N° 2262
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 octobre 2014
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LE PROJET DE
loi de finances pour 2015 (n° 2234)
TOME XII
OUTRE-MER
PAR M. Serge LETCHIMY
Député
——
Voir les numéros : 2234, 2260 (annexe 33).
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 7
ANALYSE BUDGÉTAIRE : UN MAÎTRE-MOT CARACTÉRISE LE BUDGET DES OUTRE-MER POUR 2015 : LA STABILITÉ 9
I. LA STABILITÉ DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DE LA MISSION OUTRE-MER 9
A. LES CRÉDITS DU PROGRAMME 138 : « EMPLOI OUTRE-MER » 10
1. L’action n° 1 « Soutien aux entreprises » : une baisse en trompe l’œil 10
2. L’action n° 2 « Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle » : l’objectif réaffirmé du soutien à l’insertion et à la mobilité des jeunes ultra-marins 11
B. LES CRÉDITS DU PROGRAMME 123 : « CONDITIONS DE VIE OUTRE-MER » 12
1. Le soutien renforcé aux collectivités territoriales (actions n° 2, 6 et 9) et à leur capacité d’investissement 12
2. Un bilan en demi-teinte pour le logement (action n° 1), l’action sociale (action n° 4) et l’insertion des outre-mer dans leur environnement régional (action n° 7) 13
3. La baisse inquiétante des crédits du fonds de continuité territoriale (action n° 3) et du fonds exceptionnel de développement (action n° 8) 13
II. LES DÉPENSES FISCALES RATTACHÉES À LA MISSION « OUTRE-MER » SONT, CETTE ANNÉE ENCORE, D’UN MONTANT PLUS ÉLEVÉ QUE LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES 14
ANALYSE THÉMATIQUE : LE TOURISME EN OUTRE-MER 17
I. LE TOURISME DANS LES OUTRE-MER : APRÈS LA CRISE, DES RÉUSSITES ENCOURAGEANTES 18
A. LE TOURISME DANS LES OUTRE-MER CONNAÎT UNE GRAVE CRISE DEPUIS LA FIN DES ANNÉES 1990 18
1. La crise subie par le secteur du tourisme dans les outre-mer ne lui a pas permis de profiter de la forte croissance du tourisme mondial 18
a. A la forte progression du tourisme mondial, s’est opposée la crise du secteur dans les outre-mer, aux effets toutefois contrastés 18
b. La forte composante hexagonale et affinitaire du tourisme dans les outre-mer explique le poids relativement modéré du secteur dans leurs économies 19
2. Cette situation s’explique essentiellement par les faiblesses structurelles du secteur du tourisme dans les outre-mer, renforcées par la multiplication de crises sanitaires et sociales 20
a. Les trois faiblesses structurelles du secteur touristique dans les outre-mer font l’objet d’un consensus 20
b. Les crises récentes ont dégradé l’image des destinations outre-mer 23
B. LES EFFORTS ENTREPRIS, EN PARTICULIER PAR LES PROFESSIONNELS DU TOURISME ET LES POUVOIRS PUBLICS DANS LES TERRITOIRES, DONNENT POURTANT DES RÉSULTATS 24
1. La bonne résistance de la petite hôtellerie et l’essor du tourisme de gîtes 24
a. Les réussites de la petite hôtellerie 24
b. L’essor des formules alternatives d’hébergement (gîtes et meublés) 25
2. La reprise du secteur de la croisière et du nautisme 27
a. La reprise du secteur de la croisière dans les Antilles et en Polynésie 27
b. Les bons résultats du tourisme nautique 29
3. Le succès avorté des contrats de destination « Antilles françaises » (2011-2013) pour diversifier la clientèle touristique en Guadeloupe et en Martinique 29
II. 10 PROPOSITIONS POUR FAIRE DU TOURISME UNE INDUSTRIE DE RELAIS DANS LES ÉCONOMIES DES OUTRE-MER 32
A. ADAPTER LES DISPOSITIFS DE SOUTIENS PUBLICS À LA SPÉCIFICITÉ DU SECTEUR DU TOURISME POUR FAVORISER L’INVESTISSEMENT, LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET L’APPROVISIONNEMENT LOCAL 33
1. Favoriser l’investissement en créant le CICE « super renforcé » et en améliorant la lisibilité du soutien public au secteur du tourisme 33
a. Passer à l’acte pour la création d’un CICE « super renforcé » à 12% sur le secteur du tourisme qui doit servir prioritairement à l’investissement 33
b. La suppression de l’aide à la rénovation hôtelière doit être le point de départ d’une réflexion visant à la refonte des différents mécanismes d’aide publique au secteur du tourisme au sein d’un ou plusieurs outils adaptés à sa spécificité 35
2. Favoriser la formation professionnelle en adaptant le code du travail à l’enjeu de la saisonnalité 38
3. Favoriser l’approvisionnement local en créant une aide spécifique, sur le modèle d’un « POSEI tourisme » 39
B. POURSUIVRE LE DÉSENCLAVEMENT DES OUTRE-MER EN FAVORISANT LEUR CONNEXION AVEC LES GRANDS HUBS INTERNATIONAUX 42
1. Relancer la connexion des outre-mer avec l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle 43
2. La connexion avec les principaux hubs régionaux 44
3. Poursuivre la politique d’assouplissement des visas 46
Mesdames, Messieurs,
En déclarant à La Réunion le 21 août dernier « L’outre-mer est une priorité pour la France », le Président de la République a rappelé l’engagement du gouvernement pour les outre-mer. Cet engagement, le projet de budget pour 2015 en donne une traduction concrète. Dans un contexte contraint pour les finances publiques, le budget de la mission « outre-mer » est en légère progression qu’il s’agisse des crédits budgétaires (2,06 milliards d’euros soit +0,3 % par rapport à 2014) ou des dépenses fiscales (3,8 milliards d’euros soit +1,2 %). L’effort budgétaire global de l’État en faveur des outre-mer, qui ne se limite pas à la seule mission budgétaire, est relativement stable par rapport à 2014 et s’élève cette année à 18,1 milliards d’euros (1).
La stabilité caractérise le projet de budget 2015 pour les outre-mer tant par la maquette que par les volumes de crédits proposés (voir l’analyse budgétaire de ce rapport). Alors que la reprise économique demeure fragile et la situation de l’emploi préoccupante, ce projet s’inscrit dans la continuité de la politique volontariste du gouvernement menée dans les outre-mer depuis 2012 à la suite de l’adoption de la loi du 21 novembre 2012 de régulation économique dans les outre-mer, dite loi « contre la vie chère ». Cette loi fera d’ailleurs l’objet d’une première évaluation parlementaire au début de l’année 2015. Malgré tout, les taux de chômage dans les outre-mer demeurent deux à trois plus élevés que celui de l’hexagone. Un signe positif est à relever : l’indicateur du climat des affaires a retrouvé cette année une orientation favorable.
Dans ce contexte, votre rapporteur a décidé de consacrer la partie thématique de son avis budgétaire à un secteur d’activité prometteur pour le développement économique des outre-mer : le tourisme. Ce secteur, en pleine croissance au niveau mondial, a subi une grave crise dans les outre-mer depuis la fin des années 1990 et était même en situation de déclin dans certains territoires. La situation semble en voie de redressement à la suite de la mobilisation des pouvoirs publics et des professionnels du tourisme. Ce rapport souhaite montrer les succès récents enregistrés dans les territoires et proposer des orientations pour améliorer l’efficacité des dispositifs publics de soutien au tourisme.
L’année 2015 sera en effet décisive pour le tourisme dans les outre-mer. Alors que la suppression dans ce projet de budget pour 2015 de l’aide à la rénovation hôtelière aurait pu envoyer un signal négatif, le gouvernement semble au contraire appeler à la mobilisation en faveur de ce secteur. La ministre des outre-mer a en effet annoncé, le 25 septembre dernier à l’Assemblée nationale (2), qu’une session du conseil national de promotion du tourisme serait consacrée en 2015 aux outre-mer et surtout qu’une réflexion était en cours sur la possibilité d’une sur-majoration du taux du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) (3) pour les entreprises ultra-marines des secteurs exposés au premier rang desquels le tourisme. Par ailleurs, l’État et Atout-France ont lancé cette année des appels à projet en vue de l’élaboration de nouveaux contrats de destination dits de deuxième génération. Après les résultats encourageants du premier contrat de destination « Antilles françaises », les outre-mer doivent s’engager dans la préparation de nouveaux projets pour améliorer leur offre touristique, certes confrontée à une forte concurrence régionale, mais dont le potentiel et la richesse sont loin d’être pleinement exploités.
Votre rapporteur entend donc aborder cette période avec optimisme et imaginer de nouvelles voies pour dynamiser le secteur et rendre plus efficace le soutien public au tourisme. Deux pistes sont explorées dans ce rapport : la difficile mais nécessaire réflexion sur la refonte des multiples dispositifs de soutien public au tourisme afin d’élaborer des outils spécifiques aux priorités du tourisme que sont l’investissement, la formation professionnelle et le développement de l’approvisionnement local. À cette fin, votre rapporteur invite le gouvernement à travailler avec lui sur sa proposition de créer un « POSEI (4) tourisme ». Par ailleurs, le désenclavement aérien des territoires ultra-marins apparaît comme une priorité absolue pour attirer des clientèles étrangères et ancrer les outre-mer dans leur environnement régional. Votre rapporteur formule sur ce point des propositions concrètes qui devront être discutées lors de la session du Conseil national de promotion du tourisme consacrée aux outre-mer.
ANALYSE BUDGÉTAIRE : UN MAÎTRE-MOT CARACTÉRISE LE BUDGET DES OUTRE-MER POUR 2015 : LA STABILITÉ
Quatre priorités structurent le projet de budget des outre-mer pour l’année 2015 : le soutien à l’emploi alors que la situation sur le marché du travail ultra-marin demeure préoccupante ; la jeunesse et tout particulièrement son insertion dans l’emploi ; le logement ; enfin le soutien à l’investissement des collectivités locales leur donnant les moyens pour le lancement de la nouvelle génération des contrats de plan État-Régions 2015-2020 en cours de négociation.
Le budget des outre-mer se caractérise cette année encore par un poids plus important des dépenses fiscales rattachées (3,8 milliards d’euros) que celui des crédits budgétaires (2,06 milliards d’euros) de la mission « outre-mer ».
La mission « outre-mer » ne connaît pas d’évolutions substantielles au regard de l’année dernière ni dans sa maquette, ni dans la répartition de ses crédits. Le montant de crédits de paiement demandés pour 2015 s’élève à 2,06 milliards, en progression de 0,3 % par rapport à 2014.
(en millions d’euros)
Numéro et intitulé du programme et de l’action |
Autorisations d’engagements |
Crédits de paiement | |||||
Exécutées en 2013 |
Ouvertes en LFI 2014 |
Demandées pour 2015* |
Exécutés en 2013 |
Ouverts en LFI 2014 |
Demandés pour 2015* | ||
138 |
Emploi outre-mer |
1 458,7 |
1 402,4 |
1 392,9 |
1 453,0 |
1 386,1 |
1 379,7 |
1 |
Soutien aux entreprises |
1 217,4 |
1 154,8 |
1 136,3 |
1 217,0 |
1 147,3 |
1 136,8 |
2 |
Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle |
238,6 |
244,8 |
253,9 |
233,5 |
236,0 |
240,1 |
3 |
Pilotage des politiques des outre-mer |
2,6 |
2,9 |
2,7 |
2,5 |
2,9 |
2,8 |
123 |
Conditions de vie outre-mer |
719,7 |
742,7 |
702,0 |
649,5 |
671,5 |
684,6 |
1 |
Logement |
215,4 |
272,8 |
247,7 |
243,2 |
243,5 |
243,7 |
2 |
Aménagement du territoire |
172,5 |
145,4 |
145,8 |
149,3 |
164,1 |
173,9 |
3 |
Continuité territoriale |
57,3 |
51,5 |
41,2 |
55,2 |
51,5 |
41,2 |
4 |
Sanitaire, social, culture, jeunesse et sport |
8,5 |
6,8 |
6,7 |
8,8 |
6,8 |
6,7 |
6 |
Collectivités territoriales |
196,1 |
186,1 |
191,5 |
166,1 |
171,3 |
182,4 |
7 |
Insertions économiques et coopérations régionales |
1,2 |
1,9 |
1,0 |
1,3 |
1,9 |
1,0 |
8 |
Fonds exceptionnel d’investissement |
43,6 |
50,0 |
40,0 |
20,2 |
25,5 |
26,2 |
9 |
Appui à l’accès aux financements bancaires |
25,3 |
28,3 |
28,3 |
5,5 |
6,9 |
9,7 |
TOTAL MISSION : |
2 178,4 |
2 145,1 |
2 094,9 |
2 102,5 |
2 057,6 |
2 064,3 |
(Sources : Rapport annuel de performance 2013 et Projet annuel de performances 2015)
*Hors fonds de concours et attributions de produits attendus.
Deux programmes sont mis en œuvre dans cette mission :
– le programme 138 Emploi outre-mer : 1,380 milliard d’euros ;
– le programme 123 Conditions de vie outre-mer : 685 millions d’euros.
Cette année encore, le soutien à l’emploi demeure la première priorité budgétaire du gouvernement dans les outre-mer. Doté de 1,393 milliard d’euros en autorisations d’engagement et de 1,380 milliard d’euros pour les crédits de paiement, ce programme se décline principalement en deux actions : le « soutien aux entreprises » à travers les mécanismes d’exonérations de cotisations sociales (action n° 1) et « l’aide à l’insertion et à la qualification professionnelle » (action n° 2). Ce programme regroupe également, de façon marginale (0,2 % des crédits du programme), les crédits de fonctionnement du ministère des outre-mer (action n° 3 : « Pilotage des politiques en outre-mer ») qui sont stables par rapport à 2014 (2,9 millions d’euros).
Avec 1,136 milliard d’euros d’autorisations d’engagement, l’action n° 1 regroupe 81,6 % des crédits du programme 138. Ils concernent les différents mécanismes de compensation aux organismes sociaux des exonérations de charges spécifiques à l’outre-mer et des mesures de soutien aux entreprises. Cette action subit cette année encore, mais sur le papier seulement, une baisse de ses crédits.
L’article 130 de la loi de finances pour 2014 a en effet recentré davantage l’aide publique sur les bas et moyens salaires en abaissant les seuils exigibles pour bénéficier des exonérations, ces dernières ayant un impact plus fort sur les bas salaires. Les crédits pour cette action ont donc diminué en 2014.
Cette année, le projet de loi de finances pour 2015 opère un changement de périmètre qui explique la baisse des crédits de la mission mais qui ne se traduit pas par une baisse de l’effort budgétaire de l’État. En effet, dans le cadre du pacte de responsabilité, le gouvernement a pris des mesures d’abaissement des cotisations employeurs famille et d’allègement des cotisations des indépendants qui, compte tenu des mesures existant en outre-mer, conduit à une baisse du montant des exonérations et de leur compensation. Ainsi, 47,5 millions d’euros, qui figuraient aux crédits de la mission « outre-mer », ont été transférés vers les budgets des comptes sociaux. Ce montant d’exonérations continue toutefois à profiter aux entreprises ultra-marines.
Au titre des mesures de soutien aux entreprises, l’article 57 du projet de loi de finances pour 2015 supprime l’aide à la rénovation hôtelière, dont le montant total en crédit de paiement s’élevait à 3 millions d’euros dans la loi de finances initiale pour 2014 (5). L’aide au fret entre les outre-mer et l’Union européenne demeure à hauteur de 7 millions d’euros en CP, malgré les critiques sur le fait qu’elle ne favorise pas l’intégration des territoires dans leur environnement régional (6).
Au final, la baisse de 11 millions d’euros des crédits de paiement apparaissant dans le projet de loi de finances pour 2015 par rapport à 2014 masque en réalité une hausse des crédits en faveur des entreprises ultra-marines de 37 millions d’euros.
2. L’action n° 2 « Aide à l’insertion et à la qualification professionnelle » : l’objectif réaffirmé du soutien à l’insertion et à la mobilité des jeunes ultra-marins
L’action n° 2 regroupe 18,2 % des crédits du programme 138, soit 240 millions d’euros en crédits de paiement. Elle bénéficie d’une hausse de 3 millions d’euros par rapport à 2014. Cette action s’articule autour des différents dispositifs d’aide à la formation et à l’inclusion des jeunes dans l’emploi.
La principale dépense (58 millions d’euros) concerne le service militaire adapté (SMA), offrant la possibilité aux jeunes ultra-marins en difficulté de servir un an dans les armées, sous statut de volontaire. Cette formation pourra bénéficier en 2015 à 5 730 jeunes, contre 4 322 en 2014, soit une hausse de plus de 32 % en un an. Votre rapporteur se félicite que l’objectif « SMA 6 000 » semble en bonne voie d’être atteint en 2016 conformément aux engagements du gouvernement.
Cette action permet également le financement de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (7,9 millions d’euros) qui a notamment en charge la gestion du fonds de continuité territoriale (en forte baisse en 2015) apparaissant dans le programme 123.
La hausse des crédits de l’action n° 2 est principalement due au transfert de l’ensemble des crédits dédiés à la formation en mobilité des ultramarins provenant du ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. La principale mesure demeure le passeport mobilité formation professionnelle (PMFP).
Cette action regroupe enfin les crédits des programmes « Cadres d’avenir » en Nouvelle-Calédonie et « Cadres pour Wallis-et-Futuna » (6,2 millions d’euros) et les mesures de soutien à l’emploi dans les collectivités d’outre-mer (1,7 million d’euros) comme les chantiers de développement local et les jeunes stagiaires du développement.
Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » ne subit aucun changement dans sa maquette et conserve ses 8 actions. Il connaît en revanche une évolution paradoxale de ses crédits.
Doté de 684,6 millions d’euros pour 2015, le programme connaît une hausse de ses crédits de paiement de 2 % par rapport à 2014. En revanche, avec 702 millions d’euros, le montant des autorisations d’engagement pour 2015 subit une baisse de plus de 5 % soit une perte de 40 millions d’euros par rapport à 2014. Votre rapporteur s’interroge sur cette évolution, d’autant qu’elle est supportée principalement par les actions dédiées à l’investissement dans le logement, au fonds de continuité territoriale, au fonds exceptionnel d’investissement et aux actions d’insertion et de coopération régionale.
1. Le soutien renforcé aux collectivités territoriales (actions n° 2, 6 et 9) et à leur capacité d’investissement
Les capacités d’investissement des collectivités territoriales sont renforcées par ce projet de budget alors que sera lancée, en 2015, la sixième génération de contrats de plan État-Région (CPER).
L’action n° 2 « Aménagement du territoire » est en progression avec 173,9 millions d’euros de crédits de paiement et représente 20,8 % des crédits du programme. Elle contribue principalement au développement économique et social des outre-mer en aidant financièrement les projets d’investissements structurants portés par les collectivités territoriales d’outre-mer dans le cadre des CPER (160 millions d’euros). L’aide de l’État pour la relance du tourisme outre-mer figure par ailleurs dans cette action à travers le financement de la convention avec Atout-France (800 000 euros pour 2015).
L’action n° 6 « Collectivités territoriales » rassemble 27,3 % des crédits du programme avec 182 millions d’euros en CP et 191 millions d’euros en AE. Elle recouvre l’ensemble des dotations aux collectivités territoriales d’outre-mer, les secours d’urgence et de solidarité nationale liées aux calamités et aux actions de défense et de sécurité civile.
Représentant 4 % des crédits du programme, l’action n° 9 « Appui à l’accès aux financements bancaires », est en forte progression au niveau des crédits de paiements (+40 %) qui atteignent 9,7 millions d’euros. Cette action vise à réduire les coûts des ressources empruntées et à assurer une meilleure couverture des risques des personnes publiques au premier rang desquelles les collectivités territoriales. Elle est mise en œuvre par l’Agence française de développement.
2. Un bilan en demi-teinte pour le logement (action n° 1), l’action sociale (action n° 4) et l’insertion des outre-mer dans leur environnement régional (action n° 7)
L’action n°1 « Logement », la plus importante du programme (35,3 % des crédits), vise quatre objectifs principaux : l’accroissement de l’offre de logements sociaux et la réhabilitation du parc existant ; l’accompagnement des politiques urbaines d’aménagement et de rénovation ; la résorption de l’habitat insalubre ; l’amélioration de la sécurité du parc social antillais à l’égard du risque sismique. Avec 247,7 millions d’euros, l’enveloppe des autorisations d’engagement diminue de 9,2 % par rapport à 2014 alors que le montant des crédits de paiement est stable (243,7 millions d’euros). Cette baisse des autorisations d’engagement pourrait faire craindre une baisse de l’engagement de l’État en faveur de la ligne budgétaire unique (LBU) dans les années à venir. Votre rapporteur ne veut pas croire à cette hypothèse : tout d’abord parce que depuis 2012, les moyens de la LBU ont été substantiellement renforcés (+25 % par rapport à 2011), ensuite parce que le gouvernement s’est engagé dans le budget triennal à maintenir son effort en faveur du logement. Votre rapporteur suivra avec attention l’évolution de ces crédits dans les prochaines années.
L’action n° 4 « Sanitaire, social, culture, jeunesse et sport » permet d’améliorer la cohésion sociale et de favoriser l’égalité des chances outre-mer en particulier pour les territoires de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte. Les crédits sont également en baisse de 2,9 % et atteignent 6,5 millions d’euros.
L’action n° 7 « Insertion économique et coopération régionales » regroupe 0,1 % des crédits du programme (soit 1 million d’euros en AE et CP). Il vise à favoriser l’intégration et l’insertion économique des départements et collectivités d’outre-mer dans leur environnement régional tout en assurant la présence de la France dans ces zones. Votre rapporteur regrette le signal négatif envoyé cette année par la baisse drastique du budget de cette action (-47 %). L’insertion régionale, qui ne se limite bien évidemment pas aux crédits de cette action, est une des voies de développement des outre-mer en particulier dans le secteur du tourisme.
3. La baisse inquiétante des crédits du fonds de continuité territoriale (action n° 3) et du fonds exceptionnel de développement (action n° 8)
L’action n° 3 « Continuité territoriale », avec 41,1 millions d’euros, regroupe 5,9 % des crédits du programme. Elle vise à favoriser les déplacements entre l’hexagone et les outre-mer pour tous les ultra-marins. Plusieurs dispositifs sont financés par cette action : l’aide à la continuité territoriale, le passeport mobilité études et le passeport mobilité formation professionnelle. Cette action fait l’objet d’une baisse drastique de ses crédits : 10 millions d’euros en un an.
L’aide à la continuité territoriale est la plus fortement touchée. Aide tout public, elle est destinée à financer une partie des titres de transport des personnes résidant outre-mer vers l’hexagone. Elle connaît une croissance exponentielle des demandes, ce qui conduit le gouvernement à rationaliser le dispositif pour en assurer sa soutenabilité.
Votre rapporteur regrette vivement cette décision. Face à la recrudescence des demandes, il serait davantage favorable à une révision des critères d’attribution sans toutefois limiter aussi drastiquement les conditions de recours qui passent d’une fois par an à une fois tous les trois ans. Il engage donc le gouvernement à maintenir les crédits du fonds de continuité territoriale au niveau du projet de loi de finances de 2014.
L’action n° 8 « Fonds exceptionnel d’investissement » (FEI) a été créée en 2009. Ce fonds doit permettre le rattrapage des outre-mer en matière d’équipements structurants, avec la priorité donnée à des projets à fort impact sur l’emploi. Le Président de la République François Hollande avait promis en 2012 de porter les crédits de ce fonds à 500 millions d’euros au cours de son quinquennat. Dans son avis pour le projet de loi de finances 2013, votre rapporteur s’inquiétait déjà de l’écart entre cette promesse et la décision d’abonder le FEI de seulement 50 millions d’euros en AE et 25,9 millions en CP, soit moitié moins que le niveau de crédit attendus annuellement pour pouvoir atteindre cette promesse. En 2014, le niveau de crédits pour 2013 a été reconduit. Dans le projet de budget pour 2015, le FEI n’est plus doté que de 40 millions d’euros en AE et 26,1 millions d’euros en CP. De toute évidence, la promesse ne pourra pas être tenue sur le quinquennat. Votre rapporteur espère cependant que le gouvernement maintiendra, dans les années à venir, les dotations du FEI au niveau de 2013 et de 2014.
II. LES DÉPENSES FISCALES RATTACHÉES À LA MISSION « OUTRE-MER » SONT, CETTE ANNÉE ENCORE, D’UN MONTANT PLUS ÉLEVÉ QUE LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES
Au-delà des crédits budgétaires en faveur des outre-mer, s’ajoute un ensemble de 21 dispositifs fiscaux jouant un rôle majeur de soutien à l’activité économique des outre-mer. Le montant prévisionnel de ces dépenses fiscales rattachées à la mission « outre-mer » s’élève à 3,8 milliards d’euros pour 2015.
Contrairement aux crédits budgétaires, plus importants pour le programme 138 que pour le programme 123, la répartition des dépenses fiscales favorise plus le programme « Conditions de vie outre-mer ». Le tableau ci-dessous présente les évolutions des montants de dépenses fiscales par programme ainsi que l’évolution des principaux dispositifs.
La dépense fiscale la plus coûteuse (1,2 milliard d’euros) concerne le régime dérogatoire de TVA dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion. Le taux normal y est fixé à 8,5 % (contre 20 % en métropole) et le taux réduit à 2,1 % (contre 10 % ou 5,5 % en métropole). Par ailleurs, la réforme de la défiscalisation prévue à l’article 21 de la loi de finances initiale pour 2014, n’est toujours pas appliquée alors qu’elle devait l’être au 1er septembre 2014. Elle est encore en cours d’examen par les services de la Commission européenne. Sa décision devrait intervenir avant le 31 décembre 2014 pour une mise en œuvre courant 2015. Ses effets pourront alors être évalués.
(en millions d’euros)
Chiffrage 2012 |
Chiffrage 2013 (estimé) |
Chiffrage 2014 (prévisions |
Chiffrage 2015 (prévisions) | |
Programme 138 emploi outre-mer |
369 |
372 |
364 |
363 |
Programme 123 conditions de vie outre-mer |
3 455 |
3 437 |
3 404 |
3 449 |
Dont : régime des départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion. Fixation des taux à 8,5 % pour le taux normal et à 2,1 % pour le taux réduit |
1 160 |
1 160 |
1 270 |
1 290 |
Dont : exclusion des départements d’outre-mer du champ d’application de la taxe intérieure de consommation applicable aux carburants |
795 |
740 |
750 |
828 |
Dont : les trois dispositifs de défiscalisation investissements en faveur du logement ou des investissements productifs (articles 199 undecies A et D, 199 undecies B, 199 undecies C et visés à l’article 217 undecies du code général des impôts). |
1 080 |
953 |
810 |
nc |
TOTAL MISSION |
3 824 |
3 809 |
3 768 |
3 812 |
Le projet de loi de finances pour 2015 prévoit également, à l’article 43, la majoration du Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) de 50 % par rapport au taux de 6 % en métropole. Il atteindra 7,5 % en 2015 et 9 % en 2016. Cette mesure, dont le montant s’élève à 160 millions d’euros pour un coût total du CICE en outre-mer de 400 millions d’euros, permet de compenser la neutralisation partielle du CICE du fait des exonérations déjà prévues par la loi de développement économique des outre-mer (LODEOM) (7). Votre rapporteur salue cette décision et estime désormais qu’un effort supplémentaire doit être fait pour les entreprises des secteurs d’activité exposés et prioritairement pour le tourisme (8).
Enfin, l’article 44 du projet de loi de finances pour 2015 prévoit la majoration du crédit impôt recherche (CIR) en outre-mer. La mesure vise à porter le taux du CIR de 30 à 50 % pour la fraction des dépenses de recherche inférieure ou égale à 100 millions d’euros, le taux étant de 5 % au-delà de cette tranche. Son coût devrait être de 4 millions d’euros par an, lorsque le dispositif sera pleinement monté en charge.
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Votre rapporteur considère que le projet de budget de la mission « outre-mer » pour l’année 2015 est dans l’ensemble satisfaisant. Les inquiétudes concernant le fonds d’investissement exceptionnel et les crédits de la continuité territoriale ne remettent pas en cause le bien-fondé des orientations prises pour les outre-mer par le gouvernement. C’est pourquoi il invite à son adoption.
ANALYSE THÉMATIQUE :
LE TOURISME EN OUTRE-MER
La question du tourisme dans les outre-mer a été au centre de plusieurs rapports publics importants au cours des dernières années (9). Tous décrivent la situation de crise majeure subie par le secteur du tourisme dans les outre-mer depuis la fin des années 1990 caractérisée par la baisse importante de la fréquentation dans certains territoires. Les causes avancées pour expliquer cette crise font l’objet d’un diagnostic partagé pointant l’absence de compétitivité de l’offre touristique des outre-mer face à leur forte concurrence régionale, la crise de la grande hôtellerie en particulier dans les Antilles françaises (10) et la faiblesse des instruments de promotion des destinations.
Votre rapporteur partage en grande partie les conclusions de ces rapports mais souhaite davantage montrer le redressement qui s’opère actuellement dans les outre-mer et qu’atteste la remontée des chiffres de fréquentation. Les succès que rencontrent les professionnels de la croisière, du nautisme ou de la moyenne hôtellerie ne règlent pas à eux seuls les problèmes du secteur mais dessinent des modèles crédibles de développement touristique fondés sur un accueil de qualité et personnalisé, ancré dans un patrimoine naturel et culturel riche et offrant toutes les garanties de sécurité pour les touristes. Ces succès montrent également que la mobilisation des professionnels du tourisme d’abord, investis dans leur territoire, mais aussi des pouvoirs publics fonctionne lorsqu’elle est entreprise.
Dans ce contexte de rebond, votre rapporteur fait deux propositions fortes devant alimenter les débats qui auront lieu au cours de l’année 2015 notamment dans le cadre du conseil national de promotion du tourisme. D’abord lancer une réflexion de refonte des multiples dispositifs d’aide publique au tourisme au sein d’un nombre restreint d’outils capable de répondre aux problèmes du secteur : l’investissement, la formation professionnelle et l’approvisionnement en produits locaux permettant de structurer et de diversifier les filières de production locales. Il évoque ainsi l’idée de créer un « POSEI tourisme ». Ensuite poursuivre le désenclavement aérien des outre-mer en relançant le débat sur les liaisons depuis l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et en augmentant les connexions des territoires dans leur environnement régional.
Si les effets de la crise subie depuis plus de quinze ans pénalisent encore le secteur du tourisme dans les outre-mer, les réussites observées sur le terrain montrent que la mobilisation des acteurs porte ses fruits et offrent des modèles crédibles de développement.
La situation de crise que rencontre le tourisme dans les outre-mer fait l’objet d’un diagnostic partagé par les professionnels et les pouvoirs publics.
1. La crise subie par le secteur du tourisme dans les outre-mer ne lui a pas permis de profiter de la forte croissance du tourisme mondial
a. À la forte progression du tourisme mondial, s’est opposée la crise du secteur dans les outre-mer, aux effets toutefois contrastés
En 2012, les outre-mer ont accueilli 2,6 millions de visiteurs soit environ 3 % des 84 millions de touristes qui ont visité la France. Alors que les collectivités d’outre-mer représentent 4,1 % de la population française et qu’elles possèdent un fort potentiel touristique, ces chiffres apparaissent comme décevants. Ils sont le résultat de quinze années de crise pendant lesquelles le tourisme mondial s’est pourtant considérablement développé.
D’après l’Organisation mondiale du tourisme, le nombre de touristes dans le monde, qui a atteint 1 milliard en 2012, a été multiplié par 4 depuis 40 ans. Les Caraïbes, par exemple, ont accueilli 20,1 millions de touristes en 2010 contre seulement 6,7 millions en 1980.
Loin de profiter de cette expansion, les régions d’outre-mer presque dans leur ensemble ont au contraire subi une période de déclin. Les Antilles françaises ont été particulièrement touchées. Si 1 million de visiteurs se rendaient en Guadeloupe et en Martinique en 1998, ils n’étaient plus respectivement que 423 000 en 2007 et 577 000 en 2009. Une reprise semble se confirmer pour les deux destinations qui ont accueilli, en 2013, 493 000 touristes en Guadeloupe et 647 000 visiteurs en Martinique. En Polynésie française, le nombre de touristes a également chuté passant de plus de 210 000 en 2003 à 164 000 en 2013. La Guyane a également perdu plus 20 000 touristes depuis 2007 pour atteindre une fréquentation en 2013 de 90 000 visiteurs.
Cette crise, décrite dans les rapports cités, a toutefois eu des effets contrastés selon les territoires. On constate en effet une relative stabilité du nombre de touristes à La Réunion et en Nouvelle Calédonie. La Réunion se ressaisit après la grave crise du chikungunya en 2006 qui avait provoqué l’exode des touristes (seulement 270 000 arrivées) et a connu en 2011 un record de fréquentation (471 000 touristes). L’année 2013 est toutefois en demi-teinte avec 416 000 touristes accueillis. La Nouvelle-Calédonie, de son côté, reçoit en moyenne 160 000 touristes par an depuis le début des années 2000.
Dans ce tableau relativement négatif, le succès de Saint-Barthélemy doit être souligné. Positionnée sur un tourisme haut de gamme, l’île a accueilli 334 000 touristes en 2013, un chiffre en progression constante depuis 10 ans.
La situation de crise est donc particulièrement marquée dans les territoires qui accueillaient traditionnellement un tourisme de masse. La crise antillaise ne doit cependant pas masquer une situation plus contrastée parmi l’ensemble des collectivités d’outre-mer.
b. La forte composante hexagonale et affinitaire du tourisme dans les outre-mer explique le poids relativement modéré du secteur dans leurs économies
Auditionnée par votre rapporteur, l’Institut d’émission des outre-mer (IEOM) estime que le poids du tourisme dans l’économie des outre-mer, s’élève à 5 % de la valeur ajoutée en moyenne. La faiblesse du secteur touristique se retrouve dans les principaux indicateurs économiques :
– en termes de PIB : selon la Cour des comptes, le tourisme représente 7 % du produit intérieur brut en Guadeloupe (2012), 9 % en Martinique (2011), 7,7 % en Polynésie française et 2,6 % à La Réunion ;
– en termes d’emplois : le tourisme dans les quatre départements d’outre-mer emploie 18 094 salariés en 2013, ce qui représente moins de 2 % du nombre de salariés français du secteur. Par ailleurs, le poids du tourisme dans l’emploi local demeure en retrait par rapport à des régions métropolitaines orientées vers le tourisme. Le ratio salariés du tourisme/population varie par exemple de 1 à 2 entre La Réunion et la Corse. De fortes disparités existent là encore entre les territoires : il représente 9 % des effectifs salariés en Guadeloupe, 16 % en Polynésie française, 3,2 % à La Réunion mais près de 37 % à Saint-Barthélemy ;
– en termes de recettes commerciales : d’après le comité martiniquais du tourisme, le tourisme génère pour l’île une recette directe de 295 millions d’euros. La Guadeloupe met en avant un niveau de recettes indirectes liées au tourisme de 500 millions d’euros (ravitaillement des bateaux de croisière, enregistrements…).
Cette faiblesse s’explique par la composante fortement hexagonale et affinitaire du tourisme dans les outre-mer qui ne permet pas de tirer profit de la croissance mondiale du tourisme.
Le tourisme dans les outre-mer est en effet essentiellement hexagonal. Les touristes venant de métropole représentent 95 % de la clientèle touristique en Guadeloupe et 80 % de celle en Martinique, à la Réunion et en Guyane. Les collectivités de Saint Barthélemy et de Saint Martin font figure d’exception avec une composante majoritairement étrangère. À Saint-Barthélemy, 70 % des touristes sont originaires d’Amérique du nord. De même, la clientèle en Polynésie française est plus diversifiée et tournée vers les marchés asiatiques et américains. La Cour des comptes dans son rapport de 2014 évoque ainsi un risque pour les territoires des outre-mer français de devenir un produit méconnu du marché mondial. Les outre-mer accueillent également un tourisme fortement affinitaire. 30 % des touristes dorment chez des parents et amis en Martinique et en Guadeloupe, et plus de 45 % à La Réunion.
Un tourisme fortement hexagonal et affinitaire génère beaucoup moins de recettes commerciales, les touristes français dépensant moins que les touristes américains ou nord-européens. Il est également fortement dépendant de la conjoncture française.
2. Cette situation s’explique essentiellement par les faiblesses structurelles du secteur du tourisme dans les outre-mer, renforcées par la multiplication de crises sanitaires et sociales
a. Les trois faiblesses structurelles du secteur touristique dans les outre-mer font l’objet d’un consensus
La première faiblesse est liée au développement d’une forte concurrence régionale dans le bassin caribéen et dans l’Océan indien.
Selon l’Organisation caribéenne du tourisme, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane ne se classent respectivement qu’à la 9e, 13e et 24e place parmi les destinations caribéennes.
(en millions)
République Dominicaine |
Cuba |
Jamaïque |
Porto-Rico |
Bahamas |
Martinique |
Guadeloupe |
Guyane | |
Nombre de visiteurs en 2013 |
4,5 |
2,8 |
2 |
1,5 |
1,4 |
0,646 |
0,493 |
0,090 |
Dans l’Océan indien, la destination française connaît également une moindre fréquentation que ses concurrentes :
(en millions)
Maldives |
Maurice |
La Réunion |
Seychelles |
Madagascar | |
Nombre de visiteurs en 2013 |
1,1 |
1 |
0,416 |
0,220 |
0,200 |
Les raisons expliquant cette concurrence résident dans les avantages comparatifs importants dont bénéficient ces destinations :
– des coûts de production plus faibles : qu’il s’agisse de la main-d’œuvre, des normes de construction (normes antisismiques et anticycloniques) ou d’une parité de changes plus favorable ;
– une plus forte mobilisation stratégique de l’ensemble des acteurs publics et privés ;
– l’absence du problème de la saisonnalité : ces pays ont une réglementation sociale plus faible permettant aux établissements de se séparer de leur personnel pendant les périodes de faible activité ;
– de plus grands investissements réalisés permettant d’accueillir un tourisme de masse avec des formules « all inclusive » dans des grands hôtels modernes.
La deuxième faiblesse structurelle réside dans la persistance de la crise du secteur de la grande hôtellerie aux Antilles et à La Réunion qui ne permet pas de moderniser durablement l’offre d’hébergement.
La crise est tout d’abord quantitative. Le parc hôtelier des outre-mer a été divisé par deux en 10 ans. En Guadeloupe, 5 000 lits ont été supprimés entre 2008 et 2013. La Martinique a été concernée par la fermeture de 1 000 chambres et de 26 hôtels en 10 ans, comme l’a montré l’exemple récent du Diamond-Rock au Diamant en septembre 2012. À La Réunion, la crise du chikungunya en 2006 a fait perdre 30 % de l’offre de chambres classées. L’absence de grandes enseignes internationales à l’exception des deux groupes français Accor et Club Med constitue un frein au développement de grands hôtels. Au final, la DGCIS (11) recensait en 2013 61 291 lits dans l’ensemble des outre-mer, soit 1,1 % du total des lits hôteliers en France alors même que leurs territoires accueillent 2,9 % des touristes visitant notre pays. Cette insuffisance capacitaire empêche les tour-operators d’acheter des volumes de séjours importants et de s’engager sur des réservations de blocs-sièges aériens, se privant ainsi des baisses de tarifs que procurent des achats groupés. La baisse de la capacité a cependant permis d’améliorer le taux d’occupation des hôtels dont la moyenne oscille désormais entre 55 et 60 %.
La crise hôtelière est également qualitative. L’absence d’investissement depuis la fin des années 1990 fait que les grands hôtels sont vétustes et dans leur ensemble d’une qualité moyenne. En Martinique, sur les 67 hôtels recensés, seuls 33 sont classés au titre des nouvelles normes introduites par la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques. Cette loi a provoqué la baisse de la capacité d’accueil des hôtels et résidences classés en outre-mer qui a intégralement été compensée par la hausse des hébergements non classés. Par ailleurs, les hôtels existant classés 4* n’offrent pas le niveau de services comparable aux hôtels des îles voisines, en raison du coût de la main-d’œuvre. En conséquence, le parc hôtelier des outre-mer français ne permet pas de faire venir une clientèle moyenne-haut de gamme, internationale et à fort potentiel économique.
La situation est toutefois plus contrastée dans certains territoires. En Polynésie française, l’hôtellerie internationale, favorisée par la présence de grands groupes internationaux, est de bon niveau avec 69 % des chambres classées 4 ou 5*. À Saint Martin, 83 % des hôtels sont supérieurs à 3* bien que l’offre y soit dominée par l’hôtellerie indépendante.
La situation financière de la grande hôtellerie demeure également fragile malgré un soutien public important. D’après le Groupement des investisseurs hôteliers des départements d’outre-mer (GIHDOM), 80 % des structures hôtelières antillaises étaient déficitaires à la suite de la crise de 2009. Cette dernière aurait d’ailleurs causé l’aggravation de l’endettement des établissements hôteliers en augmentant de moitié leur dette sociale, et en doublant presque leur dette fiscale. Les deux missions conduites par Alain Bodon (12) en Guadeloupe et Martinique, en 2011 et 2012, ont permis de faciliter l’accès aux dispositifs d’aides en matière d’apurement des dettes fiscales et sociales mis en place par la LODEOM. Elles n’ont toutefois pas réglé durablement le problème de rentabilité des hôtels antillais.
Les performances du secteur hôtelier sont en effet moindres en outre-mer qu’en métropole. Le taux de marge des hôtels aux Antilles est de 14 % contre 24 % à La Réunion et 27 % pour la moyenne nationale. La récente étude du cabinet KPMG sur le secteur hôtelier (13) confirme un résultat d’exploitation modéré des hôtels en outre-mer malgré les aides dont ils disposent. Elle évoque le coût trop important de la masse salariale par rapport à la faible productivité du travail. La faiblesse de la rentabilité pourrait d’ailleurs à l’avenir freiner les investissements. En revanche, l’étude n’exclut pas que les outre-mer puissent servir de laboratoires aux investisseurs souhaitant développer de nouveaux concepts.
Enfin, la troisième faiblesse est liée au manque d’efficacité dans la promotion touristique des destinations. Outre l’absence de promotion par les grands groupes hôteliers nationaux ou étrangers, la Cour des comptes a souligné la déficience des politiques publiques en la matière.
Tout d’abord, l’enchevêtrement des échelons administratifs ayant la compétence du tourisme entraîne une perte d’efficacité. Les comités régionaux du tourisme ont eu tendance à développer des stratégies propres parfois en contradiction avec les conseils régionaux, peinant à s’articuler avec les objectifs des entreprises privées. Par ailleurs, les territoires des outre-mer sur la période 2007-2011 ont mené des stratégies commerciales peu offensives. La Cour a constaté que les plans de développement étaient anciens et pouvaient dater du début des années 2000 à La Réunion ou en Martinique. Les approches étaient par ailleurs peu innovantes et les atouts insuffisamment valorisés. Le coût de la promotion est élevé au regard des résultats. Parmi les dix premières régions françaises au titre des dépenses pour le tourisme figurent la Martinique (5e avec 87 millions d’euros entre 2007 et 2011 consacrés au tourisme), La Réunion (8e avec 85 millions d’euros) et la Guadeloupe (10e avec 72 millions d’euros).
Auditionné par votre rapporteur, le comité martiniquais du tourisme (CMT) insiste sur la rupture intervenue en 2010 et dont ne tient pas compte l’enquête de la cour. Les représentants du CMT soulignent les efforts importants accomplis, qui se traduisent par un rebond dans les chiffres de fréquentation en particulier grâce à la reconquête du secteur de la croisière. Votre rapporteur partage les réserves des acteurs de la promotion touristique quant aux conclusions sévères de la Cour. La hausse de la fréquentation touristique en Martinique montre bien qu’une dynamique, que passe sous silence le rapport, a été enclenchée.
Les crises sociales depuis 2009 ont durablement dégradé l’image des destinations des outre-mer. L’impact de la longue crise sociale de 2009 a été dévastateur pour le secteur du tourisme. Elle s’est en effet traduite par l’annulation de 10 000 séjours à destination de la Guadeloupe et de la Martinique et par le renforcement de l’image négative de la destination antillaise. Le Club Med y a d’ailleurs renoncé à réaliser certains investissements. Lors de son audition, le CMT a déploré pour la seule année 2014 deux grèves d’essence ainsi qu’une grève de la principale société de distribution d’eau potable. En septembre 2014, la grève d’Air France a par ailleurs fortement pénalisé le tourisme dans les outre-mer français.
Les crises sanitaires nuisent également aux destinations de La Réunion et des Antilles. Tout d’abord la crise du chikungunya a frappé La Réunion en 2006 et a provoqué une chute de la fréquentation touristique de 32 %. Le niveau d’avant la crise n’a été retrouvé qu’en 2012 avec 446 000 visiteurs. L’épidémie se développe désormais depuis décembre 2013 dans les Antilles. Lors de leurs auditions, les acteurs du tourisme ont pu souligner l’effet néfaste de la communication gouvernementale sur le sujet comme lors du déplacement de la ministre Marisol Touraine en Guadeloupe et en Martinique en juillet 2014. Les autres îles, tant dans l’Océan indien en 2006 qu’aujourd’hui dans les Caraïbes ont refusé toute communication publique sur le sujet alors même que le risque sanitaire existait. De même, la crise « requins » à La Réunion (14), fortement médiatisée, a fragilisé un peu plus le secteur du tourisme.
B. LES EFFORTS ENTREPRIS, EN PARTICULIER PAR LES PROFESSIONNELS DU TOURISME ET LES POUVOIRS PUBLICS DANS LES TERRITOIRES, DONNENT POURTANT DES RÉSULTATS
Le déclin du tourisme dans les outre-mer semble marquer le pas. Entre 2007 et 2012, le nombre global de touristes dans les outre-mer a augmenté de 4 % (contre +4,8 % en métropole). Le secteur apparaît relativement dynamique en termes de création d’emplois. En 2012, 8,9 % des nouvelles entreprises ont été créées dans ce secteur en Guadeloupe et 7,8 % en Martinique. Les réussites évoquées dans ce rapport montrent que la mobilisation des acteurs publics ou privés donne des résultats et que la reconquête des parts de marché est un objectif réaliste.
Les difficultés de la grande hôtellerie masquent bien souvent une autre réalité plus positive : la bonne résistance et la meilleure adaptation de la petite hôtellerie à la crise. Par ailleurs, l’essor du tourisme de gîtes et de meublés est une évolution récente qui bouleverse la vision traditionnelle de l’hébergement touristique dans les outre-mer. Ces succès sont la réponse à la demande croissante des touristes pour un accueil plus personnel et authentique.
Les grandes structures hôtelières subissent depuis plusieurs années une crise importante. La réponse publique s’est particulièrement concentrée sur la question de la dette sociale et fiscale. Mais les grands hôtels dans les outre-mer rencontrent également des difficultés pour investir et adapter leur offre et leur management aux évolutions de la demande des clients. Par ailleurs, les taux de rentabilité demandés par les investisseurs sont forts alors même que les ratios sont plus faibles en outre-mer. Les hôtels y subissent des coûts d’investissement plus élevés que pour un hôtel dans l’hexagone (normes de construction) et des coûts de fonctionnement plus élevés que pour les hôtels situés dans les destinations concurrentes (main-d’œuvre).
À l’inverse, les professionnels du tourisme constatent que la petite et moyenne hôtellerie résiste mieux à la crise et semble s’être bien adaptée aux évolutions d’une demande de moyenne gamme. Pour comprendre le succès de ces établissements hôteliers, votre rapporteur a souhaité s’appuyer sur un exemple concret en auditionnant Mme Françoise Riveti, directrice de l’hôtel Bambou en Martinique.
Situé sur la commune des Trois-Ilets, cet hôtel 2* compte 152 chambres (131 bungalows et 21 studios) d’une capacité d’accueil de 400 touristes. En plus d’une salle de réunion et d’une piscine, l’hôtel possède également un restaurant d’une capacité de 300 couverts. L’hôtel Bambou a réussi en 2012 à obtenir la classification 2* conforme aux nouvelles normes introduites par la loi de 2009 déjà citée. Alors que d’après l’IEOM, le taux d’occupation moyen des hôtels en Martinique se situe en moyenne entre 55 et 60 %, celui de l’hôtel Bambou est passé de 62,8 % en 2007 à plus de 70 % en 2012. En 2013, malgré une légère baisse de ce taux, le chiffre d’affaires de cet hôtel a augmenté pour atteindre 4,7 millions d’euros.
Au cours de son audition, Mme Riveti a expliqué la stratégie mise en œuvre par son hôtel :
– de nombreux investissements menés depuis 2007 : l’hôtel étant à jour de ses charges fiscales et sociales, il a pu bénéficier d’aides publiques à l’investissement. En 2010, l’hôtel a ainsi perçu une aide de 1,07 million d’euros provenant de financements croisés du programme opérationnel du fonds européen pour le développement régional (FEDER) et d’une contrepartie du conseil régional de la Martinique. En septembre 2014, l’assemblée régionale a décidé d’attribuer à l’hôtel Bambou une nouvelle subvention de 760 000 euros pour financer l’extension de l’hôtel qui permettra à termes d’augmenter sa capacité à 192 chambres pour un budget global de 2 millions d’euros ;
– une politique commerciale active : l’hôtel Bambou emploie une commerciale à Paris qui démarche les tour-operators, les agences de voyages en participant aux salons de tourisme grand public ou spécialisés ;
– un management plus souple et direct : la taille plus modeste de l’hôtel permet de mieux diriger les équipes. Un effort de formation a également été accompli en 2010. L’hôtel entend atténuer la contrainte de la saisonnalité en dynamisant sa basse saison ;
– le refus du « all inclusive » : autant par nécessité, le coût du travail étant plus élevé dans les territoires caribéens français, les hôtels peinent à mettre à disposition le personnel nécessaire, que par choix : l’idée est de ne pas enfermer le touriste dans l’hôtel pour qu’il puisse profiter du patrimoine naturel et culturel de la Martinique. Les retours des clients sont satisfaisants s’agissant des excursions. L’hôtel se nourrit de la richesse de la destination.
Le modèle que dessine le succès de l’hôtel Bambou est celui du propriétaire-exploitant, proche de ses équipes et de sa clientèle, inscrit dans le patrimoine culturel et naturel de son territoire, assumant ses responsabilités sociales et fiscales et donc capable d’être aidé dans ses opérations d’investissement pour améliorer son offre. Votre rapporteur estime que ce modèle doit être promu et qu’il constitue une piste sérieuse d’avenir pour l’hôtellerie dans les outre-mer.
Les formes alternatives d’hébergement sont en plein essor. D’après Atout-France, les gîtes et meublés de tourisme, classés ou non, représentent respectivement 13 % et 15 % des nuitées en 2008 soit 29 % des nuitées au total, derrière les parents et amis (37 %) mais devant les hôtels (28 %).
L’intérêt des professionnels comme des collectivités locales dans les outre-mer pour développer l’offre de gîtes ou de meublés est multiple. Ils permettent en effet :
– un accueil plus authentique et personnalisé. Ce tourisme offre une plus grande possibilité de contacts entre les touristes et les habitants et répond à la demande croissante pour un produit touristique plus local et plus identitaire ;
– une plus grande diversité de localisation géographique au sein des territoires : en Guadeloupe et en Martinique, les hôtels sont concentrés sur un très faible nombre de communes. En Polynésie française, le gouvernement a soutenu le développement des gîtes particulièrement dans les îles jugées peu intéressantes par les investisseurs immobiliers. Ils sont en effet implantés dans 33 îles contre seulement 17 pour l’offre hôtelière ;
– une offre de voyages différente. Ces formes alternatives permettent de passer « des vacances à l’expérience ». Par exemple les formules d’hébergement en tribus en Nouvelle Calédonie (Provinces du Nord et Iles Loyauté) attirent une clientèle diversifiée tout comme les 69 carbets de la Guyane et leurs 1 142 couchages en hamac, qui représentent 24 % de la capacité totale d’accueil touristique guyanaise ;
– des prix généralement moins élevés. Les touristes peuvent ainsi envisager des séjours plus longs, ce qui compense les faibles recettes hôtelières par des plus fortes recettes commerciales.
Le secteur alternatif que représente l’hébergement diffus doit désormais mieux se structurer pour accroître sa visibilité. Auditionnée par votre rapporteur, l’association Gîtes de France est le seul organisme à produire régulièrement des statistiques sur le marché ultra-marin. Son réseau intègre 40 000 des 60 000 gîtes labellisés en France. Elle constate une grande disparité entre les territoires s’agissant de l’offre d’hébergement en gîtes et surtout un nombre important de gîtes ou meublés non labellisés et donc non recensés. En effet, sur les 40 000 gîtes labellisés en France par l’association, seuls 750 sont localisés dans un territoire d’outre-mer.
La Guadeloupe compte en 2012 362 gîtes offrant 1 267 chambres contre 981 en 2008 (soit une hausse de 30 %). L’offre semble plus faible en Martinique avec 192 « gîtes de France » mais un nombre important de gîtes non labellisés, donc non recensés, et de meublés de tourisme se sont développés depuis la fin des années 1990. À La Réunion, les gîtes et meublés représentent deux tiers de l’offre en hébergement touristique en 2012 dont la moitié est non labellisée. L’essor du nombre de gîtes et de meublés s’explique notamment par les subventions des collectivités locales et les aides fiscales à l’investissement. En Guyane en revanche, Gîtes de France ne compte que 9 structures d’accueil.
L’analyse socio-économique des propriétaires de gîtes dans les outre-mer menée par Gîtes de France indique que l’âge moyen des propriétaires est plus jeune que dans l’hexagone où les propriétaires ont majoritairement un profil de jeunes retraités. Pourtant, l’association attire l’attention sur le fait que l’ouverture d’un gîte n’assure pas des revenus suffisants pour constituer une activité principale et n’assurent qu’un revenu d’appoint. Les gîtes s’opposent en ce sens aux chambres d’hôtes qui relèvent d’une activité commerçante. En revanche, ils permettent à leurs propriétaires d’entretenir et de valoriser leur patrimoine bâti mais aussi, le cas échéant, de diversifier les débouchés d’une activité agricole familiale.
Deux problèmes spécifiques à l’activité de gîtes en outre-mer ont cependant été évoqués lors des travaux de votre rapporteur :
– un problème de confort : les attentes des touristes en termes de confort sont plus fortes pour leurs voyages en outre-mer que dans l’hexagone en raison de l’investissement que constitue le prix du billet d’avion. Dès lors, la moyenne française des gîtes qui est de trois épis n’apparaît pas suffisante dans les outre-mer ;
– un problème lié à la politique laxiste de labellisation des gîtes dans les Antilles menée à la fin des années 1990 et qui conduit aujourd’hui à une nécessaire requalification du parc. Cette mesure tend à diminuer à moyen terme l’offre de gîtes labellisés.
La croisière est un secteur stratégique pour les Antilles françaises en raison du poids des Caraïbes dans le tourisme de croisière. La mer de la Caraïbe capte en effet plus de la moitié du marché mondial et constitue la première destination croisière au monde avec 22 millions de croisiéristes en 2013 (+9,9 % par rapport à 2012) sur les 40 millions de croisiéristes dans le monde.
Dans les Antilles françaises, le secteur a pourtant connu depuis le début des années 2000 un déclin important. La Guadeloupe a en effet perdu 55 % de ses passagers en dix ans et la Martinique 75 %. En 1991, les deux destinations représentaient un flux de 699 000 passagers, soit 8,2 % du total de la région. Le record de fréquentation a été atteint en 1996 avec 998 000 croisiéristes recensés dans les Antilles françaises. En 2009, ce chiffre s’était effondré à 185 000 visites représentant 1 % du trafic de la région. Le constat est identique pour la Polynésie française qui, d’après la Cour des comptes, a perdu entre 2003 et 2011 48 % de ses croisiéristes.
Trois explications peuvent être avancées pour comprendre cette crise : la faible adhésion de la population locale à la croisière, la situation sociale imprévisible et l’appauvrissement de l’offre d’excursions dans les villes de débarquement.
Face à ce constat, les pouvoirs publics locaux et les professionnels se sont mobilisés pour inverser la tendance. Le comité martiniquais du tourisme a détaillé devant votre rapporteur les mesures mises en œuvre pour reconquérir des parts de marché :
– des investissements des collectivités locales sur les infrastructures d’accueil des croisiéristes : ont été cités l’aménagement de nouvelles escales de transit et de têtes de lignes, l’augmentation de la capacité des quais dans les deux principaux terminaux de croisière situés à Fort de France (Les Tourelles dédié à la croisière basée et la Pointe Simon en centre-ville réservé aux croisiéristes d’escale), enfin l’agrandissement des halls d’accueil des croisiéristes ;
– des travaux d’embellissement de Fort de France ;
– des actions de promotion à destination des compagnies de croisières pour regagner leur confiance qui avait été écornée à la suite des crises sociales de 2009 ;
– une mobilisation de tous les acteurs et en particulier des commerçants pour améliorer l’accueil des touristes notamment nord-américains.
De même en Guadeloupe, des efforts similaires ont été entrepris. Des investissements dans les infrastructures du port autonome de la Guadeloupe ont été réalisés avec la mise en service d’un second terminal de croisière en décembre 2013 permettant d’accueillir simultanément deux navires de 3 500 passagers.
La reprise du secteur s’est ainsi amorcée dans les Antilles depuis 2012. En Guadeloupe, 158 000 croisiéristes ont été accueillis en 2013 comme en 2012. En Martinique, le nombre de croisiéristes a doublé entre 2011, année record de désaffection des touristes avec seulement 41 242 croisiéristes accueillis, et 2012. En 2013, ce chiffre est monté à 103 770 soit une hausse de 12,7 % par rapport à 2012.
Un autre paramètre positif est à souligner pour les deux destinations : les croisières basées représentent entre 75 et 80 % de l’ensemble des croisiéristes visitant les Antilles françaises. Cette donnée est favorable pour le trafic aéroportuaire et pour les recettes commerciales : un touriste dépense en moyenne 150 à 200 euros pendant la journée qui précède son vol de retour contre seulement 50 à 100 euros lors d’une escale d’une journée.
Le secteur du nautisme est un enjeu majeur du développement touristique dans les outre-mer. Il concerne généralement un public à fort potentiel économique mais ne doit pas toutefois lui être réservé.
Auditionné par votre rapporteur, M. Éric Jean-Joseph, directeur de la capitainerie du Marin en Martinique en a la conviction et souhaite développer une « clientèle plurielle ». Le port de plaisance du Marin emploie 450 personnes (skippers, agents d’accueil, mécaniciens…) pour un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros. Le port déploie son activité tant au niveau de la location de bateaux que du ravitaillement et de l’assistance technique pour les bateaux de grande plaisance. En moyenne, un bateau basé au Port du Marin génère une dépense de 40 000 euros par an pour son entretien et la location de son emplacement. Les recettes potentielles sont donc importantes dans un port qui compte 750 anneaux.
Avec 34 000 plaisanciers accueillis en Martinique en 2013, cette catégorie de tourisme ne peut pas être considérée comme une niche mais au contraire comme un secteur à fort potentiel. Votre rapporteur espère que ce tourisme thématique poursuivra son développement dans les prochaines années et pourra monter en gamme. Sur ce terrain également, la question de la formation professionnelle est capitale, les collectivités locales devant s’engager dans la formation aux métiers du nautisme.
Votre rapporteur considère que les résultats positifs du secteur de la croisière et du nautisme constituent un précieux encouragement et montrent que la situation de déclin du tourisme dans les outre-mer, loin d’être une fatalité, peut être enrayée lorsque se mobilisent pleinement tant les pouvoirs publics que les professionnels.
3. Le succès avorté des contrats de destination « Antilles françaises » (2011-2013) pour diversifier la clientèle touristique en Guadeloupe et en Martinique
L’ambition des contrats de destination mis en œuvre par Atout France est de promouvoir les destinations touristiques de la France sur les marchés étrangers. Les destinations d’outre-mer sont particulièrement concernées par ce besoin de promotion auprès des clientèles étrangères, et notamment européennes, en raison de leur forte dépendance au marché français.
En 2011, un contrat de destination « Antilles françaises » a été conçu et décliné pour la Guadeloupe et la Martinique à la suite de l’annonce du Président de la République Nicolas Sarkozy d’ouvrir une ligne aérienne d’Air France entre ces deux destinations et l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle.
Le but de ce contrat était de sortir de l’impasse dans laquelle se trouvait le secteur du tourisme antillais : d’un côté, les compagnies aériennes et les tour-operators déploraient la faible capacité et qualité du secteur hôtelier antillais qui les empêchaient de vendre la destination auprès de leurs clients européens ; de l’autre, les professionnels du tourisme aux Antilles qui demandaient une meilleure desserte aérienne et l’arrivée de nouveaux touristes pour pouvoir rentabiliser leurs investissements dans les infrastructures.
La méthode du contrat de destination pour les Antilles a consisté à réunir tous les acteurs publics et privés concernés (État, conseils régionaux, Air France, comités régionaux du tourisme, hôteliers, loueurs de meublés, agences de voyages, offices du tourisme et syndicats d’initiative, chambres de commerce et d’industrie, loueurs de voitures, syndicats de taxis et Atout France) à les faire s’engager, de manière chiffrée, dans une dynamique d’ensemble de promotion et d’amélioration de l’offre touristique.
La desserte des Antilles depuis Roissy était le facteur déclencheur et moteur du contrat. L’aéroport du nord-parisien est en effet le principal hub français, bénéficiant ainsi du plus fort potentiel de préacheminement de touristes européens. L’aéroport d’Orly, d’où partent l’immense majorité des vols pour les outre-mer, est au contraire positionné principalement sur les vols intérieurs et ceux à destination du Maghreb ou de l’Europe du sud. Dès lors, l’ouverture de la desserte depuis Roissy a fait l’objet de préconisations régulières dans les rapports publics (15).
Lors de son audition, Atout France a rappelé l’objectif qui était fixé dans les contrats de destinations « Antilles françaises » : « atteindre 10 % de clientèles d’origine européenne à horizon 2015 » alors qu’elle représente moins de 5 % aujourd’hui. L’article 1er des contrats stipulait que l’ouverture des lignes, « pour constituer un véritable levier du développement tout en étant rentable pour Air France » devait être accompagnée :
– « d’une évolution significative de l’attractivité internationale des destinations, conjuguée à une croissance qualitative et quantitative du parc d’hébergement » ;
– « d’un programme de vols et d’une politique tarifaire adaptés à la pratique des clientèles européennes » ;
– « d’une présence promotionnelle synchronisée avec les acteurs du transport, les acteurs de l’hébergement touristique et la distribution sur les marchés qu’il s’agit de conquérir ». Quatre marchés, à fort potentiel économique, étaient désignés comme prioritaires : l’Allemagne, la Belgique, l’Italie et la Suisse.
Air France a donc mis en place une liaison aérienne hebdomadaire depuis Roissy vers la Guadeloupe et la Martinique en respectant ses engagements en matière d’horaires, calibrés pour les semaines de location, et de politique tarifaire. Atout France a mené une intense campagne de promotion en consacrant un budget de 550 000 euros avec l’idée de valoriser la « french touch » caribéenne auprès des publics cibles. De leurs côtés, les professionnels de l’hébergement ont progressé dans leur démarche de labellisation et d’investissement pour améliorer l’offre d’accueil. Les chambres de commerce et d’industries se sont engagées à améliorer les offres de formation professionnelle dans le domaine des langues étrangères notamment. Enfin, les agences de voyage antillaises ont promis de promouvoir des destinations européennes au départ des Antilles pour remplir les vols retours.
En janvier 2013, soit 18 mois après le lancement des contrats, Air France a décidé d’arrêter sa troisième expérience de desserte des outre-mer depuis l’aéroport de Roissy. Auditionnée par votre rapporteur, la compagnie a expliqué cette décision par le manque à gagner constaté de plus de 4 millions d’euros dont 1,5 sur l’activité cargo et 2,5 millions sur le transport de passagers.
Les compagnies aériennes (16) considèrent que les lignes depuis Roissy sont structurellement déficitaires. Le fret aérien, qui est une condition d’équilibre économique des vols, est pénalisé en partant de Roissy en raison de la proximité des plateformes de fret de Rungis avec Orly obligeant à des coûts supplémentaires d’acheminement des marchandises vers Roissy. Le coût d’exploitation d’une ligne est également plus élevé depuis Roissy car elle entraîne un temps de vol plus long que depuis Orly (en moyenne une heure) et un temps de roulage sur les pistes également supérieur (en moyenne de 20 à 25 minutes). Enfin, la clientèle ultramarine vivant dans l’hexagone est habituée à Orly et réside plus majoritairement dans le sud de la région parisienne.
Au final, Air France estime que le coefficient de remplissage des appareils est en moyenne de 10 points inférieure pour un avion partant de Roissy que pour un avion partant d’Orly. La hausse, pourtant réelle de la clientèle européenne, ne compense pas le faible intérêt des voyageurs français pour Roissy.
Les résultats sur les populations européennes cibles étaient en effet mitigés mais toutefois encourageants. Selon les chiffres auxquels a pu accéder votre rapporteur, entre avril et octobre 2012, la hausse de la clientèle européenne d’Air France vers les Antilles par rapport à la même période en 2011 a été de 8,7 % pour la Martinique (environ 13 000 passagers au total) et de 4,4 % pour la Guadeloupe (environ 14 000 passagers). Cette hausse est principalement due à la clientèle allemande (+21 % pour la Martinique avec environ 4 000 passagers et +30 % pour la Guadeloupe avec 3 200 passagers) et à celle originaire de l’Europe de l’est (+81 % pour la Martinique avec plus de 1 600 passagers et +27 % pour la Guadeloupe avec 302 passagers). Parmi les autres clientèles ciblées par les actions de promotion d’Atout France, on constate des résultats clairement mitigés selon les deux destinations pour les clientèles suisses, italiennes et belges. Le contexte de crise économique explique sans doute en partie ce résultat en demi-teinte.
Votre rapporteur, s’il comprend les arguments économiques d’Air France surtout dans une période difficile pour la compagnie, regrette que cette expérience prometteuse n’ait pu disposer d’une période plus longue pour obtenir les résultats de la politique de promotion menée sur les marchés européens. Atout-France estime qu’il fallait au moins cinq années pour que les professionnels reprennent l’habitude de proposer la destination des Antilles. Votre rapporteur considère cependant que le contrat de destination ne visait pas suffisamment l’objectif de dynamisation de la basse saison, période pendant laquelle Air France a constaté une fréquentation trois fois plus faible sur ses lignes depuis Roissy que pendant la saison haute. Il est convaincu que ce dossier devra, dans un avenir proche, être repris comme il en fera la proposition dans un développement à venir de ce rapport.
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Si le secteur du tourisme dans son ensemble demeure encore fragile, il semble possible de dire que la page de la crise est tournée. Les succès enregistrés au niveau local et qui commencent à se traduire par les chiffres de fréquentation doivent conduire le législateur et le gouvernement à augmenter l’efficacité de l’effort public, conséquent, en faveur du tourisme. Un redéploiement des aides publiques apparaît nécessaire et doit s’engager pour dynamiser encore plus le secteur.
Parmi le nombre important de voies qu’il aurait été possible d’explorer tant le sujet est complexe, votre rapporteur a choisi de concentrer son analyse sur deux séries de propositions visant à : favoriser l’investissement, la formation professionnelle et l’approvisionnement local des établissements touristiques et à renforcer le désenclavement des outre-mer en les connectant mieux avec les principaux hubs internationaux.
Votre rapporteur formule deux séries de propositions qu’il considère prioritaires pour dynamiser le secteur du tourisme :
– une réflexion sur le redéploiement de certaines aides publiques au sein d’un dispositif qui pourrait prendre la forme d’un « POSEI tourisme » ;
– la poursuite du désenclavement aérien des outre-mer pour attirer une clientèle étrangère.
A. ADAPTER LES DISPOSITIFS DE SOUTIENS PUBLICS À LA SPÉCIFICITÉ DU SECTEUR DU TOURISME POUR FAVORISER L’INVESTISSEMENT, LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET L’APPROVISIONNEMENT LOCAL
Le secteur du tourisme doit faire face à trois enjeux qui lui sont spécifiques : le manque d’investissement, la faiblesse de la formation professionnelle et le rôle insuffisant que joue le tourisme pour stimuler la demande de produits locaux. Aussi, une réflexion sur l’efficacité des aides publiques attribuée au secteur doit être lancée.
1. Favoriser l’investissement en créant le CICE « super renforcé » et en améliorant la lisibilité du soutien public au secteur du tourisme
a. Passer à l’acte pour la création d’un CICE « super renforcé » à 12 % sur le secteur du tourisme qui doit servir prioritairement à l’investissement
Le projet de loi de finances pour 2015 fait du « soutien à l’emploi [dans les outre-mer] une priorité d’action et budgétaire essentielle » a affirmé la ministre des outre-mer, Mme George Pau-Langevin à l’occasion de la présentation du budget le 1er octobre dernier. Il prévoit à ce titre pour le secteur du tourisme :
– dans la mission « Outre-mer », le maintien des exonérations de charges sociales instaurées en 2009 par la LODEOM. Cette loi distingue six secteurs d’activité prioritaires : la recherche et développement, les technologies de l’information et de la communication, le tourisme, l’agronutrition, l’environnement et les énergies renouvelables. Pour ces entreprises, les exonérations de cotisations sociales sont totales pour les rémunérations inférieures à 1,6 SMIC. De 1,6 à 2 SMIC, le montant des exonérations est égal à celui calculé pour une rémunération horaire égale à 1,6 SMIC ; à partir du seuil de 2 SMIC, le montant des exonérations décroît de manière linéaire et devient nul lorsque la rémunération horaire est égale à 3 SMIC ;
– le maintien, pour les entreprises du tourisme situées en dehors des départements d’outre-mer et qui ne bénéficient donc pas du CICE, du renforcement du dispositif déjà renforcé d’exonération de charges prévu par la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2013 mettant en œuvre le CICE : l’exonération est totale jusqu’à 1,6 SMIC ; entre 1,6 et 2,5 SMIC, l’exonération est limitée à 1,6 SMIC ; au-delà de 2,5 SMIC, l’exonération est dégressive et s’annule à 4,5 SMIC ;
– à son article 43, un taux majoré du CICE porté à 7,5 % en 2015 et à 9 % en 2016 pour tenir compte de l’existence des dispositifs spécifiques d’exonération de charges. En effet, comme l’a montré un rapport récent de la délégation des outre-mer de l’Assemblée nationale (17), les huit mesures du pacte de responsabilité risquaient de n’avoir qu’un impact limité dans les outre-mer du fait des dispositifs d’exonération de cotisations patronales prévues par la LODEOM. Ce rapport proposait de majorer de 50 % le taux de CICE prévu dans l’hexagone à 6 % pour le porter à 9 % dans les outre-mer. Le gouvernement a donc repris cette proposition en l’inscrivant dans le projet de loi de finances pour 2015. Le coût total du CICE dans les outre-mer s’élève, d’après le gouvernement, à 400 millions d’euros dont 160 millions pour la partie majorée.
Par ailleurs, lors du colloque de la FEDOM organisé à l’Assemblée nationale le 25 septembre dernier sur le thème du tourisme, la ministre a annoncé la création d’un taux « super renforcé » du CICE pour le secteur du tourisme sans toutefois en préciser les modalités.
Auditionné par votre rapporteur, le cabinet de la ministre a indiqué qu’est bien à l’étude la création d’un taux « super renforcé » de CICE à 12 % pour les 6 secteurs d’activité prioritaires de la LODEOM. Le coût estimé de cette mesure s’élèverait entre 20 et 25 millions d’euros. Ce taux « super renforcé » devrait en effet concerner 10 à 12 % des entreprises des outre-mer, c’est-à-dire d’après la FEDOM (18) environ 61 500 salariés soit seulement 20,3 % des effectifs salariés concernés par le CICE.
Les deux mesures concernant le taux renforcé du CICE (prévu dans le projet de loi de finances pour 2015) et le taux « super renforcé » pour les secteurs prioritaires sont en cours d’instruction auprès des services de la commission européenne pour la délivrance de l’approuvé communautaire.
Votre rapporteur salue la mesure contenue dans le projet de loi et encourage vivement le gouvernement à mettre en œuvre le plus rapidement possible la proposition de la ministre d’un CICE « super renforcé » à 12 % au moins pour le secteur du tourisme.
Comme il l’a évoqué plus haut, le tourisme dans les outre-mer souffre d’un handicap structurel lié au coût de la main-d’œuvre qui constitue un désavantage comparatif par rapport à la concurrence régionale alors même qu’il est un secteur d’avenir. Il considère, au regard des travaux qu’il a mené dans son rapport remis au Premier ministre sur l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (19), que ces deux mesures ne devraient pas être considérées comme contraires au droit européen en raison du statut de « région ultrapériphérique » des départements d’outre-mer français et de la possibilité de leur accorder des « mesures spécifiques ».
Il ne souscrit pas en revanche à la proposition de majorer encore plus ce taux pour le secteur du tourisme comme cela a été évoqué dans le rapport de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale sur la déclinaison du pacte de responsabilité. Ce rapport recommandait de porter le taux de CICE à 19 % pour le seul secteur du tourisme et à 13 % pour les cinq autres secteurs prioritaires de la LODEOM. Le coût estimé de la mesure était de 200 millions d’euros.
Le montant total des exonérations de charges sociales dans le secteur de l’hébergement et de la restauration s’élève en 2013 à 91,4 millions d’euros et concernent 3 032 établissements. Votre rapporteur considère qu’un taux de CICE à 12 % constitue un bon équilibre et que si un effort public supplémentaire doit être accompli en faveur des entreprises du secteur du tourisme dans les outre-mer, il doit porter sur des aides directes à l’investissement.
Il souhaite vivement que les professionnels du tourisme bénéficiant du CICE, en particulier ceux de l’hôtellerie, privilégient l’investissement et la formation professionnelle pour l’amélioration de leur offre, sur le modèle, présenté dans ce rapport, des hôtels indépendants de moyenne gamme qui résistent à la crise. Il s’inscrit de fait pleinement dans les préconisations du rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le CICE (20) selon lesquelles les modalités de suivi du CICE doivent être renforcées. Il apparaît ainsi nécessaire de rendre obligatoire, comme le prévoit l’article 66 de la dernière loi de finances rectificatives pour 2012, la mention des dépenses d’investissement et de formation professionnelle, dans le document retraçant l’utilisation faite du CICE et annexé au bilan comptable de chaque entreprise bénéficiaire. Une instruction précise doit être formulée en ce sens aux entreprises par l’administration fiscale.
Proposition n°1 : Concrétiser l’annonce de la ministre des outre-mer sur la création d’un CICE « super renforcé » à 12 % pour les secteurs exposés et au moins pour le tourisme.
Proposition n°2 : Rendre obligatoire la publicité des affectations du CICE dans les domaines de l’investissement et de la formation professionnelle pour chaque entreprise bénéficiaire.
b. La suppression de l’aide à la rénovation hôtelière doit être le point de départ d’une réflexion visant à la refonte des différents mécanismes d’aide publique au secteur du tourisme au sein d’un ou plusieurs outils adaptés à sa spécificité
Figurant à l’article 57 du projet de loi de finances pour 2015, la suppression de l’aide à la rénovation hôtelière (ARH) se justifie par sa complexité et sa faible utilisation.
L’ARH a été instaurée par l’article 26 de la LODEOM, complétée par le décret n° 2001-566 du 24 mai 2011 relatif à l’aide pour la rénovation des hôtels de tourisme situées dans les départements d’outre-mer, à Saint Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Elle permettait la réalisation de travaux de rénovation et de réhabilitation d’hôtels construits depuis plus de quinze ans pour un montant maximal de 7 500 euros par chambre dans la limite de 100 chambres par hôtel aidé. Le montant était plafonné à 6 500 euros par chambre pour les hôtels dont le classement est inférieur à trois étoiles et qui n’ont pas pour objet d’améliorer le classement de l’établissement.
Comme l’ont expliqué les membres du cabinet de la ministre des outre-mer lors de leur audition par votre rapporteur, l’utilisation de l’ARH s’est avérée complexe. Cette aide devait servir d’impulsion pour recourir à l’aide fiscale à l’investissement fixée à l’article 199 undecies B du code général des impôts. L’ARH obéissait toutefois à des règles d’éligibilité et d’instructions distinctes de l’aide fiscale et nécessitait pour chaque demande une décision préfectorale après instruction des directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Surtout, son montant devait être déduit, en tant qu’aide publique, de la base éligible à la défiscalisation en cas de recours au dispositif de l’article 199 undecies B. Le plan de financement du projet de rénovation devait donc intégrer l’ARH dans le montage de défiscalisation sous peine de redressement fiscal voire même de remise en cause de l’aide. Dans le cas, très rare, où le montant de l’ARH dépassait celui de la défiscalisation, il devait respecter le plafond communautaire d’intensité d’aide propre à chaque projet d’investissement.
La complexité du dispositif explique la faiblesse du recours à cette aide. Depuis sa mise en place en 2011, 38 établissements ont bénéficié de cette mesure et 1 506 chambres sont en cours de rénovation ou ont été rénovés. Depuis 2013, le montant de crédit de paiement voté en loi de finances initiale était passé de 6 millions à 3 millions d’euros. Entre les mois de janvier et septembre 2014, aucune demande d’aide n’a été déposée auprès des services déconcentrés de l’État.
La suppression du dispositif apparaît donc, pour votre rapporteur, justifiée.
Il n’en demeure pas moins qu’elle constituait l’un de seuls dispositifs d’aide publique nationale spécifiquement dédiée à l’investissement dans le secteur touristique.
En plus des mesures d’exonération de charges sociales évoquées plus haut, le secteur du tourisme bénéficie en effet d’une série de dispositifs d’aides qui ne lui sont pas propres. Votre rapporteur les citera sans toutefois détailler le contenu de ces mesures.
En tant que secteur défini comme prioritaire par la LODEOM, le tourisme bénéficie de la mesure « zone franche d’activité » qui permet un abattement temporaire dégressif sur les bénéfices imposables à l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu sur la base d’imposition à la contribution économique territoriale et à la taxe foncière sur les propriétés bâties et d’une exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Le tourisme bénéficie à ce titre d’un taux d’abattement majoré et d’un plafond de déduction plus élevé (300 000 euros au lieu de 150 000 euros). Le coût total de cette mesure, qui étend son bénéfice aux cinq autres secteurs prioritaires de la LODEOM et à certaines communes de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane, s’élève en 2014 à 127 millions d’euros.
Le tourisme est également l’un des principaux bénéficiaires du mécanisme de la TVA non perçue récupérable (TVA NPR) qui permet aux entreprises du secteur de majorer leur droit à déduction de la TVA du montant de la taxe calculée fictivement sur la valeur des biens d’investissement neufs, acquis ou importés en exonération de la TVA conformément aux dispositifs a à c du 5° du 1 de l’article 295 du CGI. Le mécanisme de la TVA NPR ne s’applique qu’aux biens d’investissement neufs qui figurent sur les listes des articles 50 undecies, qui ne concernent que des matériels destinés à l’hôtellerie et au tourisme, et 50 duodecies de l’annexe IV au CGI. Depuis 2014, le montant total de cette mesure s’élève à 280 millions d’euros dont 100 millions d’euros pour la liste de produits concernant les matériels destinés à l’hôtellerie et au tourisme.
Le tourisme bénéficie par ailleurs des aides fiscales à l’investissement productif pour les travaux de rénovation et de réhabilitation d’hôtels, de résidences de tourisme et de villages vacances classés. Les trois dispositifs de défiscalisation figurent aux articles 199 undecies A et 199 undecies D, 199 undecies B, 199 undecies C et sont également visés à l’article 217 undecies du code général des impôts. Entre 2009 et 2013, 140 agréments ont été octroyés dans les différents territoires des outre-mer. 103 concernent le secteur du nautisme et 37 des projets de construction ou de rénovation d’hôtels.
À ces dispositifs, s’ajoutent des aides publiques directes sous forme de subventions dans le cadre des fonds structurels européens et des anciennes versions des contrats de projet État-Région (21). La nouvelle version des contrats de plan 2015-2020 exclut en effet le tourisme dont la contractualisation des aides publiques est désormais déplacée au sein des contrats de destination.
Le gouvernement ne dispose d’aucune estimation précise sur le montant total d’aides publiques (dépenses fiscales et crédits budgétaires) consacré au secteur du tourisme. Votre rapporteur souhaite, qu’avant la session du conseil national de promotion du tourisme consacrée aux outre-mer, une étude soit réalisée par les services de l’État pour évaluer ce montant qui devrait se chiffrer à plusieurs centaines de millions d’euros.
Au regard de l’importance de ces aides publiques perçues par le secteur du tourisme, il conviendrait de lancer une réflexion sur une refonte de ces différents dispositifs au sein d’un ou plusieurs outils, au nombre limité, adaptés aux spécificités de l’activité touristique.
Votre rapporteur préconise la création d’un « POSEI tourisme » comportant, à l’instar du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité actuel, plusieurs volets destinés à rendre plus effectives les priorités de l’aide publique au secteur du tourisme en faveur de l’investissement, de la formation professionnelle et de l’approvisionnement en produits locaux. Cette proposition fait l’objet de développements dans les suites de ce rapport.
Proposition n°3 : Afin de préparer la session du Conseil national de promotion du tourisme dédiée aux outre-mer, réaliser une étude sur le montant total de l’effort public en faveur du tourisme dans les outre-mer.
Proposition n°4 : Mettre à l’ordre du jour du Conseil national de promotion du tourisme un débat sur l’opportunité d’une refonte des aides publiques au tourisme au sein d’outils spécifiques adaptés aux problèmes du secteur outre-mer.
2. Favoriser la formation professionnelle en adaptant le code du travail à l’enjeu de la saisonnalité
Le secteur du tourisme dans les outre-mer rencontre un double problème concernant ses effectifs salariés :
– un problème de saisonnalité : les établissements situés dans les destinations concurrentes au niveau régional, s’inscrivant dans un environnement normatif moins protecteur, ne connaissent pas ce problème et peuvent licencier leur personnel à la fin de la saison ; de même les structures touristiques hexagonales peuvent bénéficier d’une main-d’œuvre saisonnière capable de migrer entre les régions touristiques en fonction des saisons ;
– un problème de management et de formation professionnelle : l’âge moyen des salariés dans les hôtels antillais est supérieur à 54 ans, ce qui soulève des problèmes d’adaptation des services à la demande d’une clientèle internationale et en particulier pour la maîtrise des langues étrangères.
Une réflexion doit être menée par l’État pour adapter le code du travail dans les outre-mer à cette spécificité. Il apparaîtrait intéressant de profiter de la période de la basse saison pour inciter les professionnels du tourisme à former leur personnel. Le salarié bénéficierait d’un contrat de travail lui permettant par exemple d’être pris en charge, pendant ses périodes de formation, par une prestation de formation financée par l’employeur et Pôle Emploi.
Proposition n°5 : Afin de préparer la session du Conseil national de promotion du tourisme dédiée aux outre-mer, réaliser une étude sur les adaptations possibles du code du travail en outre-mer pour permettre de limiter le problème de saisonnalité tout en sécurisant les parcours professionnels des salariés du secteur du tourisme.
3. Favoriser l’approvisionnement local en créant une aide spécifique, sur le modèle d’un « POSEI tourisme »
Le tourisme ne joue pas aujourd’hui un rôle de moteur de la demande de produits agricoles locaux, ce qui conduit à un double constat désolant. D’un côté, 80 % des produits consommés dans les hôtels des outre-mer sont importés de l’hexagone ou des pays voisins. De l’autre, les filières de production peinent à se structurer au point qu’elles ne répondent même pas à la demande des établissements locaux. Lors de son audition, Mme Riveti a ainsi déploré avoir été contrainte d’importer des fruits et légumes de Porto-Rico au cours de la saison passée car ses fournisseurs martiniquais étaient en rupture de stock.
Il apparaît donc nécessaire de faire du tourisme un levier de développement des économies des outre-mer permettant en particulier d’encourager le développement et la diversification des filières agricoles. Cet objectif se retrouve :
– dans la politique européenne de développement rural conduite à travers le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) auquel les départements d’outre-mer sont éligibles pour 631 millions d’euros sur la période 2007-2013 ;
– dans l’article 4 de la loi n° 2013-453 du 3 juin 2013 visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer qui tend à rendre obligatoire, pour l'attribution des marchés publics de restauration collective, la prise en compte du critère de performance en matière de développement des approvisionnements directs des produits de l'agriculture.
Une aide à l’approvisionnement en produits locaux des établissements d’accueil des touristes pourrait être ainsi créée sur le modèle du POSEI afin d’encourager le développement des circuits courts et des filières agricoles de diversification.
Créé en 1991 pour pallier les handicaps structurels de l’agriculture des outre-mer (éloignement, insularité, climat, exiguïté des marchés…), le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité décline, dans les régions ultrapériphériques de l’Union européenne, le premier pilier de la politique agricole commune. Il est destiné à la fois à garantir l’approvisionnement des départements d’outre-mer en produits agricoles de base (volet « Régime spécifique d’approvisionnement ») et à soutenir les productions locales traditionnelles (banane, canne à sucre) et de diversification (volet « Mesures en faveur des productions agricoles locales »). Le POSEI France en 2013 est doté d’une allocation communautaire de 278,41 millions d’euros à laquelle s’ajoute le complément national annuel de 35 millions d’euros.
Au-delà de l’enveloppe financière, le POSEI constitue un modèle original de gestion des fonds communautaires qui pourrait utilement inspirer de nouvelles modalités de gestion des fonds européens de développement régional (FEDER). Contrairement aux fonds FEDER, le POSEI peut être modifié chaque année et n’est pas limité dans le temps comme le sont les programmations pluriannuelles du FEDER. Il n’exige pas non plus de contrepartie nationale ou privée et n’est pas soumis à la règle du dégagement d’office (22) . Les crédits du POSEI sont gérés par les services déconcentrés de l’État mais les conseils régionaux vont désormais être associés à la définition de la stratégie territoriale agricole. L’article 34 de loi n°2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt prévoit en effet la mise en place d’un Comité d’orientation stratégique et de développement agricole (COSDA) qui aura pour but de territorialiser la politique agricole ultramarine, de coordonner les différentes formes d’aides pouvant exister et d’exercer la répartition et le suivi des crédits régionalisés du FEADER. Il crée également le plan régional de l’agriculture durable et le plan régional d’orientations stratégiques en matière d’enseignement, de formation, de recherche et de développement auxquels participent directement les Régions.
Une réflexion sur la création d’un « POSEI tourisme » doit donc être lancée pour favoriser l’approvisionnement des établissements touristiques en productions locales qu’il s’agisse de biens agricoles, d’équipements ou même de productions artistiques. L’étude d’impact sur la création d’un tel dispositif devra s’attacher principalement à répondre aux trois questions suivantes :
● La question du financement du « POSEI tourisme »
Le contexte de modération budgétaire actuel conduit à prévoir la création d’un « POSEI tourisme » par un redéploiement des aides publiques existantes.
Les aides publiques au secteur du tourisme devront être prioritairement mobilisées. Les crédits de l’aide à la rénovation hôtelière, supprimée dans le projet de loi de finances 2015, semblent directement disponibles et s’élèvent entre 3 et 6 millions d’euros par an (23). S’y ajoutent les crédits du FEDER dans le cadre des programmes opérationnels qui prévoient des contreparties nationales financées par l’État et les collectivités territoriales et des contreparties privées. Le tableau ci-dessous détaille le poids du tourisme dans l’attribution des crédits du FEDER et le montant des contreparties consacrées au tourisme dans les quatre départements d’outre-mer pour la période 2007-2013 :
(en million d’euros, période 2007-2013)
Guadeloupe |
Martinique |
La Réunion |
Guyane | |
Enveloppe totale du FEDER pour la période de programmation |
545,5 |
417 |
1 014 |
305 |
Fonds FEDER consacrés au tourisme |
24,3 (soit 4,4 %) |
41,3 (soit 10 %) |
27,2 (soit 0,026 %) |
9,6 (soit 3,15 %) |
Contreparties nationales publiques consacrées au tourisme |
17,5 |
44,2 |
16,7 |
16,7 |
Contreparties privées consacrées au tourisme |
1,9 |
26,8 |
1,932 |
0,162 |
Montant total de la programmation consacrée au tourisme |
43,7 |
112,3 |
45,8 |
26,5 |
Source : Commission des affaires économiques d’après les réponses aux questionnaires budgétaires.
La création d’un « POSEI tourisme » dont l’un des volets pourrait être l’aide à l’approvisionnement en produits agricoles locaux profiterait également aux filières agricoles. Il paraît donc logique de faire contribuer une partie de l’actuel POSEI France à ce futur POSEI. On rappellera que sur les 278,41 millions d’euros alloués par l’Union européenne en 2013, 204 millions d’euros profitent aux seules filières banane (à hauteur de 129,10 millions d’euros) et Canne-Sucre-Rhum (pour 74,9 millions d’euros). Dans le cadre des négociations menées au sujet de la nouvelle PAC (2014-2020), le POSEI doit faire l’objet d’une révision à l’horizon 2015. Elle devra répondre aux critiques adressées au POSEI au premier rang desquelles la baisse du nombre de productions aidées entre 2007 et 2012 et ce malgré une augmentation des soutiens publics. Dans ce contexte, la création du POSEI tourisme pourrait être un élément à prendre en compte dans la répartition de l’enveloppe POSEI France.
● La question du contenu du « POSEI tourisme »
La multiplicité des aides publiques évoquées plus haut (défiscalisation, aides directes par le biais de dispositifs multi-sectoriels, aides spécifiques) rend difficilement lisible les priorités données au soutien public en faveur du tourisme. Votre rapporteur est lucide quant aux difficultés inhérentes à tout projet de réforme d’ampleur du soutien public dans un secteur d’activité, d’autant que certains dispositifs ont fait leur preuve. Néanmoins, il lui apparaît souhaitable de rendre plus effective les priorités données aux aides publiques en privilégiant le mécanisme d’aide directe aux projets des professionnels.
Le POSEI tourisme pourrait donc contenir trois volets :
– Un volet « investissement » : pour soutenir les projets d’infrastructures ;
– Un volet « formation professionnelle » ;
– Un volet « approvisionnement » : les mécanismes de l’aide sont à étudier mais pourraient être fondés sur un montant annuel donné à une structure en échange de son engagement à se fournir à hauteur d’un pourcentage de son chiffre d’affaires auprès de producteurs locaux ou à faire intervenir des artistes locaux.
● La question de la gouvernance du « POSEI tourisme »
Le tableau de la page précédente montre des différences très marquées entre les territoires des outre-mer quant au poids du soutien public accordé au tourisme. Dès lors, un pilotage décentralisé du POSEI tourisme, dans le cadre d’une contractualisation État-Région-Union européenne, apparaît comme la méthode la plus respectueuse des choix des collectivités ultra-marines pour leur avenir. Elle reprend l’évolution récente du pilotage de la politique agricole dans les outre-mer, associant directement les Régions.
Proposition n°6 : Créer un « POSEI tourisme » comportant un volet « aide à l’investissement », un volet « formation professionnelle » et un volet « approvisionnement en produits locaux ». Ce POSEI tourisme s’appuie sur une refonte au sein de ce dispositif des aides FEDER, d’une partie des aides liées à la défiscalisation et d’une partie (très minoritaire) du POSEI agricole actuel. Sa gouvernance est décentralisée dans le cadre d’une contractualisation spécifique entre l’État et les Régions dans le respect des règles européennes.
B. POURSUIVRE LE DÉSENCLAVEMENT DES OUTRE-MER EN FAVORISANT LEUR CONNEXION AVEC LES GRANDS HUBS INTERNATIONAUX
Le désenclavement aérien des outre-mer est une priorité pour diversifier leur clientèle touristique en direction des pays européens et des marchés émergents.
Depuis la suspension de la connexion des outre-mer avec l’aéroport de Roissy, le clivage qui existe entre les professionnels du tourisme et les compagnies aériennes sur cette question s’est renforcé.
D’un côté, les professionnels arguent que la seule façon de diversifier la clientèle essentiellement hexagonale dans les outre-mer est de développer les connexions avec Roissy, qui de par son statut de principal hub français est l’aéroport bénéficiant du potentiel le plus fort de préacheminement de touristes européens.
De l’autre, les compagnies constatent que les expériences tentées n’ont pas permis de compenser la préférence des voyageurs français pour Orly par la hausse de la fréquentation des clientèles européennes. Les lignes depuis Roissy leur apparaissent structurellement déficitaires pour les raisons déjà évoquées dans ce rapport.
Actuellement, les compagnies Air Austral et XL Airways, pendant la haute saison uniquement, desservent les outre-mer depuis Roissy.
Convaincu de l’intérêt de lignes régulières au départ de Roissy pour diversifier la clientèle des destinations outre-mer et attirer les européens, votre rapporteur préconise une stratégie à court et moyen terme.
À court-terme, il convient d’intensifier l’activité européenne de l’aéroport d’Orly et de créer des accords de préacheminement entre les compagnies desservant les outre-mer et les autres compagnies, y compris « low cost », exploitant des lignes avec des capitales européennes. Lors de son audition, Air France a indiqué que la connexion d’Orly avec les principaux marchés émetteurs de touristes au niveau européen se développait y compris pour des vols opérés par des grandes compagnies aériennes. Plusieurs compagnies comme Air Berlin ou Norwegian Airlines se posent en effet à Orly ainsi que certaines compagnies « low cost » comme Easyjet ou Transavia, mais n’offrent pas de solution vers les destinations outre-mer. La compagnie Air Caraïbes a évoqué, lors de son audition, les réflexions en cours avec British Airways ou la solution développée actuellement depuis Bruxelles d’un TGV-air avec prise en charge des voyageurs entre la gare du Nord et l’aéroport d’Orly. Ces accords sont d’autant plus à promouvoir que les vols vers les Antilles sont en moyenne moins chers de 100 euros par rapport aux vols pour la République Dominicaine. Atout-France pourrait conduire une mission de conseil auprès des compagnies intéressées pour les aider à réaliser ce démarchage.
À moyen terme, et de toute évidence à l’issue de la période de transformation d’Air France, votre rapporteur estime indispensable de relancer le dossier d’une ligne depuis Roissy pour attirer la clientèle européenne. Seul un accord avec Air France pourrait durablement permettre la mise en œuvre d’une stratégie intégrée de diversification de la clientèle touristique grâce à la connexion avec Roissy. Cette décision suppose un accompagnement de la part de l’État en attendant que les actions de promotion et d’amélioration de l’offre d’accueil portent leurs fruits. Les résultats des contrats de destination sur les marchés allemands et est-européens, malgré l’arrêt de l’expérience, sont encourageants. Il semble qu’une durée de cinq ans soit le minimum requis pour impulser une politique de promotion des destinations. Un coût de 15 à 20 millions d’euros maximum est à prévoir au regard du manque à gagner pour Air France qui pourrait être compensée soit par une aide de l’État au titre d’une mission de service public soit par une incitation fiscale comme par exemple la baisse de la taxe d’aéroport pour les passagers en transit.
Proposition n°7 : Inciter Air France à intensifier son activité européenne sur Paris-Orly et aider les autres compagnies aériennes desservant les outre-mer à multiplier les partenariats de partage de code avec les compagnies travaillant sur cet aéroport, au besoin avec le renfort d’Atout France.
Proposition n°8 : Relancer les négociations, au plus haut niveau, entre l’État et Air France pour rouvrir les lignes outre-mer depuis l’aéroport de Paris-Roissy et ce pour une durée minimale de 5 ans.
La dynamique du tourisme mondial est principalement due aux pays émergents. Les touristes qui en sont originaires pourraient représenter 1 milliard des 1,8 milliard de touristes dans le monde en 2030. Les professionnels du tourisme s’intéressent tout particulièrement aux marchés des cinq « grands émergents » : le Brésil, la Russie, la Chine, l’Inde et l’Afrique du sud. La présence des outre-mer français à proximité de certains de ces pays est un atout considérable pour le développement de leur activité touristique.
Dans ce contexte, la connexion des territoires d’outre-mer avec les principaux hubs des régions dans lesquelles ils se situent est un enjeu d’attractivité touristique de premier ordre pour capter de nouvelles clientèles. Un nécessaire désenclavement de ces territoires doit s’opérer, de façon à mieux ancrer les outre-mer dans leur environnement régional.
Votre rapporteur salue d’ailleurs l’initiative d’Air France d’avoir récemment élargi sa direction commerciale « Caraïbes et Océan indien » à l’Amérique centrale et du sud, permettant d’adopter des stratégies par bassin et plus seulement sur les seuls territoires d’outre-mer. Il se félicite également de l’état d’avancement de la réflexion sur le désenclavement aérien des outre-mer au sein des compagnies aériennes.
Des solutions existent tout d’abord en ce qui concerne les liaisons entre les îles d’un même bassin. Ainsi pour les Antilles, Air Antilles Express exploite les vols court-courrier entre la Martinique, la Guadeloupe, Saint Domingue et Saint Martin. Dans l’océan Indien, Air Austral et Air Mauritius opèrent des liaisons quotidiennes entre La Réunion et Maurice mais les billets d’avions sont relativement chers (en moyenne 300 euros d’après le rapport de la Cour des comptes) et limitent les flux touristiques. L’île Maurice constitue pourtant un hub important que tente de mettre à profit la stratégie des « îles Vanille » visant à coupler les destinations des îles de l’Océan indien pour un développement touristique commun. Votre rapporteur est convaincu de l’atout que représente la multi-destination pour la valorisation des destinations. Il existe par exemple une belle complémentarité entre le tourisme vert et sportif de La Réunion et l’offre balnéaire de l’île Maurice. Des coopérations régionales sont donc à intensifier pour faciliter les échanges entre les îles soit par bateau, soit par avion.
Le deuxième aspect du désenclavement des outre-mer réside dans leur connexion avec les principaux hubs internationaux rayonnant dans leur région. Il est en effet désolant de constater que la proportion de touristes nord-américains dans les Antilles est passée de plus de 30 % dans les années 1970 à 1 % depuis la fin des années 1990. Aujourd’hui, seulement 2 % des passagers se posant en Guadeloupe viennent du continent américain. Des solutions spécifiques doivent être trouvées selon les régions.
Dans les Caraïbes, la Guadeloupe et la Martinique sont actuellement chacune desservies par une liaison hebdomadaire avec Miami, opérée par American Airlines et avec San Juan-Porto Rico, exploitée par Seaborne. Trois nouvelles connexions ont été évoquées au cours des auditions de votre rapporteur et lui paraissent intéressantes à étudier. La première doit relier les Antilles avec le Brésil en passant par la Guyane. Air France a indiqué réfléchir à cette option à travers sa prise de participation de 100 millions d’euros dans la compagnie brésilienne à bas coûts GOL. Une connexion avec le Panama apparaît également souhaitable alors que l’aéroport international Tocumen tend à devenir un hub important de la région, comme en atteste l’arrivée en août de la Lufthansa. Enfin la compagnie Surinam Airways, qui dessert actuellement l’aéroport de Cayenne, se serait déclarée intéressée par une liaison avec les Antilles. Elle se heurterait cependant à un refus d’octroi des droits de trafic de la part de la direction de l’aviation civile.
Dans l’Océan indien, Air Austral a fermé ses lignes vers Sydney et Nouméa en 2011. Une connexion semble à privilégier pour améliorer la connexion de La Réunion : Maurice. Il reste à trouver des pistes pour faire baisser le coût des billets d’avions.
Proposition n°9 : Mettre à l’ordre du jour du Conseil national de promotion du tourisme la question des désenclavements des outre-mer par l’amélioration de leurs connexions avec les principaux hubs rayonnant dans leurs bassins régionaux respectifs.
L’assouplissement des conditions d’octroi de visas est une politique de naturelle essentiellement réglementaire. Aucun territoire ultra-marin n’appartient à l’espace Schengen.
Depuis 2011, des mesures de simplifications ont été prises en la matière afin de favoriser les relations des collectivités avec leur environnement régional. Elles prévoient (24) notamment des dispenses de visa pour les escales et les transits aéroportuaires, ainsi que pour les titulaires de passeport diplomatiques ou de service mais également de réduire les formalités pour les ressortissants de pays ne présentant pas de risques migratoires. De même, elles ont permis de supprimer l’obligation des visas de court séjour de trois mois pour les ressortissants d’une quarantaine de pays déjà exemptés de l’obligation de visa dans le cadre de l’espace Schengen et de permettre l’entrée sans formalité supplémentaire propre à l’accès aux collectivités d’outre-mer, de certains ressortissants qui sont soumis à visa pour la France métropolitaine mais sont en possession d’un visa à entrées multiples (ou visa « Schengen »).
Par ailleurs, le dispositif « visas Iles Vanille » permet aux ressortissants chinois, indiens et russes séjournant à Maurice ou aux Seychelles de bénéficier à Le Réunion d’une délivrance de visa à la frontière à titre gratuit.
La mise en œuvre du volet outre-mer parmi les trente mesures nationales annoncées lors de la clôture des Assises du tourisme le 19 juin 2014 a débouché sur une nouvelle série de mesures prises le 27 juin 2014. Ainsi les ressortissants chinois et indiens sont désormais dispensés de visa de court séjour touristique à La Réunion d’une durée inférieure à 15 jours par le biais d’une agence agréée. Les ressortissants chinois en Polynésie française bénéficient du même assouplissement. Par ailleurs les ressortissants de l’Équateur et du Pérou sont dispensés de visa de court séjour, comme le sont déjà d’autres pays d’Amérique du sud pour se rendre en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique.
Votre rapporteur salue les récentes mesures prises pour assouplir les conditions d’octroi des visas. Il estime qu’elles participent également au nécessaire développement de la coopération entre les outre-mer français et leur environnement régional. Il engage le gouvernement à poursuivre au maximum cette politique en tenant compte des risques migratoires connus.
Proposition n°10 : Poursuivre autant que faire se peut la politique d’assouplissement d’octroi des visas entreprise depuis plusieurs années par le Gouvernement.
Le secteur du tourisme dans les outre-mer est donc en pleine mutation. Une dynamique positive semble s’observer depuis deux ans qu’il convient désormais de consolider.
Votre rapporteur a souhaité à travers ce rapport y contribuer en préparant activement les rendez-vous importants qui se tiendront en 2015, au premier rang desquels le Conseil national de promotion du tourisme dédié aux outre-mer.
Si les enjeux budgétaires sont primordiaux afin de doter les professionnels de dispositifs fiscaux ou d’aides directes efficaces, ils ne sauraient répondre à eux-seuls aux lourds enjeux auxquels est confronté le secteur.
Au-delà des pistes évoquées par votre rapporteur, il semble que de nombreuses propositions pourront être faites sur le thème notamment de la dynamisation de la basse-saison et de sa promotion.
Les professionnels sont conscients de cette nécessité passant par un positionnement identitaire et marketing fort des destinations outre-mer leur permettant de répondre à la concurrence internationale par la qualité et la différenciation dépassant la seule perspective d’un tourisme balnéaire.
Si le tourisme est une voie de développement économique crédible et prometteuse pour les outre-mer, il doit aussi permettre de mieux faire connaître leur patrimoine naturel et culturel unique au monde et de rendre concret cette belle idée de « géographie cordiale », chère à Aimé Césaire.
Dans le cadre de la commission élargie, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de M. Serge Letchimy, les crédits de la mission « Outre-mer » (voir le compte rendu officiel de la commission élargie du 29 octobre 2014, sur le site internet de l’Assemblée nationale (25)).
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À l’issue de la commission élargie, la commission des affaires économiques a délibéré sur les crédits de la mission « Outre-mer ».
La Commission, conformément à l’avis favorable de M. Serge Letchimy, donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la Mission « Outre-mer ».
Puis la commission émet un avis favorable sur l’article 57 rattaché.
Proposition n°1 : Concrétiser l’annonce de la ministre des outre-mer sur la création d’un CICE « super renforcé » à 12 % pour les secteurs exposés et en tout cas au moins pour le tourisme.
Proposition n°2 : Rendre obligatoire la publicité des affectations du CICE dans les domaines de l’investissement et de la formation professionnelle pour chaque entreprise bénéficiaire.
Proposition n°3 : Afin de préparer la session du Conseil national de promotion du tourisme dédiée aux outre-mer, réaliser une étude sur le montant total de l’effort public en faveur du tourisme dans les outre-mer.
Proposition n°4 : Mettre à l’ordre du jour du Conseil national de promotion du tourisme un débat sur l’opportunité d’une refonte des aides publiques au tourisme au sein d’outils spécifiques adaptés aux problèmes du secteur outre-mer.
Proposition n°5 : Afin de préparer la session du Conseil national de promotion du tourisme dédiée aux outre-mer, réaliser une étude sur les adaptations possibles du code du travail en outre-mer pour permettre de limiter le problème de saisonnalité tout en sécurisant les parcours professionnels des salariés du secteur du tourisme.
Proposition n°6 : Créer un « POSEI tourisme » comportant un volet « aide à l’investissement », un volet « formation professionnelle » et un volet « approvisionnement en produits locaux ». Ce POSEI tourisme s’appuie sur une refonte au sein de ce dispositif des aides FEDER, d’une partie des aides liées à la défiscalisation et d’une partie (très minoritaire) du POSEI agricole actuel. Sa gouvernance est décentralisée dans le cadre d’une contractualisation spécifique entre l’État et les Régions dans le respect des règles européennes.
Proposition n°7 : Inciter Air France à intensifier son activité européenne sur Paris-Orly et aider les autres compagnies aériennes desservant les outre-mer à multiplier les partenariats de partage de code avec les compagnies travaillant sur cet aéroport, au besoin avec le renfort d’Atout-France.
Proposition n°8 : Relancer les négociations, au plus haut niveau, entre l’État et Air France pour rouvrir les lignes outre-mer depuis l’aéroport de Paris-Roissy et ce pour une durée minimale de 5 ans.
Proposition n°9 : Mettre à l’ordre du jour du Conseil national de promotion du tourisme la question des désenclavements des outre-mer par l’amélioration de leurs connexions avec les principaux hubs rayonnant dans leurs bassins régionaux respectifs.
Proposition n°10 : Poursuivre autant que faire se peut la politique d’assouplissement d’octroi des visas entreprise depuis plusieurs années par le Gouvernement.
Cabinet de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer
M. Jean-Bernard Nilam, conseiller budgétaire
Mme Véronique Bertile, conseillère chargée du tourisme
M. Nicolas Mazières, conseiller parlementaire
Atout-France
M. Christian Mantei, directeur-général
M. Philippe Mauduit, directeur de l’ingénierie et du développement
Institut des émissions des outre-mer
M. Pascal Richer, directeur-adjoint des instituts
M. Marc Schweitzer, responsable adjoint de l’observatoire économique
Air France*
M. Zoran Jelkic, directeur Caraïbes & Océan indien, Amérique centrale et Sud
M. Nicolas Soulié, directeur d’affaire
Air Caraïbes
M. Edmond Richard, directeur commercial Europe
Comité martiniquais du tourisme
M. Philippe Jalta, directeur du développement
M. Gaëtan Paderna, directeur de la communication
Fédération nationale des Gîtes de France
M. Philippe Coadour, directeur du développement du réseau
Capitainerie du Marin (Martinique)
M. Eric Jean-Joseph, directeur
Hôtel Bambou (Trois-Ilets, Martinique)
Mme Françoise Riveti, directrice
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
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