N° 2263
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 octobre 2014
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2015 (n° 2234),
TOME IX
PRÉLÈVEMENT EUROPÉEN
PAR Mme Estelle GRELIER
Députée
——
Voir le numéro 2260.
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION 5
I. L’EUROPE A-T-ELLE ENCORE LES MOYENS DE SES AMBITIONS ? 7
A. 2015, DEUXIÈME ANNÉE DE MISE EN œUVRE DU CADRE FINANCIER PLURIANNUEL 2014-2020 7
1. Un cadre financier pluriannuel 2014-2020 qui ne permet pas d’espérer des budgets annuels ambitieux 7
2. Une contraction des crédits en théorie compensée par un recours accru aux instruments de flexibilité 10
B. LE BUDGET 2015 : LA QUADRATURE DU CERCLE 12
1. Le projet de la Commission : un budget en hausse dans un contexte fortement contraint 12
2. La position du Conseil : une proposition en retrait qui contraste avec le volontarisme des chefs d’États et de Gouvernement affiché au Conseil européen de juin 2014 15
3. La position du Parlement européen : une gestion budgétaire jugée « irresponsable » 18
II. LA PARTICIPATION DE LA FRANCE AU BUDGET 2015 DE L’UNION EUROPÉENNE 20
A. LA FRANCE, BÉNÉFICIAIRE ET CONTRIBUTEUR DU BUDGET DE L’UNION EUROPÉENNE 20
1. Un prélèvement sur recettes estimé à 21,042 milliards d’euros, prévision encore soumise à des incertitudes 20
2. Un solde net qui, sans surprise, se dégrade 23
B. QUEL BUDGET POUR QUELLE EUROPE ? 26
1. La nécessité d’allouer des moyens aux priorités politiques de l’Europe : à quoi doit servir le budget européen ? 26
a. Un consensus politique sur les priorités de l’Union européenne 26
b. Une incapacité à en assumer les conséquences financières 28
2. L’indispensable amélioration du pilotage des crédits qui doit s’accompagner d’une clarification des règles budgétaires 30
a. Une exécution budgétaire particulièrement heurtée qui entraîne des réévaluations parfois coûteuses de la contribution des États membres 30
b. Et qui appelle une meilleure évaluation des besoins, un pilotage plus fin des crédits et une clarification des règles budgétaires 32
3. La question des ressources propres de l’Union : un système opaque et illégitime dont la réforme ne pourra être perpétuellement ajournée 35
a. Un système de ressources propres opaque et inefficace 35
b. Une réforme qui ne peut être perpétuellement ajournée 37
La Commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis de l’article 30 du projet de loi de finances pour 2015, évaluant le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne (PSR-UE).
À titre liminaire, votre rapporteure se félicite de la réintroduction en séance publique d’un débat relatif au prélèvement européen, en faveur duquel elle avait plaidé continument dans ses deux précédents avis. Il était aberrant qu’alors même que nous regrettons la trop faible présence des sujets européens dans nos débats et assistons impuissants à la montée de l’euroscepticisme dans la population, nous ne puissions débattre une fois par an des objectifs et des moyens financiers de la politique européenne.
Au lendemain d’élections européennes dont les résultats devraient alerter les responsables nationaux et européens, et à la faveur du renouvellement des instances dirigeantes de l’Union européenne, ce débat doit être l’occasion de poser clairement la question : quel budget, pour quelle Europe ? Car les sujets budgétaires ne sont pas des sujets techniques, dont il faut parler en techniciens. Ils déterminent la force de ses politiques, et engagent la crédibilité de l’Union et sa légitimité aux yeux de nos concitoyens.
L’enjeu est de taille pour la France, grand contributeur du budget européen. Grand bénéficiaire aussi, il n’est pas inutile de le rappeler : nos territoires ruraux, nos communes, nos régions, nos étudiants, nos jeunes en formation ou en recherche d’emploi, nos chercheurs, nos PME, bénéficient directement des financements européens. Toute notre économie pourrait en outre bénéficier de l’effet de levier des dépenses européennes demain, si les engagements pris par le Conseil de juin 2014 ainsi que le futur président de la Commission européenne d’investir pour une croissance plus robuste et plus justement répartie, se confirment.
La négociation sur la proposition de budget pour 2015 s’engage. D’ores et déjà inscrite dans un cadre pluriannuel resserré, alors même que l’Union européenne doit composer avec une augmentation du nombre des États membres, de nouvelles compétences attribuées par les traités, des politiques communautaires plus intégrées, des défis majeurs en termes d’investissements structurants, que ce soit en matière de recherche et développement, de transport et d’énergie.
La Commission s’est efforcée de présenter un projet à la hauteur des ambitions fixées par le Conseil en juin 2014. Pour autant, la position du Conseil est, à nouveau, en retrait, au point que l’on peut s’interroger sur la volonté véritable des Chefs d’États et de Gouvernement européens de mettre en œuvre, de manière forte et accélérée, les réformes vitales à une Europe menacée de récession. Certes, la position du Conseil n’est pas défavorable à la France en matière de politique agricole commune ou de soutien à la jeunesse, mais il faut préparer l’avenir.
Votre rapporteure souligne à cet égard la position peu compréhensible de la France, qui demande d’une part d’importantes coupes budgétaires, tout en soutenant d’autre part un plan de relance tant attendu. En effet, en amont du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014, consacré à la définition de la feuille de route de l’Union pour les cinq prochaines années, le Président de la République a adressé au président du Conseil européen un agenda pour la croissance et le changement en Europe. Il faut maintenant en tirer les conséquences financières.
La France assume sa part de l’effort européen en contribuant cette année encore à hauteur de plus de 20 milliards d’euros au budget de l’Union européenne. Mais le prélèvement étant inscrit dans la norme de dépense, son augmentation réduit d’autant les crédits consacrés à d’autres politiques.
À ce titre, la proposition d’exclusion des contributions nationales au budget de l’Union du calcul du solde nominal et structurel des administrations publiques mérite d’être étudiée. Mais, plus fondamentalement, votre rapporteure estime que c’est le modèle de financement de l’Europe qui a atteint ses limites et doit être repensé. Comment vouloir la relance, tout en prônant la rigueur budgétaire au niveau national, croire que 300 milliards d’euros seront débloqués pour les investissements structurants, lutter contre le chômage de masse chez les jeunes, et ne jamais poser la question financière ?
Le budget européen peut-il continuer à être l’agrégation des contributions des différents États membres ? En l’absence de bases dynamiques pour les ressources, ressurgira chaque année le clivage entre les bénéficiaires et les contributeurs nets, entre les pays de la cohésion - dénonçant les engagements non tenus - et les contributeurs nets expliquant qu’étant tenus par des contraintes budgétaires fortes ils souhaitent limiter leur contribution. Il faut sortir de cette problématique, qui, sous l’angle budgétaire, interroge l’idéal européen.
Lors des négociations sur le cadre financier pluriannuel, le Parlement européen, qui jugeait insuffisamment ambitieux les plafonds retenus, a notamment obtenu comme contrepartie à son approbation une clause de revoyure en 2016. Il faut saisir cette occasion pour réévaluer au plus près les besoins au regard de nos objectifs politiques, en examinant les domaines dans lesquels la valeur ajoutée d’une mutualisation des moyens et d’une plus grande solidarité entre les États membres est la plus grande, notamment en matière de soutien à la croissance et à l’emploi, mais aussi améliorer le pilotage des crédits, répondre enfin sérieusement au problème des ressources de l’Union, sans oublier, à plus long terme, la question institutionnelle et les limites de la règle de l’unanimité, portant notamment sur les décisions relatives aux ressources propres.
Le nouveau cadre financier pluriannuel a donné lieu à un accord politique conclu le 27 juin 2013 entre le président de la Commission européenne, le président du Parlement européen et le Premier ministre irlandais qui assurait la présidence du Conseil (1). Il n’est pas inutile de rappeler qu’il est le fruit d’un compromis politique péniblement atteint après deux ans et demi de négociations.
Or non seulement cet accord semble d’ores et déjà vaciller avec la position du Conseil sur le budget 2015, mais l’usage des instruments de flexibilité sur lequel les institutions européennes s’étaient entendues, est lui aussi menacé.
1. Un cadre financier pluriannuel 2014-2020 qui ne permet pas d’espérer des budgets annuels ambitieux
Le projet de budget pour 2015 est formellement le premier à être établi conformément au cadre budgétaire défini par le traité de Lisbonne. En effet, le règlement fixant le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 et l’accord interinstitutionnel sur la coopération en matière budgétaire (2) ainsi que les actes juridiques relatifs à la nouvelle génération de programmes de dépenses sont en effet désormais adoptés. Pour sa part, la nouvelle décision du Conseil relative aux ressources propres, adoptée le 26 mai 2014, devrait entrer en vigueur en 2016, après avoir été ratifiée par l’ensemble des États membres, avec un effet rétroactif au 1er janvier 2014.
Comme votre rapporteure le soulignait l’année dernière (3), en euros constants, le nouveau cadre pluriannuel marque un recul de 3,4 % en engagements et de 3,6 % en paiements par rapport au cadre 2007-2013.
En ce qui concerne les montants fixés, en euros courants, pour la première année du nouveau cadre (2014) par rapport à ceux fixés pour la dernière année du précédent cadre (2013), ils accusent une nette diminution :
– pour 2013 le plafond global des crédits d’engagement s’établissait à 152,5 milliards d’euros (1,15 % de la richesse de l’Union mesurée par le revenu national brut – RNB), et le plafond des crédits de paiement à 143,9 milliards d’euros (1,08 % du RNB de l’Union) ;
– pour 2014, le plafond global des crédits d’engagement s’établirait à 142,54 milliards d’euros (1,03 % du RNB de l’Union), et le plafond des crédits de paiement à 135,87 milliards d’euros (0,98 % du RNB de l’Union).
À noter que, dans le cas d’une comparaison entre deux exercices budgétaires, l’unité utilisée est l’euro courant, comme c’est le cas pour les budgets nationaux. Par rapport aux plafonds qui étaient fixés pour l’année 2013, les plafonds pour 2014 seraient donc en baisse de 5,8 %.
Les tableaux suivants retracent le cadre financier pluriannuel 2014-2020, le premier en euros constants, le second en euros courants :
PROJET DE CADRE FINANCIER 2014-2020 (EN EUROS CONSTANTS 2011)
(en millions d’euros)
Crédits d’engagement |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
Total |
1. Croissance intelligente et inclusive |
60 283 |
61 725 |
62 771 |
64 238 |
65 528 |
67 214 |
69 004 |
450 763 |
1a. Compétitivité pour la croissance et l’emploi |
15 605 |
16 321 |
16 726 |
17 693 |
18 490 |
19 700 |
21 079 |
125 614 |
1b. Cohésion économique, sociale et territoriale |
44 678 |
45 404 |
46 045 |
46 545 |
47 038 |
47 514 |
47 925 |
325 149 |
2. Croissance durable : ressources naturelles |
55 883 |
55 060 |
54 261 |
53 448 |
52 466 |
51 503 |
50 558 |
373 179 |
dont : dépenses de marché et paiements directs |
41 585 |
40 989 |
40 421 |
39 837 |
39 079 |
38 335 |
37 605 |
277 851 |
3. Sécurité et citoyenneté |
2 053 |
2 075 |
2 154 |
2 232 |
2 312 |
2 391 |
2 469 |
15 686 |
4. L’Europe dans le monde |
7 854 |
8 083 |
8 281 |
8 375 |
8 553 |
8 764 |
8 794 |
58 704 |
5. Administration dont dépenses administratives des institutions |
8 218 6 649 |
8 385 6 791 |
8 589 6 955 |
8 807 7 110 |
9 007 7 278 |
9 206 7 425 |
9 417 7 590 |
61 629 49 798 |
6. Compensations |
27 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
27 |
Total crédits d’engagement |
134 318 |
135 328 |
136 056 |
137 100 |
137 866 |
139 078 |
140 242 |
959 988 |
en % du RNB |
1,03 % |
1,02 % |
1,00 % |
1,00 % |
0,99 % |
0,98 % |
0,98 % |
1,00 % |
Total crédits de paiement |
128 030 |
131 095 |
131 046 |
126 777 |
129 778 |
130 893 |
130 781 |
908 400 |
en % du RNB (3) |
0,98 % |
0,98 % |
0,97 % |
0,92 % |
0,93 % |
0,93 % |
0,91 % |
0,95 % |
Marge disponible |
0,25 % |
0,25 % |
0,26 % |
0,31 % |
0,30 % |
0,30 % |
0,30 % |
0,28 % |
Plafond des ressources propres en % du RNB |
1,23 % |
1,23 % |
1,23 % |
1,23 % |
1,23 % |
1,23 % |
1,23 % |
1,23 % |
Source : Commission européenne.
PROJET DE CADRE FINANCIER 2014-2020 (EN EUROS COURANTS)
(en millions d’euros)
Crédits d’engagement |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
Total |
1. Croissance intelligente et inclusive |
60 973 |
66 813 |
69 304 |
72 342 |
75 271 |
78 752 |
82 466 |
508 921 |
1a. Compétitivité pour la croissance et l’emploi |
16 390 |
17 406 |
18 467 |
20 038 |
21 354 |
23 199 |
25 311 |
142 165 |
1b. Cohésion économique, sociale et territoriale |
47 583 |
49 407 |
50 837 |
52 304 |
53 917 |
55 553 |
57 155 |
366 756 |
2. Croissance durable : ressources naturelles |
59 303 |
59 599 |
59 909 |
60 191 |
60 267 |
60 344 |
60 421 |
420 034 |
dont : dépenses de marché et paiements directs |
41 130 |
44 368 |
44 628 |
44 863 |
44 889 |
44 916 |
44 941 |
312 735 |
3. Sécurité et citoyenneté |
2 179 |
2 246 |
2 378 |
2 514 |
2 656 |
2 801 |
2 951 |
17 725 |
4. L’Europe dans le monde |
8 325 |
8 749 |
9 143 |
9 432 |
9 825 |
10 268 |
10 510 |
66 262 |
5. Administration dont dépenses administratives des institutions |
8 721 7 056 |
9 076 7 351 |
9 483 7 679 |
9 918 8 007 |
10 346 8 360 |
10 786 8 700 |
11 254 9 071 |
69 584 56 224 |
6. Compensations |
29 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
0 |
29 |
Total crédits d’engagement |
142 540 |
146 483 |
150 217 |
154 397 |
158 365 |
162 951 |
167 602 |
1 082 555 |
en % du RNB |
1,03 % |
1,02 % |
1,00 % |
1,00 % |
0,99 % |
0,98 % |
0,98 % |
1,00 % |
Total crédits de paiement |
135 866 |
142 448 |
144 265 |
142 285 |
148 704 |
155 310 |
156 801 |
1 025 679 |
en % du RNB (3) |
0,98 % |
0,99 % |
0,96 % |
0,92 % |
0,93 % |
0,94 % |
0,91 % |
0,95 % |
Source : Commission européenne.
2. Une contraction des crédits en théorie compensée par un recours accru aux instruments de flexibilité
Compte-tenu des restrictions budgétaires proposées, reflet des pressions budgétaires pesant sur les États membres, mais aussi aux différentes pressions exercées notamment par les contributeurs nets au budget de l’Union, le Parlement européen avait conditionné son approbation du cadre financier pluriannuel à une flexibilité accrue dans l’exécution budgétaire :
– une plus grande flexibilité est prévue dans le recours aux instruments spéciaux, afin d’accroître les possibilités de mobilisation de ces instruments financiers. Est ainsi introduite la possibilité de reporter les crédits de la réserve d’aide d’urgence et du Fonds de solidarité de l’Union européenne sur l’année suivante, tandis qu’est portée de deux à trois ans la possibilité de reporter les crédits de l’instrument de flexibilité.
– la marge sous le plafond des paiements du cadre financier d’une année peut être reportée automatiquement sur l’année suivante. Un plafond encadrant le montant des reports est toutefois prévu pour les années 2017-2018-2019 à hauteur de, respectivement, 7, 9 et 10 milliards, soit 26 milliards d’euros au total. Ce mécanisme garantit que la totalité des 908 milliards d’euros du CFP 2014-2020 pourra être utilisée sur la période. Il devrait ainsi conduire à une utilisation des crédits supérieure à celle du cadre financier pour 2007-2013, qui, mobilisé à hauteur de 885 milliards d’euros, a été sous-exécuté. Votre rapporteure considère d’ailleurs que, alors que l’Europe devait faire face sur la période à une crise économique d’une rare ampleur, cette sous-exécution soulève des interrogations.
– les marges laissées disponibles sous les plafonds des engagements du cadre financier pour les années 2014 à 2017 peuvent être reportées sur la période 2016-2020, ce qui représente environ 2,6 milliards d’euros. Ces crédits seront fléchés vers la croissance et l’emploi, et notamment l’emploi des jeunes. Il s’agit ainsi notamment de prolonger, à partir de 2016, l’Initiative pour l’emploi des jeunes dont le financement de 6 milliards d’euros est concentré sur 2014 et 2015.
– une « marge pour imprévus », d’un montant ne pouvant dépasser 0,03 % du RNB de l’Union, peut être mobilisée au-delà des plafonds fixés, en dernier ressort, afin de faire face à des dépenses imprévues. Le 28 mai 2014, la Commission a présenté un projet de budget rectificatif n° 3 qui prévoit la mobilisation de cette marge à hauteur de 4,7 milliards d’euros, ce qui conduit à un dépassement du plafond prévu en crédits de paiement par le cadre financier pluriannuel.
S’y ajoutent les instruments spéciaux (réserve pour aide d’urgence, Fonds de solidarité de l’Union européenne, instrument de flexibilité et Fonds européen d’ajustement à la mondialisation), qui constituent un facteur d’assouplissement du cadre financier puisque leur mobilisation peut entraîner un dépassement des plafonds de crédits.
Comme on le verra plus loin, une controverse juridique, qui recouvre des enjeux financiers et politiques considérables, oppose la Commission et le Parlement européen et une partie des États membres du Conseil sur l’usage des instruments de flexibilité. Les premiers considèrent qu’il est possible de mobiliser les instruments spéciaux au-delà des crédits d’engagement et de paiements. Les seconds estiment que cette possibilité porte uniquement sur les crédits d’engagement. L’enjeu est de taille, car l’interprétation « souple » ou au contraire « stricte » des textes européens pourrait faire jurisprudence pour le reste de la période budgétaire.
Comme votre rapporteure le relevait dans son rapport d’information adopté en juillet 2014 par la commission des Affaires européennes (4) , la progression des crédits affichée par la Commission européenne, qui effectue ses comparaisons par rapport au budget initial pour 2014 tel que modifié par le budget rectificatif n° 1 et les projets de budget rectificatif n° 2 et 3, s’établit à 2,1 % en engagements et à 1,4 % en paiements, ce qui correspond, compte tenu de l’inflation, à une stabilisation des crédits en volume.
Par rapport au budget initial pour 2014 (mode de présentation qui figure dans le « jaune » annexé au projet de loi de finances), les évolutions font apparaître une progression plus soutenue s’agissant des paiements - près de 5 %.
Le projet de budget présenté par la Commission pour 2015 s’élève à 145 599 millions d’euros en crédits d’engagement (1,04 % du RNB de l’Union européenne), soit une augmentation de + 2,1 % par rapport au budget 2014. Les crédits d’engagement, hors instruments spéciaux comptabilisés hors plafonds, s’élèvent à 145 004 millions d’euros (soit + 2 % par rapport au budget 2014), la marge sous plafonds s’établit donc à 1 479 millions d’euros. Le projet de budget 2015 s’élève à 142 137 millions d’euros en crédits de paiement (1,02 % du RNB de l’Union européenne), soit une augmentation de + 4,9 % (+ 6 633 millions d’euros) par rapport au budget 2014.
Par rapport au budget initial 2014, la répartition des crédits d’engagement se traduit par :
– une augmentation significative des montants de la sous-rubrique 1a « Compétitivité pour la croissance et l’emploi » (+ 5,8 %) et, dans une moindre mesure, des crédits de la politique de cohésion (+ 3,7 %).
Cette augmentation suit la montée en charge des nouveaux programmes 2014-2020, notamment Horizon 2020, les projets ITER à Cadarache, et Copernicus, ainsi que le mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE) ;
– une stabilisation des crédits de la rubrique 2 « Croissance durable : ressources naturelles ». Les aides directes et dépenses de marché, comprises dans cette rubrique, sont également stables par rapport à 2014 (+ 0,3 %) ;
– une diminution des crédits de la rubrique 3 « Sécurité et citoyenneté » (- 1,9 %), qui correspond au profil des engagements retenu dans la programmation financière ;
– une augmentation modérée des crédits de la rubrique 4 « Europe dans le monde » (+ 1,1 %) ;
– une augmentation de + 2,5 % (+ 207 millions d’euros) des dépenses administratives, et ce, malgré l’objectif de réduction de - 5 % des effectifs des institutions, organes et agences de l’Union entre 2013 et 2017, acté par les chefs d’État et de gouvernement et inscrit au point 27 de l’accord institutionnel du 2 décembre 2013 ;
– une mobilisation des instruments spéciaux (notamment l’instrument de flexibilité sur la sous-rubrique 1b) à hauteur de 595 millions d’euros soit + 9,1 % par rapport à 2014.
L’évolution des crédits de paiement se caractérise par :
– une augmentation très substantielle de + 36,2 % des crédits de la sous-rubrique 1a, consécutive à la montée en charge des programmes 2014-2020, ainsi que des crédits des rubriques 3 (+ 12,2 %) et 4 (+ 18,3 %) ;
– une hausse des crédits dédiés à la sous-rubrique 1b « Cohésion économique, sociale et territoriale » (+ 1,3 %), la Commission faisant l’hypothèse que l’augmentation des CP due à la montée en charge des nouveaux programmes sera partiellement compensée par la diminution des paiements sur RAL 2007- 2013 en 2015 ;
– une hausse modérée des crédits de la rubrique 2 (+ 0,8 %) ;
– une augmentation de + 2,5 % des dépenses administratives ;
– la mobilisation des instruments spéciaux à hauteur de 236 millions d’euros.
La proposition de la Commission européenne conduit à saturer le plafond prévu pour les crédits de paiement en 2015, avant même la mobilisation des instruments spéciaux, et laisse une marge sous plafond de l’ordre d’1,5 milliard d’euros en engagements.
La Commission prévoit, en outre, de mobiliser l’instrument de flexibilité pour Chypre au-delà des plafonds en engagements (79,8 millions) et en paiements (11,3 millions). Il s’agit ainsi de compléter la dotation de 200 millions d’euros que le Conseil européen des 27 et 28 juin 2013 a décidé de mobiliser de manière exceptionnelle, dans le cadre des fonds structurels, au profit de Chypre, compte tenu de sa situation économique dégradée. Alors qu’une première tranche de 100 millions a été inscrite en engagements dans le budget pour 2014 (dont 89,3 millions au titre de l’instrument de flexibilité), la Commission européenne propose ainsi d’inscrire dans le projet de budget pour 2015 100 millions en engagements (79,3 millions au titre de l’instrument de flexibilité et le reste par utilisation de la marge non allouée) et 11,3 millions en paiements au titre de l’instrument de flexibilité. Cette proposition a pour conséquence, en engagements, de supprimer toute marge disponible pour 2015 sur la sous-rubrique « Cohésion » – ce qui est autorisé par le règlement fixant le CFP 2014-2020 – et, en paiements, de valider le dépassement du plafond global.
La Commission justifie cette proposition en se référant aux conclusions du Conseil européen des 27 et 28 juin 2013, qui invite « le Parlement et le Conseil à examiner les possibilités offertes par les flexibilités du CFP, y compris l’instrument de flexibilité, afin de faire face à la situation particulièrement difficile de Chypre, dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle ». Elle soulève donc à nouveau, après la présentation de son projet de budget rectificatif no 3 pour 2014, la question de l’inscription de crédits de paiement au-delà du plafond fixé par le cadre financier pluriannuel.
La Commission européenne met ainsi les gouvernements, qui ont arrêté les plafonds du cadre financier pluriannuel, devant leurs responsabilités et invite, comme avec son projet de budget rectificatif no 3 pour 2014, à une interprétation maximaliste des possibilités de souplesse de gestion précédemment exposées, prévues dans le règlement no 1311/2013 et dans l’accord interinstitutionnel.
Dans sa présentation politique du projet de budget pour 2015, la Commission européenne dénonce en effet, à nouveau et à plusieurs reprises, la faiblesse des plafonds retenus dans le CFP 2014-2020, évoquant « la rareté des ressources » à laquelle sont « confrontées » la programmation financière pour 2014-2020 et la gestion des budgets annuels, position que votre rapporteure partage. Elle précise aussi que « la principale priorité pour 2015 sera de veiller à doter le budget de l’Union des moyens requis pour qu’il puisse fournir pleinement sa contribution renforcée à la croissance et à l’emploi ainsi qu’à la mise en place d’une solidarité entre les États membres et les régions, tout en subissant ces contraintes manifestes ».
Au niveau insuffisant des plafonds prévu par le CFP, s’ajoutent l’impératif de respecter les engagements politiques pris en faveur de la croissance lors des Conseils européens qui se sont succédés depuis février 2013 (comme le financement anticipé des programmes clés Horizon 2020, COSME et Erasmus + ou le prolongement jusqu’en 2016 de la majoration de 10 % du taux de cofinancement pour les États en difficulté financière s’agissant des politiques de cohésion, de développement rural et de la pêche) et la nécessité de ramener à un niveau convenable les engagements restant à liquider.
Pour garder le niveau global des paiements sous contrôle et maintenir le budget 2015 sur les rails, les États membres doivent « poursuivre ce qui est nécessaire en 2014 », selon le commissaire désigné au Budget Jacek Dominik devant la session plénière du Parlement européen le 17 septembre. Pour combattre l’effet boule de neige et éviter de modifier les lignes budgétaires, ce dernier considère que les États membres doivent avaliser le projet de budget rectificatif n° 3, dont la France, ainsi que les pays contributeurs nets, discute le fondement juridique et budgétaire, maintenir le montant des paiements que la Commission a proposé pour 2015 et recourir aux flexibilités disponibles.
La nouvelle commissaire en charge des budgets et des ressources humaines, Mme Georgieva, a déclaré lors de son audition devant le Parlement européen que son travail « est d’exécuter le budget européen, pas de le couper » et qu’elle entend demander « à tous les services pertinents de la Commission de travailler ensemble afin de préciser le plus finement possible leurs besoins financiers et de fonctionnement. Ceux-ci seront fondés sur une estimation rigoureuse des tendances observées et de leur capacité d’absorption ». La commissaire désignée entend de plus mener les négociations budgétaires dans le sens d’une prise en compte des dettes accumulées jusqu’ici.
2. La position du Conseil : une proposition en retrait qui contraste avec le volontarisme des chefs d’États et de Gouvernement affiché au Conseil européen de juin 2014
Le Conseil a jugé la proposition de la Commission trop élevée, en crédits d’engagement (CE) comme en crédits de paiement (CP), pour garantir la soutenabilité du CFP et l’exécution du budget 2015 sous le plafond de CP. La France, ainsi que 7 autres États membres dits « contributeurs nets », a présenté le 15 juillet dernier une déclaration, annexée à la position du Conseil, insistant sur la nécessité de respecter les plafonds du cadre financier pluriannuel, en particulier s’agissant de la mobilisation des instruments spéciaux.
Comme l’indique l’annexe « jaune » au projet de loi de finances pour 2015 sur les relations financières avec l’Union européenne, la position du Conseil a été élaborée à la lumière des principes suivants :
– veiller à ce que le budget 2015 s’inscrive dans les orientations budgétaires 2015, adoptées dans les conclusions du Conseil le 18 février 2014 ;
– respecter la discipline budgétaire et la bonne gestion financière en tenant compte des contraintes budgétaires et économiques des États membres ;
– garantir le financement des priorités de l’Union, en ajustant les montants sur la base d’une analyse de l’exécution budgétaire passée et en cours, ainsi que de capacités d’absorption réalistes ;
– prévoir les crédits nécessaires au démarrage des nouveaux programmes de la seconde année du cadre financier pluriannuel 2014-2020 ;
– conserver des marges adéquates sous les plafonds de toutes les rubriques du CFP, à l’exception de la sous-rubrique 1b, afin de pouvoir faire face à des circonstances imprévues qui pourraient survenir en cours de gestion ;
– conserver une maîtrise rigoureuse des crédits de paiement pour toutes les rubriques et sous-rubriques du cadre financier pluriannuel et créer une marge suffisante en CP pour faire face aux imprévus, en réduisant les crédits de paiement, notamment pour les rubriques 1a, 1b, 2 et 4.
La priorité du Conseil a été la restauration de marges en CE et CP, tout en préservant une augmentation substantielle, par rapport au budget voté 2014, des crédits correspondant aux priorités politiques de l’Union. Par rapport au projet de budget 2015 de la Commission, le Conseil a décidé de réduire les montants proposés de - 522 millions d’euros pour les crédits d’engagement (soit une marge sous plafond de 2 001 millions d’euros au total) et de - 2 140 millions d’euros pour les crédits de paiement (soit - 1 904 millions d’euros en-dessous du plafond).
C’est la sous-rubrique 1a « Compétitivité » qui concentre l’effort d’économies avec des réductions de 324 millions en engagements et de 1 335 millions en paiements qui portent le niveau des crédits à, respectivement, 17 124 millions et 14 248 millions.
Certes, les progressions par rapport à 2014 demeurent soutenues : + 3,9 % en engagements et + 18,5 % en paiements. Mais les baisses de crédit proposées visent le programme Horizon 2020 (- 190 millions en engagements et 982 millions en paiements), le MIE (- 34 millions en engagements et - 152 millions en paiements) ainsi que les grands projets (- 74 millions en engagements et -113 millions en paiements) : Galileo (-23 millions en engagements et - 22 millions en paiements), EGNOS (- 12 millions en engagements et - 8 millions en paiements), Copernicus (- 20 millions en engagements et - 62 millions en paiements) et ITER (- 11 millions en engagements et - 21 millions en paiements). Il est à noter que le programme « ERASMUS + » n’est pas concerné. La marge ainsi établie en engagements est de 542 millions d’euros.
Avec 49 228 millions en engagements et 51 382 millions en paiements, la sous-rubrique 1B « Cohésion » subit une baisse de 220 millions d’euros en paiements seulement. Ceux–ci baisseraient donc de 5,5 % par rapport à la prévision d’exécution 2014, mais progresseraient de 0,84 % par rapport au budget initial pour 2014. Il est à noter que les régions les plus développées seraient concernées par une baisse de 91 millions d’euros, celles en transition à hauteur de 42 millions et le Fonds de cohésion pour 39 millions d’euros.
Les coupes opérées sur la rubrique 2 « Croissance durable : ressources naturelles » s’établissent à 71 millions d’euros en engagements et à 145 millions en paiements, portant les moyens disponibles à, respectivement, 59 183 millions et 56 762 millions d’euros. Les engagements sont ainsi légèrement en baisse par rapport à 2014 (- 0,1 %) et les paiements sont en progression de 0,3 %. En engagements, les réductions concernent principalement le FEAGA (- 48 millions), le programme LIFE (- 17 millions) et, dans une moindre mesure, le FEAMP (-3 millions). En paiements, les efforts sont répartis entre le FEAGA (-49 millions), le FEADER (- 45 millions), le FEAMP (- 27 millions) et le programme LIFE (– 22 millions). Ces montants pourraient toutefois être revus à l’occasion de la lettre rectificative agricole présentée à l’automne.
Sur la rubrique 3 « Sécurité et citoyenneté », les diminutions proposées s’établissent à 30 millions en engagements et à 29 millions en paiements, portant les dotations à 2 100 millions en engagements et à 1 853 millions en paiements. Par rapport à 2014, les engagements sont en repli de 3,3 % et les paiements de 10,5 %. Les efforts portent plus particulièrement sur les crédits destinés aux politiques de santé et de protection des consommateurs (- 11 millions en engagements, - 6 millions en paiements) et à la culture et aux médias (-6 millions en engagements et - 4,8 millions en paiements). Ainsi, les fonds relatifs aux questions migratoires et de sécurité sont préservés. La marge sous le plafond des engagements est donc portée à 146 millions d’euros.
La rubrique 4 « L’Europe dans le monde » voit ses crédits réduits de 70 millions en engagements et de 384 millions en paiements pour atteindre 8 343 millions en engagements et 6 943 millions en paiements. Les évolutions par rapport à 2014 sont de + 0,2 % en engagements et + 1,5 % en paiements. Si l’effort est réparti sur une multitude de lignes budgétaires, les programmes de coopération avec l’Asie sont plus particulièrement concernés (-12 millions en engagements et - 21 millions en paiements). La marge sous le plafond des engagements s’établit en conséquence à 406 millions d’euros.
Pour ce qui concerne enfin la rubrique 5 « Administration », sa dotation, amputée de 28 millions d’euros, s’établit à 8 585 millions. Par rapport à 2014, ses moyens progressent donc de 2,1 %. Si le budget du Parlement européen et du Conseil ne sont pas concernés par les baisses, celui de la Commission européenne est réduit de 17 millions, ceux de la Cour de justice et de le Cour des comptes de 2 millions et celui du Service européen d’action extérieure de 5 millions d’euros.
Trois déclarations ont été jointes à la position du Conseil :
– la déclaration « traditionnelle » sur les paiements, identique à celle jointe l’année précédente. Cette déclaration demande à la Commission de présenter dès que possible la lettre rectificative agricole afin de prévoir de manière appropriée le niveau de recettes de la rubrique 2 dans le budget 2015. Cette déclaration demande également que la Commission présente un budget rectificatif, dans l’éventualité où les crédits de paiement ne seraient pas suffisants pour couvrir les dépenses des rubriques 1a, 1b, 2 et 4. Cette déclaration traditionnelle du Conseil comporte comme l’année dernière un volet spécifique pour la sous-rubrique 1b : la Commission devra évaluer aussi rapidement que possible les besoins en crédits de paiement de la sous-rubrique 1b et présenter un budget rectificatif spécifique en cas de risque d’insuffisance des crédits ouverts initialement ;
– une déclaration des huit États dits « contributeurs nets » soulignant la nécessité de respecter les plafonds définis dans le CFP. Cette déclaration rappelle les « principes de bonne gestion budgétaire énoncés dans le règlement financier ». Elle rappelle que le montant de CP prévu dans la position du Conseil est « largement suffisant pour garantir l’exécution des programmes en 2015 ». La déclaration met en outre l’accent sur la nécessité de « conserver des marges substantielles en CP, afin de faire face à des évènements imprévus en cours d’exercice et notamment de financer la mobilisation des instruments spéciaux sous le plafond de CP » ;
– une déclaration des États dits « de la cohésion » demandant au Conseil d’adopter le budget rectificatif n° 3/2014 (qui prévoit la mobilisation de 4 738 M€ de CP supplémentaires) « afin de garantir la bonne exécution des programmes pour 2014 et 2015 et éviter un manque de crédits de paiement en 2015 ».
Votre rapporteure reconnaît que la position du Conseil sur le projet de budget 2015 tient certes compte des priorités soutenues par la France, puisque les crédits de la plupart des programmes européens concernés connaissent une hausse significative par rapport au budget initial 2014 (évolution en CP) : Horizon 2020 (+ 33 %), COSME (+ 36 %), mécanisme pour l’interconnexion en Europe (+ 58 %), Erasmus + (+ 14 %), initiative pour l’emploi des jeunes (+ 33 %), agence Frontex (+ 4 %), Fonds migratoires (+ 68 %).
Pour autant, elle estime que la position du Conseil appelle deux remarques : elle n’est pas cohérente avec les annonces faites par ailleurs sur les priorités de l’Union que sont le soutien à la croissance et à l’emploi, et ne permettra pas d’assurer le respect de l’obligation faite aux institutions européennes de veiller « à la disponibilité des moyens financiers permettant à l’Union de remplir ses obligations juridiques à l’égard des tiers ». Un niveau insuffisant des crédits de paiement fixés en budget initial appellera très rapidement un budget rectificatif.
Surtout, l’écart entre la position de la Commission, soutenue par le Parlement européen et celle du Conseil est en réalité le symptôme des dysfonctionnements du financement de l’Union européenne. Nous pouvons déplorer chaque année la dureté, et le caractère schizophrénique de la position du Conseil. Mais in fine, ce blocage institutionnel durera aussi longtemps que le budget européen ne sera pas doté de ressources propres suffisantes, et que les États membres resteront pris entre l’obligation de réduire leur déficit et celle de financer un budget européen ambitieux.
En annulant les coupes effectuées par le Conseil, et en ajoutant 4 milliards d’euros à la base de négociation proposée par la Commission, la commission des budgets a proposé le 7 septembre 2014 un budget 2015 à 146,3 milliards d’euros en engagements et 146,4 milliards d’euros en crédits de paiement.
Les parlementaires considèrent en effet que le budget doit être un outil d’investissement, stimuler la croissance, favoriser la compétitivité et encourager la création d’emplois, position que votre rapporteure partage.
La commission des budgets a non seulement annulé les coupes effectuées par le Conseil dans le budget 2015, tel que proposé par la Commission, mais a recommandé l’octroi de 190,5 millions d’euros pour les petites et moyennes entreprises, la recherche ainsi que l’éducation, notamment 24 millions d’euros supplémentaires pour le programme Erasmus+.
Pour permettre à l’Union européenne de répondre à ses responsabilités internationales, la commission des budgets a ajouté 400 millions d’euros à la somme demandée par la Commission européenne au titre de l’aide humanitaire, notamment en Syrie, pour les politiques de voisinage (Ukraine) et pour un programme de soutien mené par l’ONU en Palestine.
Elle a également ajouté 6,1 millions d’euros aux fonds alloués par la Commission et le Conseil aux agences de supervision bancaire de l’Union: l’Autorité bancaire européenne (ABE), l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP) et l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF).
Les agriculteurs et pêcheurs dont les exportations sont touchées par l’embargo russe devraient recevoir respectivement 30 millions et 5 millions d’euros, selon la commission des budgets. Le fonds européen d’aide aux plus démunis devrait obtenir 16,7 millions supplémentaires.
Enfin, les députés ont conditionné leur approbation du budget à l’approbation par le Conseil des projets de budget rectificatif n° 2 et 3 présentés par la Commission. La commission des budgets a ainsi considéré que les « crises des paiements récurrents débouchent sur des retards de paiements pour des factures légitimes de PME, d’organisations non gouvernementales, d’étudiants ainsi que d’autres bénéficiaires des financements européens. » Déjà, lors de la présentation du projet de budget du Conseil en séance plénière du Parlement européen, le 16 septembre 2014, les parlementaires avaient relevé l’insuffisance des ressources pour régler les factures de 2014. Il s’agit là d’une « gestion budgétaire irresponsable », avait relevé le président de la commission des budgets, Jean Arthuis.
Le Parlement dans son ensemble prendra position le 22 octobre sur le projet de budget 2015. La conciliation avec le Conseil débute le 28 octobre, avec pour objectif la conclusion d’un accord entre le Parlement et le Conseil, qui ferait l’objet d’un vote au Parlement le 26 novembre. Si un compromis raisonnable doit être trouvé entre les positions du Conseil et du Parlement européen, la négociation budgétaire s’annonce particulièrement rude, étant rappelé que depuis le traité de Lisbonne, le Parlement a le dernier mot sur le Conseil, même s’il n’en a fait jusqu’ici qu’un usage théorique.
Le prélèvement communautaire est cette année évalué à 21 042 millions d’euros, ce qui devrait représenter près de 7% du budget de l’État hors charges de la dette et pensions. Pour mémoire, le prélèvement est inclus dans la norme de dépenses de l’État, c’est-à-dire « zéro valeur » hors charges de la dette et pensions : toute évolution à la hausse, en valeur, de ce prélèvement, doit donc se traduire par une diminution à due concurrence d’autres dépenses du budget de l’État.
Votre rapporteure souhaite insister sur le caractère frustrant du calendrier de discussion du prélèvement européen. Le débat devrait se faire en deux temps : sur la proposition de la Commission en avril, sur laquelle le Parlement pourrait prendre position et, une seconde fois, lorsque le budget serait arrêté, pour discuter du prélèvement de recettes. Il conviendrait de débattre en deux temps pour une bonne pratique démocratique. De plus, les députés sont amenés à se prononcer sur un montant prévisionnel du prélèvement sur lequel pèsent de nombreuses incertitudes, et dont le montant peut varier de manière substantielle durant l’année, ce qui n’est pas satisfaisant.
1. Un prélèvement sur recettes estimé à 21,042 milliards d’euros, prévision encore soumise à des incertitudes
L’article 30 du projet de loi de finances pour 2015 fixe à 21,04 milliards d’euros le montant prévisionnel, pour 2015, du prélèvement sur recettes en faveur de l’Union européenne.
Pour mémoire, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est la somme de deux types de contributions :
– une première contribution correspond à la part de la France dans la ressource « TVA », qui consiste en l’application d’un taux uniforme aux assiettes nationales de TVA. La correction britannique est financée par un mécanisme faisant appel à cette ressource ;
– une seconde contribution est assise sur le produit national brut (dite ressource RNB) de chaque État et joue le rôle de variable d’ajustement du budget communautaire. Elle représente près de 80 % du prélèvement.
Le tableau ci-après illustre la ventilation du prélèvement en 2014 entre ces différentes composantes.
VENTILATION DU PRÉLÈVEMENT EN 2014
(en millions d’euros)
Ressource TVA |
4 331 |
Dont correction britannique |
1 427 |
Ressource RNB |
15 813 |
Prélèvement total |
20 144 |
Source : annexe relative à l’évaluation des voies et moyens 2015.
L’Union européenne se finance également par des ressources propres traditionnelles, instaurées en 1970 et constituées des droits de douane et des cotisations sur le sucre. Depuis le projet de loi de finances pour 2010, elles sont exclues du périmètre du prélèvement sur recettes en raison du fait que, l’État les collectant pour le compte de l’Union, elles ne sont pas à considérer comme des ressources budgétaires et doivent être comptabilisées en compte de tiers.
Le tableau ci-après illustre la ventilation du prélèvement en 2015 entre ces différentes composantes.
VENTILATION DU PRÉLÈVEMENT EN 2015
(en millions d’euros)
Ressource TVA |
4 450 |
Dont correction britannique |
1 467 |
Ressource RNB |
16 591 |
Prélèvement total |
21 042 |
Source : annexe relative à l’évaluation des voies et moyens 2015.
L’évaluation de la contribution française repose sur :
– une évaluation du besoin de financement de l’Union en 2015 conforme à la position du Conseil ;
– les hypothèses de solde reporté de 2014 à 2015, sachant que l’exécution du PSR-UE 2014 dépend du vote des budgets rectificatifs et reste donc difficile à prévoir à ce stade ;
– les prévisions relatives à l’assiette de la TVA et du RNB, ainsi qu’au rabais britannique. Compte tenu de l’entrée en vigueur différée à 2016 de la nouvelle décision relative aux ressources propres 2014-2020, aucun rabais ne sera versé à titre transitoire en 2015, à l’exception de la correction britannique.
La part de la ressource RNB dans la contribution nette à l’Union européenne devrait ainsi atteindre en 2015 73% de la contribution, la TVA 13%, les ressources propres traditionnelles, hors frais de perception, 7% et la correction britannique 6%.
Un certain nombre d’incertitudes pèsent sur l’évaluation du prélèvement.
Le résultat des négociations budgétaires n’est pas assuré. Le projet de budget de la Commission pour 2015 présente une hausse des crédits de 4,9 %. Le Conseil, donnant la priorité à la restauration des marges en crédits d’engagement et de paiement, propose une hausse des crédits de paiements de 3,3%, position que ne rejoint pas le Parlement européen.
D’autre part, les budgets rectificatifs, qui peuvent être adoptés en cours d’année, peuvent augmenter ou réduire les dépenses du budget communautaire, par rapport au montant sur lequel se fondait la prévision, en loi de finances initiale, de la contribution de la France.
Enfin, la prévision de prélèvement est également fondée sur plusieurs hypothèses relatives aux recettes du budget communautaire, qui peuvent ne pas se réaliser comme prévu en cours d’année, parmi lesquelles : une estimation du solde reporté du budget de l’année précédente, qui dépend notamment du budget rectificatif de fin d’année, une estimation des assiettes des ressources TVA et RNB, une évaluation de la participation de la France au dispositif dit du « chèque britannique », dont le montant dépend notamment de la part des dépenses réparties sur le territoire britannique dans le total des dépenses réparties au sein de l’Union, du montant des dépenses réparties au sein des nouveaux États membres ainsi que du montant des dépenses de développement rural et de la politique agricole commune (PAC).
On constate de ce fait des écarts réguliers, parfois substantiels, entre la prévision et la réalisation de la participation de la France au financement du budget communautaire. En 2009, il était de plus d’un milliard d’euros. 2013 a aussi constitué une année particulière en termes d’écarts constatés (1,8 milliards d’euros supplémentaires ont été supportés par la France en raison d’une majoration du PSR au titre du budget 2012, appelée début 2013, et du dépôt de pas moins de 9 budgets rectificatifs par la Commission).
Le montant du PSR estimé pour 2014 s’établirait à 20,224 milliards d’euros. Au regard de cette prévision, le montant de la contribution française en 2015 est en augmentation de 817,9 millions d’euros (soit + 4%).
Cependant l’évaluation du PSR pour 2014 dépendra de l’adoption des budgets rectificatifs proposés par la Commission européenne. Seul le premier a été adopté, dont l’impact budgétaire est neutre. Les budgets rectificatifs n° 3 et 4°, qui proposent une augmentation des crédits de paiement à hauteur de 4,73 milliards d’euros et 47 millions d’euros, seront négociés en parallèle de la conciliation sur le budget 2015. Des ressources supplémentaires viendraient toutefois minorer ce besoin de paiement : budgétisation d’amendes et d’intérêts pour 3 476 millions d’euros. En outre, le solde reporté de 2013 sur 2014 s’élève quant à lui à 1 005 millions d’euros. Par ailleurs, l’actualisation des bases relatives aux ressources propres traditionnelles, à la TVA et revenu national brut, ainsi que du rabais britannique, révisées par la Commission en mai 2014, pourraient avoir un impact à la hausse sur le prélèvement. Enfin, un aléa pèse encore sur la prévision du prélèvement lié aux corrections d’assiette TVA et revenu national brut sur les exercices antérieurs à 2014, dont le montant définitif ne sera connu que dans la deuxième quinzaine de novembre. La régularisation interviendra le 1er décembre 2014.
Comme l’a souligné à maintes reprises votre rapporteure, la notion de solde net – la différence entre ce qu’un État membre verse au budget communautaire et ce qu’il reçoit grâce aux dépenses de l’Union européenne effectuées sur son territoire – doit être maniée avec prudence.
En effet, d’une part, cette notion, dont le mode de calcul est variable, ne saurait retracer la totalité des coûts et bénéfices de l’appartenance à l’Union européenne. Non seulement certaines dépenses ne peuvent être réparties avec précision entre États membres, c’est le cas par exemple des dépenses de politique extérieure, mais il faut tenir compte des externalités positives difficilement chiffrables, induites par l’appartenance au marché unique ou ceux résultant, pour un État membre, de l’utilisation de fonds européens dans un autre État membre, qui peut avoir un effet positif sur les équilibres économiques nationaux. D’autre part, il ne s’agit pas d’entrer dans une logique purement comptable et strictement nationale, à l’inverse de l’idée de solidarité européenne qui est au fondement de la création d’un budget européen, et que votre rapporteure défend.
Cependant, la claire tendance à la baisse de cet indicateur mérite d’être soulignée.
En 2013, le solde net de la France est évalué à – 9,052 milliards d’euros selon la méthode comptable (- 0,43 % du RNB), à – 9,374 milliards d’euros selon la méthode de la correction britannique (- 0,45 % du RNB) et à – 8,446 milliards d’euros selon la méthode de la Commission (- 0,40 % du RNB).
La France assume sa part de l’effort européen. En 2013, selon la méthode de la Commission, la France est le troisième contributeur net en volume, derrière l’Allemagne (- 13,8 milliards d’euros) et le Royaume-Uni (- 8,6 milliards d’euros) et largement devant l’Italie (- 3,8 milliards d’euros). La France fait ainsi partie des principaux contributeurs nets au budget de l’Union, tant en valeur qu’en pourcentage de son RNB. La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni représentent à eux seuls près de la moitié (49,9 %) de l’ensemble des contributions nettes.
Alors que le solde net de la France a été inférieur à - 0,1 % du RNB jusqu’aux années 2000, celui-ci n’a cessé de se dégrader depuis lors sous l’effet de l’élargissement successif de l’Union européenne, de l’encadrement des dépenses agricoles résultant des perspectives financières 2007-2013 et de l’entrée en vigueur de la décision ressources propres de 2007. La France est cependant parvenue à contenir le niveau de son solde net, en se maintenant au premier rang des bénéficiaires des dépenses de l’Union entre 2006 et 2009.
L’évolution prévisible de la structure et du montant des dépenses européennes, rend inévitable, à système de ressources inchangé, une détérioration continue du solde net de notre pays dans les années à venir. Nous devons en être conscients. Certes, la France demeure un des principaux bénéficiaires du budget européen, notamment au titre de la politique agricole commune, mais elle n’est pas privilégiée par rapport à ses partenaires européens.
L’analyse plus détaillée des dépenses du budget européen effectuées sur le sol français permet de relever que la France, qui était le premier bénéficiaire du budget européen en volume en 2010, occupe en 2013 le deuxième rang des bénéficiaires en volume après la Pologne et avant l’Espagne et l’Allemagne.
Cette position s’explique par le bénéfice prépondérant des crédits de la politique agricole commune, dont la France est le premier bénéficiaire en volume depuis 2003, bien que sa part dans les dépenses agricoles soit en valeur absolue en baisse. En 2013, les dépenses provenant de la politique agricole commune ont représenté 68 % du total des dépenses (9,6 milliards d’euros soit une légère baisse depuis le début des années 2000, où la PAC représentait 75 % des dépenses. La part de la France dans le total des dépenses agricoles réparties de l’UE s’élève à 16,6 % en 2013).
La France est en revanche le dixième bénéficiaire en 2013 des crédits de cohésion, qui bénéficient principalement aux treize États ayant rejoint l’Union européenne depuis 2004, et dont la Pologne est le premier bénéficiaire. Avec 2,6 milliards d’euros de retours en 2013 contre 1,6 milliards d’euros en 2012, la France a connu une hausse en valeur absolue supérieure à + 1 milliard d’euros, soit + 66 %, et renoue avec les retours constatés en début de période. En part relative, ce résultat constitue également une nette augmentation, la France représentant, en 2013, plus de 4,6 % des retours UE-27, contre 3,2 % en 2012, sans toutefois revenir aux résultats des premières années de programmation.
Concernant les politiques de compétitivité, sur l’ensemble du cadre financier pluriannuel 2007-2013, trois enseignements peuvent être tirés :
– les dépenses de compétitivité en France, en valeur absolue, doublent sur la période, s’élevant à 1,5 milliards d’euros en 2013 contre 719 millions d’euros en 2007, au même rythme que les dépenses de l’UE qui passent de 5,5 milliards d’euros à 11 milliards d’euros ;
– l’évolution du taux de retour est néanmoins à relativiser, puisqu’il est sujet à de fortes variations (par exemple, 16,3 % en 2009 contre 11,8 % en 2008). Sur la période, il s’établit à 13,8 % ;
– le taux de retour global au titre de ces politiques demeure en-deçà du taux de contribution de la France au budget européen (16 %).
Les retours français sont principalement portés par deux lignes budgétaires de la sous-rubrique 1a :
– le 7e PCRD : sur la période, il représente 60 % du montant global des retours (pour une part de 62 % dans le budget de la sous-rubrique). Les retours à ce titre sont représentatifs des caractéristiques de la sous-rubrique, puisqu’ils ont presque doublé entre 2007-2013 avec un taux de retour moyen de 13,3 % ;
– le programme Galileo dont le taux de retour (près de 60 % en 2013, et 50 % en moyenne sur la période) s’explique par la localisation à Paris du siège de l’Agence Spatiale Européenne. Toutefois, il ne représente que 15 % du budget de la sous-rubrique.
En 2013, la contribution financière de l’Union européenne au profit des 28 États membres s’est élevée à 1 675 millions d’euros, dont 168 millions d’euros au profit de la France, qui se situe ainsi au troisième rang, comme en 2012, des États bénéficiaires des politiques de sécurité, liberté et justice et de citoyenneté. L’Italie est, cette année, comme en 2012, le premier État membre bénéficiaire avec un retour total de 180 M€ (10,7 %).
La France a reçu 65 millions d’euros au titre du programme-cadre Solidarité et gestion des flux migratoires, ce qui représente environ 40 % de ses retours sur la rubrique 3 et près de 33 % des crédits répartis sur l’ensemble des États membres à ce titre. Il est important de rappeler que ces fonds fonctionnent majoritairement en gestion partagée avec les États membres et qu’ils sont dès lors rattachés au budget général national par voie de fonds de concours.
Les principaux programmes de la sous-rubrique 3b bénéficiant à la France sont Média 2007 avec 33 millions d’euros (soit 32 % de ce programme), les actions de communication pour 20 millions d’euros (soit 25 %). Ils représentent également environ 32 % des retours de la rubrique 3. Enfin, la France bénéficie de 17 % des fonds du programme Culture (soit 9 millions d’euros) et des fonds du programme Europe pour les citoyens (soit 5 millions d’euros).
Enfin, il n’est pas inutile de rappeler que le concept de solde net a justifié la mise en place de mécanismes de correction bénéficiant à certains États, dont le principe n’a pour l’instant pas été concrètement remis en cause, et dont la France assume une grande part du financement (1,46 milliards d’euros au titre de la correction britannique prévue pour 2015). Votre rapporteure estime par conséquent que, compte-tenu de la pression budgétaire qui s’exerce sur les budgets nationaux, tous les États membres doivent participer équitablement à l’effort européen. L’évolution du solde net de la France plaide en faveur d’une révision des mécanismes de correction, mais aussi de l’institution de véritables ressources propres au profit du budget de l’Union.
Comment évaluer au mieux les besoins financiers de l’Union et les domaines où son intervention est souhaitable et/ou requise, à l’heure où la situation économique appelle des réformes structurelles mais où les dépenses nationales n’ont jamais été aussi contraintes ? Comment mieux piloter les crédits dont l’exécution particulièrement heurtée peut être préjudiciable aux États et nuit à la lisibilité de l’action européenne ? Comment enfin, dès lors que les États se seront entendus sur le rôle qu’ils veulent assigner dans l’avenir aux dépenses européennes, doter l’Europe de ressources qui lui permettent d’assumer ses missions sans subir le chantage de certains pays membres ?
Votre rapporteure estime que ces questions doivent être portées au plus haut niveau en amont de la révision, en 2016, du cadre financier pluriannuel. Car derrière l’aridité des chiffres se jouent la crédibilité de l’Union européenne comme partenaire, mais aussi l’utilité et la légitimité de l’Europe aux yeux de ses citoyens.
1. La nécessité d’allouer des moyens aux priorités politiques de l’Europe : à quoi doit servir le budget européen ?
Les 26-27 juin 2014, le Conseil européen s’est réuni pour mettre au point la feuille de route de l’Union pour les cinq prochaines années, qui sera mise en œuvre par la nouvelle Commission européenne dont l’entrée en fonction est théoriquement prévue au 1er novembre 2014.
En amont du sommet, le Président de la République François Hollande a adressé le 24 juin au président du Conseil européen un agenda pour la croissance et le changement en Europe. Ce document, qui vise à réorienter l’Europe vers plus de croissance et d’emploi, détaille les cinq priorités portées par la France :
– porter une nouvelle initiative de croissance : un vaste plan d’investissement dans des secteurs clefs (grandes infrastructures, recherche, énergie, formation des jeunes et santé) doit être mis en oeuvre afin de relancer la croissance. Ce plan doit être accompagné d’un « policy-mix » favorable à la croissance.
– agir pour la jeunesse : afin de lutter contre le chômage, en particulier des jeunes, qui détruit le capital humain des économies européennes, la France propose de renforcer l’initiative pour l’emploi des jeunes, de développer les qualifications et les formations et de mettre en place, avec les partenaires sociaux, un véritable agenda social de nouveaux droits.
– soutenir une politique européenne de l’énergie : il s’agit d’apporter les moyens nécessaires à une transition énergétique réussie, de maîtriser la facture énergétique pour les ménages et les entreprises, de réduire la dépendance énergétique de l’Europe et de diminuer les émissions de CO2.
– promouvoir une Europe de liberté, sécurité, justice : l’Europe est un espace de droit, de justice et de sécurité, qu’il convient de renforcer. Pour cela, la France propose de conforter les libertés et les droits fondamentaux, notamment par la création d’un parquet européen, de lutter fermement contre le terrorisme et de mieux maitriser les flux migratoires.
– porter une réforme du fonctionnement de l’Union européenne : l’Union doit être plus efficace en se soumettant à un choc de simplification. Son action doit se concentrer sur les enjeux politiques essentiels.
Lors de sa séance des 26 et 27 juin 2014, le Conseil européen a adopté un « programme stratégique pour l’Union à l’ère du changement », qui recouvre en grande partie les priorités définies dans l’agenda présenté par la France : des économies plus robustes créant davantage d’emplois, des sociétés à même de donner à tous les citoyens les moyens de réaliser leurs aspirations et d’assurer leur protection, un avenir énergétique et climatique sûr, un espace de libertés fondamentales qui inspire la confiance et une action conjointe efficace dans le monde.
Ces priorités rejoignent celles de la présidence du Conseil de l’Union européenne, assumée par l’Italie depuis le 1er juillet 2014. Les positions françaises et italiennes convergent sur plusieurs grands dossiers, et notamment la priorité à accorder à la croissance et à l’emploi des jeunes au sein de l’Union. L’Italie est favorable au renforcement de la coordination économique au sein de l’UE, pour répondre à la crise de la zone euro et aux risques qui pèsent sur les pays les plus fragiles financièrement. Elle privilégie la méthode communautaire pour atteindre cet objectif et souhaite un équilibre réel entre discipline et solidarité.
Le 15 juillet 2014, date de sa désignation par le Parlement européen, M. Jean-Claude Juncker, candidat à la présidence de la future Commission européenne, a clairement énoncé : « ma priorité numéro un, qui sera aussi le fil rouge reliant chacune de mes propositions, sera de retrouver le chemin de la croissance et de remettre les Européens au travail. Pour ce faire, je vais présenter, durant les trois premiers mois de mon mandat, un Paquet pour l’Emploi, la Croissance et l’Investissement afin de générer 300 milliards d’euros supplémentaires d’investissements en Europe sur les trois prochaines années. Si les États-membres de la zone euro font des efforts particuliers, il faut des incitations financières accompagnant ce processus. Développons une capacité budgétaire propre dans la zone euro. »
Le 22 juillet 2014, devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, le ministre italien de l’économie et des finances, M. Pier Carlo Padoan, a présenté une stratégie de croissance autour de trois piliers : une meilleure intégration du marché, des réformes structurelles et des investissements. « La stratégie de l’Union européenne pour 2020 doit se reconcentrer sur des facteurs synonymes de croissance ». Il a ajouté que la création de fonds européens d’investissement à long terme, la lutte contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale, ainsi que l’introduction d’une taxe sur les transactions financières représenteront des éléments clés du travail législatif. Selon M. Padoan, le chômage des jeunes fera également partie des priorités. Les députés ont également voulu connaître son opinion quant aux déficits budgétaires et à la flexibilité des dépenses. M. Padoan a répondu que de nombreux progrès pouvaient être réalisés en mettant mieux en œuvre les dispositions existantes ainsi qu’en tirant les leçons des exemples de meilleures pratiques dans les pays membres.
Il semble donc qu’il y ait accord de principe sur les priorités de l’Union européenne dans les années à venir, principalement concentrées sur les objectifs de retour à la croissance et à l’emploi, notamment pour les jeunes générations. Cependant, pour l’heure, la seule véritable question n’est pas tranchée : celle des moyens de leur mise en œuvre et du degré de solidarité financière que les États membres pourront et voudront bien consentir dans un contexte économique dégradé et des marges de manœuvre budgétaires particulièrement étroites sinon nulles.
Ayant souligné, lors des négociations sur le CFP 2014-2020, la faiblesse des plafonds retenus au regard des défis que doit relever l’Union, votre rapporteure estime que la proposition de la Commission européenne pour le budget 2015 a pour objectif de répondre au mieux aux exigences posées en matière de soutien à la croissance et à l’emploi, compte tenu du contexte financier contraint qui lui a été assigné.
Elle rappelle, en outre, les termes de l’accord intervenu entre le Conseil et le Parlement : des plafonds certes fixés à des niveaux inférieurs à ceux proposés par la Commission européenne, mais également une plus grande souplesse dans la gestion infra et supra-annuelle. Elle soutient en conséquence la mobilisation de toutes les formes de flexibilité possibles.
Votre rapporteure considère que les négociations sur le budget 2015 sont la caisse de résonnance des difficultés actuelles de l’Union européenne à se donner les moyens de ses ambitions. En effet, la tendance à la hausse du prélèvement budgétaire, à l’heure où le pays est soumis à une forte discipline budgétaire, pose avec acuité la question de savoir si le budget de l’Union européenne est un outil efficace au service des priorités politiques qui sont les nôtres.
L’examen de la situation française est à ce titre éclairant. La participation française au budget européen est un des postes de dépense les plus dynamiques au sein du budget national. La progression de la contribution française est régulière depuis plus d’une décennie (+ 75% entre 2000 et 2013). Par ailleurs, son poids dans la norme de dépense a singulièrement augmenté : alors que les dépenses totales de l’État ont diminué de – 2,7 milliards d’euros en valeur depuis 2012, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne a augmenté de + 2,2 milliards d’euros.
Il ne s’agit évidemment pas de discuter le principe même de l’effort financier consenti par la France au profit de l’Union européenne. La France n’a d’ailleurs jamais cédé aux facilités du discours sur le « juste retour » des politiques européennes ni souhaité bénéficier de rabais, contrairement à d’autres États membres. Non seulement notre pays, en tant que membre fondateur, doit continuer de porter l’idéal de solidarité, y compris financière, qui fait la force et l’originalité de l’Europe, mais il ne faut pas oublier que les Français sont parmi les premiers bénéficiaires des crédits européens.
Dans la mesure où le prélèvement sur recette au titre de la participation au budget de l’Union est inclus dans la norme de dépense nationale, toute hausse de son montant diminue d’autant les crédits consacrés à d’autres politiques. Il en résulte une position, par construction schizophrénique, de la France qui, d’un côté, défend une politique ambitieuse au plan européen, et, de l’autre, s’inscrit aux côtés des autres pays contributeurs nets pour limiter les dépenses du budget européen.
Comme elle l’a exposé dans son rapport d’information de juillet 2014 précédemment cité (5), afin de desserrer les contraintes pesant sur les budgets nationaux et de mettre fin aux débats opposant budget européen et budget national, votre rapporteure soutient la proposition d’exclusion des contributions nationales au budget de l’Union du calcul du solde nominal et structurel des administrations publiques dans le cadre de la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance et du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire. Dans la même logique, elle considère que le prélèvement sur recettes au profit de l’Union ne doit plus être pris en compte dans la norme de dépenses de l’État.
Certes, cette soustraction ne serait que faciale, car la France continuerait d’acquitter sa part du financement du budget européen. Précisons en outre qu’il ne s’agit pas d’accréditer la thèse selon laquelle notre pays chercherait à échapper à ses responsabilités en termes de réduction des déficits. Mais, aussi controversée soit-elle, cette proposition a aussi le mérite de nous mettre face à nos propres contradictions.
La Commission européenne ne peut, d’une main, proposer une hausse substantielle du budget européen et par conséquent celle de la participation des États membres, et de l’autre, sanctionner la France pour son manque d’orthodoxie budgétaire, sans que nous définissions clairement le degré de mutualisation des dépenses en faveur de la croissance. De son côté, le Conseil ne peut à la fois porter des objectifs politiques ambitieux et refuser d’en assumer les conséquences financières.
L’impasse est particulièrement patente en ce qui concerne les dépenses d’investissement. Le Fonds monétaire international pointait le 7 octobre 2014 dans ses « Perspectives économiques mondiales » le risque d’une récession en Europe et jugeait que « l’investissement dans l’infrastructure, même financée par la dette, peut se justifier et aider à stimuler la demande à court terme et l’offre à moyen terme. ». Or, les budgets nationaux sont contraints et le mode de financement actuel de l’Union force les contributeurs nets à limiter les ambitions du budget européen. À ce titre, votre rapporteure s’inquiète de l’absence de perspectives concrètes quant aux 300 milliards d’euros annoncés en faveur de l’investissement en Europe : il ne saurait être question que la part publique de son financement soit uniquement le fruit de redéploiements de crédits. En outre, elle estime que les pays qui disposent de marges de manœuvre budgétaire, notablement l’Allemagne, doivent fournir un effort en matière d’investissements et renforcer la demande intérieure pour catalyser la reprise économique chez leurs partenaires européens.
Enfin, tant que l’Europe continuera d’être financée selon une logique de contributions étatiques, nous ne sortirons pas de cette quadrature du cercle. C’est pourquoi votre rapporteure, comme cela sera évoqué plus loin, soutient avec force la proposition de réforme des ressources propres qu’appelait encore récemment de ses vœux le Parlement européen.
2. L’indispensable amélioration du pilotage des crédits qui doit s’accompagner d’une clarification des règles budgétaires
a. Une exécution budgétaire particulièrement heurtée qui entraîne des réévaluations parfois coûteuses de la contribution des États membres
Comme votre rapporteure le relevait dans son rapport d’information de juillet 2014 précité, l’exécution du budget européen est particulièrement heurtée, pour ne pas dire « chaotique ».
L’année 2013 en fournit un exemple frappant. Le budget initial pour 2013 s’élevait à 150,9 milliards d’euros en engagements et 132,8 milliards d’euros en paiements. Si le montant des engagements ainsi voté correspondait à la proposition formulée par la Commission européenne le 25 avril 2012, les paiements s’établissaient à un niveau inférieur de 5 milliards d’euros.
Pas moins de neuf budgets rectificatifs, dont un faisant l’objet d’une lettre rectificative, ont été adoptés au cours de l’année 2013. Deux projets de budget rectificatif ont été plus particulièrement discutés : le deuxième, qui prévoyait une ouverture de crédits de paiement importante, et le sixième, amendé par une lettre rectificative qui revoyait nettement à la baisse les prévisions de recettes liées aux droits de douane pour 2013 (différence de 11 % par rapport à la révision de mai 2013 proposée dans le projet de budget rectificatif no 6 et de 20 % par rapport à la lettre rectificative de septembre 2013). Au total, les budgets rectificatifs pour 2013 ont augmenté les engagements de près de 1,2 milliard d’euros et les paiements de 11,6 milliards d’euros.
De tels écarts sont d’autant plus difficilement acceptables qu’ils ont un impact immédiat sur la contribution des États membres, alors que ceux-ci doivent consentir des efforts importants dans le cadre de la maîtrise de leurs dépenses. Ils fragilisent, par conséquent, l’effort de prévision et l’exécution budgétaire au sein de ces États.
Autre sujet d’inquiétude, l’aggravation continue du « reste à liquider » et l’incapacité apparente à le résorber.
Le « reste à liquider » ne doit pas être confondu avec le « reste à payer » constaté à la fin de chaque année. Ce dernier, qui correspond au montant de factures exigibles au 31 décembre d’une année N, qui devront donc être payées en N+1 est un phénomène frictionnel relativement nouveau. La crise des paiements est essentiellement due à la remontée tardive des factures, qui décale « mécaniquement » les paiements à l’année suivante. En effet, au cours des derniers exercices, une part croissante des demandes de paiement a été reçue dans les deux derniers mois de l’année. Ces factures n’ont donc pu être payées qu’en début d’année suivante.
Ainsi, en matière de politique de cohésion, la plus touchée par le phénomène, depuis 2010, la proportion de factures remontées dans des délais qui ne permettent pas leur mise en paiement avant la fin de l’année civile (délai estimé à deux mois, c’est-à-dire après le 31 octobre) est en constante augmentation. En 2010, environ 7 % des factures reçues dans l’année sont arrivées en novembre et décembre, contre 38 % en 2013. Cela signifie, d’une part, que ces paiements ne peuvent matériellement pas être acquittés l’année de leur transmission, d’autre part, que les États membres ne cherchent pas tant à être remboursés rapidement qu’à éviter les dégagements d’office (DO) (6). Les restes à payer résultent donc d’un mécanisme structurel. Ils sont payés en début d’année suivante.
Ce phénomène devrait se reproduire en 2014. Étant lié à la programmation 2007-2013 (notamment à la concentration des remontées de factures en fin de période), ce phénomène devrait se résorber entre 2014 et 2016. Les tensions sur les paiements qui risquent de se reproduire en 2014 ne sont donc qu’un phénomène temporaire. Ces tensions devraient en outre être limitées, le retard pris dans le lancement des nouveaux programmes minorant le besoin de crédits de paiement en 2014 sur les crédits d’engagement de la nouvelle programmation financière.
Votre rapporteure estime que ce problème, différent de la problématique des « restes à liquider », doit néanmoins faire l’objet d’une attention particulière et soutient par conséquent l’initiative portée par le Parlement européen de constituer un groupe de travail sur les paiements, visant notamment à améliorer la transparence de la Commission sur la gestion des factures.
Les « restes à liquider » (écart entre engagement et paiement) ont, eux, progressé de 2 % en 2013, contre 4,8 % en 2012. Or, si l’existence d’un « reste à liquider », qui correspond à un décalage dans le temps entre l’inscription des engagements et des paiements, est un phénomène normal compte tenu du caractère pluriannuel de la plupart des programmes européens, son accumulation suscite des inquiétudes. En effet, non seulement, sur l’ensemble de la précédente programmation, le reste à liquider, qui s’établissait à près de 139 milliards en 2007, s’est aggravé de 60 %, grevant d’autant l’ambition du nouveau cadre financier pluriannuel, mais, alors que 2015 représente le deuxième exercice du nouveau CFP, il tend à s’accroître. Alors qu’ils s’élevaient à 217,8 milliards d’euros au 31 décembre 2012, les restes à liquider s’établissent à 222,4 milliards à la fin de l’année 2013, ce qui représente 2,3 années de paiements. À l’exception de la politique de cohésion, tous les programmes ont ainsi vu leur « reste à liquider » progresser depuis 2012.
Pas moins de 20 % des crédits de paiement du CFP 2014-2020 seront utilisés pour le paiement d’engagements pris avant 2014. La Commission européenne avertit en outre que le projet de budget pour 2015 proposé ne permettra pas d’inverser cette tendance, compte tenu du fait que, pour la plupart des programmes, les engagements augmentent plus rapidement que les paiements.
b. Et qui appelle une meilleure évaluation des besoins, un pilotage plus fin des crédits et une clarification des règles budgétaires
L’article 2 du règlement cadre financier pluriannuel prévoit que « avant la fin de 2016 au plus tard, la Commission présente un réexamen du fonctionnement du cadre financier, en tenant pleinement compte de la situation économique qui existera à ce moment-là ainsi que des projections macroéconomiques les plus récentes. Le cas échéant, ce réexamen obligatoire est accompagné d’une proposition législative de révision du présent règlement en conformité avec les procédures prévues dans le TFUE. » Cette échéance devra être préparée en amont, et appelle plusieurs remarques de la part de votre rapporteure :
– l’exécution budgétaire heurtée atteste en premier lieu de la pratique du Conseil de sous-évaluer quasi-systématiquement les besoins lors de l’adoption du budget initial. La révision du cadre financier pluriannuel doit donc être l’occasion d’évaluer au plus près les besoins de crédits de paiement jusqu’en 2020 ;
– quant aux prévisions de recettes, votre rapporteure plaide en faveur de l’amélioration des estimations relatives aux droits de douane, et s’inquiète que les leçons ne puissent en être tirées pour le projet de budget pour 2015. En effet, alors que la demande du Conseil en ce sens date du 14 octobre 2014, la Commission européenne a simplement présenté, lors du Comité consultatif des ressources propres du 19 mai 2014, sa méthodologie – qui présente plusieurs fragilités – et a indiqué ne pas avoir pu modifier ses hypothèses de travail pour 2015. Elle s’est alors contentée de demander aux États membres de lui faire part de leurs observations sur sa méthodologie d’ici au 30 septembre 2014, dans la perspective d’une réunion spécifique du comité en décembre prochain ;
– les fragilités relatives aux ressources propres traditionnelles ainsi mises à jour et les ressauts sur les contributions des États membres qui en découlent plaident pour une remise à plat du système des ressources propres, reposant sur de véritables ressources propres dynamiques et modernes ;
– votre rapporteure appelle à une réaction forte des autorités européennes en faveur de l’apurement du « reste à liquider ». Cela passe par un niveau approprié d’engagement et de paiements, un pilotage plus fin des crédits d’engagements, mais aussi un fléchage de crédits suffisants vers le paiement du « reste à liquider » dans les premières années de programmation, enfin, par une application stricte des règles de dégagement d’office ;
– la révision à mi-parcours devrait également être l’occasion de proposer des outils pour un meilleur pilotage des crédits de paiement et d’engagement. Le « jaune » annexé au projet de loi de finances indique que la France pourrait faire des propositions en ce sens, pour :
– assurer un meilleur pilotage des crédits de paiement : la France a présenté un non-papier soulignant la nécessité de renforcer les outils de suivi de l’exécution et de prévision utilisés par la Commission dans la gestion des crédits. Elle propose notamment la création, pour chaque proposition de la Commission relative aux crédits d’engagement (mesure nouvelle, modification des profils d’engagement, procédure de virement), d’une fiche d’impact présentant les conséquences en CP sur 5 ans ;
– préconiser le pilotage du budget européen par les crédits d’engagement, afin de garantir la soutenabilité du cadre financier pluriannuel pour les années à venir et de respecter les plafonds annuels de crédits de paiement issus de l’accord politique du Conseil européen des 7 et 8 février. Le vote d’un budget annuel soutenable entend la maîtrise de l’évolution des crédits d’engagement (CE) compte tenu des crédits de paiement (CP) disponibles.
– redonner du sens au budget annuel voté et renforcer son pilotage : il convient d’introduire des outils de pilotage infraannuel de la dépense, pour garantir la bonne exécution du budget voté en début d’année. Par exemple, la faisabilité d’un comité de suivi et d’alerte pourrait être expertisée. Un tel comité serait chargé de suivre l’évolution des dépenses au cours de l’exercice et d’alerter l’autorité budgétaire en cas d’évolution des CP incompatible avec le respect des crédits votés dans le budget annuel. La Commission serait alors tenue de proposer à l’autorité budgétaire des mesures de correction.
– renforcer l’autorité de la direction générale BUDGET de la Commission européenne, en réaffirmant son rôle en matière de bonne gouvernance budgétaire et de garante de l’impulsion, de la coordination et de la supervision d’une gestion budgétaire européenne rigoureuse et soutenable ainsi que de la protection des intérêts financiers de l’Union ;
– l’usage des instruments de flexibilité fait l’objet d’une controverse juridique entre Commission et Conseil, qu’il convient de lever au plus vite. Le débat sur la possibilité de mobiliser, au-delà du plafond, des crédits de paiement dans le cadre des instruments spéciaux et de la marge pour imprévus recouvre des enjeux politiques forts.
S’appuyant sur l’article 13 du règlement fixant le CFP 2014-2020, qui prévoit les modalités de constitution et de fonctionnement de la marge pour imprévus, qui constitue « le dernier recours face à des circonstances imprévues », ainsi que sur la déclaration commune du Parlement européen et de la Commission sur les crédits de paiement annexée au budget 2014, la Commission européenne estime nécessaire de mobiliser la totalité de la marge pour imprévus pour 2014, soit 4 206,7 millions d’euros. Selon la Commission, rien n’interdit de mobiliser la marge pour imprévus uniquement en crédits de paiement et au-delà du plafond. De manière plus générale, elle considère que l’ensemble des instruments spéciaux peuvent être mobilisés au-delà des plafonds en crédits de paiement car un traitement identique doit être réservé aux engagements et aux paiements, les seconds suivant logiquement les premiers.
Une double incertitude juridique doit donc être levée : une sous-estimation de « reste à liquider » constitue-t-elle une « circonstance imprévue » et peut-on mobiliser, au-delà du plafond de crédits de paiement, la marge pour imprévus, et plus généralement les instruments spéciaux (réserve pour aide d’urgence, Fonds de solidarité de l’Union, Fonds européen d’aide à la mondialisation, instrument de flexibilité) ? Si l’article 3 du règlement portant CFP prévoit explicitement un tel recours pour les crédits d’engagement le cas des crédits de paiement fait actuellement débat entre la Commission européenne et le Conseil, mais également au sein de la Commission européenne. D’aucuns avancent qu’aucune disposition du règlement ne l’interdit, voire qu’une lecture combinée des articles 3 et 4 du règlement le permet, tandis que d’autres estiment que le règlement, ne le prévoyant pas explicitement, le prohibe.
À l’initiative de la France, les 8 contributeurs nets, qui sont opposés à la proposition de la Commission européenne, ont fait une déclaration commune dans laquelle ils estiment que la mobilisation de la marge pour imprévus est contestable d’un point de vue juridique et inutile au vu des besoins pour 2014. Ils jugent ainsi, d’une part, que les travaux préparatoires au règlement financier et ses dispositions finales relatives aux instruments spéciaux prévoient la possibilité d’une mobilisation au-delà des plafonds en engagements mais pas en paiements et, d’autre part, que le recours à la marge pour imprévus aux fins de payer des engagements pris avant 2014, « contraire à l’article 13 du règlement », ne respecte pas les conditions posées à sa mobilisation. Ils ajoutent que ce recours, « qui n’est pas nécessaire, ne constitue pas une solution de dernier recours et est prématuré », menace la soutenabilité des plafonds du cadre financier pluriannuel.
Comme elle l’a clairement exposé dans son rapport d’information de juillet 2014, votre rapporteure juge que le niveau, très insuffisant, des plafonds de crédits d’engagement et de paiement arrêtés par le Conseil européen lors de son sommet de février 2013 rend d’autant plus indispensable tout élément de souplesse de gestion. La flexibilité accrue du cadre financier pluriannuel était en effet la contrepartie posée à son caractère étriqué. Elle partage l’analyse de la Commission selon laquelle la marge pour imprévus et les instruments spéciaux peuvent être mobilisés au-delà des plafonds en engagements et en paiements.
3. La question des ressources propres de l’Union : un système opaque et illégitime dont la réforme ne pourra être perpétuellement ajournée
Comme votre rapporteur a eu plusieurs fois l’occasion de le souligner ces dernières années, le système actuel est non transparent, injuste, hors contrôle parlementaire, très complexe et totalement incompréhensible pour les citoyens européens, qui, au final, en supportent les conséquences. Mais si un consensus s’est dégagé pour critiquer le système actuel, aucun accord ne se dessine, à ce stade, sur un modèle alternatif. La réforme fait l’objet de discordes récurrentes entre le Parlement européen et le Conseil sans que des perspectives concrètes se dégagent véritablement.
Comme le rappelle l’article 311 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’existence de ressources propres est une des spécificités de l’Union européenne dans le domaine budgétaire. L’idée d’un tel système est de faire bénéficier les instances communautaires des recettes qui leur sont affectées une fois pour toutes et qui leur reviennent de droit, sans que les autorités nationales puissent s’y opposer ou modifier les montants concernés. Contrairement aux organisations internationales classiques, l’Union n’a pas à redouter le chantage « financier » que pourrait exercer un de ses membres afin de contrôler ou d’infléchir, dans une certaine mesure, les politiques menées par la Communauté.
Le système actuel de financement de l’Union européenne repose sur quatre types de ressources :
– les ressources propres traditionnelles (RPT), droits de douane et cotisations sucre, pour lesquelles les administrations nationales agissent en simples intermédiaires pour la perception des ressources dues à l’Union ;
– la ressource dite TVA, calculée par l’application d’un taux d’appel uniforme (0,3 %) à une assiette harmonisée pour l’ensemble des États membres ;
– la ressource RNB, versée par les États membres, au prorata de leur RNB dans le RNB total de l’Union, pour équilibrer le montant global des dépenses inscrites au budget. Il s’agit de la principale composante de la contribution française ;
– les recettes diverses.
Les trois premiers types de ressources constituent les ressources propres et représentent 99 % du budget. En vertu de la décision relative au système des ressources propres (DRP) pour 2007-2013, elles ne peuvent excéder 1,24 % du revenu national brut (RNB) total de l’UE. Pour la période 2014-2020, elles sont limitées à 1,23 % du RNB européen. Les ressources diverses s’élèvent à environ 1 % du budget.
Au fil du temps, la répartition entre les quatre ressources propres s’est trouvée profondément modifiée, avec une prépondérance pour la ressource RNB. En effet, en 1988, date d’entrée en vigueur du premier cadre financier pluriannuel, la ressource RNB représentait moins de 11 % du financement communautaire, à comparer aux 28 % provenant des droits de douane et des prélèvements agricoles et aux 57 % provenant de la ressource TVA. Or au terme du cadre budgétaire pluriannuel 2007-2013, la ressource RNB représentait près de 74 % du financement communautaire, à comparer aux 13 % provenant des droits de douane et des prélèvements agricoles et aux 12 % de la ressource TVA.
Parallèlement, des mécanismes de compensation ont été accordés, par dérogation au régime de droit commun des ressources propres, à certains États membres dont la contribution a été considérée comme excessive au regard de leur prospérité relative. C’est le cas du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Suède, de l’Allemagne, de l’Autriche et, bientôt, du Danemark.
Comme elle l’a exposé dans ses deux précédents avis, votre rapporteure estime qu’un financement basé sur des contributions nationales est plus susceptible d’exacerber les discussions sur les contributions nettes. Il mène à des politiques sous-tendues par la logique de « retour national » davantage que celle de valeur ajoutée européenne. Le développement d’une source alternative de financement liée à des politiques-clés de l’Union européenne, dans le cadre d’une réforme plus large, pourrait atténuer la problématique des contributions nettes. Une telle évolution forcerait les États membres à davantage s’intéresser à l’impact de cette ressource sur les objectifs politiques de l’Union et à son incidence économique. Elle pourrait en outre accroître l’intérêt des citoyens européens pour le budget européen. Enfin, le développement de nouvelles ressources pourrait faciliter l’élimination des mécanismes de correction existants basés sur les contributions nettes.
La Commission, en 2011, proposait de supprimer la ressource propre actuelle fondée sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et d’instaurer deux ressources propres véritables, l’une fondée sur la TVA et l’autre sur la taxe sur les transactions financières (TTF), ce qui permettrait de limiter à 40 % au maximum la part des ressources propres de l’Union financée par les contributions RNB des États membres. La Commission proposait en outre de remplacer tous les rabais et les mécanismes de correction par un système de montants forfaitaires appliqué lors de la période 2014-2020. Enfin, la Commission préconisait de réduire les frais de perception à 10 %, taux plus réaliste que les 25 % retenus lors de la période couverte par le CFP 2007-2013.
Toutefois, le Conseil n’a pas accordé à ces propositions l’attention qu’elles méritaient. Aucune avancée n’a été réalisée en ce qui concerne les deux nouvelles ressources propres proposées: la proposition de réforme de la TVA a été rejetée au motif que les travaux devaient se poursuivre; l’introduction de la TTF au titre d’une coopération renforcée n’a pas encore été adoptée et aucun engagement n’a été pris pour que cette taxe puisse servir de base à une nouvelle ressource propre du budget de l’Union.
Lors de sa réunion des 7 et 8 février 2013, le Conseil européen est convenu que les arrangements relatifs aux ressources propres devraient être guidés par l’objectif général de simplicité, de transparence et d’équité. Par ailleurs, le Conseil européen a demandé au Conseil de poursuivre les travaux sur la proposition de la Commission en vue d’une nouvelle ressource propre fondée sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Il a en outre invité les États membres participant à la coopération renforcée dans le domaine de la taxe sur les transactions financières (TTF) à examiner si celle-ci pourrait servir de base à une nouvelle ressource propre pour le budget de l’UE.
La décision du Conseil du 12 février 2014 visait à mettre en œuvre les conclusions du Conseil européen des 7 et 8 février 2013 et a modifié comme suit la décision en vigueur relative aux ressources propres :
– le plafond des ressources propres passe à 1,23 % du RNB de l’Union pour les crédits de paiement (contre 1,24 % actuellement) et à 1,29 % du RNB de l’Union pour les crédits d’engagement (contre 1,31 % actuellement) ;
– le pourcentage des ressources propres traditionnelles retenu par les États membres pour couvrir les frais de perception passe à 20 % (contre 25 % actuellement) ;
– la proposition de réforme de la TVA n’ayant pas été soutenue au sein du Conseil, les dispositions de la décision en vigueur relative aux ressources propres restent en l’état ;
– le rabais britannique est maintenu, tout comme les rabais dont bénéficient l’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède et la réduction du taux d’appel pour la ressource propre fondée sur la TVA appliquée à l’Allemagne, aux Pays-Bas et à la Suède; en outre, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark bénéficieront de rabais sur les sommes forfaitaires dans le cadre du prochain CFP, tandis qu’un rabais sera accordé à l’Autriche uniquement au cours des trois premières années (jusqu’en 2016) ;
– une disposition permettant de fixer les mesures d’exécution est introduite.
Comme elle le soulignait dans son avis sur le prélèvement sur recettes pour 2014, votre rapporteure juge que l’amorce de réforme du système des rabais décidée par le Conseil européen de février 2013, qui affecte positivement la contribution de la France, est un premier pas positif, mais non suffisant. Il convient de persévérer dans la réflexion sur la réforme des ressources propres, notamment en progressant sur l’instauration de nouvelles ressources qui viendraient diminuer le poids des contributions nationales dans les recettes communautaires.
Dans un rapport du 7 avril 2014 (7), les parlementaires européens critiquent le traitement du problème par le Conseil dans son projet de décision sur le système des ressources propres. Ils regrettent que les États membres ne prennent pas en compte la proposition législative de la Commission de juin 2011, qui visait à introduire des réformes plus audacieuses. Les députés estiment en outre que l’introduction par le Conseil de « rabais opaques » et de nouvelles exemptions a mis en péril la viabilité du budget de l’UE, position que votre rapporteure partage pleinement.
Votre rapporteure suivra avec la plus grande attention les travaux du groupe à haut niveau (GHN), dont la mise en place était l’une des conditions posées par le Parlement européen pour donner son agrément sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Ce groupe est chargé de procéder à un réexamen général du système des ressources propres (après 2020 cependant) en vue de rendre ce dernier plus simple, plus transparent et plus responsable, a été constitué le 25 février 2014 sous la présidence de Mario Monti (ancien Commissaire européen et président du Conseil italien). Il devrait livrer une première évaluation à la fin de l’année 2014 et ses propositions devraient être examinées dans le cadre de la révision du CFP de 2016.
Fin juin 2014, la France a transmis un non-papier informel à l’attention du GHN, où elle demande de considérer aussi bien la création de nouvelles ressources propres que la simplification des ressources existantes et appelle à la suppression des mécanismes de correction. Elle insiste également sur la nécessité de tenir compte des politiques économiques et budgétaires des États membres. Le groupe prendra en compte la contribution des parlements nationaux, qui seront également invités à une conférence institutionnelle en 2016. Votre rapporteure compte faire des propositions dans cette perspective.
CONCLUSION
Votre Rapporteure se prononce en faveur de l’adoption de l’article 30 du projet de loi de finances pour 2015.
Elle souhaite cependant attirer l’attention des commissaires sur le fait que le montant prévisionnel du prélèvement est grevé par un grand nombre d’incertitudes : il relève d’une estimation fondée sur différentes variables encore non stabilisées, il peut être modifié par des budgets européens rectificatifs, a fortiori si les crédits inscrits en début d’année ne couvrent pas les besoins. Il est peu satisfaisant, et au demeurant bien peu démocratique, que les parlementaires doivent se prononcer sur un montant amené à être modifié plus qu’à la marge en cours d’année – ce qui plaide au passage pour une harmonisation des calendriers budgétaires européen et nationaux.
Ce montant dépendra aussi de l’aboutissement de la négociation budgétaire en cours qui doit aboutir en novembre, dont votre rapporteure estime qu’il doit se rapprocher du projet présenté par la Commission, et autoriser le plein usage des instruments de flexibilité, pour donner corps au plus vite aux promesses formulées lors du Conseil de juin 2014, à l’heure où le contexte économique, social et politique est particulièrement alarmant.
Votre rapporteur insiste notamment sur l’importance d’un budget européen orienté vers l’investissement à long terme. En effet, alors que l’ensemble des États membres est peu ou prou engagé dans une politique de consolidation budgétaire coordonnée, et alors qu’aucune proposition concrète de financement des 300 milliards d’euros d’investissement annoncés par les autorités européennes n’a été faite, seul le budget européen peut pour l’heure jouer un rôle de régulateur conjoncturel et éviter à l’ensemble de la zone euro d’entrer dans un cercle déflationniste dévastateur.
Surtout, votre rapporteure estime que les discussions sur le budget 2015, tout comme celles qui ont porté sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, sont symptomatiques des limites atteintes par le modèle de financement de l’Europe.
Le dynamisme du prélèvement sur recettes ainsi que la détérioration du solde net de la France appellent plus que jamais à une remise à plat du système des ressources propres incluant des financements innovants (taxe sur les transactions financières, project bonds notamment), mais aussi une remise à plat des corrections.
Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra redonner des marges au budget européen et mettre fin à la nécessité de trouver chaque année une solution sous-optimale entre une contribution élevée réduisant d’autres dépenses nationales et un budget européen qui ne se donne pas les moyens de ses ambitions.
EXAMEN EN COMMISSION
La Commission examine le présent avis au cours de sa réunion du mercredi 15 octobre 2014.
Après l’exposé de la rapporteure pour avis, un débat a lieu.
M. Axel Poniatowski, président. Je voudrais revenir sur la question du juste retour. Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faut être prudent lorsqu’on aborde cette question et faire attention à la présentation qu’on en fait. Pouvez-vous néanmoins nous donner des précisions sur le montant de la contribution nette de la France ? Nous étions à quelque 6 milliards d’euros et vous avez parlé de 9 milliards aujourd'hui, ce qui représente une hausse considérable. Quelles raisons expliquent cette progression ? En termes de retours bruts, qu’en est-il pour la France s’agissant de la PAC et des fonds structurels ? Enfin, où est-on concernant le rabais britannique ?
Mme Estelle Grelier, rapporteure. Il y a trois méthodes comptables pour évaluer le montant de la contribution nette de la France, et selon l’une ou l’autre, on oscille entre 8,4 et 9,3 milliards d’euros de solde net, sur 21 milliards d’euros de contribution. La raison de la progression tient au fait que, suite aux élargissements, la France est moins bénéficiaire qu’elle ne l’a été au titre de la PAC et de la politique de cohésion. C’est tout l’effet de la dimension solidarité du projet européen.
Concernant le rabais britannique, je crains qu’il n’y ait pas de perspective de changement. Il y a eu un arrangement entre Angela Merkel et David Cameron pour que l’on n’y touche pas. La Commission est favorable à la suppression de tous les rabais, mais il s’agit d’un enjeu majeur pour le Royaume-Uni quant à son maintien dans l’Union. Le jour où cela sera vraiment sur la table, on peut s’attendre à des tensions fortes.
M. Jean Glavany. Sur la question du solde net, sa dégradation est le résultat du contrat originel avec l’Allemagne : l’agriculture à l’un, l’industrie à l’autre, dont nous payons le prix fort aujourd’hui. Ce contrat a en fait été renié à notre défaveur, avec l’élargissement à des pays pauvres et ruraux, au point que le solde atteint 9 milliards !
Je souhaiterais vous interroger sur la crise de trésorerie de 22 milliards d’euros que vous avez évoquée. Est-ce un vrai problème ou non ? Combien d’aides attendues risquent d’être impactées, et dans quelle mesure ?
Par ailleurs, vous proposez de sortir notre contribution au budget de l’Union européenne du calcul du déficit ; pourquoi pas ? Mais je pense aussi qu’il faudrait prendre en compte dans ce calcul le coût des nombreuses OPEX que nous menons, pour lesquelles nous recevons bien tard et de manière bien limitée le soutien de l’UE. Ne pourrions-nous pas exclure ces coûts que nous assumons seuls ? Il m’intéresserait de savoir si ces deux possibilités de modification du calcul du déficit font l’objet de discussions.
Mme Estelle Grelier, rapporteure. Pour ce qui concerne les 22 milliards d’euros, le débat de lundi prochain devrait permettre d’obtenir des explications sur la réalité de la crise de paiement de l’UE. Selon Bercy, il s’agit d’une situation traditionnelle de factures qui arrivent en fin d’année et il n’y a pas de problème majeur. Ils nous disent en revanche qu’il n’y a pas de crédits de paiement inscrits. Pour Jean Arthuis, il s’agit d’un vrai sujet d’inquiétude, que les chefs d’Etat et de gouvernement refusent de voir. C’est un enjeu grave. Il faudra demander au ministre sa position sur les propos de la Commission et du Parlement européen.
Quant à minorer le déficit du coût de nos interventions extérieures, personnellement j’y souscris totalement, et plusieurs groupes politiques du Parlement européen aussi, mais il y a un refus net du Conseil et de la Commission, car cela est vu pour la France comme une manière de se soustraire à ses obligations vis-à-vis des normes européennes et comme pouvant aussi avoir un effet de contagion, chaque pays étant susceptible de mettre en avant des dépenses d’intérêt européen. Pour ce qui concerne la prise en compte de notre contribution, Pierre Moscovici a indiqué qu’on ne pouvait détricoter le calcul du déficit, mais l’on pourrait peut-être envisager de retirer le solde net du calcul du déficit. La France n’a pas très bonne réputation sur ces questions…
M. François Rochebloine. Ma question porte sur la contribution de la France au budget européen consacrée à l’assistance à la Turquie dans le cadre de l’Instrument de pré-adhésion. Des sanctions ont été votées contre la Russie à la suite de la crise en Ukraine, ne peut-on pas imaginer que la situation en Irak justifie de suspendre les négociations d’adhésion avec la Turquie ?
Mme Estelle Grelier, rapporteure. Je peux confirmer que l’Instrument de pré-adhésion est financé sur le budget de l’Union européenne. La décision de prendre des sanctions à l’égard d’un pays relève quant à elle d’une décision politique.
M. François Loncle. Je voulais poser la même question que Jean Glavany concernant la prise en compte de nos dépenses en matière de défense et d’opérations extérieures, et vais la prolonger. Je suis en effet choqué par l’argument opposé à la demande de retraitement du calcul du déficit car c’est un procès d’intention. Si la France est courageuse dans le domaine militaire, c’est une question de finances publiques. J’ajouterai l’exemple du virus Ebola : la France est encore en première ligne et nous nous engageons fortement notamment en Guinée. On subit les critiques quand on n’en fait pas assez et l’Union européenne ne fait absolument rien, comme Médecins sans frontières l’a encore confirmé ce matin pour le virus Ebola. Cela devient agaçant !
Mme Estelle Grelier, rapporteure. Je souscris à la demande de prise en compte de certaines dépenses et j’ai rappelé les positions. Mais je veux aussi rappeler qu’on a créé un Service pour l’action extérieure – le SEAE, qui devait porter ces sujets et consacrer la priorité donnée à la politique extérieure (c’était le seul Poste de vice-président à l’époque). Or cette création n’a pas été à la hauteur et se pose la question de l’utilité du SEAE, qu’il faut poser, même si l’on sait qu’il est difficile de faire coexister une diplomatie européenne avec 28 diplomaties nationales. J’ajoute que les Allemands ne sont pas exempts de tout frein sur ces questions.
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Suivant les conclusions de la rapporteure pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 30 du projet de loi de finances pour 2015.
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