N° 2267 tome IX - Avis de Mme Nathalie Nieson sur le projet de loi de finances pour 2015 (n°2234)



N
° 2267

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 octobre 2014.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 2234)
de
finances pour 2015

TOME IX

JUSTICE

PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

PAR Mme Nathalie NIESON

Députée

——

Voir les numéros : 2260-III-31.

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses devaient parvenir à la rapporteure pour avis au plus tard le 10 octobre 2014, pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, l’intégralité des réponses était parvenue à votre rapporteure pour avis, qui remercie les services du ministère de la Justice de leur collaboration.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE : LE BUDGET DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE POUR 2015 7

DEUXIÈME PARTIE : LA PRISE EN CHARGE DES JEUNES FILLES AUTEURES D’INFRACTIONS 11

I. LES JEUNES FILLES, UNE POPULATION TRÈS MINORITAIRE PARMI LES MINEURS AUTEURS D’INFRACTION ET PARMI LA POPULATION CONFIÉE À LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE 11

A. LES FILLES REPRÉSENTENT 17 % DES MINEURS CONDAMNÉS… 11

B. … MAIS SEULEMENT 10 % DES MINEURS SUIVIS PAR LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE 14

II. DES DIFFICULTÉS SPÉCIFIQUES DE PRISE EN CHARGE DES JEUNES FILLES LIÉES À LEUR TRÈS FAIBLE NOMBRE 16

A. CHAQUE TYPE DE PRISE EN CHARGE PRÉSENTE DES SPÉCIFICITÉS POUR LES JEUNES FILLES 16

1. La prise en charge en milieu ouvert 17

2. L’accueil en foyer ou en centre éducatif 18

3. L’incarcération 19

a. Le faible nombre de jeunes filles incarcérées a amené à les regrouper dans quelques établissements, parfois au détriment du maintien des liens familiaux et de la séparation avec les majeurs 20

b. Dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, la gestion de la mixité peut être source de difficultés 22

4. Le cas particulier des mineures étrangères isolées exploitées par des réseaux de délinquance organisée 23

B. LA NÉCESSITÉ DE FAVORISER LA COHÉRENCE DU PARCOURS ET LA DIVERSITÉ DES MODES DE PRISE EN CHARGE 24

1. Poursuivre le travail de diversification des modes de prise en charge 25

2. Favoriser le retour des mineures vers le « droit commun » 26

3. Renforcer la cohérence des parcours des mineures 27

EXAMEN EN COMMISSION 31

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS 61

DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS 63

Mesdames, Messieurs,

La justice, depuis le début du mandat présidentiel de M. François Hollande et celui de la présente législature, constitue l’une des priorités de l’action menée par le Gouvernement. Année après année depuis la loi de finances pour 2013, dans un contexte budgétaire qui demeure globalement difficile et amène à engager un important effort de réduction des dépenses publiques dans un grand nombre de missions budgétaires, la mission « Justice » continue à bénéficier d’une augmentation de ses moyens.

Dans le projet de loi de finances pour 2015, le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » connaît une quasi-stabilité de ses crédits de paiement mais, surtout, de la création de 60 emplois. Cette évolution, pour modeste qu’elle puisse paraître, doit être soulignée, car elle intervient après plusieurs années de réduction brutale des crédits et des effectifs de la protection judiciaire de la jeunesse sous la précédente législature. La première partie du présent avis présentera les crédits ouverts pour le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » dans le projet de loi de finances pour 2015.

Dans la seconde partie du présent avis, votre rapporteure pour avis a choisi de s’intéresser à la question de la prise en charge des jeunes filles auteures d’infractions. La délinquance des filles est très minoritaire dans la délinquance des mineurs, puisque les jeunes filles ne représentent que 17 % des condamnations de mineurs. Mais le fait que les jeunes filles soient une population très minoritaire parmi les mineurs auteurs d’infractions engendre des difficultés spécifiques dans leur prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse, raison pour laquelle votre rapporteure pour avis a estimé nécessaire de s’intéresser à leur situation et aux pistes qui pourraient être envisagées pour améliorer leur prise en charge.

Pour nourrir sa réflexion sur cette question, votre rapporteure pour avis a entendu les représentants des deux directions du ministère de la Justice impliquées dans la prise en charge des mineurs auteurs d’infractions – la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et la celle de l’administration pénitentiaire –, les syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse, l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), ainsi que deux chercheurs qui viennent de démarrer, à la demande de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, une étude sur la prise en charge des jeunes filles auteures d’infractions.

Votre rapporteure pour avis a également effectué plusieurs visites de terrain, en s’efforçant de se rendre dans des structures représentatives de la diversité des modes de prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse, mais aussi dans des structures mixtes et dans d’autres n’accueillant que des jeunes filles. Elle s’est ainsi rendue à l’unité éducative d’activités de jour (UEAJ) de Chelles (Seine-et-Marne), structure de milieu ouvert qui accueille à la fois des filles et des garçons ; à l’établissement de placement éducatif (EPE) Salomon de Caus à Paris, foyer d’hébergement mixte dans lequel les mineurs placés sortent pendant la journée pour être scolarisés ou suivre des activités éducatives ; au centre éducatif renforcé (CER) Le Sextant à Vernioz (Isère), qui pratique des séjours dits « de rupture » exclusivement pour des jeunes filles ; à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), où les mineures sont incarcérées au sein de la maison d’arrêt des femmes ; enfin, à l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Meyzieu (Rhône), où les mineures sont incarcérées dans un établissement accueillant majoritairement des garçons, dont elles sont séparées pour l’hébergement mais avec lesquels elles participent aux activités éducatives.

Votre rapporteure pour avis adresse ses plus sincères remerciements à l’ensemble des personnes qu’elle a entendues à l’occasion de ces auditions et déplacements, en saluant leur extrême dévouement et leur grand professionnalisme pour accomplir, dans des conditions souvent difficiles, une mission essentielle pour notre pays : celle de contribuer à la reconstruction ou, parfois même, à la construction de jeunes qui, s’ils ont commis des infractions pénales méritant d’être sanctionnées, doivent être accompagnés sur le chemin de l’insertion dans la société.

PREMIÈRE PARTIE :
LE BUDGET DE LA PROTECTION JUDICIAIRE
DE LA JEUNESSE POUR 2015

Dans le projet de loi de finances pour 2015, le projet de budget pour le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » traduit la poursuite de la priorité donnée, depuis le début du quinquennat de M. François Hollande, à la jeunesse et à la justice.

Entre 2007 et 2012, les crédits consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse avaient significativement diminué, passant de 804 millions d’euros dans la loi de finances pour 2008 à 772 millions d’euros dans la loi de finances pour 2012, soit une baisse de - 4 %. Le plafond d’autorisation d’emploi était passé, quant à lui, de 9 027 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en 2008 à 8 395 ETP en 2012, soit une baisse de 632 ETPT (- 7 %). De l’avis unanime des professionnels de la justice des mineurs, la protection judiciaire de la jeunesse avait alors été sacrifiée dans une mise en œuvre sans discernement de la « révision générale des politiques publiques » (RGPP).

Le budget pour 2013 avait permis de mettre un terme à l’effondrement des moyens consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse entre 2007 et 2012, en augmentant à nouveau les crédits de paiement (+ 2, 4 %) et le plafond d’autorisation d’emplois (+ 75 ETPT). Le budget pour 2014 avait été un budget de consolidation, avec des crédits de paiement en très légère baisse (- 0,6 %), mais un plafond d’autorisation d’emplois à nouveau en augmentation (+ 37 ETPT).

Dans un contexte économique et budgétaire qui reste contraint, le projet de budget du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » pour 2015 est, à nouveau, un budget satisfaisant, avec des crédits de paiement quasiment stables par rapport à 2014 (- 0,6 %) et un plafond d’autorisation d’emplois en hausse pour la troisième année consécutive, passant de 8 507 à 8 567 (+ 60 ETPT).

En 2014, l’architecture budgétaire du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » avait connu une évolution par rapport au projet de loi de finances pour 2013, puisque l’action n° 05 intitulée « Aide à la décision des magistrats : mineurs délinquants et mineurs en danger » avait été supprimée. Les crédits auparavant prévus pour cette action avaient été regroupés dans l’action n° 01 qui, jusqu’en 2013, s’intitulait « Mise en œuvre des mesures judiciaires : mineurs délinquants », et qui a été renommée, à compter du projet de loi de finances pour 2014, « Mise en œuvre des mesures judiciaires ». La mention des mineurs délinquants dans l’intitulé de l’action n° 01 s’expliquait par le fait qu’existait, jusqu’au projet de loi de finances pour 2011, une action n° 02 intitulée « Mise en œuvre des mesures judiciaires : mineurs en danger et jeunes majeurs ». La PJJ ayant vu son activité recentrée sur la prise en charge presque exclusive des mineurs délinquants, cette action n° 02 avait été supprimée dans le projet de loi de finances pour 2011. Depuis le projet de loi de finances pour 2014, la mention dans l’intitulé de l’action n° 01 des mineurs délinquants a donc été supprimée, pour tenir compte du fait que, dorénavant, la protection judiciaire de la jeunesse a une activité quasi exclusivement pénale.

Les tableaux suivants présentent la ventilation des crédits par action, ainsi que leur évolution sur un an. Les autorisations d’engagement (AE) sont en hausse baisse de + 0,1 %, tandis que les crédits de paiement (CP) diminuent de – 0,7 %.

En autorisations d’engagement

 

Crédits votés en LFI pour 2013

Crédits consommés en 2013

Crédits votés en LFI pour 2014

Crédits demandés pour 2015

Évolution 2014-2015

Mise en œuvre des mesures judiciaires (libellé modifié dans PLF 2014) (Action 01)

606

580

651

652

+ 0,2 %

Soutien (Action 03)

89

108

99

98

- 1,4 %

Formation (Action 04)

31

24

29

30

+ 3,2 %

Aide à la décision des magistrats : mineurs délinquants et mineurs en danger (Action 05)

74

73

 

 

 

Total

800

784

779

780

+ 0,1 %

En millions d’euros

En crédits de paiement

 

Crédits votés en LFI pour 2013

Crédits consommés en 2013

Crédits votés en LFI pour 2014

Crédits demandés pour 2015

Évolution 2014-2015

Mise en œuvre des mesures judiciaires (libellé modifié dans PLF 2014) (Action 01)

602

566

655

653

- 0,4 %

Soutien (Action 03)

87

106

99

98

- 1,2 %

Formation (Action 04)

31

24

29

27

- 5,7 %

Aide à la décision des magistrats : mineurs délinquants et mineurs en danger (Action 05)

69

70

 

 

 

Total

790

766

783

778

- 0,7 %

En millions d’euros

Le tableau ci-dessous indique l’évolution du plafond d’autorisation d’emplois entre la loi de finances pour 2014 et le projet de loi de finances pour 2015, en indiquant la répartition par actions.

Action

Plafond d’ETPT ouverts en LFI pour 2014

Plafond d’ETPT demandé pour 2015

Évolution 2014/2015 en nombre d’ETPT

Évolution 2014/2015 en pourcentage

Mise en œuvre des mesures judiciaires (libellé modifié dans PLF 2014) (Action 01)

6 871

6 976

+ 105

+ 1,5 %

Action 03 : Soutien

1 225

1 225

0

0,0 %

Action 04 : Formation

411

366

- 45

- 12,3 %

TOTAL

8 507

8 567

60

+ 0,7 %

Cette évolution doit être replacée dans le contexte de celle des emplois à la protection judiciaire de la jeunesse depuis 2007 : après plusieurs années de très forte baisse (de 9 027 ETPT en 2008 à 8 395 ETPT en 2012, soit une baisse de 632 ETPT), la protection judiciaire de la jeunesse a bénéficié depuis trois ans de la création de 172 emplois, comme le montre le tableau ci-dessous.

ÉVOLUTION DU PLAFOND D’AUTORISATION D’EMPLOIS DU PROGRAMME
« PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE » ENTRE 2008 ET 2015

   

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Plafond d’autorisation d’emplois (en ETPT)

9 027

8 951

8 618

8 501

8 395

8 470

8 507

8 567

Évolution annuelle
(en ETPT)

 

- 76

- 333

- 117

- 106

+ 75

+ 37

+ 60

Évolution annuelle
(en pourcentage)

 

- 0,8 %

- 3,7 %

- 1,4 %

- 1,2 %

+ 0,9 %

+ 0,4 %

+ 0,7 %

Pour votre rapporteure pour avis, cette troisième augmentation consécutive est un signe très positif de la prise en compte de l’importance de la protection judiciaire de la jeunesse dans l’ensemble de la mission « Justice ». Pour autant, elle permet non pas de compenser totalement la baisse brutale des crédits et des emplois subie par cette administration avant 2012, mais seulement de réamorcer une dynamique positive.

En outre, comme l’a indiqué Mme Catherine Sultan, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, lors de son audition par votre rapporteure pour avis, les budgets pour 2014 et 2015 ont été construits en tenant compte des dépenses réelles constatées au cours de l’année précédente, en particulier pour les crédits destinés au paiement du secteur associatif habilité (SAH). En conséquence, elle a fait part d’une double inquiétude concernant la gestion de ces budgets. Pour la fin de l’exercice 2014, elle a attiré l’attention de votre rapporteure pour avis sur les difficultés que soulèverait le maintien du gel de la « réserve de précaution » qui avait été appliquée, en début d’exercice, sur les crédits ouverts pour le programme à hauteur de 8 % (1). Pour l’exercice 2015, elle a estimé qu’une réduction des crédits de la protection judiciaire de la jeunesse en cours d’année par une loi de finances rectificative pourrait la mettre en situation extrêmement difficile.

Dans les deux cas, l’éventuelle baisse des crédits par rapport à ceux votés en loi de finances initiale risquerait de contraindre la protection judiciaire de la jeunesse à différer certains paiements, parmi lesquelles celui des sommes dues au SAH. Une telle mesure aboutirait à la reconstitution d’une dette vis-à-vis de ce secteur associatif, dette qui avait atteint 38 millions d’euros à la fin de l’année 2012 et qui a été progressivement résorbée en deux ans, grâce à l’ouverture dans les lois de finances pour 2013 et 2014 de crédits dédiés. La reconstitution d’une telle dette ne serait évidemment pas souhaitable, car elle risquerait de replonger dans de grandes difficultés financières des nombreuses associations partenaires de la protection judiciaire de la jeunesse.

Votre rapporteure pour avis estime donc particulièrement nécessaire que les crédits qui ont été votés pour la protection judiciaire de la jeunesse pour 2014 et ceux qui le seront pour 2015 soient respectés dans la phase de l’exécution du budget, afin de ne pas fragiliser le rétablissement de cette administration.

DEUXIÈME PARTIE :
LA PRISE EN CHARGE DES JEUNES FILLES AUTEURES D’INFRACTIONS

Depuis son élection à la présidence de la République en mai 2012, M. François Hollande a fait des droits des femmes et de la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes l’une de ses priorités d’action. Dans les Gouvernements de MM. Jean-Marc Ayrault et de M. Manuel Valls, un ministère des Droits des femmes a été créé. Une ambitieuse loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a été promulguée le 4 août 2014 (2).

Dans le prolongement de cette préoccupation du Gouvernement et du Parlement pour les droits des femmes, votre rapporteure pour avis a souhaité s’intéresser dans le cadre de son avis budgétaire sur les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse pour 2015 à la question de la prise en charge des jeunes filles auteures d’infractions.

En effet, le fait que les jeunes filles demeurent une population très minoritaire parmi les mineurs auteurs d’infractions (I) engendre des difficultés spécifiques dans leur prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse (II).

Les jeunes filles sont une population très minoritaire non seulement parmi les mineurs auteurs d’infraction, mais aussi parmi la population confiée à la protection judiciaire de la jeunesse : alors qu’elles représentent 17 % des mineurs condamnés (A), les filles auteures d’infractions ne constituent que 10 % des mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (B).

Bien que la délinquance des mineurs ait pu, par le passé, être instrumentalisée pour durcir à l’excès la justice pénale des mineurs, les mineurs représentent, il faut le rappeler, une très faible part des auteurs d’infractions. Dans l’ensemble des condamnations pour crime, délit ou contravention de 5e classe prononcées par la justice pénale, la proportion des mineurs est inférieure à leur importance dans l’ensemble de la population.

Au 1er janvier 2014, les mineurs vivant en France étaient 14,6 millions, sur un total de 65,8 millions d’habitants, soit 22,2 % de l’ensemble de la population (3). Le tableau ci-après montre que, sur l’ensemble des condamnations prononcées par la justice en 2006 et 2011, les mineurs condamnés représentaient moins de 10 % de l’ensemble des condamnations pénales prononcées (9 % en 2006 ; 8,5 % en 2011).

C’est pour les crimes que la part des mineurs dans les condamnations est la plus élevée (respectivement 19,1 % en 2006 et 20,7 % en 2011). Mais, d’une part, le nombre de condamnations de mineurs pour crimes a baissé entre 2006 et 2011 (de 636 à 518) et, d’autre part, ce pourcentage demeure inférieur à la part des mineurs dans l’ensemble de la population. Pour les délits, la part des mineurs dans l’ensemble des condamnations correspond à moins de la moitié de leur importance dans l’ensemble de la population, avec 9,4 % des condamnations correctionnelles en 2006 et 8,9 % en 2011.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE MINEURS CONDAMNÉS POUR CRIME, DÉLIT OU CONTRAVENTION DE 5E CLASSE ENTRE 2006 ET 2011
ET DE LA PART DES MINEURS DANS L’ENSEMBLE DES CONDAMNATIONS

   

Majeurs

Mineurs de moins de 13 ans

Mineurs de 13 à moins de 16 ans

Mineurs de 16 à moins de 18 ans

Ensemble des mineurs

Ensemble des condamnations

Part des mineurs dans l’ensemble des condamnations

2006

Crimes

2 689

32

383

221

636

3 325

19,1 %

Délits

527 746

1 941

22 102

30 972

55 015

582 761

9,4 %

Contraventions de 5e classe

45 211

41

488

705

1 234

46 445

2,7 %

Toutes infractions

575 646

2 014

22 973

31 898

56 885

632 531

9,0 %

2011

Crimes

1 979

31

268

219

518

2 497

20,7 %

Délits

503 169

1 572

20 398

27 234

49 204

552 373

8,9 %

Contraventions de 5e classe

37 343

36

389

505

930

38 273

2,4 %

Toutes infractions

542 491

1 639

21 055

27 958

50 652

593 143

8,5 %



Source : Ministère de la Justice,
Annuaires statistiques de la Justice 2007 et 2012

Les jeunes filles auteures d’infractions constituent une population très minoritaire au sein de la population des mineurs auteurs d’infractions, elle-même minoritaire parmi l’ensemble des auteurs d’infractions. Selon les données communiquées à votre rapporteure pour avis par le ministère de la Justice, la part des filles dans l’ensemble des condamnations de mineurs était ainsi, en 2013, de 17 %.

Cependant, la délinquance des filles a connu une évolution plus importante que celle des garçons au cours de la décennie passée. Ainsi, entre 2003 et 2013, la progression du nombre de filles mises en cause, tous motifs confondus, a été nettement supérieure à celle des garçons (+ 40 % pour les filles, contre + 3 % pour les garçons). En particulier, si le nombre de garçons mis en cause pour vols a diminué de - 15 %, celui-ci a augmenté de + 25 % pour les filles. Pour les violences contre les personnes, l’augmentation du nombre de faits a été de + 37 % chez les garçons et de + 108 % pour les filles.

En 2013, chez les filles et les garçons, la part des vols dans l’ensemble des infractions commises par des mineurs représentait respectivement 48 % et 38 %, celle des violences 26 % et 22 % et la part des infractions à la législation des stupéfiants, des destructions et autres infractions 25 % et 39 %. Les vols sont donc nettement l’infraction majoritaire chez les filles (48 %) alors que chez les garçons cette infraction (38 %) est comparable aux destructions et autres infractions (39 %).

La répartition par classe d’âges des filles est presque identique à celle des garçons. Schématiquement, les 13-15 ans, les 16-17 ans et les plus de 18 ans représentent respectivement 30 %, 50 % et 20 % de la population mineure suivie par la protection judiciaire de la jeunesse.

Toujours en 2013, parmi les mineurs délinquants confiés aux secteurs public et associatif de la protection judiciaire de la jeunesse, le taux de filles était de 10 %, réparties entre 9 % pour le placement judiciaire et le milieu ouvert et 13 % pour les mesures d’investigation.

La part des mineures suivies par la protection judiciaire de la jeunesse dans l’ensemble des mineurs qui lui sont confiés (10 %) est donc inférieure à la part des mineures dans les condamnations (17 %). Cette situation s’explique, selon les professionnels rencontrés par votre rapporteure pour avis lors de ses auditions et de ses déplacements, par deux facteurs principaux.

Tout d’abord, pour une même infraction de faible gravité, les magistrats peuvent avoir une certaine propension à prononcer des mesures moins lourdes pour les filles que pour les garçons. Cette tendance peut s’expliquer par l’idée, plus ou moins consciente chez les magistrats, qu’un simple rappel à la loi peut suffire pour une adolescente là où un encadrement et un accompagnement sont nécessaires pour les adolescents.

Ensuite, les cas de jeunes commettant un acte d’une particulière gravité sans avoir aucun antécédent judiciaire et sans être connues de la protection judiciaire de la jeunesse seraient plus fréquents chez les filles que chez les garçons.

Mais ce moindre niveau de suivi global par la protection judiciaire de la jeunesse se traduit aussi, selon les professionnels entendus par votre rapporteure pour avis, par le fait que les jeunes filles se trouvent fréquemment dans des situations personnelles plus dégradées que celles des garçons sur les plans psychologique ou psychiatrique, familial, social, sanitaire et scolaire. Laissées plus longtemps à elles-mêmes que les garçons, sans mesure d’accompagnement psychologique, social ou scolaire dont elles auraient pourtant sans doute autant besoin que les garçons, les jeunes filles pâtissent alors à retardement de la « bienveillance » dont elles ont pu bénéficier lors de leurs premiers passages à l’acte.

Enfin, la part des mineures incarcérées parmi l’ensemble des mineurs incarcérés est encore plus faible. La population des mineurs détenus est une population minoritaire : au 1er janvier 2014, sur 68 295 personnes détenues, 731 étaient des mineurs, soit 1,07 %. La part des mineurs dans l’ensemble de la population incarcérée est constante depuis plus de dix ans, comprise entre 1 % et 1,2 %. Au sein de la population des mineurs détenus, le tableau ci-après montre que les jeunes filles constituent, elles aussi, une population très minoritaire, puisque leur nombre a varié, au cours des dix dernières années, entre 17 au plus bas en 2011 et 47 au plus haut en 2006. En tout état de cause, la part des filles dans l’ensemble des mineurs détenus n’a jamais dépassé 6,4 %.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DES MINEURES DÉTENUES ET DE LEUR PART
PARMI L’ENSEMBLE DES MINEURS DÉTENUS ENTRE 2004 ET 2014

Au 1er janvier…

Nombre total de mineurs détenus

Nombre de mineures détenues

Part des mineures parmi l’ensemble des mineurs détenus

2004

739

30

4,1 %

2005

623

33

5,3 %

2006

732

47

6,4 %

2007

729

38

5,2 %

2008

727

25

3,4 %

2009

681

24

3,5 %

2010

672

22

3,3 %

2011

692

17

2,5 %

2012

717

33

4,6 %

2013

729

35

4,8 %

2014

731

30

4,1 %

Source : ministère de la Justice

En raison du très faible nombre de jeunes filles suivies par la protection judiciaire de la jeunesse, leur prise en charge présente un certain nombre de difficultés spécifiques.

Le faible nombre de jeunes filles suivies par la protection judiciaire de la jeunesse engendre des difficultés spécifiques de prise en charge, quel qu’en soit le type (A). Pour répondre à ces difficultés, un effort particulier doit être fait pour favoriser la cohérence du parcours et la diversité des modes de prise en charge (B).

Chaque type de prise en charge présente des spécificités pour les jeunes filles, que celle-ci ait lieu en milieu ouvert (1), en foyer ou en centre éducatif (2) ou en incarcération (3). Enfin, le public des mineures étrangères isolées exploitées par des réseaux de délinquance organisée constitue un cas particulier, en raison de la difficulté à trouver des solutions adaptées pour ces jeunes filles (4).

La majorité des mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse ne fait pas l’objet d’une mesure de placement ou d’incarcération, mais seulement d’une mesure de suivi en milieu ouvert. Ce suivi, exercé dans le cadre des services territoriaux éducatifs de milieu ouvert (STEMO) ou des unités éducatives d’activités de jour (UEAJ), peut consister, selon la situation du mineur et son niveau d’insertion sociale et scolaire, en des entretiens avec un éducateur dans les locaux de la protection judiciaire de la jeunesse, en une intervention éducative en lien avec la famille ou, le cas échéant, en la mise en place d’activités de jour.

Les activités de jour, principalement destinées aux mineurs en situation de décrochage scolaire, ont pour objet de permettre la reprise progressive d’une scolarisation ou l’entrée dans un cursus de formation professionnelle, à travers des enseignements des savoirs fondamentaux et des enseignements techniques. Les activités y sont mises en place dans le cadre de petits groupes, afin de permettre un suivi individualisé et d’éviter de reproduire un mode de fonctionnement qui ressemblerait trop à celui de l’école, avec laquelle les mineurs sont souvent en situation de rupture. Des ateliers de découverte de certaines activités professionnelles sont également mis en place, pour favoriser la recherche par les jeunes d’une filière de formation professionnelle. L’objectif ultime de la prise en charge est de ramener les jeunes vers les dispositifs scolaires ou de formation professionnelle de droit commun.

Lors de sa visite à l’UEAJ de Chelles, en Seine-et-Marne, les personnels de cette unité ont indiqué à votre rapporteure pour avis que la part des mineures qui y étaient accueillies était extrêmement faible par rapport à celle des garçons, de l’ordre de 2 %. Lorsqu’une jeune fille est accueillie au sein de l’UEAJ, sa présence est jugée positive dans la dynamique du groupe auquel elle appartient. En milieu ouvert, la mixité n’est nullement vécue comme une difficulté, mais au contraire comme un élément positif.

La principale difficulté pouvant se présenter dans le cadre du milieu ouvert réside dans le fait que les activités mises en œuvre au sein des UEAJ peuvent être, dans certains cas, davantage adaptées aux métiers généralement recherchés par les garçons qu’à ceux visés par les filles. Notamment, la filière du bâtiment peut ne pas correspondre aux attentes de certaines jeunes filles, même si cette filière attire aussi parfois – et même de plus en plus – des femmes. En tout état de cause, la finalité de la prise en charge en milieu ouvert est de ramener les jeunes vers le « droit commun », c’est-à-dire de leur permettre de se rescolariser ou de s’engager dans un parcours de formation professionnelle avec l’ensemble des jeunes de leur âge. Cette difficulté relative peut et doit donc être résolue à travers le développement d’un travail en partenariat avec les dispositifs de formation extérieurs à la protection judiciaire de la jeunesse.

Bien plus qu’en milieu ouvert, c’est surtout lorsqu’un placement en foyer ou en centre éducatif renforcé ou fermé est ordonné par le juge que la prise en charge des jeunes filles peut soulever des difficultés. En effet, la cohabitation de jour comme de nuit d’adolescents pour lesquels le rapport à l’autre sexe est forcément, du fait même de leur âge, source de questionnement et de difficultés de positionnement, peut s’avérer extrêmement délicate. Cette cohabitation peut être d’autant plus difficile que, parmi les jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse, certains sont parfois très perturbés psychologiquement et susceptibles de passages à l’acte violents, d’autres sont des auteurs d’agressions sexuelles qu’il est préférable d’éviter de placer en situation de risque de récidive par une trop grande proximité avec des jeunes filles, enfin d’autres ont été victimes de violences ou d’agressions sexuelles. De plus, la configuration des lieux dans certains foyers ou centres éducatifs peut ne pas permettre la cohabitation des garçons et des filles dans des conditions permettant de garantir l’intimité des uns et des autres de manière satisfaisante.

Le très faible nombre de jeunes filles prises en charge par la protection judiciaire de la jeunesse, ajouté à ces difficultés à faire cohabiter dans un même lieu garçons et filles, explique que la majorité des lieux d’hébergement du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse n’est pas pratiquement en mesure d’accueillir des jeunes filles, quand bien même ils sont théoriquement censés le faire. En effet, le recentrage de l’activité de la protection judiciaire de la jeunesse sur la prise en charge des mineurs « au pénal » a entraîné un recul de la présence des filles dans les foyers du secteur public. À l’époque où, avant 2008, les foyers de la protection judiciaire de la jeunesse accueillaient à la fois des mineurs auteurs d’infractions et des mineurs en danger dans le cadre d’une mesure de protection de l’enfance, la mixité était plus importante dans les foyers, les filles et les garçons étant tout autant susceptibles de se trouver dans une situation de danger justifiant leur placement.

En revanche, une plus grande mixité perdure dans les foyers du secteur associatif habilité (SAH) ayant une double habilitation au titre de la protection judiciaire de la jeunesse pour la prise en charge de mineurs au pénal, d’une part, et de l’aide sociale à l’enfance pour la prise en charge de mineurs en danger, d’autre part.

En tout état de cause, la très grande majorité des professionnels que votre rapporteure pour avis a entendus a souligné qu’il était nécessaire, pour que la mixité puisse fonctionner correctement dans une structure d’hébergement, sans mettre en danger les jeunes filles et déstabiliser le collectif, que la part des jeunes filles dans le collectif soit suffisante pour éviter leur isolement. Sur un groupe de dix ou douze jeunes, un minimum de trois ou quatre filles semble requis pour que les jeunes filles ne soient pas en danger. En deçà, les jeunes filles sont trop isolées pour pouvoir vivre sereinement au sein du collectif et pour que leur sécurité soit garantie.

Or, le faible nombre de jeunes filles suivies par la protection judiciaire de la jeunesse et faisant l’objet d’une mesure de placement ne permet que très exceptionnellement d’atteindre ce « seuil critique », sauf à regrouper les jeunes filles d’une interrégion – voire de plusieurs interrégions – dans un seul et même lieu d’hébergement. Mais, dans ce cas, les jeunes filles risquent de se trouver placées très loin de leur milieu de vie ordinaire, ce qui peut compliquer très sérieusement le maintien des relations familiales, l’insertion scolaire ou professionnalisante et la préparation de l’« après-placement ».

Pour ces raisons, le placement en foyer ou en centre éducatif semble devoir être utilisé, pour les jeunes filles, avec prudence, en cherchant à éviter autant que faire se peut le double écueil de l’isolement dans une structure comprenant une trop forte proportion de garçons et d’un éloignement excessif du milieu de vie habituel. Dans la mesure du possible, lorsque le placement d’une jeune fille en foyer présenterait trop d’inconvénients en la plaçant dans un collectif trop masculin ou en l’éloignant trop de son milieu de vie habituel alors qu’un tel éloignement n’est pas nécessaire, il paraît donc souhaitable de privilégier les autres modes de placement, tels que le placement en famille d’accueil (4).

En outre, lorsqu’un placement en foyer ou en centre éducatif est nécessaire, les placements préparés doivent être privilégiés afin de permettre la présence simultanée d’un nombre suffisant de filles au sein du groupe de mineurs accueillis dans la structure. Seule une préparation des placements peut assurer que le « seuil critique » soit atteint, les placements en urgence ne pouvant aboutir, compte tenu de la forte disproportion entre les filles et les garçons parmi les jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, qu’à la constitution de groupes très majoritairement masculins.

Comme votre rapporteure pour avis l’a souligné précédemment (5), le nombre de mineures détenues est très faible, pouvant varier entre vingt et quarante jeunes filles pour l’ensemble de la France. Au 1er janvier 2014, 30 filles étaient incarcérées, représentant 4,1 % des 731 mineurs détenus et 0,04 % des 68 295 personnes détenues en France.

Le faible nombre de jeunes filles incarcérées a amené l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse à les regrouper dans quelques établissements, parfois au détriment du maintien des liens familiaux et de la séparation avec les majeurs (a). Dans les EPM, la gestion de la mixité peut être source de difficultés dans le quotidien de la vie en détention (b).

La première conséquence du très faible nombre de mineures détenues est la très grande irrégularité des entrées en détention, comme l’ont souligné les personnels de l’EPM de Meyzieu que votre rapporteure pour avis a visités. L’unité de six places réservée aux filles peut, selon les périodes, n’accueillir aucune mineure ou en accueillir quatre ou cinq. M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis sur les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse pour le projet de loi de finances pour 2014, avait également souligné cette situation à propos du centre pénitentiaire pour femmes de Rennes qu’il avait visité : « Le centre pénitentiaire, au sein duquel des cellules du quartier maison d’arrêt sont dédiées à l’accueil des mineures détenues sans pour autant constituer à proprement parler un quartier séparé, peut n’accueillir aucune mineure pendant plusieurs mois, puis en accueillir brusquement plusieurs – jusqu’à cinq – en quelques semaines » (6).

La situation est différente à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, que votre rapporteure pour avis a également visitée, car la région francilienne concentre une part importante de la délinquance. Cette situation tient à la fois à la présence de nombreuses zones sensibles dont est issue une proportion importante des mineurs auteurs d’infractions, mais aussi, depuis quelques années, à la présence de mineures étrangères isolées originaires de différents pays d’Europe de l’est. De ce fait, la partie de la maison d’arrêt des femmes réservée à l’incarcération des mineures n’est jamais inoccupée et a même connu, au cours des derniers mois, une augmentation sensible de son occupation.

Le faible nombre de mineures détenues et l’irrégularité de leurs entrées en détention ont amené l’administration pénitentiaire, en lien avec la protection judiciaire de la jeunesse, à faire le choix de regrouper les mineures détenues dans sept établissements pénitentiaires. En application d’une circulaire de la ministre de la Justice en date du 24 mai 2013 relative au régime de détention des mineurs (7), sept établissements ont été retenus pour l’incarcération des mineures, sur la base des quatre critères suivants :

« —  déterminer un nombre d’établissements permettant d’atteindre, pour chacun d’eux, un seuil constant de mineures autour de trois à quatre jeunes filles ;

« —  définir des quartiers mineures pour filles dans des établissements ou quartiers pour femmes afin d’être en conformité avec la réglementation et en adéquation avec les besoins en termes d’effectifs de personnel de surveillance féminin ;

« —  privilégier les établissements qui disposent déjà d’un quartier des mineurs afin de permettre aux jeunes filles de bénéficier du dispositif de prise en charge PJJ existant ;

« —  déterminer un lieu de détention pertinent en termes de proximité relative, tant pour les familles que pour les partenaires institutionnels (magistrats, police, gendarmerie), en privilégiant notamment les établissements bénéficiant de moyens d’accès développés. »

Les sept établissements retenus pour l’incarcération des jeunes filles sont, d’une part, quatre établissements pour femmes comportant des places réservées pour les mineures – les centres pénitentiaires de Rennes (Ille-et-Vilaine) et des Baumettes à Marseille (Bouches-du-Rhône), et les maisons d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) et d’Épinal (Vosges) – et, d’autre part, trois des six EPM – ceux de Lavaur (Tarn), Meyzieu (Rhône) et Quiévrechain (Nord).

Le choix du regroupement des mineures dans un nombre limité d’établissements était certainement inévitable, sous peine de permettre l’incarcération de jeunes filles dans des établissements pour femmes dépourvus de service éducatif de la protection judiciaire de la jeunesse et dans lesquels elles seraient totalement isolées, faute de pouvoir avoir des contacts avec les majeures. Pour autant, ce choix présente deux inconvénients majeurs.

Le premier tient au fait que les mineures peuvent se trouver incarcérées très loin de leur lieu de vie habituel, beaucoup plus loin que ne le sont généralement les garçons. Certes, dans certaines situations de familles dont les parents sont eux-mêmes délinquants ou ont un mode de vie incompatible avec les besoins éducatifs de la mineure, cet éloignement peut être salutaire. Mais il est aussi des situations dans lesquelles le maintien ou la restauration des liens familiaux peut être nécessaire pour la jeune fille, auquel cas l’éloignement du lieu d’incarcération constituera un frein au travail éducatif qui pourra être accompli avec elle et sa famille. Cette difficulté avait déjà été soulignée par M. Jean-Michel Clément dans son avis budgétaire sur les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse dans le projet de loi de finances pour 2014 : « Le fait que les établissements pouvant accueillir ces mineures soient peu nombreux peut entraîner un éloignement du lieu de vie habituel de la mineure et des difficultés à maintenir les liens familiaux plus importantes que pour les garçons, qui peuvent être incarcérés dans des établissements couvrant plus largement le territoire national. » (8)

Le second inconvénient de ce regroupement réside, dans les quatre établissements pour femmes majeures dans lesquelles les mineures peuvent être incarcérées, dans la difficulté à donner sa pleine effectivité au principe de la séparation des mineures et des majeures. En effet, les articles R. 57-9-12 et R. 57-9-17 du code de procédure pénale prévoient que les personnes mineures ne peuvent être incarcérées qu’avec d’autres personnes mineures, et que ce n’est qu’« à titre exceptionnel » que le chef d’établissement peut « autoriser la participation d’une personne détenue mineure aux activités organisées dans l’établissement pénitentiaire avec des personnes détenues majeures, si l’intérêt du mineur le justifie ». Mais, en réalité, les parties des établissements pénitentiaires pour femmes réservées aux mineures sont loin d’être imperméables de celles réservées aux majeures. Votre rapporteure pour avis a pu le constater lors de sa visite de la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, où la structure même des bâtiments rend impossible cette séparation, car les cours de promenade utilisées par les mineures sont entourées de cellules occupées par des femmes majeures.

Pour votre rapporteure pour avis, il serait souhaitable que la direction de l’administration pénitentiaire puisse, au cas par cas et en fonction des spécificités architecturales locales, trouver des solutions permettant de mieux garantir l’absence de contact des détenues mineures avec les détenues majeures.

Si, dans les quatre établissements pénitentiaires pour femmes qui accueillent des mineures, la mixité des publics mineurs/majeurs peut être problématique, dans les EPM, c’est la gestion de la mixité garçons/filles qui peut être source de difficultés.

Dans un rapport d’information présenté en 2011 sur les centres éducatifs fermés et les EPM, les sénateurs Jean-Claude Peyronnet et François Pillet avaient relevé que « la cohabitation avec les garçons expose les mineures à des invectives permanentes qui pèsent sur le climat de la détention » (9). Cette tendance des mineurs détenus à invectiver depuis leur cellule toutes les personnes qui se déplacent dans l’établissement, qu’il s’agisse du personnel de l’établissement, de visiteurs ou d’autres détenus, ne vise pas exclusivement les filles, mais elle peut se révéler particulièrement difficile à supporter pour ces dernières. Les personnels de l’EPM de Meyzieu que votre rapporteure pour avis a entendus lors de sa visite dans cet établissement ont confirmé l’existence de cette difficulté, qui a été partiellement résolue en plaçant, devant la cour de promenade de chacune des unités d’hébergement, des panneaux métalliques empêchant de voir les cours depuis les cellules. Cependant, si elle protège l’ensemble des mineurs et plus particulièrement les filles des divers cris, provocations ou insultes des autres détenus, cette installation a eu pour effet d’obscurcir les cours de promenade et de renforcer le sentiment de confinement que les jeunes peuvent y ressentir. En revanche, le terrain de sport de l’établissement qui se trouve au centre des unités d’hébergement demeure visible depuis les cellules, ce qui constitue, selon les personnels de l’établissement, un frein à une pratique sportive des jeunes filles dans des conditions sereines.

Dans son avis précité, notre collègue Jean-Michel Clément avait souligné que ce phénomène avait « été en partie à l’origine de la décision des EPM de Marseille, Orvault et Porcheville de ne pas accueillir de jeunes filles » (10). Les sénateurs Jean-Claude Peyronnet et François Pillet, dans leur rapport d’information précité, avaient regretté que la mixité ait été abandonnée dans la moitié des EPM, ce renoncement ayant « pour conséquence le maintien des jeunes filles au sein des quartiers pour femmes des maisons d’arrêt ou des établissements pour peines, au mépris de la règle de séparation stricte entre majeurs et mineurs » et les privant « du déploiement considérable de moyens propres aux EPM ainsi réservés de facto aux garçons » (11).

Par exemple, pour la région Île-de-France ou la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, on peut se demander s’il n’y aurait pas un intérêt à ce que certaines mineures aujourd’hui incarcérées à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis et au centre pénitentiaire des Baumettes le soient plutôt, respectivement, dans les EPM de Porcheville, dans les Yvelines, et de Marseille. Dans l’Ouest de la France, l’accueil de mineures à l’EPM d’Orvault (Loire-Atlantique) pourrait permettre de combler un certain « vide » de la cartographie pénitentiaire pour les jeunes filles dans cette partie de la France, qui a pour conséquence qu’une jeune fille originaire de Vendée ou de Charente-Maritime, par exemple, doit être incarcérée soit à Rennes, soit à Lavaur, soit à Fleury-Mérogis, dans tous les cas à plusieurs heures de route de son département d’origine.

Cette extension de la mixité dans les EPM pourrait permettre de garantir l’absence de contact avec des majeures, qui ne peut pas être convenablement assurée aujourd’hui dans les établissements pour femmes, tout en introduisant une mixité dans ces EPM qui, comme les personnes entendues par votre rapporteure pour avis l’ont souligné, peut être un levier éducatif intéressant. En effet, dans le cadre des activités éducatives mises en place dans les EPM, qu’il s’agisse de la scolarité ou des activités organisées par les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, la mixité est la règle et rend possible un travail d’apprentissage du respect de l’altérité et de restauration de l’image de la femme, souvent dégradée chez nombre de jeunes garçons.

Au cours des auditions qu’elle a menées et des déplacements qu’elle a effectués, l’attention de votre rapporteure pour avis a été attirée à de nombreuses reprises sur la situation particulière des mineures étrangères isolées, originaires de différents pays d’Europe de l’Est, qui se trouvent soumises à l’exploitation de réseaux de délinquance organisée – cette exploitation étant, parfois, le fait de leurs propres parents. Contraintes par ces réseaux à réaliser des vols, des cambriolages ou des escroqueries ou à se livrer à la mendicité, ces filles souvent très jeunes font l’objet d’interpellations fréquentes suivies de nombreuses mesures successives d’incarcération.

En effet, lorsqu’elles sont placées dans des foyers de type classique, ces mineures demeurent le plus souvent sous le contrôle du réseau qui les exploite. La majorité d’entre elles sont ainsi, sous la contrainte des membres du réseau, poussées à fuguer. Pour éviter la fin rapide de la prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse, et bien plus qu’en raison de la gravité intrinsèque de leurs actes – souvent faible pour chaque acte pris individuellement, mais commis de façon répétée –, ces jeunes filles font souvent l’objet de mesures coercitives, décidées en quelque sorte par défaut. Cette propension forte à incarcérer les mineures étrangères isolées explique que les filles de 13 à 15 ans représentent 35 % des mineures incarcérées, alors que les garçons de cette tranche d’âge ne forment que 14 % des garçons incarcérés.

Tant à l’EPM de Meyzieu qu’à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, les personnels rencontrés par votre rapporteure pour avis ont indiqué que la prison pouvait, parfois, permettre à ces jeunes filles d’échapper temporairement à l’emprise du réseau et constituer pour elles une « respiration » dans un parcours de vie particulièrement difficile. Elles manifestent souvent un grand intérêt pour les activités éducatives qui leur sont proposées et sont fortement demandeuses de l’attention des adultes. En outre, plus souvent que les garçons qui peuvent espérer progresser dans la hiérarchie du réseau auquel ils appartiennent, les filles souhaiteraient pouvoir échapper au mode de vie précaire et dangereux qui leur a été imposé. Pour votre rapporteure pour avis, une attention particulière devrait être portée à ces jeunes filles par la protection judiciaire de la jeunesse, en lien avec les conseils généraux, pour tenter de trouver des solutions innovantes pouvant permettre de les faire échapper à l’emprise du réseau qui les exploite tout en évitant, davantage qu’aujourd’hui, le passage par une incarcération.

En octobre 2012, notre collègue Jean-Michel Clément avait consacré son avis budgétaire sur les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse dans le projet de loi de finances pour 2013 à la question de la diversité des modes de placement des mineurs délinquants. Il avait, très justement, souligné que « [l]e parcours judiciaire d’un mineur faisant l’objet d’une décision de placement doit être pensé de façon globale, avec une cohérence et une progressivité qui doivent permettre de conduire ce mineur à l’autonomie » (12).

Dans le projet annuel de performances de la mission « Justice » pour 2015, la présentation stratégique du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » fait également de la cohérence du parcours et de la diversité des réponses des objectifs centraux de la politique publique de prise en charge des mineurs auteurs d’infractions : « L’adaptation de la réponse et sa cohérence avec le parcours de vie de l’adolescent nécessitent également une diversification des réponses dont le territoire doit être garant. Ces réponses doivent tendre vers un objectif de prévention de la récidive ou de la réitération et plus largement vers un objectif de réinsertion. » (13)

Si ces objectifs doivent être poursuivis pour l’ensemble des mineurs pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse, ils apparaissent d’autant plus importants pour les jeunes filles que leur faible nombre rend parfois difficile leur intégration dans des structures collectives dans lesquelles les garçons sont majoritaires. Pour ces raisons, votre rapporteure pour avis estime indispensable de poursuivre le travail de diversification des modes de prise en charge qui a été engagé depuis quelques années par la protection judiciaire de la jeunesse (1), de favoriser le retour des mineures vers le « droit commun » (2) et de renforcer la cohérence des parcours des jeunes filles (3).

Compte tenu des difficultés inhérentes à l’accueil des jeunes filles dans des structures d’hébergement collectif, deux solutions alternatives peuvent être particulièrement adaptées pour elles : le placement en famille d’accueil et le recours à l’hébergement individualisé.

Institution ancienne, à l’origine utilisée pour accueillir des enfants placés dans le cadre civil de l’aide sociale à l’enfance, des adultes handicapés ou des personnes âgées, le placement en famille d’accueil est de développement plus récent pour les mineurs délinquants, puisqu’il n’a commencé à être utilisé que dans les années 1970. Le rôle de la famille d’accueil est de veiller à l’accueil matériel du mineur, à sa santé, à sa sécurité et à son développement intellectuel et physique. Les qualités requises par la protection judiciaire de la jeunesse pour exercer cette fonction sont « une disponibilité suffisante » et la capacité à « faire preuve de discrétion sur la situation du mineur » (14). Les familles d’accueil s’engagent à recevoir les visites des éducateurs et psychologues de la protection judiciaire de la jeunesse chaque fois que cela est nécessaire et à les informer en cas d’incident ou de difficulté.

À l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, Mme la garde des Sceaux avait annoncé une revalorisation de l’indemnité journalière versée aux familles d’accueil – passée de 31 € à 36 € – et le lancement d’une campagne de recrutement de familles d’accueil pour porter le nombre de familles susceptibles d’accueillir des jeunes placés par la protection judiciaire de la jeunesse de 400 à 450 (15). Cet objectif a été atteint, et même dépassé, puisque l’on dénombrait, au 1er octobre 2014, 474 familles d’accueil. Votre rapporteure pour avis ne peut que se réjouir du développement de ce mode d’accueil des jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse, qui peut être particulièrement approprié pour les jeunes filles.

L’hébergement individualisé est une autre solution de placement des mineurs qui peut se révéler particulièrement adaptée pour les jeunes filles. Il consiste à rechercher, en dehors du réseau de foyers ou d’établissements relevant de l’hébergement collectif spécialisé ou non spécialisé, une solution de placement individualisé destinée à répondre à la situation particulière d’un mineur. Selon les cas, ces placements peuvent avoir lieu en foyer de jeunes travailleurs, en résidence sociale ou encore en internat scolaire. Dans ces situations, il incombe à la protection judiciaire de la jeunesse ou, par délégation, au secteur associatif habilité, de rechercher pour le mineur la solution la mieux adaptée à sa situation particulière. Dans le secteur public, la recherche de l’hébergement ainsi que l’accompagnement éducatif du mineur sont assurés par les unités éducatives d’hébergement diversifié (UEHD), qui sont rattachées aux établissements de placement éducatif (EPE). Dans le SAH, ces missions sont assurées par les centres d’hébergement diversifié.

Entre 2012 et 2014, le nombre d’UEHD est passé de 14 à 58, traduisant un réel effort de diversification des modes de prise en charge des mineurs par la protection judiciaire de la jeunesse. Pour votre rapporteure pour avis, cet effort de diversification des modes de placement doit être poursuivi : bénéfique pour l’ensemble des mineurs, ce type de placement l’est plus encore pour les jeunes filles dont le faible nombre impose de rechercher les solutions individuelles les plus adaptées, afin d’éviter le placement en hébergement collectif lorsqu’il n’est pas parfaitement approprié dans leur situation.

Les mineurs pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse n’ont pas vocation à être suivis par cette institution tout au long de leur adolescence. Chaque fois que possible, et surtout dès que possible, les mineurs dont la poursuite de la formation ou de la scolarité peut s’accomplir dans le cadre du « droit commun » – dans les collèges, lycées ou centres de formation fréquentés par les jeunes de leur âge – doivent pouvoir y retourner. Pourtant, comme ont pu en témoigner les professionnels entendus par votre rapporteure pour avis, ce retour vers le « droit commun » est souvent difficile à organiser, du fait d’une certaine stigmatisation dont peuvent souffrir les jeunes passés par une prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse.

Les personnels de l’établissement de placement éducatif Salomon de Caus à Paris ont souligné que l’inscription ou la réinscription dans un établissement scolaire finissait généralement par être obtenue, mais qu’elle nécessitait souvent de longues et difficiles tractations avec les établissements, en particulier quand ceux-ci avaient déjà accueilli le mineur concerné et l’avaient exclu.

Les personnels de l’UEAJ de Chelles, quant à eux, ont souligné qu’un important effort partenarial avait été accompli au cours des années passées pour favoriser la transition entre la prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse et l’intégration dans les dispositifs de scolarité, de formation ou d’insertion de droit commun, mais que ce travail devait encore être approfondi pour mettre en place de véritables passerelles qui ne relèvent pas du parcours d’obstacles administratif.

En particulier, il serait nécessaire que les compétences acquises par les jeunes dans le cadre de leur prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse puissent, plus systématiquement, être formalisées dans des documents reconnus par le ministère de l’Éducation nationale, le ministère de l’Emploi ou encore Pôle Emploi. Ces compétences ne peuvent toutes donner lieu à l’établissement d’un diplôme au sens strict, car le niveau de départ des jeunes pris en charge est souvent trop faible pour permettre de démarrer et, surtout, d’achever une formation diplômante dans le temps de la prise en charge. Mais la protection judiciaire de la jeunesse, qui dispose d’un corps de professeurs techniques dans des disciplines très diverses, devrait pouvoir, à tout le moins, attester de l’acquisition de certaines compétences, ce qui permettrait de valoriser les efforts accomplis par les jeunes et de favoriser leur réinscription dans le cadre du droit commun.

Lors des échanges qu’elle a eus au cours de ses visites avec les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l’administration pénitentiaire, votre rapporteure pour avis a été frappée par la dimension chaotique de certains parcours de mineures qui lui ont été donnés en exemple. Parfois placées en urgence dans un foyer d’hébergement collectif dans lequel elles ne parviennent pas à s’intégrer, ou encore incarcérées pour deux mois avant de retourner dans leur famille faute d’autre solution disponible, les jeunes filles suivies par la protection judiciaire de la jeunesse subissent, trop souvent, les difficultés de l’institution à concevoir et mettre en œuvre un parcours éducatif cohérent.

Dans le but d’accélérer la mise à exécution des décisions de justice concernant les mineurs et de renforcer la cohérence des parcours, la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines a introduit dans l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante un article 12-3 prévoyant que tout mineur faisant l’objet d’une décision exécutoire ordonnant une mesure ou une sanction éducatives ou prononçant une peine autre qu’une peine d’emprisonnement ferme doit être convoqué à comparaître, dans un délai maximal de cinq jours ouvrables, devant le service de la protection judiciaire de la jeunesse désigné pour la mise en œuvre de la décision. Pour donner une réelle effectivité à cette saisine rapide du service chargé de mettre en œuvre la mesure ou la peine, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a généralisé la désignation d’un « éducateur référent » pour chaque jeune, qui avait été précédemment expérimentée dans certaines régions. Cet éducateur référent a pour mission de suivre le jeune pendant toute la durée de son suivi judiciaire, y compris si le mineur fait l’objet d’un placement ou d’une incarcération qui le retire de la responsabilité directe du service.

Cette généralisation de l’éducateur référent est un signe très positif de la prise de conscience, par la protection judiciaire de la jeunesse, de la nécessité de garantir la cohérence des parcours des jeunes, au-delà des différentes mesures judiciaires dont ils peuvent faire l’objet. Pour votre rapporteure pour avis, deux autres pistes paraissent devoir être explorées pour permettre un véritable renforcement de la cohérence des parcours des mineurs, garçons ou filles, pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse.

La première de ces pistes est celle du décloisonnement des différentes institutions amenées à connaître de la situation des mineurs qui, aujourd’hui encore, travaillent souvent côte-à-côte auprès du mineur mais sans suffisamment collaborer. Les psychologues, les médecins, les assistants sociaux intervenant auprès des mineurs se retranchent parfois derrière le secret professionnel pour ne pas communiquer à d’autres intervenants des informations qui leur seraient pourtant utiles pour connaître le mineur et élaborer pour lui un parcours cohérent et individualisé. Des exemples particulièrement choquants de jeunes présentant des pathologies ou suivant des traitements médicaux susceptibles d’avoir des répercussions sur leur comportement en collectivité, sans que les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse devant le suivre en aient été informés par le médecin traitant, ont ainsi été donnés à votre rapporteure pour avis. Il est donc essentiel, dans l’intérêt même des jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse, de décloisonner les interventions des différents acteurs amenés à intervenir dans la définition et la mise en œuvre du parcours du mineur.

La seconde piste à explorer est celle de la redéfinition des missions respectives du juge des enfants et de la protection judiciaire de la jeunesse dans l’élaboration du parcours des mineurs. Aujourd’hui, le maître d’œuvre du parcours des mineurs auteurs d’infractions est le juge des enfants, qui prend ses décisions sur proposition de la protection judiciaire de la jeunesse, laquelle est ensuite amenée à les mettre en œuvre. La décision de placer un mineur en centre éducatif fermé, puis dans un foyer classique ou dans une famille d’accueil préalablement à son retour dans son milieu familial, relève du seul juge des enfants, quand bien même les différentes étapes de ce parcours sont en réalité conçues par le service de la protection judiciaire de la jeunesse qui suit le mineur au quotidien et sait à quel moment il peut être prêt pour passer d’une étape à une autre. Ce passage obligatoire devant le juge des enfants pour tout changement de mode de prise en charge est source d’une lourdeur certaine, qui peut dans certains cas être préjudiciable à la fluidité du parcours du mineur.

Pour remédier à cette difficulté, certains professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse demandent l’instauration d’un « mandat global », par lequel le juge des enfants confierait un mineur à un service de la protection judiciaire de la jeunesse pour une durée donnée, à charge pour ce service d’élaborer et de mettre en œuvre un parcours cohérent pour ce mineur en en tenant le magistrat informé. Cette solution pourrait présenter l’intérêt de responsabiliser davantage la protection judiciaire de la jeunesse dans la conception du parcours du mineur et d’alléger la charge des magistrats et de leur greffe de certaines audiences au cours desquelles les propositions faites par la protection judiciaire de la jeunesse sont en réalité simplement avalisées. Cependant, la présidente de l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), Mme Marie-Pierre Hourcade, a estimé cette proposition inappropriée, insistant sur l’importance symbolique des audiences devant les magistrats.

Ce débat, complexe et ancien, sur les rôles respectifs du juge des enfants et de la protection judiciaire de la jeunesse dans l’élaboration du parcours des mineurs, ne saurait être tranché sans un examen particulièrement approfondi des avantages et inconvénients que présenterait ce « mandat global ». Pour votre rapporteure pour avis, il devra être traité dans le cadre de la réforme à venir de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, en recherchant les solutions qui permettront de garantir une efficacité et une réactivité maximales dans l’élaboration d’un parcours cohérent pour chaque mineur.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 23 octobre 2014, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » pour 2015.

M. le président Gilles Carrez. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, Jean-Jacques Urvoas et moi-même sommes heureux de vous accueillir au sein de cette commission élargie pour examiner les crédits de la Mission « Justice ».

Je rappelle les règles qui s’appliquent aux commissions élargies afin de permettre un échange aussi interactif que possible.

Je commencerai par donner la parole aux rapporteurs, chacun d’entre eux disposant de cinq minutes. Il vous reviendra ensuite de leur répondre, madame la garde des sceaux. Puis je donnerai la parole aux orateurs des groupes ainsi qu’aux autres députés qui le souhaitent pour une intervention limitée à deux minutes.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. La commission des lois a désigné quatre rapporteurs pour avis sur les crédits de la Mission « Justice » qui constitue son cœur de métier. Chacun d’eux a choisi un thème pour illustrer les politiques publiques conduites grâce à ces crédits.

Ainsi, Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour la justice administrative et judiciaire, revient dans son avis sur le mouvement des greffiers et sur les solutions qui ont été trouvées pour réformer le statut de ces personnels qui sont un rouage essentiel de l’institution judiciaire. Je tiens, comme l’a fait la garde des Sceaux, à saluer l’esprit de service public dont ils ont fait la preuve, lors de leur mouvement de revendication, en évitant au maximum de perturber le fonctionnement des juridictions.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour l’accès au droit et à la justice, a porté son attention sur l’accès au droit qui apparaît comme une nécessité dans une société de plus en plus complexe. Cette question est également abordée dans le cadre de la réforme des professions juridiques réglementées à laquelle nous travaillons avec le ministère de la justice.

Mme Nathalie Nieson, rapporteur pour la protection judiciaire de la jeunesse, a choisi d’évoquer les jeunes filles auteures d’infractions dont la prise en charge s’avère délicate en dépit du faible nombre de cas.

Enfin, pour M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour l’administration pénitentiaire, il n’est sans doute pas nécessaire de présenter le thème qu’il a choisi puisque la presse s’en est largement fait l’écho, avant même que les parlementaires aient pu en avoir connaissance. La radicalisation en prison ne manquera pas de susciter des débats.

M. Étienne Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire pour les crédits relatifs à la justice. Les réponses au questionnaire budgétaire ont été tardives. Je remercie néanmoins les services qui y ont travaillé sans désemparer.

Le budget de la justice pour 2015 présente la particularité d’être, encore plus que l’an dernier, problématique quant à l’adéquation des moyens aux besoins.

C’est vrai pour les dotations de crédits de personnel, qui ne sont pas en rapport avec les créations d’emplois annoncées. L’immobilier pénitentiaire, réputé prioritaire, a subi de fortes annulations de crédits en 2013 et en 2014. Les frais de justice et les moyens de fonctionnement des juridictions sont insuffisamment dotés. Le financement de l’aide juridictionnelle ne semble pas encore assuré.

La justice constitue une fonction régalienne de l’État. Comme l’écrit la Cour des comptes dans sa note sur l’exécution du budget 2013, « les annulations et les redéploiements de crédits du titre 5 au profit des dépenses de fonctionnement manifestent un renoncement aux projets à moyen et long terme, au profit de préoccupations de gestion plus immédiates. La Cour estime que le ministère de la justice ne peut durablement sacrifier les crédits d’investissement sans compromettre à terme la mise en œuvre de ses missions. »

J’aurai cinq questions à poser. La première porte sur la maîtrise budgétaire des frais de justice. La Cour des comptes a réalisé, à la demande de la commission des finances, une enquête exhaustive, qui met en évidence l’absence de maîtrise de ce poste de dépenses : la liberté des ordonnateurs de fait est totale, le contrôle des engagements défectueux, la mesure des engagements souscrits très approximative.

Pour 2015, la dotation annoncée est manifestement sans rapport avec les besoins : 450 millions, dont au moins 378 millions pour des restes à payer mal connus, sachant que la dépense effective en 2013 s’établit à 474 millions. Vos propres services considèrent qu’il manque 147 millions sur le poste des frais de justice pour assurer l’exécution budgétaire de 2014.

Comment arriver à maîtriser ce poste de dépenses ? Des économies, que nous jugeons minimes, sont annoncées grâce à la systématisation du recours à la plateforme d’interception judiciaire et grâce à une réforme de la médecine légale.

Il est prévu également que la direction des services judiciaires s’engage dans la mise en œuvre d’un plan d’actions en faveur de la maîtrise des frais de justice, articulé autour de plusieurs axes : le premier relatif à la mobilisation de l’ensemble des acteurs en matière de frais de justice ; le deuxième portant sur l’achat public en matière de frais de justice ; le troisième ayant trait au renforcement du pilotage et du suivi budgétaire.

Cela peut-il suffire ? Je ne le pense pas. La Cour des comptes formule des préconisations beaucoup plus audacieuses. Elle propose de réexaminer la catégorie des frais de justice pour en exclure les dépenses qui se rapportent au fonctionnement courant des juridictions ; elle envisage l’application du droit commun de la comptabilité publique au paiement des dépenses tarifées ; elle plaide pour l’amélioration de la connaissance des composantes des dépenses de frais de justice.

Ne faut-il pas aller plus loin que ce que propose le Gouvernement et suivre les préconisations de la Cour ?

Ma deuxième question porte sur l’évolution des indicateurs. La mesure de la performance fait l’objet d’une vaste réforme. Curieusement, le taux de réponse pénale disparaît, sans explication. Certains indicateurs ne sont pas renseignés ou incomplètement : c’est le cas des délais de traitement des procédures pénales, du nombre d’affaires traitées par magistrat ou fonctionnaire, du taux de mise à exécution ou encore des délais de mise à exécution. Les données de stock des peines fermes en attente d’exécution ne sont pas disponibles pour 2013.

Pouvez-vous m’expliquer ce déficit d’information et y remédier afin que les rapporteurs puissent convenablement exercer leur mission ?

La troisième question a trait au décalage entre les créations d’emplois annoncées et la réalité. La masse salariale est insuffisamment calibrée.

L’exécution budgétaire 2013 a mis en évidence la réalisation d’économies sur les effectifs, alors que le budget de la justice avait été présenté comme prioritaire. Alors que les plafonds d’emplois devaient être portés à 77 542 ETPT en 2013 – contre 75 508 ETPT réalisés en 2012 –, la réalisation 2013 s’établit à 75 833 ETPT, à peine supérieure à celle de 2012, sachant de surcroît que les transferts nets sortants ont été inférieurs de 101 ETPT aux prévisions de la loi de finances initiale. La non-réalisation des ETPT au regard du plafond fixé en loi de finances initiale est de 1 709, hors transferts. Alors que le PAP 2013 faisait de la protection judiciaire de la jeunesse une priorité pour les créations d’emplois en 2013, ses effectifs budgétaires sont inférieurs en 2013 à ceux de 2012.

Si le Gouvernement tient vraiment à augmenter les effectifs du ministère de la justice, il lui est loisible, plutôt que d’annoncer des créations d’emplois, d’augmenter les dotations de masse salariale.

Ma quatrième question se rapporte à l’application de la contrainte pénale. La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines suppose des créations de postes, en particulier de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). Or, selon vos services, le nombre de dossiers suivis par CPIP a augmenté de 2012 à 2013 et continuera d’augmenter sauf création de postes massive.

Enfin, les constructions pénitentiaires constituent une autre priorité pour le Gouvernement. Mais les dotations de crédits de paiement d’investissements pénitentiaires progressent peu de 2014 à 2015, de 20 millions d’euros pour atteindre 373,5 millions d’euros. La gestion 2013 a été caractérisée par un niveau inédit d’annulations sur l’immobilier pénitentiaire. Nous aimerions là aussi connaître les intentions du Gouvernement, notamment au regard du plan triennal.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à la justice administrative et judiciaire. Mon avis budgétaire est consacré à la réforme du statut des personnels des greffes. Je souhaiterais néanmoins dire quelques mots rapides du budget de la justice judiciaire.

Je me félicite que le budget de la justice reste, cette année encore, un budget prioritaire. Bien que prenant sa part dans l’effort de redressement de nos finances publiques, il augmentera de 2,3 % en 2015. Cet effort mérite d’être salué tant l’ampleur du retard accumulé au cours de la précédente législature le justifie. Les juridictions et les personnels qui assurent le fonctionnement quotidien de la justice continuent en effet à se trouver plongés, pour beaucoup, dans des situations difficiles.

J’avais vivement regretté, l’année dernière, lors de l’examen du budget, que rien ne soit fait pour revaloriser les rémunérations et le statut des personnels des greffes, qui jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement des juridictions. Il m’apparaissait indispensable que le Gouvernement adresse un message fort de reconnaissance à ces personnels, dont les tâches et les responsabilités n’ont cessé de s’accroître, alors que leur statut n’a pas été revalorisé depuis 2003. C’était d’autant plus indispensable que les greffiers joueront un rôle considérable dans les actions pour la justice du quotidien que vous avez engagées pour construire la justice du XXIe siècle.

Vous m’aviez réaffirmé votre volonté d’avancer sur ce dossier. Vos paroles ont été suivies par des actes. Je me félicite que, grâce à vos efforts, les négociations avec les organisations syndicales représentatives, mais aussi les ministères du budget et de la fonction publique – ce qui n’était pas rien – aient abouti, le 15 juillet dernier, à un protocole d’accord sur les perspectives d’évolution statutaire des personnels des greffes.

Ce protocole, que j’ai étudié attentivement, prévoit une réforme ambitieuse du statut des greffiers en chef et des greffiers, ainsi que d’importantes avancées pour les fonctionnaires des corps communs du ministère de la justice qui travaillent dans les greffes.

La transformation du corps des greffiers en chef en un corps de directeurs de greffe, la revalorisation de leur grille et la création d’un statut d’emploi de directeur de greffe fonctionnel permettent de mieux reconnaître les fonctions d’encadrement de ces fonctionnaires.

La revalorisation de la grille des greffiers et la création, unique pour un corps de catégorie B, d’un statut d’emploi valorisant leurs compétences constituent également des avancées dont nous pouvons tous nous réjouir.

Les secrétaires administratifs et les adjoints administratifs et techniques, qui jouent un rôle essentiel au sein des greffes, n’ont pas été oubliés et je me félicite, en particulier, de l’accélération du dispositif d’intégration dans le corps des greffiers des secrétaires administratifs « faisant fonction », qui sont nombreux, et de la garantie qui leur est offerte de bénéficier d’une affectation de proximité.

Ce protocole est une étape importante, mais je ne le considère pas comme un point d’arrivée. Il doit s’inscrire dans une démarche plus large, qui conduira à redéfinir les missions des greffiers. Cette réflexion, vous l’avez engagée dans le cadre des travaux de la réforme « justice du XXIe siècle ».

L’un des rapports des groupes de travail, le rapport Delmas-Goyon, a proposé de créer un véritable greffe juridictionnel, auquel certaines des compétences actuellement exercées par les magistrats pourraient être confiées, afin de permettre à ces derniers de se recentrer sur la prise de décision et sur les contentieux complexes.

Je songe, par exemple, à la possibilité d’ordonner des mesures d’instruction avec l’accord des parties, de soulever d’office l’incompétence territoriale ou des irrecevabilités manifestes, ou encore à une compétence générale propre en matière d’homologation gracieuse ou à une compétence déléguée en matière d’injonction de payer. Que pensez-vous de ces propositions ?

Vous avez par ailleurs annoncé, dans vos deux circulaires du 8 octobre dernier relatives aux expérimentations sur l’assistance au magistrat et sur l’accueil unique du justiciable, que les juridictions dans lesquelles ces expérimentations seront menées bénéficieront de renforts, ce qui est une condition indispensable à leur réussite. Pourriez-vous nous préciser les effectifs qui seront affectés à cette fin ?

Une autre condition de la réussite de la réforme « justice du XXIe siècle » est, à mon sens, que le tandem « greffier-magistrat » fonctionne bien, sans tensions. Cela n’est pas toujours le cas. Ne pensez-vous pas qu’il serait utile pour bâtir, dès la formation initiale, une culture professionnelle commune, de développer les formations communes aux auditeurs de justice et aux futurs greffiers et greffiers en chef ?

Enfin, pourriez-vous confirmer que les primes exceptionnelles prévues par le protocole du 15 juillet dernier seront bien versées au 30 octobre 2014, comme le prévoit ledit protocole ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à l’administration pénitentiaire. La lutte contre la radicalisation islamiste dans les prisons est un sujet très compliqué sur lequel nous devons nous garder de toute caricature, de tout amalgame mais aussi de tout déni.

Il faut être très à l’écoute des acteurs de terrain qui ont envie de s’exprimer sur ces questions, en particulier les personnels surveillants, qui font un travail très difficile.

J’ai la conviction qu’il faut anticiper le traitement à venir par l’administration pénitentiaire des Français ou étrangers résidant en France qui sont partis faire le djihad dans la zone irako-syrienne et qui seront probablement incarcérés à leur retour. Au nombre de 53 aujourd’hui, disséminés dans les maisons d’arrêt d’Île-de-France, ils seront hélas plus nombreux demain.

Monsieur le président, je n’ai pas l’intention de m’excuser de vouloir porter ce débat, au-delà du Parlement, sur la place publique car il s’agit d’un sujet d’intérêt national.

Je présente dans mon rapport quatre axes de propositions qui ne se veulent pas polémiques mais aussi concrètes et opérationnelles que possible.

En premier lieu, je souhaite une réflexion pour améliorer la capacité de renseignement au sein de l’administration pénitentiaire. Il faut systématiser les efforts de renseignement déjà engagés mais aussi mieux organiser la coopération avec les services de contre-espionnage du ministère de l’intérieur et privilégier le renseignement humain, ce qui suppose d’améliorer la formation des personnels au recueil et à l’analyse du renseignement ainsi que certaines évolutions techniques.

En deuxième lieu, il convient de définir un discours anti-radicalisation. Cela signifie apporter un plus grand soutien aux aumôniers musulmans agréés par l’État, qui sont au nombre de 178 aujourd’hui, en les outillant pour s’opposer aux imams autoproclamés dans le milieu pénitentiaire. En outre, nous gagnerions à nous inspirer de l’exemple britannique. J’ai noté avec satisfaction que la Chancellerie en avait pris le chemin en publiant un appel d’offres pour élaborer avec des sociologues des outils anti-radicalisation. Je sais que Dounia Bouzar que j’ai auditionnée y travaille.

En troisième lieu, il faut réduire la capacité d’essaimage des radicaux dans les établissements pénitentiaires. Sur ce sujet très compliqué, je ne plaide pas pour la concentration des détenus radicaux, radicalisés ou radicalisateurs, en un seul établissement qui deviendrait une sorte de Guantanamo à la française mais je refuse le statu quo : la dissémination des radicaux dans ce que les surveillants appellent le tour de France des prisons me semble lourde de dangers. Je propose donc d’expérimenter la création dans certains établissements d’unités spécialisées anti-radicalisation – des quartiers réservés avec des personnels formés spécialement.

Enfin, quatrième idée, la prison est un lieu clos qui a vocation à le rester. Or, trop souvent, elle permet les échanges avec l’extérieur, en particulier du fait de l’intrusion illégale de téléphones portables et donc d’internet. En dépit des progrès dans la lutte contre les téléphones portables, des solutions techniques devraient être recherchées en liaison avec les opérateurs téléphoniques.

Mon rapport contient vingt propositions soumises à votre sagacité, madame la garde des sceaux. À ce stade, l’effort d’anticipation reste perfectible. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission.

Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesseDans un contexte budgétaire très difficile, la justice est bien une priorité pour le Président de la République. Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » connaît une quasi-stabilité de ses crédits de paiement et une augmentation de ses effectifs de 60 postes. Si elle paraît modeste, cette évolution est à mettre en regard de plusieurs années de baisses brutales de crédits sous les précédentes législatures.

Je m’inscris dans la continuité des rapports présentés par mon collègue Jean-Michel Clément.

Pour nourrir mon rapport sur les jeunes filles mineures auteures d’infractions, je suis allée à la rencontre des professionnels dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, les centres éducatifs renforcés ou des foyers. Ces personnels sont très investis dans un métier difficile qui demande beaucoup d’engagement et d’humanité. Ils remplissent leur mission avec une grande lucidité.

À rebours de certains a priori, les jeunes filles sont très minoritaires dans la délinquance des mineurs. Elles représentent 17 % des mineurs condamnés, 10 % des mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse et 1,4 % des mineurs incarcérés.

Pour autant, la prise en charge de ces jeunes filles en grande souffrance constitue un défi à plusieurs titres : le premier d’entre eux est celui de la mixité. Si elle est un impératif pour le bien vivre dans notre société, elle peut être vécue comme une difficulté pour les professionnels, en particulier pour ceux qui s’occupent de jeunes filles ayant subi des violences de la part du sexe opposé. Elles doivent réapprendre le respect d’elles-mêmes et des autres.

Il me semble également important de lutter contre le cloisonnement des informations. Le grand nombre d’intervenants auprès des mineures est souvent responsable d’une mauvaise circulation de l’information entre les différents professionnels, en particulier entre le personnel médical et le personnel pénitentiaire. Il faut favoriser le travail en équipe pour faciliter une prise en charge globale des mineurs et une plus grande efficacité de celle-ci.

Il faut enfin veiller à la cohérence et à la continuité des actions dans le cadre du parcours judiciaire, en permettant par exemple d’assurer une sortie en douceur de l’emprisonnement vers un centre éducatif puis vers un placement dans une famille ou un foyer.

À cet égard, l’idée d’un mandat global mérite d’être étudiée même si elle compte aussi quelques détracteurs. Ces questions seront sans doute abordées dans le cadre de la réforme de la justice des mineurs que nous attendons.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à l’accès au droit et à la justiceJe suis pour la première année les crédits du programme « Accès au droit et à la justice », dont la rapporteure pour avis était Nathalie Nieson. Je tiens à saluer le travail qu’elle a accompli sur ce sujet, et en particulier sur l’aide aux victimes, au cours des deux dernières années.

J’ai choisi de consacrer mon avis à l’accès au droit. L’aide juridictionnelle représente, certes, plus de 90 % des crédits dont je suis le rapporteur, et son financement fait l’objet d’une réforme importante cette année, mais notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec ayant été chargé d’une mission auprès de vous, Mme la garde des Sceaux, sur ce même sujet, il m’a semblé que nous ferions un peu double emploi.

La politique de l’accès au droit ne recueille pas toute l’attention qu’elle mériterait et fait figure de parent pauvre de l’aide juridique, au regard de l’aide juridictionnelle. Cette politique représente pourtant des enjeux considérables en termes de justice sociale et d’égalité des territoires. Sans accès au droit, l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » devient illusoire, surtout pour les populations les plus fragiles. Sans accès au droit, il ne peut y avoir d’accès aux droits. La connaissance de ses droits est un préalable indispensable à leur exercice, et donc à leur effectivité. Le non-recours aux droits sociaux est d’ailleurs un phénomène de grande ampleur, évalué à plusieurs milliards d’euros par an.

J’ai rencontré, pour rédiger mon rapport, des représentants de tous les acteurs impliqués dans cette politique : le service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes du ministère, naturellement, le Conseil national de l’aide juridique, des représentants des professions juridiques, des conseils départementaux de l’aide juridique et des maisons de la justice et du droit (MJD). Je me suis également rendu dans la MJD de Saint-Denis et dans le point d’accès au droit (PAD) du 20ème arrondissement, géré par l’association Droits d’urgence. J’ai pu constater le dynamisme, l’enthousiasme et la générosité des personnes qui agissent pour que cette politique d’accès au droit soit une réalité sur le terrain.

C’est grâce à ces personnes que, depuis sa mise en place par la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique, l’accès au droit s’est considérablement développé. 101 conseils départementaux de l’accès au droit ont été créés ; il existe aujourd’hui 137 MJD ainsi que 1 200 PAD répartis sur l’ensemble du territoire - seuls les départements de la Lozère et de l’Yonne n’en sont pas dotés. Des PAD spécialisés ont été créés en établissements pénitentiaires et dans les hôpitaux psychiatriques, ce qui est une excellente initiative car les personnes concernées ont besoin d’être informées sur leurs droits.

Il reste cependant beaucoup à faire, et je me félicite que vous ayez retenu le renforcement de l’accès au droit parmi les priorités de l’action que vous menez pour bâtir la justice du XXIe siècle. Vous avez annoncé le dépôt, au premier semestre 2015, d’un projet de loi qui réformera la loi du 10 juillet 1991. Je formule dans mon avis une douzaine de propositions qui contribueront, je l’espère, à nourrir les travaux préparatoires de ce futur projet de loi. J’ai pu constater que la connaissance de ses droits permet d’éviter le recours à la justice. Les associations me l’ont dit, lorsque l’usager est correctement informé, 25 % des contentieux seraient évités.

Je propose de renforcer le rôle de pilotage de cette politique par le Conseil national de l’aide juridique, qui m’a paru être beaucoup plus impliqué, ces dernières années, sur l’aide juridictionnelle que sur l’accès au droit, ce qui est dommage. J’approuve votre proposition de réformer la gouvernance des conseils départementaux de l’accès au droit, afin d’impliquer davantage toutes les juridictions du département et les MJD. L’extension de leur compétence à l’aide aux victimes me paraît aussi aller dans le bon sens.

Je partage pleinement votre volonté de doter chaque MJD d’un greffier, comme le prévoit d’ailleurs le code de l’organisation judiciaire depuis longtemps. Un greffier en MJD, c’est un greffier en moins dans une juridiction : atteindre cet objectif exigera donc de procéder à des créations d’emplois de greffiers supplémentaires. Parmi les 30 créations d’emplois de greffiers en 2015, pourriez-vous nous indiquer combien seront affectés en MJD ?

Je me félicite, par ailleurs, de la création de nouvelles MJD. Pourriez-vous nous confirmer que l’une d’entre elles, celle de Pontivy d’après mes informations, participera à l’expérimentation de l’accueil unique des justiciables ? Ne faudrait-il pas, à terme, aller plus loin, et créer des MJD de troisième génération, dans lesquelles pourraient se tenir des audiences ? Ce serait une manière de lutter contre les déserts judiciaires que la réforme de la carte judiciaire a créés.

Enfin, ne pensez-vous pas que les points d’accès au droit devraient être plus largement encouragés au travers des futures maisons de l’État qui ont vocation à se déployer sur certains territoires ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je remercie les rapporteurs pour leurs travaux de grande qualité.

Je répondrai à leurs questions sur les thèmes qu’ils ont choisi d’explorer tout en m’efforçant de faire apparaître la cohérence et l’esprit de ce budget qui demeure prioritaire. En hausse de 2,3 %, il fait en effet partie des quatre budgets qui connaissent une augmentation cette année et qui autorisent des créations d’emplois – 500.

Ce budget répond à la préoccupation du Président de la République et du Gouvernement d’assurer un service public de la justice, au plus proche des citoyens, plus diligent et plus performant. Il donne également les moyens de mettre en œuvre les lois adoptées depuis le début de la législature et les précédentes. Sont notamment prises en compte les dispositions relatives à la prévention de la récidive et au renforcement de l’efficacité des sanctions pénales, la réforme pour « la justice du XXIe siècle », les mesures relatives à l’hospitalisation sans consentement ainsi qu’au juge des libertés et de la détention.

S’agissant des créations d’emplois, elles sont ventilées, selon les besoins créés par les dispositions législatives, vers les services judiciaires, la protection judiciaire de la jeunesse et l’administration pénitentiaire.

La capacité de création d’emplois est renforcée par des efforts supplémentaires dans certains domaines. Nous avons ainsi décidé de combler les vacances identifiées dans les services pénitentiaires.

Afin d’éclaircir un mystère sur les créations d’emplois – en l’occurrence, l’écart récurrent entre effectifs théoriques et réels de l’administration pénitentiaire –, j’ai diligenté un audit de l’Inspection générale des finances. Depuis deux ans, j’en étais venue à m’interroger sur la capacité de l’administration pénitentiaire à créer des emplois et à maîtriser la masse salariale. Or, il ressort de cet audit que l’écart est dû au défaut de création des emplois annoncés dans les trois derniers projets de loi de finances de la précédente législature.

Ce n’est pas pour vous être désagréable que je vous donne ces indications mais je suis satisfaite d’avoir résolu une énigme, ce que même la perspicacité de M. Blanc n’avait pas permis de faire …

J’ai donc obtenu que ces postes vacants soient comblés et qu’ils s’ajoutent aux 500 postes créés dans l’administration pénitentiaire pour atteindre 534 postes supplémentaires dont 200 sont créés depuis septembre 2014.

Il reste certains écarts inévitables, qualifiés d’écarts frictionnels, qui sont imputables au temps de formation – 31 mois pour les magistrats, 24 mois pour les greffiers et l’administration pénitentiaire.

Nous avons fait des efforts pour améliorer les indicateurs de performance. Le taux de réponse pénale est stable et élevé – plus de 85 % et 95 % pour les mineurs.

Les frais de justice permettent aux juridictions d’exercer leur activité juridictionnelle. Il est inconcevable de décider en début d’année de limiter la capacité des juridictions à ordonner des expertises ou à recourir à des interprètes. Nous appliquons donc le principe de la liberté de prescription pour les magistrats tout en faisant des efforts de maîtrise des coûts. Des économies seront réalisées notamment grâce à la plateforme nationale d’interception judiciaire, à une rationalisation de certains frais médicaux ainsi qu’à la possibilité de communication électronique que vous avez validée en première lecture dans le projet de loi d’habilitation.

Monsieur Jean-Yves Le Bouillonnec, je vous remercie d’avoir rappelé le rôle important joué par les greffiers dans les juridictions ; ceux-ci représentent en effet des acteurs clés de la réforme « justice du XXIe siècle ». Contrairement au passé, nous créons les postes de greffiers qui doivent accompagner les nouveaux magistrats. Nous avons décidé de dédier 30 postes de greffiers à l’élaboration de la justice du XXIe siècle en 2015, puis 20 nouveaux agents en 2016 et en 2017. Dans ce cadre, des expérimentations, qui concernent le service d’accueil unique de la justice, ont débuté.

Cela fait une dizaine d’années que les greffiers n’ont pas connu de revalorisation statutaire et indemnitaire ; j’avais indiqué, les deux années précédentes, que nous n’étions pas en mesure de fournir cet effort, mais que nous le programmions pour 2015 : nous tenons parole, puisque nous avons signé un protocole de 11 millions d’euros avec les trois principales organisations syndicales, qui permet de procéder à cette revalorisation, d’améliorer le statut d’emploi et le lissage de la carrière, et d’offrir des perspectives plus intéressantes en termes de qualification.

Nous menons parallèlement un effort d’intégration des adjoints administratifs et de croissance de la rémunération des personnels de catégorie C qui reçoivent un salaire modeste et pour lesquels nous avons augmenté les primes exceptionnelles depuis deux ans puisqu’il s’avère difficile de décider d’une hausse du traitement hors primes.

Nous organisons des échanges entre magistrats et greffiers pour développer la mixité de la culture professionnelle, les écoles nationales de la magistrature et des greffes (ENM) et (ENG).

Nous avons lancé une expérimentation sur l’équipe de travail autour du magistrat, qui vise à permettre aux greffiers d’exercer des missions plus conformes à leurs qualifications et à la qualité des services qu’ils fournissent, et, partant, plus valorisantes.

Monsieur Guillaume Larrivé, nous avons décidé de réarticuler les politiques carcérale et pénale afin d’accroître la cohérence de la politique publique de la justice et de la présentation du budget. La disjonction entre ces deux piliers, opérée au cours du précédent quinquennat, s’avérait néfaste. La loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales crée la contrainte pénale, qui constitue un progrès, puisque cette peine sera exécutée en milieu ouvert tout étant encadrée par des dispositions précises, mais contient également plusieurs mesures qui touchent au milieu fermé.

Nous effectuons les efforts budgétaires nécessaires pour mettre en œuvre efficacement les dispositions relatives au milieu ouvert, et nous conduisons la même action pour le milieu fermé en créant des postes, selon la disponibilité de nos crédits, pour bien doter les nouveaux et les anciens établissements parlementaires.

La politique pénitentiaire repose également sur la création de nouvelles places. Dans les trois prochaines années, nous consacrerons 1 milliard d’euros en AE pour 3 200 places supplémentaires nettes, compte tenu de la suppression de plus de 1 000 places vétustes.

Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) verront leurs effectifs augmenter de 1 000 agents et leurs crédits de fonctionnement de 10 %.

Nous créons des postes de magistrats depuis 2013 pour appliquer les nouveaux textes : 40 nouveaux emplois en 2015, dont 24 dans le cadre de la réforme « justice du XXIe siècle.

Monsieur Guillaume Larrivé, vous avez décidé de mettre la lumière sur la radicalisation islamiste en prison. Certains de vos collègues se sont plaints d’avoir été informés après les journalistes, et je regrette que vous n’ayez pas auditionné les membres de mon cabinet, le ministère de la justice dans son ensemble se trouvant toujours à la disposition du Parlement. Nous aurions pu ainsi vous renseigner sur ce sujet, que vous avez raison de qualifier de « délicat » et de vouloir aborder avec responsabilité. J’ai le plaisir ou le regret de vous informer que la plupart de vos propositions sont déjà mises en œuvre et produisent leurs effets.

Je ne comprends pas comment vous pouvez avancer des estimations chiffrées sur la population musulmane en prison, puisque les statistiques ethniques et religieuses n’existent pas dans notre pays. En conséquence, j’ignore les enseignements que l’on peut tirer de vos données, si ce n’est une stigmatisation qui mériterait au moins d’être argumentée.

Nous avons renforcé le renseignement pénitentiaire en 2012 puis en 2013 dans le cadre du plan de sécurisation de 33 millions d’euros élaboré en juin de l’année dernière. À cette occasion, nous avons créé sept nouveaux postes dans ce domaine et avons réorganisé le renseignement pénitentiaire dans l’ensemble du territoire. L’école nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) assurera la formation initiale et continue de ces personnels. Nous avons également créé 30 postes d’aumôniers musulmans ; il y en a maintenant 178 au total, alors qu’ils n’étaient que 151 lorsque nous sommes arrivés au pouvoir. Le problème que vous soulevez, monsieur le député, n’est pas récent, mais il n’avait été traité ni dans sa composante de renseignement, ni dans celle de la présence d’aumôniers musulmans, puisque seuls quatre postes avaient été créés entre 2009 et 2012.

Vous nous suggérez de travailler avec le ministère de l’intérieur, mais nous le faisons déjà ! Ainsi, nos personnels de renseignement pénitentiaire participent aux états-majors de sécurité à l’échelle départementale, ce qui permet un échange d’informations. Nous signalons aux services du ministère de l’intérieur les détenus sortant de prison lorsqu’une suspicion de radicalisation violente existe. Le directeur pénitentiaire est associé aux actions de l’unité de coordination de lutte antiterroriste (UCLAT). M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, et moi-même avons publié deux circulaires communes ; nous avons élaboré, en lien avec les ministères des affaires étrangères, et de l’intérieur, un plan gouvernemental qui a permis l’installation d’une plateforme téléphonique et numérique pour les signalements de comportements suspects ; nous avons ainsi pu empêcher 70 départs de personnes vers le Moyen-Orient.

Le plan de sécurisation des prisons, déployé en deux étapes cette année, vise à lutter contre les projections, à installer des portiques à masse métallique et à ondes millimétriques et à développer des équipes cynotechniques – qui existent depuis juillet dernier à Reims et à Lyon.

Aux ressentis, j’oppose des faits qui, eux, sont probants.

Madame Nathalie Nieson, je connais votre sensibilité à la question des victimes. Notre politique d’aide aux victimes s’avère vigoureuse depuis notre arrivée au pouvoir, le budget qui lui est consacré augmentant de 22 % – pour atteindre 16,8 millions d’euros – dans ce projet de loi de finances (PLF) par rapport à l’année dernière. En 2012, les crédits atteignaient 10 millions d’euros, et nous les avons augmentés de 26 % à 12,8 millions d’euros en 2013, puis de 7 % à 13 millions en 2014. Nous poursuivrons cet effort dans les prochaines années.

Ces crédits aident les associations dans leur remarquable travail auprès des victimes. Nous avons ouvert une centaine de bureaux d’aide aux victimes, tous les tribunaux de grande instance (TGI) devant en compter un.

Nous expérimentons, dans huit TGI depuis janvier 2014, des dispositions de la directive du 25 octobre 2012, non encore transposée dans notre droit, comme le suivi individualisé des victimes.

Nous avons un établissement réservé aux jeunes filles auteurs d’infraction, mais la règle générale reste la mixité. Lorsqu’une seule fille se trouve dans un centre mixte, cela pose des difficultés. Le temps passé dans un établissement ne constitue qu’une étape au sein d’un parcours. Parmi les mineurs incarcérés, 4 % sont des filles ; elles représentent 10 % des jeunes suivis par les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). La délinquance des filles est estimée à 17 %, et la moitié des filles condamnées le sont pour des faits de vol.

Monsieur Jean-Michel Clément, la question de l’accès au droit touche celle des professions réglementées. Un accès au droit facilité permet de prévenir et de résoudre des litiges avant l’enclenchement d’une procédure judiciaire. Nous cherchons à faire des maisons de la justice et du droit de véritables sites judiciaires, comme le prévoit le code de l’organisation judiciaire, et nous y affectons, dans cette optique, des greffiers. L’accès au droit participe de la justice du XXIe siècle et s’intègre dans l’architecture des sites judiciaires dans l’ensemble du pays. Nous avons commencé par lutter contre les déserts judiciaires en procédant à la réouverture de TGI et à la création de chambres détachées. Nous réformons la gouvernance des conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et des points d’accès au droit (PAD). Le service d’accueil de la justice, aujourd’hui en expérimentation, remplira une mission d’information, assurée par des greffiers ayant reçu une formation spécifique. Nous élaborerons prochainement, en associant étroitement la représentation nationale, la cartographie de l’accès au droit, qui montrera le maillage territorial de l’ensemble des structures qui permettent aux citoyens, selon leurs besoins, d’avoir accès au droit.

Mme Cécile Untermaier. Le budget pour l’année 2015 augmente par rapport à l’année précédente pour le troisième exercice consécutif ; cela confirme le caractère prioritaire de la justice pour le Gouvernement.

La plupart des programmes de la Mission « Justice » bénéficient de cette poussée budgétaire ; ainsi les crédits du programme « Accès au droit et à la justice » affectés à l’aide aux victimes progressent. Ce programme comporte également la hausse indispensable de l’aide juridictionnelle, qui garantit l’accès au droit des plus pauvres et de ceux qui rencontrent de nombreuses difficultés. Il convient également de saluer la revalorisation de l’indemnité versée aux avocats, tant pour prendre en compte le travail consacré à l’étude du dossier que pour valoriser l’expertise de cet auxiliaire de justice ; cette hausse devrait atteindre 50 millions d’euros comme le préconise notre collègue M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

Le programme de la « Protection judiciaire de la jeunesse » connaît une croissance remarquable de ses crédits dans le contexte de crise que nous connaissons. Cette augmentation se traduit par la création de nouveaux équivalents temps plein (ETP), utiles à l’application de nos réformes.

Le programme « Justice judiciaire » accuse une légère baisse par rapport à celui de 2014 ; pour autant, le nombre d’ETP progressera légèrement, cette augmentation s’avérant particulièrement salutaire au vu des conditions dans lesquelles les agents du service public de la justice remplissent leurs missions après les coupes budgétaires effectuées par la précédente majorité. Le point d’indice des greffiers se trouve revalorisé, ce qui répond à l’une des revendications exprimées lors du mouvement du printemps dernier.

Enfin, la hausse des frais de justice, certes modeste, doit être soulignée, car ils participent au bon fonctionnement de notre justice.

M. Guy Geoffroy. Nous regrettons que le temps offert aux porte-parole des groupes ait été réduit de cinq à deux minutes.

Certes, les crédits augmentent légèrement, mais un Français verse 61,2 euros par an pour la justice, soit à peine plus de la moitié du montant allemand, qui atteint 114 euros. La France se classe au 37e rang européen en la matière – sur 45 pays et derrière des pays comme la Géorgie et la Turquie ! Les procureurs français sont parmi les moins nombreux d’Europe, puisqu’on n’en compte que 2,9 pour 100 000 justiciables, la moyenne européenne se situant à 11,8.

Le nombre de conseillers sera-t-il suffisant en 2014 et en 2015 pour faire face aux conséquences de la contrainte pénale, sachant qu’il en faudrait 1 000 nouveaux ? Au mieux, ils ne pourraient être, compte tenu des temps de formation, que 300 en 2015. Comment comptez-vous gérer cette situation ?

Vous aviez évoqué la construction de 6 500 nouvelles places de prison ; or la lecture des documents budgétaires ne fait apparaître que 2 881 nouvelles places. Comment justifiez-vous cet écart ?

L’article 56 du PLF, rattaché à la mission « Justice », dispose que le droit de timbre pour interjeter appel augmentera de 150 à 225 euros, soit une progression de 50 % ! Or vous n’aviez pas cessé de vilipender notre action lorsque nous avions osé financer l’aide juridictionnelle par une contribution de 35 euros par justiciable. Qu’avez-vous à nous dire à ce propos, madame la garde des sceaux ?

M. Sergio Coronado. Monsieur Guillaume Larrivé, votre rapport alimente depuis ce matin la presse de droite et d’extrême droite sur le fondement de déclarations alarmistes et de chiffres contestables ; or nous avons découvert ce rapport en arrivant dans cette salle, et il aurait été bien plus correct à l’égard de la représentation nationale que la présentation du rapport devant la commission précède ce plan médias.

Je me réjouis que la hausse des moyens dévolus à la justice se poursuive.

La hausse continue du nombre de places dans les prisons – 10 000 en dix ans – n’a pas réglé le problème de la surpopulation carcérale, le taux d’occupation des maisons d’arrêt, stable depuis 2012, atteignant 134 %. L’article 100 de la loi pénitentiaire avait repoussé la perspective de l’encellulement individuel au 24 novembre 2014, après un premier report après celui de la loi de 2003. Comment le Gouvernement compte-t-il mettre en place l’encellulement individuel, dont la perspective se trouve encore une fois retardée ? Utilisera-t-il les mêmes mauvaises règles que celles déployées par le Gouvernement précédent en 2008 ? Quel est le nombre de cellules ? Quelle est leur ventilation en fonction de leur taille et du nombre de places ? Pourrions-nous connaître le nombre de détenus en surnombre, prison par prison, et celui de prisonniers dormant sur un matelas à même le sol.

M. Marc Dolez. Le recours de l’administration pénitentiaire aux partenariats entre le public et le privé (PPP) continuera de croître en 2015 et représentera un montant total supérieur à 300 millions d’euros en 2018.

Pourquoi n’avez-vous pas retenu, madame la garde des sceaux, la proposition de l’ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) de rétablir progressivement l’encellulement individuel plutôt que de le repousser à 2017 ?

Quel est le calendrier de présentation du projet de loi prévoyant la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, à laquelle le Gouvernement s’est engagé ? Quand sera refondée l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ?

Depuis le 1er janvier 2014, la prise en charge d’un mineur délinquant par les services éducatifs doit s’effectuer dans un délai de cinq jours à compter de la date du jugement. Pourriez-vous nous dresser un premier bilan de l’application de cette mesure ?

Pourquoi prolonger et augmenter la taxe acquittée pour interjeter appel, qui constitue une restriction financière à l’accès au juge ?

Quelle appréciation portez-vous sur la réforme des prud’hommes telle que M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, l’a esquissée la semaine dernière ?  

M. François Rochebloine. Madame la garde des sceaux, la situation de la maison d’arrêt de La Talaudière dans le département de la Loire illustre les problèmes quotidiens de la condition carcérale. Votre administration considère cet établissement comme l’un des quinze plus vétustes de notre pays.

La première urgence a trait à la rénovation des locaux, indispensable à défaut de reconstruction, puisque cette maison d’arrêt ne répond pas aux normes actuelles. Plusieurs tranches de ces travaux sont en cours ou programmées, l’état de dégradation des locaux s’avérant préoccupant. Le réseau d’eau est à reconstruire, la cour de promenade n’est toujours pas achevée, la cour des sports figure en tranches conditionnelles. Que dire de l’absence de dispositifs empêchant les projections depuis l’extérieur, sans parler des nuisances et de l’insécurité que subissent les riverains ?

Le taux d’occupation de la maison d’arrêt dépasse constamment la capacité théorique d’accueil des locaux. Avec 349 détenus à la fin septembre, dont 21 femmes, ce taux dépasse 120 % dans le secteur des hommes.

Les personnels se trouvent en sous-effectif, et, bien que ce problème ne soit pas propre à cette maison d’arrêt, cette situation ne facilite pas la mission des agents de surveillance. L’effectif théorique pour la surveillance est de 106 agents, mais près de dix postes ne sont pas pourvus. Au total, l’établissement ne compte que 137 agents sur 154 théoriques. Les personnels sont découragés et certains d’entre eux ont démissionné.

Après la découverte d’une grenade défensive dans les locaux en mars dernier, j’avais espéré qu’une fouille générale soit organisée puisque la dernière remonte à 2005. L’administration s’est contentée d’une fouille partielle qui a quand même donné d’excellents résultats : il faut aller plus loin !

Madame la garde des sceaux, la situation s’avère urgente, et je serais heureux de vous accueillir dans ma circonscription pour visiter cette maison d’arrêt.  

Mme Laurence Dumont. Madame la garde des sceaux, les augmentations de crédits n’empêchent pas la justice française de rester trop pauvre, car la situation de départ était trop dégradée. Trop longtemps, le dévouement des personnels, qui ont parfois travaillé dans des conditions à la limite de la décence, a compensé l’insuffisance budgétaire. Il reste du chemin à parcourir malgré les effets de la politique que vous avez mise en œuvre depuis trois ans.

Ce budget, dont les crédits sont maintenus dans un cadre financier pourtant très contraint, permet de dégager les moyens nécessaires à l’application de la loi pénale grâce aux importants recrutements prévus dans les SPIP et à l’augmentation de leurs crédits de fonctionnement et d’investissement. Ces services apportent un accompagnement essentiel à l’insertion des personnes détenues et au recul de la récidive. Si les créations de postes sont indispensables, la formation le sera tout autant.

En milieu fermé, les personnes doivent bénéficier un traitement digne, ce que permet le programme de construction de nouveaux établissements palliant la fermeture des prisons trop vétustes. Quels méthodes et principes le ministère entend suivre pour le dimensionnement, l’implantation, le coût et le financement des reconstructions ? Par ailleurs, il convient de concrétiser l’objectif de l’encellulement individuel, essentiel au traitement digne des personnes détenues.

La conjonction des politiques mises en œuvre depuis trois ans et l’effort important porté par ce budget doivent permettre d’agir efficacement sur les conditions de détention et sur la surpopulation carcérale, celle-ci atteignant des niveaux trop élevés.

Avec mon collègue M. Philippe Duron et le maire de Caen, M. Joël Bruneau, nous vous avons écrit au sujet de la situation de la maison d’arrêt de Caen en juillet dernier. Je dénonce le projet depuis plus de dix ans – date à partir de laquelle les parlementaires peuvent visiter les établissements pénitentiaires. La dignité des prisonniers et des personnels qui y travaillent quotidiennement en dépend. Quels sont vos arbitrages sur la reconstruction de cette maison d’arrêt ?

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Madame la garde des sceaux, alors même que votre budget augmente de 1,6 % dans cette période de forte contrainte financière, et qu’une priorité est fixée en faveur de la justice, je souhaiterais attirer votre attention sur les délais – voire les carences – d’affectation de magistrats et de greffiers dans certaines juridictions, notamment en milieu rural. Il faut parfois attendre plus d’un an pour qu’un substitut au procureur de la République ou un greffier soient nommés, ou qu’un magistrat du siège vienne compléter une formation de jugement d’un TGI.

Ce problème n’est certes pas nouveau, mais il menace la qualité des décisions judiciaires et allonge le temps nécessaire à la justice pour statuer. Les chefs de juridiction dénoncent cette situation. Alors que le nombre de juridictions reste stable, pourquoi la gestion des ressources humaines s’avère-t-elle si difficile dans ce ministère ?

M. Dominique Raimbourg. J’attendais avec impatience l’exposé de notre collègue, M. Guillaume Larrivé, car j’ai dû commenter son rapport à la télévision, alors que je n’en connaissais que ce que Le Figaro en disait ce matin. Je le rejoins en tout cas pour refuser de polémiquer sur un tel sujet qui nécessite le rassemblement.

La loi du 15 août 2014 vise à mettre fin aux sorties sèches. Ne peut-on pas utiliser le dispositif mis en place pour surveiller ceux qui auraient pu se radicaliser sans que les personnels pénitentiaires ne s’en aperçoivent ? Quel est le calendrier de l’application de cette loi ? Quels seront les moyens déployés pour suivre les personnes quittant la prison ?

M. Philippe Goujon. Madame la garde des sceaux, vous n’avez pas chiffré l’indemnisation que l’État devra verser aux notaires ayant déjà une étude en cas d’instauration de la liberté totale d’installation ? Ceux-ci évoquent un montant total de 8 milliards d’euros. M. Emmanuel Macron prévoit aussi de fusionner les professions d’huissier de justice, de mandataire judiciaire, de commissaire-priseur judiciaire. Comment envisagez-vous de maintenir le maillage territorial de la justice et d’indemniser les cabinets en place ?

La loi du 15 août 2014 créera un surcroît de travail considérable pour les juges correctionnels et les procureurs, et certains ont laissé entendre dans la presse qu’ils n’appliqueraient pas la nouvelle contrainte pénale. Les juges d’application des peines (JAP) devront examiner les dossiers de tous les condamnés arrivant aux deux tiers de leurs peines, ce qui devrait concerner de 3 500 à 7 000 détenus. Que répondez-vous à ces inquiétudes ? Quelles dispositions comptez-vous prendre pour éviter que soient relâchés sans suivi de dangereux délinquants ?

Enfin, comptez-vous achever la réforme sur les transfèrements, qui se trouve en sommeil depuis 2012 puisque seules sept ou huit régions l’appliquent ?

M. Joaquim Pueyo. Madame la garde des sceaux, ce budget prévoit un effort soutenu pour poursuivre la rénovation des établissements pénitentiaires, puisque 6 500 places supplémentaires seront créées entre 2015 et 2017. Néanmoins, cette réponse en termes de places ne peut suffire. La lutte contre la radicalisation passe également par le renforcement des programmes d’insertion en prison fondés sur l’éducation et la formation. Dans le même temps, il convient de développer l’encellulement individuel, qui permet de mieux surveiller les détenus et d’accompagner les plus vulnérables qui pourraient se laisser influencer par une longue exposition à des idées radicales.

La lutte contre la surpopulation carcérale ne constitue pas qu’une question de dignité et de réinsertion, car elle renvoie aussi à la sécurité des personnels qui doivent faire face à des conditions de travail délicates.

Certains critiquent la trop grande taille des nouveaux établissements, suspectés de ne pouvoir assurer la bonne application des politiques que nous souhaitons engager. Ce n’est pas la taille des établissements mais l’organisation de la vie en leur sein qui constitue l’élément primordial ; il vaut mieux une maison d’arrêt accueillant 800 détenus dans des conditions dignes et adaptées aux objectifs d’accompagnement et de réinsertion qu’un établissement de petite taille dans lequel les détenus s’entassent à plusieurs par cellule et où la violence entre les prisonniers et envers les personnels s’avère forte.

Le droit pénal nous donne déjà les moyens d’isoler les éléments radicalisés ou les prosélytes ; nous pouvons déjà renforcer le renseignement pénitentiaire et augmenter le nombre d’aumôniers. En revanche, on ne doit pas imiter ce qu’ont mis en place certains pays en matière de quartiers spécifiques, comme l’Irlande avec l’armée républicaine irlandaise (IRA). La France avait souhaité regrouper tous les prisonniers basques il y a quelques années, et ce fut un échec total. Je vous recommande d’adopter une grande prudence sur ce sujet.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je m’élève contre la limitation du temps de parole qui nous est imposée. Ce n’est pas la tradition à la commission des lois, et les commissaires respectent une autodiscipline qui permet de contenir les débats dans une durée normale. Je déplore que, sur un tel budget, nous en soyons réduits à ne pouvoir interroger que si brièvement la garde des sceaux. À ma demande, le bureau de la commission des lois traitera de cette question.

M. le président Gilles Carrez. Les modalités de la discussion du projet de loi de finances ont été fixées par la conférence des présidents. Le choix, qu’à titre personnel je regrette, a été fait d’examiner chacune des trente missions et en commission élargie et en séance publique. Parce que cela demande beaucoup de temps aux députés et aux ministres, des règles strictes ont été établies que je suis tenu de faire respecter et que je m’efforce d’appliquer avec discernement.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne l’ignore pas, monsieur le président, et ma remarque ne vous visait pas personnellement. Mais puis-je faire observer que laisser cinq minutes au lieu de deux à six représentants de groupe pour donner leur point de vue sur un budget d’une telle importance, c’est « perdre » 18 minutes ? Cette méthode de travail, qui prive les parlementaires du droit de s’exprimer comme ils le souhaitent, n’est pas la bonne. Je ne doute pas que vous transmettrez mes observations à la conférence des présidents. Je les ferai moi-même connaître largement.

Quels sont, madame la garde des sceaux, l’évolution, le volume et la répartition du budget consacré aux associations d’aide à la réinsertion des détenus ? J’avais appelé votre attention, l’an dernier, sur les problèmes de trésorerie des établissements pénitentiaires, incapables, en fin d’année notamment, de régler leurs factures dans des délais normaux ; comment cela a-t-il évolué ? Enfin, je m’associe aux questions qui vous ont été posées sur l’allongement du moratoire pour l’encellulement individuel et sur la réforme des conseils de prud’hommes.

Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis. Vous avez parlé, madame la garde des sceaux, des financements destinés aux associations d’aide aux victimes et je vous en remercie. Cependant, les besoins demeurent importants. Nous pensions avoir trouvé une ressource nouvelle en prévoyant, dans la loi relative à l'individualisation des peines, la majoration des amendes pénales et de la « contribution victime ». Malheureusement, ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 7 août 2014, l’a jugé contraire au principe de l’individualisation des peines. Avez-vous exploré des pistes alternatives ?

Mme Cécile Untermaier. Depuis quelques années, la dématérialisation des procédures entre les services de la gendarmerie, de la police et de la justice est engagée dans la juridiction judiciaire. Les bienfaits du logiciel Cassiopée de suivi des procédures pénales sont connus, mais des difficultés d’application persistent. Le budget pour 2015 prévoit son extension aux cours d’appel et la création d’un pendant, le logiciel Portalis, dans les juridictions civiles. La maîtrise de ces outils informatiques par les agents des services de la justice justifie sans doute une organisation particulière ; le budget pour 2015 en prévoit-il les moyens et le suivi ?

M. Guy Geoffroy. La presse a évoqué l’hypothèse d’un amendement du Gouvernement visant à instaurer un moratoire pour l’encellulement individuel jusqu’en 2018. Est-ce une erreur ?

M. François Rochebloine. Il fut un temps où les personnels de direction ayant choisi l’administration pénitentiaire y accomplissaient toute leur carrière. Aujourd’hui, nombre d’entre eux rejoignent d’autres administrations, ce qui pose un problème réel. Il est tout aussi problématique que de jeunes surveillants ayant réussi le concours et suivi la formation de l’École nationale d’administration pénitentiaire quittent leur administration trois mois après leur première affectation ; le salaire du personnel de surveillance devrait être revu.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. La loi du 24 novembre 2009 avait prévu en son article 100 que, dans la limite de cinq ans, il pourrait être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d'arrêt. Il apparaît évident qu’étant donnée la surpopulation carcérale, cette disposition ne pourra pas être respectée à la date dite. La surpopulation carcérale n’est pas un phénomène nouveau. Elle existait lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, la population carcérale ayant augmenté de 35 % en dix ans – quelles que soient les protestations, ces chiffres sont incontestables – et elle existe malheureusement toujours, car même si de nouveaux établissements sont construits, il faut attendre qu’ils sortent de terre.

On compte à ce jour, monsieur Coronado, 1 041 matelas au sol dans les établissements pénitentiaires ; ce chiffre est à peu près stable.

Le taux d'occupation des établissements pénitentiaires étant ce qu’il est, le principe de l’encellulement individuel sera matériellement inapplicable en novembre 2014. Le Gouvernement vous soumettra donc un amendement proposant de proroger le moratoire jusqu’en décembre 2017. Mais alors que le précédent moratoire ne prévoyait aucun dispositif d’accompagnement, le Gouvernement s’engagera cette fois à présenter au Parlement un état budgétaire et opérationnel de l’encellulement individuel – et d’ici décembre 2017, nous aurons construit 3 200 places nettes. Toutes les nouvelles prisons construites doivent prendre en compte l'objectif de 90 % de cellules individuelles. De plus, la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales produira ses effets, puisqu’il n’y aura pas nécessité d’encellulement individuel pour les personnes mises sous contrainte pénale, sanction alternative à la prison.

M. le président Gilles Carrez. Vous avez la parole, monsieur Poisson, si votre intervention porte sur le même sujet.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est le cas. Je tiens à rappeler qu’en 2000 déjà, dans son rapport rédigé au nom de la commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises, Jacques Floch, député socialiste, pointait la surpopulation pénale. La situation que nous connaissons maintenant ne résulte donc pas seulement de l’action conduite par les gouvernements qui se sont succédé entre 2002 et 2012 ; vos prédécesseurs, madame la garde des sceaux, s’y étaient eux aussi trouvés confrontés.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. La population carcérale a augmenté de 35 % en France entre 2001 et 2011; c’est un fait. Je n’ai pas dit qu’il n’y avait jamais eu surpopulation carcérale auparavant dans notre histoire.

M. le président Gilles Carrez. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer que le programme Chalandon, dans les années 1980, visait déjà à remédier à la surpopulation carcérale.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Il n’empêche que lorsque la population carcérale augmente de 35 % en dix ans, sans corrélation ni avec le taux de croissance démographique ni avec le taux de croissance de la délinquance, cela ne s’explique que par un autre paramètre, la politique pénale. Mais je n’entrais pas dans ces considérations ; je me limitais à décrire la situation telle qu’elle est.

M. Dominique Raimbourg. Je ne conteste pas que le rapport de Jacques Floch ait été rendu en 2000. Mais, en 2002, on comptait environ 48 000 détenus dans les prisons françaises pour 42 000 à 43 000 places ; la surpopulation carcérale était donc bien moindre, puisque le nombre de détenus en présence permanente est passé de quelque 48 000 à 68 000 en une dizaine d’années.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Cette question est très compliquée. Pour la troisième fois depuis la loi sur la présomption d’innocence de 2000, un gouvernement propose un amendement tendant à prolonger le moratoire sur l’encellulement individuel. En 2000, Mme Elisabeth Guigou avait demandé un moratoire de trois ans ; en 2003, le moratoire a été prolongé pour cinq ans – par amendement du gouvernement au détour d’une loi renforçant la lutte contre la violence routière ! – ; en 2007, le gouvernement posait par décret le principe du « libre choix » du détenu qui pouvait faire la demande d’une cellule individuelle et accepter, si celle-ci ne pouvait être satisfaite dans son établissement, un éventuel transfert. Lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire de 2008, le gouvernement de l’époque avait proposé de faire une croix sur l’encellulement individuel ; l’Assemblée l’a accepté, le Sénat ne l’a pas voulu, et le principe de l’encellulement individuel a finalement été maintenu par la commission mixte paritaire. Un nouveau moratoire de 5 ans a alors été fixé qui vient à échéance en novembre 2014 et que Mme la garde des sceaux nous demandera de proroger dans les conditions qu’elle a dites.

Nous devrons débattre du fond, non du seul amendement du Gouvernement. La question de l’encellulement individuel figure dans le code de procédure pénale depuis 1875 et on en parle comme si c’était l'alpha et l'oméga de la dignité des personnes détenues. La semaine dernière, je suis allé visiter, à Orléans, le nouvel établissement que vous avez inauguré en juillet, madame la ministre. Il s’agit de deux maisons d’arrêt de 210 places chacune, où l’encellulement individuel est la règle. Mais cela ne durera pas, m’a indiqué le directeur : des établissements vétustes ont été fermés, ce dont chacun se félicite, mais il en résulte qu’arrivent les premiers détenus venus de Blois. Autrement dit, on ne s’en sortira pas par la seule logique manichéenne consistant à construire des prisons pour parvenir, demain, à l’encellulement individuel. Franchement, madame la garde des sceaux, l’amendement n’est pas la bonne méthode, et je suggère que la commission des lois débatte du fond, c’est-à-dire de ce qu’est la dignité des personnes incarcérées. Vivre à deux dans une cellule où l’on ne passe que la nuit, ce n’est pas très grave ; y passer 23 heures par jour à trois est une autre histoire.

M. Guy Geoffroy. Je suis heureux que ce débat ait lieu ; je le suis un peu moins qu’il s’ouvre parce que nous avons dû faire valoir que l’histoire de France ne se résume pas à ce qui se serait passé entre 2002 et 2012. L’admettre, et admettre que la majorité actuelle est maintenant au pouvoir depuis deux ans et demi, voilà qui nous permettrait de progresser sur des sujets d’intérêt commun. Je fais miens les propos du président Urvoas. De longs débats ont eu lieu à ce sujet au début de la législature 2002-2007, M. Pascal Clément, alors président de la commission des lois, étant comme nous tous très préoccupé par la surpopulation carcérale constatée en 2003, dont on ne peut prétendre qu’elle résultait des lois votées en juillet 2002. Pour y remédier, il préconisait toutes solutions d’urgence, par exemple la réaffectation de bâtiments laissés libres par la réforme des armées. Il faut effectivement débattre du fond, sans s’en tenir au pire des arguments, la pirouette selon laquelle il ne se serait rien passé en dix ans, alors que, c’est avéré, nous nous étions préoccupés de cette importante question.

Mme Laurence Dumont. Il suffit ! Qui peut nier qu’il existe un lien entre politique pénale et politique pénitentiaire ? Les faits sont têtus, et ils disent que la surpopulation carcérale est aussi la conséquence de la politique pénale menée pendant dix ans. L’amendement gouvernemental à venir a une explication : nous sommes piégés par loi pénitentiaire de 2009 – et il est heureux qu’à l’époque la droite au Sénat et la gauche à l’Assemblée nationale ait permis le maintien du principe de l’encellulement individuel. Je souscris entièrement à la proposition de M. Urvoas visant à un débat de fond. Dans ce cadre, la réflexion de la commission des lois devra notamment porter sur l’instauration d’un numerus clausus, plusieurs fois suggérée par notre collègue Dominique Raimbourg.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. M. Geoffroy me cherche querelle, et pourtant : le moratoire que l’ancienne majorité a décidé dans la loi pénitentiaire était un impératif pour elle. Vous aviez aussi prévu un plan de 80 000 places de prison, mais sans en financer le premier euro. Devoir résorber une augmentation de 10 % ou de 35 % de la population carcérale, ce n’est pas la même chose. Pour notre part, nous sommes au pouvoir depuis deux ans et demi et nous ne fuyons pas nos responsabilités. La question est effectivement de définir ce qu’est la dignité des personnes incarcérées. Nous avons été durement critiqués pour ne pas vouloir construire des prisons à tout-va, mais je pense, comme le président Urvoas, qu’il ne s’agit pas de construire de plus en plus d’établissements pour appliquer le principe de l’encellulement individuel.

L’amendement du Gouvernement tient au risque de contentieux qui découlerait du non-respect de l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt à partir du 24 novembre 2014, date d’échéance du moratoire fixé dans la loi de 2009. Cela ne signifie pas qu’il faille faire l’économie d’une réflexion sur l’organisation des journées en prison et sur les éléments qui caractérisent la dignité des personnes détenues. D’ailleurs, les textes européens ne traitent pas de l’encellulement individuel en tant que tel mais des conditions de détention respectueuses de la dignité de la personne.

M. Morel-A-L’Huissier a évoqué ce qu’il tient être un problème de gestion des ressources humaines mais qui relève de l’attractivité des territoires ruraux. Nous ouvrons des postes au concours tous les ans, mais cela ne suffit, les 1 400 départs à la retraite qui auront lieu au cours du présent quinquennat n’ayant pas été anticipés alors qu’ils étaient sus. Pour ma part, prévoyant que 45 % des greffiers en poste actuellement seront partis à la retraite en 2023, j’ai commencé à préparer le renouvellement de ce corps. Il aurait fallu ouvrir 300 postes de magistrats chaque année ; 100 seulement l’ont été. Nous en ouvrons en moyenne 300 tous les ans pour combler les postes vacants et remplacer les départs mais les candidatures manquent pour certains ressorts. La seule solution est d’y affecter ceux qui sortent de l’École : ils ne travaillent pas isolément mais en immersion dans une juridiction, avec des magistrats expérimentés. Il ne s’agit pas, je le redis, de gestion des ressources humaines mais des disparités d’attrait entre les territoires. Les campagnes ne sont pas les seules affectées : le problème touche aussi l’Île-de-France où, en raison de la cherté de la vie, le taux de rotation du personnel est très élevé.

Je répondrai ultérieurement, de manière précise, aux questions spécifiques de M. Rochebloine et de Mme Dumont.

Monsieur Dollez, la refonte de l’ordonnance de 1945 et de texte supprimant les tribunaux correctionnels pour mineurs ne font qu’un. Le calendrier annoncé par le Gouvernement lors du débat sur la loi relative à l’individualisation des peines demeure et le texte pourra vous être soumis au premier semestre 2015.

M. Guy Geoffroy, la taxe de 35 euros s’imposant à tout justiciable souhaitant introduire une instance instauré par l’ancienne majorité constituait objectivement une entrave à l’accès au droit. C’est ce qui nous a conduits à la supprimer, en compensant par des fonds publics les 60 millions d’euros de perte de ressources potentielle pour l’aide juridictionnelle.

Je rappelle d’autre part que le droit de timbre dû par les parties à l'instance d'appel a été instauré pour financer le Fonds d’indemnisation de la profession des avoués. Ce droit est augmenté parce que les ressources du Fonds sont insuffisantes pour lui permettre de remplir sa mission, et aussi pour financer l’aide juridictionnelle. La dépense passera de 150 à 225 euros pour les parties qui interjettent appel. Permettez-moi de rappeler que ce droit de timbre remplace la rémunération précédemment due à l’avoué, et qui était de 900 euros en moyenne. Par ailleurs, l’indemnisation des avoués sera achevée fin 2023.

Le régime des agents de la fonction publique prévoit la possibilité de passerelles entre les différentes administrations, mais l’intéressant est qu’ils reviennent dans leur corps d’origine. Or les métiers de l’administration pénitentiaire sont des métiers difficiles, avec des contraintes spécifiques, et que la surpopulation carcérale ramène bien souvent à de la surveillance et, de plus en plus, à de la garde pure et simple. Aussi avons-nous fait des efforts et signé l’année dernière avec l’organisation syndicale majoritaire un protocole de valorisation de ces métiers. Il concerne les surveillants, les brigadiers et les directeurs d’établissement, et il est assorti d’une enveloppe de 20 millions d’euros pour permettre des promotions en suspens depuis plusieurs années.

M. François Rochebloine. J’ai rencontré plusieurs responsables syndicaux, et ce ne sont pas les échos que j’ai entendus.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le protocole a bel et bien été signé, car nous savons le sujet épineux. Nous constatons environ 5 % d’abandon au début des formations ; nous nous attachons donc à ce que, le plus tôt possible, les stagiaires sachent ce qu’est le métier auxquels ils se préparent, afin d’éviter toute ambiguïté.

J’en viens aux conseils de prud’hommes. Ces conseils doivent rester paritaires mais être plus intégrés aux juridictions. Dans le rapport consacré à l’avenir des juridictions du travail qu’il m’a remis, M. Alain Lacabarats, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, propose d’améliorer les procédures mais aussi la formation des conseillers prud’homaux. Il note en effet que le taux de conciliation est de 6 %, une proportion dérisoire pour une instance conçue pour régler les litiges liés à l’exécution et à la rupture du contrat de travail précisément sur cette base. Les conseillers prud’homaux sont très attachés au paritarisme. Mais, parce que le taux de conciliation est très faible, le juge professionnel intervient très fortement dans les conflits du travail : le taux de renvoi au départage est élevé – quelque 20 % – et le taux d’appel très élevé – 60 % –, tout comme le taux de réformation totale ou partielle, qui est de 70 %. Le très faible taux de conciliation a aussi pour conséquence l’allongement du délai au terme duquel les décisions sont rendues. Tout cela conduit M. Lacabarats à proposer des aménagements procéduraux favorisant la conciliation tout en inscrivant plus fortement les conseils prud’homaux au sein des juridictions.

Nous vous proposerons par ailleurs, dans le projet « Justice du XXIe siècle » d’organiser les tribunaux de grande instance par pôles, dont un pôle social.

Je pense avoir répondu à l’ensemble des questions posées.

M. Philippe Goujon. Pas encore exactement, madame la garde des sceaux, puisque vous n’avez rien dit ni de l’indemnisation des notaires ni des JAP, des procureurs et des transfèrements.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis. Pouvez-vous préciser, madame la garde des sceaux, si la réforme des conseils de prud’hommes se fera par ordonnance, comme le Gouvernement y a été habilité, ou dans le cadre du projet de loi sur la libéralisation de l'économie que présentera le ministre de l’économie, et selon quel calendrier ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le vecteur prévu est le projet de loi sur la libéralisation de l'économie.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis. Le ministre du travail a fait adopter un projet de loi d’habilitation autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions en matière prud’homale. Quels seront les champs respectifs des deux textes ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. L’ordonnance du ministère du travail concernera la désignation des conseillers prud’hommes ; le texte de fond sera du ressort du ministre de l’économie.

Si des modifications sont introduites dans les modalités de délégation de service public à certaines professions réglementées, il reviendra aux juridictions éventuellement saisies de déterminer l’existence d’un préjudice et de le chiffrer.

Comment les juges de l’application des peines auront-ils connaissance de la situation du condamné ? me demandez-vous. Nous avons reporté l’entrée en vigueur de ces dispositions à janvier 2015 pour avoir le temps de faire en sorte que l’information, sur les casiers judiciaires notamment, soit totalement fluide et à la disposition des juges de l’application des peines.

La contrainte pénale engorgerait les tribunaux qui fonctionnent déjà à flux tendu, dites-vous. En tant que telle, la contrainte pénale ne génère pas d’audiences particulières, puisque ce n’est qu’une peine parmi d’autres dans notre arsenal judiciaire. La juridiction fonctionne et elle peut prononcer une contrainte pénale, une peine de prison ou autre.

Monsieur le député Goujon, vous m’avez aussi interrogée sur les extractions judiciaires, c'est-à-dire le déferrement des détenus devant les autorités judiciaires. Ces missions, qui étaient auparavant réalisées par les seules forces de police et de gendarmerie, peuvent désormais être effectuées par des agents pénitentiaires. Ce transfert de compétences s’effectue progressivement, par régions et selon un calendrier qui va jusqu’en 2019. Il s’accompagne d’un transfert de postes du ministère de l’intérieur vers le ministère de la justice.

Malheureusement, le premier arbitrage interministériel rendu en ce qui concerne ces postes était très défavorable au ministère de la justice, et il était en passe de poser de gros problèmes d’efficacité des extractions. J’ai donc demandé un nouvel arbitrage. J’ai rencontré les syndicats de police et le groupe de liaison de la gendarmerie nationale. Au terme d’un travail entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, un nouvel arbitrage a été trouvé, plus favorable à mon ministère en termes de postes équivalent temps plein.

M. Philippe Goujon. Quels sont les chiffres précis sur les emplois ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Nous avons obtenu 1 200 postes contre 800 lors du premier arbitrage. C’est moins que ce que nous aurions souhaité mais nous allons nous en contenter pour assurer ces extractions judiciaires en toute sécurité. Le transfert des missions va reprendre en 2015 en commençant par l’Alsace, l’Aquitaine et le Nord-Pas-de-Calais. En 2016, il concernera la Bourgogne, la Bretagne, le Centre, la Haute-Normandie, le Limousin, les Pays de la Loire et le Poitou-Charentes. En 2017, ce sera le tour de la Seine-et-Marne, de la Seine-Saint-Denis, du Languedoc-Roussillon et de Rhône-Alpes. En 2018… Oh quelle audace !

M. Guy Geoffroy. Bref instant de lucidité !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. En fait non, l’administration c’est la continuité de l’État. J’ai un absolu respect du suffrage universel et de l’état de droit. En 2018, donc, le transfert s’étendra à Paris et aux départements du Val-de-Marne et de l’Essonne. Enfin, en 2019, il s’achèvera par la Corse et la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur.

M. le président Gilles Carrez. La garde des sceaux a-t-elle répondu à toutes les questions ?

M. François Rochebloine. Je souhaiterais une réponse écrite sur la maison d’arrêt de La Talaudière.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. J’y veillerai, monsieur le député.

M. Jean-Frédéric Poisson. Je constate une absence de réponse concernant le montant de l’aide aux associations d’insertion.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous ferai parvenir cette réponse avant le débat public, monsieur le député. Vous voulez des données sur les associations de la fédération Citoyens et Justice qui travaillent dans le cadre de mesures judiciaires en pré et post-sententiel, n’est-ce pas ?

M. Jean-Frédéric Poisson. Sur toutes celles qui aident les détenus à se réinsérer.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. On m’indique que l’aide à l’insertion des détenus serait de 7,9 millions d’euros pour 2015, mais je préfère vous fournir par écrit une réponse plus complète.

Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis. Quant à l’aide aux victimes ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 49 de la réforme pénale qui prévoyait d’instaurer une majoration automatique de 10 % pour les amendes pénales, douanières et certaines amendes prononcées par des autorités administratives, afin de financer l’aide aux victimes. Les services du ministère de la justice et du ministère des finances travaillent sur un autre dispositif. Vous serez associée à la réflexion, madame Nieson, même si vous êtes désormais rapporteur pour la protection judiciaire de la jeunesse. Cette réflexion devrait aboutir à la rédaction d’un amendement qui sera proposé par le Gouvernement lors de la discussion de la loi de finances.

M. le président Gilles Carrez. Merci, madame la garde des sceaux d’avoir répondu à ces dizaines de questions qui ont permis de faire le tour de votre ministère.

*

* *

À l’issue de l’audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, sur les crédits de la mission « Justice », la Commission examine, pour avis, les crédits de la mission Justice (M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis « Accès au droit et à la justice et aide aux victimes » ; M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire » ; M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis « Justice administrative et judiciaire » ; Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis « Protection judiciaire de la jeunesse »).

Conformément aux conclusions de M. Jean-Michel Clément, de M. Jean-Yves Le Bouillonnec et de Mme Nathalie Nieson, rapporteurs pour avis, mais contrairement à l’avis de M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis, la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2015.

Article 56 : Augmentation du droit de timbre en appel

La Commission examine l’amendement II-CL3 de M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. L’amendement vise à limiter la hausse du droit de timbre en appel dans des proportions raisonnables, en le faisant passer de 150 à 185 euros, au lieu de l’augmentation de 50 % proposée par le Gouvernement à l’article 56.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis. Je suis défavorable à cet amendement. Le coût du recours à un avoué était au moins de 900 euros par partie. Le droit de timbre, même augmenté, reste bien inférieur à ce coût et n’est pas de nature à faire obstacle au droit de former appel.

M. Guy Geoffroy. Dire que les justiciables font une économie de 900 euros, grâce à la suppression des offices des avoués, me paraît contestable. Beaucoup d’avocats semblent en effet avoir intégré dans leurs honoraires le montant des émoluments que les justiciables devaient auparavant verser aux avoués. Il ne faudrait pas qu’une hausse aussi importante – de 50 % – du droit de timbre prive les justiciables de leur droit fondamental d’aller en appel.

M. Dominique Raimbourg. Cela nous conduit à nous pencher sur la manière dont a été opérée la suppression des offices des avoués. Cette suppression n’a pas été un succès total. Il faudra en tenir compte lorsque nous examinerons la réforme des professions juridiques réglementées. La commission des Lois du Sénat a présenté il y a quelques mois un rapport d’information à ce sujet, dressant un premier bilan mitigé de la loi du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel. Ce rapport montre que la plupart des avoués se sont reconvertis et que leur préjudice est donc différent de celui qui avait été estimé sur la base d’une cessation d’activité. Il apparaît aussi que les plus grandes victimes de cette réforme ont été les salariés des avoués, dont près d’un tiers n’a pas retrouvé de travail. Lorsque l’on réforme les professions réglementées, l’approche purement économique doit être extrêmement prudente car on a parfois des déconvenues.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis. Je souscris entièrement à ce qu’a dit notre collègue Dominique Raimbourg. Je rappelle par ailleurs que l’indemnisation des avoués a été réduite d’environ un tiers, heureusement d’ailleurs à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2011 sur la loi du 25 janvier 2011. Avant de parler d’indemnisation, il faut déterminer s’il reste réellement un préjudice à indemniser. Beaucoup d’avoués se sont reconvertis dans la profession d’avocat et se sont spécialisés dans les procédures d’appel. La dématérialisation des procédures est également un gain pour le fonctionnement de la justice et en termes de coût. La hausse du droit de timbre proposée ne fera pas obstacle au droit de former appel.

L’amendement n° II-CL3 de M. Guy Geoffroy est rejeté et la Commission donne un avis favorable à l’article 56.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS

l Ministère de la Justice

Direction de la protection judiciaire de la jeunesse

—  Mme Catherine SULTAN, directrice

—  M. Dominique VARRY, sous-directeur financier

Direction de l’administration pénitentiaire

—  M. Charles GIUSTI, adjoint à la directrice

—  M. Serge CANAPE, chef du bureau des politiques sociales et d'insertion

l Syndicat national des personnels de l’éducation et du social (SNPES PJJ FSU)

—  Mme Maria INES, secrétaire nationale

—  M. Michel FAUJOUR, secrétaire national

l CGT-PJJ

—  M. Alain DRU, secrétaire général

—  M. Armand MALLIER, secrétaire national

—  Mme Sophie BENHAIM, secrétaire nationale

l Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF)

—  Mme Marie-Pierre HOURCADE, présidente

l M. Dominique DUPREZ, directeur de recherche au centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Mme Cindy DUHAMEL, psychologue à la protection judiciaire de la jeunesse, chercheuse

Contributions écrites :

—  Union Nationale des Syndicats Autonomes -Syndicat de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (UNSA-SPJJ)

—  Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS)

DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS

Unité éducative d’activités de jour de Chelles (Seine-et-Marne) :

—  M. Denis COLINET, directeur territorial de la protection judiciaire de la jeunesse de la Seine-et-Marne ;

—  Mme Christelle RAULET, responsable des politiques institutionnelles à la direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de la Seine-et-Marne 

—  M. Djamel OUEZNADJI, directeur de l’unité éducative d’activités de jour de Chelles

—  Mme Aurélia MILLET, responsable d’unité

—  M. Khalid BCHINI, professeur technique de culture et savoirs de base

—  M. Ludgéro RIBEIRO, professeur technique de génie civil

—  Mme Aurélia PICART, éducatrice

—  Mme Sabine DUBOCAGE, éducatrice stagiaire

Centre éducatif renforcé Le Sextant à Vernioz (Isère)

—  M. Bruno FAVIER, directeur général

—  Mme Emma VIVARAT, cher de service éducatif

—  Mme Annick MAU, vice-présidente du conseil d’administration de l’association APLER

—  M. Joseph HAIE, trésorier du conseil d’administration de l’association APLER

—  M. Claude SLODZIAN, directeur interrégional adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse Rhône-Alpes-Auvergne

—  Mme Françoise DEWAMIN, directrice territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse de l’Isère

Établissement de placement éducatif Salomon de Caus à Paris

—  M. Jean MENJON, directeur interrégional adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse Ile-de-France et Outre-mer

—  M. Nicolas FRETEL, directeur

—  Mme Chantal CARROBOURG, responsable d’unité éducative

—  M. Vincent BACKOUCHE, éducateur

Établissement pénitentiaire pour mineurs de Meyzieu (Rhône)

—  M. Claude SLODZIAN, directeur interrégional adjoint de la protection judiciaire de la jeunesse Rhône-Alpes-Auvergne

—  M. Pierre PIBAROT, directeur du service éducatif

—  Mme Christine LESTRADE, directrice territoriale adjointe de Rhône-Alpes

Centre des jeunes détenus et maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis (Essonne)

—  M. Bernard BENSOUSSAN, directeur du service éducatif du centre des jeunes détenus

—  Mme Aude SERGEANT, directrice de la maison d’arrêt des femmes

—  M. Julien MAUCADE, psychologue

—  M. Ahmed HIRTI, capitaine, chef de détention du centre des jeunes détenus

© Assemblée nationale