N° 2264
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2014.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2015,
TOME III
SOLIDARITÉ, INSERTION ET ÉGALITÉ DES CHANCES
SOLIDARITÉ
Par M. Christophe SIRUGUE,
Député.
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Voir les numéros : 2234, 2260 (annexe n° 45).
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LES CRÉDITS DES PROGRAMMES 304, 137 ET 124 : UN EFFORT MAINTENU MALGRÉ UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE DIFFICILE 9
A. LE PROGRAMME 304 : UNE NOUVELLE ARCHITECTURE AU SERVICE DES PERSONNES LES PLUS DÉMUNIES 9
1. Un programme au périmètre élargi 10
2. L’action n° 11 « Revenu de solidarité active » : un financement simplifié en attendant une réforme de la prestation 11
3. Les actions n° 16 et 17 : un engagement important en faveur de la protection des personnes et de l’accompagnement des jeunes et des familles vulnérables 13
4. Les autres actions du programme : un constat en demi-teinte 15
B. LE PROGRAMME 137 : UN ENGAGEMENT IMPORTANT EN FAVEUR DE L’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES 17
C. LES CRÉDITS DU PROGRAMME 124 : UN EFFORT DE MAÎTRISE DES DÉPENSES PUBLIQUES 20
II. LE DISPOSITIF DE PROTECTION DE L’ENFANCE 23
A. LES FAILLES DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE : UN MANQUE DE COORDINATION ENTRE LES ACTEURS ET DES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES QUI NE SONT PAS TOUJOURS APPLIQUÉES 24
1. Un manque de gouvernance nationale et de coordination entre les acteurs 24
a. De nombreux intervenants 24
b. Un pilotage national à renforcer 26
c. Une coordination au niveau local à améliorer 27
2. Les limites de la loi du 5 mars 2007 : une application encore incomplète et un équilibre entre parents et enfants qui pose question 29
a. Certaines dispositions de la loi ne sont toujours pas appliquées 29
b. Des interrogations sur la place accordée à l’intérêt de l’enfant par rapport aux droits des parents 31
B. AMÉLIORER LA PRISE EN CHARGE DES ENFANTS À TOUS LES STADES DE LEUR PARCOURS 32
1. Renforcer la prévention et favoriser la détection des situations de maltraitance 32
2. Stabiliser et sécuriser le parcours de l’enfant 34
3. Contrôler la qualité et l’adaptation de la prise en charge 36
TRAVAUX DE LA COMMISSION : EXAMEN DES CRÉDITS 39
ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 41
Avec 15,75 milliards d’euros de crédit demandés pour 2015, le budget de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » témoigne de l’importance de l’action de l’État au service des personnes les plus vulnérables.
La mission voit son architecture modifiée en 2015, puisqu’elle ne compte plus que quatre programmes, contre cinq l’année précédente :
– le programme 304, désormais intitulé « Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire », qui voit son périmètre élargi avec l’intégration du programme 106 « Actions en faveur des familles vulnérables », dont les crédits s’élèvent à 2 631,2 millions d’euros ;
– le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », doté de 25,2 millions d’euros ;
– le programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative », programme support de la mission, auquel sont alloués 1 493,6 millions d’euros.
À ces trois programmes, auxquels le présent rapport va plus particulièrement s’attacher, s’ajoute le programme 157 « Handicap et dépendance », qui concentre à lui seul 74 % des crédits de la mission. Il fait l’objet d’un avis budgétaire spécifique, présenté par Mme Annie Le Houerou.
Tous les programmes, à l’exception du programme support 124, bénéficient d’une augmentation sensible des moyens alloués. Le programme 304, essentiellement consacré à la lutte contre la pauvreté, est celui qui connaît la progression de crédits la plus forte, principalement en raison d’une participation accrue de l’État au financement du revenu de solidarité active (RSA).
Dans un contexte économique et budgétaire très contraint, l’effort financier ainsi consenti, au nom des valeurs de solidarité et d’égalité, mérite d’être salué. L’engagement volontariste du Gouvernement avait trouvé, dès le début du quinquennat, une traduction particulièrement forte dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, présenté en janvier 2013. En matière de droits des femmes, cet engagement s’est manifesté par l’adoption de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
ÉVOLUTION ET RÉPARTITION PAR PROGRAMME DES CRÉDITS DEMANDÉS POUR 2015
AU TITRE DE LA MISSION « SOLIDARITÉ, INSERTION ET ÉGALITÉ DES CHANCES »
(en millions d’euros et en crédits de paiement)
Numéro et intitulé du programme |
Crédits ouverts en LFI 2014 |
Projet de loi de finances pour 2015 |
Évolution 2015/2014 | |
(en montant) |
(en % des crédits de la mission) | |||
304. Lutte contre la pauvreté : inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire |
884,86 |
2 631,25 |
16,71 |
+ 197,36 |
106. Action en faveur des familles vulnérables (ancien) (LFI 2014 retraitée) |
||||
157. Handicap et dépendance |
11 442,92 |
11 600,50 |
73,65 |
+ 1,38 |
137. Égalité entre les femmes et les hommes |
25,03 |
25,17 |
0,16 |
+ 0,56 |
124. Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative |
1 505,86 |
1 493,60 |
9,48 |
– 0,81 |
Total des crédits de la mission |
13 858,67 |
15 750,51 |
100 |
+ 13,65 |
LFI : loi de finances initiale.
Source : tableau réalisé d’après les données présentées dans le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2015.
Les crédits de la mission représentent une part importante mais non exhaustive de la politique sociale mise en œuvre par l’État. Ainsi, le document de politique transversale « Inclusion sociale » évalue à 32,8 milliards d’euros en crédits de paiement l’effort financier de l’État en matière d’inclusion sociale, réparti au sein de 30 programmes différents. Il concerne notamment la santé pour les personnes démunies, le logement et l’hébergement, ou encore l’accès à la justice. Les collectivités territoriales, en particulier les départements, financent également d’importantes prestations sociales, comme la prestation de compensation du handicap (PCH) ou une partie du revenu de solidarité active (RSA-socle). Les administrations de sécurité sociale, enfin, participent à la politique de solidarité, qu’il s’agisse de l’assurance maladie pour la dépendance et le handicap ou encore de la branche famille pour l’aide aux familles.
L’analyse détaillée des crédits relevant de la compétence du rapporteur spécial de la commission des finances, votre rapporteur pour avis a choisi de s’intéresser plus particulièrement, dans le présent avis budgétaire, à la politique de protection de l’enfance. Si la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a permis au dispositif de gagner en efficacité, force est de constater que, plus de sept ans après son adoption, certaines de ses dispositions ne sont que partiellement appliquées. Il s’agit donc de s’interroger sur les raisons de cette inertie, mais aussi sur les moyens permettant d’offrir à tous les enfants victimes de maltraitance ou de négligence une prise en charge adaptée dans le cadre d’un parcours stable.
L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 fixe au 10 octobre la date butoir pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.
À cette date, 84 % des réponses étaient parvenues à votre rapporteur pour avis. Il avait reçu 96 % des réponses le 21 octobre.
I. LES CRÉDITS DES PROGRAMMES 304, 137 ET 124 : UN EFFORT MAINTENU MALGRÉ UN CONTEXTE ÉCONOMIQUE DIFFICILE
Le programme 304 connaît en 2015 un élargissement important de son périmètre, en raison de l’intégration des crédits de l’ancien programme 106 « Actions en faveur des familles vulnérables ». Désormais intitulé « Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire », ce vaste programme regroupe les principales actions de l’État en matière de soutien aux personnes les plus démunies, indépendamment des questions d’hébergement traitées par le programme 177 « Prévention de l’exclusion et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Égalité des territoires et logement ».
Si la France se situe parmi les pays européens connaissant à la fois un niveau de pauvreté monétaire relatif et un niveau de pauvreté et d’exclusion inférieurs à ceux observés en moyenne dans les vingt-huit pays de l’Union européenne, la situation des citoyens les plus fragiles s’est aggravée sous l’effet de la crise économique. En 2012, 8,5 millions de personnes, soit 13,9 % de la population, vivaient sous le seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du revenu médian, soit 987 euros par mois (1).
Les crédits du programme 304, qui s’élèvent à 2,63 milliards d’euros pour 2015, sont principalement destinés à lutter contre la pauvreté, à travers le financement du revenu de solidarité active – activité (RSA-activité), qui représente à lui seul 88 % des crédits du programme. Ils apportent également un soutien à d’autres dispositifs, comme l’aide alimentaire, et encouragent le développement du secteur de l’économie sociale et solidaire. À partir de 2015, les crédits du programme 304 contribuent en outre à la protection juridique des majeurs et à la protection et l’accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables.
ÉVOLUTION ET RÉPARTITION PAR ACTION DES CRÉDITS DEMANDÉS POUR 2015
AU TITRE DU PROGRAMME N° 304 « INCLUSION SOCIALE, PROTECTION DES PERSONNES ET ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE »
(en millions d’euros et en crédits de paiement)
Numéro et intitulé de l’action |
Crédits ouverts en LFI 2014 |
Projet de loi de finances pour 2015 |
Évolution 2015/2014 | |
(En montant) |
(En % des crédits du programme) | |||
11. Revenu de solidarité active |
595,01 |
2 330,90 |
88,59 |
+ 291,74 |
12. Économie sociale et solidaire |
4,97 |
4,72 |
0,18 |
– 5,00 |
13. Autres expérimentations |
0,93 |
0,89 |
0,03 |
– 3,63 |
14. Aide alimentaire |
32,64 |
32,64 |
1,24 |
0,00 |
15. Qualification en travail social |
2,08 |
5,55 |
0,21 |
+ 167,27 |
16. Protection juridique des majeurs |
238,72 |
241,26 |
9,17 |
+ 1,07 |
17. Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables |
10,53 |
15,28 |
0,58 |
+ 45,12 |
Total des crédits du programme |
884,86 |
2 631,25 |
100 |
+ 197,36 |
LFI : loi de finances initiale.
Source : tableau réalisé d’après les données présentées dans le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2015.
Le programme 304 voit son périmètre élargi avec l’intégration, à compter de 2015, du programme 106 « Actions en faveur des familles vulnérables ». Les dispositifs jusqu’alors portés par ce dernier sont intégrés au sein des deux nouvelles actions du programme 304, l’action n° 16 relative à la « Protection juridique des majeurs » et l’action n° 17 consacrée aux mesures de « Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables ». Cette nouvelle architecture permet de regrouper au sein d’un même programme l’ensemble des mesures sociales de soutien aux personnes les plus fragiles, que celles-ci soient confrontées à la précarité de l’emploi ou à une situation de vulnérabilité personnelle.
Le programme 304 bénéficie en outre du transfert des crédits relatifs au processus de délivrance des diplômes sociaux, qui était auparavant porté par le programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative ». Le regroupement de ce dispositif au sein de l’action n° 15 « Qualification en travail social », porteuse de la politique publique dans laquelle s’inscrivent ces diplômes, renforce la cohérence du cadre budgétaire.
Enfin, l’augmentation des crédits du programme 304 s’explique en grande partie par l’accroissement de 292 % de la dotation versée au fonds national des solidarités actives (FNSA), en raison du transfert à la sécurité sociale de la part du prélèvement de solidarité sur les revenus du patrimoine et les produits de placements, jusqu’ici affectée au financement du fonds.
Ces changements de périmètres, en permettant d’établir un cadre budgétaire simplifié, s’inscrivent dans le cadre de la décision n° 32 du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 17 juillet 2013, qui souhaitait simplifier la cartographie des programmes.
ARCHITECTURE DU PROGRAMME 304
Architecture antérieure |
Nouvelle architecture |
Programme 304 : « Lutte contre la pauvreté : revenu de solidarité active et expérimentations sociales » |
Programme 304 : « Inclusion sociale, protection des personnes vulnérables et économie sociale et solidaire » |
11. Revenu de solidarité active |
11. Revenu de solidarité active |
12. Économie sociale et solidaire |
12. Économie sociale et solidaire |
13. Autres expérimentations |
13. Autres expérimentations |
14. Aide alimentaire |
14. Aide alimentaire |
15. Qualification en travail social |
15. Qualification en travail social |
Programme 106 : « Actions en faveur des familles vulnérables » |
16. Protection juridique des majeurs |
01. Accompagnement des jeunes et des familles vulnérables |
17. Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables |
03. Protection des enfants et des familles |
Source : projets annuels de performance annexés aux projets de loi de finances pour 2014 et pour 2015.
2. L’action n° 11 « Revenu de solidarité active » : un financement simplifié en attendant une réforme de la prestation
• Des crédits stabilisés
Les crédits de l’action n° 11 « Revenu de solidarité active », financent la partie « activité » du RSA (dite RSA-activité) au moyen d’une subvention allouée par l’État au Fonds national des solidarités actives (FNSA) dont le montant s’élève à 2,33 milliards pour 2015.
L’augmentation de la contribution de l’État par rapport à la loi de finances initiale pour 2014 s’explique par une modification des recettes affectées au FNSA. En effet, le fonds était jusqu’à présent financé par une fraction du prélèvement de solidarité sur les produits de placement et les revenus du patrimoine, que venait compléter la contribution du programme 304, qui intervenait comme une subvention d’équilibre. À partir de 2015, dans un souci de simplification du partage des recettes des prélèvements obligatoires entre l’État et la sécurité sociale, les produits du prélèvement de solidarité cessent d’être affectés au FNSA pour bénéficier intégralement à la sécurité sociale. En contrepartie, le fonds bénéficie d’une compensation de l’État d’un montant équivalent à la fraction du prélèvement de solidarité qui lui était précédemment affectée, soit 1,74 milliard d’euros. Votre rapporteur s’interroge sur le bien-fondé de cette modification des recettes affectées au FNSA. En effet, si le produit de cette fraction de 1,37 % du prélèvement de solidarité sur les produits de placement et les revenus du patrimoine est supérieur à la dotation de l’État, le financement du RSA-activité se privera d’une recette dynamique alors que sa fusion à venir avec la PPE ne pourra se faire à budget constant.
Afin de financer la revalorisation exceptionnelle de 2 % du RSA au 1er septembre 2015, décidée dans le cadre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale adopté le 21 janvier 2013, les recettes du FNSA seront augmentées d’une fraction de la contribution exceptionnelle de solidarité, auparavant affectée au fonds de solidarité, à hauteur de 200 millions d’euros. Votre rapporteur se félicite du respect de cette mesure de revalorisation malgré le contexte budgétaire très contraint.
Par ailleurs, dans un souci de simplification, le FNSA est recentré en 2015 sur sa mission initiale de financement du RSA (RSA-activité et RSA jeunes) et de ses droits connexes. Parmi ces derniers, la « prime de Noël » voit son montant stagner à 152,45 euros pour une personne seule alors que le crédit de 513 millions d’euros demandé dans le projet de loi de finances pour 2015 a augmenté de 7,77 % par rapport au crédit demandé dans le projet de loi de finances pour 2014. Malgré l’absence de revalorisation de cette aide exceptionnelle depuis sa création en 1998, l’effort de l’État pour verser largement cette prime aux bénéficiaires du RSA, de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), de l’allocation équivalent retraite (AER) et de l’allocation transitoire de solidarité (ATS), reste très soutenu.
À partir de 2015, le FNSA cesse de financer les dépenses d’aide personnalisée de retour à l’emploi (APRE). Créée en 2009, cette aide destinée aux bénéficiaires du RSA est conditionnée à une offre ferme d’emploi ou de formation. Elle doit lever les freins périphériques à la reprise d’activité tels que les problèmes de mobilité, de garde d’enfant ou même vestimentaires. Entièrement financée par l’État mais déconcentrée et redéployée en grande partie auprès des conseils généraux mais aussi auprès d’associations et plus marginalement de Pôle emploi, la bonne gestion de cette prestation souffre de son éparpillement. La diminution régulière du montant des crédits accordés à l’APRE depuis 2010 a tenu compte de leur très forte sous-consommation. Les faiblesses du dispositif et notamment la complexité de sa gestion liée à la diversité des opérateurs (entre 5 et 40 opérateurs dans la plupart des départements et plus de 100 dans certains d’entre eux) entraînent légitimement sa remise en question. Par ailleurs, un dispositif d’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi devrait être expérimenté, soit dans le cadre de la démarche AGILLE de coordination de l’action sociale entre l’État et les collectivités territoriales, soit dans celui de la démarche d’accompagnement global initiée par Pôle emploi et les conseils généraux en avril 2014.
• La nécessaire réforme du RSA-activité
Votre rapporteur pour avis a remis, le 15 juillet 2013, un rapport proposant une réforme des dispositifs de soutien aux revenus d’activité modestes, dans la mesure où ni le RSA-activité, ni la prime pour l’emploi (PPE) ne répondent pleinement à leurs objectifs initiaux. Le RSA-activité connaît un taux de non-recours de près de 70 %, alors que la prime pour l’emploi s’avère trop peu ciblée.
Le rapport, réalisé à partir des réflexions menées par un groupe de travail dédié, proposait de créer une « prime d’activité », qui fusionne le RSA-activité et la PPE. Cette nouvelle prestation, en raison de sa simplicité, n’aura pas à pâtir de l’image négative du RSA et devrait permettre de lutter efficacement contre le non-recours massif qui touche actuellement le RSA-activité. Ouverte à tous les travailleurs à partir de 18 ans et dont les revenus sont compris entre 0 et 1,2 SMIC, cette prime unique aurait en outre l’avantage d’éviter les écueils du RSA jeunes, qui compte moins de 8 000 bénéficiaires au 31 mars 2014.
Dans ce contexte, votre rapporteur pour avis se réjouit de l’annonce faite par le Président de la République, le 20 août 2014, dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité, de fusionner la prime pour l’emploi et le RSA-activité. Il se réjouit également que lors du point d’étape sur le Plan de lutte contre la pauvreté effectué à l’Agence du don en nature, le 14 octobre 2014, le Président de la République ait également précisé que cette fusion ne pourrait se faire à budget constant. Il regrette néanmoins que cette mesure ne soit pas proposée dans le projet de loi de finances pour 2015 et restera attentif à ce qu’elle trouve une concrétisation budgétaire rapide afin de pouvoir entrer en vigueur le 1er janvier 2016.
3. Les actions n° 16 et 17 : un engagement important en faveur de la protection des personnes et de l’accompagnement des jeunes et des familles vulnérables
Les crédits des actions n° 16 « Protection juridique des majeurs » et n° 17 « Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables » du programme 304 étaient, jusqu’à l’année dernière, rattachés au programme 106, aujourd’hui supprimé. Le périmètre de ces deux actions a par ailleurs évolué par rapport aux deux actions qui constituaient le programme 106. Cette simplification opportune permet une meilleure lisibilité des crédits concernés.
• L’action n° 16 : des crédits en nette hausse pour la protection juridique des majeurs
Jusqu’à l’année dernière, le financement par l’État de la protection juridique des majeurs était intégré à l’action n° 03 « Protection des enfants et des familles » du programme 106, qui comprenait également des crédits destinés à l’agence française de l’adoption, à des associations de protection des enfants ou encore au groupement « Enfance en danger ». Désormais isolés au sein d’une action dédiée, les crédits destinés à la protection juridique des majeurs deviennent davantage lisibles, ce qui permet de mieux répondre aux besoins spécifiques de ce public.
Les crédits consacrés au financement de ce dispositif par l’État, qui s’élèvent à 241,26 millions d’euros pour 2015, sont répartis entre deux catégories d’intervenants : les services mandataires, financés sous forme de dotation globale, et les mandataires exerçant à titre individuel, qui sont rémunérés sur la base de forfaits mensuels. En 2015, l’État financera 167 243 mesures de protection juridique des majeurs, dont 131 452 mesures prises en charge par les services mandataires et 35 791 mesures gérées par les mandataires individuels.
La dotation destinée au financement des services mandataires s’élève à 210,3 millions d’euros pour 2015. Elle tient compte d’une augmentation du nombre de mesures estimée à 2,05 % et d’une revalorisation globale des budgets des services mandataires de 3,66 %, due à la fois à la prise en compte d’un effet prix de 1,5 % et à la revalorisation de la masse salariale de 1,6 %.
Pour les mandataires individuels, la dotation pour 2015 s’élève à 31 millions d’euros. Elle intègre un effet volume de 7,82 %, correspondant à l’évolution estimée du nombre de mesures confiées à cette catégorie d’intervenants. Même si elle reste élevée, on constate un ralentissement de la progression des mesures confiées aux mandataires individuels. Le meilleur encadrement des mandataires individuels, prévu par l’article 27 du projet de loi portant adaptation de la société au vieillissement, devrait confirmer cette tendance.
• L’action n° 17 : une attention spécifique portée à la protection et l’accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables
La nouvelle action n° 17 du programme 304, qui bénéficie de 15,28 millions d’euros de crédits pour 2015, regroupe les crédits des actions n° 01 et 03 de l’ancien programme 106, à l’exception de ceux destinés à la protection juridique des majeurs.
Les crédits inscrits sont tout d’abord constitués d’une subvention à l’agence française de l’adoption (AFA), pour un montant de 2,9 millions d’euros, stable par rapport à 2014. Outre un rôle d’information et de conseil, l’AFA remplit une mission d’intermédiaire pour l’adoption des mineurs étrangers âgés de moins de 15 ans.
Les crédits destinés aux établissements d’information, de consultation et de conseil familial (EICCF), qui s’élèvent à 2,8 millions d’euros, et ceux bénéficiant aux points accueil-écoute jeunes (PAEJ), d’un montant de 5,5 millions d’euros, sont également préservés en 2015 par rapport à leur niveau de 2014.
Ces deux structures doivent néanmoins faire l’objet de réformes afin d’améliorer leur efficacité et leur visibilité. Structures légères et de proximité, les PAEJ assurent un accueil gratuit et confidentiel des jeunes et leur offrent une prestation d’écoute, de soutien et d’accompagnement. Si le maintien des fonctions qu’ils remplissent est plus que nécessaire, une réflexion interministérielle et partenariale a été engagée à l’automne 2014, afin de réformer le dispositif, notamment pour renforcer les synergies avec des structures proches, comme les maisons des adolescents ou les espaces santé jeunes. Les EICCF, dont la mission consiste notamment à écouter, informer et orienter les personnes qui s’interrogent sur l’interruption volontaire de grossesse et les méthodes contraceptives, doivent également faire l’objet d’une réforme. Une enquête a ainsi été menée auprès de près de 300 EICCF en 2014, débouchant sur diverses préconisations. Le contenu précis de la réforme des PAEJ et des EICCF doit être arrêté en 2015.
Une dotation de 1,7 million d’euros permet en outre à l’État de participer au financement des têtes de réseau des associations œuvrant dans le domaine de la protection des enfants, des jeunes et des familles vulnérables, de cofinancer, avec les départements, les organisations régionales de concertation sur l’adoption (ORCA), services interdépartementaux spécialisés dans la préparation d’adoption d’enfants grands ou handicapés, et de financer le dispositif du numéro d’appel d’urgence européen « 116 000 » destiné à traiter les appels relatifs aux disparitions d’enfants.
L’action n° 17 apporte enfin un financement au groupement d’intérêt public « Enfance en danger », dont les crédits, qui s’élèvent à 2,4 millions d’euros pour 2015, seront étudiés plus en détail dans la deuxième partie du présent avis.
L’action n° 12 « Économie sociale et solidaire » regroupe les crédits destinés à soutenir le développement du secteur de l’économie sociale et solidaire, à renforcer les capacités d’innovation des entreprises de ce secteur et à favoriser l’émergence de nouveaux modèles économiques de développement. Elle est dotée de 4,72 millions d’euros pour 2015, ce qui correspond à une baisse des crédits de 5 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2014, où ils s’élevaient à 4,97 millions d’euros.
Près de 98 % des crédits de l’action (4,61 millions d’euros) sont constitués de dépenses d’intervention destinées à renforcer l’ingénierie déployée par les grands réseaux à l’égard des structures adhérentes, à favoriser la structuration des acteurs tant au niveau national que local et à appuyer les politiques de l’économie sociale et solidaire au niveau territorial. Cette enveloppe est constituée de 3,13 millions d’euros destinés aux organismes nationaux et locaux de l’économie sociale et solidaire, et de 1,44 million d’euros destinés aux chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (CRESS). Si la dotation des CRESS connaît une augmentation de 40 % par rapport à 2014 afin de permettre à ces chambres régionales de remplir les nouvelles missions qui leur ont été confiées par la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, les subventions aux organismes nationaux et locaux connaissent quant à elles une baisse de 18 % par rapport à 2014.
La dotation de l’action n° 12 comprend également des crédits de fonctionnement, d’un montant de 107 000 euros, destinés à couvrir les frais d’animation, de communication et de fonctionnement des correspondants régionaux de l’économie sociale et solidaire.
Alors que la loi du 31 juillet 2014 précitée a pour but de reconnaître et de développer ce secteur, votre rapporteur pour avis s’étonne de la diminution de 5 % des crédits de l’État qui lui sont consacrés. Il s’interroge également sur la légitimité du maintien de cette action au sein du programme 304 et plus généralement dans les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Les crédits consacrés à l’économie sociale et solidaire auraient davantage leur place dans la mission « Économie » du budget de l’État.
Les crédits de l’action n° 13 « Autres expérimentations » s’élèvent à 893 855 euros pour 2015. Ils permettent d’apporter un soutien aux associations têtes de réseau, notamment l’Agence nouvelle des solidarités actives (ANSA), en matière d’expérimentations, de mutualisation et de diffusion des bonnes pratiques en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Ils doivent également favoriser, dans le cadre de la mise en œuvre du Plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, et au travers de l’expérimentation AGILLE (« Améliorer la Gouvernance et développer l’Initiative Locale pour mieux Lutter contre l’Exclusion ») lancée en février 2014, le développement de démarches d’ingénierie sociale au profit des services déconcentrés et décentralisés pour renforcer leur capacité d’appui aux initiatives visant à renforcer le lien social dans les territoires.
Votre rapporteur pour avis regrette que le présent projet de loi de finances propose une diminution de ces crédits de 3,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014, alors même qu’ils ont déjà connu une baisse de 17 % l’année dernière. Il s’estime insuffisamment éclairé sur les têtes de réseaux qui pâtiront de cette diminution de ressources et se demande en outre si l’intitulé de cette action ne gagnerait pas à être clarifié.
L’action n° 14 « Aide alimentaire » se voit attribuer 32,64 millions d’euros de crédits pour 2015, un montant stable par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2014. Or, le Projet annuel de performances pour 2014 estimait le nombre de bénéficiaires à 3,5 millions de personnes tandis que le Projet annuel de performances 2015 l’estime à 4 millions. Il va de soi qu’une augmentation de 12,5 % du nombre de bénéficiaires aurait nécessité une hausse du montant des crédits. Au-delà de la fourniture de denrées aux personnes les plus démunies, l’intervention de l’État permet de faire de l’aide alimentaire un levier d’action pour favoriser l’insertion sociale et professionnelle de personnes très éloignées de l’emploi. Depuis 2014, le financement public de l’aide servie par plusieurs associations nationales et locales repose à la fois sur le fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) et sur des crédits nationaux. La dotation pour 2015 permet de financer la contribution de la France au FEAD, qui s’élève à 12,09 millions d’euros. S’il est éclairant pour le rapporteur de connaître la participation de la France au FEAD, il est dommage que le Projet annuel de performances ne donne pas également le montant des crédits que la France reçoit du FEAD, montant qui permettrait d’avoir une vision plus concrète des moyens dont dispose l’Aide alimentaire.
Dans cette action n° 14, 8,02 millions d’euros sont destinés aux services déconcentrés pour le soutien de la mise en œuvre locale de l’aide alimentaire, et 4,62 millions d’euros reviennent aux associations nationales. Les épiceries sociales, qui ne peuvent pas bénéficier du programme européen compte tenu du principe de gratuité de distribution dans le cadre du FEAD, reçoivent quant à elles 7,91 millions d’euros. Malgré la demande initiale de 15,4 millions d’euros pour les crédits de l’aide alimentaire nationale en loi de finances initiale, les crédits ouverts en 2014 n’ont été que de 4,37 millions d’euros et une ligne budgétaire de 7,75 millions d’euros a été ouverte, dès 2014, pour l’achat de denrées données aux épiceries sociales. Votre rapporteur se félicite du soutien légitime de l’État à ce modèle particulier et nécessaire des épiceries sociales tout en s’interrogeant sur la modestie des crédits accordés à l’aide alimentaire nationale.
L’action n° 15 « Qualification en travail social » bénéficie pour 2015 de 5,55 millions d’euros. Au sein de cette action, les crédits consacrés à l’amélioration de la qualité des formations en travail social s’élèvent à 2 millions d’euros, soit un montant stable par rapport à l’année précédente. À compter de 2015, l’action intègre également, par transfert d’une partie des crédits de l’action n° 13 du programme 124, les dépenses liées au processus de certification professionnelle du travail social, pour un montant de 3,55 millions d’euros. Cette enveloppe comprend l’indemnisation des membres de jury et, s’agissant de la validation des acquis de l’expérience, la gestion administrative des dossiers des candidats.
Face à l’évolution des politiques sociales et aux difficultés accrues d’inclusion sociale d’un grand nombre de personnes, l’adaptation des pratiques des travailleurs sociaux est nécessaire. C’est pourquoi le Gouvernement a décidé de mettre en place des États généraux du travail social, dont les travaux prendront fin en 2015. Ils permettront d’aboutir à une meilleure adéquation des pratiques professionnelles des travailleurs sociaux avec les besoins des usagers.
L’égalité entre les femmes et les hommes constitue une priorité du Gouvernement, qui a souhaité en faire une politique intégrée et transversale, comme en témoignent la création d’un Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ou l’existence d’un tableau de bord interministériel de l’égalité femmes-hommes, qui permet de suivre régulièrement l’évolution des objectifs fixés dans les principaux domaines d’intervention (emploi, lutte contre la violence, parité, etc.). À cet égard, la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, première loi-cadre pour les droits des femmes, représente une véritable avancée.
La priorité donnée à cette politique trouve également sa traduction dans le projet de loi de finances pour 2015, puisque, en dépit d’un contexte budgétaire contraint, le programme 137 voit globalement ses crédits augmenter de 0,56 %, pour atteindre 25,17 millions d’euros.
Il convient de noter que l’ensemble des actions sont conduites dans le cadre de partenariats, les crédits d’intervention du programme ayant un effet levier d’autant plus important qu’ils permettent d’engager des acteurs et des financements non seulement nationaux (ministères, instituts de recherche) mais aussi européens, régionaux, départementaux et locaux, dans une dynamique d’action pour l’égalité réelle. La participation d’entreprises, d’organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) ou de branches professionnelles volontaires, ainsi que la mobilisation des crédits du fonds social européen s’ajoutent aux crédits de l’État.
ÉVOLUTION ET RÉPARTITION PAR ACTION DES CRÉDITS DEMANDÉS POUR 2015
AU TITRE DU PROGRAMME N° 137 « ÉGALITÉ ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES »
(en millions d’euros et en crédits de paiement)
Numéro et intitulé de l’action |
Crédits ouverts en LFI 2014 |
Projet de loi de finances pour 2015 |
Évolution 2015/2014 | |
(en montant) |
(en % des crédits du programme) | |||
11. Égalité entre les femmes et les hommes dans la vie professionnelle, économique, politique et sociale |
2,20 |
1,94 |
7,72 |
– 11,66 |
12. Promotion des droits, prévention et lutte contre les violences sexistes |
14,59 |
15,00 |
59,61 |
+ 2,83 |
13. Soutien du programme Égalité entre les femmes et les hommes |
1,46 |
1,45 |
5,76 |
– 0,24 |
14. Actions de soutien, d’expérimentation en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes |
4,38 |
4,38 |
17,38 |
0,00 |
15. Prévention et lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains |
2,41 |
2,40 |
9,53 |
– 0,54 |
Total des crédits du programme |
25,03 |
25,17 |
100 |
+ 0,56 |
LFI : loi de finances initiale.
Source : tableau réalisé d’après les données présentées dans le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2015.
L’action n° 11 « Égalité entre les femmes et les hommes dans la vie professionnelle » est dotée de 1,94 million d’euros pour 2015, soit une diminution de 0,26 million d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2014. Cette action finance les associations favorisant la progression des trajectoires professionnelles des femmes et permettant d’accroître leur participation à la vie économique, notamment grâce à l’entreprenariat et à l’action des bureaux d’accompagnement individualisé vers l’emploi (BAIE). Elle encourage également des actions d’information et de formation auprès des responsables d’entreprises ou en charge des ressources humaines, afin de les sensibiliser à la promotion des femmes à des postes de responsabilité. À ce sujet, la loi du 4 août 2014 précitée fait un pas supplémentaire en faveur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, puisqu’elle ramène l’obligation de compter 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées de 2018 à 2017. Cette obligation devra en outre être atteinte en 2020 pour les entreprises de 250 à 499 salariés, dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros.
Les crédits inscrits au titre de l’action n° 12 « Promotion des droits, prévention et lutte contre les violences sexistes », d’un montant de 15 millions d’euros pour 2015, sont destinés à des actions de prévention, d’accompagnement et de prise en charge des femmes victimes de violence, mais aussi à favoriser l’information et l’orientation des femmes en matière de santé génésique et d’interruption volontaire de grossesse. La hausse des crédits de 2,83 % par rapport à l’année dernière s’explique notamment par le transfert des crédits antérieurement imputés sur le programme 177 pour financer le déploiement de l’accueil de jour des femmes, prévu dans le cadre du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes (2014-2016). Ce transfert permettra de notifier les crédits plus rapidement aux associations porteuses du dispositif et ainsi de sécuriser les structures en évitant des transferts en gestion. La hausse des crédits découle en outre de l’abondement de l’action n° 12 pour le financement de la plateforme téléphonique « 39.19 – Violences femmes infos », dont les moyens ont été renforcés depuis le 1er janvier 2014.
Les crédits de l’action n° 13 « Soutien du programme égalité entre les femmes et les hommes » s’élèvent pour 2015 à 1,45 million d’euros, un montant stable par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour 2014. Ils permettent de financer les dépenses de fonctionnement courant des délégations régionales aux droits des femmes ainsi que les dépenses liées aux actions de communication.
L’action n° 14 « action de soutien, d’expérimentation en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes » bénéficie de 4,38 millions d’euros de crédits en 2015, un niveau identique, à l’euro près, à l’année précédente. Ces crédits permettent le financement des actions de soutien, d’études, d’expérimentation et d’évaluation destinées à améliorer les dispositifs œuvrant en faveur de l’égalité professionnelle et de la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette action s’articule avec les politiques menées au sein des ministères, mais aussi par les collectivités territoriales et les autres acteurs publics et privés, dans un souci de créer un effet de levier afin d’accroître l’efficacité globale de la politique d’égalité entre les femmes et les hommes.
L’action n° 15 « prévention et lutte contre la prostitution et la traite des êtres humains » est dotée pour 2015 de 2,40 millions d’euros, soit un niveau sensiblement égal aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2014. Ces crédits sont destinés à soutenir les actions conduites par les associations, au niveau national comme au niveau local. Ces actions de prévention et de lutte contre la prostitution s’inscrivent dans le cadre du plan national de lutte contre la traite des êtres humains (2014-2016).
Le programme 124 regroupe l’ensemble des moyens de fonctionnement des administrations du secteur des affaires sociales, de la santé, du sport, de la jeunesse, de la vie associative, ainsi que les dépenses de rémunération des personnels mettant en œuvre les politiques relatives aux droits des femmes et une partie des emplois consacrés à la politique de la ville, du logement et de l’hébergement d’urgence. Il permet de financer, sur le terrain, le fonctionnement des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale et des agences régionales de santé, ainsi qu’une partie de celui des directions départementales interministérielles de la cohésion sociale et de la protection des populations.
Ce programme vise à fournir aux services un appui de qualité dans l’exercice de leurs missions, en termes de ressources humaines, de moyens de fonctionnement, de systèmes d’information, de politique immobilière, de conseil juridique, de documentation, de logistique, ainsi qu’en matière d’études et de recherche, de communication et d’affaires internationales et européennes. Il participe, dans le cadre du plan de modernisation de l’action publique, à l’objectif gouvernemental d’amélioration de la qualité du service public, tout en optimisant le pilotage des moyens, dans une logique d’efficacité.
Le périmètre du programme 124 a évolué. La principale modification correspond au transfert de 7,5 millions d’euros de crédits d’intervention relatifs au processus de délivrance des certifications professionnelles obtenues à l’issue des formations sanitaires et sociales vers les programmes finançant les politiques publiques concernées : le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » et le programme 304 « Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire ». Ce transfert explique que l’action n° 13 du programme ne comprenne plus aucun crédit. Au total, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015, les transferts opérés depuis le programme 124 vers d’autres programmes correspondent à 9,26 millions d’euros de crédits, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, auxquels s’ajoute un solde de cinq équivalents temps plein (ETP), également transférés vers d’autres programmes.
Le programme 124 est doté pour 2015 de 1 493,60 millions d’euros de crédits, ce qui correspond à une baisse de 0,8 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2014. Toutefois, un calcul à périmètre constant ramène cette diminution à 0,2 %.
ÉVOLUTION ET RÉPARTITION PAR ACTION DES CRÉDITS DEMANDÉS POUR 2015
AU TITRE DU PROGRAMME N° 124 « CONDUITE ET SOUTIEN DES POLITIQUES SANITAIRES, SOCIALES, DU SPORT, DE LA JEUNESSE ET DE LA VIE ASSOCIATIVE »
(en millions d’euros et en crédits de paiement)
Numéro et intitulé de l’action |
Crédits ouverts en LFI 2014 |
Projet de loi de finances pour 2015 |
Évolution 2015/2014 | |
(en montant) |
(en % des crédits du programme) | |||
10. Fonctionnement des services |
19,72 |
20,30 |
1,36 |
+ 2,90 |
11. Systèmes d’information |
24,89 |
27,30 |
1,83 |
+ 9,66 |
12. Affaires immobilières |
74,90 |
73,88 |
4,95 |
– 1,36 |
13. Certification des formations |
7,48 |
|||
14. Communication |
6,10 |
5,74 |
0,38 |
– 5,88 |
15. Affaires européennes et internationales |
6,92 |
6,79 |
0,45 |
– 1,96 |
16. Statistiques, études et recherche |
10,57 |
10,11 |
0,68 |
– 4,34 |
17. Financement des agences régionales de santé |
589,60 |
600,00 |
40,17 |
+ 1,76 |
18. Personnels mettant en œuvre les politiques sociales et de la santé |
258,73 |
245,76 |
16,45 |
– 5,01 |
19. Personnels mettant en œuvre les politiques du sport, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative |
295,65 |
298,31 |
19,97 |
+ 0,90 |
20. Personnels mettant en œuvre les politiques pour les droits des femmes |
11,23 |
14,02 |
0,94 |
+ 24,84 |
21. Personnels mettant en œuvre les politiques de la ville, du logement et de l’hébergement |
42,80 |
43,62 |
2,92 |
+ 1,90 |
22. Personnels transversaux de soutien |
134,17 |
125,68 |
8,41 |
– 6,33 |
23. Autres dépenses de personnel |
23,08 |
22,10 |
1,48 |
– 4,25 |
Total des crédits du programme |
1 505,86 |
1 493,60 |
100 |
– 0,81 |
LFI : loi de finances initiale.
Source : tableau réalisé d’après les données présentées dans le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances pour 2015.
Les crédits demandés pour les dépenses de personnel (actions n° 18 à 22) s’élèvent à 727,4 millions d’euros en 2015. Le plafond d’emploi est fixé à 10 305 ETP, soit une diminution de 253 par rapport à 2014. Ces évolutions traduisent l’engagement du Gouvernement en faveur de la maîtrise de l’emploi public. Les non-remplacements s’accompagnent d’efforts de réorganisation interne, de recherche de simplification des procédures et de mutualisation.
Les dépenses de fonctionnement courant participent également à l’effort de maîtrise de la dépense publique. Les crédits de l’action n° 12, « Affaires immobilières » sont en baisse de 1,36 %, la fin des travaux de rénovation de l’immeuble Duquesne, siège des ministères sociaux, ainsi que le regroupement des services situés à Montparnasse sur un site unique, au milieu de l’année 2014, ayant permis de réaliser des économies en termes de loyers et de coûts d’entretien. Les dépenses de communication, qui correspondent à l’action n° 14, enregistrent quant à elles une diminution de 5,88 % de leur montant. Les crédits consacrés aux « affaires européennes et internationales » (action n° 15) et aux « statistiques, études et recherche » (action n° 16) sont également en baisse.
En revanche, les crédits destinés aux « systèmes d’information » (action n° 12) sont en augmentation pour 2015. Des efforts particuliers en termes d’investissement sont en effet consentis pour continuer à renouveler l’infrastructure technique et informatique des ministères, devenue obsolète. Les crédits concourant au « financement des agences régionales de santé » (action n° 17), qui représentent 40 % des crédits du programme, sont également en augmentation, afin de pouvoir doter les agences régionales de santé (ARS) de systèmes d’information adaptés. Il s’agit notamment de permettre aux vingt-six ARS de disposer des outils nécessaires au pilotage des dépenses d’assurance maladie et de tenir compte des priorités sanitaires et sociales issues du projet de loi de santé, qui doit être examiné au Parlement dès la fin de l’année 2014.
Votre rapporteur pour avis a souhaité accompagner l’analyse des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » d’un développement consacré à la protection de l’enfance, l’action n° 17 du programme 304 apportant un soutien à cette politique.
La protection de l’enfance, définie à l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles, désigne les politiques ou les mesures tournées vers les mineurs et les majeurs de moins de 21 ans, tendant à prévenir ou suppléer une défaillance familiale par l’immixtion consentie ou imposée d’un tiers dans l’éducation des enfants. Elle peut être assurée sous une forme administrative ou judiciaire. La protection administrative est placée sous la responsabilité du président du conseil général, qui l’assure par la voie du service de l’aide sociale à l’enfance (ASE). La protection judiciaire est, quant à elle, mise en œuvre par un juge spécialisé, le juge des enfants.
Chiffres clés :
Au 31 décembre 2011, le nombre de jeunes pris en charge par les services de la protection de l’enfance est estimé à environ 296 000, dont :
– 275 000 mineurs, soit 1,9 % de l’ensemble des 0-17 ans ;
– 21 000 jeunes majeurs, soit 0,9 % des 18-20 ans.
Le placement représente :
– pour les mineurs : 48 % des mesures, dont 87 % sur décision judiciaire ;
– pour les jeunes majeurs : 83 % des mesures, dont la quasi-totalité sur décision administrative.
Le milieu ouvert représente :
– pour les mineurs : 52 % des mesures, dont 71 % sur décision judiciaire ;
– pour les jeunes majeurs : 17 % des mesures, dont la quasi-totalité sur décision administrative.
La loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance est venue modifier le dispositif, afin de clarifier les missions des différents acteurs et d’accroître l’efficacité de la politique menée. Si de nombreuses dispositions font aujourd’hui l’objet d’un consensus, comme le renforcement de la prévention, l’amélioration du dispositif d’alerte et de signalement des enfants en danger, ou l’accent mis sur la formation, force est de constater que, plus de sept ans après son entrée en vigueur, certaines dispositions ne sont encore que très partiellement mises en œuvre.
Au cours des dix auditions menées par votre rapporteur pour avis, il est apparu que, faute de gouvernance et de pilotage au niveau national, la coordination des acteurs restait limitée. De nombreuses personnes auditionnées ont également questionné la place accordée aux droits de l’enfant, souvent jugée insuffisante par rapport à celle des droits des parents.
Alors que les moyens consacrés à la protection de l’enfance sont conséquents – près de 7,5 milliards d’euros par an –, c’est surtout grâce à une volonté politique forte que le dispositif de protection de l’enfance pourra être amélioré. La proposition de loi relative à la protection de l’enfance, présentée par Mmes Michelle Meunier et Muguette Dini et déposée au Sénat le 25 septembre 2014, atteste de cette volonté, tout comme l’annonce faite par Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la famille, de lancer dans les prochains mois une grande concertation avec les professionnels de la politique de protection de l’enfance. La décision du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP), en avril 2013, de lancer une évaluation de la gouvernance de la protection de l’enfance témoigne également de l’engagement du Gouvernement d’améliorer l’efficacité de ce dispositif.
A. LES FAILLES DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE : UN MANQUE DE COORDINATION ENTRE LES ACTEURS ET DES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES QUI NE SONT PAS TOUJOURS APPLIQUÉES
• Le rôle clé du conseil général
Le département est responsable de la protection administrative, sous le terme d’aide sociale à l’enfance, mais également de la mise en œuvre des mesures de protection judiciaire. Le rôle majeur du conseil général, principalement issu des grandes lois de décentralisation et plus particulièrement de celle du 6 janvier 1986, a été accentué par la loi du 5 mars 2007 précitée, qui a confié au président du conseil général un rôle de chef de file, l’intervention judiciaire n’étant prévue qu’à titre subsidiaire. L’assemblée départementale est garante de la continuité et de la cohérence des actions menées auprès de l’enfant et de sa famille. Elle est chargée du recueil, du traitement et de l’évaluation des informations préoccupantes relatives à des enfants en danger ou en risque de l’être. Avant la mise en place de toute mesure de protection, le service départemental de l’aide sociale à l’enfance est en outre chargé de l’élaboration, en partenariat avec les parents, d’un Projet pour l’enfant (PPE). La loi de 2007 a également prévu qu’un observatoire départemental de la protection de l’enfance (ODPE), placé sous l’autorité du président du conseil général, soit créé dans chaque département.
Le rôle clé des conseils généraux s’observe également dans le financement de la politique de protection de l’enfance, puisqu’ils prennent en charge l’ensemble des mesures qu’ils décident, mais également la majorité des mesures prises par le juge. Avec 7,1 milliards d’euros de dépenses brutes en 2012, l’aide sociale à l’enfance constitue le troisième poste de dépenses d’aide sociale des départements, après le revenu de solidarité active (RSA) et l’aide sociale aux personnes âgées (ASPA).
• La place réduite de l’État
La contribution directe des services de l’État à la mise en œuvre des mesures de protection de l’enfance est aujourd’hui limitée. La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est chargée de l’exécution ou du financement des mesures d’investigation et de la délivrance des habilitations aux établissements accueillant les mineurs placés directement par le juge. Elle assure également l’exécution d’une partie de plus en plus limitée des mesures d’assistance éducative. Les dépenses relatives à la protection judiciaire de la jeunesse sont retracées dans le programme 182 de la mission « Justice » du budget de l’État.
L’État participe en outre au financement du groupement d’intérêt public « Enfance en danger » (GIPED), constitué de deux entités, le Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (SNATED) et, depuis 2004, l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), dont les missions sont définies à l’article L. 226-6 du code de l’action sociale et des familles.
Le SNATED propose un service d’écoute, d’orientation et d’information sur l’enfance en danger accessible gratuitement, 24 heures sur 24, grâce au numéro d’urgence 119. Il transmet, le cas échéant, les informations préoccupantes aux cellules départementales de recueil des informations préoccupantes (CRIP) ou informe directement le Procureur de la République en cas d’urgence. L’ONED est quant à lui chargé d’améliorer la connaissance du champ de l’enfance en danger à travers le recueil et l’analyse des données chiffrées et la mise en place d’études et de recherches sur le sujet.
Le financement du GIPED est assuré à parité par l’État et les départements. L’action n° 17 du programme 304 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » retrace les crédits de l’État, qui s’élèvent à 2,4 millions d’euros pour 2015, un montant stable par rapport aux deux années précédentes.
L’action n° 17 contribue également au financement des têtes de réseau des associations œuvrant en faveur de la protection de l’enfance, dont le rôle majeur doit être souligné.
• L’importance des associations
La majeure partie des structures de prise en charge des enfants en danger est gérée par des associations. Celles-ci interviennent à la fois auprès de mineurs confiés directement par le juge des enfants pour l’exécution d’une mesure d’assistance éducative et auprès des mineurs confiés par le service d’aide sociale à l’enfance du conseil général, qui leur délègue la mise en œuvre d’une décision judiciaire ou d’une mesure de protection administrative.
Les subventions accordées par l’État, regroupées au sein de l’action n° 17 du programme 304, participent au financement des têtes de réseau des associations qui œuvrent dans le domaine de la protection des enfants et des familles. Les principaux financements accordés au niveau national sont destinés, pour l’année 2015, à la Coordination nationale des associations de protection de l’enfance (CNAPE), qui reçoit 40 000 euros, à la Fédération nationale des associations départementales des personnes accueillies en protection de l’enfance (FNADEPAPE), également dotée de 40 000 euros, et à ATD Quart-monde, qui bénéficie de 24 000 euros. Si la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a souligné que le partenariat avec ces associations était souvent très fructueux, grâce notamment à leur participation à des groupes de travail et à la qualité de leur expertise, elle reconnaît aussi que les crédits consacrés aux associations nationales intervenant auprès des enfants maltraités connaissent une diminution depuis 2010.
En dépit de leur rôle central dans le dispositif de protection de l’enfance, les associations auditionnées par votre rapporteur pour avis lui ont indiqué qu’elles ne bénéficiaient pas - ou très peu - de crédits provenant du budget de l’État. Ainsi, SOS Village d’enfants ne reçoit aucun crédit de l’État. Le budget de La Voix de l’enfant est composé de 2 à 3 % de subventions publiques, provenant à la fois des ministères, des conseils régionaux et d’un cofinancement européen. L’association L’Enfant bleu a quant à elle pu bénéficier en 2014 d’une subvention exceptionnelle accordée par le Secrétariat d’État chargé de la famille, mais n’a reçu aucun crédit provenant de l’État en 2012 et en 2013. Enfance et partage, en raison de ses actions de prévention en milieu scolaire, reçoit une subvention modeste du ministère de l’Éducation nationale. Les associations reçues par votre rapporteur dépendent ainsi de plus en plus du mécénat et de la générosité du grand public, alors même qu’elles remplissent une mission de service public.
La politique de protection de l’enfance est fortement décentralisée et fait intervenir un nombre important d’acteurs. Il en résulte, inévitablement, une grande diversité de pratiques, au point que l’on puisse parler de l’existence de « 101 politiques de protection de l’enfance », c’est-à-dire autant que de départements. Cette diversité menace l’égalité de traitement des enfants sur l’ensemble du territoire.
Les départements disposent déjà d’un certain nombre d’outils destinés à favoriser une politique de protection de l’enfance homogène. Il existe ainsi cinq guides pratiques ministériels destinés à accompagner la mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007, des documents types ou encore des recommandations de bonnes pratiques réalisées par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) (2). Ces documents restent néanmoins insuffisants pour harmoniser les pratiques : l’ensemble des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis, y compris l’Association des départements de France (ADF), s’accordent sur la nécessité de renforcer le pilotage national de la politique de protection de l’enfance.
À cet égard, votre rapporteur pour avis s’associe pleinement à la proposition de Mmes les sénatrices Muguette Dini et Michelle Meunier, formulée dans leur rapport d’information sur la protection de l’enfance de juin 2014, et reprise à l’article 1er de leur proposition de loi évoquée ci-dessus de mettre en place un Conseil national de la protection de l’enfance, afin de donner une réelle impulsion nationale à cette politique et de renforcer le rôle de l’État en matière de pilotage, d’animation et de régulation. Instance partenariale réunissant l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance, ce Conseil aurait pour missions de proposer au Gouvernement les grandes orientations nationales de la politique de protection de l’enfance, de formuler des avis et d’évaluer la mise en œuvre des orientations retenues.
Le groupement d’intérêt public « Enfance en danger » (GIPED) souhaiterait occuper une place prépondérante au sein de cette nouvelle structure. En effet, il constitue déjà, au travers de ses trois collèges (État, départements, associations nationales de protection de l’enfance), un espace de réflexion, d’élaboration et de concertation pluri-institutionnel et pluridisciplinaire, impliquant décideurs publics et partenaires associatifs. En son sein, l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) apporte déjà un appui aux départements, notamment dans la mise en place et le fonctionnement des observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE). Ses travaux ont en outre contribué à la mise en œuvre du décret n° 2011-222 du 28 février 2011 organisant la transmission d’informations sous forme anonyme aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance et à l’Observatoire national de l’enfance en danger, grâce à la classification des variables en quatre groupes ayant permis la remontée de quelques indicateurs départementaux.
Afin de favoriser la collaboration entre les différents acteurs de la protection de l’enfance au niveau d’un territoire, la loi du 5 mars 2007 a prévu la création, dans chaque département, d’un observatoire départemental de la protection de l’enfance (ODPE), qui comprend notamment des représentants des services du conseil général, de l’État, de l’autorité judiciaire, des associations ainsi que de tout service ou établissement qui participe à la protection de l’enfance. Pourtant, plus de sept ans après l’adoption de la loi, les ODPE n’ont que peu contribué au développement de partenariats entre les acteurs. Tous les départements n’ont pas mis en place une telle structure et, lorsqu’ils existent, les ODPE se caractérisent par une grande hétérogénéité.
C’est pourquoi, malgré quelques avancées locales, le constat demeure d’une coopération insuffisante entre les acteurs et surtout d’un cloisonnement encore très fort entre les différents secteurs d’intervention. Pourtant, l’articulation entre les différentes politiques publiques est particulièrement indispensable en matière de protection de l’enfance. Ainsi, plus de 20 % des enfants pris en charge par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) relèvent aussi de l’aide sociale à l’enfance. Les partenariats du conseil général avec les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP), mais également avec les agences régionales de santé (ARS) et les services de pédopsychiatrie ou de lutte contre les addictions doivent être renforcés.
La nécessité d’une politique intégrée est d’autant plus cruciale que les conséquences du cloisonnement des politiques peuvent, lorsqu’il s’agit d’enfants en danger, entraîner des conséquences tragiques. Ainsi, le rapport confié à M. Alain Grévot par le Défenseur des droits sur l’affaire Marina (3), décédée en 2009 à l’âge de huit ans à la suite d’actes de maltraitance, dénonce les « « angles morts » du dispositif de protection de l’enfance ayant fait que Marina ne fût jamais considérée comme étant au moins « en danger » ». Il note en particulier que « le formalisme excessif et la rigidité de l’articulation entre la Justice, le Conseil général, l’Éducation nationale et le secteur de la Santé publique a totalement bridé la prise en compte des doutes et intuitions sur la vie réelle de Marina venant de celles et ceux qui connurent l’enfant au quotidien. Ce n’est donc pas à une réécriture des textes légaux que ces constats nous invitent, mais à une clarification de leurs « espaces incertains » et surtout à une fluidité permanente des échanges entre institutions […] ».
Afin de mieux articuler la politique de protection de l’enfance avec les autres politiques publiques (santé, éducation, logement, etc.), votre rapporteur pour avis est favorable à la mise en place de structures de dialogue et de concertation entre tous les acteurs amenés à être en contact avec des enfants maltraités. Cet outil de gouvernance locale pourrait fonctionner sur le même modèle que les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) qui réunissent de manière régulière l’ensemble des acteurs prenant part à l’application des politiques de sécurité et de prévention de la délinquance.
2. Les limites de la loi du 5 mars 2007 : une application encore incomplète et un équilibre entre parents et enfants qui pose question
Les principales dispositions de la loi du 5 mars 2007 :
• La clarification des missions de la protection de l’enfance : une nouvelle articulation des modalités d’intervention donne la priorité à la protection sociale, la protection judiciaire n’intervenant qu’à titre subsidiaire.
• La prise en compte de l’intérêt de l’enfant et la place accordée aux parents : Les interventions dans l’intérêt de l’enfant sont régies par les principes suivants : l’individualisation de la prise en charge, avec l’obligation d’établir un « projet pour l’enfant » (PPE) ; la continuité et la cohérence de ces actions ; la stabilité affective. L’information des parents est améliorée et les règles applicables au droit de visite et d’hébergement ainsi qu’aux modalités d’exercice de l’autorité parentale sont aménagées.
• Le rôle pivot du conseil général : La loi donne au conseil général une responsabilité essentielle dans l’organisation et le pilotage de la protection de l’enfance.
• Le renforcement de la prévention : La loi rend obligatoire l’entretien psychosocial au cours du quatrième mois de grossesse ; un bilan de santé pour tous les enfants de trois à quatre ans, notamment dans le cadre de l’école maternelle, est institué. Trois nouvelles visites médicales, au cours de la neuvième, douzième et quinzième année sont mises en place.
• L’amélioration du dispositif d’alerte, de signalement et d’évaluation : La réorganisation du dispositif d’alerte et de signalement prend appui sur la création, dans chaque département, d’une cellule chargée du recueil, du traitement et de l’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou en risque de l’être (CRIP). Les informations préoccupantes collectées sont transmises sous forme anonyme aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance, créés par la loi, (ODPE) et à l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED).
• L’effort de formation des personnels concernés : L’obligation de formation, initiale et continue, concerne l’ensemble des professionnels susceptibles de connaître des situations d’enfants en danger.
• La diversification des modes d’intervention : La loi introduit de nouvelles formules d’accueil et d’intervention, permettant de sortir de l’alternative aide à domicile/placement de l’enfant
• Le retard important pris dans la collecte des données et la remontée d’informations
La difficulté à évaluer la loi du 5 mars 2007 tient d’abord à l’insuffisance du dispositif d’observation de la population des enfants, due notamment à l’absence de nomenclatures communes et d’outils informatiques partagés entre les départements. Le GIPED, lors de son audition, a fait part de deux types de difficultés. La première est liée au recueil, au traitement et à l’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger dont le département a la charge. En effet, la loi de 2007 ne proposait pas de définition de l’information préoccupante, qui a dès lors fait l’objet d’interprétations diverses selon les départements. Le décret n° 2013-994 du 7 novembre 2013 définissant l’information préoccupante devrait néanmoins permettre une plus grande homogénéité des données recueillies entre les départements, et donc une meilleure connaissance, au niveau national, de la population des enfants maltraités. La deuxième difficulté, selon le GIPED, tient à la diversité des logiciels utilisés et des modes d’organisation des départements pour la transmission et le traitement des informations préoccupantes, en raison de cultures politiques et administratives variables selon les territoires.
Afin d’améliorer le dispositif de remontée des données, l’ONED a procédé à un classement des variables définies dans le décret du 28 février 2011 précité. Celles-ci sont désormais catégorisées en quatre groupes. Les données du groupe 1 regroupent les informations les plus simples à transmettre. L’ONED a ainsi pu commencer à collecter, à partir de 2014, les données appartenant à ce premier groupe. À ce jour, seulement seize départements lui ont transmis leurs données, ce qui constitue une première avancée, timide et tardive.
• La politique de prévention n’est pas à la hauteur de ses enjeux
La loi du 5 mars 2007 a souhaité mettre l’accent sur la prévention, qui repose sur la protection maternelle et infantile (PMI) et sur la médecine scolaire. Elle rend obligatoire l’entretien psychosocial au cours du quatrième mois de grossesse et prévoit des actions d’accompagnement à domicile de la femme enceinte, ainsi que des actions médico-sociales et de suivi en période post-natale. La loi renforce également le suivi médical des enfants, grâce à l’instauration d’un bilan de santé pour tous les enfants de trois à quatre ans et par la mise en place, en plus de la visite médicale déjà prévue pour les enfants au cours de leur sixième année, de trois nouvelles visites médicales au cours des neuvièmes, douzième et quinzième années de l’enfant comme cela est rappelé dans l’encadré ci-dessus.
La priorité accordée au volet « prévention » de la protection de l’enfance est d’autant plus justifiée que, selon les médecins auditionnés par votre rapporteur pour avis, les cas de négligence des nourrissons et des très jeunes enfants ont des conséquences importantes et à long terme chez les personnes qui en ont été victimes.
Pourtant, les dispositions de la loi de 2007 relatives à la prévention n’ont pas été véritablement suivies d’effets. Les services de protection maternelle et infantile (PMI), dépassés par leur charge de travail, peinent à remplir le rôle qui leur a été confié par la loi. Les entretiens au quatrième mois de grossesse ne sont pas mis en place sur l’ensemble du territoire. De même, faute de moyens, les visites médicales obligatoires à l’école primaire et au collège n’ont pas été systématiquement mises en œuvre.
• Les objectifs de formation prévus par la loi ne sont pas atteints
La loi de 2007 prévoit une obligation de formation, initiale et continue, de l’ensemble des professionnels susceptibles de connaître des situations d’enfants en danger (médecins, personnels médicaux et paramédicaux, travailleurs sociaux, enseignants, policiers, etc.). Une formation spécifique des cadres territoriaux qui, par délégation du président du conseil général, prennent des décisions relatives à l’enfance en danger est également prévue.
Là encore, les personnes auditionnées par votre rapporteur ont indiqué que ces formations étaient loin d’être toujours mises en œuvre. Un effort supplémentaire paraît donc indispensable pour développer tant la formation initiale que la formation continue.
Par ailleurs, les formations communes à tous les professionnels concourant à la protection de l’enfance sont quasiment inexistantes. Elles seraient pourtant de nature à clarifier et à harmoniser les procédures, à favoriser la cohérence des réponses et à faciliter la coordination entre les acteurs.
• Le Projet pour l’enfant (PPE) est trop peu mis en place
Avant la mise en place de toute mesure de protection, la loi impose au service départemental de l’aide sociale à l’enfance d’élaborer un document intitulé Projet pour l’enfant (PPE) précisant les actions qui seront menées auprès de l’enfant, de ses parents et de son environnement, le rôle des parents, les objectifs visés et les délais de leur mise en œuvre, ainsi que l’institution et la personne chargées d’assurer la cohérence et la continuité des interventions.
Ce document, indispensable à la cohérence et à la continuité du parcours de l’enfant, n’est pas encore élaboré dans tous les départements. Lorsqu’il existe, il prend des formes très variées, plus ou moins abouties selon les départements.
b. Des interrogations sur la place accordée à l’intérêt de l’enfant par rapport aux droits des parents
La loi du 5 mars 2007 s’est donnée pour objectif de trouver un équilibre entre la protection due à l’enfant et la place accordée aux parents. Elle fait ainsi référence à la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, qui fait de « l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins et le respect de ses droits » l’une des priorités de la protection de l’enfance. En même temps, la réforme de 2007 conforte la place des parents dans le dispositif : ceux-ci sont informés au moment du signalement ainsi que lors de la prise en charge de l’enfant, leur participation aux décisions les concernant est renforcée et ils sont associés à l’élaboration du Projet pour l’enfant.
De nombreuses personnes auditionnées ont souligné que le système français restait marqué par une idéologie familialiste, qui privilégie le maintien du lien avec les parents biologiques. Cette conception, qui s’exprime à la fois à travers les pratiques des professionnels, notamment les juges pour enfants et les travailleurs sociaux, constitue, selon certains professionnels, un véritable dogme qu’il est difficile de remettre en cause. Le rapport sur l’adoption présenté par Jean-Marie Colombani en 2008 montre que cette conception est propre à la France. L’auteur note ainsi que « Alain Grevot (in Voyage au sein de la protection de l’enfance, 2001), portant un regard croisé sur les systèmes de protection de l’enfance en vigueur dans certains pays européens, souligne l’importance primordiale accordée en France à la famille naturelle et à la filiation. L’enfant y est avant tout considéré comme un « membre du groupe familial » alors qu’en Angleterre, par exemple, il est perçu comme « un individu dont l’intérêt peut entrer plus radicalement en contradiction avec celui de ses parents ». En conséquence, « les professionnels français se réfèrent plus que leurs homologues européens à la question de la préservation des droits et des devoirs des parents et de l’autorité parentale dans les stratégies de suppléance familiale ». À l’inverse, en Allemagne, « on évoque plutôt la réalisation de conditions objectives permettant un retour à l’autonomie des familles... ; en Grande-Bretagne, les pratiques accordent une place majeure à la recherche d’un cadre de vie stable pour l’enfant si la suppléance dépasse quelques mois ». « C’est bien le lien qui constitue le cœur des préoccupations françaises. » ».
La législation relative aux déclarations d’abandon témoigne du primat accordé aux liens biologiques. En France, l’article 350 du code civil prévoit que les demandes de déclaration d’abandon ne peuvent être transmises au tribunal qu’à l’expiration d’un délai d’un an, dès lors que les parents se sont manifestement désintéressés de l’enfant. En Italie et au Canada, ce délai est de six mois. À ce délai d’un an s’ajoute la durée de la procédure judiciaire, qui peut prendre jusqu’à deux ans. Or, ces délais de traitement, s’ils paraissent raisonnables d’un seul point de vue de gestion, se révèlent inadaptés lorsqu’ils sont replacés dans la perspective d’un projet de vie pour l’enfant.
Dans la mesure où il ne peut y avoir de symétrie entre les enfants et les parents, les enfants étant bien entendu plus vulnérables que les parents, le droit québécois a choisi de donner préséance à l’intérêt de l’enfant sur celui des parents. La loi française, en cherchant à trouver un équilibre entre droits des parents et droits de l’enfant, ne place pas l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur du dispositif de protection de l’enfance.
La nécessité d’agir le plus en amont possible de la dégradation des situations familiales justifie de renforcer le dispositif de prévention. Pour cela, la protection maternelle et infantile et la santé scolaire doivent bénéficier de moyens suffisants pour leur permettre de remplir le rôle que la loi de 2007 leur a confié. Il est en effet indispensable que les entretiens prévus lors du quatrième mois de grossesse puissent être réalisés. Lorsqu’ils existent, ils permettent de détecter de possibles défaillances et d’assurer une prise en charge précoce des enfants.
L’école constitue également un lieu de prévention. La médecine scolaire doit se voir attribuer des moyens suffisants afin que les visites médicales prévues par la loi lors de la sixième, de la neuvième, de la douzième et de la quinzième année, au cours desquelles un bilan de l’état de santé physique et psychologique de l’enfant est réalisé, puissent être effectuées.
À côté de ces visites médicales périodiques, certaines associations mènent des actions de prévention dans les établissements scolaires. L’association L’Enfant Bleu propose ainsi des temps de prévention de la maltraitance en milieu scolaire, adaptés aux âges des enfants et des adolescents rencontrés. Le programme de prévention de l’association se déroule en trois temps : une séance d’information auprès de l’équipe scolaire, une séance de présentation du programme et d’échanges avec les parents, et enfin trois séances de prévention auprès des enfants de l’école primaire et deux séances de prévention dans le secondaire. L’équipe d’intervention est constituée d’un ou deux psychologues et d’un animateur. Ce type d’action, qui répond aux attentes des différents publics concernés, mérite d’être encouragé.
La détection des situations de maltraitance intervient à un premier niveau grâce au numéro d’urgence 119, géré par le Service national de l’enfance en danger (SNATED). En 2013, le SNATED a reçu 822 997 appels entrants. Parmi eux, 59,6 % des appels ont été décrochés par le service de pré-accueil et seuls 33 100 appels ont été transférés et traités par les « écoutants ». Parmi les appels traités, 22 257 appels ont donné lieu à une aide immédiate et 12 843 appels ont fait l’objet d’une transmission d’information préoccupante aux conseils généraux. Dans 60 % des cas, les enfants dont la situation est signalée aux départements n’étaient pas connus pour des faits de maltraitance.
Dans son rapport public annuel de 2014, portant sur les données de 2012, la Cour des comptes s’est alarmée du faible taux de réponses et de traitement des appels concernant le ratio d’appels décrochés sur les appels reçus, elle note que « si l’on peut comprendre que certains appelants, dans un contexte d’émotion, n’aillent pas au bout de leur démarche et raccrochent prématurément, la question se pose de l’adaptation du message d’accueil – à la fois dans son contenu et sa longueur – à l’état d’esprit des appelants et de son caractère potentiellement dissuasif ». La Cour ajoute, au sujet du très faible nombre d’appels traités, que « comme tout numéro d’appel gratuit sur un sujet de société très sensible, il n’est pas anormal que beaucoup d’appels reçus soient hors missions du SNATED. Pourtant, la proportion de ces appels inadéquats dans le total des appels reçus, évalués à 4 sur 5 par le GIPED, apparaît singulièrement élevée ».
Ces critiques sont à relativiser dans la mesure où les dernières données internationales recueillies par le réseau Child Helpline International (CHI), auquel le SNATED adhère depuis 2008, montrent que, sur l’ensemble des appels entrants dans le monde, un appel sur trois est décroché en décembre 2013. Dans sa réponse à la Cour des comptes, le GIPED précise en outre qu’en Italie, « le service semi-public en fonction depuis 26 ans et particulièrement reconnu au niveau européen pour son expertise, décroche quant à lui moins d’un appel sur 10 ».
Par ailleurs, la loi du 5 mars 2007 a permis d’améliorer la détection des situations de maltraitance grâce à la mise en place de cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) dans tous les départements. Le rapport sur la mise en place de ces cellules, remis au Parlement par le Gouvernement en juillet 2013, montre que la mise en place des CRIP est aujourd’hui généralisée. Une enquête menée par l’ONED en 2011 avait néanmoins fait état de la grande diversité d’organisation des CRIP et repéré cinq modèles différents, allant du plus centralisé au plus déconcentré. Or, comme le notait la Cour des comptes dès 2009 (4), « le choix d’une forte déconcentration peut contribuer à limiter les délais entre l’identification d’une situation de danger et la prise de décision. Il peut cependant conduire à d’importantes différences de pratiques au sein même du département, si l’autonomie des services décisionnaires n’est pas encadrée par des directives précises ». C’est pourquoi Mmes les sénatrices Muguette Dini et Michelle Meunier proposent avec raison d’encadrer strictement la procédure de prise de décision concernant les informations préoccupantes lorsque celle-ci relève des services déconcentrés de la CRIP.
Pour pouvoir se reconstruire, les enfants victimes de maltraitance ont besoin de grandir dans un cadre stable et sécurisant. Or, la prise en charge de ces enfants est marquée par des changements fréquents de familles d’accueil ou d’établissements. La sécurisation des parcours reste donc une priorité de la protection de l’enfance.
À cet égard, la mise en place d’un Projet pour l’enfant (PPE) précisant les actions qui seront menées auprès de l’enfant, ainsi que l’institution et la personne chargées d’assurer la cohérence et la continuité des interventions, apporte une visibilité sur le parcours de l’enfant et, grâce à une approche en termes de projet de vie, permet d’éviter les situations de rupture. Or, comme nous l’avons vu, tous les départements n’élaborent pas de Projet pour l’enfant et, lorsqu’un tel document existe, il prend des formes très variées selon les départements. C’est pourquoi, comme le préconisent Mmes Muguette Dini et Michelle Meunier dans leur rapport précité, il convient d’encourager tous les départements à élaborer, d’ici fin 2015, un « PPE-type » applicable à l’ensemble des mesures de protection.
En outre, lorsque l’enfant doit être séparé de ses parents, certaines structures d’accueil se révèlent plus adaptées. Ainsi, l’association SOS Village d’enfants accueille les enfants par fratrie pour une durée de plusieurs années au sein d’ « une maison familiale ». Les maisons familiales, dans lesquelles l’enfant peut construire ses repères, accueillent au maximum six enfants. Le village d’enfants constitue une unité géographique, intégrée à une zone d’habitation, composée de dix à douze maisons familiales et souvent d’un espace de jeux extérieur pour les enfants. S’y ajoute la maison commune, lieu de travail de l’équipe pluridisciplinaire et espace de loisirs et d’apprentissage pour les enfants. Ces maisons sont intégrées dans l’environnement pour éviter la stigmatisation, tout en étant proches les unes des autres pour faciliter le travail avec l’équipe psycho-éducative et administrative. Chaque enfant a une éducatrice dédiée, identique pendant plusieurs années, ce qui l’aide à se reconstruire. Plusieurs personnes auditionnées ont souligné l’intérêt de ce type de structure, à même de procurer de la stabilité aux enfants qu’elle accueille.
Afin d’éviter les ruptures de parcours, des structures souples, proposant une prise en charge à plusieurs niveaux, peuvent dans certains cas être privilégiées. En effet, les enfants de l’aide sociale à l’enfance doivent parfois avoir recours à différents intervenants. Dans certains cas, les unités d’accueil médico judiciaire (UMJ) se révèlent particulièrement adaptées. Elles assurent un accueil spécifique des victimes d’infractions pénales en conjuguant les nécessités d’enquête et d’instruction judiciaire avec l’accompagnement médical, psychologique et social des victimes assuré par des professionnels pluridisciplinaires. Comme l’a indiqué le Défenseur des droits lors de son audition, ces structures présentent l’avantage de constituer un lieu unique et sécurisant proposant une prise en charge globale de l’enfant. Les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) constituent également une structure souple, privilégiant une approche interdisciplinaire à visée soignante et une prise en charge personnalisée, permettant ainsi d’éviter que les jeunes soient déplacés d’une structure à l’autre, sans continuité dans la prise en charge.
La construction d’un véritable projet de vie pour l’enfant suppose également, lorsque le retour dans le milieu familial n’est pas possible, de pouvoir trouver des solutions d’accueil qui apportent à l’enfant une stabilité affective durable, indispensable à son épanouissement personnel. Dans les cas où la rupture définitive avec la famille est nécessaire, il serait pertinent de raccourcir les délais pour constater le délaissement parental, afin d’offrir le plus rapidement possible un autre environnement familial à l’enfant. Mmes Muguette Dini et Michelle Meunier proposent ainsi de réduire ce délai, actuellement d’un an, à six mois. Elles souhaitent également réformer l’adoption simple, définie à l’article 370 du code civil, afin de lever certains freins juridiques à son développement. Votre rapporteur est favorable à ces deux mesures inscrites dans la proposition de loi déposée au Sénat.
La Cour des comptes, dans son rapport de 2009 sur la protection de l’enfance précité, dénonçait le manque de contrôle des établissements en des termes sévères : « six milliards d’euros sont dépensés chaque année de façon empirique, sans que l’on cherche à contrôler les acteurs de la protection de l’enfance, ni à connaître l’efficacité de ces interventions. Les contrôles n’interviennent que lorsqu’un scandale ou une carence grave y oblige. Les juridictions financières proposent un changement d’attitude. L’exécution de décisions de justice, l’éducation de jeunes confiés à des tiers, le soutien à des familles en grande difficulté ne peuvent rester sans contrôle, sauf à s’en remettre aveuglément à la qualité des structures et de leurs agents. Il est donc indispensable que les divers services investis de pouvoirs de contrôle établissent un plan d’action commun ».
La loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale a instauré deux types d’évaluations des établissements et services médico-sociaux (ESMS) : une évaluation interne tous les cinq ans et une évaluation par un organisme externe tous les sept ans. Or, selon Alexandra Riguet et Bernard Laine, auteurs du livre Enfants en souffrance, la honte paru en septembre 2014, ces contrôles ne sont que rarement effectués.
Le contrôle des assistants familiaux intervient quant à lui au moment de la procédure d’agrément, délivré par le conseil général pour une période de cinq ans. Le président du conseil général peut décider la suspension, le retrait, la restriction ou le non-renouvellement de l’agrément. Pour autant, comme le note la Cour des comptes, « la loi n’emploie pas le terme de contrôle en ce qui concerne les assistants familiaux, ce qui laisse la réglementation incertaine et peu précise ».
Il semblerait, comme l’ont souligné plusieurs personnes auditionnées, qu’il n’existe pas de véritable « culture du contrôle » dans le secteur de la protection de l’enfance, où le rôle des associations est particulièrement important.
Afin d’encourager les démarches locales de contrôle interne, l’Assemblée des départements de France (ADF) a prévu de mettre à la disposition des conseils généraux un guide d’autodiagnostic, en ligne et gratuit, élaboré avec l’aide de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS). Ce guide, qui repose sur 300 questions permettant à la collectivité d’identifier ses points forts, ses points faibles et ses prises de risques, a été testé dans seize départements. En outre, un guide de contrôle et d’inspection sur les établissements et services de la protection de l’enfance, conçu par l’IGAS en collaboration avec l’ADF, doit être prochainement publié. Ces outils constitueront une première réponse à la faiblesse actuelle des contrôles des établissements.
Le suivi des enfants au sein des structures d’accueil, mais aussi au moment de leur sortie du dispositif de protection de l’enfance, est également insuffisant. Certes, la loi de 2007 oblige le service d’aide sociale à l’enfance à élaborer au moins une fois par an un rapport sur la situation de tout enfant accueilli ou faisant l’objet d’une mesure éducative et à le transmettre à l’autorité judiciaire, mais ce rapport n’aborde pas toujours la question du projet de vie de l’enfant et de son avenir. L’évaluation de l’état de l’enfant est pourtant d’autant plus indispensable que de nombreuses études ont montré que les enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance rencontraient, plus souvent que les autres, des difficultés scolaires, des problèmes d’ordre médicaux ou d’insertion sociale.
Votre rapporteur pour avis ne s’est pas attaché à examiner la question particulière des mineurs étrangers isolés mais la décision du Défenseur des Droits n° MDE-2014-127 du 29 août 2014, tant attendue par les associations œuvrant dans ce domaine, doit alerter le Gouvernement sur la nécessité de mieux encadrer la prise en charge de ces enfants.
TRAVAUX DE LA COMMISSION
EXAMEN DES CRÉDITS
À l’issue de l’audition, en commission élargie, le mardi 28 octobre 2014, de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et de Mmes Laurence Rossignol, Ségolène Neuville et Pascale Boistard, secrétaires d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, respectivement chargées de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, et des droits des femmes (5), la Commission des affaires sociales examine, pour avis, les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sur les rapports de M. Christophe Sirugue (Solidarité) et de Mme Annie Le Houérou (Handicap et dépendance).
La commission est saisie de l’amendement AS12 de M. Christophe Cavard sur l’article 32.
M. Christophe Cavard. Comme je l’ai évoqué durant la réunion de la commission élargie, mon amendement concerne l’action n° 12 « Économie sociale et solidaire » du programme 304 « Inclusion sociale, protection des personnes et économie sociale et solidaire ».
Nous avons voté, en juillet dernier, une loi-cadre consacrée à l’économie sociale et solidaire. Or, les crédits de l’action n° 12, qui s’élèvent à 4,7 millions d’euros, sont en baisse. Il existe pourtant des besoins de financement évidents, notamment pour encourager un certain nombre de projets menés dans le cadre des pôles territoriaux de coopération économique. La loi confie en outre de nouvelles responsabilités aux chambres régionales de l’économie sociale et solidaire et créée une chambre française de l’économie sociale et solidaire. Le budget proposé n’est pas à la hauteur des enjeux et ne permet pas de couvrir ces besoins nouveaux.
Par ailleurs, le rattachement de l’économie sociale et solidaire à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » n’est pas judicieux. Afin d’apporter un financement supplémentaire de 15 millions d’euros à ce secteur, l’amendement propose de prélever cette somme sur le programme 124 « conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative », même si les crédits de ce programme sont par ailleurs utiles pour financer d’autres actions. Cet amendement a néanmoins le mérite de souligner que les crédits consacrés à l’économie sociale et solidaire devraient être rattachés à la mission « Économie ».
M. Christophe Sirugue, rapporteur pour avis. Je vous remercie. Je vais émettre un avis négatif, en raison du choix des lignes budgétaires qu’il est proposé de modifier. Je tiens tout d’abord à préciser que je partage l’avis de notre collègue Christophe Cavard : les crédits relatifs à l’économie sociale et solidaire devraient être inscrits dans la mission qui correspond aux enjeux économiques, plutôt que dans la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Il serait en effet souhaitable de resituer l’économie sociale et solidaire non pas dans des problématiques exclusivement liées aux personnes en situation de fragilité, mais dans une forme d’économie qui doit être soutenue.
Ensuite, il est vrai, comme je l’ai mentionné dans mon rapport, que les crédits consacrés à l’économie sociale et solidaire diminuent en 2015. Le ministère, que j’ai consulté à ce sujet, m’a néanmoins précisé qu’il convenait de tenir compte des actions engagées par l’intermédiaire de la banque publique d’investissement. Des mesures nouvelles doivent ainsi permettre aux entreprises du secteur de bénéficier de prêts bancaires mais également de financements directs de la banque publique d’investissement. Il serait donc intéressant d’avoir une vision d’ensemble des crédits consacrés à l’économie sociale et solidaire, afin de pouvoir mettre en parallèle la baisse des crédits – que je ne conteste pas – avec les efforts réalisés via la banque publique d’investissement.
Enfin, l’avis négatif tient surtout à la raison évoquée par M. Cavard lui-même. Il n’est pas possible de prélever les 15 millions de crédits sur l’action n° 12 « Affaires immobilières » du programme 124 qui couvre des dépenses de loyers, d’exploitation et d’entretien du patrimoine immobilier.
C’est pourquoi, tout en partageant les remarques et les orientations suggérées par notre collègue Christophe Cavard, je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement est rejeté.
M. Christian Hutin, président. Je vais maintenant mettre successivement aux voix les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » et l’article 60 rattaché.
La Commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », tels qu’ils figurent à l’état B annexé à l’article 32, ainsi qu’à l’adoption de l’article 60 rattaché.
ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS
(par ordre chronologique)
Ø Table ronde avec les associations :
– L’Enfant bleu – Mme Raymonde Cannamela, présidente, et M. Michel Martzloff, secrétaire général
– Enfance et partage – Mme Isabelle Guillemet, présidente, et M. Michel Maxant, trésorier
– SOS Villages d’enfants – M. Gilles Paillard, directeur général
– La Voix de l’enfant – Mme Martine Brousse, présidente
Ø Dr Maurice Berger, chef de service en psychiatrie de l’enfant au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne
Ø Ministère de la Justice – Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) – Mme Catherine Sultan, directrice
Ø Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) –Mme Fabienne Quiriau, directrice générale
Ø Assemblée des départements de France (ADF) – M. Jérôme Cauet, vice-président du conseil général de l’Essonne, M. Jean-François Kerr, directeur de la prévention et de la protection de l’enfance au conseil général de l’Essonne, Mme Marylène Jouvien, chargée des relations avec le Parlement
Ø Ministère des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes – Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – Mme Sabine Fourcade, directrice générale, Mme Aude Muscatelli, sous-directrice de l’inclusion sociale, de l’insertion et de la lutte contre la pauvreté, Mme Sophie Chaillet, adjointe à la sous-directrice des affaires financières et de la modernisation, M. Jean-François Hatte, chef de bureau « protection de l’enfance et de l’adolescence »
Ø Groupement d’intérêt public « Enfance en danger » (GIPED) – Mme Marie-Paule Martin-Blachais, directrice générale, M. Jérôme Vicente, directeur administratif et financier, Mme Frédérique Botella, directrice du Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (SNATED), M. Gilles Seraphin, directeur de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED)
Ø M. Jacques Toubon, défenseur des droits, Mme Florence Gerbal, cheffe de cabinet, Mme Annick Feltz, cheffe du pôle défense des enfants, Mme Martine Timsit, en charge des relations avec les élus
Ø Mme Alexandra Riguet et M. Bernard Laine, auteurs du livre « Enfants en souffrance, la honte »
Ø Dr Caroline Eliacheff, pédopsychiatre et psychanalyste
Ø Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) – M. Benoît Ménard, directeur général, et M. Bruno Grouès, conseiller technique*
* Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.