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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2014.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2015 (n° 2234)
TOME II
DÉFENSE
ENVIRONNEMENT ET PROSPECTIVE DE LA POLITIQUE DE DÉFENSE
PAR M. Jean-Yves LE DÉAUT
Député
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Voir le numéro : 2260 (annexe 11)
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 7
PREMIÈRE PARTIE : PERMANENCE ET ÉVOLUTIONS DU PROGRAMME 144 DANS UNE ANNÉE DE RÉFORMES 9
A. DES INVESTISSEMENTS RENFORCÉS EN MATIÈRE DE RECHERCHE ET D’EXPLOITATION DU RENSEIGNEMENT INTÉRESSANT LA SÉCURITÉ DE LA FRANCE 13
B. LA PROSPECTIVE DE DÉFENSE, PIVOT DU PROGRAMME 144 15
1. L’analyse stratÉgique 15
2. La prospective des systèmes de forces 15
3. Les études amont 16
4. gestion des moyens et subventions 18
C. LA REFONTE DES RELATIONS INTERNATIONALES AU SEIN DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE 20
DEUXIÈME PARTIE : LE BIOTERRORISME 23
A. LA MENACE 23
B. L’ORGANISATION DE L’ÉTAT FACE À CE RISQUE 24
C. LES FORCES ARMÉES FACE AU RISQUE BIOLOGIQUE 25
1. La recherche 25
2. L’institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) 27
3. La délégation générale pour l’armement 28
i. Un dispositif de tests en extérieur 29
ii. Des équipements spécifiques pour l’étude de la dispersion sous forme d’aérosols 29
c. La gestion conjointe du souchier Défense 30
d. Des moyens significatifs 30
e. Son rôle dans les plans gouvernementaux 30
4. L’importance de la détection rapide 31
5. D’importantes retombées de la recherche et des développements dans le domaine de la sécurité civile 32
D. UN SECTEUR INDUSTRIEL PEU PRÉSENT ET UNE RECHERCHE CIVILE TROP PEU CONCERNÉE 33
1. Un secteur industriel limité 33
2. Un regrettable désintérêt de la communauté scientifique civile 34
TROISIÈME PARTIE : DRONES, LA FRANCE VERS LA SORTIE DE L’INTÉRIM ? 37
A. LES DRONES MALE 37
i. Un bilan opérationnel dépassant les attentes 39
ii. Le soutien 39
iii. Une excellente collaboration, mâtinée d’une certaine dépendance 39
c. Une capacité insuffisante 41
i. La livraison des prochains Reaper 41
ii. Une capacité satellitaire à renforcer 41
iii. L’absence de capteur de renseignement d’origine électromagnétique (ROEM) 42
3. Vers un drone MALE européen ? 43
B. LES DRONES TACTIQUES DE L’ARMÉE DE TERRE 46
TRAVAUX DE LA COMMISSION 51
I. AUDITION DE M. PHILIPPE ERRERA, DIRECTEUR CHARGÉ DES AFFAIRES STRATÉGIQUES 51
II. EXAMEN DES CRÉDITS 63
ANNEXE : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur 67
Tout entier tourné vers l’avenir, le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » est un petit programme au regard du budget de la Défense. Néanmoins son importance stratégique est inversement proportionnelle à son poids budgétaire car c’est grâce aux études qu’il finance que verront le jour les armes de demain ainsi que de multiples développements qui, pour nombre d’entre eux, auront à terme également des déclinaisons civiles.
Le rapporteur se félicite donc que soit tenu dans ce premier exercice budgétaire de la nouvelle loi de programmation militaire l’engagement du ministre de la Défense de soutenir coûte que coûte les études amont.
Dans son avis de l’année dernière, le rapporteur avait souhaité mettre en lumière les deux priorités d’avenir que sont la cyberdéfense et les drones. S’il lui semble que des moyens significatifs ont été consacrés à la cyberdéfense, qui bénéficie notamment d’un remarquable effort en matière de recrutement, il craint que le dossier « drones » n’ait pas connu d’avancée suffisante au cours de l’année écoulée.
C’est pourquoi, cette question tient, cette année encore, une place importante dans cet avis au travers d’un bilan de l’utilisation des drones et d’une exhortation à se saisir de ce sujet d’autonomie stratégique à l’adresse de l’Europe.
La situation internationale a, par ailleurs, conduit le rapporteur à évoquer également le sujet crucial de la lutte contre le bioterrorisme afin d’évaluer le degré de préparation de notre pays face à cette menace, présente et future, qui ne doit pas être ignorée.
Le rapporteur avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard 10 octobre 2014, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
À cette date, 65 réponses sur 75 lui étaient parvenues, soit un taux de 87 %.
PREMIÈRE PARTIE : PERMANENCE ET ÉVOLUTIONS DU PROGRAMME 144 DANS UNE ANNÉE DE RÉFORMES
Le programme 144 rassemble l’ensemble des actions fournissant au ministère de la Défense les éléments nécessaires à l’appréciation de son environnement stratégique présent et futur, afin de déterminer la politique de défense du pays. Les crédits accordés au programme 144 pour 2015 doivent lui permettre d’atteindre ses principaux objectifs :
– élaborer la prospective en matière d’évolution du contexte stratégique ;
– rechercher le renseignement de défense ;
– définir les systèmes de forces futurs et contribuer à la maîtrise de capacités industrielles et technologiques cohérentes ;
– orienter et conduire la diplomatie de défense.
Jusqu’en 2014, ces différentes actions étaient sous la responsabilité du directeur chargé des affaires stratégiques (DAS) et concernaient des entités de l’état-major des armées (EMA), de la direction générale de l’armement (DGA), de la délégation aux affaires stratégiques, de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD). Cependant, la réforme de l’action internationale, décidée et engagée par le ministre de la Défense, a conduit à la création d’une direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) chargée d’unifier et de coordonner l’action internationale et les affaires stratégiques du ministère. À partir du PLF 2015, la DGRIS sera dorénavant responsable du pilotage des ressources du programme 144 pour mener à bien ces différentes missions.
La réforme de l’action internationale : la création de la DGRIS en 2014
En 2013, le ministre de la Défense a décidé de créer une direction générale d’administration centrale chargée d’unifier et de piloter l’action internationale et les affaires stratégiques du ministère de la Défense : la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Celle-ci élabore la politique internationale du ministère de la Défense, en y associant l’EMA et les armées, la DGA et le SGA, pilote les travaux de prospective stratégique et coordonne la préparation du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
La création de la DGRIS permet une déflation de 57 postes sur le périmètre d’ensemble des relations internationales du ministère et sera composée de 213 agents constitués par le transfert de : 119 personnes de la DAS, 57 de l’EMA, 26 de la DGA, quatre du SGA, trois officiers des armées et quatre personnes ne relevant pas du ministère de la Défense (deux officiers de liaison étrangers, un collaborateur du CEA et un du CNES).
Source : Ministère de la Défense.
Les crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » pour 2015 s’élèvent à 1 350,09 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et à 1 333,87 millions d’euros en crédits de paiement (CP).
À compter de 2015, le programme 144 ne gère plus d’effectifs ni de masse salariale, en application des orientations fixées par la loi de programmation militaire 2014-2019. En effet, le ministre de la Défense a décidé de réformer la gouvernance des effectifs du ministère en transférant l’ensemble des crédits de personnel et les effectifs associés (crédit du titre 2) au sein du programme 212 « Soutien de la politique de défense ». Dès lors, à périmètre constant (hors titre 2), le programme 144 connaît une légère hausse de ses autorisations d’engagement (+ 1,28 %) et une quasi-stabilité de ses crédits de paiement (+ 0,08 %).
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DES DIFFÉRENTS TITRES AU SEIN DU PROGRAMME 144
Titres |
AE (En M€) |
CP (En M€) |
Évolution (en %) | |||
LFI 2014 |
PLF 2015 |
LFI 2014 |
PLF 2015 |
AE |
CP | |
Titre 2. Dépenses de personnel |
644,07 |
644,07 |
||||
Titre 3. Dépenses de fonctionnement |
1 207,86 |
1 185,88 |
1 144,43 |
1 165,75 |
-1,82 % |
1,86 % |
Titre 5. Dépenses d’investissement |
70,27 |
114,68 |
133,58 |
118,59 |
63,20 % |
-11,22 % |
Titre 6. Dépenses d’intervention |
49,36 |
49,53 |
49,36 |
49,53 |
0,34 % |
0,34 % |
Titre7. Dépenses d’opération financière |
5,50 |
5,50 |
- |
- | ||
Total programme 144 (périmètre constant, hors titre 2) |
1 332,99 |
1 350,09 |
1 332,87 |
1 333,87 |
+1,28 % |
+0,08 % |
Source : Ministère de la Défense.
De plus, le référentiel d’activité du programme est modifié pour le PLF 2015. La réorganisation de la fonction « relations internationales » du ministère de la Défense s’accompagne de modifications portant sur l’action 08 « Relations internationales et diplomatie de défense » du programme 144 entraînant :
– la suppression de la sous-action n° 01 « Soutien aux exportations », dont les crédits de promotion des exportations sont transférés au programme 146 « Équipement des forces » ;
– la suppression de la sous-action n° 02 « Diplomatie de défense » et le regroupement au sein de l’action 08 de l’ensemble des crédits des actions de coopération internationale et d’influence.
Compte tenu de ces modifications, en 2015, le programme 144 se compose donc de trois actions :
– l’action 03 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », représentant 20,8 % des crédits du programme et divisée en deux sous-actions : « Renseignement extérieur » et « Renseignement de sécurité et de défense » ;
– l’action 07 « Prospective de défense » rassemblant 76,6 % des crédits du programme et divisée en quatre sous-actions : « Analyse stratégique », « Prospective des systèmes de force », « Études amont » et « Gestion des moyens et subventions » ;
– l’action 08 « Relations internationales et diplomatie de défense » ne représentant quant à elle que 2,6 % des crédits.
Le tableau ci-après représente l’évolution des crédits du programme à périmètre constant entre 2014 et 2015.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS ALLOUÉS AU PROGRAMME PAR ACTION
À PÉRIMÈTRE CONSTANT
Hors titre II |
LFI 2014 |
PLF 2015 |
Évolution 2014-2015 (en %) | |||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP | |
Action 3 : Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France |
200,57 |
262,60 |
280,66 |
268,44 |
39,93 % |
2,22 % |
Sous-action 31 : Renseignement extérieur |
189,19 |
251,22 |
269,96 |
257,75 |
42,70 % |
2,60 % |
Sous-action 32 : Renseignement de sécurité de défense |
11,38 |
11,38 |
10,69 |
10,69 |
-6,03 % |
-6,03 % |
Action 7 : Prospective de défense |
1 097,28 |
1 035,12 |
1 034,02 |
1 030,02 |
-5,76 % |
-0,49 % |
Sous-action 71 : Analyse stratégique |
6,09 |
6,90 |
6,12 |
6,12 |
0,49 % |
-11,35 % |
Sous-action 72 : Prospective des systèmes de forces |
25,38 |
25,29 |
20,81 |
20,81 |
-18,02 % |
-17,73 % |
Sous-action 73 : Études amont |
807,87 |
744,99 |
742,91 |
738,91 |
-8,04 % |
-0,82 % |
Sous-action 74 : Soutien et subventions |
257,94 |
257,94 |
264,19 |
264,19 |
2,42 % |
2,42 % |
Action 8 : Relations internationales |
35,14 |
35,14 |
35,41 |
35,41 |
0,75 % |
0,75 % |
Sous-action 81 : Soutien aux exportations |
6,52 |
6,52 |
|
|
| |
Sous-action 82 : Diplomatie de défense |
28,62 |
28,62 |
|
|
|
|
1 332,99 |
1 332,87 |
1 350,09 |
1 333,87 |
1,28 % |
0,08 % |
Source : Ministère de la Défense.
A. DES INVESTISSEMENTS RENFORCÉS EN MATIÈRE DE RECHERCHE ET D’EXPLOITATION DU RENSEIGNEMENT INTÉRESSANT LA SÉCURITÉ DE LA FRANCE
L’appréciation du contexte stratégique se fait notamment par la collecte et le traitement du renseignement. Pour conserver une capacité d’appréciation autonome, et conformément aux orientations du Livre blanc, le renseignement voit son rôle réaffirmé en 2015, notamment en ce qui concerne la cyberdéfense identifiée comme une priorité nationale. Le rapporteur se réjouit des investissements conséquents dans ce domaine, ainsi qu’il le préconisait dans son avis budgétaire de l’année dernière(1).
À cet effet, les ressources humaines et financières de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) augmentent en vue d’améliorer ses capacités de prévision des menaces, avec un effort d’investissement particulier dans le domaine du renseignement technique. De son côté, la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) poursuit sa réorganisation et les ressources qui lui sont allouées se stabilisent. Leur budget total au titre du programme 144 sera de 280,66 millions d’euros en autorisations d’engagement et 268,44 millions d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 39,9 % en AE et 2,22 % en CP par rapport à 2014.
La sous-action n° 31 « Renseignement extérieur » comprend les crédits de la DGSE, chargée d’apporter une aide à la décision gouvernementale sur les enjeux internationaux à dimension sécuritaire, politique et économique et de contribuer à la lutte contre les menaces pesant sur la sécurité nationale. Dans ce cadre, elle remplit une double mission de renseignement et d’action clandestine à l’étranger. La DGSE poursuit le développement de ses dispositifs et bénéficie d’une augmentation importante de son budget avec 269,96 millions d’euros en autorisation d’engagement et 257,75 millions d’euros en crédits de paiement.
Cette sous-action comprend trois opérations stratégiques :
– les « activités opérationnelles » (OS AOP) qui regroupent les crédits directement affectés à l’activité de la DGSE : 7,65 millions d’euros (+ 0,8 million d’euros par rapport au PLF 2014) ;
– l’opération « fonctionnement et activités spécifiques » (OS FAS) qui supportent les dépenses de fonctionnement courant liées aux soutiens des personnels et des structures : 30,93 millions d’euros (- 3 % par rapport à 2014 malgré l’augmentation des effectifs et des surfaces occupées grâce à des mesures d’économie volontaristes) ;
– l’opération « renseignement » qui se rapporte aux investissements et dépenses opérationnelles de la DGSE (équipements de recueil du renseignement qu’il soit d’origine humaine, électromagnétique, informatique et image) : 231,38 millions d’euros en AE et 219,16 millions d’euros en CP.
La sous-action n° 32 couvre les missions assurées par la DPSD : sécurité du personnel, des informations, du matériel et des installations sensibles de défense. Agissant essentiellement dans un cadre préventif, la DPSD recueille, analyse et diffuse aux autorités du ministère des renseignements relatifs aux menaces potentielles contre les intérêts de la défense.
Sa dotation pour 2015 s’élève à 10,69 millions d’euros en AE et en CP. Elle est en baisse de 6 % par rapport 2014 notamment en raison du transfert des dépenses d’entretien immobilier vers le programme 212 « Soutien de la politique de la défense ».
Les axes prioritaires des crédits de cette sous-action sont : le développement des capacités d’investigation technique pour les adapter aux menaces émergentes et aux nouveaux défis de la contre-ingérence, le développement des moyens de contre ingérence en matière de cyberdéfense et le renforcement des moyens de recherche sur les sources ouvertes.
Comme pour les crédits de la DGSE, les dépenses de cette sous-action se divisent en trois opérations stratégiques :
– l’OS AOP : 246 171 euros soit + 4 % par rapport à 2014 en raison de l’augmentation du nombre de missions hors métropole ;
– l’OS FAS : 2,51 millions euros soit - 35 % en raison du transfert des dépenses d’entretien immobilier (les autres dépenses de cette opération stratégique restent stables) ;
– l’opération « renseignement » qui se rapporte aux actions de contre-ingérence au profit des acteurs de la défense : 7,94 millions euros.
L’action 07, participant de la fonction stratégique « connaissance et anticipation », mobilise 76,6 % des crédits du programme. Les moyens dévolus à cette action traduisent la volonté du ministère de la Défense de garantir l’effort de recherche et de consolider la base industrielle et technologique de défense, notamment en stimulant l’innovation dans ce domaine.
L’architecture budgétaire de l’action 7 a été modifiée pour tenir compte de l’impact de la création de la nouvelle direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), qui se traduit par des mesures de transfert et de regroupement des crédits au sein des différentes sous-actions. Pour l’année 2015, les autorisations d’engagement ainsi que les crédits de paiement s’élèvent à 1,03 milliard d’euros soit une légère diminution par rapport à 2014, de - 5,76 % en AE et - 0,49 % en CP.
L’objet de la sous-action n° 01 « Analyse stratégique » est d’éclairer le ministre sur l’évolution du contexte stratégique dans sa dimension internationale, en particulier sur les menaces pouvant affecter la France ou l’Union européenne.
Les activités de cette action sont désormais conduites par le pôle prospective de la direction de la stratégie de défense, de la prospective et de la contre-prolifération (DSD2P) de la DGRIS qui pilote les travaux de prospective stratégique et assure, au profit de l’ensemble des organismes du ministère, la veille prospective relative à l’environnement stratégique. Il supervise l’activité de l’institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM) et assure également le secrétariat permanent du comité de cohérence de la recherche stratégique et de la prospective de défense (CCRP), dont sont membres la DGRIS, l’EMA, la DGA, le secrétariat général pour l’administration et la direction de l’enseignement militaire supérieur.
Les besoins de cette sous-action sont couverts par les crédits de l’opération stratégique « Prospective et préparation de l’avenir » au travers des trois opérations budgétaires : « Études prospectives et stratégiques », « Programmes personnalités d’avenir et post-doctorat » et « Recherche stratégique », dotées respectivement de 5,51 millions euros, 254 604 euros et 349 512 euros, soit un total de 6,12 millions d’euros.
La prospective des systèmes de forces (sous-action n° 02) regroupe les activités destinées à identifier les besoins opérationnels, à orienter et exploiter les études de défense pour éclairer les choix nationaux définissant l’outil de défense futur. Cette sous-action connaît une baisse de 18 % de ses crédits par rapport à 2014, car elle ne couvre plus les dépenses de déplacement et de fonctionnement des organismes concernés.
Les activités de cette sous-action sont conduites de façon collégiale par les officiers de cohérence opérationnelle de l’état-major des armées et les architectes des systèmes de forces de la direction générale pour l’armement. Ces activités comprennent la réalisation d’études à caractère opérationnel et technico-opérationnel (EOTO) qui portent sur la définition des besoins futurs à satisfaire et la recherche du meilleur compromis entre les caractéristiques opérationnelles, les spécifications techniques et les coûts associés dans les systèmes en projet ou existants.
Cette sous-action comprend deux opérations stratégiques dotées d’un budget stable par rapport à 2014 : la première intitulée « dissuasion » concernant les EOTO nucléaires (trois millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement) et la seconde intitulée « prospective et préparation de l’avenir » concernant les EOTO hors dissuasion (17,8 millions d’euros).
Les études amont (sous-action n° 03) sont des recherches et études appliquées en lien avec un besoin opérationnel prévisible contribuant à développer, maîtriser, et entretenir la base industrielle et technologique de défense (BITD) afin de réaliser des programmes d’armement. Depuis 2014, les études amont sont réorganisées par agrégats sectoriels, permettant cohérence et clarté des objectifs recherchés. La dotation pour l’année 2015 connaît une légère baisse et s’élève à 742,91 millions d’euros en AE et 738,91 millions d’euros en CP partagés entre deux opérations stratégiques.
La première opération stratégique « prospective et préparation de l’avenir » couvre les études en amont des agrégats sectoriels suivant :
● Aéronautique et missiles (212,91 millions d’euros en autorisations d’engagement et 168,55 millions d’euros en crédits de paiement)
En matière d’aéronautique, les études concernent l’ensemble des aéronefs à usage militaire ou gouvernemental (avions et drones de combat, hélicoptères, avions de transport). Les principaux enjeux pour 2015 sont l’élaboration des prochains standards du Rafale et du Tigre et la préparation conjointe avec les Britanniques du système de combat aérien futur, en s’appuyant sur l’expertise acquise lors du développement du démonstrateur nEUROn.
Les études sur les missiles se concentrent sur le renouvellement des capacités actuelles et le maintien de l’excellence technologique de la filière européenne. Des études sur une nouvelle famille de missiles à longue portée, sur les composants et matériaux de missiles innovants dans le cadre d’un partenariat franco-britannique ainsi qu’un avant-projet de propulseur d’un missile de combat aérien de nouvelle génération sont attendues en 2015.
● Information et renseignement (117 millions d’euros en AE et 127,13 millions d’euros en CP)
Les études dans ce domaine mettront l’accent sur la protection des systèmes d’information, des systèmes d’armes et des systèmes industriels critiques. Les engagements pour l’année 2015 concerneront notamment la préparation des programmes de renseignement électromagnétique tactiques, d’un système permettant l’évitement automatique en vol pour drones et le développement des technologies de cyberdéfense. De plus, une partie de ces études s’intéresse spécifiquement aux systèmes spatiaux : satellites de renseignement d’origine électromagnétique, d’imagerie et de communication.
● Naval (37 millions d’euros en AE et 34,23 millions d’euros en CP)
Ces études visent à préparer l’évolution majeure des plateformes navales en service (lutte sous la mer et survivabilité des bâtiments). Elles portent en particulier sur les architectures de plateformes, les systèmes de combat, les senseurs (radars et sonars en particulier), les nouvelles technologies de détection sous-marine, les moyens de guerre électronique, les contre-mesures et leur intégration.
● Terrestre, NRBC et santé (40 millions d’euros en autorisations d’engagement et 52,44 millions d’euros en crédits de paiement)
Les engagements dans le domaine terrestre portent, en 2015, sur la poursuite des études relatives à la protection des systèmes et du combattant ainsi que sur les munitions polyvalentes. Il est également prévu de lancer des études pour un système de reconnaissance robotisé.
Dans le domaine de la défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC), les études visent à maintenir notre capacité d’expertise souveraine envers les risques NRBC actuels et futurs. Celles-ci ont donc pour vocation de pallier les insuffisances actuelles des technologies de détection des agents, de protection et de décontamination, ainsi que développer des contre-mesures médicales.
Les études sur la santé du militaire concernent le traitement des urgences vitales en opérations extérieures, notamment dans les domaines de la réparation tissulaire et de la lutte contre le choc hémorragique.
● Innovation et technologie transverses (137 millions d’euros en autorisations d’engagement et 124,56 millions d’euros en crédits de paiement)
Les études dans ce domaine ont pour but de renforcer les synergies autour des technologies duales. Elles se traduisent par le financement des projets innovants des PME-ETI ou des laboratoires de recherche académique via l’accompagnement aux travaux de recherche et d’innovation de défense (programme ASTRID) et le régime d’appui pour l’innovation duale (dispositif RAPID), renforcé dans le cadre du « Pacte de Défense-PME » (+ 10% soit un crédit de 50 millions d’euros en 2015). En 2015, les études porteront principalement sur les composants et matériaux critiques pour les futurs systèmes d’arme.
La deuxième opération stratégique intitulée « Dissuasion » couvre les études amont nucléaires. La proposition de dotation pour 2015 consiste en 199 millions d’euros en autorisations d’engagement et 232 millions d’euros en crédits de paiement.
Le programme d’investissement d’avenir et la recherche intéressant la Défense
Le programme d’investissement d’avenir (PIA) a permis de réaliser des programmes militaires et études amont dans le domaine de l’aéronautique, de l’espace et du nucléaire via trois opérateurs du PIA : l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), le Centre national d’études spatiales (CNES) et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Dans le cadre du premier PIA, l’ONERA a reçu une enveloppe de 1,5 milliard d’euros en 2010 répartis entre 900 millions d’euros consacrés aux démonstrateurs technologiques aéronautiques et 600 millions d’euros aux aéronefs du futur afin d’accélérer l’intégration et l’innovation dans les futurs programmes aéronautiques européens. La prévision de consommation de ces crédits pour 2015 s’élève à 152,85 millions euros. Le CNES et le CEA ont reçu une enveloppe respective de 500 millions d’euros et 875 millions d’euros. Les travaux de ces organismes irriguent chaque année les recherches définies par la DGA comme priorité pour la défense.
De plus, dans le PLF 2014, le programme 402 « Excellence technologiques des industries de défense », doté de 1,5 milliard par le PIA, finançait certains programmes militaires et études amont du CEA dans le domaine de la force de dissuasion nucléaire (1,33 milliard d’euros) et du CNES pour développer des systèmes spatiaux innovants (171,9 millions d’euros), notamment le programme d’imagerie MUSIS offrant une capacité d’observation de jour et de nuit, dans le but de renforcer l’excellence technique de la base industrielle française.
Cependant, le programme 402 n’a pas été renouvelé pour le PLF 2015 et la piste, un temps évoquée, de permettre à la DGA de devenir un opérateur habilité à recevoir ces crédits n’a finalement pas été retenue. Ainsi, le budget de la Défense ne bénéficie plus des crédits du PIA. Le délégué général pour l’armement, M. Laurent Collet-Billon, a d’ailleurs déclaré regretter que le ministère de la Défense ait été exclu des initiatives relatives aux investissements d’avenir (2) .
La sous-action n° 04 concerne les subventions pour charges de service public versées à l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), aux écoles sous tutelle de la DGA, à l’Institut Saint-Louis (ISL), aux organismes d’études et à partir de 2015, la gestion et la masse salariale des élèves polytechniciens.
Dans le cadre du chantier de simplification de l’architecture budgétaire du ministère de la défense et compte tenu de la création de la DGRIS, le soutien des postes permanents à l’étranger (PPE) a été transféré sur l’action 8 « Relations internationales et diplomatie de la défense » du programme 144 et le fonctionnement courant de la direction de la stratégie de la DGA a été transféré vers le programme 146 (sous-action 11-89).
À périmètre constant, les crédits de cette sous-action sont en hausse de 2,6 % par rapport à l’année 2014, étant observé que les crédits 2014 étaient en baisse de 6,5 % par rapport à l’année 2013. Le rapporteur se félicite de cette hausse tout en notant qu’elle ne permet pas de rattraper les coupes budgétaires antérieures. Cette sous-action est organisée autour de deux opérations stratégiques.
L’opération stratégique « fonctionnement et activités spécifiques », dotée de 262,19 millions d’euros (+ 3,6 % par rapport à 2014), comprend les subventions pour :
– l’ONERA qui a pour mission de développer, de coordonner et de promouvoir les recherches dans le domaine aérospatial. Sa subvention s’élève à 98 millions d’euros (+ 1,6 % par rapport à 2014), auxquels s’ajoutent sept millions d’euros supplémentaires en gestion 2015, portant le montant à 105 millions d’euros ;
« ONERA 2020 »
Compte tenu du contexte économique, un Groupe de Haut Niveau « ONERA 2020 », institué par la DGA en 2013, préconise un recentrage de l’Office sur ses domaines d’excellence, l’aéronautique et le spatial, ainsi qu’un renforcement des liens avec la recherche académique afin de constituer des ensembles technologiques pouvant intéresser directement l’industrie et obtenir une attractivité au niveau mondiale.
Le maintien au niveau actuel de la subvention versée par le ministère sur le programme 144 n’est pas garanti pour les prochaines années. Un nouveau modèle économique sera donc recherché dans le cadre du prochain contrat d’objectifs et de performance dans le courant de l’année.
Source : Ministère de la Défense.
– les écoles sous tutelles de la DGA : l’école Polytechnique, l’institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE), l’école nationale supérieure de techniques avancées ParisTech (ENSTA-ParisTech) et l’ENSTA-Bretagne. Leurs subventions en 2015 (130,88 millions d’euros) sont en baisse de 2,12 millions d’euros, soit - 1,6 % par rapport à 2014, après une baisse de 4,7 millions d’euros entre 2013 et 2014. Le rapporteur regrette la poursuite de la diminution des crédits car il estime nécessaire de soutenir la formation des ingénieurs dont nous aurons bientôt besoin : investir aujourd’hui, c’est innover demain ;
– l’Institut franco-allemand de recherche de Saint Louis (ISL) élabore des recherches et des études, tant scientifiques que techniques, dans le domaine de l’armement, renforçant ainsi la défense commune. Sa subvention est fixée par Convention et reste donc stable, à 17,74 millions d’euros.
Plan d’action « ISL 2020 »
Pour faire face aux contraintes budgétaires (les contributions franco-allemandes ne devraient pas augmenter), un plan d’action ISL 2020 a été réalisé et comporte deux volets :
- un volet financier : augmentation des ressources provenant de tiers, États ou industriels (seulement 5 % du budget actuel), politique d’embauche favorisant les contrats courts et l’appel aux doctorants et modération de l’évolution des salaires ;
- un volet scientifique : à court terme, optimiser et réduire les domaines d’activité de l’ISL en renforçant son potentiel scientifique et accroître son attractivité, à moyen terme, transformer l’ISL en établissant des partenariats stratégiques avec des acteurs reconnus de la recherche en France et en Allemagne et, à long terme, modifier le statut de l’ISL pour en faire un laboratoire européen de défense et de sécurité.
Source : Ministère de la Défense.
Enfin, l’opération stratégique « prospective et préparation de l’avenir », dotée de deux millions d’euros en AE et CP, concerne les subventions versées à des organismes d’étude, fondations et confédérations amicales de corps d’officiers de l’armement (1,2 million d’euros) ou au titre du soutien aux PME-PMI (0,8 million d’euros).
La réorganisation de la fonction « relations internationales » du ministère de la Défense confère à la DGRIS la responsabilité de garantir la cohérence et la clarté de la ligne politique en matière internationale et stratégique. Les entités auparavant concernées par cette tâche (DAS, EMA, DGA) peuvent en conséquence se recentrer sur leurs propres missions en matière de relations internationales. Cette réforme s’accompagne d’une modification substantielle de l’action 08 « Relations internationales », renommée « Relations internationales et diplomatie de défense ». Ne s’occupant plus de la promotion des exportations (cf. supra), elle se concentre désormais sur les actions de coopération et d’influence internationales dans le domaine de la défense.
Cette action, dotée de 35,41 millions d’euros en 2015, comprend trois opérations stratégiques.
L’opération stratégique « activités opérationnelles » couvre les dépenses de déplacements du personnel affecté dans les 86 missions de défense des ambassades et des effectifs de la DGRIS dans l’ensemble de leurs missions à l’étranger. Ses crédits augmentent de 7 % et atteignent 2,89 millions euros en raison de la hausse des frais de déplacements et l’accroissement des missions à l’étranger du fait de l’actualité internationale.
L’opération stratégique « fonctionnement et activités spécifiques » comprend les contributions internationales, 21,37 millions d’euros versés au gouvernement de la République de Djibouti dont la valorisation reste stable en 2015 et 4,67 millions d’euros pour la part française du budget de l’Agence européenne de défense, ainsi que les dépenses de fonctionnement courant liées aux activités des postes permanents à l’étranger, hors déplacements et actions de coopération, qui sont en baisse de 0,7 million d’euros par rapport à 2014 en raison des mesures structurelles d’économies. En tout, ses crédits restent stables par rapport à 2014 : 31,45 millions euros.
Enfin, la dernière opération stratégique « prospective et préparation de l’avenir » concerne, dans le cadre du partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes (PMG8), la gestion par le CEA (3) des actions de coopération multilatérales et des fonds versés à cet effet. La participation du ministère de la Défense est maintenue à un million d’euros en 2015.
DEUXIÈME PARTIE : LE BIOTERRORISME
La situation internationale instable et la multiplication des foyers de troubles, relevant des « risques de la faiblesse » identifiés par Livre blanc de 2013, rendent aujourd’hui la menace bioterroriste plus sérieuse que par le passé. Les craintes irrationnelles actuellement suscitées par l’épidémie de fièvre hémorragique Ebola donnent ainsi une idée de l’effet recherché par les bioterroristes potentiels, pour lesquels la peur représente la première victoire.
C’est pourquoi il est essentiel que la France soit bien préparée à ce type de risque, dirigé contre les hommes, la faune ou la végétation, afin de mettre en place les mesures nécessaires avant même l’apparition des premiers symptômes. Cet enjeu de souveraineté nécessite anticipation et préparation. Or, en 2005 le rapporteur avait, dans le rapport sur La place des biotechnologies en France et en Europe (4), fait le constat qu’il ne semblait pas avoir eu, à l’époque, de « programme spécifique de lutte contre le bioterrorisme en France. Pire, qu’à l’inverse de la situation américaine, le ministère de la Défense ne finance pas de programme de recherches ».
Le rapporteur a donc souhaité effectuer un tour d’horizon pour faire le point sur la situation actuelle. Il en est sorti rassuré. Bien que perfectible et frêle budgétairement, le dispositif actuel, basé sur la pierre angulaire de la recherche, semble solide.
La menace biologique se caractérise tout à la fois par la facilité d’accès aux agents pathogènes et par la difficulté à les mettre en œuvre dans le cadre d’une attaque ciblée de grande ampleur en raison des modes de diffusion et du caractère aléatoire du résultat, tributaire de multiples facteurs environnementaux et de l’état sanitaire de la population visée. C’est pourquoi il est communément estimé qu’une attaque réussie ne serait guère susceptible de faire un nombre considérable de victimes.
Par ailleurs sa discrétion, son caractère anxiogène, son coût réduit et le faible socle de connaissances qu’elle requiert peuvent rendre cette arme attirante pour les bio-hackers potentiels qu’ils agissent de manière individuelle, comme on l’a soupçonné par exemple pour les enveloppes contenant de l’anthrax ayant circulé aux États-Unis, ou au nom d’une organisation telle que la secte Aum au Japon.
Il convient de noter toutefois que le niveau général de compétence scientifique et technique ne cesse de s’élever et que la quantité d’informations disponibles en source ouverte sur Internet multiplie les risques.
Si les agents pathogènes classiques susceptibles d’être utilisés sont bien connus, le rapporteur estime que le risque représenté par les toxines est encore sous-estimé aujourd’hui.
Il est également aujourd’hui d’avis qu’il convient de considérer le risque d’utilisation des biotechnologies, par exemple pour l’intégration d’un gène d’une toxine dans un micro-organisme utilisé dans l’agroalimentaire, pouvant par la suite être utilisé pour contaminer un processus de fabrication.
Le renseignement joue également un rôle déterminant dans l’anticipation de cette menace particulièrement difficile à détecter en amont.
La lutte contre le bioterrorisme et le risque NRBC (5) dans sa globalité relèvent du Premier ministre via le Secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN), et plus particulièrement la direction de la protection et la sécurité de l’État (PSE).
Cette dernière a notamment pour missions l’analyse des risques et des menaces, la définition de la politique de prévention et de protection et la préparation de l’État à la gestion des crises sur le territoire ou hors de celui-ci, dans le cas des ressortissants et des intérêts français à l’étranger.
Elle a en charge à ce titre l’élaboration, la coordination et le suivi de la planification gouvernementale de sécurité nationale, les études générales de sûreté sur l’organisation de la défense et de la sécurité du pays, la coordination interministérielle dans la lutte contre la menace terroriste en matière nucléaire, radiologique, biologique, chimique et d’explosifs (NRBC-E), l’analyse des risques et la mise en adéquation des besoins et de la recherche en technologies de sécurité de la Nation.
La planification interministérielle dans la lutte contre le terrorisme NRBC repose principalement sur le plan gouvernemental NRBC(6). Un corpus de circulaires, dont celle relative à la doctrine de l’État pour la prévention et la réponse au terrorisme NRBC-E (7), de guides ainsi que de plans NRBC, déclinés au niveau territorial par les préfectures de zone de défense et de sécurité et les préfectures de département, s’intègre dans un dispositif global de lutte contre le terrorisme.
Le SGDSN coordonne les travaux interministériels, en lien avec le ministère de l’Intérieur, par l’intermédiaire des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité (HFDS) présents au sein de chaque ministère pour conseiller le ministre en matière de défense et de sécurité nationale et au sein du comité stratégique NRBC-E présidé par le SGDSN.
Le Livre blanc mentionne qu’en cas de crise, et sur demande des autorités civiles, « [les forces armées] peuvent être sollicitées [pour] la participation des moyens terrestres spécialisés à la protection NRBC ».
La Défense se doit donc de proposer une réponse à cette menace pour protéger ses propres forces et demeurer apte à remplir sa mission en participant, le cas échéant, à la réponse à une crise de grande ampleur touchant le pays.
Les acteurs principaux du dispositif mis en place par la Défense sont, pour la recherche, sur laquelle se concentrera le rapporteur, la DGA avec le centre DGA Maîtrise NRBC, ainsi que le SSA avec l’institut de recherche biomédicale des armées (IRBA).
Sur le terrain, plusieurs entités sont spécialisées, dont des équipes de reconnaissance et d’évaluation (ERE) et le 2e régiment de dragons de Fontevraud l’Abbaye. Le 2e RD, seule unité de l’armée de terre spécialisée en défense NRBC, subordonné au commandement des forces terrestres (CFT), a effectué en 2013 sa certification nationale OTAN lors de l’exercice Fortel, poursuivie par sa participation à l’exercice OTAN Steadfast Jazz. En 2014, le 2e RD assure la direction du bataillon de défense NRBC de la composante terrestre de la force de réaction rapide (NRF) de l’OTAN.
Dans son discours prononcé le 24 octobre 2013, lors de l’inauguration du laboratoire P4 de haute sécurité du centre de la DGA à Vert-le-Petit, le ministre de la Défense a souligné que « la crise syrienne montre que notre vigilance doit rester permanente et que dans cette perspective, notre socle d’expertise, en termes de compétences et d’investissements, doit être soigneusement entretenu. »(8) Le ministre affirme ainsi que la recherche est donc bien au centre de la lutte contre le bioterrorisme, ce que le rapporteur tient à saluer.
Les activités de recherche sont partagées entre l’IRBA et le centre DGA Maîtrise NRBC en fonction des sujets. Les recherches menées par la Défense ne dupliquent pas les recherches civiles mais visent à les compléter lorsqu’elles sont jugées lacunaires, ce qui est malheureusement des plus fréquents en matière NRBC.
Une part importante de la recherche porte sur la contamination par voie aérienne par dispersion d’aérosols biologiques pathogènes qui est considérée comme le risque majeur auquel pourraient être exposées les forces.
Les études amont de biodéfense sont regroupées dans l’agrégat « l’Humain » et se traduisent par des marchés de sous-traitance, des subventions via les dispositifs ANR/Astrid, RAPID et des thèses de doctorat ainsi que des travaux étatiques. Les études en cours représentent environ 70 projets auprès d’établissements publics (INRA, INSERM, CNRS), de TPE/PME innovantes (par exemple Mobidiag ou Elvesys), des industriels du secteur de la défense (NBC-SYS filiale de Nexter, Bertin, Thales, etc.).
Cet agrégat est doté de 14 millions d’euros en 2015 dont six pour les travaux étatiques menés au centre DGA Maîtrise NRBC et au SSA, dans le cadre de la défense NRBC ou de l’étude de contre-mesures médicales.
L’IRBA est le principal bénéficiaire étatique des crédits des études amont du programme 144 relatives à la recherche biomédicale. Ces études sont complétées par des projets de recherche scientifique dans le cadre du soutien à l’innovation à destination des entreprises et des partenaires académiques. Par ailleurs, le programme 191 consacré à la recherche duale finance le programme interministériel de lutte contre le terrorisme NRBC-E piloté par le SGDSN et financé à hauteur de 15 millions d’euros par an, dont une part importante est consacrée à la biodéfense.
Environ la moitié de ces budgets NRBC est consacrée à la biodéfense.
Au-delà du ministère de la Défense, plusieurs unités mixtes de recherche associant le CNRS et d’autres laboratoires, l’INSERM ou l’Institut Pasteur sont bénéficiaires de ces crédits programmés au titre de la recherche biomédicale.
La coopération internationale multilatérale (OTAN, Agence européenne de défense) concerne la standardisation des essais d’équipements de défense NRBC, la connaissance de la diversité biologique ainsi que la R&T pour l’équipement des forces. On peut citer par exemple à l’AED, le projet BIOEDEP de développement d’un démonstrateur de détection biologique de terrain actuellement suspendu pour des raisons budgétaires, et le Joint Investment Program NRBC (JIP – NRBC) doté de 12 millions d’euros dont deux apportés par la France.
Une coopération efficace dans le cadre de l’AED se déroule s’agissant de l’échange de souches de référence entre les pays dotés de laboratoires sécurisés. Cette coopération a permis à la DGA de rentrer en possession de plus de 120 souches bactériennes d’intérêt majeur. Des discussions sont en cours pour un nouvel échange de bactéries et de virus dans le même cadre.
Au niveau bilatéral, la coopération avec le Royaume-Uni concerne essentiellement l’évaluation du risque et celle avec les États-Unis progresse vers l’échange de souches d’agents d’intérêt. Il convient en effet de noter que les États-Unis se sont approvisionnés durant de longues années auprès de nombreux laboratoires académiques de par le monde, dont la France, amassant ainsi des souches que le ministère de la Défense n’a jamais réussi à obtenir au plan national. Enfin, une coopération bilatérale existe avec Singapour pour l’échange de souches d’agents biologiques endémiques en Asie.
Outre les risques radiologiques et chimiques, l’IRBA étudie le risque bactériologique sous l’angle de la prévention, du diagnostic et du traitement. Ses travaux portent principalement sur la biologie des agents transmissibles, la lutte contre les pathogènes dangereux utilisés en tant qu’arme biologique, l’infectiologie de terrain ainsi que la lutte contre les trois grandes familles du risque infectieux (virus, parasites, bactéries) et leur transmission.
Les priorités de l’IRBA sont le développement de kits diagnostiques de terrain, l’antibiorésistance (compréhension des mécanismes, recherche de nouvelles molécules, phages, etc.), le développement d’anticorps thérapeutiques, la physiopathologie et particulièrement la connaissance des interactions hôte-pathogène en ce qui concerne le charbon. Le développement de contre-mesures médicales NRBC (CMM NRBC) est une activité majeure de l’IRBA pour pallier l’absence de ces dispositifs sur le marché.
L’IRBA partage en outre avec la DGA, sous le contrôle de l’état-major des armées, la détention, la gestion, la caractérisation et l’enrichissement du souchier Défense, afin d’assurer une sauvegarde croisée et sécurisée des souches d’agents pathogènes.
La recherche biomédicale de défense a été regroupée en 2013 sur le site unique de Brétigny-sur-Orge dans une nouvelle infrastructure qui réunit à présent l’ensemble des organismes de recherche du SSA et permettra l’expérimentation animale sur des primates, préalable incontournable à la délivrance des autorisations et agréments d’utilisation des produits de santé par les autorités nationales (agence nationale de sécurité du médicament) ou internationales (agence européenne du médicament et aux États-Unis la « Food and drug administration »).
Le laboratoire P4 de l’IRBA ouvrira au cours du premier semestre 2015 et sera consacré à la mise au point de contre-mesures médicales à visée humaine face aux maladies infectieuses d’intérêt pour la défense. Cet équipement vise à produire des tests de dépistage et de diagnostic médical sur matrices biologiques, afin d’identifier l’agent biologique en cause et de mettre en place la thérapeutique la plus adaptée.
Ce changement de lieu a entraîné la perte de personnels qualifiés. Le service de santé des armées recherche, avec les services ministériels compétents, toutes les solutions visant à compenser ces départs, afin de permettre à la recherche biomédicale de défense de maintenir son niveau d’activité, et tout particulièrement dans le domaine NRBC, peu couvert par la recherche civile.
La recherche conduite par le SSA s’inscrit dans le cadre de coopérations nationales et internationales, civiles et militaires. Il existe de très nombreuses collaborations scientifiques nationales entre équipes de recherches du SSA et équipes civiles : universités, centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Institut Pasteur, Fondation Mérieux, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA). Les collaborations internationales s’exercent principalement dans le cadre de groupes de travail de l’OTAN ou dans le cadre de relations bilatérales, par exemple au travers d’échanges de chercheurs entre les États-Unis et la France.
La DGA a une mission de défense et de sécurité NRBC pour laquelle travaillent 175 personnes. Sa mission en matière de menace biologique se décline ainsi : anticipation, contre-mesures opérationnelles et preuve de l’agression. La DGA pilote des programmes en conséquence.
Ses efforts s’orientent principalement vers la protection des forces armées et se concentrent essentiellement sur le risque lié à la contamination par voie aérienne, pour lequel il suffit de doses infectieuses extrêmement faibles. Ce risque pourrait survenir par l’utilisation détournée de moyens d’épandage, de diffuseurs ou d’engins explosifs improvisés produisant des bioaérosols. La contamination des surfaces, susceptible de provoquer une nouvelle diffusion des aérosols ou de constituer un danger par contact, est également prise en compte. Les autres types de contamination, en particulier par l’eau de consommation et l’alimentation, sont considérés comme plus facilement maîtrisables par des contrôles avant consommation.
La DGA est par ailleurs référent technique dans le domaine de la lutte contre le terrorisme biologique et chimique. Elle dispose d’une capacité d’expertise à caractère opérationnel pour l’assistance des services de l’État en matière d’évaluation de la menace biologique et de la preuve de l’agression biologique. Dans le domaine de l’équipement, la DGA réalise les essais et les évaluations des matériels conçus, développés et réalisés par les industriels.
La DGA n’effectue plus de R&D en interne que pour les activités relevant de la souveraineté mais évalue les démonstrateurs issus de la R&D sous-traitée.
Le centre d’études du Bouchet, dénommé DGA Maîtrise NRBC, réalise des travaux dans le domaine de la défense biologique sur les sites de Vert-le-Petit et de Cazaux. Il constitue un centre de recherche consacré à la connaissance des risques et à la mise au point d’équipements de terrain pour la détection, l’identification, la protection et la décontamination biologique, doté de certains moyens et compétences uniques en France et en Europe.
L’antenne de Cazaux permet de travailler sur agents biologiques simulants non pathogènes en extérieur. L’autorisation de disperser l’agent bactérien Bacillus atropheus ou Bacillus globigii pour l’évaluation d’équipements de détection et d’identification biologique de terrain a été donnée par le ministre de la Défense en 2004. Le nombre d’agents simulants autorisés a été élargi à six en 2012 pour couvrir bactéries, virus et toxines. L’antenne de Cazaux est activée par campagnes en fonction des besoins.
Les essais et expérimentations nécessitant la mise en œuvre d’agents biologiques sous forme d’aérosols sont réalisés en laboratoire P3 pour les agents pathogènes ou dans des moyens spécifiques pour les agents non pathogènes.
Il est indispensable de maîtriser ce mode de dispersion pour l’étude des équipements de détection. Trois moyens d’essais permettent de mettre en œuvre des agents biologiques non pathogènes sous forme d’aérosol en assurant leur filtration et donc l’absence de dispersion dans l’environnement :
– le tunnel Tulipe, qui est utilisé pour réaliser des aérosols de faible volume ;
– une soufflerie basse vitesse, qui permet de réaliser des aérosols dans des conditions variables de vitesse de vent ;
– une chambre confinée de 1 400 m3, permettant de tester des équipements de gros volume (véhicules, conteneurs) en présence d’un aérosol biologique avec ou sans bruit de fond biologique atmosphérique.
La DGA, en coopération avec le SSA, s’est dotée d’une collection stratégique de souches de référence, appelée souchier Défense et d’une organisation pour en gérer le développement ciblé. L’objectif est de sécuriser une collection de souches couvrant la biodiversité d’agents retenus en fonction d’une analyse des risques. La gouvernance de cette collection est assurée par l’état-major des armées via, d’une part, un comité stratégique qui définit la politique d’enrichissement et, d’autre part, un comité technique co-présidé par la DGA et le SSA qui pilote la mise en œuvre de cette politique.
Le budget global consacré à l’activité de défense biologique a connu une augmentation importante avec la réalisation des moyens d’essais confinés : deux laboratoires P3 dont l’un spécialisé dans l’analyse d’échantillons inconnus et un laboratoire P4. Les ressources humaines consacrées à la défense biologique ont été considérablement augmentées dans les années 2000 et demeurent préservées ; elles sont aujourd’hui estimées à environ 60 000 heures/an. Les dépenses de fonctionnement, de consommables de laboratoires et de maintenance des laboratoires de biologie s’élèvent à 4,5 millions d’euros.
Les laboratoires confinés de niveau 2, 3 et 4 sont opérationnels, permettant ainsi de répondre aux demandes sur tous types d’agents pathogènes pour l’homme susceptibles d’être employés à des fins malveillantes. Désormais opérationnel, le laboratoire P4, inauguré par le ministre de la Défense en octobre 2013, représente une capacité précieuse pour la connaissance des risques et la mise au point d’équipements de terrain pour la détection, l’identification, la protection et la décontamination.
Par ailleurs, la proximité géographique des installations du SSA et de celles de la DGA Maîtrise NRBC, et notamment de leurs laboratoires P4, devrait encourager encore la synergie existante.
La DGA n’a pas de rôle opérationnel dans les plans gouvernementaux pilotés par le SGDSN hormis dans les domaines de l’expertise opérationnelle d’évaluation du risque et l’analyse d’échantillons, pour lesquels les laboratoires de DGA Maîtrise NRBC peuvent être activés 24 heures sur 24.
Elle a développé des outils de simulation numérique et de modélisation de la dispersion de nuages d’agents NRBC permettant de définir des zones de danger et d’anticiper l’impact sur les populations en les cartographiant. Pour les analyses d’échantillons suspects et/ou inconnus biologiques et chimiques, la DGA dispose de l’expertise nécessaire en tant que laboratoire référent du réseau Biotox-Piratox. Elle participe à des réseaux internationaux d’exercices interlaboratoires.
La communication entre les services demandeurs (cellule nationale de conseil, ministère de la Justice) fonctionne bien comme l’ont montré les cas d’analyses d’échantillons qui se présentent sporadiquement depuis la crise dite « des enveloppes à poudre » en 2001.
Par ailleurs, l’expertise et les évaluations de matériels de défense NRBC par la DGA peuvent être utiles aux opérateurs qui souhaitent acquérir des matériels de ce type. Les ministères non dotés d’entités d’expertise technique et d’essai pour les équipements NRBC peuvent, sous l’égide du SGDSN, faire appel à l’expertise de la DGA, par ailleurs actrice d’une démarche de standardisation des essais qui débute auprès de l’AFNOR et au niveau européen.
L’objectif principal de la détection est de donner l’alerte le plus tôt possible, avant l’apparition des premiers symptômes, afin de mettre en place des contre-mesures médicales et de gestion de la crise. Mais l’identification instantanée de quelques agents biologiques pathogènes dans un bruit de fond biologique atmosphérique dense semble hors de portée dans un avenir proche.
Les délais envisageables sont aujourd’hui d’une à deux heures pour une identification sur le terrain à partir de prélèvements bioaérosols. Ce délai permet la mise en œuvre immédiate des contre-mesures médicales disponibles.
Les solutions retenues par la Défense sont l’utilisation d’appareils de prélèvements d’air fournis par Bertin, Thales ou des firmes américaines, ainsi que des appareils d’identification par amplification génétique selon la technologie américaine Genexpert.
L’identification approfondie conduisant jusqu’à la souche d’un agent suspect est actuellement menée en laboratoire. Elle repose essentiellement sur des techniques d’identification génétique par des méthodes d’empreintes moléculaires ou de séquençage génomique total qui permettent de disposer d’éléments de preuve de l’agression. Elle peut être complétée par des techniques biochimiques.
Il est également important de pouvoir distinguer les agents vivants des agents inactivés, afin de déterminer s’il existe réellement un risque humain. Cette étape exige la mise en culture des agents, que la DGA peut assurer pour toutes les classes d’agents pathogènes.
Des dispositifs jetables d’immunodétection, des tickets détecteurs, sont utilisés par les équipes de reconnaissance NRBC pour lever des doutes sur des échantillons suspects, dans le cas de la découverte d’un laboratoire clandestin par exemple.
DGA Maîtrise NRBC évalue régulièrement les nouvelles solutions de décontamination proposées sur le marché. Les enjeux sont la décontamination douce, c’est-à-dire non destructive, et la décontamination certifiée, c’est-à-dire sans risque résiduel.
La détection instantanée nécessiterait de capteurs d’alerte en temps réel sur le terrain. La DGA y travaille depuis de nombreuses années mais, à ce jour, aucun pays n’a réussi à mettre au point un dispositif réellement efficace. Cela tient principalement à la difficulté de détecter, et d’isoler finement selon le seuil infectieux, des agents biologiques dans un milieu naturel fluctuant et comportant des micro-organismes proches des agents recherchés, avec le risque de produire des fausses alertes répétées.
Le rapporteur s’interrogeait dans son rapport précité publié en 2005 sur les capacités de la Défense en matière de réponse NRBC. Il se félicite du saut technologique franchi, notamment avec l’installation des deux laboratoires P4. Il est aujourd’hui persuadé que la France a la capacité de faire face à ce risque.
5. D’importantes retombées de la recherche et des développements dans le domaine de la sécurité civile
Les études militaires concernant le bioterrorisme présentent systématiquement des applications en matière de sécurité civile nationale. L’ensemble des études conduit au développement d’appareils de protection, de détection ou de décontamination pouvant équiper les forces de sécurité civile ou les pompiers.
Ainsi, il est fréquent que les équipes NRBC des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) soient équipées d’appareils portatifs de contrôle de contamination chimique (APCC) développés initialement pour la Défense. Le système Coriolis® Recon de prélèvement d’aérosols est également un exemple de matériel utilisé par les forces de sécurité civile.
Il convient également de mentionner les kits expérimentaux d’identification génétique réalisés par le centre d’expertise de la DGA Maîtrise NRBC, utilisés dans le cadre des travaux de détection d’agents biologiques.
Des recherches sont conduites sur le développement de bioépurateurs de composés neurotoxiques organophosphorés, entrant dans la composition de nombreux pesticides, pouvant être utilisés en décontamination ou en traitement.
Les recherches en santé ou en contre-mesures médicales peuvent également trouver des applications civiles. Ainsi des recherches sont conduites pour explorer le potentiel de la phagothérapie, c’est-à-dire l’utilisation de virus tueurs de bactéries (bactériophages) comme moyens de lutte contre les infections bactériennes, en particulier celles causées par des bactéries résistantes aux antibiotiques qui constituent un problème majeur de santé publique et de santé du militaire en opérations. Dans le domaine de la médecine réparatrice, des études portent sur la réparation tissulaire des blessures (peau, os et muscle) par des approches innovantes d’ingénierie et de thérapie cellulaire.
Concernant le risque infectieux, plusieurs projets sont en cours explorant de nouvelles approches antivirales à large spectre ciblant les virus des fièvres hémorragiques, dont le virus Ebola.
Le domaine NRBC est un domaine essentiellement public pour lequel le secteur privé fait preuve d’un intérêt limité. Les raisons peuvent être réglementaires mais ont le plus souvent trait à l’absence de débouchés commerciaux. Les grands acteurs sont NBC-Sys (Nexter), Thales et Airbus Défense. Les autres acteurs du domaine occupent souvent des niches et sont très dépendants de la commande publique, civile ou militaire.
Il existe un groupement d’intérêt économique, le GIE Défense NBC, regroupant une quinzaine d’entreprises spécialisées dans la détection, l’alarme, l’identification, la protection individuelle et collective, la décontamination, le médical et le traitement des déchets. Ce secteur semble connaître un recul de la commande publique(9).
Pour l’industrie pharmaceutique le retour sur investissement est faible car les agents pathogènes intéressant le secteur NRBC ne sont heureusement pas des enjeux de santé publique en France, où l’on enregistre moins d’un cas de charbon par an et qui n’a connu aucun cas de peste depuis 80 ans.
Qu’il s’agisse des contre-mesures thérapeutiques, avec les investissements très lourds que représente la mise au point d’un vaccin, ou de la détection, la DGA peine à impliquer autant qu’elle le souhaiterait les grands industriels en raison de l’absence de marché potentiel.
La situation est similaire au Royaume-Uni. Les États-Unis en revanche ont dynamisé leur R&T après 2001 dans le cadre du programme BioShield en injectant plusieurs milliards de dollars pour développer et soutenir l’industrie pharmaceutique. Cet exemple montre qu’une solution existe mais qu’elle doit passer par une politique interministérielle nationale volontariste à laquelle appelle le rapporteur.
Des demandes de cession de souches d’agents de classe 4 sont régulièrement adressées aux organismes et aux pays détenteurs titulaires des droits sur ces souches.
Tous les organismes détenteurs de souches d’agents ne sont pas également réceptifs. Une bonne coopération a été obtenue depuis longtemps avec l’ANSES et l’INRA. Les relations sont également excellentes avec la direction du laboratoire P4 de Lyon. En revanche, la relation avec d’autres entités académiques ou instituts est difficile, les chercheurs ne se sentant souvent pas concernés par la lutte contre le bioterrorisme.
Au travers d’études ciblées sous-traitées (ANR/ASTRID et thèses), la DGA tâche toutefois de sensibiliser les acteurs académiques à la sécurité et la sûreté biologique qui nécessitent en particulier une caractérisation et une traçabilité des souches détenues.
Le rapporteur déplore cet état de fait et souhaite que des actions d’information soient engagées en direction du monde académique pour le sensibiliser à cet enjeu majeur.
Aux États-Unis, de nombreux incidents dans des laboratoires de recherche de haute sécurité ont récemment été révélés par la presse. Selon le quotidien USA Today (10), 1 100 incidents de laboratoire mettant en jeu des virus, bactéries ou toxines susceptibles d’être utilisés dans des actes bioterroristes ont été rapportés aux autorités entre 2008 et 2013.
En France, la presse s’est fait l’écho de quelques rares problèmes, perte d’agents biologiques pathogènes à l’Institut Pasteur, ou problème d’inactivation de charbon à l’ANSES. Les laboratoires impliqués ont été temporairement fermés.
La législation française couvre deux domaines complémentaires. Premièrement, la biosécurité, sécurité des personnes et de l’environnement, fait l’objet de l’arrêté du 23 janvier 2013 qui renforce les dispositions de construction et de procédures d’exploitation pour les laboratoires confinés. Deuxièmement, la biosûreté, prévention de l’usage malveillant d’agents biologiques, fait, elle, l’objet des décrets et arrêtés dits MOT (micro-organismes et toxines) en réglementant la détention et les transferts.
La DGA a mis en place des procédures extrêmement strictes en matière de biosécurité et de biosûreté, allant au-delà des exigences réglementaires concernant notamment la traçabilité et l’inviolabilité des contenants.
Néanmoins la biosûreté dans le domaine civil pourrait être nettement améliorée en instaurant une traçabilité individuelle des souches MOT au moyen de techniques d’empreintes génétiques ce qui permettrait, en cas d’attentat bioterroriste, de disculper ou de suspecter les laboratoires détenteurs de MOT. L’expertise de la DGA dans ce domaine a été sollicitée par quelques laboratoires civils. Le principe de cette assistance pourrait être utilement élargi au profit de la lutte contre le terrorisme.
Il est impératif de rendre obligatoire la traçabilité des souches de micro-organisme conservées en France et de considérer les agents biologiques comme une ressource stratégique nationale.
Il est tentant en période de disette budgétaire de s’en prendre à des programmes modestes, comme l’est le NRBC, dont les retombées sont discrètes, d’autant qu’il s’agit d’un risque peu perceptible, souvent considéré comme tout à fait hypothétique.
Le rapporteur insiste pour sa part sur la nécessité de maintenir les crédits consacrés au bioterrorisme à une hauteur permettant véritablement à notre pays de se protéger contre une éventualité dont les conséquences seraient lourdes pour l’ensemble de la population.
Ainsi d’ores et déjà, certaines entités impliquées dans la lutte contre bioterrorisme ne renouvelleraient plus les équipements de protection ayant atteint leur date de péremption. De même, certaines formations seraient boudées alors que seuls des entraînements réguliers rassemblant des acteurs institutionnels d’horizons divers n’ayant pas l’habitude de travailler ensemble peuvent assurer une efficacité optimale le jour J. Le rapporteur est d’avis qu’il convient non seulement de les rendre obligatoires mais d’en augmenter la fréquence.
TROISIÈME PARTIE : DRONES, LA FRANCE VERS LA SORTIE DE L’INTÉRIM ?
Abonnée à l’intérim en matière de drones avec les systèmes intérimaires que sont le SDTI, le SIDM et enfin le Reaper choisi en urgence, et à juste titre, pour combler une lacune capacitaire béante, la France doit enfin sortir de cet engrenage et devenir la force motrice du projet de drone MALE (11) européen destiné à succéder au Reaper. Il s’agit d’un enjeu de souveraineté au moment même où une situation internationale de moins en moins lisible à court terme exige de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour conserver la plus grande autonomie de jugement. Les drones sont l’un des outils indispensables pour y parvenir.
Si des avancées, qu’il salue, ont été effectuées au cours de l’année 2014 avec le lancement de la consultation pour le remplacement du SDTI et la formalisation de la proposition d’industriels pour le drone MALE européen, le rapporteur regrette encore un certain manque d’ambition et voudrait voir la prise de décision s’accélérer.
Au terme d’atermoiements politico-industriels lourds de conséquences sur lesquels le rapporteur ne reviendra pas mais qu’il souhaite ardemment ne pas voir se reproduire, l’armée de l’air a été équipée en 2008 de deux systèmes et quatre vecteurs de drones intérimaires MALE (SIDM) Harfang.
L’expérience acquise au fil de l’utilisation de ces drones, qui ont volé autour de 5 000 heures en Afghanistan et ont fourni un appui inestimable aux forces engagées sur le terrain, a permis de légitimer définitivement un besoin capacitaire ne faisant plus aujourd’hui l’objet de la moindre contestation, ce dont se félicite le rapporteur.
Face à ce besoin établi, rendu urgent par le lancement de l’opération Serval, l’éventail des choix était restreint puisqu’il se limitait au Harfang, fabrication intérimaire non industrialisée qu’il aurait été long et coûteux de dupliquer et de mettre à niveau, ou à l’achat sur étagère d’un système éprouvé utilisé dans d’autres forces aériennes. Faute d’équipements français ou européens disponibles, c’est la deuxième solution qu’a choisie le ministre de la Défense en engageant avec les États-Unis des discussions pour l’achat de douze drones Reaper, soit quatre systèmes composés chacun d’une station sol et de trois vecteurs. Le premier système de type block 1, équipé seulement de deux vecteurs, a été mis en service fin 2013.
L’utilisation intensive des Reaper n’a pas rendu celle des Harfang superflue pour autant.
Ainsi, en 2013 au plus fort de l’opération Serval, ont été déployés deux systèmes de drone Harfang. Cela a permis soit d’engager les deux types de drones simultanément dans deux zones différentes soit d’augmenter le temps de présence sur un même objectif.
Cependant, le Harfang est un système en fin de vie qui présente de nombreuses obsolescences, dont le traitement a impliqué fin novembre 2013 le rapatriement à Cognac d’un des deux vecteurs qui a pu par la suite être engagé sur le territoire français dans le cadre des dispositifs particuliers de sûreté aérienne du 6 juin et du 14 juillet 2014.
Il est prévu de maintenir la capacité de drones Harfang jusqu’en 2017, date prévue pour la mise en service opérationnel du deuxième système de drones MALE Reaper. L’enjeu pour l’armée de l’air consiste à consolider sa capacité d’appui FMV (Full motion video) aux armées dans cette phase transitoire.
Dans le cadre de la préparation opérationnelle, le système Harfang demeure en outre indispensable à la formation au travail en équipage, à l’apprentissage des bases du métier d’opérateur capteurs et de pilote à distance, ainsi qu’au maintien en condition opérationnelle des équipages non déployés.
Succès : premier vol Harfang piloté à 5 000 km de distance
Un vol expérimental a été conduit le 17 juin 2014 en condition opérationnelle conjointement par des équipes basées respectivement à Cognac et dans la bande sahélo-saharienne. Durant une heure les fonctions de pilotage du drone et des capteurs ont été transférées à l’équipe située en France par l’équipe localisée en Afrique qui a assuré le décollage et l’atterrissage ainsi que le reste de la mission.
Site du ministère de la Défense, 20/06/14.
Depuis leur engagement en Afghanistan en 2009, les Harfang de l’armée de l’air ont effectué plus de 10 000 heures de vol dont 5 000 en Afghanistan, 400 en Libye et plus de 3 000 dans le cadre des opérations au Sahel.
Le système acheté par la France a été prélevé sur les chaînes de production de General Atomics et livré directement au Niger. La facilité et la rapidité de sa mise en service se sont avérées étonnantes et le général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air, a qualifié sa mise en œuvre d’exemplaire.
Au 8 septembre 2014, les Reaper ont effectué depuis leur mise en service 1 500 heures de vol correspondant à plus de 100 missions. Leur utilisation intensive a conduit l’armée de l’air à programmer désormais 5 000 heures de vol annuelles au lieu des 2 000 prévues initialement, afin de faire face au besoin croissant d’observation nécessité par les opérations.
Les niveaux d’identification et la qualité d’image s’avèrent nettement supérieurs à ceux des Harfang. Ainsi, ce sont les Reaper qui ont permis la découverte de la zone de crash du vol Ouagadougou-Alger d’Air Algérie le 25 juillet 2014, au cœur d’une zone particulièrement difficile à identifier. Apte à voler jusqu’à 24 heures d’affilée, le Reaper est beaucoup plus rapide et assure une meilleure permanence sur zone.
La disponibilité du Reaper est également remarquable. Le système intégral, station sol et vecteurs, a un taux de disponibilité de 85 %, leur indisponibilité étant limitée aux périodes de maintenance, contre 55 % pour le système Harfang.
Le soutien du Reaper est assuré par une équipe d’assistance américaine dont il est prévu de revoir le format à la baisse.
Il s’avère toutefois que le coût de soutien du Reaper est inférieur à celui du Harfang, pour des services rendus sans comparaison.
Le passage à un potentiel de 5 000 heures de vol annuelles n’augmentera pas le coût du soutien par heure de vol supplémentaire à due proportion car il sera dégressif.
Les Reaper français volent à partir du Niger pour des missions sur la bande sahélo-saharienne. Si la France souhaitait les déployer sur une autre zone, elle devrait contractuellement solliciter l’autorisation des autorités américaines. Il est rappelé à ce propos que les Reaper français ne peuvent survoler le ciel européen faute de certification, contrairement au Harfang.
Cependant, l’armée de l’air fait voler ses Reaper avec ses propres satellites et garde son indépendance lors des missions qu’elle conduit sans avoir à demander d’autorisation particulière pour les faire décoller et, dans le cadre contractuel prévu, n’a pas à fournir d’informations sur les lieux survolés.
Les capacités d’observation françaises étant insuffisantes et les moindres performances du Harfang ne permettant de l’utiliser pour les opérations particulièrement exigeantes des forces spéciales, il est régulièrement fait appel aux moyens américains en cas d’indisponibilité des vecteurs français. Il en résulte sur le terrain une collaboration accrue entre les deux armées. L’armée américaine devrait prochainement ouvrir une nouvelle base de drones à Agadez dans le nord du Niger, susceptible de renforcer encore le soutien à l’opération menée par la France(12).
La formation des équipages français sur la base d’Holloman au Nouveau-Mexique a donné d’excellents résultats. Il s’agissait de pilotes de Harfang qui possédaient déjà une culture drone solide et la formation, couplée à la conception du Reaper, a permis de mettre le système en service opérationnel quasiment dès le premier jour.
Mais l’USAF forme aujourd’hui davantage de pilotes de drone que de pilotes d’avion et les formations connaissent un problème d’engorgement. Parallèlement, l’armée de l’air doit pouvoir compter plus d’équipages français car les hommes formés sont trop peu nombreux et restent de ce fait trop longtemps en OPEX, jusqu’à neuf mois sur un an pour les pilotes formés en 2013. Cette situation pose des problèmes d’usure des équipes auxquels l’état-major de l’armée de l’air se doit de porter la plus grande attention. Aujourd’hui seuls six équipages, composés d’un pilote et d’un opérateur de capteur (13), sont formés, deux sont en cours de formation et un équipage débutera sa formation en janvier 2015. Il conviendrait de pouvoir former encore quatre équipages au cours de l’année prochaine.
Une discussion est en cours pour recourir à des formations supplémentaires dont celles dispensées par General Atomics.
Actuellement le décollage et l’atterrissage des Reaper de l’armée de l’air sont effectués par du personnel américain car l’USAF ne délivre la formation spécifique indispensable à la prise en charge de ces phases particulièrement délicates (14) qu’à l’issue d’une expérience d’environ 600 heures de vol, que les premiers pilotes français atteindront en 2015.
Face à ce bilan opérationnel très positif et à un besoin de surveillance accru, l’armée de l’air ne dispose pas de moyens suffisants.
Elle attend donc, dans un premier temps, la livraison du troisième vecteur, venant compléter le premier système, pour une mise en service au cours du premier semestre 2015.
La livraison d’un deuxième système, de type block 5, prévue par la loi de programmation militaire devrait avoir lieu en 2017. Il semble toutefois, selon des sources américaines, que les Reaper block 5 ne seront pas prêts avant fin 2016 et qu’il conviendra ensuite d’attendre une qualification par l’USAF devant être finalisée au plus tôt durant le premier semestre 2017, un retard étant d’ores et déjà prévisible.
Le besoin français est toutefois urgent, qu’il s’agisse de compléter le dispositif au Niger, ou d’installer le système au Koweït dans la perspective d’éventuelles opérations en Irak. Deux options sont envisageables : soit les Reaper block 5 sont disponibles début 2017 au plus tard, soit, en cas de doute sur le calendrier, il pourrait être choisi la livraison fin 2016 d’un deuxième système block 1 susceptible d’être mis à niveau dans un second temps. La livraison d’un système block 1 dans des délais encore plus brefs serait actuellement à l’étude.
En tout état de cause, le rapporteur salue la décision prise par le ministre de la Défense de commander le deuxième système de Reaper dès 2015, selon le rythme fixé par la loi de programmation militaire.
Cependant, l’armée de l’air doit faire face à un problème de couverture satellitaire. Il s’agit d’une véritable difficulté pour certaines zones où la transmission de données est très limitée. Il sera donc impératif de remédier parallèlement à ce problème pour assurer un usage des drones à temps plein.
Le rapporteur estime que le renforcement de cette capacité est de la plus haute importance et que la solution doit procéder d’une démarche européenne.
La protection des liaisons de données
La garantie de la confidentialité et de l’intégrité des données est un enjeu majeur pour les systèmes de renseignement quelle que soit leur nature.
Les systèmes de drones sont par essence dépendants de liaisons satellitaires : l’une pour le recueil et la diffusion de la vidéo en temps réel, la mise en œuvre des capteurs ainsi que pour le pilotage de l’avion ; l’autre pour la diffusion du renseignement dans la chaîne de commandement.
La première liaison utilise un satellite commercial dans le cadre de la convention ASTEL-S (Acquisition de Services de TELécommunications), car il n’existe pas sur les satellites militaires de disponibilité de bande passante dans la gamme de fréquence (Ku) nécessaire. Cette dépendance à l’égard des opérateurs civils représente une forme de vulnérabilité à laquelle s’ajoute souvent la faiblesse de l’offre disponible dans les zones d’intervention actuelles ou potentielles. Cette situation nécessite une planification afin de pouvoir disposer à un coût raisonnable du service en quantité, un drone nécessite entre 5,5 et 9 mégabits, et en qualité, la couverture s’étendant rarement à toute la zone d’intérêt.
Si la liaison satellite civile n’est pas encore protégée par cryptage, elle bénéficie en revanche d’une protection contractuelle prévoyant un plan de fréquence et l’autorisation d’emploi du lien satellite par le fournisseur. Les drones français bénéficient en outre d’une protection par évasion de fréquence (FHSS ou Frequency Hopping Spread Spectrum) pour la liaison montante du Reaper et d’un codage industriel pour le Harfang.
Ces contraintes sont identiques pour tous les opérateurs de drones MALE, États-Unis compris. L’utilisation de la bande Ka pour de futurs drones MALE ou de combat pourrait constituer une réponse aux problèmes de disponibilité et permettre une protection renforcée par l’intégration d’un anti-brouillage.
La seconde liaison utilise un satellite militaire de type Syracuse pour la diffusion depuis le cockpit du drone en direction des utilisateurs de la chaîne de commandement. Le réseau Syracuse dispose d’un système de protection intégré, un chiffreur satellitaire des liens montants et descendants. De plus, les réseaux informatiques « sol » utilisés sont également chiffrés au niveau confidentiel ou secret défense avant d’emprunter le lien satellitaire. Le stockage des données est réalisé sur le système d’aide à l’interprétation multicapteurs (SAIM) et sur les serveurs de données des cockpits. Des extractions plus ou moins élaborées selon le besoin et l’urgence, captures d’écran ou dossiers d’objectifs, sont réalisées et diffusées sur des réseaux particuliers. Aucun des sous-systèmes n’est connecté à Internet.
Selon les informations recueillies par le rapporteur, les systèmes de drones dans le cadre des opérations Serval ou Barkhane ne semblent pas avoir subi d’attaque informatique mais la question de la cyberdéfense reste au cœur des préoccupations.
Le Reaper possède un capteur radar de détection de cibles mobiles (SAR/MTI) et un capteur optique mais il lui manque un capteur ROEM. Pour pallier ce déficit, l’armée de l’air adjoint le C-160 Gabriel en complément du Reaper afin d’obtenir par détection électromagnétique des informations utiles à l’identification des zones sur lesquelles les drones sont envoyés dans un second temps.
L’ajout d’un capteur pourrait consister en une charge ROEM française mais il semble qu’il n’en existera pas de disponible avant l’horizon 2022.
L’utilisation des systèmes Reaper en France nécessiterait plusieurs modifications. Le premier niveau de francisation indispensable à la certification consisterait à modifier la liaison à vue directe LOS (Line of Sight) actuelle, afin de lui affecter une bande de fréquence compatible avec la réglementation française.
Il conviendrait ensuite, dans un second temps, d’intégrer des capteurs issus de l’industrie française ou européenne, une charge optique, par exemple. Mais ceci ne serait possible que sur les Reaper block 5, dont les chaînes de pilotage du drone et de pilotage des capteurs sont distinctes, ce qui n’est pas le cas sur le block 1.
En dépit de certaines affirmations, il semble au rapporteur très improbable qu’une francisation du premier système de drones Reaper block 1, et vraisemblablement du deuxième, si le Reaper block 5 n’est pas prêt dans les temps comme cela semble se dessiner, intervienne jamais puisqu’elle semble impossible de facto en raison de la conception même du système dont les chaînes de pilotage sont imbriquées.
L’évocation d’une mise à niveau à terme des block 1 qui pourraient être ultérieurement « rétrofités » aux standards du block 5 lui semble également hypothétique d’autant que l’autorisation américaine indispensable à la modification de l’un ou l’autre système n’est pas acquise aujourd’hui.
Il ne semble pas non plus que l’industrie ait été sollicitée à ce sujet au cours de l’année écoulée.
Le rapporteur se félicite toutefois de la réponse du ministre de la Défense, lors de la commission élargie examinant les crédits de la mission « Défense » le 23 octobre 2014, indiquant que le nouveau système Reaper commandé en 2015 sera bien francisé. Il estime néanmoins que cette mise aux normes françaises interviendra bien trop tardivement et que l’incertitude quant à la faisabilité, au coût et aux délais de l’opération vient justifier encore l’urgence d’avancées concrètes dans le projet de drone MALE européen.
Le rapporteur a retiré des différents entretiens qu’il a menés la certitude, d’une part, qu’il est impératif de construire un drone européen et, d’autre part, qu’il s’agira de ne pas se contenter d’une réplique du Reaper, coûteuse et inutile, mais bien d’élaborer un matériel innovant, intégrant de nouvelles fonctionnalités notamment en matière de capacité d’auto-déploiement, d’autonomie, de multi-capteurs et de liaisons de données. Mais le défi majeur, auquel se sont heurtés nos voisins allemands avec l’EuroHawk, demeure l’intégration de ce futur drone dans l’espace aérien européen qui devra être prise en compte dès le départ du développement.
Il est également clair qu’aucun pays européen n’a les moyens de financer seul ce projet.
La problématique de l’insertion dans l’espace aérien a été confiée à l’Agence européenne de défense (AED) au travers de deux programmes :
● un programme technologique ERA (European Research Area) propre à l’AED, qui vise à fournir les technologies clés de la navigabilité, senseurs et technique d’évitement ;
● le programme SESAR (Single European Sky Air traffic management Research), qui ne bénéficie pas des crédits défense et prévoit l’insertion des drones civils dans une logique de mise en réseau des aéronefs. Financé par l’Union européenne, à l’initiative de la Commission européenne en collaboration avec l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA), les industriels et les représentants des contrôles aériens, ce programme a pour but d’uniformiser la gestion du trafic aérien au niveau communautaire afin d’augmenter l’efficacité globale du système de contrôle. Une partie du programme est consacrée aux drones.
Ces deux programmes sont fondamentaux car les freins actuels au développement industriel et commercial de la filière drones, hors mini-drones, proviennent de l’incertitude des coûts et des exigences de qualification et de certification liées au vol de drones. La réglementation au niveau européen garantira la fiabilité du système et des conditions de vol.
Mais le processus sera long. Ainsi, l’étude MIDCAS (mid-air collision avoidance system (15)), qui permettra à terme aux drones d’évoluer dans l’espace aérien général, a débuté il y a cinq ans et n’a toujours pas abouti. La logique d’évitement en vol « sense and avoid» (16) commence seulement à donner lieu à des démonstrations de capteurs dans une logique d’évitement automatique.
Les drones actuels, dont le Reaper, ne possèdent pas cette technologie d’évitement en vol car ils évoluent dans des espaces distincts dits « ségrégués ». Un espace aérien doit donc leur être réservé, ce qui entraîne un manque de flexibilité pour l’aviation civile et pose le problème de la densité de population des espaces survolés par les drones. Il s’agit d’une grande différence avec les États-Unis dont l’espace aérien comprend de vastes zones libres et sans risque pour la faible population au sol, contrairement à l’Europe. De plus, cette technologie est déterminante dans le cas de missions de surveillance de territoires à forte densité, comme peuvent l’être certains espaces africains. Ainsi, après que se sont écrasés cinq drones Predator de retour vers leur base depuis 2011, le gouvernement djiboutien a prié l’USAF de quitter le camp Lemonnier pour Chabelley, dix kilomètres au sud de la ville de Djibouti. (17)
En France, le Harfang, certifié, vole dans des espaces réservés ; en OPEX, il n’y a pas de réglementation précise mais un contrôle aérien avec un couloir spécifique est mis en place.
Le rapporteur estime qu’il est important d’affecter davantage de moyens à ce sujet majeur, qui conditionne le succès de l’industrialisation européenne de la filière drones tant civile que militaire.
La France, parallèlement à l’acquisition rapide de nouveaux systèmes Reaper, débute une réflexion quant à la constitution d’une capacité MALE pérenne pouvant progressivement succéder à la flotte de Reaper en cours d’acquisition. Cette capacité devrait être développée dans le cadre d’une coopération européenne. Si aucune décision n’a été formalisée, des échanges ont débuté avec nos partenaires européens majeurs tels que l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, sur des conditions de développement en commun respectant les contraintes de maîtrise des coûts, d’innovation technologique et de compétitivité.
Des contacts entre la France et l’Allemagne sur la mise en place d’un « groupe de travail franco-allemand pour le développement d’une nouvelle génération de drones de surveillance » sont en cours depuis le printemps 2014. La volonté de la France est d’analyser parallèlement le besoin militaire et les exigences techniques d’un système de drone aérien MALE, en coordination étroite avec les travaux en cours au sein de l’AED dont le comité directeur a approuvé en avril 2013 le lancement des travaux portant sur la prochaine génération de drones MALE, puis a validé en novembre 2013 le « common staff target » correspondant. Ce système doit répondre à un besoin commun franco-allemand et aboutir à l’horizon 2025. Les résultats du débat parlementaire allemand initié en juin 2014 sur les drones devraient permettre au projet de prendre forme et d’associer rapidement l’Italie à ces travaux. La France a annoncé en février 2014 sa disponibilité en réaffirmant la volonté franco-allemande d’avancer de concert.
La DGA travaille activement avec l’Allemagne et l’Italie pour trouver un compromis afin de développer une plateforme commune à laquelle pourraient se joindre ultérieurement d’autres pays, s’ils l’acceptent sans modification et dans le respect du cadre fixé à l’origine.
Le rapporteur salue cette méthode de travail indispensable à la cohérence du projet afin d’éviter des développements annexes à l’utilité douteuse, venant parasiter le projet en faisant croître coûts et délais.
Par ailleurs, suite à la déclaration d’intention faite lors du salon du Bourget en 2013, trois industriels Dassault Aviation pour la France, Airbus Defence and Space pour l’Allemagne et Alenia Aermacchi pour l’Italie ont remis à leur ministre de la Défense respectif une proposition de lancement d’une phase de définition du programme de drone MALE 2020.
La date espérée pour le début de l’étude est 2015, et si c’est le cas, la réalisation du projet pourrait commencer en 2017-2018, les trois États s’engageant dans un premier temps dans une phase de définition de deux ans financée à parts égales à hauteur de 60 millions d’euros.
Le rapporteur s’inquiète toutefois des positions changeantes de notre allié allemand, qui semblerait vouloir réactiver le coûteux projet EuroHawk soit pour réaliser de nouveaux vols d’essais, soit pour en extraire le système de surveillance et l’installer sur une plateforme américaine Triton de Northrop Grumman, version maritime du Global Hawk, susceptible de rencontrer les mêmes problèmes de certification que son prédécesseur (18). Bien que, semble-t-il, dorénavant favorable aux drones(19), évoquant même leur armement(20), l’Allemagne pourra-t-elle se permettre de courir deux lièvres à la fois ?
Le constat a été fait aujourd’hui des erreurs stratégiques qui ont conduit l’Europe à cette lacune capacitaire. Le rapporteur estime qu’il faut en tirer les enseignements : l’Europe doit impérativement disposer d’un drone MALE et avancer à marche forcée dans cette direction.
L’Europe ne peut pas simultanément demander des comptes sur le déficit budgétaire des États membres, ce qui est parfaitement acceptable, sans intervenir dans le soutien à l’innovation technologique en matière de défense, comme le montre l’exemple du drone MALE. Ceci revient de facto à laisser au Royaume-Uni et à la France le soin défendre les intérêts géo-stratégiques européens sur les théâtres extérieurs.
Le système de drone tactique intérimaire (SDTI), le Sperwer de Sagem en fonction depuis 2004, a été utilisé au cours des opérations au Liban en 2006, au Kosovo en 2008 et en Afghanistan de 2008 à 2012 pour 774 missions. En 2013, le système n’a pas été déployé et son activité a été limitée à la métropole et à la préparation opérationnelle, avec 46 vols totalisant 95 heures. Cette faible activité est en partie due aux difficultés rencontrées au retour d’Afghanistan qui ont entraîné de nombreuses indisponibilités des segments sol.
En revanche, l’activité en 2014 est en nette augmentation puisqu’au 30 juin ont été effectués 46 vols, pour une durée de 88,5 heures. Le déploiement dans la bande sahélo-saharienne est actuellement à l’étude et conduirait encore à une forte augmentation du nombre de vols. Le SDTI restera en service jusqu’en 2017.
Le soutien du SDTI est couvert jusqu’à novembre 2014 par un marché avec Sagem comportant les exigences minimales concernant le maintien des compétences techniques des équipes, les travaux de maintenance, les achats de rechanges et la réalisation des activités de soutien sur une base d’activité aérienne annuelle de 100 vols en métropole ou 300 vols si le système est déployé, intégrant l’attrition associée. Les besoins supplémentaires sont couverts par l’émission de bons de commande. Un nouveau marché, aux exigences encore plus réduites, est en cours de négociation avec Sagem afin d’assurer le soutien jusqu’à fin 2017.
L’éventualité d’un déploiement de drones tactiques allemands et français dans l’est de l’Ukraine au bénéfice de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a été évoquée par les deux gouvernements.
Conformément à la programmation budgétaire, l’acquisition du nouveau système de drone tactique (SDT) remplaçant le SDTI consistera en un achat sur étagère, francisé a minima notamment en ce qui concerne l’indispensable adaptation des liaisons de données aux contraintes réglementaires.
Conformément à la décision du comité ministériel d’investissement du 22 mai 2014 retenant une stratégie d’acquisition basée sur une mise en concurrence européenne, un appel à candidatures a donc été émis par la DGA dans le cadre d’une consultation restreinte, la décision devant être prise mi-2015 pour une notification en fin d’année. Les solutions seront appréciées dans une approche de « coût complet » prenant en compte tous les aspects de la capacité et notamment les possibilités de mutualisation.
Au cours de la consultation, les systèmes candidats feront éventuellement l’objet de démonstrations, limitées dans le temps, dont le périmètre est encore en cours de définition. Celles-ci pourraient en effet aider à juger de la maturité des solutions proposées et donc de leur crédibilité au regard du respect des calendriers et des spécifications techniques.
Les concurrents devraient être selon toute attente Thales avec le Watchkeeper, Sagem (Safran) avec le Patroller, Airbus avec le Shadow 200 et, peut-être, Latécoère et IAI avec le Heron. Ces systèmes présentant tous des caractéristiques très différentes en matière d’endurance, de poids, d’autonomie et de mise en œuvre, l’appréciation de la couverture du besoin opérationnel devrait être décisive.
Le rapporteur se félicite du lancement de la consultation tout en regrettant qu’elle n’ait pas eu lieu plus tôt car si le calendrier actuel permet normalement d’éviter la rupture capacitaire sur le papier, elle est plus que frôlée sur le terrain.
Les ministres de la Défense français et britanniques ont signé le 15 juillet dernier, lors du salon aéronautique de Farnborough, un accord portant sur une étude de faisabilité de deux ans, dotée de 150 millions d’euros, portant sur le système de combat aérien du futur (SCAF).
L’étude sera conduite par Dassault Aviation et BAE Systems qui ont déjà chacun développé, en collaboration avec d’autres industriels, un démonstrateur de drone de combat, le nEUROn et le Taranis, pour des essais en vol du futur engin autour de 2020 et une mise en service vers 2030.
Le SCAF ne se limite toutefois pas aux démonstrateurs technologiques confiés à l’industrie. Un important travail parallèle de définition du concept d’emploi des différents aéronefs, présents et futurs, doit se dérouler en intégrant les nouvelles possibilités technologiques et les menaces futures afin de définir la nature du système et les capacités qui seront nécessaires : furtivité, vitesse, tirs à distance de sécurité, brouillage offensif…
Le concept d’emploi actuel d’un drone MALE, assimilable d’une certaine manière à un satellite basse couche, est en effet radicalement différent de celui à venir d’un drone de combat.
Dans ce projet, la France peut s’appuyer sur l’expertise acquise lors du programme de démonstrateur nEUROn qui avait trois objectifs principaux : intégrer les techniques de furtivité sur un objet volant en associant commande de vol et furtivité, intégrer un système d’armes tout en conservant la furtivité et tester l’engineering system en coopération avec d’autres pays dans le cadre d’un programme complexe à enjeu politique fort. La fin de ce programme est prévue mi-2015.
Entre le drone MALE ou HALE (21) et le satellite, la plateforme stratosphérique géostationnaire pourrait permettre la permanence de la surveillance avec une qualité d’image supposée supérieure à celle d’un satellite et une discrétion plus importante que les différentes catégories de drones. De plus, la faiblesse des vents de la stratosphère, autour de 20 km d’altitude, pourrait permettre de maintenir la plateforme pendant un an sur une zone fixe avec une consommation d’énergie minimale. À cette altitude, le système restera toutefois vulnérable à certains missiles.
Il s’agit d’une technologie duale actuellement développée par l’industrie civile avec, notamment, un premier projet de démonstrateur soutenu par le pôle de compétitivité Pégase d’Aix-en-Provence, qui abrite une filière d’excellence « drones » dans laquelle coopèrent l’industrie et le monde universitaire.
Les applications concerneraient l’observation, la téléphonie, la télévision, l’imagerie ou pourraient pallier l’absence de liaisons satellitaires. Les applications militaires potentielles sont nombreuses en matière de surveillance, de capture image ou électromagnétique et pourraient fournir un champ large permettant de prépositionner drones MALE ou drones de combat. Le drone stratosphérique viendrait donc en complément des autres systèmes de drone.
Les Américains développent actuellement des High Altitude Platforms (HAP), équivalents des drones stratosphériques. Thales Alenia Space travaille de son côté au projet de dirigeable stratosphérique Stratobus, une plateforme stratosphérique autonome. Airbus Defence and Space développe quant à lui le concept différent de drone pseudo-satellite à haute altitude (HAPS) Zephyr 7 motorisé à l’énergie solaire, dont les essais se sont déroulés avec succès le 29 septembre dernier à Dubaï(22).
Une réflexion pourrait être lancée pour évaluer le besoin militaire et déterminer si un drone de ce type est utile à l’optimisation des dépenses et à l’amélioration du service rendu. Bien que toutes les difficultés technologiques soient loin d’être résolues aujourd’hui, la France aurait ainsi l’opportunité de devenir leader sur ce secteur innovant, et de ne pas être en retard une fois encore.
La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Philippe Errera, directeur chargé des affaires stratégiques, sur le projet de loi de finances pour 2015 (n° 2234), au cours de sa réunion du mercredi 8 octobre 2014.
Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le directeur, soyez le bienvenu. Le programme 144, dont vous avez la responsabilité, comprend notamment les crédits dédiés aux études amont, et donc la préparation de l’avenir : son évocation nous permettra donc de prendre un peu de hauteur par rapport aux considérations pratiques.
M. Philippe Errera, directeur chargé des affaires stratégiques. C’est toujours un privilège pour le directeur chargé des affaires stratégiques (DAS) de s’exprimer devant votre commission, en particulier dans le cadre de ses fonctions de responsable du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » qui, comme vous le savez, traduit en termes d’organisation budgétaire toute l’importance donnée à la fonction stratégique « Connaissance et anticipation ».
La mise en œuvre des réformes de la gouvernance du ministère aura plusieurs impacts sur ce programme en 2015, notamment la réforme de la fonction personnel et la réorganisation de la fonction relations internationales et stratégie.
Dans le cadre la rénovation des principes et des modalités de gestion de la masse salariale évoquée devant vous par le ministre le 1er octobre dernier, la réforme de la fonction personnel, effective à partir du 1er janvier 2015, aura en pratique deux conséquences pour le programme 144 : une conséquence financière puisque ce programme, comme tous les autres du ministère, ne disposera plus, à compter du 1er janvier prochain, d’aucun crédit de titre 2 en raison du transfert de la masse salariale des différents programmes LOLF – loi organique relative aux lois de finances – vers le programme 212 « Soutien de la politique de la défense » placé sous la responsabilité du secrétariat général pour l’administration, le SGA ; une réorganisation de la gestion et du suivi des effectifs, qui relèveront désormais d’une concertation entre les employeurs des agents et les budgets opérationnels de programme (BOP) de gestion. Pour des raisons de confidentialité, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) maintiendra son propre dispositif.
Les relations internationales et la stratégie font partie des cinq domaines prioritaires de la réforme de la gouvernance du ministère. Dans la continuité des décisions prises en juillet 2013 et à l’issue de travaux internes au ministère, le ministre a statué en avril dernier sur les missions et les ressources de la future direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Celle-ci assumera certaines missions jusqu’alors exercées par l’état-major des armées (EMA) et la direction générale de l’armement (DGA) dans le domaine des relations internationales. Présenté aux instances de concertation internes au ministère le 29 septembre dernier, le projet de décret portant organisation de la future DGRIS est actuellement à Matignon. Cela aura aussi un impact sur l’architecture budgétaire du programme 144.
Je rappellerai brièvement les priorités fixées par le Livre blanc de 2013 et la loi de programmation militaire (LPM) pour le programme 144, avant de présenter les grands axes du PLF s’agissant de ce dernier ; enfin, j’aborderai la fin de gestion de l’exercice 2014, dont les conditions d’exécution influent naturellement sur le budget de 2015.
Comme le souligne le Livre blanc de 2013, « la fonction connaissance et anticipation a une importance particulière parce qu’une capacité d’appréciation autonome des situations est la condition de décisions libres et souveraines ». Cette fonction stratégique recouvre notamment le renseignement et la prospective, soit les deux grandes missions du programme 144.
La LPM accorde des crédits élevés aux deux missions du programme 144, en particulier à travers les études amont et le renforcement des services de renseignement, DGSE et direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), en termes d’effectifs et d’investissements, tant sur le plan quantitatif que qualitatif.
La LPM permet le maintien d’un effort substantiel en matière de recherche et technologie à travers les ressources consacrées aux études amont, dotées en moyenne de 730 millions d’euros par an sur la période 2014-2019. Ces ressources traduisent notre volonté de garantir l’effort de recherche et de consolider la base industrielle et technologique de défense française. Le Gouvernement entend ainsi maintenir à un niveau élevé les moyens dévolus à la maîtrise des capacités technologiques et industrielles, qui constituent l’un des fondements de notre autonomie stratégique.
Priorité est aussi donnée, dans le cadre de la LPM, aux moyens du développement de nos capacités de recueil, de traitement et de diffusion du renseignement. Cette priorité se traduit également par un renforcement des moyens et des crédits affectés au programme 146 pour les équipements – tels que les drones – et au programme 178 pour la direction du renseignement militaire (DRM), et par un effort d’investissement majeur dans de nombreux domaines : le renforcement des ressources humaines des services de renseignement mais aussi, au-delà du renseignement d’origine humaine (ROHUM), l’amélioration des capacités techniques de recueil ainsi que des moyens d’exploitation dans les cinq milieux que sont l’espace extra-atmosphérique, l’air, le cyberespace, la terre et la mer. Les capacités de maîtrise et de traitement de l’information sont également développées et les effectifs renforcés, en termes quantitatifs mais aussi qualitatifs, le niveau de compétence des agents étant ajusté aux besoins induits par la mise en œuvre de ces équipements et l’analyse de flux d’informations accrus.
En dépit de ces ambitions réaffirmées, le programme 144 est évidemment impliqué dans les efforts de maîtrise budgétaire du ministère. Ils se concentrent tout d’abord sur les lignes de fonctionnement des services de renseignement, même si l’on observe une hausse des dépenses liées à la construction, à la modernisation et à l’adaptation des locaux dans le cadre de l’accueil des nouveaux moyens techniques et des effectifs supplémentaires de la DGSE. Ces efforts visent aussi les ressources accordées aux opérateurs, qu’il s’agisse des écoles de la DGA ou de l’office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), qui verront leurs subventions baisser, dans des proportions mesurées, sur la période de la LPM, conformément à la politique générale du Gouvernement vis-à-vis des opérateurs de l’État.
Malgré ce contexte de contraintes budgétaires, les priorités du ministère ont été préservées en matière de connaissance et d’anticipation : le programme 144, cette année, en témoigne.
S’agissant du PLF pour 2015, le détail des demandes de crédits exprimées par le programme dans le projet annuel de performance (PAP) vient d’être déposé sur le bureau des assemblées. Je vous présenterai donc les points les plus marquants du prochain exercice : le regroupement du titre 2 au programme 212 ; les évolutions de l’architecture du programme 144 – hors titre 2 – liées à la réorganisation de la fonction relations internationales (RI).
L’un des points clefs de la nouvelle architecture budgétaire réside dans la localisation de toute la masse salariale du ministère au sein du programme 212. La rationalisation du suivi des dépenses de personnel et la recherche d’une réduction des déficits de gestion enregistrés les années précédentes sont au cœur des ambitions de cette réforme.
Le programme 144 générera, au terme du présent exercice, un excédent de gestion de 18,4 millions d’euros sur le titre 2 – réserve de précaution levée. Les moindres dépenses tiennent surtout aux rémunérations des agents, en particulier pour la DGA et la DGSE, BOP pour lesquels on constate un écart prévisionnel entre les effectifs moyens rémunérés en fin d’exercice et la cible initiale : cela s’explique en partie par les difficultés, pour la DGSE, de recruter des agents aux niveaux de qualification requis.
La DPSD achèvera la gestion de l’exercice 2014 en ayant consommé la quasi-totalité de son enveloppe budgétaire : cela lui aura permis de recruter le nombre de cadres civils requis par l’orientation de ses missions et le développement de ses systèmes d’information. Les dépenses sont aussi conformes aux prévisions pour la partie du programme 144 relative à la rémunération des agents de l’EMA spécialisés dans la diplomatie bilatérale de défense.
Il en ira différemment en 2015 avec le transfert du titre 2 vers le programme 212. Les employeurs, y compris la future DGRIS et la DPSD, réaliseront par conséquent leur ressource physique en concertation avec les BOP gestionnaires – armées ou services.
Hors titre 2, le programme 144 se voit doté, dans le PLF pour 2015, de 1 350 millions d’euros en autorisation d’engagement (AE) et de près de 1 334 millions d’euros en crédits de paiement (CP), en augmentation, respectivement, de 1,28 % et de 0,08 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2014.
La nomenclature du programme 144 se compose de trois actions : l’action 3 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France » ; l’action 7 « Prospective de défense » ; l’action 8 « Relations internationales et diplomatie de défense ». Cette dernière action a évolué dans son périmètre et son libellé, qui traduisent les réformes en cours de la fonction RI : certaines missions jusqu’alors partagées par des entités diverses – DAS, DGA et EMA –, seront en effet regroupées au sein de la future DGRIS, chargée d’assurer la cohérence et la mise en œuvre de la ligne politique fixée par le ministre en matière internationale et stratégique.
La réaffirmation du rôle central du renseignement se traduit, pour l’action 3, par une augmentation des ressources en CP de plus de 2 %. L’objectif de cette hausse est de satisfaire les nouveaux besoins liés à l’augmentation des effectifs, à la mise en œuvre de nouveaux équipements techniques, à l’analyse de flux d’informations accrus et à la cyberdéfense. Un effort d’investissement significatif est ainsi consenti, qui se traduit par un accroissement des dépenses programmées sur l’agrégat « Équipement » de plus 52 % en AE et de plus 3 % en CP. Cet effort est à mettre en rapport, notamment, avec l’augmentation des crédits d’équipement liés aux commandes du système de renseignement par satellite CERES et d’un deuxième système de drones MALE – moyenne altitude longue distance – Reaper.
L’action 7 est, en volume, la plus importante du programme 144 ; elle recouvre l’ensemble de l’analyse prospective, domaine essentiel de la fonction stratégique « Connaissance et anticipation », et se décompose en quatre sous-actions, qui elles-mêmes déclinent les trois catégories d’études de défense : les études prospectives et stratégiques (EPS), les études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO) et les études amont (EA), principale composante du programme en matière de prospective.
La sous-action 7.1 « Analyse stratégique » finance principalement les études prospectives et stratégiques commandées à des instituts de recherche afin de répondre aux besoins d’expertise des différents organismes du ministère dans les domaines politico-militaires, géopolitiques, économiques et sociaux. Si les EPS constituent le volet le plus visible de la mission de la DAS, la sous-action 7.1 recouvre également une contribution au renforcement de la visibilité de l’action prospective à travers le budget d’étude de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), les subventions à la publication ou le programme « Personnalités d’avenir défense ». Cette sous-action représente, en 2015, 6,12 millions d’euros en AE et en CP, soit une stabilité en AE et une baisse de 12 % en CP.
La sous-action 7.2 « Prospective des systèmes de forces » regroupe les activités destinées à identifier les besoins opérationnels, à orienter et à exploiter les études de défense pour éclairer les choix ultérieurs en matière de capacités opérationnelles. Elle est donc un instrument essentiel pour la planification et la programmation. Il s’agit principalement des études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO) éclairant les réflexions en matière d’équipement et d’emploi des forces. Pilotées par l’EMA, ces études identifient les besoins militaires afin de préparer les opérations d’armement en conséquence. Leur budget, en 2015, se monte à 20,81 millions d’euros ; il reste donc stable par rapport à 2014.
Les sous-actions 7.3 et 7.4 forment l’agrégat « Recherche et Technologie » ; à l’enveloppe allouée aux études amont s’ajoutent les subventions de recherche et technologie qui, avec un montant de 863,7 millions d’euros, restent stables par rapport à 2014.
Depuis 2014, la gouvernance des études amont est assurée, au sein du ministère, sur la base d’une segmentation de la recherche scientifique et technologique en agrégats sectoriels présentant une cohérence accrue en termes d’objectifs capacitaires, industriels et technologiques. De ce fait, les crédits ne sont plus répartis par systèmes de force mais par domaines sectoriels – aéronautique et missiles, information et renseignement ou secteur naval.
En cohérence avec la LPM, de nouvelles orientations pour les travaux de science, recherche, technologies et innovation (S&T) au sein du ministère ont été approuvées par le ministre au premier semestre 2014. Elles sont détaillées dans le document d’orientation des travaux de S&T pour cette période.
Les études représenteront, en 2015, 55 % du volume financier du programme 144, soit respectivement 743 millions d’euros en AE et 739 millions en CP. Les crédits qui leur sont associés sont en légère diminution, de moins de 1 % en CP par rapport à l’année dernière.
J’en viens au régime d’appui pour l’innovation duale (RAPID), mis en place en 2009 pour les PME et étendu en 2011 aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) : dans le cadre du pacte Défense-PME mis en place en 2013, les crédits qui lui sont consacrés ont été augmentés de 25 % en trois ans. Le montant programmé du dispositif s’élève donc à 50 millions d’euros en 2015, contre 45 millions en 2014.
La sous-action 7.4 « Soutien et subventions » recouvre les subventions octroyées aux opérateurs qui participent à des études et des recherches en matière de défense. Il s’agit des subventions pour charges de service public des écoles de la DGA – Polytechnique, École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA), ENSTA Bretagne et Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE) – ; s’y ajoutent, à partir de 2015, les ressources correspondant à la masse salariale des élèves de l’« X ». Ces subventions relèvent, depuis 2014, des dépenses de fonctionnement hors effort de R&T, auquel elles ne sont donc plus imputées. Les subventions relevant de la sous-action 7.4 sont, d’autre part, celles versées à l’ONERA et à l’Institut Saint-Louis, qui, elles, sont comptabilisées en R&T.
La dotation globale de cette sous-action représente, en 2015, 264,2 millions d’euros en AE et en CP ; à périmètre constant – et compte tenu du versement, en gestion, de 7 millions supplémentaires à l’ONERA en 2015 –, elle est donc en hausse de 2,4 % par rapport à 2014.
Ainsi corrigée, l’évolution programmée des dépenses de fonctionnement de l’action 7 satisfait les objectifs d’économies décidées en programmation budgétaire triennale 2015-2017 pour les opérateurs de l’État et se traduit, à périmètre constant, par une diminution de 2 % des subventions pour charges de service public versées aux établissements publics sous tutelle.
Quant à l’action 8, son périmètre a été réduit aux seuls crédits des actions de coopération et d’influence internationales après la suppression de la sous-action « Soutien aux exportations », dont les crédits de promotion des exportations sont transférés au programme 146. Le périmètre des crédits destinés à la fonction relations internationales comprendra donc en 2015 le financement des actions de coopération internationale : aide versée par la France au Gouvernement de la République de Djibouti ; crédits couvrant la part française du budget de fonctionnement de l’Agence européenne de défense (AED) ; contribution du ministère de la Défense aux actions de coopération bilatérales et multilatérales, notamment dans le cadre du partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes (PMG8) ; enfin, participation française aux actions liées à l’élimination des mines anti-personnel.
L’action 8 recouvre également les crédits d’activité de la nouvelle DGRIS – pour les dépenses de déplacement, de représentation et de documentation spécialisée – et les crédits de fonctionnement – auparavant répartis entre l’EMA et la DGA – des postes permanents à l’étranger (PPE).
En crédits de paiement, le budget de cette action se monte à 35 millions d’euros, chiffre comparable, à périmètre constant, à celui de 2014. Cette stabilité tient en premier lieu à celle de la contribution versée au Gouvernement de la République de Djibouti, en second lieu aux mesures structurelles d’économies portant sur les dépenses de fonctionnement courant des missions de défense – puisque la diminution des PPE compense la hausse des frais de déplacements et de missions qu’elle induit –, et, enfin, à la stabilité de la participation du ministère au PMG8, ramenée depuis 2014 à environ un million d’euros par an.
J’en viens à la fin de gestion 2014, qui conditionne naturellement l’entrée dans l’exercice 2015 et la poursuite des objectifs de la LPM. S’agissant du titre 2, le programme 144 devrait, selon les prévisions les plus récentes, dégager un excédent de 18,4 millions d’euros. Cela facilitera, en 2015, l’entrée en gestion des anciennes structures et la poursuite des objectifs fixés par la LPM en termes de recrutement pour les fonctions renseignement et cyberdéfense.
Hors titre 2, le programme 144 devrait engager, cette année, environ 1 340 millions d’euros – chiffre provisoire – et payer 1 332,7 millions, réserve comprise. Cette dernière représente cependant une hypothèque sur la ressource, donc sur le niveau de consommation, à hauteur de près de 84 millions en AE et en CP.
Comme les années précédentes, l’enjeu de la fin de gestion 2014 réside donc, pour les paiements, dans la levée de la réserve organique. Une levée complète de la réserve permettrait de diminuer le report de charges sur 2015 de près de 25 millions d’euros par rapport à 2014 ; à l’inverse, en cas d’annulation de l’intégralité de la réserve, le report de charges serait accru de près de 60 millions, préemptant une partie des ressources ouvertes au PLF pour 2015. Cette aggravation du report de charge pourrait compromettre la soutenabilité à moyen terme des investissements dans la recherche et le renseignement, partant l’exécution de la LPM dans ces domaines. C’est là un grave sujet de préoccupation.
Parce qu’il concentre l’essentiel de la fonction stratégique « Connaissance et anticipation », le programme 144 confère à la Défense les justes moyens d’une appréciation aussi complète et autonome que possible de notre environnement international. Il permet aussi d’assurer la bonne articulation entre l’expression des besoins stratégiques et la construction de programmes d’armement adaptés. L’enveloppe dévolue par la LPM permet de répondre à cette ambition, et le PLF pour 2015 s’inscrit dans la même perspective.
M. Nicolas Dhuicq. Au-delà de cette avalanche de chiffres déjà consignés dans le projet annuel de performance, sur combien de traducteurs supplémentaires pourra-t-on compter dans le domaine du renseignement, en particulier pour le fārsi ?
L’achat de nouveaux algorithmes est-il envisagé pour éviter le « syndrome de la Stasi », en d’autres termes la prolifération de données non traitées ?
Enfin, quelles sont les zones prioritaires ?
M. Philippe Nauche. Quelles sont les spécialités dans lesquelles la DGSE peine à trouver les profils adéquats ?
La DGRIS succédera bientôt à la DAS : qu’est-ce que cela changera pour vous ? Comment voyez-vous l’évolution de cette grande direction ? Quelles pourront être, sur des sujets communs, ses relations avec la DGA et avec le Quai d’Orsay ?
Mme la présidente Patricia Adam. Quels sont les thèmes de vos études amont en matière technologique et industrielle ?
M. Nicolas Dhuicq. Et notamment quid de l’hypervélocité ?
Mme la présidente Patricia Adam. Y a-t-il des réflexions en cours sur les écoles de la Défense, au vu notamment de la réduction du nombre d’officiers ? Envisage-t-on, par exemple, d’ouvrir le recrutement hors du champ militaire ? Votre direction s’est-elle penchée sur le cas de l’École polytechnique, à laquelle M. Cornut-Gentille a consacré un rapport ? L’ENSTA, par exemple, a progressivement ouvert son recrutement à de futurs ingénieurs civils.
Qu’en est-il de l’évaluation du programme RAPID, dont nous avons le sentiment qu’il fait ses preuves sur le terrain ?
Enfin, la diplomatie parlementaire vous paraît-elle nécessaire ? Envisagez-vous de l’associer à vos travaux ?
M. Philippe Errera. S’agissant du nombre de traducteurs, notamment en fārsi, je vous invite à interroger la DGSE, qui pourra vous donner si elle le souhaite des éléments plus précis.
Mme la présidente Patricia Adam. Nous pouvons en effet, pour ce type de question, passer par la délégation parlementaire au renseignement (DPR).
M. Philippe Errera. Les difficultés de recrutement se rencontrent surtout dans les spécialités telles que la cyberdéfense qui, malgré le relèvement des moyens programmé par le Livre blanc de 2008 et plus encore de 2013, se caractérisent par une ressource rare et une demande croissante, compte tenu de l’augmentation de la menace ; c’est là un sujet majeur, non seulement pour la DGSE, mais aussi pour l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, et pour les entreprises.
Quant à la création de la DGRIS, les travaux préparatoires internes au ministère ont été achevés et les arbitrages rendus cet été. Un projet de décret fixe les missions, l’organisation et le mandat de cette future direction générale ; la modification des attributions du chef d’état-major des armées (CEMA) et du délégué général pour l’armement (DGA) a fait l’objet de concertations en interne, y compris avec les organisations syndicales en comité technique ministériel, fin septembre.
Le texte a été transmis au Secrétaire général du gouvernement pour recueillir les contreseings, et soumis pour avis aux autres ministères concernés ; le directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères a déjà fait savoir qu’il l’approuvait, moyennant quelques ajustements mineurs, qui nous conviennent très bien. Pour répondre à votre question donc, le ministère des Affaires étrangères ne voit pas la future DGRIS comme un instrument qui empiéterait sur ses propres compétences, mais comme un outil permettant d’améliorer l’efficacité de notre action internationale. La réforme améliorera la cohérence de cette action, et elle se fait, je le rappelle, à périmètre constant pour le ministère de la Défense.
Dès l’origine, il a été décidé que la mission de soutien aux exportations resterait, selon moi avec raison, de la responsabilité de la DGA. Le transfert des équipes internationales vers la DGRIS aurait au demeurant distendu leurs liens avec les équipes dévolues aux programmes, alors même que ces liens garantissent l’adéquation des produits à la demande. La réforme ne bouleversera donc pas les relations avec la DGA : elle fluidifiera les échanges grâce au transfert des personnels de la sous-direction de la coopération et du développement européen et par la désignation, dans le nouvel organigramme, de référents de la DGA. Si le succès des exportations passe par l’adéquation aux besoins, il suppose aussi une relation politique dense avec les partenaires considérés.
M. Philippe Nauche. Qui assurera la cohérence des orientations politiques entre la DGA, le Quai d’Orsay et la DGRIS ?
M. Philippe Errera. Le futur responsable de la DGRIS veillera au respect de la cohérence de la ligne politique d’ensemble fixée par le ministre s’agissant de l’action internationale du ministère ; les éventuelles divergences peuvent bien entendu se régler en amont par le dialogue ; si elles subsistent – ce qui est rare –, il appartiendrait au ministre ou à son cabinet de se prononcer, de manière tout à fait classique. Une instance clé dans ce processus de partage d’information et d’élaboration des orientations : le comité ministériel sur les exportations de défense. Présidée par le directeur de cabinet du ministre, cette instance réunit à peu près tous les mois et demi notamment le DGA, le CEMA, et le DAS, ainsi qu’un représentant du Quai d’Orsay qui peut ainsi s’assurer de la convergence des orientations ; de son côté, le ministre réunit régulièrement un comité exécutif, le Comex, où sont évoqués des sujets généraux ou spécifiques, y compris ceux touchant aux exportations.
C’est peut-être dans l’évolution des relations avec l’EMA que la réforme va le plus loin. Le CEMA restera bien entendu responsable des relations internationales militaires, avec l’aide d’un officier général qui en est responsable, mais la suppression de la sous-chefferie « relations internationales » et la diminution des personnels affectés à ce secteur au sein de l’état-major déplaceront le centre de gravité vers la DGRIS, à laquelle incomberont la cohérence de l’ensemble et le cadrage politique des coopérations militaires.
En tout état de cause, la réussite de cette réforme passe d’abord par les échanges et le travail au quotidien ; quels que soient les textes, c’est au niveau de la confiance et de l’échange entre les hommes que tout se noue. De ce point de vue, ma confiance va croissant car, au sein de l’EMA comme de la DGA, émerge l’idée que la DGRIS ne sera pas une DAS renforcée, mais bien une instance qui, alimentée par la contribution de chacun, sera mise à leur disposition comme à celle du ministre. Quant aux études amont, madame la présidente, je vous transmettrai une liste illustrative, ainsi que le document d’orientation S&T pour la période 2014-2019. Je puis néanmoins énumérer quelques-uns des principaux agrégats : l’aéronautique de combat ; les missiles et les bombes ; le combat naval et la lutte sous-marine ; le positionnement par satellite ; le renseignement et la surveillance ; la cybersécurité.
La tutelle des écoles de la Défense, M. Cornut-Gentille l’a rappelé, est exercée non par la DAS mais par la DGA.
Mme la présidente Patricia Adam. Mais la réflexion prospective est de votre ressort, et c’est précisément ce qui nous intéresse, au-delà du fonctionnement actuel de ces écoles, au sujet duquel nous disposons de toute l’information souhaitable.
M. Philippe Errera. Nous menons avec elles des programmes de prospective que nous pouvons approfondir.
Mme la présidente Patricia Adam. Ce n’est pas le sens de ma question : je veux parler du devenir de ces écoles compte tenu de la situation que je rappelais. Auront-elles moins d’élèves ? Le recrutement sera-t-il diversifié ? Des partenariats seront-ils signés ? C’est là une réflexion qui, au-delà de la DGA, concerne aussi les états-majors.
M. Nicolas Dhuicq. Les observations pertinentes de Mme la présidente tiennent au fond en une question : à quoi servez-vous et quelle pensée produisez-vous ? Je m’interroge notamment sur le maintien d’une culture et d’un modèle français, y compris dans le domaine scientifique : voilà ce à quoi l’on souhaite que vous réfléchissiez. Les agrégats que vous avez cités, tout le monde les connaît. Les recherches sur l’hypervélocité, les nanotechnologies ou le graphène vous intéressent-elles ? À défaut de réponse, en écoutant France culture nous en savons autant.
M. Philippe Errera. Le ministre n’a pas confié cette réflexion à la DAS, qui serait d’ailleurs bien en peine de la nourrir puisqu’elle ne siège pas dans les conseils d’administration desdites écoles. Il appartient à d’autres, notamment au DGA et au SGA, de vous répondre sur ce point.
La diplomatie parlementaire est indispensable, en particulier avec ceux de nos alliés dont les responsables parlementaires jouent un rôle politique majeur dans les domaines de la défense et des affaires étrangères : je pense, par exemple et entre autres, à l’Allemagne, au Royaume-Uni et à la Pologne. J’espère que l’appui du ministère, en particulier de la DAS, vous est utile à cet égard ; nous nous tenons en tout cas à votre disposition pour aller plus avant en matière de prospective, notamment avec les pays où les tensions politiques au sein des assemblées parlementaires ont des conséquences politiques pour l’exécutif. De ce point de vue, les actions que vous pouvez mener pour expliquer nos objectifs et nos priorités sont bien entendu très utiles.
Mme la présidente Patricia Adam. Une rencontre est prévue en début d’année prochaine avec nos homologues allemands, qui sont bien entendu des partenaires indispensables.
Je vous remercie par ailleurs de nous transmettre le détail de vos données sur le programme RAPID.
M. Nicolas Dhuicq. S’agissant des algorithmes, quelle est, au-delà des chiffres logiquement confidentiels, votre réflexion sur la gestion des données ?
M. Philippe Errera. Elle n’est évidemment pas nouvelle. Dans le domaine du contre-terrorisme, la DGSE et l’ex-direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) ont créé des plateformes communes afin d’assurer un meilleur traitement des données. Sur la question plus précise des nouveaux algorithmes, je vous invite, là aussi, à interroger la DGSE.
Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le directeur, je vous remercie.
Après l’audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, lors de la commission élargie (voir le compte rendu de la réunion du 23 octobre 2014 à 9 heures (23)), la commission de la Défense examine, pour avis, les crédits de la mission « Défense » pour 2015.
Article 32 : État B – Mission « Défense »
La commission examine l’amendement DN21 de M. François de Rugy.
M. François de Rugy. Le présent amendement a pour but, d’une part, de transférer la majeure partie des dépenses consacrées à la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire, à hauteur de 230 millions d’euros, au profit de la dotation annuelle destinée au financement des OPEX.
Les dépenses effectives au titre de ces dernières sont en effet significativement supérieures à la dotation initiale, et même si j’ai bien entendu l’argumentation du ministre sur l’intérêt d’une mutualisation des surcoûts entre ministères, force est de constater que l’exercice n’est pas aisé en période de forte contrainte budgétaire.
M. Jean-Jacques Bridey, rapporteur pour avis. Cet amendement, récurrent, propose de supprimer la majeure partie des dépenses consacrées à la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire, alors même que les forces aériennes stratégiques (FAS) fêtent leur cinquantième anniversaire. Le cycle d’auditions sur la dissuasion nucléaire nous a permis d’entendre beaucoup d’interlocuteurs mais je n’en ai pas tiré les mêmes conclusions que vous, et il me semble qu’un large consensus existe en faveur du maintien des deux composantes.
Je retiens notamment les propos du général Mercier, qui nous a rappelé que la dissuasion, au lieu d’avoir un effet d’éviction sur les capacités conventionnelles, les alimente et les tire vers le haut grâce au niveau d’exigence qu’elle impose à ses hommes. Les FAS contribuent en outre aux missions conventionnelles. Ravitaillement en vol, planification des missions, niveau d’entraînement de très haute intensité, réactivité : toutes ces qualités et atouts de la composante aéroportée méritent d’être conservées.
C’est pour ces raisons que j’émets un avis défavorable.
M. Christophe Guilloteau. Cet amendement menace la philosophie même de notre défense, ce que les gaullistes au sein de mon groupe ne peuvent admettre. En outre, il est presque impossible d’estimer la réalité de l’économie ; n’oublions pas non plus que la composante aéroportée repose en partie sur la marine nationale et que sa remise en question conduirait à menacer également notre porte-avions.
M. François de Rugy. Il n’y a aucun lien entre la suppression progressive de la composante aéroportée et celle du porte-avions. Celui-ci a potentiellement d’autres utilités, même s’il peut être en soi un autre sujet de débat. Lors des auditions précitées de notre commission, l’ambassadeur du Royaume-Uni a bien indiqué que la suppression de la composante aéroportée britannique avait permis d’importantes économies.
Suivant l’avis défavorable des rapporteurs pour avis, la commission rejette l’amendement DN21. Elle examine ensuite l’amendement DN22 de M. François de Rugy.
M. François de Rugy. Nous proposons d’identifier les pistes d’économies possibles sans pour autant supprimer la dissuasion nucléaire. Le présent amendement prévoit donc de diviser par deux la dotation allouée aux études amont « nucléaires » afin d’abonder très concrètement les crédits d’équipement pour le combat en milieu hostile. En effet, ces crédits de recherche associés à la dissuasion connaissent une forte argumentation en 2015 par comparaison à celle des crédits d’équipement.
M. Jean-Jacques Bridey, rapporteur pour avis. Je vous ferai la même réponse que pour la composante aéroportée. Ces crédits d’études amont se situent au niveau juste suffisant et toute diminution entraînerait une perte de compétence technologique, et par voie de conséquence de crédibilité de la dissuasion.
Avis défavorable, donc.
M. Christophe Guilloteau. Il s’agit d’un amendement de repli, auquel je suis défavorable.
M. Philippe Nauche. Nous nous situons dans le cadre de l’exécution d’une loi de programmation militaire, qui fait elle-même suite à un Livre blanc ayant effectué des choix en matière de dissuasion. Il importe donc de demeurer cohérent avec ceux-ci. J’ajoute par ailleurs que ces crédits d’études amont présentent une forte nature duale, contribuant ainsi au niveau technologique d’ensemble de l’industrie nationale. Le groupe SRC ne peut donc approuver cet amendement.
M. François de Rugy. Il ne s’agit pas pour nous de tactiques parlementaires, mais de faire apparaître à nos concitoyens que des choix sont possibles dans le cadre de ce budget – dont je reconnais qu’ils s’opposent à ceux effectués dans le cadre de la LPM. Nous pouvons dépenser moins pour la dissuasion et davantage pour les équipements conventionnels ou les OPEX.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement DN22.
Mme la présidente Patricia Adam. Nous allons maintenant passer aux votes sur les crédits de la mission « Défense ».
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Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».
ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR
(par ordre chronologique)
Ø M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général de Thales, et Mme Isabelle Caputo(24), directeur des relations parlementaires et politiques de Thales ;
Ø M. le général d’armée aérienne Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air, et M. le lieutenant-colonel Olivier Kaladjian, assistant militaire au cabinet du chef d’état-major de l’armée de l’air ;
Ø M. l’ingénieur hors classe de l’armement Vincent Imbert, directeur général adjoint de la Délégation générale pour l’armement (DGA), Mme l’ingénieure générale de l’armement Françoise Lévêque, directrice de DGA Maîtrise NRBC, M. l’ingénieur du corps de l’armement Yannick Morel, responsable du pôle sciences de l’homme et protection, et M. l’ingénieur général de l’armement Guillaume Vega, conseiller technique au cabinet du délégué général pour l’armement ;
Ø M. Évence Richard, directeur de la protection et de la sécurité de l’État au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) ;
Ø M. l’ingénieur hors classe de l’armement Jean-Pierre Devaux, directeur de la stratégie de la DGA, et M. l’ingénieur général de l’armement François Mestre, directeur adjoint de la stratégie de la DGA, chef du service d’architecture des systèmes de forces ;
Ø M. Bernard Bigot, administrateur général du commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.