloir voir du nouveau partout, on finit par ne plus en voir nulle part. Si le numérique a réellement bouleversé nos vies et modifié nos repères, s’il faut accepter le changement et inventer de nouveaux formats sans nous retrancher derrière une ligne Maginot, attention toutefois aux effets de mode et au « bougisme ». Pour paraphraser Robert Filliou, le numérique est ce qui rend la vie plus intéressante que le numérique… à condition de la rendre plus intéressante !
L’ordre ancien de la presse vacille : érosion continue et vieillissement inexorable du lectorat, déclin prolongé de la diffusion, réduction régulière du nombre de points de vente – si les kiosquiers étaient mieux payés, peut-être le problème serait-il différent –, déstabilisation de Presstalis, diminution du chiffre d’affaires et chute significative des recettes publicitaires, rentabilité négative des entreprises, fragmentation de l’offre, c’est tout l’écosystème de la presse écrite qui est engagé dans une spirale cruelle.
Même si le pluralisme de la presse est aujourd’hui reconnu comme un objectif à valeur constitutionnelle, il serait illusoire de penser que l’État assurera à lui seul le renouveau de la presse, dans un contexte où le nombre total de journaux vendus chaque année en France est passé de 6,5 à 4 milliards depuis 2000. Cette baisse est inéluctable mais la presse papier n’aura pas disparu pour autant en 2050 : les exemples anglais ou américains ont montré que tous les titres ayant abandonné le papier pour le numérique sont morts. Et l’idée de marque reste encore particulièrement présente.
Sur les 4 milliards de journaux diffusés, 2 milliards le sont par la vente au numéro, dont 1 milliard par Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse (MLP) et 2 milliards par abonnement – 1,2 milliard par la poste et 800 millions par portage. Cela m’inspire trois réflexions. La première est qu’il conviendrait de donner davantage de pouvoir aux instances de régulation, afin de mieux rationaliser l’organisation de Presstalis et des MLP ; à défaut, je ne suis pas loin de penser, comme Marie-George Buffet, qu’il faudrait peut-être fusionner ces deux structures. Il est ensuite important de correctement répartir les aides accordées au transport postal et au portage, lequel concerne essentiellement la presse quotidienne. Si La Poste ne fait pas son boulot, donnons tout au portage ! Mais les autres formes de presse ne sont pas intéressées par le portage et il faut donc les aider via La Poste… Reste que l’État se concurrence lui-même en donnant de l’argent aux mêmes deux fois : il faudrait pour le moins rationaliser tout cela. Enfin, notre système d’aides doit tenir compte du fait que 40 % des diffuseurs ont aujourd’hui une rémunération inférieure au SMIC – je m’étonne d’ailleurs qu’on ouvre encore de nouveaux kiosques aujourd’hui et qu’il n’y en ait pas davantage qui ferment.
Entre l’immobilisme, qui n’est plus tenable, et la révolution, mon grand âge m’incite à défendre une troisième voie, qui consiste à accompagner la transition en évitant la rupture.
Un mot pour conclure sur l’AFP qui subit aujourd’hui la concurrence d’internet. Or elle est la seule à vérifier ses informations. Sur dix scoops sortis sur internet, sept sont faux ! Et l’on trouvera à peine deux lignes le lendemain pour démentir… L’AFP doit demeurer un champion national, vecteur de l’exception culturelle, reconnu pour l’excellence de son travail. Son statut se justifie pour autant qu’il lui permet de remplir cette mission et d’être pour la France un instrument de souveraineté et d’expression. Mais si l’AFP est unique, elle est aussi une entreprise comme les autres. Par conséquent, elle doit continuer à se développer en se diversifiant ; elle doit convaincre ses clients et en recruter de nouveaux, dans un contexte de concurrence de plus en plus âpre et en constante évolution. Face à ces enjeux, tout immobilisme conduira inéluctablement les acteurs de ce dossier à la paupérisation et à une inévitable crise. Réformer dès aujourd’hui me paraît préférable à la perspective de subir demain, sous la contrainte, des transformations brutales. Dans son intérêt et celui de la presse tout entière, l’AFP doit se donner les moyens de rester en mouvement au rythme du monde.
Mme Annie Genevard. J’ai trouvé le rapport de Martine Martinel sur Radio France très sérieux et très courageux. Il aborde tous les aspects du sujet, qu’il s’agisse de la stratégie, des choix budgétaires, de la place du numérique ou de la gouvernance ; mais surtout, il a le courage de n’éviter aucun des sujets qui peuvent fâcher.
À ce titre et prenant le contre-pied des propos qu’avait tenu Jean-Luc Hees lors de son audition l’an dernier, il pose clairement et légitimement la question du maintien du Mouv’, dont la faible audience montre qu’il n’a jamais véritablement rencontré son public.
Le rapport évoque également le vieillissement des audiences de France Inter, de France Musique ou de France Info, dont l’âge moyen tourne autour de soixante ans. Vous aviez l’an dernier poussé des cris d’orfraie, mes chers collègues, lorsque, longtemps fidèle auditrice de France Inter, j’avais avoué m’être détournée d’une chaîne devenue très prévisible et ayant perdu son esprit novateur. Martine Martinel ne dit rien d’autre lorsqu’elle évoque une offre qui n’a sans doute pas su se renouveler. Elle aborde enfin le risque de ghettoïsation qui menace certaines stations, question d’autant plus fondamentale qu’elle rejoint un des enjeux auxquels se trouve confrontée la société française dans son ensemble.
S’agissant de la presse, nous avons eu très opportunément ce matin un rendez-vous avec les éditeurs de quotidiens nationaux, avec qui nous avons évoqué quatre sujets importants : l’imprimerie, la distribution, le statut et le financement des entreprises de presse, les objets connectés. Sur ce dernier point, les éditeurs s’interrogent sur le sort de la préconisation qui figurait dans le rapport Lescure et consistait à taxer les objets connectés pour rémunérer les contenus.
Notre rapporteur Jean-Noël Carpentier considère dans son rapport que le numérique est une chance pour la presse, à condition qu’elle sache se réinventer. Encore faudrait-il définir ce que signifie « réinventer »… Est-ce devenir une presse à consommer partout et tout le temps ? Au vu de ce que nous apportent les chaînes d’information en continu, qui sont certes intéressantes en termes d’instantanéité mais pèchent souvent par manque de recul, je ne suis pas sûre d’adhérer à cette vision des choses.
M. Rudy Salles a fort judicieusement axé son rapport autour des jeux vidéos. C’est un choix opportun car il s’agit d’une industrie culturelle moins connue que d’autres, mais dont le poids économique n’est pas négligeable. Le sujet est de surcroît dans l’air du temps, a fortiori lorsqu’on connaît l’intérêt de notre nouvelle ministre pour la dimension numérique de la culture. L’industrie des jeux vidéos est emblématique de ce qui caractérise les entreprises françaises : une grande créativité, un écosystème performant, mais un soutien public mal ajusté, un soutien privé trop faible et un défaut de compétitivité qui compromet tout à la fois l’emploi et la place de ce secteur dans notre économie. Pour remédier à cette situation, le rapport ébauche des pistes intéressantes, qui méritent d’être creusées.
Mme Barbara Pompili. Le rapport de Martine Martinel nous sera fort utile lors des discussions à venir autour du futur contrat d’objectifs et de moyens (COM) entre l’État et Radio France. Je regrette moi aussi que le CSA n’ait pas prévu de réaliser un bilan du COM qui s’achève : si Radio France est une belle entreprise, dont on peut être fiers, il est également de notre devoir de contrôler la bonne réalisation des objectifs du COM, qui doivent permettre à cette société de relever les défis auxquels elle doit faire face, au premier rang desquels le défi du numérique.
En matière de maillage territorial, faire le pari de la radio numérique terrestre (RNT) pourrait permettre de résoudre les problèmes de rupture dans la couverture du territoire, notamment pour France Info ou France Bleu. La réserve du nouveau président de Radio France à ce propos, lors de son audition, n’augure rien de bon. Comme la rapporteure, j’espère que le rapport du CSA sur la RNT évaluera ce qui s’est fait à l’étranger et permettra de clarifier la position des pouvoirs publics à ce propos.
Comme la rapporteure également, je suis opposée à l’idée de revenir sur la gratuité d’accès aux podcasts. De même, je tiens à rappeler que nous sommes très attachés à la gratuité de RF8.
Aujourd’hui, les frontières entre ce qui est vu ou écouté sont de plus en plus floues, d’où l’intérêt que suscite l’idée d’avancer vers un système d’enrichissement mutuel des contenus éditoriaux des partenaires de l’audiovisuel public. Développer des offres numériques communes peut déboucher sur de nouvelles potentialités – elles sont énormes –, ouvrir sur de nouveaux usages, bénéfiques pour l’ensemble des supports traditionnels, à condition d’être source d’enrichissement culturel.
Lors de l’audition de Matthieu Gallet, j’avais indiqué que ces évolutions devaient se faire dans le dialogue et la concertation entre les directions et les salariés concernés afin que tout le monde s’y retrouve et partage ce projet collectif. Ce sont les personnels qui font vivre les radios, ne l’oublions pas. Par ailleurs, la question de la « permittence » se doit d’être soulevée afin de trouver des réponses pérennes.
La représentation de la diversité me semble également un point capital, qui devra nécessairement être revu dans le prochain COM.
Enfin, je rejoins les analyses de la rapporteure quant à la nécessaire clarification de l’identité des différentes chaînes.
Le rapport de Jean-Noël Carpentier pose quant à lui la question de la pertinence du modèle de soutien à la presse à l’ère du numérique, question d’autant plus légitime que les rapports suggérant de remettre à plat le système actuel sont nombreux. C’est pourquoi je regrette que nous n’allions pas plus loin dans la réforme structurelle des aides à la presse, qui nécessite d’être menée en prenant en compte les médias dans leur globalité : avec l’arrivée du numérique, les frontières s’étiolent entre presse papier, télévision et radio, ce qui remet en question la pertinence d’un système d’aides en fonction des supports.
Il ne s’agit pas de renier le fait que les besoins et les problèmes ne sont pas les mêmes entre presse papier et presse numérique mais, compte tenu de l’essor du numérique, le ratio actuel pose question : la presse numérique bénéficie de moins de 10 % des aides budgétaires. Or elle mérite autant de considération que la presse papier. En effet, quel que soit le support, les médias concourent au bon fonctionnement de notre démocratie. La pluralité de l’offre en matière d’information est une nécessité démocratique, tout comme sa qualité. Les Écologistes sont donc favorables à une égalité de traitement entre presse écrite et presse électronique. C’est en ce sens que nous avions soutenu l’harmonisation des taux de TVA, levier très intéressant puisque plus vertueux que celui des subventions, qui font toujours l’objet de suspicion de conflits d’intérêts et peuvent poser la question de l’indépendance de la presse. Il serait intéressant de disposer d’un retour sur les effets de cette harmonisation.
Compte tenu de ces éléments, on peut légitimement s’interroger sur les freins qui expliqueraient le retard de la France en matière de développement de l’offre numérique. Dans cette perspective se pose la question du modèle économique de cette presse. Le modèle du « freemium » est-il majoritaire dans les autres pays européens ? Des solutions alternatives ont-elles été développées et fonctionnent-elles ?
Dans un autre registre, pourriez-vous préciser, monsieur le rapporteur, votre position sur d’éventuelles instances de régulation, au regard notamment du respect du principe de la neutralité du Net qui, vous le savez, est un point essentiel pour nous ?
Nous partageons enfin l’idée que le fonds Google comporte des risques et qu’il est urgent de clarifier les choses.
Mme Marie-George Buffet. Nous avons avec l’AFP un outil performant, qui assure le pluralisme et la qualité de l’information, et contribue au rayonnement de notre pays à l’étranger. Or les syndicats sont aujourd’hui inquiets de l’avenir de l’AFP et dénoncent l’opacité dont la direction entoure le futur COM, lequel doit notamment définir les missions d’intérêt général qui seront financées par l’argent public. L’absence d’informations précises sur la nouvelle filiale, qui doit être créée début 2015, est également source d’inquiétude pour les personnels. Je me félicite pour ma part que la proposition de loi du groupe socialiste sur l’AFP et l’avenir de la presse soit inscrite rapidement à notre débat. Elle nécessitera sans doute d’être amendée, mais elle constitue d’ores et déjà une bonne base de départ.
La seconde partie du rapport de Jean-Noël Carpentier est consacrée aux aides à la presse à l’ère numérique. Le rapporteur estime que la question de la suppression progressive des aides directes à la presse doit désormais être posée. Je me félicite qu’il ait été un peu plus mesuré dans sa présentation orale, car ce n’est pas à mon sens la question de la suppression des aides à la presse qui doit être posée, mais celle de la pertinence de leur affectation, en fonction de la complémentarité qui existe entre la presse numérique et la presse papier. Il nous faut sortir de l’immobilisme, recentrer les aides à la presse sur les quotidiens d’information politique et générale, régler le sort des messageries dont il va bien falloir un jour ou l’autre envisager la fusion, repenser l’aide à la rémunération des diffuseurs et l’aide à la promotion de la lecture.
Faudra-t-il enfin attendre longtemps encore l’inscription à l’ordre du jour du projet de loi sur la protection du secret des sources des journalistes ?
M. le président Patrick Bloche. Je redonne la parole à M. Rudy Salles, cette fois en tant que porte-parole du groupe UDI.
M. Rudy Salles. J’ai lu le rapport de Martine Martinel avec un grand intérêt. J’étais administrateur de Radio France lorsque Le Mouv’ a été créé sous la présidence de Michel Boyon. Je m’étais opposé à l’époque à la création de cette radio, dans la foulée des radios privées qui s’étaient développées avec succès à destination des jeunes, estimant que le format retenu n’était pas le bon, ce qui, avec le recul, s’avère exact.
Il faudrait en revanche inciter Radio France à s’intéresser davantage aux régions, car si Le Mouv’ a été un échec, France Bleu a été un succès. Or les stations du réseau ne disposent pas des moyens suffisants pour fournir une bonne information locale. C’est pourtant nécessaire, compte tenu du monopole qu’elles détiennent dans nos régions, les radios privées locales nées dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ayant disparu ou ayant été absorbées dans des réseaux à dominante musicale. On serait bien inspiré de renforcer les moyens à destination de l’information locale à travers le réseau de France Bleu plutôt que de s’obstiner à entretenir des radios qui ne fonctionnent pas.
À l’occasion de l’avis budgétaire que j’ai rédigé l’an dernier sur la presse quotidienne régionale, j’avais consulté une étude montrant que les jeunes, avant vingt ans, ne s’informent que sur internet, tandis qu’entre vingt et quarante ans, les sources d’information privilégiées sont la radio et la télévision, puis, à partir de quarante ans, la presse écrite. Nous devons donc nous demander si ceux qui n’ont jamais ouvert un journal avant quarante ans le feront un jour.
S’il est normal que la presse écrite investisse de façon importante dans le numérique, elle doit continuer d’investir dans le papier pour pouvoir vendre des journaux, car le numérique ne rapporte rien. Nous ne disposons pas à ce jour de modèle économique à cinq ou dix ans et la presse écrite est aujourd’hui au milieu du gué, confrontée à une baisse considérable du nombre de ses lecteurs : huit cent mille lecteurs perdus en cinq ans, c’est l’équivalent de la diffusion de Ouest-France, premier quotidien régional français. Je tenais à ajouter ce constat à l’excellent rapport présenté par Jean-Noël Carpentier.
M. Marcel Rogemont. Nous nous sommes déjà prononcés contre la suppression inadmissible de la gratuité des podcasts, mais peut-être notre commission pourrait-elle envisager de réitérer son opposition, plus clairement encore, par le biais d’une motion ?
En ce qui concerne les mutations de la presse, n’oublions pas que ce qui permet aujourd’hui aux groupes de presse d’être rentables et de dégager des marges, c’est le papier et non le numérique. N’allons donc pas trop vite, sous peine de déstabiliser totalement le secteur.
Si certains sont tentés de voir en Google un nouveau mécène, il m’apparaît surtout pour l’instant, et c’est bien ce que laisse entendre le rapport, comme le principal prédateur… On peut néanmoins penser que la position adoptée par la France n’a pas contribué à renforcer la position des éditeurs allemands face à Google ; si nous aussi avions adopté une loi, peut-être aurions-nous inversé le rapport de force, même si nous ne pouvons que nous féliciter des 60 millions d’euros concédés par la firme et de la manière dont ils seront dépensés.
M. Rudy Salles a eu raison de rappeler dans son rapport que le jeu vidéo est un bien culturel très important en France : 67 % des Français y jouent, dont 52 % de femmes. C’est aussi une industrie dont le chiffre d’affaires est passé en France de 700 millions d’euros en 2002 à 3 milliards en 2013 et dans laquelle notre pays fait preuve d’un réel dynamisme et d’une vraie capacité d’innovation technologique.
Les pouvoirs publics ont donc mis en œuvre nombre de mécanismes de soutien, notamment via le CNC afin d’accompagner les acteurs du secteur et conforter notre bonne réputation internationale. L’essentiel de ces dispositifs consiste dans un crédit d’impôt et un fonds d’aide au jeu vidéo, auquel doit s’ajouter un fonds d’octroi de prêts participatifs permettant aux entreprises de disposer de fonds propres pour asseoir leur développement.
Nous devons adopter une démarche proactive et adapter sans cesse ces dispositifs de soutien à la concurrence internationale si l’on veut éviter les délocalisations : le jeu vidéo est une industrie qui se déplace très rapidement. Je soutiens totalement le rapporteur lorsqu’il insiste sur cette nécessité. Je rappelle que le CNC a évalué à 8 millions d’euros le montant du crédit d’impôt pour 2015 et qu’en 2013 un euro de crédit versé a rapporté 1,80 euro de recettes fiscales à l’État et entraîné 8 euros de dépenses réalisées dans la filière. Cet outil essentiel à la compétitivité de la filière française doit impérativement être adapté et pérennisé.
M. Patrick Hetzel. L’État a la responsabilité de deux grandes bibliothèques, dont la Bibliothèque nationale de France, véritable fleuron de notre patrimoine, qui contribue au rayonnement de la culture française, grâce notamment à la numérisation de son fonds et au dispositif Gallica. Or le rapport de M. Rudy Salles a nourri mon inquiétude au sujet des travaux de rénovation du quadrilatère Richelieu : seulement 13,2 millions d’euros en crédits de paiement ont été budgétés, ce qui représente moins de 10 % des crédits de paiement nécessaires au projet de rénovation, laquelle doit s’étaler sur cinq à six ans. Je crains donc que nous ne disposions pas du budget permettant de réaliser les travaux dans les délais, ce qui risque de générer des surcoûts, d’autant que le chantier a déjà connu certaines surprises – la découverte d’amiante, par exemple.
M. Michel Pouzol. La sanctuarisation des budgets de la culture est une très bonne nouvelle, aussi bonne peut-être que le fait que le budget de l’éducation nationale redevienne le premier budget de l’État ! J’ai néanmoins été frappé que l’excellent rapport de Martine Martinel mette en évidence, à propos de Radio France, autant de questions similaires à celles que nous avons eu à nous poser lorsque nous évoquions France Télévisions, questions qui rejoignent par ailleurs celles que se pose Jean-Noël Carpentier sur la presse. Dans tous les cas, il s’agit de s’interroger sur l’adaptation de nos modèles historiques à un paysage bouleversé par le numérique et l’émergence de nouveaux usages, mais également sur la pertinence des stratégies mises en œuvre dans ces entreprises.
Face à ces bouleversements et grâce à la sanctuarisation des budgets de la culture, peut-être devons-nous prendre le temps de sortir de l’immédiateté et de réinterroger l’ensemble de nos dispositifs de soutien, pour tenir compte de cette nouvelle donne dans une vision globale de notre politique culturelle. Le temps de l’analyse n’est certes pas le temps budgétaire ni le temps politique, mais c’est peut-être le temps que nous devons prendre si nous voulons redynamiser un modèle qui nous tient tant à cœur et qui est essentiel tant pour l’économie de notre culture que pour son rayonnement. À entendre nos rapporteurs et les orateurs de nos groupes, il semble que ce nouveau monde à naître ne soit pas très loin de nos réflexions. À nous de lui tendre la main pour l’aider à entrer dans le réel et éclairer les chemins à prendre pour fixer les bases de l’acte II de l’exception culturelle.
Mme Dominique Nachury. Je félicite les trois rapporteurs pour leur travail, riches de réflexions et d’interrogations. Si le rapport de Jean-Noël Carpentier fait état de l’utilité du fonds Google et de la satisfaction du plus grand nombre des acteurs du secteur, il en pointe aussi les limites et les risques. Existerait-il d’autres solutions permettant la rémunération des contenus ?
Un mot enfin sur l’infaillibilité de l’AFP qu’a évoquée Michel Françaix. L’AFP a repris une information de la presse locale me concernant, selon laquelle j’avais été victime d’une agression et d’un vol. Or c’était faux… L’AFP n’est donc pas toujours infaillible.
M. le président Patrick Bloche. Il faut au moins convoquer un synode pour traiter de l’infaillibilité…
M. Hervé Féron. Mme Martinel a évoqué la mise en place, en septembre 2014, d’un portail commun de services de radio sur internet nommé direct-radio.fr, regroupant les principales radios privées et celles de Radio France. Grâce à ce portail, les auditeurs peuvent désormais passer d’une radio à l’autre et télécharger les podcasts qui les intéressent. Or, dans le projet de Mathieu Gallet pour Radio France, figure la fin de la gratuité du téléchargement des podcasts, alors même que ces émissions sont en partie déjà financées par la contribution à l’audiovisuel public, par ailleurs en hausse dans le PLF pour 2015 : autant de raisons qui me poussent à considérer que le téléchargement des podcasts doit demeurer gratuit.
D’autant que la gratuité d’accès aux productions audiovisuelles contribue à leur notoriété sur internet et à la valorisation de notre patrimoine culturel public. Nous pouvons prendre exemple sur de nombreuses institutions étrangères, notamment allemandes ou américaines, qui mettent leurs images sur internet en utilisation libre de droit, parfois en plus faible résolution. Êtes-vous favorable à la création d’un grand portail public de l’audiovisuel français à accès gratuit rassemblant diverses ressources, dont les podcasts de Radio France ?
Par ailleurs, le service de proximité de la radio s’incarne dans le réseau des quarante-quatre stations locales de France Bleu réparties sur tout le territoire. Or, comme vous le soulignez dans votre rapport, l’objet de France Bleu est de diffuser une information de proximité et de qualité et de valoriser le patrimoine et la vie culturelle des régions. Parce que ses animateurs radiophoniques sont de vrais professionnels et que l’offre de France Bleu répond à une demande croissante, les chiffres d’audience montent en flèche. Cependant les financements versés à France Bleu sont régulièrement en baisse, ce qui n’est pas sans conséquence en termes de masse salariale – techniciens, animateurs et journalistes. Les moyens en équivalents temps plein ne sont pas suffisants alors que la dynamique du réseau mérite d’être mieux soutenue. Cette volonté politique est nécessaire parce qu’il s’agit du réseau de proximité de la radio publique.
Le Mouv’, quant à lui, coûte 20 millions d’euros par an sans rencontrer la réussite escomptée : aussi est-il légitime de se demander s’il est pertinent d’institutionnaliser la culture alternative. La radio publique peut-elle rencontrer son public en s’appropriant la culture urbaine, qui est, par définition, une culture alternative ? Les jeunes veulent avant tout être acteurs. À l’époque des stations locales, il existait sur Radio France Nancy-Lorraine une émission, « Fréquence Fac », qui donnait la possibilité à de jeunes étudiants d’animer leur émission quotidienne. Elle avait rencontré son public parce qu’elle était pensée pour les jeunes et réalisée par les jeunes, de plus dans la proximité. Cela fonctionnait bien, et cela coûtait infiniment moins cher que le Mouv’ !
M. Michel Herbillon. Je veux féliciter nos trois collègues dont les rapports étaient très intéressants. Et notre réunion de ce matin, monsieur le président, montre combien était pertinente votre proposition, que j’avais soutenue, de nous réunir préalablement à la commission élargie pour entendre nos rapporteurs pour avis et débattre de leurs rapports.
Madame Martinel, je tiens à évoquer la place de la musique sur Radio France, dans le cadre de la rénovation de l’auditorium – l’orchestre de Radio France peut de nouveau s’y produire – et de l’ouverture début janvier 2015 de la Philharmonie de Paris : quelle serait, selon vous, la meilleure organisation des différentes salles de concert de Paris ? Si Paris a longtemps manqué de salles de concert, nous nous trouvons désormais, sinon devant une surabondance, du moins devant la nécessité d’organiser différents concerts dans différentes salles.
Je souhaite par ailleurs souligner la qualité du plaidoyer de M. Françaix pour la presse. Monsieur Carpentier, alors même que notre presse est très aidée, comment expliquer le fait que la France n’ait pas, comme les Britanniques, de journaux mondiaux de référence – je pense notamment au Financial Times. Ne serait-il pas possible de profiter des possibilités offertes en la matière par le numérique ?
Notre collègue Rudy Salles a souligné l’importance, la notoriété et la créativité du secteur français du jeu vidéo, mais également les dangers qui guettent ce secteur pourtant très porteur. Est-ce seulement dû à l’environnement juridique et fiscal ou y a-t-il d’autres raisons ?
Une suggestion pour terminer, monsieur le président : ne serait-il pas possible de changer de temps à autre le tableau qui orne la salle de la Commission des affaires culturelles, en ayant, pour cela, recours au Fonds national d’art contemporain ? Cela nous donnerait l’occasion de connaître un plus grand nombre d’œuvres. Pour Malraux, dois-le rappeler, la culture était « la connaissance du plus grand nombre d’œuvres par le plus grand nombre d’hommes ».
M. le président Patrick Bloche. Je remercie M. Herbillon de son intervention. Nous examinerons sa proposition lors d’une réunion du bureau de la Commission.
Mme Sophie Dessus. L’année dernière, l’Assemblée nationale a adopté différentes dispositions dans le cadre de la loi encadrant les conditions de la vente à distance des livres, visant notamment à interdire la gratuité des frais de port pour éviter que des grands groupes comme Amazon ne contournent la loi Lang sur le prix unique du livre. Il faut savoir que ces grands groupes, non contents d’être responsables de la mort programmée des librairies, se permettent de censurer les éditeurs – je pense au conflit qui a opposé cette année Hachette à Amazon. De plus, Amazon n’hésite pas à frauder le fisc et à violer le droit du travail.
Un an après le vote de ces dispositions législatives, ne conviendrait-il pas d’apporter de nouveau un soutien marqué aux vrais professionnels du livre qui, seuls, ne peuvent lutter contre de tels mastodontes ?
Mme Isabelle Attard. Le rapport de Mme Martinel évoque l’engagement de Radio France d’atteindre le taux de 30 % de femmes invitées lors de ses matinales. Je suis pour ma part très déçue de la faiblesse de cet engagement : derrière quelle excuse la société Radio France peut-elle bien se cacher pour ne pas viser plus haut que ces 30 % ? Sachant que cela fait deux hommes pour une femme, peut-on savoir comment s’opère la sélection ? Pensez-vous comme moi, madame la rapporteure, que le CSA devrait fixer des objectifs plus contraignants en termes de diversité ?
Alors que les sites de Radio France sont moins fréquentés que ceux des autres radios émettant sur le territoire national, le projet du président Mathieu Gallet de faire payer l’accès aux archives des émissions aggravera ce retard : je partage donc la vive opposition de notre rapporteure et de notre collègue Marcel Rogemont à ce projet. Aux États-Unis, toute œuvre réalisée par un agent public dans l’exercice de ses fonctions tombe automatiquement dans le domaine public. Les citoyens finançant déjà par leur impôt la création de ces œuvres, comment justifier un second paiement ?
Je partage également les conclusions du rapport de M. Carpentier sur le fonds Google. Ce n’est pas en rendant la presse financièrement dépendante d’une multinationale américaine que nous améliorerons son sort. Monsieur le rapporteur pour avis, avez-vous des propositions concernant l’avenir de ce fonds ?
Monsieur Salles, vous soulignez dans votre rapport l’importance de maintenir un équilibre économique entre tous les acteurs de la chaîne du livre, sans évoquer toutefois les problèmes posés par les plateformes de vente de livres numériques. Depuis plusieurs mois, Amazon applique des mesures de rétorsion à l’éditeur Hachette pour obtenir des baisses de ses tarifs. Hachette est pris au piège d’Amazon parce que ses lecteurs, clients d’Amazon, sont eux-mêmes dépendants de la plateforme. Alors qu’ils pensent avoir acheté des livres numériques, ils ne peuvent pas les transférer sur un autre système en raison des mesures techniques de protection – les fameuses DRM – mises en place par Amazon. J’ai proposé l’an dernier de supprimer l’application du taux réduit de TVA à ces pseudo-livres : nous suivrez-vous dans cette voie ?
La ministre de la culture et de la communication souhaite maintenir la réponse graduée prévue dans le cadre de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet en raison de ses aspects prétendument pédagogiques. Or la seule réussite de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) en la matière a été d’inciter les internautes à quitter les réseaux pair à pair vertueux pour des sites de téléchargement direct tels que Megaupload : les citoyens partageurs ont été poussés dans les bras des réseaux mafieux !
Monsieur le rapporteur pour avis, pensez-vous, comme moi, qu’en cessant la chasse aux partageurs de la culture, nous assécherons, à moindre coût, le financement des sites d’hébergement qui gagnent de l’argent sans le redistribuer aux auteurs ?
M. Christophe Premat. La constante des trois rapports pour avis est celle d’une stratégie numérique impliquant de facto une réorganisation de l’audiovisuel public. Les pratiques d’accès à l’information ont évolué – nous basculerons bientôt vers le Web 3.0 qui multipliera les occasions interactives et participatives.
De plus, les frontières entre les différents médias sont poreuses. On lit sur internet, on peut y écouter l’extrait d’un journal ou regarder des vidéos, sans oublier l’apport du sous-titrage. Au regard de la stratégie numérique, la convergence vers un service universel numérique prend-elle forme ?
Ce service universel numérique impliquerait de réfléchir également à la fiscalité numérique applicable aux moteurs de recherche – question que vous abordez, Monsieur Carpentier, en évoquant la « Lex Google ». Je rejoins mes collègues sur la nécessité de revoir les pratiques d’optimisation fiscale pour éviter toute dépendance par rapport à une multinationale.
Par ailleurs, le rapport « sur la francophonie économique », remis par Jacques Attali au Président de la République le 26 août dernier, regrettait l’absence d’un Netflix à la française, qui bouleverse les pratiques d’accès aux médias. Que pensez-vous d’une telle perspective, qui touche les structures et l’évolution de tous les médias ?
Enfin, je rejoins le souci de Michel Herbillon : pourrions-nous imaginer un titre de presse international, à l’exemple de The Economist, non pas français mais francophone ? Si oui, nous gagnerions à nous rapprocher de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), pour réfléchir aux conditions d’émergence d’un vrai titre de presse international.
Mme Laurence Arribagé. Monsieur Carpentier, le montant des crédits d’aides à la presse s’est élevé en 2015 à un peu plus de 260 millions d’euros. Si de nombreux organes de presse ont besoin de cette aide, qui est vitale pour eux, d’autres appartiennent à de grands groupes qui font des bénéfices et distribuent chaque année des dividendes importants à leurs actionnaires. À titre d’exemple, un grand groupe dont le principal actionnaire est un fonds d’investissement étranger a, en 2013 et 2014, distribué 2 milliards d’euros de dividendes alors qu’il a perçu plusieurs dizaines de millions d’euros d’aides à la presse, notamment d’aide au portage.
Nos concitoyens, qui font face actuellement à une pression fiscale de grande ampleur, peuvent légitimement s’interroger sur la pertinence, la répartition, l’efficience et le ciblage de ces aides mais aussi sur leur attribution à un groupe qui n’en a manifestement pas besoin. S’il n’est pas question de remettre en cause les aides qui permettent de bénéficier d’une presse pluraliste et de qualité, il conviendrait de prendre en considération la nature et les contraintes économiques des organes de presse et de leurs propriétaires, afin que les impôts de nos concitoyens n’alimentent pas les dividendes des actionnaires de groupes privés.
C’est pourquoi je m’interroge sur la possibilité de conditionner la perception définitive de ces aides à la non-distribution de dividendes ou à un plafonnement desdits dividendes à 50 % des aides obtenues, par exemple. Les sommes correspondant au remboursement des aides indues viendraient abonder un fonds d’urgence de la presse destiné à conforter le soutien aux organes de presse en situation précaire ou à allotir, de façon additionnelle et proportionnelle, tous les autres bénéficiaires des aides à la presse.
M. Stéphane Travert. Le rapport de Mme Martinel nous livre une vision très juste de la situation de l’audiovisuel public, en particulier de Radio France, dont la mission de service public est essentielle car elle garantit l’équité, la diversité, la mixité et la culture des valeurs de la République à l’égard de tous nos concitoyens.
Le service public, notamment Radio France, c’est le laboratoire des idées, de l’information, de la musique, de la fiction et de la création. Or vous avez illustré, madame la rapporteure pour avis, à travers de nombreux exemples, la difficulté que rencontre aujourd’hui Radio France pour afficher l’identité précise de chacune de ses stations.
Comment par ailleurs Radio France peut-elle réussir l’entrée dans l’ère du numérique, qui garantit des ressources nouvelles tant sur le plan financier qu’en termes de taux d’audience, toutes stations confondues ? Selon vous, la nouvelle stratégie autour du numérique tarde à porter ses fruits. Comment renforcer l’identité des stations ? Comment les personnels se sont-ils adaptés à la révolution numérique ? Comment concilier l’exigence de service public et la nécessité de modifier l’âge moyen des auditeurs qui, selon le PDG de Radio France, est trop élevé ? Pensez-vous comme lui qu’il faille baisser le niveau d’exigence pour toucher des catégories dites populaires ?
M. Christian Kert. La réservation prioritaire des fréquences en faveur de Radio France soulève un débat régulier lorsque nous rencontrons les représentants de syndicats de producteurs de radio. Si notre excellente rapporteure a rappelé à juste titre que des acteurs contestent aujourd’hui ce droit de préemption de l’État, elle ne nous a pas fait part de son opinion personnelle sur le sujet. S’est-elle forgée une philosophie sur la question, qui nous permettrait d’apporter une réponse homogène aux représentants des syndicats lorsqu’ils nous interrogent sur le sujet ?
M. le président Patrick Bloche. Je remercie le bureau de la Commission d’avoir pris la décision de consacrer un temps de réflexion et de discussion aux rapports pour avis. Je tiens à souligner que nous sommes la seule commission à procéder ainsi.
Mme Martine Martinel, rapporteure pour avis. Monsieur Pouzol, la sanctuarisation du budget, c’est normalement pour demain soir… C’est la raison pour laquelle je ne l’ai pas évoquée. Je tiens à ajouter que Radio France n’est pas la société audiovisuelle qui ait le plus pâti de l’austérité budgétaire, même si on l’entend dire parfois.
M. Féron a évoqué la gratuité des téléchargements. Cette question semble faire l’unanimité de la Commission : l’audiovisuel public ne saurait faire payer l’accès aux podcasts, alors que nos concitoyens paient déjà une redevance.
J’ai évoqué à grands traits l’idée d’une offre commune de l’audiovisuel public numérique. Si elle est souhaitée par certains, elle paraît toutefois pour le moment très difficile à mettre en place, d’autant que les différents partenaires ne manifestent pas une réelle volonté de s’associer. Peut-être M. Gallet qui, je l’espère, est conscient, au-delà du boulevard qui s’est ouvert devant lui, des difficultés à venir, s’attachera-t-il à ce travail dans le cadre du nouveau COM.
Le réseau de France Bleu se développe, tout en marquant le pas sur le plan du numérique. Le rapport de la mission Brucy a évoqué un rapprochement entre France Bleu et France 3 – cette idée est à l’étude.
C’est à juste titre, monsieur Herbillon, que vous avez évoqué la place de la musique dans le cadre de la rénovation de l’auditorium de Radio France et de l’ouverture de la Philharmonie de Paris. À ma connaissance, aucune vraie réflexion n’est menée à l’heure actuelle sur le risque d’une possible concurrence, voire d’un télescopage entre ces deux installations prestigieuses et coûteuses. Il faudra veiller à les utiliser et à les gérer dans un double souci de qualité de l’offre musicale et de respect de l’argent public. Il serait dommage que de si belles salles offrent des concerts concurrents ou soient à peine remplies. Je n’ai pas été contactée pour participer à l’élaboration d’une quelconque synergie entre leurs programmations ! Je ne pense pas du reste que M. Gallet ait à pour l’heure son mot à dire sur le sujet.
Madame Attard s’est inquiétée de la faiblesse de la participation des femmes. Il est nécessaire que le CSA s’attache à la présence à l’antenne non seulement des femmes mais également de la diversité au sens plus général. Il est vrai que je me suis penchée plus particulièrement sur la question des femmes. C’est le CSA qui, après études, a fixé ce taux de 30 %. On peut, assurément, s’inquiéter du faible nombre de femmes invitées à l’antenne : plus inquiétante encore me semble être la place réduite des femmes cadres à Radio France. Le COM qui vient à échéance avait prévu de la porter à 35 % : or ce taux n’est pas encore atteint. M. Gallet devra s’employer à tenir les objectifs fixés.
M. Féron a également souhaité la création d’une antenne alternative diffusant de la musique faite par les jeunes et pour les jeunes : je n’y suis pas favorable. Si Radio France veut exister comme radio publique de qualité, toutes ses antennes méritent d’être rajeunies. Il est inutile d’enfermer les jeunes dans une culture dite alternative : ils peuvent s’intéresser à toutes les cultures et les personnes plus âgées aux cultures urbaines.
Monsieur Travert, je n’ai pas eu le sentiment que M. Gallet ait manifesté son souhait de baisser le niveau d’exigence en vue de toucher tous les publics. S’il l’a dit, c’est une erreur. Les publics populaires ont une exigence aussi grande que les publics cultivés. Souvent, on s’interdit à tort des choses auxquelles on ne croit pas être préparé : c’est une vision bien peu démocratique et à courte vue de la culture.
Je suis favorable, monsieur Kert, à l’adoption d’une position homogène sur le droit de préemption. La question est toutefois complexe et les fréquences ne semblent pas toujours préamptées à bon escient. Les tutelles pourraient se préoccuper de ce problème.
M. Jean-Noël Carpentier, rapporteur pour avis. Les évolutions numériques ne peuvent faire l’objet d’aucune solution miracle, d’autant que nous ne disposons pas en la matière d’une boule de cristal. L’évolution du numérique nous bouscule, si bien que nous ne pouvons pas nous projeter avec certitude sur le long terme – c’est déjà difficile à moyen terme.
En revanche, s’agissant de la presse, nous sommes bien au milieu du gué. M. Salles a raison : nous assistons à une baisse inexorable de la diffusion de la lecture sur papier sans disposer pour autant d’un modèle numérique abouti de la presse. Nous ne devons pas opposer le numérique au papier : les supports et les objectifs ne sont pas les mêmes, mais les deux sont de l’écrit, les deux sont de la presse, les deux sont du journalisme. Accompagner leur mutation est loin d’être facile, surtout en période de difficulté économique, mais demeure possible, d’autant que l’information sur internet a besoin de références fortes, qui permettent de guider le lecteur tout en étant susceptibles d’être enrichies par d’autres acteurs de l’information, plus petits.
Monsieur Herbillon, l’absence de titre de référence mondial en français peut s’expliquer en partie par le fait que le français est moins parlé que l’anglais dans le monde. Cela étant, les journaux français s’y préparent. Nous avons auditionné Mme Isabelle André, président-directeur général du Monde Interactif : pour elle, l’une des orientations du Monde est le développement à l’international via le numérique, avec, notamment, la possibilité de publier sur la Toile des éditions du Monde en plusieurs langues.
Les demandes de nos concitoyens sont pleines de contradictions : ils veulent de l’information qui soit à la fois en continu, disponible partout et de qualité. Les éditeurs de presse et les journalistes doivent s’atteler à répondre à cette demande en améliorant encore leur valeur ajoutée. C’est pourquoi je ne crois pas au tout gratuit sur internet : si l’on veut une valeur ajoutée, si l’on veut de la qualité, il faut des moyens, il faut bien payer les journalistes. Les aides de l’État doivent accompagner cette mutation en ne portant plus uniquement sur la presse papier. Un rééquilibrage est nécessaire.
Il faut également améliorer l’éducation aux médias, notamment dans le cadre des programmes scolaires – mon expérience de maire me le confirme – en enseignant le recul citoyen par rapport à la Toile. D’ailleurs, les jeunes générations s’y préparent.
Le fonds Google est le résultat d’un accord pragmatique. Google utilisant les contenus des journaux, les éditeurs de presse arguent fort légitimement qu’ils participent à la croissance du moteur de recherche et donc de ses capacités publicitaires et de ses gains. Il est donc normal à leurs yeux que Google abonde ce fonds. Mais face à ce géant tentaculaire, les éditeurs doivent faire converger leurs intérêts aux plans international et européen. Les éditeurs français, allemands ou suisses ne peuvent pas mener des stratégies différentes.
Le fonds Google nous pose la question de la fiscalité numérique. Google et les autres majors doivent participer au financement de la diffusion de l’information. Nous, parlementaires, devons réfléchir, à côté de l’État, à un modèle permettant de faire participer ces majors. Les éditeurs sont favorables à la proposition de création d’une taxe sur les appareils connectés mais par les temps qui courent, créer une nouvelle taxe, ce n’est pas terrible… De plus, l’instauration d’une telle taxe ne réglerait pas le problème de la participation de Google au financement de la diffusion de l’information.
Je regrette en outre l’opacité totale de l’accord commercial entre Google et les éditeurs, paraphé par les plus hautes autorités de l’État. Certes, un tel accord relève du droit privé des affaires mais nous y avons participé au plan financier. La moindre des choses serait d’en connaître la teneur. Ni la ministre ni nous-mêmes n’en avons eu connaissance, ce qui n’est pas normal.
Je regrette enfin que les éditeurs de presse ne s’entendent pas entre eux pour rationaliser le système de la presse papier. Si je ne crois pas à la disparition totale du papier, je pense en revanche qu’elle diminuera fortement en volume, pour atteindre un niveau que nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de calculer, mais qui sera à coup sûr très bas. Et pour imprimer beaucoup moins de journaux, il faudra évidemment moins d’imprimeries. Les éditeurs devront se mettre d’accord et comprendre que l’argent public ainsi économisé doit servir à mener à bien cette mutation en engageant comme il convient les négociations avec les personnels qui travaillent dans le secteur de la presse papier : les syndicats sont d’ailleurs ouverts à la discussion. Nous attendons de connaître les rapports commandés par Mme la ministre sur le sujet.
M. Rudy Salles, rapporteur pour avis. Alors que la créativité française en matière de jeux vidéo est très importante, les difficultés que rencontre ce secteur sont de plusieurs ordres : instabilité juridique, instabilité fiscale, aide inadaptée ne permettant pas d’assurer la compétitivité du secteur, contrairement aux politiques menées par d’autres pays en ce domaine. Trop de jeunes créateurs, formés dans nos écoles, partent notamment à Montréal pour y travailler. Bien que l’activité de ce secteur explose depuis dix ans, le nombre de ses salariés diminue en France : c’est un paradoxe auquel il convient de mettre fin.
Je ne saurais répondre à la proposition de Mme Isabelle Attard de mettre fin au taux réduit de TVA pour les plateformes de livres numériques. Ce sujet mérite que nous y travaillions de manière approfondie. Nous avons tous la volonté de défendre le livre mais également les plateformes qui le méritent. Nous avons un peu de temps : les revenus de l’édition numérique ne représentent qu’environ 4 % du chiffre d’affaires des éditeurs. Peut-être, monsieur le président, devrions-nous en profiter pour mettre en place un groupe de travail sur le sujet.
Que n’a-t-on entendu sur Hadopi sous la précédente législature, notamment de la part de l’opposition de l’époque ! On pouvait donc s’attendre, depuis deux ans et demi, à de grands changements. La Hadopi devait disparaître et le CSA reprendre ses activités : or, il ne s’est rien passé… et il ne se passe toujours rien ! Il faut savoir que la Hadopi est aujourd’hui exsangue, avec un budget bloqué à 6 millions d’euros. La réponse graduée est à la fois ce qui lui coûte le plus cher et ce qui est le moins efficace – d’aucuns l’avaient prédit lors de l’examen du projet de loi créant cette autorité. En revanche, la Hadopi favorise aussi l’offre légale : il conviendrait de soutenir cette mission importante.
Je vous pose la question, mes chers collègues de la majorité : que voulez-vous faire de la Hadopi ? Si la situation continue, l’institution court à la catastrophe. La faiblesse de son budget lui interdit de remplir les missions que le législateur lui a confiées. Je tiens à rappeler, en effet, que la Hadopi a été créée par la loi et ne peut être supprimée et éventuellement remplacée par un autre dispositif que par l’adoption d’une nouvelle loi. Or je n’ai aucune nouvelle allant en ce sens.
M. le président Patrick Bloche. Je vous remercie, monsieur Salles, d’avoir posé une excellente question pour la réunion de la commission élargie : ce sujet pourra être utilement relayé par des députés d’autres groupes parlementaires.
Je vous remercie tous pour la qualité de nos échanges durant cette discussion, particulièrement dense.
Qu’il me soit permis de féliciter en notre nom à tous les trois rapporteurs pour avis, ainsi que leurs administrateurs qui les ont accompagnés dans ce travail approfondi.
À l’issue de l’audition, en commission élargie, de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation examine, pour avis, les crédits pour 2015 de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».
M. le président Patrick Bloche. Avant de procéder au vote des crédits, nous allons examiner l’amendement AC9 de Mme Virginie Duby-Muller.
Mme Virginie Duby-Muller. Lors de son audition par la Commission des affaires culturelles, le 14 octobre dernier, Mme la ministre de la Culture et de la Communication a affirmé : « Je suis attachée à ce que la Hadopi ait des compétences en vertu de la loi, à l’heure actuelle il n’est pas question que celle-ci ne puisse remplir ses missions. Il peut très bien y avoir un dialogue budgétaire ».
Pour mémoire, un montant exceptionnellement bas avait été attribué à l’institution en 2014 en tenant compte de ses disponibilités en fonds de roulement. Or, pour 2015, la dotation envisagée pour la Haute autorité reste gelée à 6 millions d’euros, malgré l’absence de disponibilités équivalentes en fonds de roulement. Ce montant est insuffisant pour lui permettre d’exécuter ses missions. Les dotations publiques ont diminué de 51 % en 4 ans, ce qui est une trajectoire hors norme ; dans le même temps, le budget a diminué de 36 %. La Hadopi a aujourd’hui atteint un plancher en deçà duquel il ne lui est pas possible de fonctionner. Elle ne peut plus, comme l’an dernier, puiser dans son fonds de roulement, car celui-ci doit être préservé afin de respecter les normes comptables et les règles de bonne gestion.
Si la volonté sous-jacente du Gouvernement est de restreindre les missions de la Hadopi à la riposte graduée par l’asphyxie budgétaire, cela se fait au mépris de la loi qui lui confie d’autres missions.
Le dialogue budgétaire proposé par Mme la Ministre s’avère donc indispensable : pour maintenir la conduite de ses missions, la Hadopi doit voir sa dotation augmenter d’au moins 1,5 million d’euros pour 2015.
Tel est l’objet du présent amendement, qui se présente comme un amendement d’appel. Notre volonté n’est pas de réduire les crédits du programme presse, bien au contraire. Mais en vertu de la LOLF, nous étions contraints de compenser toute augmentation de crédits au sein même de la mission pour pouvoir ouvrir le débat. Cela étant fait, je retire l’amendement AC9.
M. Rudy Salles. Je regrette le retrait de cet amendement car j’y suis favorable. Il s’agit là d’un problème grave, sur lequel Mme la ministre ne nous a pas répondu ce soir. C’est la première fois que nous voyons une institution publique traitée de la sorte et je regrette qu’elle ne soit pas restée pour le débat sur cet amendement.
M. le président Patrick Bloche. Je constate que la question de la Hadopi a été évoquée à plusieurs reprises par nos collègues de l’opposition : lors de l’audition de Mme la ministre par la Commission la semaine dernière, lors de la présentation des avis budgétaires, hier, et ce soir, de nouveau, durant cette commission élargie. Cela semble être leur seule préoccupation au sein de ce budget !
Mme la ministre a redit ce soir que la dotation de 6 millions d’euros était suffisante pour que la Hadopi exerce ses missions. Je le pense également.
Je vous fais observer qu’il est tout à fait normal, dans le cadre de la LOLF, que Mme la ministre ne soit pas présente : elle est venue pour être auditionnée dans le cadre de la commission élargie mais n’avait pas à assister à nos travaux au sein de la Commission des affaires culturelles. Si vous souhaitez l’interroger à nouveau sur ce sujet, vous pouvez redéposer un amendement en séance publique mercredi prochain, lors de l’examen de la mission « Médias » : le gouvernement sera alors présent et pourra vous répondre.
M. Rudy Salles. Je demande simplement une clarification. Personne, aujourd’hui, ne sait où va cette institution. On peut être contre son existence mais, dans ce cas, il convient de modifier la loi pour la supprimer ou la remplacer. Et je persiste à considérer que Mme la ministre n’a pas été claire.
M. le président Patrick Bloche. Je vous mets en garde, mes chers collègues : à force de réclamer une clarification, d’aucuns pourraient être tentés de déposer une amendement de suppression des crédits de la Hadopi…
L’amendement AC9 est retiré.
M. le président Patrick Bloche. Je consulte maintenant la commission sur les crédits pour 2015 de la mission « Médias, livre et industries culturelles », ainsi que sur les crédits figurant à l’état D pour les comptes spéciaux « Gestion et valorisation des ressources tirées de l’utilisation du spectre hertzien » et « Avances à l’audiovisuel public ». Je rappelle que nos trois rapporteurs pour avis ont donné un avis favorable.
La Commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », ainsi que des crédits figurant à l’état D pour les comptes spéciaux « Gestion et valorisation des ressources tirées de l’utilisation du spectre hertzien » et « Avances à l’audiovisuel public ».
ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS
(par ordre chronologique)
Ø Audition commune :
– Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (S.E.L.L.) – M. Emmanuel Martin, délégué général, M. Jean Luc Archambault, président de Lysios, conseil du SELL, et M. Romain Poirot Lellig, conseiller du président d’Ubisoft
– Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) – M. Nicolas Gaume, président, et M. Julien Villedieu, délégué général
Ø Ministère de la culture et de la communication – Inspection générale des affaires culturelles – M. Philippe Chantepie, chargé de mission
Ø Agence française pour le jeu vidéo (AFJV) – M. Emmanuel Forsans, directeur général
Ø Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) – M. Laurent Vallet, directeur général, et M. Sébastien Saunier, directeur crédits aux entreprises
Ø Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) – M. Ludovic Berthelot, directeur adjoint de l’audiovisuel et de la création numérique, Mme Valérie Bourgoin, cheffe du service du jeu vidéo et de la création numérique, et Mme Émilie Cariou, directrice adjointe en charge du budget et des financements du CNC
Ø Cabinet de la ministre de la culture et de la communication – Mme Aude Accary-Bonnery, conseillère en charge de l’audiovisuel et du cinéma, Mme Émilie Cariou, conseillère chargée du financement de la création, du développement de l’offre légale et du droit d’auteur, et M. Pierre-Vladimir Lobadowsky, chargé de mission chargé des écosystèmes numériques, du jeu vidéo et de l’entreprenariat culturel
Ø Ministère de la culture et de la communication – Direction générale des médias et des industries culturelles – Mme Laurence Franceschini, directrice générale
Ø Ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique – Direction Générale des Entreprises – Mme Cécile Dubarry, cheffe du service de l’économie numérique (SEN), et Mme Laure Duchaussoy, cheffe du Bureau de l’audiovisuel et du multimédia
Ø Hadopi – M. Éric Walter, secrétaire général, Mme Pauline Blassel, secrétaire générale adjointe et M. Damien Combredet, responsable des relations institutionnelles
DÉPLACEMENT EFFECTUÉ PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS
Ø Visite du studio d’Ubisoft à Montreuil le mercredi 8 octobre 2014- M. Romain Poirot Lellig, conseiller du président d’Ubisoft