N° 2267
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 octobre 2014.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 2234)
de finances pour 2015
TOME VI
JUSTICE
ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE
PAR M. Guillaume LARRIVÉ
Député
——
Voir le numéro : 2260-III-31.
En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2014, pour le présent projet de loi de finances.
À cette date, l’intégralité des réponses était parvenue à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de la Justice de leur collaboration.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
PREMIÈRE PARTIE : LE BUDGET DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE POUR 2015 SE TROMPE DE PRIORITÉS 7
I. UN BUDGET EN HAUSSE DE 5,1 % EN CRÉDITS DE PAIEMENT ET PRÉVOYANT UNE AUGMENTATION DE 2,6 % DU PLAFOND D’AUTORISATIONS D’EMPLOI… 7
II. … MAIS QUI N’EST EN ADÉQUATION NI AVEC LES BESOINS RÉELS DE PLACES D’INCARCÉRATION, NI AVEC LA NÉCESSITÉ DE MIEUX SÉCURISER LE PARC PÉNITENTIAIRE. 9
DEUXIÈME PARTIE : IL EST URGENT DE BÂTIR UN PLAN D’ACTION GLOBAL ANTI-RADICALISATION ISLAMISTE EN PRISON 11
I. LA RADICALISATION ISLAMISTE DE PLUSIEURS CENTAINES DE DÉTENUS CONSTITUE UNE MENACE TRÈS GRAVE POUR LA SÉCURITÉ NATIONALE 13
A. ALORS QU’ENVIRON 40 000 DÉTENUS PEUVENT ÊTRE CONSIDÉRÉS COMME DE RELIGION OU DE CULTURE MUSULMANE, LA RADICALISATION ISLAMISTE EN PRISON EST AUJOURD’HUI SUSCEPTIBLE DE CONCERNER PLUSIEURS CENTAINES D’INDIVIDUS 13
B. LE REPÉRAGE INDIVIDUEL DES DÉTENUS ISLAMISTES RADICAUX EST DE PLUS EN PLUS DIFFICILE 15
C. IL FAUT ANTICIPER LA PRISE EN CHARGE, DANS LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES, DE DÉTENUS DE RETOUR DU « DJIHAD » DANS LA ZONE IRAKO-SYRIENNE 17
II. LA GRAVITÉ DE LA MENACE IMPOSE DE DÉFINIR UN PLAN D’ACTION GLOBAL ANTI-RADICALISATION ISLAMISTE EN PRISON 18
A. RENFORCER LE RENSEIGNEMENT PÉNITENTIAIRE 18
1. Renforcer les effectifs du renseignement pénitentiaire 19
2. Professionnaliser les méthodes du renseignement pénitentiaire 19
3. Faire du renseignement pénitentiaire un acteur à part entière de la communauté du renseignement 22
4. Permettre le recours à la sonorisation des locaux de détention 24
B. SE DOTER D’UNE CAPACITÉ D’OPPOSITION AU DISCOURS ISLAMISTE RADICAL 24
1. Faire évoluer la mission des aumôniers musulmans agréés par l’État intervenant en prison 25
a. Des aumôniers musulmans agréés par l’État trop peu nombreux… 25
b. … et insuffisamment formés pour s’opposer aux discours radicaux 27
2. Mettre en place un programme pluridisciplinaire anti-radicalisation 28
C. RÉDUIRE LA CAPACITÉ D’ESSAIMAGE DES DÉTENUS RADICALISÉS DANS LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES 31
1. Supprimer le régime « ouvert » pour les détenus radicalisés incarcérés dans les établissements pour peines 31
2. Faciliter le recours à l’isolement 33
3. Créer des unités spécialisées anti-radicalisation (USAR) pour les détenus de retour du « djihad » 34
D. LIMITER LES COMMUNICATIONS AVEC L’EXTÉRIEUR FAVORISANT LA RADICALISATION 35
1. Renforcer la lutte contre l’introduction et l’utilisation des téléphones portables en prison 36
2. Mieux contrôler les associations prétendant apporter un soutien spirituel aux détenus 39
EXAMEN EN COMMISSION 41
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS FORMULÉES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 71
PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 75
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 79
En cette fin d’année 2014, l’administration pénitentiaire se trouve confrontée à quatre grands défis, tous difficiles à relever, qui imposent que des choix clairs soient faits et des priorités précises définies.
Le premier défi de l’administration pénitentiaire reste celui de l’insuffisance du nombre de places de prisons. De 2002 à 2012, la précédente majorité avait lancé la construction de 13 200 places supplémentaires et avait programmé une trajectoire d’investissement pour parvenir à 80 000 places de prison disponibles en 2017. Mais cet effort a été interrompu. Au 1er juillet 2014, le nombre de personnes détenues était de 68 100, pour une capacité opérationnelle du parc pénitentiaire limitée à 57 516 places. Le taux d’occupation moyen des établissements pénitentiaires français a donc dépassé 118 %, le taux d’occupation de certaines maisons d’arrêt a atteint 250 %.
Le deuxième défi aurait pu être évité, mais il a été créé par la loi votée, cet été, sur l’initiative de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice : c’est celui de l’augmentation du nombre de délinquants condamnés mais non détenus, censés être suivis en milieu ouvert. La mise en œuvre de la loi du 15 août 2014 (1) qui a instauré les mesures de contrainte pénale et de libération sous contrainte va nécessairement aboutir à une diminution sensible du nombre de détenus et un accroissement important du nombre de délinquants condamnés devant être suivis en milieu ouvert, la loi précisant qu’ils devront bénéficier d’un « accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu ».
Le troisième défi est celui de la sécurité des établissements pénitentiaires. Plusieurs événements survenus en 2013 et 2014 – évasion violente d’un braqueur multirécidiviste à la maison d’arrêt de Lille-Sequedin, émeutes dans différents établissements… –, mais aussi la persistance d’un nombre élevé d’agressions à l’encontre des personnels, soulignent la dangerosité particulière de certains des détenus confiés à la garde des établissements pénitentiaires.
Le quatrième défi auquel est confrontée l’administration pénitentiaire est un enjeu de sécurité nationale qui n’est, aujourd’hui, pas suffisamment pris en compte : c’est celui de la lutte contre la radicalisation islamiste dans les prisons, dans un contexte de menace terroriste particulièrement élevée. Il faut regarder la réalité en face : alors qu’environ 60% de la population carcérale en France, c’est-à-dire 40 000 détenus, peuvent être considérés comme de culture ou de religion musulmane, la radicalisation islamiste est aujourd’hui susceptible de concerner plusieurs centaines de détenus. Les prisons françaises sont devenues un des lieux – pas le seul, mais un lieu important – de radicalisation islamiste et de recrutement d’individus susceptibles de basculer dans la violence terroriste. La menace est d’autant plus grande qu’un phénomène nouveau doit être anticipé : celui du traitement pénitentiaire, après leur retour en France, de centaines de djihadistes partis combattre dans la zone irako-syrienne. Au cours des derniers mois, en effet, près de 1 000 Français ou étrangers résidant en France sont partis en Syrie et en Irak pour y participer à des actions terroristes ; près de 120 sont déjà revenus, et 53 sont déjà incarcérés. Il est urgent que le traitement pénitentiaire de ces personnes soit pensé avec la plus grande attention, afin de ne pas aggraver encore, dans les prisons, la propagation du fléau islamiste radical. C’est ce thème de la lutte contre la radicalisation islamiste en prison que votre rapporteur pour avis a estimé nécessaire d’examiner prioritairement cette année dans le cadre de son avis budgétaire.
Pour votre rapporteur pour avis, les priorités retenues par le Gouvernement pour le budget de l’administration pénitentiaire ne sont pas adaptées à l’importance respective de chacun des enjeux. Bien qu’il soit en hausse, le budget de l’administration pénitentiaire pour 2015 se trompe de priorités, en privilégiant le recrutement de plusieurs centaines de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, au détriment de l’augmentation de la capacité et de la sécurisation du parc pénitentiaire (première partie). Surtout, un vrai plan d’action global permettant de lutter efficacement contre la radicalisation islamiste en prison reste à bâtir (deuxième partie).
PREMIÈRE PARTIE :
LE BUDGET DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE POUR 2015
SE TROMPE DE PRIORITÉS
Bien qu’il soit en hausse de 5,1 % en crédits de paiement par rapport au budget de 2014 (I), le budget de l’administration pénitentiaire pour 2015 n’est en adéquation ni avec les besoins réels de places d’incarcération, ni avec la nécessité de mieux sécuriser le parc pénitentiaire (II).
I. UN BUDGET EN HAUSSE DE 5,1 % EN CRÉDITS DE PAIEMENT ET PRÉVOYANT UNE AUGMENTATION DE 2,6 % DU PLAFOND D’AUTORISATIONS D’EMPLOI…
Les crédits ouverts pour le programme « Administration pénitentiaire » dans le projet de loi de finances pour 2015 sont en hausse tant pour les autorisations d’engagement (AE, + 66,24 %) que pour les crédits de paiement (CP, + 5,17 %). Cette augmentation des autorisations d’engagement s’explique par deux facteurs :
— d’une part, l’évolution du parc pénitentiaire français, qui se traduira entre 2015 et 2017 par l’ouverture de plusieurs établissements ou extensions (2), pour un total de 2 881 places nettes correspondant à la construction de 5 617 places neuves et à la fermeture de 2 736 places vétustes ;
— d’autre part, le renouvellement des marchés de 25 établissements en gestion déléguée, ces marchés étant conclus pour une durée de six ans.
Les actions composant le programme « Administration pénitentiaire » sont au nombre de trois.
• L’action n° 01 « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice » regroupe les fonctions relevant de la garde des personnes détenues et du contrôle des personnes placées sous main de justice.
• L’action n° 02, intitulée « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice », regroupe les moyens nécessaires à l’accueil et à l’accompagnement des personnes détenues dans des conditions dignes et satisfaisantes (maintenance et entretien des établissements, réinsertion).
• L’action n° 04 « Soutien et formation » correspond au financement de trois catégories d’actions : la fourniture de moyens pour l’administration générale, le développement du réseau informatique et la formation du personnel.
En autorisations d’engagement
|
Crédits votés en LFI pour 2013 |
Crédits consommés en 2013 |
Crédits votés en LFI pour 2014 |
Crédits demandés pour 2015 |
Évolution 2014-2015 |
Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice (Action 01) |
1 878 |
1 814 |
1 760 |
2 116 |
+ 20,21 % |
Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02) |
751 |
710 |
820 |
2 336 |
+ 184,93 % |
Soutien et formation (Action 04) |
255 |
289 |
262 |
273 |
+ 4,19 % |
Total |
2 884 |
2 813 |
2 842 |
4 725 |
+ 66,24 % |
En millions d’euros
En crédits de paiement
|
Crédits votés en LFI pour 2013 |
Crédits consommés en 2013 |
Crédits votés en LFI pour 2014 |
Crédits demandés pour 2015 |
Évolution 2014-2015 |
Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice (Action 01) |
1 946 |
1 923 |
1 951 |
2 061 |
+ 5,62 % |
Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02) |
993 |
922 |
1 023 |
1 069 |
+ 4,44 % |
Soutien et formation (Action 04) |
253 |
285 |
255 |
267 |
+ 4,68 % |
Total |
3 193 |
3 130 |
3 230 |
3 397 |
+ 5,17 % |
En millions d’euros
Le plafond d’autorisation d’emplois est en hausse de 2,6 %, avec des augmentations de 245 équivalents temps plein (ETP) pour les personnels d’insertion et de 497 ETP pour les personnels de surveillance. Cette augmentation du plafond doit permettre, notamment, le recrutement de 300 nouveaux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) pour la mise en œuvre de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 précitée, dite « loi Taubira », ce recrutement intervenant après 400 recrutements effectués en 2014 et avant 300 recrutements supplémentaires prévus en 2016 et 2017, afin d’augmenter le nombre de CPIP de 1 000 au total.
Par catégorie d’emploi
Plafond autorisé pour 2014 |
Plafond demandé pour 2015 |
Variation 2014/2015 en nombre d’ETPT |
Variation 2014/2015 en pourcentage | |
Magistrats |
17 |
17 |
0 |
0,0 % |
Personnel d’encadrement |
1 389 |
1 483 |
94 |
+ 6,8 % |
B métiers du greffe, de l’insertion et de l’éducatif |
4 347 |
4 592 |
245 |
+ 5,6 % |
B administratifs et techniques |
1 007 |
1 056 |
49 |
+ 4,9 % |
Personnels de surveillance C |
26 150 |
26 647 |
497 |
+ 1,9 % |
C administratifs et techniques |
2 902 |
2 963 |
61 |
+ 2,1 % |
Total |
35 812 |
36 758 |
946 |
+ 2,6 % |
Ainsi, l’essentiel des marges de manœuvre créées par la loi de finances pour 2015 au sein du budget de l’administration pénitentiaire se trouve, en réalité, absorbé par la mise en œuvre de la « loi Taubira », c’est-à-dire par la volonté de privilégier une approche de « traitement social » des délinquants, en dehors de l’enceinte pénitentiaire.
II. … MAIS QUI N’EST EN ADÉQUATION NI AVEC LES BESOINS RÉELS DE PLACES D’INCARCÉRATION, NI AVEC LA NÉCESSITÉ DE MIEUX SÉCURISER LE PARC PÉNITENTIAIRE.
S’agissant du nombre de places d’incarcération, la politique pénitentiaire conduite par le Gouvernement comporte deux difficultés majeures :
● d’une part, le Gouvernement reconnaît que le nombre de détenus est appelé à diminuer sous l’effet direct de la « loi Taubira » : le nombre de personnes incarcérées était, au 1er juillet 2014, de 68 100, et le Gouvernement prévoit que l’effet de la loi devrait être d’abaisser le nombre de personnes incarcérées à 66 800 détenus en moyenne en 2015, 66 500 en 2016 et 66 200 en 2017, soit une diminution de - 2,7 % de la population carcérale en trois ans ;
● d’autre part, la capacité d’accueil du parc pénitentiaire reste très en-deçà des besoins, puisque le Gouvernement ne prévoit pas de porter cette capacité au-delà de 60 397 places en 2017 et, théoriquement, 63 500 places en 2019.
Ainsi, le Gouvernement persiste à accepter l’insuffisance de la capacité du parc pénitentiaire en refusant de définir un objectif d’accroissement du parc correspondant aux besoins, à la différence du Gouvernement de M. François Fillon sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy qui, dans la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines, avait fixé un objectif de 80 000 places d’incarcération disponibles en 2017 dont le financement devait être inscrit dans les lois de finances ultérieures.
Par ailleurs, en prévoyant le recrutement de 1 000 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) en quatre ans, entre 2014 et 2017, le Gouvernement procède à une augmentation des effectifs dont il n’est pas certain qu’elle parvienne à assurer effectivement l’« accompagnement socio-éducatif individualisé et soutenu » (3) et le contrôle qui sont censés être menés dans le cadre de la peine de contrainte pénale instaurée par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 précitée. En prétendant développer le suivi en milieu ouvert alors que de nombreux établissements pénitentiaires se trouvent en situation chronique de sous-effectif de personnels de surveillance, le Gouvernement se trompe de priorité.
Dans l’un des établissements que votre rapporteur pour avis a visité, l’effectif théorique était de 276 surveillants, mais seuls 254 postes étaient effectivement pourvus, soit 22 agents manquants. Parmi ces 254 agents, 25 étaient durablement absents de l’établissement ou en situation d’arrêt de travail pour diverses raisons, et environ 15 autres en arrêt maladie. Au total, près de 60 agents manquaient donc à l’établissement, soit 20 % des personnels de surveillance nécessaires à un bon fonctionnement de l’établissement.
Cette insuffisance de personnels de surveillance contraint les agents à effectuer un grand nombre d’heures supplémentaires, au détriment de leur santé et de l’équilibre avec leur vie personnelle, heures supplémentaires qui plus est à nouveau soumises à imposition depuis la suppression de leur défiscalisation par l’actuelle majorité immédiatement après l’élection de M. François Hollande à la présidence de la République.
Votre rapporteur pour avis ne peut que regretter vivement que le Gouvernement ait fait le choix de privilégier le maintien en liberté, dans le cadre de la contrainte pénale, de délinquants dont la place est en prison et de procéder à des augmentations des effectifs de CPIP qui ne permettront pas d’assurer un contrôle sérieux des condamnés, au détriment de la poursuite d’un programme immobilier adapté aux besoins de notre pays et de la sécurisation de nos établissements pénitentiaires.
Pour votre rapporteur pour avis, les crédits employés au recrutement de CPIP seraient bien mieux utilisés s’ils étaient affectés à la mise en place d’un véritable plan de lutte contre la radicalisation islamiste dans les prisons qui reste à bâtir.
DEUXIÈME PARTIE :
IL EST URGENT DE BÂTIR UN PLAN D’ACTION GLOBAL
ANTI-RADICALISATION ISLAMISTE EN PRISON
Notre pays est confronté à une menace terroriste d’une acuité particulièrement élevée, alimentée par un phénomène de radicalisation islamiste se développant sur notre territoire à une vitesse inquiétante, amplifiée par les désordres de la situation internationale
Cette radicalisation peut être définie, en reprenant les termes d’un séminaire organisé par l’Union européenne dès 2006, comme un « processus d’identification personnelle ou collective à des idées politiques ou politico-religieuses extrêmes, pouvant mener à la volonté de transformer la société par la violence ».
Le processus de radicalisation islamiste se déploie aujourd’hui dans trois espaces, qui interfèrent les uns avec les autres.
Le premier d’entre eux, le plus classique, reste le « monde réel », celui de nos villes et de nos quartiers, qui peuvent être les théâtres de recrutement de candidats au « djihad » terroriste. Il est nécessaire que la surveillance de lieux de culte et d’un certain nombre d’acteurs associatifs d’apparence caritative reste un sujet de préoccupation des services de renseignement.
Mais la radicalisation se déploie de plus en plus dans un deuxième espace, virtuel, celui de la communication par Internet, réseau sur lequel la propagande djihadiste diffuse une idéologie de haine et d’appel à la violence. Il est absolument nécessaire d’améliorer les instruments juridiques de lutte contre le cyber-djihadisme. Le Parlement s’en est saisi, à l’initiative de votre rapporteur pour avis. Le groupe UMP de l’Assemblée nationale avait en effet, dès le mois de juin 2014, inscrit à l’ordre du jour de l’une de ses séances d’initiative parlementaire une proposition de loi renforçant la lutte contre l’apologie du terrorisme sur Internet déposée par votre rapporteur pour avis (4), dont l’article 1er visait à permettre un blocage administratif des sites de propagande terroriste. L’Assemblée nationale avait rejeté la proposition de loi, ce que votre rapporteur pour avis avait alors regretté (5), mais le contenu de son article 1er a ensuite été repris par le Gouvernement dans l’article 9 du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (6).
Le troisième espace de propagation de la radicalisation islamiste est la prison, qui regroupe dans un univers clos des individus dangereux projetant de détruire la société occidentale et d’autres individus à la personnalité fragile, susceptibles de suivre des leaders extrémistes charismatiques. La prison est d’autant plus un lieu propice à la radicalisation islamiste que cet espace fermé est en réalité de plus en plus ouvert et perméable aux espaces extérieurs de propagation islamiste que sont notamment les réseaux Internet. Le danger de radicalisation islamiste va nécessairement grandir dans les mois et les années à venir, alors que nombre des Français ou étrangers résidant en France qui seront partis combattre en Syrie ou en Irak vont, à leur retour en France, être incarcérés et seront alors susceptibles de disséminer dans les établissements pénitentiaires le discours fanatique de haine et de mort à la mise en œuvre duquel ils auront eux-mêmes participé sur les théâtres djihadistes.
Face à la gravité de la menace terroriste pesant sur la France et nos compatriotes, votre rapporteur pour avis s’est donné pour objectif de formuler des propositions concrètes pouvant recueillir le plus large accord, pour agir avec efficacité et détermination contre la radicalisation islamiste à l’œuvre dans les prisons. Pour chacune de ces propositions, votre rapporteur pour avis précisera si elles sont de nature législative (L), réglementaires (R) ou opérationnelles (O).
Certaines de ces vingt propositions ont un coût pour les finances publiques, que votre rapporteur pour avis ne méconnaît évidemment pas. Il considère que la gravité de la menace terroriste qui pèse sur notre pays, mais aussi plus généralement l’état de nos finances publiques, imposent de recentrer l’action publique sur le cœur régalien des missions de l’État, à commencer par la sécurité de nos concitoyens. Des dépenses beaucoup moins légitimes, comme l’aide médicale d’État dont bénéficient des étrangers en situation illégale en France, pourraient être utilement supprimées pour financer la mise en œuvre du plan d’action contre la radicalisation islamiste en prison proposé par le présent avis.
Pour élaborer ces propositions, votre rapporteur pour avis a visité cinq établissements pénitentiaires – deux maisons d’arrêt à Auxerre (Yonne) et Bois d’Arcy (Yvelines), deux centres de détention à Villenauxe-la-Grande (Aube) et Joux-la-Ville (Yonne) et une maison centrale à Clairvaux (Aube) – dans lesquels il a rencontré les personnels de terrain directement confrontés au phénomène de la radicalisation islamiste. Il a entendu les responsables de la direction de l’administration pénitentiaire et de la direction générale de la sécurité intérieure, les syndicats de l’administration pénitentiaire, les représentants du culte musulman en France, ainsi que des chercheurs. Il a, enfin, sollicité les ambassades d’Allemagne, de Belgique, d’Espagne, d’Italie, des Pays-Bas et du Royaume-Uni en France, qu’il a entendus ou qui lui ont transmis des contributions écrites. Il remercie l’ensemble de ces personnes pour la qualité des informations qui lui ont été communiquées et pour les propositions qu’elles ont pu formuler et qui ont enrichi le présent avis.
Bien qu’elle soit un phénomène déjà relativement ancien, la radicalisation islamiste en prison est devenue, au cours des dernières années, une menace très grave pour la sécurité nationale (I). Pour répondre à ce danger, il est urgent que soit mis en œuvre un vrai plan d’action contre la radicalisation islamiste en prison (II).
I. LA RADICALISATION ISLAMISTE DE PLUSIEURS CENTAINES DE DÉTENUS CONSTITUE UNE MENACE TRÈS GRAVE POUR LA SÉCURITÉ NATIONALE
S’il importe de ne pas confondre le dévoiement dangereux de la radicalisation islamiste avec l’exercice normal du culte musulman, il est impératif de prendre enfin conscience de l’ampleur du phénomène (A). Pour d’évidentes raisons de sécurité des établissements pénitentiaires et de sécurité publique, il faut mieux identifier les détenus radicalisés ou en voie de radicalisation islamiste. Or, le repérage individuel de ces détenus est devenu, au cours des dernières années, plus difficile (B). En outre, notre pays va être confronté à l’arrivée dans les établissements pénitentiaires de détenus du retour du « djihad » dans la zone irako-syrienne, qu’il doit impérativement anticiper (C).
A. ALORS QU’ENVIRON 40 000 DÉTENUS PEUVENT ÊTRE CONSIDÉRÉS COMME DE RELIGION OU DE CULTURE MUSULMANE, LA RADICALISATION ISLAMISTE EN PRISON EST AUJOURD’HUI SUSCEPTIBLE DE CONCERNER PLUSIEURS CENTAINES D’INDIVIDUS
La radicalisation est un dévoiement dangereux, en rupture avec l’exercice légitime du culte, que personne ne songe à contester en tant que tel.
La liberté de culte est définie, en France, par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, non pas de manière absolue, mais en rapport avec la nécessité de sauvegarde de l’ordre public : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. ».
Aussi la liberté de culte en prison est-elle garantie, dans les mêmes conditions de respect de l’ordre public, par l’article 26 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 : « Les personnes détenues ont droit à la liberté d’opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix, selon les conditions adaptées à l’organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l’établissement. » Les dispositions réglementaires du code de procédure pénale définissent les modalités pratiques d’exercice de la liberté de culte. L’article R. 57-9-3 dispose que « [c]haque personne détenue doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle » et qu’« [à] son arrivée dans l’établissement, elle est avisée de son droit de recevoir la visite d’un ministre du culte et d’assister aux offices religieux et aux réunions cultuelles organisées par les personnes agréées à cet effet ». L’article R. 57-9-6 permet aux personnes détenues de « s’entretenir, à leur demande, aussi souvent que nécessaire, avec les aumôniers de leur confession ».
Il est compréhensible que les personnes incarcérées, se trouvant dans des situations humainement difficiles, cherchent dans la pratique de la religion réconfort et soutien. L’exercice des cultes en prison doit donc être respecté et ne pas être confondu avec les dévoiements extrémistes qui se prévalent de la religion pour prôner la violence et la haine.
Pour autant, le dévoiement du culte musulman que constitue la radicalisation islamiste apparaît particulièrement problématique dans les établissements pénitentiaires, car les personnes de religion ou de culture musulmane sont très nettement majoritaires au sein de la population carcérale en France. Certes, il n’existe pas de données officielles sur l’appartenance religieuse des détenus, en raison d’une conception rigoureuse des principes d’égalité et de neutralité des services publics en France, qui interdit aux autorités publiques de demander aux personnes le culte qu’elles pratiquent
– conception qui mériterait certainement d’être assouplie, ne serait-ce que pour pouvoir évaluer les besoins en aumôniers des différents cultes dans les prisons (7).
L’absence de statistique officielle ne doit pas empêcher de regarder la réalité en face, telle qu’elle est vécue au quotidien par les acteurs de terrain et évaluée par les observateurs. Ainsi, dès 2004, M. Farhad Khosrokhavar constatait dans son livre L’islam dans les prisons que « les musulmans forment la majorité de la population carcérale, leur taux dépassant souvent les 50 %, avoisinant parfois les 70 %, voire les 80 % dans les prisons poches des "banlieues", soit huit prisonniers sur dix », tout en relevant que les musulmans ne représentaient, à l’extérieur des prisons, que 7 à 8 % de la population vivant en France (8). On peut ainsi estimer qu’environ 60% de la population carcérale, soit 40 000 détenus, peuvent être considérés comme de religion ou de culture musulmane.
Parmi les détenus de confession ou de culture musulmane, se trouvent des personnes (de nationalité française, de nationalité étrangère ou ayant plusieurs nationalités) issues de familles dont l’islam était déjà la religion, mais aussi de nombreuses personnes converties lors de leur séjour en détention. Pour M. Farhad Khosrokhavar, l’attrait de l’islam en prison peut s’expliquer par le fait que « [l]es groupes sociaux qui s’estiment lésés par la société apprécient d’autant plus l’islam qu’il est considéré comme dangereux ou redoutable par les classes moyennes et supérieures, celles-là même qui, à leurs yeux, leur barrent l’accès à la plénitude de leurs droits. Rejetés par les "nantis", la religion d’Allah fascine davantage ceux qui ont mailles à partir avec l’ordre social. En épousant l’islam, ils prennent ainsi le contre-pied de la société des "puissants" et des "intégrés", perçus comme hostiles » (9). D’autres personnes se déclarent aussi musulmanes pour se protéger, l’appartenance au groupe majoritaire pouvant permettre d’éviter des brimades voire des persécutions d’autres détenus : l’affichage d’une appartenance à l’islam peut aider « contre d’autres groupes : on fait appel à la solidarité entre frères en religion pour résister à la pression des caïds, à l’agression d’individus plus puissants ou à des groupes susceptibles de mettre à rançon le détenu isolé » (10). Enfin, pour une dernière catégorie de détenus, la revendication de l’appartenance à l’islam n’est qu’un paravent pour se donner une apparence de respectabilité, voire sert parfois de prétexte à la commission d’infractions au nom de leur prétendue foi, alors qu’ils demeurent, en réalité, de simples délinquants ancrés dans un mode de vie déviant et dépourvus de toute connaissance religieuse réelle.
Comme le souligne M. Farhad Khosrokhavar, « [l]e prosélytisme est un ingrédient important de l’islam des prisons. Il rend possible une sociabilité au sein de laquelle on se sent utile et grâce à laquelle l’individu qui prêche la bonne parole acquiert une importance et une dignité qui manquent cruellement en détention »(11). Certains comportements sont adoptés de façon respectueuse d’autrui et sans perspective de violence, et doivent être nettement distingués du prosélytisme des islamistes radicaux.
Mais celui-ci doit être regardé pour ce qu’il est : la radicalisation islamiste en prison est une réalité dangereuse, susceptible de concerner aujourd’hui plusieurs centaines de détenus.
Le phénomène de la radicalisation islamiste n’est pas neuf mais il connaît une mutation et une accélération.
La problématique est apparue il y a vingt ans, au début des années 1990, avec l’incarcération d’individus appartenant au Groupe islamique armé (GIA), ainsi que de salafistes originaires de banlieues, prônant un islam rigoriste parfois accompagné d’appels à la violence. Ces deux catégories de détenus réussirent à contaminer de petits délinquants de droit commun, dont Khaled Kelkal, auteur de plusieurs attentats terroristes en 1995, fut le premier exemple visible. Dix ans plus tard, Mohamed Merah puis Mehdi Nemmouche, ont également été incarcérés en France avant de basculer dans le terrorisme à Toulouse et à Bruxelles. Dans tous ces cas, la prison n’a certainement pas été le seul facteur déclencheur de la radicalisation, mais elle a indéniablement joué un rôle clef dans un processus qui mena des délinquants incarcérés pour de courtes ou moyennes peines à la commission d’actes terroristes particulièrement sanglants.
Selon les personnels pénitentiaires entendus par votre rapporteur pour avis, le repérage des détenus radicalisés ou en voie de radicalisation était, jusqu’en 2010 environ, facilité par la présence de signes ostentatoires (port de la barbe ou de la djellaba), des appels à la prière collective en dehors des heures et des lieux de pratique du culte ou des attitudes de défi à l’égard de l’administration sur les questions de pratique du culte.
Mais, depuis lors, ces signes extérieurs de radicalisation ont presque totalement disparu, laissant la place à une radicalisation et à un prosélytisme beaucoup plus discrets et, partant, plus difficiles à repérer.
Cette évolution avait déjà été soulignée, en mai 2013, par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés : « Les moyens classiques de détection des individus radicalisés, par le biais de leur simple observation et de l’analyse de leurs comportements, semblent de moins en moins opérants, ce qui nécessite de développer rapidement de nouveaux outils. En effet, le bureau du renseignement pénitentiaire est confronté au même phénomène que la DCRI : la radicalisation se fait de plus en plus discrète, les individus ne portent plus de "signes extérieurs" de radicalisation et leurs comportements sont de moins en moins révélateurs. Les plus dangereux ne sont plus ceux qui organisent des prières sauvages pendant les promenades ou créent des groupes de pression ; ils ne portent plus nécessairement la barbe ou la djellaba, ne tentent plus d’accéder à des œuvres littéraires salafistes. » (12)
Cette stratégie de dissimulation ou de camouflage est théorisée par certains radicaux sous le nom de Taqyia, mot qui désigne la permission faite aux musulmans vivant dans des pays en guerre de dissimuler leur foi et d’en violer les préceptes pour mieux la défendre face aux infidèles.
En prison, la difficulté du repérage est encore renforcée par la diversification du public des radicaux, qui comprend désormais quelques salafistes « visibles », des personnes aspirant à partir mener le « djihad » ou à commettre des actes terroristes en France, des délinquants plus ou moins en perte de repères susceptibles d’être embrigadés et manipulés par les détenus de l’une des deux catégories précédentes et, depuis quelques mois, des personnes effectivement parties en zone irako-syrienne pour y combattre et participer à des exactions. De ce fait, le public des radicaux islamistes n’est aujourd’hui pas quantifié avec précision : l’existence du phénomène est identifiée, mais il n’est pas mesuré précisément faute d’une évaluation suffisamment fine permettant de cibler effectivement les individus impliqués.
C. IL FAUT ANTICIPER LA PRISE EN CHARGE, DANS LES ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES, DE DÉTENUS DE RETOUR DU « DJIHAD » DANS LA ZONE IRAKO-SYRIENNE
À la date du 1er octobre 2014, les services de renseignement français ont recensé près de 1 000 Français ou étrangers résidant habituellement en France qui se sont rendus en Syrie ou en Irak, dont 350 ont directement combattu au sein de groupes terroristes. Parmi eux, au moins 36 auraient trouvé la mort dans des combats (13). Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis par la direction de l’administration pénitentiaire et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), 118 « djihadistes » sont déjà revenus en France, dont 114 ont été interpellés, 78 mis en examen et 53 incarcérés.
La mise en œuvre de l’interdiction administrative de sortie du territoire, prévue par l’article 1er du projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme en cours de discussion devant le Parlement, permettra d’endiguer une partie de ces départs. Mais les départs des candidats au « djihad » les plus déterminés ne pourront pas tous être empêchés, pas davantage que leur retour sur notre sol pour poursuivre ce « djihad » et tenter d’y commettre des actes terroristes.
Parmi ceux-ci, un grand nombre seront identifiés grâce à la police et la justice anti-terroristes et incarcérés.
Mais l’incarcération d’un important volume d’individus de retour du « djihad » n’est pas anticipée par le ministère de la Justice qui, à ce stade, n’a pas défini de stratégie pour l’incarcération de ces personnes dangereuses. Pour l’heure, la cinquantaine de détenus, mis en examen pour des affaires terroristes instruites par la section anti-terroriste du tribunal de grande instance de Paris, sont répartis dans les différentes maisons d’arrêt d’Ile-de-France et isolés les uns des autres, mais pas nécessairement des autres catégories de détenus. Le seul traitement particulier dont ils font l’objet est un placement « sous observation », mais leur maintien en contact avec d’autres détenus fait courir le risque d’une dissémination du venin de l’islamisme radical dans l’ensemble des détentions.
Pour votre rapporteur pour avis, le phénomène de la radicalisation islamiste doit, en urgence, être évalué, en ne limitant plus la détection aux seuls signes visibles. Il est également urgent que le traitement pénitentiaire de ces radicaux soit anticipé et pensé dans le cadre d’une stratégie globale anti-radicalisation, à la fois préventive et curative, c’est-à-dire destinée à la fois à prévenir la radicalisation et, autant que possible, à permettre la sortie de la radicalisation lorsqu’elle s’est produite.
Proposition n° 1 (O) :
Évaluer et anticiper le phénomène de la radicalisation islamiste en prison et élaborer une vraie stratégie anti-radicalisation, à la fois préventive et curative, tenant compte du retour en France des « djihadistes » de la zone irako-syrienne.
II. LA GRAVITÉ DE LA MENACE IMPOSE DE DÉFINIR UN PLAN D’ACTION GLOBAL ANTI-RADICALISATION ISLAMISTE EN PRISON
L’objectif de la lutte contre la radicalisation islamiste en prison ne doit pas être uniquement de maintenir l’ordre à l’intérieur de l’enceinte pénitentiaire. Il est, bien davantage, d’empêcher la constitution de cellules terroristes ou la préparation d’actes terroristes par des personnes isolées, en prévenant la radicalisation et en intervenant de façon appropriée lorsqu’un processus de radicalisation s’engage.
Particulièrement dangereuse pour la société, mais de plus en plus difficile à repérer, la radicalisation islamiste en prison appelle la définition et la mise en œuvre déterminée d’un vrai plan d’action pour la combattre avec efficacité. Pour votre rapporteur pour avis, ce plan d’action doit se décliner selon quatre axes, au sein de l’enceinte pénitentiaire :
— renforcer le renseignement pénitentiaire (A) ;
— se doter d’une capacité d’opposition au discours islamiste radical (B) ;
— réduire la capacité d’essaimage des détenus radicalisés dans les établissements pénitentiaires (C) ;
— limiter les communications avec l’extérieur pouvant favoriser la radicalisation (D).
Pour empêcher la radicalisation des détenus influençables, il importe de détecter le plus précocement possible les détenus « radicalisateurs ». Cette détection implique un travail de renseignement similaire à celui que mènent les services de renseignement à l’extérieur des prisons, travail minutieux et délicat qui exige professionnalisme et formation. Afin de disposer d’un renseignement pénitentiaire efficace, votre rapporteur pour avis préconise de renforcer les effectifs qui en sont chargés (1), de professionnaliser ses méthodes (2), d’en faire un acteur à part entière de la communauté du renseignement (3) et, enfin, de doter les équipes de renseignement de la faculté de sonoriser des locaux de détention (4).
Créé en 2003 au sein de la sous-direction de l’état-major de sécurité, le bureau du renseignement pénitentiaire – dit bureau EMS 3 – a d’abord eu pour mission d’assurer une surveillance des détenus dits difficiles, avant de voir sa mission étendue, après les attentats de Londres et Madrid en 2005, aux phénomènes de radicalisation. En application de l’arrêté du 9 juillet 2008, « le bureau du renseignement pénitentiaire est chargé de recueillir et d’analyser l’ensemble des informations utiles à la sécurité des établissements et des services pénitentiaires. Il organise la collecte de ces renseignements auprès des services déconcentrés et procède à leur exploitation à des fins opérationnelles. Il assure la liaison avec les services centraux de la police et de la gendarmerie » (14).
Composé de 13 personnels au niveau de la direction centrale, le bureau du renseignement pénitentiaire s’appuie sur les renseignements recueillis par un correspondant interrégional dans chacune des neuf directions interrégionales de l’administration pénitentiaire et sur un délégué local dans chaque établissement pénitentiaire. Depuis 2014, deux interrégions – celles de Lille et de Lyon – bénéficient d’un deuxième poste de correspondant interrégional au renseignement.
Pour votre rapporteur pour avis, ces effectifs sont, à tous les échelons, très insuffisants au regard de la gravité de l’enjeu. 13 personnels au plan national ne peuvent superviser et combattre efficacement le risque de radicalisation dans 189 établissements pénitentiaires au sein desquels sont incarcérés 68 000 détenus. Au niveau local, un seul délégué local, qui n’exerce cette mission qu’à temps partiel, ne peut analyser sérieusement les informations recueillies par le personnel d’un établissement sur 500 ou 600 détenus – moins dans certains cas, mais également parfois plus. Au niveau interrégional également, l’étendue des interrégions et la diversité des établissements qui s’y trouvent ne permettent pas à un seul correspondant interrégional d’effectuer un réel travail d’analyse du renseignement et d’évaluation des risques.
Il est donc vital que les effectifs du renseignement pénitentiaire soient renforcés aux échelons national, interrégional et local.
Proposition n° 2 (O) :
Renforcer les effectifs du renseignement pénitentiaire aux échelons national, interrégional et local.
Le visage de l’islamisme radical a profondément évolué au cours des dix dernières années. D’un phénomène visible caractérisé par des tenues vestimentaires, des propos ouvertement radicaux et des provocations, avec notamment des appels à la prière en dehors du cadre réglementaire, la radicalisation islamiste dans les prisons est devenue un phénomène dissimulé, caché et, partant, plus difficile à repérer pour les agents pénitentiaires.
La méthode d’identification des détenus radicalisés est aujourd’hui aléatoire. Les constats relevés par votre rapporteur pour avis au sein des établissements qu’il a visités conduisent à estimer que la bonne volonté des personnels ne permet pas, aujourd’hui, de rendre systématique le recueil et le traitement de renseignements pertinents. Votre rapporteur pour avis se rallie à l’analyse de M. Farhad Khosrokhavar, auteur d’un rapport sur la radicalisation remis en 2014 à la direction de l’administration pénitentiaire, pour qui les méthodes actuelles de repérage relèvent « d’une routine qui suit l’idée du "profiling" des personnes radicalisées ou en voie de radicalisation et dont les traits essentiels sont censés être le fait d’abonder dans le sens du fondamentalisme ou de fréquenter des personnalités radicalisées (les personnes condamnées pour fait de terrorisme), inciter à une conduite d’insubordination vis-à-vis du personnel, dénoncer le rôle de l’Occident et notamment la France dans les menées anti-islamiques, tenter de constituer des groupes se réclamant de l’islam radical, répandre une littérature religieuse agressive, faire acte d’insubordination en promouvant des prières collectives sauvages ». Or, si ces traits « donnent une idée de ce que peut être le fondamentalisme et une version du radicalisme religieux qui peut s’en inspirer », ils « ne révèlent pas les nouveaux modèles que revêt le jihadisme – et par-delà, d’autres formes de radicalisation comme le néo-nazisme ou néo-fascisme – en prison » (15).
La direction de l’administration pénitentiaire vient de lancer un marché public pour une « recherche-action » tendant à élaborer un nouvel outil d’analyse de la radicalisation et à créer un dispositif de prise en charge des détenus radicalisés (16). La recherche-action se déroulera dans deux établissements pénitentiaires d’Ile-de-France, pour une durée de douze mois. Votre rapporteur pour avis salue cette initiative et souhaite qu’elle puisse permettre l’élaboration rapide d’une grille d’analyse de la radicalisation islamiste. Celle-ci devra tenir compte des évolutions récentes du phénomène et contribuer à professionnaliser les méthodes de recueil et d’analyse du renseignement pénitentiaire.
Proposition n° 3 :
Élaborer et appliquer une grille d’analyse de la radicalisation islamiste en prison.
Lors de son audition par votre rapporteur, M. Bruno Clément-Petremann, sous-directeur de l’état-major de sécurité de la direction de l’administration pénitentiaire, a indiqué que le repérage des signes de radicalisation faisait désormais partie de la formation initiale de tous les corps de l’administration pénitentiaire – directeurs de prison, directeurs de services d’insertion et de probation, conseillers d’insertion et de probation et surveillants – par l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP). Dans le cadre de la formation continue, tous les délégués locaux au renseignement bénéficient également de formations, assurées d’abord par l’ENAP sur une durée d’une semaine, puis actualisées par les correspondants interrégionaux. Chaque correspondant régional doit organiser quatre sessions de formation continue par an pour les délégués des établissements du ressort de l’interrégion.
Pour votre rapporteur pour avis, l’analyse du renseignement pénitentiaire ne peut relever que des délégués locaux, des chefs d’établissement et des correspondants interrégionaux, qui devront recevoir une formation adaptée à l’usage de la nouvelle grille d’analyse de la radicalisation. Mais il est également impératif que l’ensemble des agents pénitentiaires – c’est-à-dire non seulement les personnels de surveillance, mais aussi les agents des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), qu’ils travaillent en milieu fermé ou en milieu ouvert – soient formés au recueil du renseignement pénitentiaire, afin de savoir identifier efficacement les différents facteurs de la radicalisation islamiste.
Proposition n° 4 (O) :
Assurer la formation de l’ensemble des personnels pénitentiaires au recueil du renseignement, et la formation des chefs d’établissement ainsi que des délégués locaux et des correspondants interrégionaux au renseignement à l’analyse du renseignement.
Enfin, pour renforcer encore la professionnalisation du renseignement pénitentiaire, votre rapporteur pour avis estime nécessaire de faire de la fonction de délégué local au renseignement une fonction spécialisée intégrée à l’organigramme de l’établissement. Cela permettra non seulement que cette fonction soit exercée à plein temps, ce qui est une nécessité absolue pour pouvoir atteindre un niveau d’efficacité suffisant dans l’analyse du renseignement, mais aussi de professionnaliser cette mission sensible en garantissant l’affectation des personnels les plus aptes à l’exercer.
Le cas échéant, les fonctions de délégué local au renseignement pénitentiaire doivent pouvoir, dans certains cas, être exercées sous couverture, afin d’assurer la meilleure efficacité possible au travail de renseignement.
Proposition n° 5 (O) :
Faire de la fonction de délégué local au renseignement une fonction spécialisée, à plein temps, intégrée à l’organigramme de chaque établissement, mais susceptible d’être exercée sous couverture.
Alors que le renseignement fait partie depuis longtemps des missions et de la culture du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Défense, l’émergence du renseignement pénitentiaire est encore très récente. Le bureau du renseignement pénitentiaire n’a été créé, rappelons-le, qu’en 2003.
La jeunesse de la mission de renseignement au sein de l’administration pénitentiaire explique en partie que celle-ci soit aujourd’hui reconnue comme une source de renseignement, mais pas encore comme un acteur à part entière du renseignement. Ainsi, selon les acteurs de terrain entendus par votre rapporteur pour avis, si l’administration pénitentiaire s’efforce de transmettre systématiquement les informations pertinentes aux services de renseignement compétents, ils considèrent que l’information ne circule pas toujours suffisamment dans l’autre sens, des services de renseignement vers l’administration pénitentiaire. C’est, du reste, le constat qu’avait déjà formulé, en mai 2013, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés : « La coordination de l’action du bureau de l’administration pénitentiaire avec celle des autres services de renseignement doit indéniablement être renforcée. S’il informe systématiquement la DCRI de la sortie d’un détenu surveillé et répond à un nombre important de demandes d’informations émanant des différents services concernés – Préfecture de police, SDAT, DCRI, SDIG, etc. –, la réciprocité n’existe guère. » (17)
En 2012, un protocole relatif à la coopération en matière de renseignement a été signé entre la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) – à laquelle s’est substituée, depuis mai 2014, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) –, avec pour objectif de « définir le cadre institutionnel des échanges et de renforcer les partenariats initiés ». Il prévoit, notamment, l’organisation de réunions périodiques aux différents échelons de l’organisation territoriale, le suivi de certaines personnes intervenant en milieu pénitentiaire, la formation d’agents pénitentiaires par des agents de la DGSI, ainsi qu’une assistance technique apportée par la DGSI afin d’assurer la sécurité des personnels des établissements pénitentiaires.
Si l’existence de ce protocole est un premier pas nécessaire dans la reconnaissance de l’administration pénitentiaire en tant qu’acteur légitime et crédible dans le domaine du renseignement, il ne saurait être considéré comme suffisant. Pour votre rapporteur pour avis, compte tenu du risque particulièrement important de radicalisation islamiste dans les prisons, le renseignement pénitentiaire doit devenir un acteur à part entière de la communauté du renseignement. Pour ce faire, l’information réciproque de l’administration pénitentiaire et des différents services de renseignement doit être significativement améliorée et ce, sur plusieurs points.
Tout d’abord, lorsque l’administration pénitentiaire suspecte une situation de radicalisation chez un détenu, elle devrait pouvoir accéder sur demande à certaines données issues des fichiers des services de renseignement, afin de pouvoir disposer d’informations déjà recueillies avant l’incarcération.
Ensuite, lorsqu’une personne surveillée par les services de renseignement est incarcérée, l’administration pénitentiaire devrait en être informée : elle gagnerait ainsi un temps précieux dans la détection et le traitement de la radicalisation, en particulier en évitant le contact de cette personne avec les autres détenus.
En troisième lieu, afin de valoriser le travail de renseignement pénitentiaire et de lui donner un sens concret pour les agents qui y participent, un retour d’information des services de renseignement vers l’administration pénitentiaire devrait être organisé lorsque des informations qu’elle leur a transmises ont contribué à l’interpellation de personnes radicalisées ou permis de prévenir un acte terroriste.
Enfin, la direction de l’administration pénitentiaire a indiqué à votre rapporteur pour avis qu’un directeur de prison devrait être prochainement intégré dans les effectifs de l’unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT). Votre rapporteur pour avis salue cette initiative, qui permettra une meilleure coopération et une meilleure compréhension mutuelle des services de renseignement et de l’administration pénitentiaire. Il considère que cette mobilité devrait être réciproque et propose, en conséquence, d’intégrer un directeur de prison dans les effectifs de l’UCLAT ou de la DGSI et, réciproquement, un officier de police de l’UCLAT ou de la DGSI dans les effectifs du bureau du renseignement pénitentiaire.
Proposition n° 6 (L et O) :
Améliorer l’information réciproque entre les services de renseignement et l’administration pénitentiaire :
— en permettant l’accès par l’administration pénitentiaire à certaines données issues des fichiers des services de renseignement ;
— en améliorant l’information de l’administration pénitentiaire en cas d’incarcération d’une personne surveillée par les services de renseignement ;
— en organisant le retour d’information vers l’administration pénitentiaire lorsque des informations qu’elle a transmises aux services de renseignement ont contribué à l’interpellation de personnes radicalisées ou permis de prévenir un acte terroriste ;
— en intégrant un directeur de prison dans les effectifs de l’UCLAT ou de la DGSI et, réciproquement, un officier de police de l’UCLAT ou de la DGSI dans les effectifs du bureau du renseignement pénitentiaire.
Dans le rapport sur la radicalisation en prison qu’il a remis en 2014 à la direction de l’administration pénitentiaire, M. Farhad Khosrokhavar relève que « [l]es espaces de socialisation en prison peuvent être des lieux de rassemblement ou de conciliabules de la part des détenus », mentionnant parmi les lieux pouvant constituer des lieux propices au prosélytisme radical les bibliothèques, les salles de sport, les salles d’attente des unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), les salles de culte, les parloirs et les cours de promenade (18).
Les représentants de l’ambassade de Grande-Bretagne en France ont indiqué à votre rapporteur pour avis que, dans chaque établissement pénitentiaire anglais et gallois, des policiers en charge des questions de terrorisme et de criminalité organisée étaient chargés de recueillir des renseignements, en ayant la possibilité d’effectuer des enquêtes.
Votre rapporteur pour avis propose de permettre le recours à la sonorisation des locaux de détention pouvant constituer des lieux propices au prosélytisme radical : salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers, etc. Afin de permettre la mise en œuvre de cette nouvelle possibilité d’investigation, les directeurs d’établissement et certains officiers de l’administration pénitentiaire devront se voir reconnaître la qualité d’officier de police judiciaire, et certains personnels de surveillance acquérir la qualité d’agent de police judiciaire. Cette évolution rejoint une préconisation déjà formulée en 2013 par notre collègue Sébastien Huyghe, alors rapporteur pour avis de la commission des Lois sur le budget de l’administration pénitentiaire, dans l’avis qu’il avait consacré au thème de la sécurité des établissements pénitentiaires (19).
Proposition n° 7 (L) :
Permettre le recours, par des agents pénitentiaires ayant la qualité d’officiers de police judiciaire, à la sonorisation des locaux de détention pouvant constituer des lieux propices au prosélytisme radical : salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers, etc.
Dans un rapport publié en décembre 2013, le groupe d’action constitué par le Premier ministre britannique contre la radicalisation et l’extrémisme relevait que « [b]eaucoup d’institutions n’ont pas la capacité de jouer tout leur rôle pour s’opposer aux extrémistes, même quand elles le veulent. Le Gouvernement a un rôle à jouer pour conduire cette opposition, en faisant en sorte que les communautés dans lesquelles les extrémistes agissent et les organisations travaillant contre les extrémistes aient la capacité d’agir » (20).
Votre rapporteur pour avis, qui a entendu des représentants de l’ambassade de Grande-Bretagne en France, considère avec grand intérêt cette position britannique. Face au discours de haine des islamistes radicaux, notre République doit se doter d’une réelle capacité d’opposition au discours islamiste radical. Cette opposition passe, dans une certaine mesure, par une évolution des missions des aumôniers pénitentiaires musulmans et une amélioration de leur formation (1) et, plus encore, par la mise en place d’un programme pluridisciplinaire anti-radicalisation (2).
Aujourd’hui, les aumôniers musulmans agréés par l’État intervenant en prison sont à la fois trop peu nombreux (a) et insuffisamment formés (b) pour s’opposer efficacement aux discours violents développés par les détenus radicalisés.
Le rôle des aumôniers en détention est double : diriger les offices religieux, d’une part, et s’entretenir avec les détenus qui en font la demande, d’autre part. Or, si les aumôniers catholiques, protestants ou juifs sont en nombre suffisant pour assurer ces deux missions dans l’ensemble des établissements pénitentiaires de France, il n’en va pas de même pour les aumôniers musulmans, qui sont en nombre notoirement insuffisant.
En application de l’article D. 439 du code de procédure pénale, les aumôniers pénitentiaires doivent être agréés « par le directeur interrégional des services pénitentiaires après avis du préfet du département dans lequel se situe l’établissement visité, sur proposition de l’aumônier national du culte concerné ». Cet agrément a pour objet d’assurer la sécurité des établissements et de garantir que les aumôniers ne soient pas eux-mêmes des facteurs de radicalisation.
En 2004, le nombre d’aumôniers musulmans était de 69, dont 30 indemnisés, sur un total de 918 aumôniers (21). Dix ans plus tard, en 2014, le nombre d’aumôniers musulmans a, certes, presque triplé, puisqu’il est passé à 178, sur un total de 1 470 aumôniers, mais il reste insuffisant (22). Par comparaison, pour la même année 2014, le nombre d’aumôniers catholiques était de 684, celui des aumôniers protestants de 346 et celui des aumôniers juifs de 71.
S’agissant de l’organisation de la prière du vendredi, le nombre trop faible d’aumôniers musulmans a pour double conséquence qu’aucune prière n’est organisée dans les établissements qui n’ont pas d’aumônier musulman agréé et que, dans les établissements qui en ont un, tous les détenus qui souhaitent participer à la prière ne peuvent le faire en raison de la limitation, par l’administration pénitentiaire, pour des raisons de sécurité, du nombre de participants.
Le nombre d’imams agréés en prison est également trop faible pour leur permettre de recevoir les détenus qui souhaitent les rencontrer, alors que de tels échanges pourraient empêcher le déclenchement d’un processus de radicalisation.
L’insuffisance du nombre des imams agréés, qui ne leur permet pas d’assurer de façon satisfaisante la mission qui est la leur, faute d’un temps de présence suffisant dans chaque établissement, constitue indéniablement un facteur de radicalisation, puisqu’elle laisse « le champ libre » aux détenus « radicalisateurs » qui, présents par définition 24 heures sur 24 dans l’établissement, peuvent s’autoproclamer imams et développer auprès des détenus les plus influençables une interprétation radicale et violente de la religion.
L’aumônier national musulman des prisons, M. Moulay el Hassan el Alaoui Talibi, ainsi que tous les représentants des fédérations musulmanes que votre rapporteur pour avis a entendus, ont partagé le constat de l’insuffisance du nombre d’aumôniers musulmans dans les prisons françaises.’’’
Pour votre rapporteur pour avis, si le constat empirique de l’insuffisance du nombre des aumôniers, corroboré par les personnels pénitentiaires des différents établissements qu’il a visités, ne fait aucun doute, il considère néanmoins qu’un préalable indispensable à l’augmentation du nombre des aumôniers est de mieux évaluer l’importance respective des différents cultes en prison. L’on ignore aujourd’hui le nombre officiel de détenus catholiques, protestants, juifs, musulmans, bouddhistes, revendiquant d’autres cultes, athées ou agnostiques, car l’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés interdit « de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ».
De ce fait, le nombre des détenus musulmans peut seulement être approché de façon très imprécise en se fondant sur différents indices, tels que la participation au culte, les demandes d’entretien avec l’aumônier musulman ou encore les demandes de repas spéciaux au moment du Ramadan. Pour votre rapporteur pour avis, dans la mesure où l’augmentation du nombre des aumôniers est justifiée non seulement par la nécessité d’apporter à chaque détenu le soutien spirituel auquel il a droit mais aussi par un impératif de sécurité nationale, la conception rigoureuse de la laïcité qui interdit de demander à une personne si elle pratique un culte pourrait être assouplie, sous réserve naturellement de laisser à chacun la liberté de répondre ou de ne pas répondre à la question posée et d’encadrer de façon stricte l’utilisation des données qui seraient recueillies.
Proposition n° 8 (L et O) :
Mieux évaluer l’importance respective des différents cultes en prison et adapter le nombre d’aumôniers musulmans.
Bien qu’ils soient agréés par l’État, les aumôniers, en particulier musulmans, ne bénéficient d’aucune formation pouvant leur donner des outils pour s’opposer efficacement aux discours radicaux tenus par certains détenus, soit face à eux lors des offices, soit en dehors de leur présence en détention.
Lors de leur audition par votre rapporteur pour avis, plusieurs représentants des fédérations musulmanes ont indiqué que les aumôniers intervenant en prison étaient souvent contestés par des détenus radicalisés ou en voie de radicalisation. Or, dans bien des cas, ils ne disposent pas des armes rhétoriques pour contrecarrer les discours radicaux de ces détenus, généralement bien plus séduisants que les discours modérés pour des détenus animés par un esprit de revanche contre la société.
Pour votre rapporteur pour avis, il est donc nécessaire de mettre en place une formation obligatoire des aumôniers sur le discours à tenir face aux détenus susceptibles d’être radicalisés.
Proposition n° 9 (O) :
Mettre en place une formation obligatoire des aumôniers sur le discours à tenir face aux détenus susceptibles d’être radicalisés.
Cependant, même en augmentant significativement le nombre des aumôniers musulmans et en améliorant leur formation, certains détenus parmi les plus radicalisés continueront à se tenir à distance des aumôniers et à chercher à contrer leur influence. L’augmentation du nombre des aumôniers musulmans est nécessaire pour faire évoluer leurs missions et lutter contre la radicalisation islamiste en prison, mais elle ne saurait pour autant être considérée comme une réponse suffisante.
Plusieurs réflexions et expériences convergent.
Dans le rapport sur la radicalisation qu’il a remis en 2014 à la direction de l’administration pénitentiaire, M. Farhad Khosrokhavar souligne que « [l]a radicalisation appelle, dans de nombreux pays occidentaux une tentative dite de "déradicalisation", à savoir, amener ceux qui se sont engagés dans cette voie
– que ce soit ceux qui ont commis des délits ou crimes ou qui n’ont pas encore commis des voies de faits susceptibles de longues peines de prison – d’être reconduits vers la "normalité" définie par le renoncement à la violence comme solution aux maux dont souffre la société » (23).
Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, Mme Dounia Bouzar, anthropologue, présidente du centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), a estimé que les processus de radicalisation étaient comparables à l’endoctrinement pratiqué par les sectes et que des méthodes de déradicalisation devaient être conçues, expérimentées et évaluées en s’inspirant des méthodes de désendoctrinement sectaire existantes.
En Angleterre et au Pays de Galles, selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis par les représentants de l’ambassade de Grande-Bretagne à Paris, près de 2 000 détenus musulmans ont suivi un programme de formation sur l’islam destiné à leur permettre de contrer les arguments des islamistes radicaux. A également été mis en place un autre programme intitulé « Ibaana », destiné aux détenus déjà radicalisés, consistant en des entretiens individuels avec les aumôniers musulmans et dont la finalité est d’endiguer la radicalisation violente : « Des aumôniers musulmans recrutés de façon appropriée sont déjà à l’œuvre pour contrer les opinions extrémistes des détenus et fournir une assistance religieuse aux détenus musulmans. En utilisant leur expérience, ils développent le programme "Ibaana", destiné à cibler le petit nombre de détenus ayant les opinions extrémistes les plus ancrées. Des entretiens en tête-à-tête de plusieurs heures avec un aumônier formé seront réalisés pour s’opposer aux arguments théologiques utilisés par ces détenus pour justifier leurs opinions extrémistes » (24). Enfin, un programme dénommé « Channel », qui ne s’adresse pas exclusivement aux détenus mais peut leur être proposé après leur sortie de prison, a, quant à lui, pour objet de prévenir les passages à l’acte violents.
La stratégie de l’Union européenne visant à lutter contre la radicalisation et le recrutement de terroristes, adoptée par le Conseil européen le 13 mai 2014, invite clairement les États membres à mettre en place des programmes de déradicalisation :
« 40. De même qu’il existe des processus menant à la radicalisation d’une personne et éventuellement à son recrutement, il en existe également par lesquels une personne radicalisée peut être amenée à renoncer à la violence, à quitter un groupe ou un mouvement, voire à rejeter une conception du monde allant dans le sens d’une idéologie liée au terrorisme.
« 41. Les États membres devraient envisager la possibilité de définir et de mettre en œuvre des stratégies de désengagement et de sortie qui soient adaptées à la culture et au contexte concernés. Ces programmes devraient être évalués par les États membres et/ou des pairs à intervalles réguliers afin d’en garantir l’efficacité. » (25)
Un réseau de sensibilisation à la radicalisation (26) a été institué et comporte un groupe de travail « Prisons et services de probation », au sein duquel ont lieu des échanges entre les représentants des États membres sur l’élaboration de nouveaux programmes, l’acquisition de savoir-faire et la réinsertion d’anciens terroristes.
Pourtant, notre pays a longtemps eu et continue à avoir des réticences vis-à-vis de ce type de programmes. Dans son rapport précité, M. Farhad Khosrokhavar, estimait qu’« [e]n France, compte tenu de la séparation entre le religieux et le politique, il est plus délicat d’appliquer ce type de procédure de manière directe par l’État. Mais rien n’empêche en soi des associations privées de promouvoir des programmes dans ce but. Compte tenu de la méfiance des pouvoirs publics vis-à-vis de ce type d’action, des programmes de déradicalisation n’ont pu voir le jour en France. Ce mode d’action peut pourtant rendre service aux uns et aux autres, s’il est envisagé en collaboration avec la police, les municipalités et les groupes de voisinage (…) » (27).
Pour votre rapporteur pour avis, il est urgent que notre pays dépasse ses réticences vis-à-vis de ce type de programmes. En s’inspirant de l’expérience acquise dans d’autres démocraties occidentales, des programmes pluridisciplinaires anti-radicalisation doivent être élaborés à la fois pour ramener à la raison et écarter de l’impasse de la violence nos concitoyens encore « rattrapables », en particulier les plus jeunes, et pour protéger notre pays de futurs attentats qui ne manqueront pas d’être commis en l’absence d’initiative forte pour contrer la radicalisation islamiste. Ces programmes auraient vocation à être mis en œuvre non seulement à l’extérieur des prisons, mais aussi à l’intérieur, notamment dans le cadre d’« unités spécialisées anti-radicalisation » dont votre rapporteur pour avis propose la création (28).
Parmi les professionnels impliqués dans ces programmes, des psychiatres auront un rôle à jouer car, dans un certain nombre de cas, les personnes radicalisées sont porteuses de pathologies psychiatriques. En prison, il conviendra que les psychiatres aient une conception du secret médical moins stricte que celle qu’ils adoptent parfois à l’égard des personnels pénitentiaires et de la justice. En effet, s’il est normal que le respect du droit au secret médical soit au centre des préoccupations des médecins, il est également nécessaire que l’enjeu de la lutte contre la radicalisation soit pris en compte, afin que les psychiatres participent pleinement aux programmes anti-radicalisation qui devront être mis en place.
Proposition n° 10 (O) :
Élaborer un programme pluridisciplinaire anti-radicalisation pouvant être mis en œuvre en détention et sans doute hors détention en s’inspirant de l’expérience acquise dans d’autres démocraties occidentales.
La mise en œuvre de ce type de programme nécessite un niveau minimal d’adhésion de la part de la personne qui le suit. Pour autant, compte tenu de l’enjeu, une incitation forte doit pouvoir être exercée sur les détenus en vue de les amener à suivre le programme.
Pour ce faire, votre rapporteur pour avis propose, en s’inspirant de ce qui est prévu aux articles 721 et 721-1 du code de procédure pénale en matière de traitement médical pour les personnes condamnées pour des infractions sexuelles ou violentes (29), de faire du suivi d’un programme anti-radicalisation une mesure pouvant être ordonnée par le juge de l’application des peines, en prévoyant que le bénéfice des crédits de réduction de peine et des réductions de peine supplémentaires serait exclu en cas de refus de suivre ce programme.
Proposition n° 11 (L) :
Donner au juge de l’application des peines la possibilité de soumettre des détenus à l’obligation de suivre un programme anti-radicalisation et exclure le bénéfice des crédits de réduction de peine et des réductions de peine supplémentaires en cas de refus de suivre ce programme.
Lors de ses déplacements sur le terrain et des auditions qu’il a conduites, votre rapporteur pour avis a été frappé par le fait que les personnels commençaient à être sensibilisés à la détection de la radicalisation islamiste, mais que la question du traitement des détenus radicalisés peinait encore à être pensée. Aujourd’hui, la seule réponse apportée par l’administration pénitentiaire au phénomène de radicalisation islamiste consiste, en réalité, à déplacer les détenus créant des difficultés et commençant à constituer autour d’eux un réseau de radicaux, en leur faisant faire ce que les personnels pénitentiaires appellent parfois le « tour de France » pénitentiaire.
Pourtant, de l’avis de l’ensemble des personnels pénitentiaires entendus par votre rapporteur pour avis, il s’agit là d’une solution retenue par défaut et présentant l’inconvénient de favoriser la dissémination des foyers de radicalisation. Si elle permet à court terme de préserver l’ordre interne des établissements pénitentiaires, cette solution apparaît particulièrement risquée pour la sécurité nationale à long terme, lors de la libération de ces personnes.
Pour votre rapporteur pour avis, la réponse à apporter en cas de radicalisation d’un détenu doit être totalement repensée pour être graduée selon le niveau de radicalisation et le risque qu’il représente. La première étape doit être, pour les détenus pouvant avoir certaines relations avec les autres détenus mais dont les contacts doivent malgré tout être limités et surveillés, de supprimer l’application du régime dit « ouvert » mis en œuvre dans les établissements pour peines (1). La deuxième étape doit être le placement à l’isolement, qui doit être facilité pour les détenus constituant un risque pour la sécurité (2). Enfin, pour les détenus de retour du « djihad » dans la zone irako-syrienne, doivent être créées des unités spécialisées anti-radicalisation au sein desquelles ils seront isolés les uns des autres et soumis à l’obligation de suivre un programme de déradicalisation (3).
1. Supprimer le régime « ouvert » pour les détenus radicalisés incarcérés dans les établissements pour peines
La loi pénitentiaire n° 2009-1426 du 24 novembre 2009 a introduit dans le deuxième alinéa de l’article 717-1 une phrase disposant que le « régime de détention [des condamnés] est déterminé en prenant en compte leur personnalité, leur santé, leur dangerosité et leurs efforts en matière de réinsertion sociale ». Donnant un fondement légal au régime dit « différencié » qui avait été expérimenté avant la loi pénitentiaire, cette disposition est mise en œuvre, dans les établissements pour peines, en mettant en place des quartiers en régime « ouvert », « semi-ouvert » ou « fermé ». Dans les quartiers en régime « ouvert », les portes des cellules demeurent ouvertes pendant la journée et ne sont fermées que pendant la nuit, ce qui permet de responsabiliser les détenus dignes de confiance en leur permettant de se déplacer seuls à l’intérieur du quartier voire à l’intérieur de la prison pour se rendre aux activités auxquelles ils participent (travail, formation, sport…) ou à un rendez-vous. Ce régime permet également aux détenus qui en bénéficient d’avoir des contacts avec les autres détenus en plus de ceux qu’ils peuvent avoir lors des promenades ou des activités collectives. Dans les quartiers en régime « semi-ouvert », les portes des cellules sont ouvertes pendant une moitié de la journée – le matin ou l’après-midi – seulement. Enfin, dans les quartiers en régime « fermé », les portes des cellules demeurent fermées pendant la journée, les détenus devant systématiquement être accompagnés pour tout déplacement dans l’établissement.
Comme l’ont souligné plusieurs personnes entendues par votre rapporteur, le régime « portes ouvertes » mis en œuvre dans les établissements pour peines peut être un facteur de propagation de la radicalisation dans les prisons. Il permet à des détenus « radicalisateurs » d’entrer en contact durable avec d’autres détenus et de se regrouper dans une cellule, à l’abri de la surveillance des personnels pénitentiaires, pour tenter de rallier de nouveaux détenus.
Pour réduire le risque de dissémination des détenus radicalisateurs incarcérés dans les établissements pour peines, votre rapporteur pour avis préconise de reconnaître expressément dans la loi que le fait de constituer un risque pour la sécurité est un motif justifiant le placement et le maintien dans un régime « portes fermées ».
Proposition n° 12 (L) :
Supprimer le placement en régime « ouvert » pour les détenus radicalisés incarcérés dans les établissements pour peines, en prévoyant expressément dans la loi que le fait de constituer un risque pour la sécurité est un motif de placement en régime « portes fermées ».
Par ailleurs, depuis un arrêt Marie rendu en 1995 par le Conseil d’État (30), presque toutes les décisions prises par l’administration pénitentiaire dans la gestion de la vie de la détention sont devenues susceptibles d’un recours pour excès de pouvoir. Si ce droit au recours est justifié pour les mesures les plus lourdes de conséquences pour les détenus, telles que les sanctions disciplinaires, d’autres décisions devraient pouvoir relever de la catégorie des « mesures d’ordre intérieur » insusceptibles de recours. La possibilité pour les détenus de former un recours contre toutes les décisions qui peuvent être prises à leur égard contraint l’administration pénitentiaire à respecter un formalisme particulièrement lourd et la soumet à une insécurité juridique dont les détenus profitent pour contester son autorité.
Lors de l’une de ses visites dans un établissement pour peines, un exemple illustrant les excès du contrôle juridictionnel sur les décisions individuelles de l’administration pénitentiaire a été donné à votre rapporteur pour avis. Un détenu radicalisé avait, depuis sa cellule, lancé un appel à la prière collective. La direction de l’établissement avait identifié ce détenu avec certitude, sans pour autant pouvoir en rapporter la preuve formelle faute de l’avoir constaté visuellement. Elle avait décidé de faire passer ce détenu, qui bénéficiait du régime « ouvert », en régime « fermé ». Le détenu avait alors saisi la direction interrégionale des services pénitentiaires d’un recours gracieux contre la décision. La direction de l’établissement, craignant une annulation de la décision en cas de recours contentieux devant le juge administratif en raison de l’absence de preuve formelle du comportement ayant justifié le passage en régime « fermé », avait préféré retirer sa décision et fait repasser l’individu en régime « ouvert ».
En conséquence, de la même façon que le code de procédure pénale prévoit que certaines décisions ne sont pas susceptibles de recours (31), votre rapporteur pour avis préconise de supprimer la possibilité de former un recours pour excès de pouvoir contre la décision de l’autorité administrative de placer un détenu en « régime ouvert » ou « régime fermé ».
Proposition n° 13 (L) :
Supprimer la possibilité de former un recours pour excès de pouvoir contre la décision de l’autorité administrative de placer un détenu en « régime ouvert » ou « régime fermé ».
Pour les détenus radicalisés susceptibles de chercher à radicaliser d’autres détenus, votre rapporteur pour avis estime que le placement à l’isolement doit être privilégié.
Le recours à l’isolement est encadré par la partie réglementaire du code de procédure pénale. Les articles R. 57-7-66, R. 57-7-67 et R. 57-7-68 prévoient que la durée maximale de placement à l’isolement est de trois mois, renouvelables jusqu’à une durée cumulée de deux ans. La première décision et le premier renouvellement relèvent de la compétence du chef d’établissement, le renouvellement à partir de six mois et jusqu’à un an relève de la compétence du directeur interrégional des services pénitentiaires, et le renouvellement à partir d’un an et jusqu’à deux ans relève de la compétence du ministre de la Justice. Le renouvellement par le directeur interrégional est pris « sur rapport motivé du chef d’établissement », et le renouvellement par le ministre de la Justice est pris « sur rapport motivé du directeur interrégional saisi par le chef d’établissement ». Une prolongation de l’isolement au-delà de deux ans ne peut être décidée qu’« à titre exceptionnel, si le placement à l’isolement constitue l’unique moyen d’assurer la sécurité des personnes ou de l’établissement ». Enfin, l’article R. 57-7-74 prévoit que lorsqu’une personne a déjà été placée à l’isolement depuis moins d’un an, la durée de l’isolement antérieur s’impute sur la durée de la nouvelle mesure.
Lorsque le placement à l’isolement est motivé par des raisons de sécurité, ces conditions de placement et de renouvellement de la mesure apparaissent particulièrement rigides. Sept décisions administratives distinctes, relevant de trois autorités différentes, sont nécessaires pour placer une personne à l’isolement pendant une durée de deux ans.
Afin de faciliter le recours à l’isolement pour les détenus constituant un risque pour la sécurité, votre rapporteur pour avis préconise, d’une part, de porter de trois à six mois la durée du placement et de chacun de ses renouvellements, et, d’autre part, d’abaisser d’un an à six mois la période d’interruption de l’isolement en-deçà de laquelle la durée de l’isolement antérieur s’impute sur la durée de la nouvelle mesure d’isolement.
Proposition n° 14 (R) :
Pour les détenus constituant un risque pour la sécurité, faciliter le placement à l’isolement :
— en portant de 3 à 6 mois la durée du placement et de chacun de ses renouvellements ;
— en abaissant d’un an à six mois la période d’interruption de l’isolement en-deçà de laquelle la durée de l’isolement antérieur s’impute sur la durée de la nouvelle mesure d’isolement.
3. Créer des unités spécialisées anti-radicalisation (USAR) pour les détenus de retour du « djihad »
Alors que le nombre de Français ou d’étrangers résidant en France partis faire le « djihad » en zone irako-syrienne approche des 1 000 personnes, que 53 d’entre ceux qui sont revenus sont incarcérés et que ce dernier nombre va très probablement s’accroître de façon importante dans les mois et années à venir, le traitement pénitentiaire de ces détenus doit être anticipé et pensé avec la plus grande attention. Tel n’est pas encore le cas, le seul traitement particulier dont ces détenus font l’objet étant un placement « sous observation » et sans isolement des autres détenus, sauf cas particulier.
Lors de ses déplacements et de ses échanges avec la direction de l’administration pénitentiaire, votre rapporteur pour avis a longuement débattu de la question du meilleur traitement pénitentiaire à appliquer à ces détenus qui peuvent, selon les cas, présenter un degré élevé de dangerosité avec des velléités de passage à l’acte terroriste sur notre territoire ou avoir été psychologiquement « traumatisés » par les atrocités auxquelles ils ont assisté ou participé. Faut-il incarcérer ces détenus séparément dans différents établissements pénitentiaires, comme le fait pour l’instant l’administration pénitentiaire, les regrouper dans un seul établissement, ou encore envisager un traitement spécialement adapté au sein d’unités ad hoc, organisées dans différents établissements ?
L’option du regroupement dans un seul et même établissement de plusieurs dizaines, voire de centaines de djihadistes serait extrêmement dangereuse, car elle présenterait des risques très importants pour la sécurité des établissements pénitentiaires au sein desquels la gestion de nombreux détenus militairement entraînés serait certainement difficile.
Mais l’option actuellement retenue depuis le retour en France des premiers djihadistes de la zone irako-syrienne, qui est celle de la dispersion indifférenciée dans différents établissements et au contact du reste de la population pénale, n’est pas satisfaisante à long terme. Laissés en situation de chercher à rallier d’autres détenus à leur cause et sans traitement destiné à les faire sortir de la radicalisation, ces détenus peuvent devenir de véritables « bombes humaines », menaçant directement la sécurité nationale.
En conséquence, votre rapporteur pour avis propose de créer, pour les détenus de retour du « djihad » dans la zone irako-syrienne, au sein de quelques établissements pénitentiaires, des unités spécialisées anti-radicalisation (USAR), dotées de moyens adaptés et organisées selon un régime ad hoc. Dans ces unités, les détenus seraient isolés les uns des autres et auraient l’obligation de suivre un programme anti-radicalisation personnalisé, adapté au profil psychologique de chacun d’entre eux. Cette obligation serait assortie de l’exclusion du bénéfice des crédits de réduction de peine et des réductions de peine supplémentaires en cas de refus de suivre le programme (32).
Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis par l’ambassade des Pays-Bas en France, l’option du regroupement de détenus ayant un tel profil est pratiquée aux Pays-Bas, où deux établissements pénitentiaires comprennent une section spécifique pour la détention des personnes condamnées ou mises en examen pour des infractions terroristes, mais aussi des personnes ayant fait l’éloge d’un message radical.
Proposition n° 15 (O) :
Créer, dans certains établissements pénitentiaires, des unités spécialisées anti-radicalisation (USAR) au sein desquelles les détenus de retour du « djihad » dans la zone irako-syrienne seraient isolés les uns des autres et suivraient un programme personnalisé, adapté au profil de chacun d’entre eux.
Outre les contacts entre détenus, la radicalisation peut également être déclenchée ou aggravée par les communications que les détenus peuvent avoir avec l’extérieur. Pour limiter les communications favorisant la radicalisation, il est nécessaire de renforcer vigoureusement la lutte contre l’introduction et l’utilisation des téléphones portables en prison (1) et de mieux contrôler les associations prétendant apporter un soutien spirituel aux détenus (2).
Avant la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, seuls les condamnés exécutant leur peine dans un établissement pour peines avaient accès à des téléphones fixes installés dans les établissements. L’article 39 de cette loi a autorisé l’usage du téléphone fixe pour tous les détenus, condamnés ou prévenus, dans tous les établissements, afin de favoriser le maintien des liens familiaux. Pour d’évidentes raisons de sécurité, les appels téléphoniques des détenus sont limités aux personnes autorisées par le juge d’instruction pour les prévenus et par l’administration pénitentiaire pour les condamnés, et sont susceptibles d’être écoutées, enregistrées et interrompues (33).
Pourtant, l’usage légal du téléphone n’a cessé de reculer depuis 2009, en raison de l’introduction massive de téléphones portables, en toute illégalité, dans les lieux de détention. Selon les données communiquées à votre rapporteur par le ministère de la Justice, le nombre de téléphones saisis en détention a constamment progressé depuis qu’une comptabilisation des objets saisis a été mise en place, passant de 4 977 en 2007 à 23 495 en 2013. Un nouveau « record » devrait être établi en 2014, puisque 13 531 téléphones ont été saisis au cours du seul premier semestre.
Certes, les personnels pénitentiaires estiment qu’une partie des communications illégalement émises ne soulève pas de difficulté particulière de sécurité, car elles seraient adressées principalement à la famille et seraient dépourvues de finalité délictueuse. Mais il est tout aussi évident qu’une autre part de ces communications a pour objet de permettre aux détenus de poursuivre la gestion de leurs « affaires » illicites depuis la prison, de préparer de nouvelles infractions, de s’accorder en vue de l’introduction d’objets interdits en détention (lors de visites au parloir ou par le biais de « projections » de l’extérieur des établissements vers les cours de promenade de ceux-ci), voire de préparer une évasion.
Du fait de la possibilité de naviguer sur Internet avec un téléphone portable, les détenus radicalisés ou en voie de radicalisation ont aussi la faculté d’accéder à des sites Internet de propagande djihadiste, dont l’importance dans le recrutement des terroristes est désormais parfaitement avérée et reconnue tant par l’actuelle majorité que par l’opposition (34).
Pour votre rapporteur pour avis, les mesures actuellement mises en œuvre pour lutter contre l’introduction et l’utilisation des téléphones portables en prison sont très insuffisantes. L’installation de filets anti-projection dans des établissements qui n’en étaient jusqu’ici pas équipés, dans le cadre du plan de sécurisation des établissements qu’avait présenté la garde des Sceaux en 2013, limitera les possibilités d’introduction des téléphones – et des autres substances ou objets interdits – par la voie « aérienne ». Mais l’absence de toute mesure de fouille sur les visiteurs accédant à la détention et l’interdiction, depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, des fouilles systématiques sur les détenus à l’issue des parloirs, ne permettent pas de lutter efficacement contre l’introduction des téléphones lors des parloirs. Par ailleurs, l’efficacité des brouilleurs de téléphones qui sont utilisés n’est pas parfaite, car il est difficile techniquement d’empêcher le fonctionnement des appareils téléphoniques détenus de façon illicite, sans pour autant perturber le fonctionnement des téléphones professionnels des personnels et des équipements électroniques de l’établissement.
Pour lutter contre l’introduction des téléphones portables en prison, votre rapporteur pour avis fait sienne une proposition qu’avait formulée en 2013 notre collègue Sébastien Huyghe dans son avis budgétaire sur les crédits de l’administration pénitentiaire consacré à la sécurité des établissements pénitentiaires : celle de permettre la réalisation de fouilles par palpation sur les personnes entrant dans les établissements pénitentiaires. Comme il l’avait souligné, les fouilles par palpation « consistent seulement (…) en une recherche extérieure et au-dessus des vêtements, par tapotements, d’objets interdits » et « sont pratiquées quotidiennement par des personnels de sécurité privée dans les aéroports, à l’entrée des enceintes sportives ou à l’entrée de nombreuses salles de spectacle » ; elles sont « un geste peu intrusif, dont chacun comprend la nécessité dans les cadres dans lesquels il est aujourd’hui réalisé et auquel chacun est désormais parfaitement accoutumé » (35).
Proposition n° 16 (L) :
Permettre la réalisation de fouilles par palpation sur les personnes entrant dans les établissements pénitentiaires.
Pour dissuader davantage encore les visiteurs d’introduire des objets ou substances interdits dans les établissements pénitentiaires, votre rapporteur pour avis préconise ensuite de renforcer les opérations de fouilles judiciaires des visiteurs accédant aux établissements. Réalisées ponctuellement par les services de police ou de gendarmerie à l’entrée des établissements, parfois avec l’appui d’équipes cynotechniques pour repérer des produits stupéfiants, ces opérations peuvent avoir un effet dissuasif si elles sont suffisamment fréquentes.
Proposition n° 17 (O) :
Renforcer les opérations de fouilles judiciaires des visiteurs accédant aux établissements pénitentiaires.
L’efficacité de la lutte contre l’introduction des téléphones portables ne pouvant être absolue, des mesures doivent également être prises pour lutter contre leur utilisation. La première mesure proposée par votre rapporteur consiste à permettre la détection et l’accès aux données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les personnes incarcérées.
Déjà proposée en 2013 par notre collègue Sébastien Huyghe dans son avis budgétaire précité (36), cette mesure avait été adoptée par la commission des Lois de notre assemblée, sur l’initiative de son président, M. Jean-Jacques Urvoas, et de son rapporteur, M. Sébastien Pietrasanta, lors de l’examen, en juillet dernier, du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. L’article 15 bis du projet de loi dans le texte adopté par la Commission modifiait l’article L. 244-2 du code de la sécurité intérieure pour permettre à l’administration pénitentiaire de détecter et recueillir « directement et par tout moyen technique » les données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les détenus (37). Cependant, cet article 15 bis a été supprimé par l’Assemblée nationale lors de l’examen en séance, sur l’initiative du Gouvernement, après que le ministre de l’Intérieur, M. Bernard Cazeneuve, eut fait valoir que le dispositif prévu à l’article 15 bis « reviendrait à autoriser la collecte de données de connexion de téléphone, alors que ces connexions sont interdites, ce qui pose un problème de cohérence ». Votre rapporteur pour avis avait fait part de son opposition à la suppression de cet article, en rappelant que « [c]e n’est pas parce que les téléphones portables sont théoriquement interdits que des téléphones clandestins ne sont pas présents – ce que l’on sait – au sein des différents établissements de l’administration pénitentiaire » et qu’il n’était pas possible, face à la gravité des conséquences de la présence des téléphones en détention, de « nous contenter de vœux pieux en espérant que ces téléphones clandestins disparaissent spontanément » (38).
Votre rapporteur pour avis, qui avait voté contre la suppression de l’article 15 bis du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, maintient la position qu’il avait exprimée en formulant dans le présent avis la proposition de permettre la détection et l’accès aux données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les personnes incarcérées.
Proposition n° 18 (L) :
Permettre la détection et l’accès aux données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les personnes incarcérées.
Enfin, votre rapporteur pour avis propose de demander aux opérateurs de réseaux téléphoniques de limiter l’accès au réseau téléphonique, dans l’enceinte des établissements pénitentiaires situés en dehors des zones urbaines, aux seuls numéros autorisés par l’administration pénitentiaire figurant sur une liste adressée aux opérateurs.
Cette solution technique de blocage des numéros non autorisés ne pourrait pas être mise en œuvre dans les établissements situés en zone urbaine et entourés d’habitations. En revanche, dans les établissements pénitentiaires isolés, elle permettrait de rendre inutilisables les téléphones irrégulièrement introduits, les seuls téléphones pouvant accéder au réseau étant ceux des personnels dûment habilités à détenir un téléphone portable en détention.
Proposition n° 19 (O) :
Dans l’enceinte des établissements pénitentiaires situés en dehors des zones urbaines, limiter l’accès au réseau téléphonique aux seuls numéros autorisés par l’administration pénitentiaire, figurant sur une liste adressée aux opérateurs.
Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, Mme Dounia Bouzar, anthropologue, présidente du centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), a indiqué que plusieurs associations pseudo-humanitaires, parfois sans comptes ni rapports d’activité, gravitaient autour des prisons, dans le seul but de nouer contact avec des détenus vulnérables et de les radicaliser. Ce fait a été confirmé à votre rapporteur pour avis par les personnels de plusieurs des établissements qu’il a visités.
Ces associations, sous couvert de soutien spirituel, cherchent en réalité à « hameçonner » des détenus en vue d’un recrutement ultérieur, en leur adressant des lettres voire des sommes d’argent sous forme de mandat. L’administration pénitentiaire ne saurait laisser ces structures agir librement en profitant de la situation d’incarcération de personnes influençables pour recruter les terroristes de demain.
Votre rapporteur pour avis préconise que soit exercé, par l’administration pénitentiaire et par les services de renseignement, un contrôle rigoureux sur l’activité des associations prétendant apporter un soutien spirituel aux détenus. Si nécessaire, l’administration pénitentiaire doit avoir la possibilité d’interdire les contacts avec les détenus pour les associations susceptibles de radicaliser des détenus.
Proposition n° 20 (O) :
Contrôler de façon rigoureuse l’activité des associations prétendant apporter un soutien spirituel aux détenus et, si nécessaire, interdire les contacts avec les détenus pour les associations susceptibles de radicaliser des détenus.
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Votre rapporteur pour avis ne prétend pas clore, avec les vingt propositions présentées ici, toute réflexion sur la lutte anti-radicalisation islamiste dans les prisons. Il tient, bien au contraire, à ce qu’un débat public soit ouvert pour que les autorités gouvernementales s’en saisissent au plus vite, aux plans juridique, budgétaire et opérationnel.
Il y a urgence, en effet, à sortir du déni qui consiste à sous-estimer l’ampleur de la menace et à refuser de définir un plan global de lutte contre la radicalisation islamiste dans les prisons.
Que chacun garde en mémoire l’avertissement de Marc Bloch, dans L’Étrange défaite : « Beaucoup d’erreurs diverses, dont les effets s’accumulèrent, ont mené nos armées au désastre. Une grande carence, cependant, les domine toutes. Nos chefs ou ceux qui agissaient en leur nom n’ont pas su penser cette guerre. » (39)
Il est grand temps, en cet automne 2014, de penser le combat qu’il faut mener, dans les prisons, contre les ennemis de notre République.
Lors de sa réunion du 23 octobre 2014, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » pour 2015.
M. le président Gilles Carrez. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, Jean-Jacques Urvoas et moi-même sommes heureux de vous accueillir au sein de cette commission élargie pour examiner les crédits de la Mission « Justice ».
Je rappelle les règles qui s’appliquent aux commissions élargies afin de permettre un échange aussi interactif que possible.
Je commencerai par donner la parole aux rapporteurs, chacun d’entre eux disposant de cinq minutes. Il vous reviendra ensuite de leur répondre, madame la garde des sceaux. Puis je donnerai la parole aux orateurs des groupes ainsi qu’aux autres députés qui le souhaitent pour une intervention limitée à deux minutes.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. La commission des lois a désigné quatre rapporteurs pour avis sur les crédits de la Mission « Justice » qui constitue son cœur de métier. Chacun d’eux a choisi un thème pour illustrer les politiques publiques conduites grâce à ces crédits.
Ainsi, Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour la justice administrative et judiciaire, revient dans son avis sur le mouvement des greffiers et sur les solutions qui ont été trouvées pour réformer le statut de ces personnels qui sont un rouage essentiel de l’institution judiciaire. Je tiens, comme l’a fait la garde des Sceaux, à saluer l’esprit de service public dont ils ont fait la preuve, lors de leur mouvement de revendication, en évitant au maximum de perturber le fonctionnement des juridictions.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour l’accès au droit et à la justice, a porté son attention sur l’accès au droit qui apparaît comme une nécessité dans une société de plus en plus complexe. Cette question est également abordée dans le cadre de la réforme des professions juridiques réglementées à laquelle nous travaillons avec le ministère de la justice.
Mme Nathalie Nieson, rapporteur pour la protection judiciaire de la jeunesse, a choisi d’évoquer les jeunes filles auteures d’infractions dont la prise en charge s’avère délicate en dépit du faible nombre de cas.
Enfin, pour M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour l’administration pénitentiaire, il n’est sans doute pas nécessaire de présenter le thème qu’il a choisi puisque la presse s’en est largement fait l’écho, avant même que les parlementaires aient pu en avoir connaissance. La radicalisation en prison ne manquera pas de susciter des débats.
M. Étienne Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire pour les crédits relatifs à la justice. Les réponses au questionnaire budgétaire ont été tardives. Je remercie néanmoins les services qui y ont travaillé sans désemparer.
Le budget de la justice pour 2015 présente la particularité d’être, encore plus que l’an dernier, problématique quant à l’adéquation des moyens aux besoins.
C’est vrai pour les dotations de crédits de personnel, qui ne sont pas en rapport avec les créations d’emplois annoncées. L’immobilier pénitentiaire, réputé prioritaire, a subi de fortes annulations de crédits en 2013 et en 2014. Les frais de justice et les moyens de fonctionnement des juridictions sont insuffisamment dotés. Le financement de l’aide juridictionnelle ne semble pas encore assuré.
La justice constitue une fonction régalienne de l’État. Comme l’écrit la Cour des comptes dans sa note sur l’exécution du budget 2013, « les annulations et les redéploiements de crédits du titre 5 au profit des dépenses de fonctionnement manifestent un renoncement aux projets à moyen et long terme, au profit de préoccupations de gestion plus immédiates. La Cour estime que le ministère de la justice ne peut durablement sacrifier les crédits d’investissement sans compromettre à terme la mise en œuvre de ses missions. »
J’aurai cinq questions à poser. La première porte sur la maîtrise budgétaire des frais de justice. La Cour des comptes a réalisé, à la demande de la commission des finances, une enquête exhaustive, qui met en évidence l’absence de maîtrise de ce poste de dépenses : la liberté des ordonnateurs de fait est totale, le contrôle des engagements défectueux, la mesure des engagements souscrits très approximative.
Pour 2015, la dotation annoncée est manifestement sans rapport avec les besoins : 450 millions, dont au moins 378 millions pour des restes à payer mal connus, sachant que la dépense effective en 2013 s’établit à 474 millions. Vos propres services considèrent qu’il manque 147 millions sur le poste des frais de justice pour assurer l’exécution budgétaire de 2014.
Comment arriver à maîtriser ce poste de dépenses ? Des économies, que nous jugeons minimes, sont annoncées grâce à la systématisation du recours à la plateforme d’interception judiciaire et grâce à une réforme de la médecine légale.
Il est prévu également que la direction des services judiciaires s’engage dans la mise en œuvre d’un plan d’actions en faveur de la maîtrise des frais de justice, articulé autour de plusieurs axes : le premier relatif à la mobilisation de l’ensemble des acteurs en matière de frais de justice ; le deuxième portant sur l’achat public en matière de frais de justice ; le troisième ayant trait au renforcement du pilotage et du suivi budgétaire.
Cela peut-il suffire ? Je ne le pense pas. La Cour des comptes formule des préconisations beaucoup plus audacieuses. Elle propose de réexaminer la catégorie des frais de justice pour en exclure les dépenses qui se rapportent au fonctionnement courant des juridictions ; elle envisage l’application du droit commun de la comptabilité publique au paiement des dépenses tarifées ; elle plaide pour l’amélioration de la connaissance des composantes des dépenses de frais de justice.
Ne faut-il pas aller plus loin que ce que propose le Gouvernement et suivre les préconisations de la Cour ?
Ma deuxième question porte sur l’évolution des indicateurs. La mesure de la performance fait l’objet d’une vaste réforme. Curieusement, le taux de réponse pénale disparaît, sans explication. Certains indicateurs ne sont pas renseignés ou incomplètement : c’est le cas des délais de traitement des procédures pénales, du nombre d’affaires traitées par magistrat ou fonctionnaire, du taux de mise à exécution ou encore des délais de mise à exécution. Les données de stock des peines fermes en attente d’exécution ne sont pas disponibles pour 2013.
Pouvez-vous m’expliquer ce déficit d’information et y remédier afin que les rapporteurs puissent convenablement exercer leur mission ?
La troisième question a trait au décalage entre les créations d’emplois annoncées et la réalité. La masse salariale est insuffisamment calibrée.
L’exécution budgétaire 2013 a mis en évidence la réalisation d’économies sur les effectifs, alors que le budget de la justice avait été présenté comme prioritaire. Alors que les plafonds d’emplois devaient être portés à 77 542 ETPT en 2013 – contre 75 508 ETPT réalisés en 2012 –, la réalisation 2013 s’établit à 75 833 ETPT, à peine supérieure à celle de 2012, sachant de surcroît que les transferts nets sortants ont été inférieurs de 101 ETPT aux prévisions de la loi de finances initiale. La non-réalisation des ETPT au regard du plafond fixé en loi de finances initiale est de 1 709, hors transferts. Alors que le PAP 2013 faisait de la protection judiciaire de la jeunesse une priorité pour les créations d’emplois en 2013, ses effectifs budgétaires sont inférieurs en 2013 à ceux de 2012.
Si le Gouvernement tient vraiment à augmenter les effectifs du ministère de la justice, il lui est loisible, plutôt que d’annoncer des créations d’emplois, d’augmenter les dotations de masse salariale.
Ma quatrième question se rapporte à l’application de la contrainte pénale. La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines suppose des créations de postes, en particulier de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). Or, selon vos services, le nombre de dossiers suivis par CPIP a augmenté de 2012 à 2013 et continuera d’augmenter sauf création de postes massive.
Enfin, les constructions pénitentiaires constituent une autre priorité pour le Gouvernement. Mais les dotations de crédits de paiement d’investissements pénitentiaires progressent peu de 2014 à 2015, de 20 millions d’euros pour atteindre 373,5 millions d’euros. La gestion 2013 a été caractérisée par un niveau inédit d’annulations sur l’immobilier pénitentiaire. Nous aimerions là aussi connaître les intentions du Gouvernement, notamment au regard du plan triennal.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à la justice administrative et judiciaire. Mon avis budgétaire est consacré à la réforme du statut des personnels des greffes. Je souhaiterais néanmoins dire quelques mots rapides du budget de la justice judiciaire.
Je me félicite que le budget de la justice reste, cette année encore, un budget prioritaire. Bien que prenant sa part dans l’effort de redressement de nos finances publiques, il augmentera de 2,3 % en 2015. Cet effort mérite d’être salué tant l’ampleur du retard accumulé au cours de la précédente législature le justifie. Les juridictions et les personnels qui assurent le fonctionnement quotidien de la justice continuent en effet à se trouver plongés, pour beaucoup, dans des situations difficiles.
J’avais vivement regretté, l’année dernière, lors de l’examen du budget, que rien ne soit fait pour revaloriser les rémunérations et le statut des personnels des greffes, qui jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement des juridictions. Il m’apparaissait indispensable que le Gouvernement adresse un message fort de reconnaissance à ces personnels, dont les tâches et les responsabilités n’ont cessé de s’accroître, alors que leur statut n’a pas été revalorisé depuis 2003. C’était d’autant plus indispensable que les greffiers joueront un rôle considérable dans les actions pour la justice du quotidien que vous avez engagées pour construire la justice du XXIe siècle.
Vous m’aviez réaffirmé votre volonté d’avancer sur ce dossier. Vos paroles ont été suivies par des actes. Je me félicite que, grâce à vos efforts, les négociations avec les organisations syndicales représentatives, mais aussi les ministères du budget et de la fonction publique – ce qui n’était pas rien – aient abouti, le 15 juillet dernier, à un protocole d’accord sur les perspectives d’évolution statutaire des personnels des greffes.
Ce protocole, que j’ai étudié attentivement, prévoit une réforme ambitieuse du statut des greffiers en chef et des greffiers, ainsi que d’importantes avancées pour les fonctionnaires des corps communs du ministère de la justice qui travaillent dans les greffes.
La transformation du corps des greffiers en chef en un corps de directeurs de greffe, la revalorisation de leur grille et la création d’un statut d’emploi de directeur de greffe fonctionnel permettent de mieux reconnaître les fonctions d’encadrement de ces fonctionnaires.
La revalorisation de la grille des greffiers et la création, unique pour un corps de catégorie B, d’un statut d’emploi valorisant leurs compétences constituent également des avancées dont nous pouvons tous nous réjouir.
Les secrétaires administratifs et les adjoints administratifs et techniques, qui jouent un rôle essentiel au sein des greffes, n’ont pas été oubliés et je me félicite, en particulier, de l’accélération du dispositif d’intégration dans le corps des greffiers des secrétaires administratifs « faisant fonction », qui sont nombreux, et de la garantie qui leur est offerte de bénéficier d’une affectation de proximité.
Ce protocole est une étape importante, mais je ne le considère pas comme un point d’arrivée. Il doit s’inscrire dans une démarche plus large, qui conduira à redéfinir les missions des greffiers. Cette réflexion, vous l’avez engagée dans le cadre des travaux de la réforme « justice du XXIe siècle ».
L’un des rapports des groupes de travail, le rapport Delmas-Goyon, a proposé de créer un véritable greffe juridictionnel, auquel certaines des compétences actuellement exercées par les magistrats pourraient être confiées, afin de permettre à ces derniers de se recentrer sur la prise de décision et sur les contentieux complexes.
Je songe, par exemple, à la possibilité d’ordonner des mesures d’instruction avec l’accord des parties, de soulever d’office l’incompétence territoriale ou des irrecevabilités manifestes, ou encore à une compétence générale propre en matière d’homologation gracieuse ou à une compétence déléguée en matière d’injonction de payer. Que pensez-vous de ces propositions ?
Vous avez par ailleurs annoncé, dans vos deux circulaires du 8 octobre dernier relatives aux expérimentations sur l’assistance au magistrat et sur l’accueil unique du justiciable, que les juridictions dans lesquelles ces expérimentations seront menées bénéficieront de renforts, ce qui est une condition indispensable à leur réussite. Pourriez-vous nous préciser les effectifs qui seront affectés à cette fin ?
Une autre condition de la réussite de la réforme « justice du XXIe siècle » est, à mon sens, que le tandem « greffier-magistrat » fonctionne bien, sans tensions. Cela n’est pas toujours le cas. Ne pensez-vous pas qu’il serait utile pour bâtir, dès la formation initiale, une culture professionnelle commune, de développer les formations communes aux auditeurs de justice et aux futurs greffiers et greffiers en chef ?
Enfin, pourriez-vous confirmer que les primes exceptionnelles prévues par le protocole du 15 juillet dernier seront bien versées au 30 octobre 2014, comme le prévoit ledit protocole ?
M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à l’administration pénitentiaire. La lutte contre la radicalisation islamiste dans les prisons est un sujet très compliqué sur lequel nous devons nous garder de toute caricature, de tout amalgame mais aussi de tout déni.
Il faut être très à l’écoute des acteurs de terrain qui ont envie de s’exprimer sur ces questions, en particulier les personnels surveillants, qui font un travail très difficile.
J’ai la conviction qu’il faut anticiper le traitement à venir par l’administration pénitentiaire des Français ou étrangers résidant en France qui sont partis faire le djihad dans la zone irako-syrienne et qui seront probablement incarcérés à leur retour. Au nombre de 53 aujourd’hui, disséminés dans les maisons d’arrêt d’Île-de-France, ils seront hélas plus nombreux demain.
Monsieur le président, je n’ai pas l’intention de m’excuser de vouloir porter ce débat, au-delà du Parlement, sur la place publique car il s’agit d’un sujet d’intérêt national.
Je présente dans mon rapport quatre axes de propositions qui ne se veulent pas polémiques mais aussi concrètes et opérationnelles que possible.
En premier lieu, je souhaite une réflexion pour améliorer la capacité de renseignement au sein de l’administration pénitentiaire. Il faut systématiser les efforts de renseignement déjà engagés mais aussi mieux organiser la coopération avec les services de contre-espionnage du ministère de l’intérieur et privilégier le renseignement humain, ce qui suppose d’améliorer la formation des personnels au recueil et à l’analyse du renseignement ainsi que certaines évolutions techniques.
En deuxième lieu, il convient de définir un discours anti-radicalisation. Cela signifie apporter un plus grand soutien aux aumôniers musulmans agréés par l’État, qui sont au nombre de 178 aujourd’hui, en les outillant pour s’opposer aux imams autoproclamés dans le milieu pénitentiaire. En outre, nous gagnerions à nous inspirer de l’exemple britannique. J’ai noté avec satisfaction que la Chancellerie en avait pris le chemin en publiant un appel d’offres pour élaborer avec des sociologues des outils anti-radicalisation. Je sais que Dounia Bouzar que j’ai auditionnée y travaille.
En troisième lieu, il faut réduire la capacité d’essaimage des radicaux dans les établissements pénitentiaires. Sur ce sujet très compliqué, je ne plaide pas pour la concentration des détenus radicaux, radicalisés ou radicalisateurs, en un seul établissement qui deviendrait une sorte de Guantanamo à la française mais je refuse le statu quo : la dissémination des radicaux dans ce que les surveillants appellent le tour de France des prisons me semble lourde de dangers. Je propose donc d’expérimenter la création dans certains établissements d’unités spécialisées anti-radicalisation – des quartiers réservés avec des personnels formés spécialement.
Enfin, quatrième idée, la prison est un lieu clos qui a vocation à le rester. Or, trop souvent, elle permet les échanges avec l’extérieur, en particulier du fait de l’intrusion illégale de téléphones portables et donc d’internet. En dépit des progrès dans la lutte contre les téléphones portables, des solutions techniques devraient être recherchées en liaison avec les opérateurs téléphoniques.
Mon rapport contient vingt propositions soumises à votre sagacité, madame la garde des sceaux. À ce stade, l’effort d’anticipation reste perfectible. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission.
Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse. Dans un contexte budgétaire très difficile, la justice est bien une priorité pour le Président de la République. Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » connaît une quasi-stabilité de ses crédits de paiement et une augmentation de ses effectifs de 60 postes. Si elle paraît modeste, cette évolution est à mettre en regard de plusieurs années de baisses brutales de crédits sous les précédentes législatures.
Je m’inscris dans la continuité des rapports présentés par mon collègue Jean-Michel Clément.
Pour nourrir mon rapport sur les jeunes filles mineures auteures d’infractions, je suis allée à la rencontre des professionnels dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, les centres éducatifs renforcés ou des foyers. Ces personnels sont très investis dans un métier difficile qui demande beaucoup d’engagement et d’humanité. Ils remplissent leur mission avec une grande lucidité.
À rebours de certains a priori, les jeunes filles sont très minoritaires dans la délinquance des mineurs. Elles représentent 17 % des mineurs condamnés, 10 % des mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse et 1,4 % des mineurs incarcérés.
Pour autant, la prise en charge de ces jeunes filles en grande souffrance constitue un défi à plusieurs titres : le premier d’entre eux est celui de la mixité. Si elle est un impératif pour le bien vivre dans notre société, elle peut être vécue comme une difficulté pour les professionnels, en particulier pour ceux qui s’occupent de jeunes filles ayant subi des violences de la part du sexe opposé. Elles doivent réapprendre le respect d’elles-mêmes et des autres.
Il me semble également important de lutter contre le cloisonnement des informations. Le grand nombre d’intervenants auprès des mineures est souvent responsable d’une mauvaise circulation de l’information entre les différents professionnels, en particulier entre le personnel médical et le personnel pénitentiaire. Il faut favoriser le travail en équipe pour faciliter une prise en charge globale des mineurs et une plus grande efficacité de celle-ci.
Il faut enfin veiller à la cohérence et à la continuité des actions dans le cadre du parcours judiciaire, en permettant par exemple d’assurer une sortie en douceur de l’emprisonnement vers un centre éducatif puis vers un placement dans une famille ou un foyer.
À cet égard, l’idée d’un mandat global mérite d’être étudiée même si elle compte aussi quelques détracteurs. Ces questions seront sans doute abordées dans le cadre de la réforme de la justice des mineurs que nous attendons.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois pour les crédits relatifs à l’accès au droit et à la justice. Je suis pour la première année les crédits du programme « Accès au droit et à la justice », dont la rapporteure pour avis était Nathalie Nieson. Je tiens à saluer le travail qu’elle a accompli sur ce sujet, et en particulier sur l’aide aux victimes, au cours des deux dernières années.
J’ai choisi de consacrer mon avis à l’accès au droit. L’aide juridictionnelle représente, certes, plus de 90 % des crédits dont je suis le rapporteur, et son financement fait l’objet d’une réforme importante cette année, mais notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec ayant été chargé d’une mission auprès de vous, Mme la garde des Sceaux, sur ce même sujet, il m’a semblé que nous ferions un peu double emploi.
La politique de l’accès au droit ne recueille pas toute l’attention qu’elle mériterait et fait figure de parent pauvre de l’aide juridique, au regard de l’aide juridictionnelle. Cette politique représente pourtant des enjeux considérables en termes de justice sociale et d’égalité des territoires. Sans accès au droit, l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi » devient illusoire, surtout pour les populations les plus fragiles. Sans accès au droit, il ne peut y avoir d’accès aux droits. La connaissance de ses droits est un préalable indispensable à leur exercice, et donc à leur effectivité. Le non-recours aux droits sociaux est d’ailleurs un phénomène de grande ampleur, évalué à plusieurs milliards d’euros par an.
J’ai rencontré, pour rédiger mon rapport, des représentants de tous les acteurs impliqués dans cette politique : le service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes du ministère, naturellement, le Conseil national de l’aide juridique, des représentants des professions juridiques, des conseils départementaux de l’aide juridique et des maisons de la justice et du droit (MJD). Je me suis également rendu dans la MJD de Saint-Denis et dans le point d’accès au droit (PAD) du 20ème arrondissement, géré par l’association Droits d’urgence. J’ai pu constater le dynamisme, l’enthousiasme et la générosité des personnes qui agissent pour que cette politique d’accès au droit soit une réalité sur le terrain.
C’est grâce à ces personnes que, depuis sa mise en place par la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique, l’accès au droit s’est considérablement développé. 101 conseils départementaux de l’accès au droit ont été créés ; il existe aujourd’hui 137 MJD ainsi que 1 200 PAD répartis sur l’ensemble du territoire - seuls les départements de la Lozère et de l’Yonne n’en sont pas dotés. Des PAD spécialisés ont été créés en établissements pénitentiaires et dans les hôpitaux psychiatriques, ce qui est une excellente initiative car les personnes concernées ont besoin d’être informées sur leurs droits.
Il reste cependant beaucoup à faire, et je me félicite que vous ayez retenu le renforcement de l’accès au droit parmi les priorités de l’action que vous menez pour bâtir la justice du XXIe siècle. Vous avez annoncé le dépôt, au premier semestre 2015, d’un projet de loi qui réformera la loi du 10 juillet 1991. Je formule dans mon avis une douzaine de propositions qui contribueront, je l’espère, à nourrir les travaux préparatoires de ce futur projet de loi. J’ai pu constater que la connaissance de ses droits permet d’éviter le recours à la justice. Les associations me l’ont dit, lorsque l’usager est correctement informé, 25 % des contentieux seraient évités.
Je propose de renforcer le rôle de pilotage de cette politique par le Conseil national de l’aide juridique, qui m’a paru être beaucoup plus impliqué, ces dernières années, sur l’aide juridictionnelle que sur l’accès au droit, ce qui est dommage. J’approuve votre proposition de réformer la gouvernance des conseils départementaux de l’accès au droit, afin d’impliquer davantage toutes les juridictions du département et les MJD. L’extension de leur compétence à l’aide aux victimes me paraît aussi aller dans le bon sens.
Je partage pleinement votre volonté de doter chaque MJD d’un greffier, comme le prévoit d’ailleurs le code de l’organisation judiciaire depuis longtemps. Un greffier en MJD, c’est un greffier en moins dans une juridiction : atteindre cet objectif exigera donc de procéder à des créations d’emplois de greffiers supplémentaires. Parmi les 30 créations d’emplois de greffiers en 2015, pourriez-vous nous indiquer combien seront affectés en MJD ?
Je me félicite, par ailleurs, de la création de nouvelles MJD. Pourriez-vous nous confirmer que l’une d’entre elles, celle de Pontivy d’après mes informations, participera à l’expérimentation de l’accueil unique des justiciables ? Ne faudrait-il pas, à terme, aller plus loin, et créer des MJD de troisième génération, dans lesquelles pourraient se tenir des audiences ? Ce serait une manière de lutter contre les déserts judiciaires que la réforme de la carte judiciaire a créés.
Enfin, ne pensez-vous pas que les points d’accès au droit devraient être plus largement encouragés au travers des futures maisons de l’État qui ont vocation à se déployer sur certains territoires ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je remercie les rapporteurs pour leurs travaux de grande qualité.
Je répondrai à leurs questions sur les thèmes qu’ils ont choisi d’explorer tout en m’efforçant de faire apparaître la cohérence et l’esprit de ce budget qui demeure prioritaire. En hausse de 2,3 %, il fait en effet partie des quatre budgets qui connaissent une augmentation cette année et qui autorisent des créations d’emplois – 500.
Ce budget répond à la préoccupation du Président de la République et du Gouvernement d’assurer un service public de la justice, au plus proche des citoyens, plus diligent et plus performant. Il donne également les moyens de mettre en œuvre les lois adoptées depuis le début de la législature et les précédentes. Sont notamment prises en compte les dispositions relatives à la prévention de la récidive et au renforcement de l’efficacité des sanctions pénales, la réforme pour « la justice du XXIe siècle », les mesures relatives à l’hospitalisation sans consentement ainsi qu’au juge des libertés et de la détention.
S’agissant des créations d’emplois, elles sont ventilées, selon les besoins créés par les dispositions législatives, vers les services judiciaires, la protection judiciaire de la jeunesse et l’administration pénitentiaire.
La capacité de création d’emplois est renforcée par des efforts supplémentaires dans certains domaines. Nous avons ainsi décidé de combler les vacances identifiées dans les services pénitentiaires.
Afin d’éclaircir un mystère sur les créations d’emplois – en l’occurrence, l’écart récurrent entre effectifs théoriques et réels de l’administration pénitentiaire –, j’ai diligenté un audit de l’Inspection générale des finances. Depuis deux ans, j’en étais venue à m’interroger sur la capacité de l’administration pénitentiaire à créer des emplois et à maîtriser la masse salariale. Or, il ressort de cet audit que l’écart est dû au défaut de création des emplois annoncés dans les trois derniers projets de loi de finances de la précédente législature.
Ce n’est pas pour vous être désagréable que je vous donne ces indications mais je suis satisfaite d’avoir résolu une énigme, ce que même la perspicacité de M. Blanc n’avait pas permis de faire …
J’ai donc obtenu que ces postes vacants soient comblés et qu’ils s’ajoutent aux 500 postes créés dans l’administration pénitentiaire pour atteindre 534 postes supplémentaires dont 200 sont créés depuis septembre 2014.
Il reste certains écarts inévitables, qualifiés d’écarts frictionnels, qui sont imputables au temps de formation – 31 mois pour les magistrats, 24 mois pour les greffiers et l’administration pénitentiaire.
Nous avons fait des efforts pour améliorer les indicateurs de performance. Le taux de réponse pénale est stable et élevé – plus de 85 % et 95 % pour les mineurs.
Les frais de justice permettent aux juridictions d’exercer leur activité juridictionnelle. Il est inconcevable de décider en début d’année de limiter la capacité des juridictions à ordonner des expertises ou à recourir à des interprètes. Nous appliquons donc le principe de la liberté de prescription pour les magistrats tout en faisant des efforts de maîtrise des coûts. Des économies seront réalisées notamment grâce à la plateforme nationale d’interception judiciaire, à une rationalisation de certains frais médicaux ainsi qu’à la possibilité de communication électronique que vous avez validée en première lecture dans le projet de loi d’habilitation.
Monsieur Jean-Yves Le Bouillonnec, je vous remercie d’avoir rappelé le rôle important joué par les greffiers dans les juridictions ; ceux-ci représentent en effet des acteurs clés de la réforme « justice du XXIe siècle ». Contrairement au passé, nous créons les postes de greffiers qui doivent accompagner les nouveaux magistrats. Nous avons décidé de dédier 30 postes de greffiers à l’élaboration de la justice du XXIe siècle en 2015, puis 20 nouveaux agents en 2016 et en 2017. Dans ce cadre, des expérimentations, qui concernent le service d’accueil unique de la justice, ont débuté.
Cela fait une dizaine d’années que les greffiers n’ont pas connu de revalorisation statutaire et indemnitaire ; j’avais indiqué, les deux années précédentes, que nous n’étions pas en mesure de fournir cet effort, mais que nous le programmions pour 2015 : nous tenons parole, puisque nous avons signé un protocole de 11 millions d’euros avec les trois principales organisations syndicales, qui permet de procéder à cette revalorisation, d’améliorer le statut d’emploi et le lissage de la carrière, et d’offrir des perspectives plus intéressantes en termes de qualification.
Nous menons parallèlement un effort d’intégration des adjoints administratifs et de croissance de la rémunération des personnels de catégorie C qui reçoivent un salaire modeste et pour lesquels nous avons augmenté les primes exceptionnelles depuis deux ans puisqu’il s’avère difficile de décider d’une hausse du traitement hors primes.
Nous organisons des échanges entre magistrats et greffiers pour développer la mixité de la culture professionnelle, les écoles nationales de la magistrature et des greffes (ENM) et (ENG).
Nous avons lancé une expérimentation sur l’équipe de travail autour du magistrat, qui vise à permettre aux greffiers d’exercer des missions plus conformes à leurs qualifications et à la qualité des services qu’ils fournissent, et, partant, plus valorisantes.
Monsieur Guillaume Larrivé, nous avons décidé de réarticuler les politiques carcérale et pénale afin d’accroître la cohérence de la politique publique de la justice et de la présentation du budget. La disjonction entre ces deux piliers, opérée au cours du précédent quinquennat, s’avérait néfaste. La loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales crée la contrainte pénale, qui constitue un progrès, puisque cette peine sera exécutée en milieu ouvert tout étant encadrée par des dispositions précises, mais contient également plusieurs mesures qui touchent au milieu fermé.
Nous effectuons les efforts budgétaires nécessaires pour mettre en œuvre efficacement les dispositions relatives au milieu ouvert, et nous conduisons la même action pour le milieu fermé en créant des postes, selon la disponibilité de nos crédits, pour bien doter les nouveaux et les anciens établissements parlementaires.
La politique pénitentiaire repose également sur la création de nouvelles places. Dans les trois prochaines années, nous consacrerons 1 milliard d’euros en AE pour 3 200 places supplémentaires nettes, compte tenu de la suppression de plus de 1 000 places vétustes.
Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) verront leurs effectifs augmenter de 1 000 agents et leurs crédits de fonctionnement de 10 %.
Nous créons des postes de magistrats depuis 2013 pour appliquer les nouveaux textes : 40 nouveaux emplois en 2015, dont 24 dans le cadre de la réforme « justice du XXIe siècle.
Monsieur Guillaume Larrivé, vous avez décidé de mettre la lumière sur la radicalisation islamiste en prison. Certains de vos collègues se sont plaints d’avoir été informés après les journalistes, et je regrette que vous n’ayez pas auditionné les membres de mon cabinet, le ministère de la justice dans son ensemble se trouvant toujours à la disposition du Parlement. Nous aurions pu ainsi vous renseigner sur ce sujet, que vous avez raison de qualifier de « délicat » et de vouloir aborder avec responsabilité. J’ai le plaisir ou le regret de vous informer que la plupart de vos propositions sont déjà mises en œuvre et produisent leurs effets.
Je ne comprends pas comment vous pouvez avancer des estimations chiffrées sur la population musulmane en prison, puisque les statistiques ethniques et religieuses n’existent pas dans notre pays. En conséquence, j’ignore les enseignements que l’on peut tirer de vos données, si ce n’est une stigmatisation qui mériterait au moins d’être argumentée.
Nous avons renforcé le renseignement pénitentiaire en 2012 puis en 2013 dans le cadre du plan de sécurisation de 33 millions d’euros élaboré en juin de l’année dernière. À cette occasion, nous avons créé sept nouveaux postes dans ce domaine et avons réorganisé le renseignement pénitentiaire dans l’ensemble du territoire. L’école nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) assurera la formation initiale et continue de ces personnels. Nous avons également créé 30 postes d’aumôniers musulmans ; il y en a maintenant 178 au total, alors qu’ils n’étaient que 151 lorsque nous sommes arrivés au pouvoir. Le problème que vous soulevez, monsieur le député, n’est pas récent, mais il n’avait été traité ni dans sa composante de renseignement, ni dans celle de la présence d’aumôniers musulmans, puisque seuls quatre postes avaient été créés entre 2009 et 2012.
Vous nous suggérez de travailler avec le ministère de l’intérieur, mais nous le faisons déjà ! Ainsi, nos personnels de renseignement pénitentiaire participent aux états-majors de sécurité à l’échelle départementale, ce qui permet un échange d’informations. Nous signalons aux services du ministère de l’intérieur les détenus sortant de prison lorsqu’une suspicion de radicalisation violente existe. Le directeur pénitentiaire est associé aux actions de l’unité de coordination de lutte antiterroriste (UCLAT). M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, et moi-même avons publié deux circulaires communes ; nous avons élaboré, en lien avec les ministères des affaires étrangères, et de l’intérieur, un plan gouvernemental qui a permis l’installation d’une plateforme téléphonique et numérique pour les signalements de comportements suspects ; nous avons ainsi pu empêcher 70 départs de personnes vers le Moyen-Orient.
Le plan de sécurisation des prisons, déployé en deux étapes cette année, vise à lutter contre les projections, à installer des portiques à masse métallique et à ondes millimétriques et à développer des équipes cynotechniques – qui existent depuis juillet dernier à Reims et à Lyon.
Aux ressentis, j’oppose des faits qui, eux, sont probants.
Madame Nathalie Nieson, je connais votre sensibilité à la question des victimes. Notre politique d’aide aux victimes s’avère vigoureuse depuis notre arrivée au pouvoir, le budget qui lui est consacré augmentant de 22 % – pour atteindre 16,8 millions d’euros – dans ce projet de loi de finances (PLF) par rapport à l’année dernière. En 2012, les crédits atteignaient 10 millions d’euros, et nous les avons augmentés de 26 % à 12,8 millions d’euros en 2013, puis de 7 % à 13 millions en 2014. Nous poursuivrons cet effort dans les prochaines années.
Ces crédits aident les associations dans leur remarquable travail auprès des victimes. Nous avons ouvert une centaine de bureaux d’aide aux victimes, tous les tribunaux de grande instance (TGI) devant en compter un.
Nous expérimentons, dans huit TGI depuis janvier 2014, des dispositions de la directive du 25 octobre 2012, non encore transposée dans notre droit, comme le suivi individualisé des victimes.
Nous avons un établissement réservé aux jeunes filles auteurs d’infraction, mais la règle générale reste la mixité. Lorsqu’une seule fille se trouve dans un centre mixte, cela pose des difficultés. Le temps passé dans un établissement ne constitue qu’une étape au sein d’un parcours. Parmi les mineurs incarcérés, 4 % sont des filles ; elles représentent 10 % des jeunes suivis par les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). La délinquance des filles est estimée à 17 %, et la moitié des filles condamnées le sont pour des faits de vol.
Monsieur Jean-Michel Clément, la question de l’accès au droit touche celle des professions réglementées. Un accès au droit facilité permet de prévenir et de résoudre des litiges avant l’enclenchement d’une procédure judiciaire. Nous cherchons à faire des maisons de la justice et du droit de véritables sites judiciaires, comme le prévoit le code de l’organisation judiciaire, et nous y affectons, dans cette optique, des greffiers. L’accès au droit participe de la justice du XXIe siècle et s’intègre dans l’architecture des sites judiciaires dans l’ensemble du pays. Nous avons commencé par lutter contre les déserts judiciaires en procédant à la réouverture de TGI et à la création de chambres détachées. Nous réformons la gouvernance des conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et des points d’accès au droit (PAD). Le service d’accueil de la justice, aujourd’hui en expérimentation, remplira une mission d’information, assurée par des greffiers ayant reçu une formation spécifique. Nous élaborerons prochainement, en associant étroitement la représentation nationale, la cartographie de l’accès au droit, qui montrera le maillage territorial de l’ensemble des structures qui permettent aux citoyens, selon leurs besoins, d’avoir accès au droit.
Mme Cécile Untermaier. Le budget pour l’année 2015 augmente par rapport à l’année précédente pour le troisième exercice consécutif ; cela confirme le caractère prioritaire de la justice pour le Gouvernement.
La plupart des programmes de la Mission « Justice » bénéficient de cette poussée budgétaire ; ainsi les crédits du programme « Accès au droit et à la justice » affectés à l’aide aux victimes progressent. Ce programme comporte également la hausse indispensable de l’aide juridictionnelle, qui garantit l’accès au droit des plus pauvres et de ceux qui rencontrent de nombreuses difficultés. Il convient également de saluer la revalorisation de l’indemnité versée aux avocats, tant pour prendre en compte le travail consacré à l’étude du dossier que pour valoriser l’expertise de cet auxiliaire de justice ; cette hausse devrait atteindre 50 millions d’euros comme le préconise notre collègue M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
Le programme de la « Protection judiciaire de la jeunesse » connaît une croissance remarquable de ses crédits dans le contexte de crise que nous connaissons. Cette augmentation se traduit par la création de nouveaux équivalents temps plein (ETP), utiles à l’application de nos réformes.
Le programme « Justice judiciaire » accuse une légère baisse par rapport à celui de 2014 ; pour autant, le nombre d’ETP progressera légèrement, cette augmentation s’avérant particulièrement salutaire au vu des conditions dans lesquelles les agents du service public de la justice remplissent leurs missions après les coupes budgétaires effectuées par la précédente majorité. Le point d’indice des greffiers se trouve revalorisé, ce qui répond à l’une des revendications exprimées lors du mouvement du printemps dernier.
Enfin, la hausse des frais de justice, certes modeste, doit être soulignée, car ils participent au bon fonctionnement de notre justice.
M. Guy Geoffroy. Nous regrettons que le temps offert aux porte-parole des groupes ait été réduit de cinq à deux minutes.
Certes, les crédits augmentent légèrement, mais un Français verse 61,2 euros par an pour la justice, soit à peine plus de la moitié du montant allemand, qui atteint 114 euros. La France se classe au 37e rang européen en la matière – sur 45 pays et derrière des pays comme la Géorgie et la Turquie ! Les procureurs français sont parmi les moins nombreux d’Europe, puisqu’on n’en compte que 2,9 pour 100 000 justiciables, la moyenne européenne se situant à 11,8.
Le nombre de conseillers sera-t-il suffisant en 2014 et en 2015 pour faire face aux conséquences de la contrainte pénale, sachant qu’il en faudrait 1 000 nouveaux ? Au mieux, ils ne pourraient être, compte tenu des temps de formation, que 300 en 2015. Comment comptez-vous gérer cette situation ?
Vous aviez évoqué la construction de 6 500 nouvelles places de prison ; or la lecture des documents budgétaires ne fait apparaître que 2 881 nouvelles places. Comment justifiez-vous cet écart ?
L’article 56 du PLF, rattaché à la mission « Justice », dispose que le droit de timbre pour interjeter appel augmentera de 150 à 225 euros, soit une progression de 50 % ! Or vous n’aviez pas cessé de vilipender notre action lorsque nous avions osé financer l’aide juridictionnelle par une contribution de 35 euros par justiciable. Qu’avez-vous à nous dire à ce propos, madame la garde des sceaux ?
M. Sergio Coronado. Monsieur Guillaume Larrivé, votre rapport alimente depuis ce matin la presse de droite et d’extrême droite sur le fondement de déclarations alarmistes et de chiffres contestables ; or nous avons découvert ce rapport en arrivant dans cette salle, et il aurait été bien plus correct à l’égard de la représentation nationale que la présentation du rapport devant la commission précède ce plan médias.
Je me réjouis que la hausse des moyens dévolus à la justice se poursuive.
La hausse continue du nombre de places dans les prisons – 10 000 en dix ans – n’a pas réglé le problème de la surpopulation carcérale, le taux d’occupation des maisons d’arrêt, stable depuis 2012, atteignant 134 %. L’article 100 de la loi pénitentiaire avait repoussé la perspective de l’encellulement individuel au 24 novembre 2014, après un premier report après celui de la loi de 2003. Comment le Gouvernement compte-t-il mettre en place l’encellulement individuel, dont la perspective se trouve encore une fois retardée ? Utilisera-t-il les mêmes mauvaises règles que celles déployées par le Gouvernement précédent en 2008 ? Quel est le nombre de cellules ? Quelle est leur ventilation en fonction de leur taille et du nombre de places ? Pourrions-nous connaître le nombre de détenus en surnombre, prison par prison, et celui de prisonniers dormant sur un matelas à même le sol.
M. Marc Dolez. Le recours de l’administration pénitentiaire aux partenariats entre le public et le privé (PPP) continuera de croître en 2015 et représentera un montant total supérieur à 300 millions d’euros en 2018.
Pourquoi n’avez-vous pas retenu, madame la garde des sceaux, la proposition de l’ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) de rétablir progressivement l’encellulement individuel plutôt que de le repousser à 2017 ?
Quel est le calendrier de présentation du projet de loi prévoyant la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, à laquelle le Gouvernement s’est engagé ? Quand sera refondée l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ?
Depuis le 1er janvier 2014, la prise en charge d’un mineur délinquant par les services éducatifs doit s’effectuer dans un délai de cinq jours à compter de la date du jugement. Pourriez-vous nous dresser un premier bilan de l’application de cette mesure ?
Pourquoi prolonger et augmenter la taxe acquittée pour interjeter appel, qui constitue une restriction financière à l’accès au juge ?
Quelle appréciation portez-vous sur la réforme des prud’hommes telle que M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, l’a esquissée la semaine dernière ?
M. François Rochebloine. Madame la garde des sceaux, la situation de la maison d’arrêt de La Talaudière dans le département de la Loire illustre les problèmes quotidiens de la condition carcérale. Votre administration considère cet établissement comme l’un des quinze plus vétustes de notre pays.
La première urgence a trait à la rénovation des locaux, indispensable à défaut de reconstruction, puisque cette maison d’arrêt ne répond pas aux normes actuelles. Plusieurs tranches de ces travaux sont en cours ou programmées, l’état de dégradation des locaux s’avérant préoccupant. Le réseau d’eau est à reconstruire, la cour de promenade n’est toujours pas achevée, la cour des sports figure en tranches conditionnelles. Que dire de l’absence de dispositifs empêchant les projections depuis l’extérieur, sans parler des nuisances et de l’insécurité que subissent les riverains ?
Le taux d’occupation de la maison d’arrêt dépasse constamment la capacité théorique d’accueil des locaux. Avec 349 détenus à la fin septembre, dont 21 femmes, ce taux dépasse 120 % dans le secteur des hommes.
Les personnels se trouvent en sous-effectif, et, bien que ce problème ne soit pas propre à cette maison d’arrêt, cette situation ne facilite pas la mission des agents de surveillance. L’effectif théorique pour la surveillance est de 106 agents, mais près de dix postes ne sont pas pourvus. Au total, l’établissement ne compte que 137 agents sur 154 théoriques. Les personnels sont découragés et certains d’entre eux ont démissionné.
Après la découverte d’une grenade défensive dans les locaux en mars dernier, j’avais espéré qu’une fouille générale soit organisée puisque la dernière remonte à 2005. L’administration s’est contentée d’une fouille partielle qui a quand même donné d’excellents résultats : il faut aller plus loin !
Madame la garde des sceaux, la situation s’avère urgente, et je serais heureux de vous accueillir dans ma circonscription pour visiter cette maison d’arrêt.
Mme Laurence Dumont. Madame la garde des sceaux, les augmentations de crédits n’empêchent pas la justice française de rester trop pauvre, car la situation de départ était trop dégradée. Trop longtemps, le dévouement des personnels, qui ont parfois travaillé dans des conditions à la limite de la décence, a compensé l’insuffisance budgétaire. Il reste du chemin à parcourir malgré les effets de la politique que vous avez mise en œuvre depuis trois ans.
Ce budget, dont les crédits sont maintenus dans un cadre financier pourtant très contraint, permet de dégager les moyens nécessaires à l’application de la loi pénale grâce aux importants recrutements prévus dans les SPIP et à l’augmentation de leurs crédits de fonctionnement et d’investissement. Ces services apportent un accompagnement essentiel à l’insertion des personnes détenues et au recul de la récidive. Si les créations de postes sont indispensables, la formation le sera tout autant.
En milieu fermé, les personnes doivent bénéficier un traitement digne, ce que permet le programme de construction de nouveaux établissements palliant la fermeture des prisons trop vétustes. Quels méthodes et principes le ministère entend suivre pour le dimensionnement, l’implantation, le coût et le financement des reconstructions ? Par ailleurs, il convient de concrétiser l’objectif de l’encellulement individuel, essentiel au traitement digne des personnes détenues.
La conjonction des politiques mises en œuvre depuis trois ans et l’effort important porté par ce budget doivent permettre d’agir efficacement sur les conditions de détention et sur la surpopulation carcérale, celle-ci atteignant des niveaux trop élevés.
Avec mon collègue M. Philippe Duron et le maire de Caen, M. Joël Bruneau, nous vous avons écrit au sujet de la situation de la maison d’arrêt de Caen en juillet dernier. Je dénonce le projet depuis plus de dix ans – date à partir de laquelle les parlementaires peuvent visiter les établissements pénitentiaires. La dignité des prisonniers et des personnels qui y travaillent quotidiennement en dépend. Quels sont vos arbitrages sur la reconstruction de cette maison d’arrêt ?
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Madame la garde des sceaux, alors même que votre budget augmente de 1,6 % dans cette période de forte contrainte financière, et qu’une priorité est fixée en faveur de la justice, je souhaiterais attirer votre attention sur les délais – voire les carences – d’affectation de magistrats et de greffiers dans certaines juridictions, notamment en milieu rural. Il faut parfois attendre plus d’un an pour qu’un substitut au procureur de la République ou un greffier soient nommés, ou qu’un magistrat du siège vienne compléter une formation de jugement d’un TGI.
Ce problème n’est certes pas nouveau, mais il menace la qualité des décisions judiciaires et allonge le temps nécessaire à la justice pour statuer. Les chefs de juridiction dénoncent cette situation. Alors que le nombre de juridictions reste stable, pourquoi la gestion des ressources humaines s’avère-t-elle si difficile dans ce ministère ?
M. Dominique Raimbourg. J’attendais avec impatience l’exposé de notre collègue, M. Guillaume Larrivé, car j’ai dû commenter son rapport à la télévision, alors que je n’en connaissais que ce que Le Figaro en disait ce matin. Je le rejoins en tout cas pour refuser de polémiquer sur un tel sujet qui nécessite le rassemblement.
La loi du 15 août 2014 vise à mettre fin aux sorties sèches. Ne peut-on pas utiliser le dispositif mis en place pour surveiller ceux qui auraient pu se radicaliser sans que les personnels pénitentiaires ne s’en aperçoivent ? Quel est le calendrier de l’application de cette loi ? Quels seront les moyens déployés pour suivre les personnes quittant la prison ?
M. Philippe Goujon. Madame la garde des sceaux, vous n’avez pas chiffré l’indemnisation que l’État devra verser aux notaires ayant déjà une étude en cas d’instauration de la liberté totale d’installation ? Ceux-ci évoquent un montant total de 8 milliards d’euros. M. Emmanuel Macron prévoit aussi de fusionner les professions d’huissier de justice, de mandataire judiciaire, de commissaire-priseur judiciaire. Comment envisagez-vous de maintenir le maillage territorial de la justice et d’indemniser les cabinets en place ?
La loi du 15 août 2014 créera un surcroît de travail considérable pour les juges correctionnels et les procureurs, et certains ont laissé entendre dans la presse qu’ils n’appliqueraient pas la nouvelle contrainte pénale. Les juges d’application des peines (JAP) devront examiner les dossiers de tous les condamnés arrivant aux deux tiers de leurs peines, ce qui devrait concerner de 3 500 à 7 000 détenus. Que répondez-vous à ces inquiétudes ? Quelles dispositions comptez-vous prendre pour éviter que soient relâchés sans suivi de dangereux délinquants ?
Enfin, comptez-vous achever la réforme sur les transfèrements, qui se trouve en sommeil depuis 2012 puisque seules sept ou huit régions l’appliquent ?
M. Joaquim Pueyo. Madame la garde des sceaux, ce budget prévoit un effort soutenu pour poursuivre la rénovation des établissements pénitentiaires, puisque 6 500 places supplémentaires seront créées entre 2015 et 2017. Néanmoins, cette réponse en termes de places ne peut suffire. La lutte contre la radicalisation passe également par le renforcement des programmes d’insertion en prison fondés sur l’éducation et la formation. Dans le même temps, il convient de développer l’encellulement individuel, qui permet de mieux surveiller les détenus et d’accompagner les plus vulnérables qui pourraient se laisser influencer par une longue exposition à des idées radicales.
La lutte contre la surpopulation carcérale ne constitue pas qu’une question de dignité et de réinsertion, car elle renvoie aussi à la sécurité des personnels qui doivent faire face à des conditions de travail délicates.
Certains critiquent la trop grande taille des nouveaux établissements, suspectés de ne pouvoir assurer la bonne application des politiques que nous souhaitons engager. Ce n’est pas la taille des établissements mais l’organisation de la vie en leur sein qui constitue l’élément primordial ; il vaut mieux une maison d’arrêt accueillant 800 détenus dans des conditions dignes et adaptées aux objectifs d’accompagnement et de réinsertion qu’un établissement de petite taille dans lequel les détenus s’entassent à plusieurs par cellule et où la violence entre les prisonniers et envers les personnels s’avère forte.
Le droit pénal nous donne déjà les moyens d’isoler les éléments radicalisés ou les prosélytes ; nous pouvons déjà renforcer le renseignement pénitentiaire et augmenter le nombre d’aumôniers. En revanche, on ne doit pas imiter ce qu’ont mis en place certains pays en matière de quartiers spécifiques, comme l’Irlande avec l’armée républicaine irlandaise (IRA). La France avait souhaité regrouper tous les prisonniers basques il y a quelques années, et ce fut un échec total. Je vous recommande d’adopter une grande prudence sur ce sujet.
M. Jean-Frédéric Poisson. Je m’élève contre la limitation du temps de parole qui nous est imposée. Ce n’est pas la tradition à la commission des lois, et les commissaires respectent une autodiscipline qui permet de contenir les débats dans une durée normale. Je déplore que, sur un tel budget, nous en soyons réduits à ne pouvoir interroger que si brièvement la garde des sceaux. À ma demande, le bureau de la commission des lois traitera de cette question.
M. le président Gilles Carrez. Les modalités de la discussion du projet de loi de finances ont été fixées par la conférence des présidents. Le choix, qu’à titre personnel je regrette, a été fait d’examiner chacune des trente missions et en commission élargie et en séance publique. Parce que cela demande beaucoup de temps aux députés et aux ministres, des règles strictes ont été établies que je suis tenu de faire respecter et que je m’efforce d’appliquer avec discernement.
M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne l’ignore pas, monsieur le président, et ma remarque ne vous visait pas personnellement. Mais puis-je faire observer que laisser cinq minutes au lieu de deux à six représentants de groupe pour donner leur point de vue sur un budget d’une telle importance, c’est « perdre » 18 minutes ? Cette méthode de travail, qui prive les parlementaires du droit de s’exprimer comme ils le souhaitent, n’est pas la bonne. Je ne doute pas que vous transmettrez mes observations à la conférence des présidents. Je les ferai moi-même connaître largement.
Quels sont, madame la garde des sceaux, l’évolution, le volume et la répartition du budget consacré aux associations d’aide à la réinsertion des détenus ? J’avais appelé votre attention, l’an dernier, sur les problèmes de trésorerie des établissements pénitentiaires, incapables, en fin d’année notamment, de régler leurs factures dans des délais normaux ; comment cela a-t-il évolué ? Enfin, je m’associe aux questions qui vous ont été posées sur l’allongement du moratoire pour l’encellulement individuel et sur la réforme des conseils de prud’hommes.
Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis. Vous avez parlé, madame la garde des sceaux, des financements destinés aux associations d’aide aux victimes et je vous en remercie. Cependant, les besoins demeurent importants. Nous pensions avoir trouvé une ressource nouvelle en prévoyant, dans la loi relative à l'individualisation des peines, la majoration des amendes pénales et de la « contribution victime ». Malheureusement, ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 7 août 2014, l’a jugé contraire au principe de l’individualisation des peines. Avez-vous exploré des pistes alternatives ?
Mme Cécile Untermaier. Depuis quelques années, la dématérialisation des procédures entre les services de la gendarmerie, de la police et de la justice est engagée dans la juridiction judiciaire. Les bienfaits du logiciel Cassiopée de suivi des procédures pénales sont connus, mais des difficultés d’application persistent. Le budget pour 2015 prévoit son extension aux cours d’appel et la création d’un pendant, le logiciel Portalis, dans les juridictions civiles. La maîtrise de ces outils informatiques par les agents des services de la justice justifie sans doute une organisation particulière ; le budget pour 2015 en prévoit-il les moyens et le suivi ?
M. Guy Geoffroy. La presse a évoqué l’hypothèse d’un amendement du Gouvernement visant à instaurer un moratoire pour l’encellulement individuel jusqu’en 2018. Est-ce une erreur ?
M. François Rochebloine. Il fut un temps où les personnels de direction ayant choisi l’administration pénitentiaire y accomplissaient toute leur carrière. Aujourd’hui, nombre d’entre eux rejoignent d’autres administrations, ce qui pose un problème réel. Il est tout aussi problématique que de jeunes surveillants ayant réussi le concours et suivi la formation de l’École nationale d’administration pénitentiaire quittent leur administration trois mois après leur première affectation ; le salaire du personnel de surveillance devrait être revu.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. La loi du 24 novembre 2009 avait prévu en son article 100 que, dans la limite de cinq ans, il pourrait être dérogé au placement en cellule individuelle dans les maisons d'arrêt. Il apparaît évident qu’étant donnée la surpopulation carcérale, cette disposition ne pourra pas être respectée à la date dite. La surpopulation carcérale n’est pas un phénomène nouveau. Elle existait lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, la population carcérale ayant augmenté de 35 % en dix ans – quelles que soient les protestations, ces chiffres sont incontestables – et elle existe malheureusement toujours, car même si de nouveaux établissements sont construits, il faut attendre qu’ils sortent de terre.
On compte à ce jour, monsieur Coronado, 1 041 matelas au sol dans les établissements pénitentiaires ; ce chiffre est à peu près stable.
Le taux d'occupation des établissements pénitentiaires étant ce qu’il est, le principe de l’encellulement individuel sera matériellement inapplicable en novembre 2014. Le Gouvernement vous soumettra donc un amendement proposant de proroger le moratoire jusqu’en décembre 2017. Mais alors que le précédent moratoire ne prévoyait aucun dispositif d’accompagnement, le Gouvernement s’engagera cette fois à présenter au Parlement un état budgétaire et opérationnel de l’encellulement individuel – et d’ici décembre 2017, nous aurons construit 3 200 places nettes. Toutes les nouvelles prisons construites doivent prendre en compte l'objectif de 90 % de cellules individuelles. De plus, la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales produira ses effets, puisqu’il n’y aura pas nécessité d’encellulement individuel pour les personnes mises sous contrainte pénale, sanction alternative à la prison.
M. le président Gilles Carrez. Vous avez la parole, monsieur Poisson, si votre intervention porte sur le même sujet.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est le cas. Je tiens à rappeler qu’en 2000 déjà, dans son rapport rédigé au nom de la commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises, Jacques Floch, député socialiste, pointait la surpopulation pénale. La situation que nous connaissons maintenant ne résulte donc pas seulement de l’action conduite par les gouvernements qui se sont succédé entre 2002 et 2012 ; vos prédécesseurs, madame la garde des sceaux, s’y étaient eux aussi trouvés confrontés.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. La population carcérale a augmenté de 35 % en France entre 2001 et 2011; c’est un fait. Je n’ai pas dit qu’il n’y avait jamais eu surpopulation carcérale auparavant dans notre histoire.
M. le président Gilles Carrez. Il suffit pour s’en convaincre de se remémorer que le programme Chalandon, dans les années 1980, visait déjà à remédier à la surpopulation carcérale.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Il n’empêche que lorsque la population carcérale augmente de 35 % en dix ans, sans corrélation ni avec le taux de croissance démographique ni avec le taux de croissance de la délinquance, cela ne s’explique que par un autre paramètre, la politique pénale. Mais je n’entrais pas dans ces considérations ; je me limitais à décrire la situation telle qu’elle est.
M. Dominique Raimbourg. Je ne conteste pas que le rapport de Jacques Floch ait été rendu en 2000. Mais, en 2002, on comptait environ 48 000 détenus dans les prisons françaises pour 42 000 à 43 000 places ; la surpopulation carcérale était donc bien moindre, puisque le nombre de détenus en présence permanente est passé de quelque 48 000 à 68 000 en une dizaine d’années.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Cette question est très compliquée. Pour la troisième fois depuis la loi sur la présomption d’innocence de 2000, un gouvernement propose un amendement tendant à prolonger le moratoire sur l’encellulement individuel. En 2000, Mme Elisabeth Guigou avait demandé un moratoire de trois ans ; en 2003, le moratoire a été prolongé pour cinq ans – par amendement du gouvernement au détour d’une loi renforçant la lutte contre la violence routière ! – ; en 2007, le gouvernement posait par décret le principe du « libre choix » du détenu qui pouvait faire la demande d’une cellule individuelle et accepter, si celle-ci ne pouvait être satisfaite dans son établissement, un éventuel transfert. Lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire de 2008, le gouvernement de l’époque avait proposé de faire une croix sur l’encellulement individuel ; l’Assemblée l’a accepté, le Sénat ne l’a pas voulu, et le principe de l’encellulement individuel a finalement été maintenu par la commission mixte paritaire. Un nouveau moratoire de 5 ans a alors été fixé qui vient à échéance en novembre 2014 et que Mme la garde des sceaux nous demandera de proroger dans les conditions qu’elle a dites.
Nous devrons débattre du fond, non du seul amendement du Gouvernement. La question de l’encellulement individuel figure dans le code de procédure pénale depuis 1875 et on en parle comme si c’était l'alpha et l'oméga de la dignité des personnes détenues. La semaine dernière, je suis allé visiter, à Orléans, le nouvel établissement que vous avez inauguré en juillet, madame la ministre. Il s’agit de deux maisons d’arrêt de 210 places chacune, où l’encellulement individuel est la règle. Mais cela ne durera pas, m’a indiqué le directeur : des établissements vétustes ont été fermés, ce dont chacun se félicite, mais il en résulte qu’arrivent les premiers détenus venus de Blois. Autrement dit, on ne s’en sortira pas par la seule logique manichéenne consistant à construire des prisons pour parvenir, demain, à l’encellulement individuel. Franchement, madame la garde des sceaux, l’amendement n’est pas la bonne méthode, et je suggère que la commission des lois débatte du fond, c’est-à-dire de ce qu’est la dignité des personnes incarcérées. Vivre à deux dans une cellule où l’on ne passe que la nuit, ce n’est pas très grave ; y passer 23 heures par jour à trois est une autre histoire.
M. Guy Geoffroy. Je suis heureux que ce débat ait lieu ; je le suis un peu moins qu’il s’ouvre parce que nous avons dû faire valoir que l’histoire de France ne se résume pas à ce qui se serait passé entre 2002 et 2012. L’admettre, et admettre que la majorité actuelle est maintenant au pouvoir depuis deux ans et demi, voilà qui nous permettrait de progresser sur des sujets d’intérêt commun. Je fais miens les propos du président Urvoas. De longs débats ont eu lieu à ce sujet au début de la législature 2002-2007, M. Pascal Clément, alors président de la commission des lois, étant comme nous tous très préoccupé par la surpopulation carcérale constatée en 2003, dont on ne peut prétendre qu’elle résultait des lois votées en juillet 2002. Pour y remédier, il préconisait toutes solutions d’urgence, par exemple la réaffectation de bâtiments laissés libres par la réforme des armées. Il faut effectivement débattre du fond, sans s’en tenir au pire des arguments, la pirouette selon laquelle il ne se serait rien passé en dix ans, alors que, c’est avéré, nous nous étions préoccupés de cette importante question.
Mme Laurence Dumont. Il suffit ! Qui peut nier qu’il existe un lien entre politique pénale et politique pénitentiaire ? Les faits sont têtus, et ils disent que la surpopulation carcérale est aussi la conséquence de la politique pénale menée pendant dix ans. L’amendement gouvernemental à venir a une explication : nous sommes piégés par loi pénitentiaire de 2009 – et il est heureux qu’à l’époque la droite au Sénat et la gauche à l’Assemblée nationale ait permis le maintien du principe de l’encellulement individuel. Je souscris entièrement à la proposition de M. Urvoas visant à un débat de fond. Dans ce cadre, la réflexion de la commission des lois devra notamment porter sur l’instauration d’un numerus clausus, plusieurs fois suggérée par notre collègue Dominique Raimbourg.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. M. Geoffroy me cherche querelle, et pourtant : le moratoire que l’ancienne majorité a décidé dans la loi pénitentiaire était un impératif pour elle. Vous aviez aussi prévu un plan de 80 000 places de prison, mais sans en financer le premier euro. Devoir résorber une augmentation de 10 % ou de 35 % de la population carcérale, ce n’est pas la même chose. Pour notre part, nous sommes au pouvoir depuis deux ans et demi et nous ne fuyons pas nos responsabilités. La question est effectivement de définir ce qu’est la dignité des personnes incarcérées. Nous avons été durement critiqués pour ne pas vouloir construire des prisons à tout-va, mais je pense, comme le président Urvoas, qu’il ne s’agit pas de construire de plus en plus d’établissements pour appliquer le principe de l’encellulement individuel.
L’amendement du Gouvernement tient au risque de contentieux qui découlerait du non-respect de l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt à partir du 24 novembre 2014, date d’échéance du moratoire fixé dans la loi de 2009. Cela ne signifie pas qu’il faille faire l’économie d’une réflexion sur l’organisation des journées en prison et sur les éléments qui caractérisent la dignité des personnes détenues. D’ailleurs, les textes européens ne traitent pas de l’encellulement individuel en tant que tel mais des conditions de détention respectueuses de la dignité de la personne.
M. Morel-A-L’Huissier a évoqué ce qu’il tient être un problème de gestion des ressources humaines mais qui relève de l’attractivité des territoires ruraux. Nous ouvrons des postes au concours tous les ans, mais cela ne suffit, les 1 400 départs à la retraite qui auront lieu au cours du présent quinquennat n’ayant pas été anticipés alors qu’ils étaient sus. Pour ma part, prévoyant que 45 % des greffiers en poste actuellement seront partis à la retraite en 2023, j’ai commencé à préparer le renouvellement de ce corps. Il aurait fallu ouvrir 300 postes de magistrats chaque année ; 100 seulement l’ont été. Nous en ouvrons en moyenne 300 tous les ans pour combler les postes vacants et remplacer les départs mais les candidatures manquent pour certains ressorts. La seule solution est d’y affecter ceux qui sortent de l’École : ils ne travaillent pas isolément mais en immersion dans une juridiction, avec des magistrats expérimentés. Il ne s’agit pas, je le redis, de gestion des ressources humaines mais des disparités d’attrait entre les territoires. Les campagnes ne sont pas les seules affectées : le problème touche aussi l’Île-de-France où, en raison de la cherté de la vie, le taux de rotation du personnel est très élevé.
Je répondrai ultérieurement, de manière précise, aux questions spécifiques de M. Rochebloine et de Mme Dumont.
Monsieur Dollez, la refonte de l’ordonnance de 1945 et de texte supprimant les tribunaux correctionnels pour mineurs ne font qu’un. Le calendrier annoncé par le Gouvernement lors du débat sur la loi relative à l’individualisation des peines demeure et le texte pourra vous être soumis au premier semestre 2015.
M. Guy Geoffroy, la taxe de 35 euros s’imposant à tout justiciable souhaitant introduire une instance instauré par l’ancienne majorité constituait objectivement une entrave à l’accès au droit. C’est ce qui nous a conduits à la supprimer, en compensant par des fonds publics les 60 millions d’euros de perte de ressources potentielle pour l’aide juridictionnelle.
Je rappelle d’autre part que le droit de timbre dû par les parties à l'instance d'appel a été instauré pour financer le Fonds d’indemnisation de la profession des avoués. Ce droit est augmenté parce que les ressources du Fonds sont insuffisantes pour lui permettre de remplir sa mission, et aussi pour financer l’aide juridictionnelle. La dépense passera de 150 à 225 euros pour les parties qui interjettent appel. Permettez-moi de rappeler que ce droit de timbre remplace la rémunération précédemment due à l’avoué, et qui était de 900 euros en moyenne. Par ailleurs, l’indemnisation des avoués sera achevée fin 2023.
Le régime des agents de la fonction publique prévoit la possibilité de passerelles entre les différentes administrations, mais l’intéressant est qu’ils reviennent dans leur corps d’origine. Or les métiers de l’administration pénitentiaire sont des métiers difficiles, avec des contraintes spécifiques, et que la surpopulation carcérale ramène bien souvent à de la surveillance et, de plus en plus, à de la garde pure et simple. Aussi avons-nous fait des efforts et signé l’année dernière avec l’organisation syndicale majoritaire un protocole de valorisation de ces métiers. Il concerne les surveillants, les brigadiers et les directeurs d’établissement, et il est assorti d’une enveloppe de 20 millions d’euros pour permettre des promotions en suspens depuis plusieurs années.
M. François Rochebloine. J’ai rencontré plusieurs responsables syndicaux, et ce ne sont pas les échos que j’ai entendus.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le protocole a bel et bien été signé, car nous savons le sujet épineux. Nous constatons environ 5 % d’abandon au début des formations ; nous nous attachons donc à ce que, le plus tôt possible, les stagiaires sachent ce qu’est le métier auxquels ils se préparent, afin d’éviter toute ambiguïté.
J’en viens aux conseils de prud’hommes. Ces conseils doivent rester paritaires mais être plus intégrés aux juridictions. Dans le rapport consacré à l’avenir des juridictions du travail qu’il m’a remis, M. Alain Lacabarats, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, propose d’améliorer les procédures mais aussi la formation des conseillers prud’homaux. Il note en effet que le taux de conciliation est de 6 %, une proportion dérisoire pour une instance conçue pour régler les litiges liés à l’exécution et à la rupture du contrat de travail précisément sur cette base. Les conseillers prud’homaux sont très attachés au paritarisme. Mais, parce que le taux de conciliation est très faible, le juge professionnel intervient très fortement dans les conflits du travail : le taux de renvoi au départage est élevé – quelque 20 % – et le taux d’appel très élevé – 60 % –, tout comme le taux de réformation totale ou partielle, qui est de 70 %. Le très faible taux de conciliation a aussi pour conséquence l’allongement du délai au terme duquel les décisions sont rendues. Tout cela conduit M. Lacabarats à proposer des aménagements procéduraux favorisant la conciliation tout en inscrivant plus fortement les conseils prud’homaux au sein des juridictions.
Nous vous proposerons par ailleurs, dans le projet « Justice du XXIe siècle » d’organiser les tribunaux de grande instance par pôles, dont un pôle social.
Je pense avoir répondu à l’ensemble des questions posées.
M. Philippe Goujon. Pas encore exactement, madame la garde des sceaux, puisque vous n’avez rien dit ni de l’indemnisation des notaires ni des JAP, des procureurs et des transfèrements.
M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis. Pouvez-vous préciser, madame la garde des sceaux, si la réforme des conseils de prud’hommes se fera par ordonnance, comme le Gouvernement y a été habilité, ou dans le cadre du projet de loi sur la libéralisation de l'économie que présentera le ministre de l’économie, et selon quel calendrier ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le vecteur prévu est le projet de loi sur la libéralisation de l'économie.
M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis. Le ministre du travail a fait adopter un projet de loi d’habilitation autorisant le Gouvernement à prendre par ordonnance des dispositions en matière prud’homale. Quels seront les champs respectifs des deux textes ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. L’ordonnance du ministère du travail concernera la désignation des conseillers prud’hommes ; le texte de fond sera du ressort du ministre de l’économie.
Si des modifications sont introduites dans les modalités de délégation de service public à certaines professions réglementées, il reviendra aux juridictions éventuellement saisies de déterminer l’existence d’un préjudice et de le chiffrer.
Comment les juges de l’application des peines auront-ils connaissance de la situation du condamné ? me demandez-vous. Nous avons reporté l’entrée en vigueur de ces dispositions à janvier 2015 pour avoir le temps de faire en sorte que l’information, sur les casiers judiciaires notamment, soit totalement fluide et à la disposition des juges de l’application des peines.
La contrainte pénale engorgerait les tribunaux qui fonctionnent déjà à flux tendu, dites-vous. En tant que telle, la contrainte pénale ne génère pas d’audiences particulières, puisque ce n’est qu’une peine parmi d’autres dans notre arsenal judiciaire. La juridiction fonctionne et elle peut prononcer une contrainte pénale, une peine de prison ou autre.
Monsieur le député Goujon, vous m’avez aussi interrogée sur les extractions judiciaires, c'est-à-dire le déferrement des détenus devant les autorités judiciaires. Ces missions, qui étaient auparavant réalisées par les seules forces de police et de gendarmerie, peuvent désormais être effectuées par des agents pénitentiaires. Ce transfert de compétences s’effectue progressivement, par régions et selon un calendrier qui va jusqu’en 2019. Il s’accompagne d’un transfert de postes du ministère de l’intérieur vers le ministère de la justice.
Malheureusement, le premier arbitrage interministériel rendu en ce qui concerne ces postes était très défavorable au ministère de la justice, et il était en passe de poser de gros problèmes d’efficacité des extractions. J’ai donc demandé un nouvel arbitrage. J’ai rencontré les syndicats de police et le groupe de liaison de la gendarmerie nationale. Au terme d’un travail entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, un nouvel arbitrage a été trouvé, plus favorable à mon ministère en termes de postes équivalent temps plein.
M. Philippe Goujon. Quels sont les chiffres précis sur les emplois ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Nous avons obtenu 1 200 postes contre 800 lors du premier arbitrage. C’est moins que ce que nous aurions souhaité mais nous allons nous en contenter pour assurer ces extractions judiciaires en toute sécurité. Le transfert des missions va reprendre en 2015 en commençant par l’Alsace, l’Aquitaine et le Nord-Pas-de-Calais. En 2016, il concernera la Bourgogne, la Bretagne, le Centre, la Haute-Normandie, le Limousin, les Pays de la Loire et le Poitou-Charentes. En 2017, ce sera le tour de la Seine-et-Marne, de la Seine-Saint-Denis, du Languedoc-Roussillon et de Rhône-Alpes. En 2018… Oh quelle audace !
M. Guy Geoffroy. Bref instant de lucidité !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. En fait non, l’administration c’est la continuité de l’État. J’ai un absolu respect du suffrage universel et de l’état de droit. En 2018, donc, le transfert s’étendra à Paris et aux départements du Val-de-Marne et de l’Essonne. Enfin, en 2019, il s’achèvera par la Corse et la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur.
M. le président Gilles Carrez. La garde des sceaux a-t-elle répondu à toutes les questions ?
M. François Rochebloine. Je souhaiterais une réponse écrite sur la maison d’arrêt de La Talaudière.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. J’y veillerai, monsieur le député.
M. Jean-Frédéric Poisson. Je constate une absence de réponse concernant le montant de l’aide aux associations d’insertion.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous ferai parvenir cette réponse avant le débat public, monsieur le député. Vous voulez des données sur les associations de la fédération Citoyens et Justice qui travaillent dans le cadre de mesures judiciaires en pré et post-sententiel, n’est-ce pas ?
M. Jean-Frédéric Poisson. Sur toutes celles qui aident les détenus à se réinsérer.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. On m’indique que l’aide à l’insertion des détenus serait de 7,9 millions d’euros pour 2015, mais je préfère vous fournir par écrit une réponse plus complète.
Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis. Quant à l’aide aux victimes ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 49 de la réforme pénale qui prévoyait d’instaurer une majoration automatique de 10 % pour les amendes pénales, douanières et certaines amendes prononcées par des autorités administratives, afin de financer l’aide aux victimes. Les services du ministère de la justice et du ministère des finances travaillent sur un autre dispositif. Vous serez associée à la réflexion, madame Nieson, même si vous êtes désormais rapporteur pour la protection judiciaire de la jeunesse. Cette réflexion devrait aboutir à la rédaction d’un amendement qui sera proposé par le Gouvernement lors de la discussion de la loi de finances.
M. le président Gilles Carrez. Merci, madame la garde des sceaux d’avoir répondu à ces dizaines de questions qui ont permis de faire le tour de votre ministère.
*
* *
À l’issue de l’audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, sur les crédits de la mission « Justice », la Commission examine, pour avis, les crédits de la mission Justice (M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis « Accès au droit et à la justice et aide aux victimes » ; M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire » ; M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis « Justice administrative et judiciaire » ; Mme Nathalie Nieson, rapporteure pour avis « Protection judiciaire de la jeunesse »).
Conformément aux conclusions de M. Jean-Michel Clément, de M. Jean-Yves Le Bouillonnec et de Mme Nathalie Nieson, rapporteurs pour avis, mais contrairement à l’avis de M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis, la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2015.
Article 56 : Augmentation du droit de timbre en appel
La Commission examine l’amendement II-CL3 de M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. L’amendement vise à limiter la hausse du droit de timbre en appel dans des proportions raisonnables, en le faisant passer de 150 à 185 euros, au lieu de l’augmentation de 50 % proposée par le Gouvernement à l’article 56.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis. Je suis défavorable à cet amendement. Le coût du recours à un avoué était au moins de 900 euros par partie. Le droit de timbre, même augmenté, reste bien inférieur à ce coût et n’est pas de nature à faire obstacle au droit de former appel.
M. Guy Geoffroy. Dire que les justiciables font une économie de 900 euros, grâce à la suppression des offices des avoués, me paraît contestable. Beaucoup d’avocats semblent en effet avoir intégré dans leurs honoraires le montant des émoluments que les justiciables devaient auparavant verser aux avoués. Il ne faudrait pas qu’une hausse aussi importante – de 50 % – du droit de timbre prive les justiciables de leur droit fondamental d’aller en appel.
M. Dominique Raimbourg. Cela nous conduit à nous pencher sur la manière dont a été opérée la suppression des offices des avoués. Cette suppression n’a pas été un succès total. Il faudra en tenir compte lorsque nous examinerons la réforme des professions juridiques réglementées. La commission des Lois du Sénat a présenté il y a quelques mois un rapport d’information à ce sujet, dressant un premier bilan mitigé de la loi du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel. Ce rapport montre que la plupart des avoués se sont reconvertis et que leur préjudice est donc différent de celui qui avait été estimé sur la base d’une cessation d’activité. Il apparaît aussi que les plus grandes victimes de cette réforme ont été les salariés des avoués, dont près d’un tiers n’a pas retrouvé de travail. Lorsque l’on réforme les professions réglementées, l’approche purement économique doit être extrêmement prudente car on a parfois des déconvenues.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis. Je souscris entièrement à ce qu’a dit notre collègue Dominique Raimbourg. Je rappelle par ailleurs que l’indemnisation des avoués a été réduite d’environ un tiers, heureusement d’ailleurs à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 2011 sur la loi du 25 janvier 2011. Avant de parler d’indemnisation, il faut déterminer s’il reste réellement un préjudice à indemniser. Beaucoup d’avoués se sont reconvertis dans la profession d’avocat et se sont spécialisés dans les procédures d’appel. La dématérialisation des procédures est également un gain pour le fonctionnement de la justice et en termes de coût. La hausse du droit de timbre proposée ne fera pas obstacle au droit de former appel.
L’amendement n° II-CL3 de M. Guy Geoffroy est rejeté et la Commission donne un avis favorable à l’article 56.
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS FORMULÉES
PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS
Pour chacune des propositions, il est indiqué après son numéro si elle est de nature législative (L), réglementaire (R) ou opérationnelle (O).
Axe n°1 – Renforcer le renseignement pénitentiaire
Proposition n° 1 (O) :
Évaluer et anticiper le phénomène de la radicalisation islamiste en prison et élaborer une vraie stratégie anti-radicalisation, à la fois préventive et curative, tenant compte du retour en France des « djihadistes » de la zone irako-syrienne.
Proposition n° 2 (O) :
Renforcer les effectifs du renseignement pénitentiaire aux échelons national, interrégional et local.
Proposition n° 3 (O) :
Élaborer et appliquer une grille d’analyse de la radicalisation islamiste en prison.
Proposition n° 4 (O) :
Assurer la formation de l’ensemble des personnels pénitentiaires au recueil du renseignement, et la formation des chefs d’établissement ainsi que des délégués locaux et des correspondants interrégionaux au renseignement à l’analyse du renseignement.
Proposition n° 5 (O) :
Faire de la fonction de délégué local au renseignement une fonction spécialisée, à plein temps, intégrée à l’organigramme de chaque établissement, mais susceptible d’être exercée sous couverture.
Proposition n° 6 (L et O) :
Améliorer l’information réciproque entre les services de renseignement et l’administration pénitentiaire :
— en permettant l’accès par l’administration pénitentiaire à certaines données issues des fichiers des services de renseignement ;
— en améliorant l’information de l’administration pénitentiaire en cas d’incarcération d’une personne surveillée par les services de renseignement ;
— en organisant le retour d’information vers l’administration pénitentiaire lorsque des informations qu’elle a transmises aux services de renseignement ont contribué à l’interpellation de personnes radicalisées ou permis de prévenir un acte terroriste ;
— en intégrant un directeur de prison dans les effectifs de l’UCLAT ou de la DGSI et, réciproquement, un officier de police de l’UCLAT ou de la DGSI dans les effectifs du bureau du renseignement pénitentiaire.
Proposition n° 7 (L) :
Permettre le recours, par des agents pénitentiaires ayant la qualité d’officiers de police judiciaire, à la sonorisation des locaux de détention pouvant constituer des lieux propices au prosélytisme radical : salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers, etc.
Axe n°2 – Se doter d’une capacité d’opposition au discours islamiste radical
Proposition n° 8 (L et O) :
Mieux évaluer l’importance respective des différents cultes en prison et adapter le nombre d’aumôniers musulmans.
Proposition n° 9 (O) :
Mettre en place une formation obligatoire des aumôniers sur le discours à tenir face aux détenus susceptibles d’être radicalisés.
Proposition n° 10 (O) :
Élaborer un programme pluridisciplinaire anti-radicalisation pouvant être mis en œuvre en détention et sans doute hors détention en s’inspirant de l’expérience acquise dans d’autres démocraties occidentales.
Proposition n° 11 (L) :
Donner au juge de l’application des peines la possibilité de soumettre des détenus à l’obligation de suivre un programme anti-radicalisation et exclure le bénéfice des crédits de réduction de peine et des réductions de peine supplémentaires en cas de refus de suivre ce programme.
Axe n°3 – Réduire la capacité d’essaimage des détenus radicalisés dans les établissements pénitentiaires
Proposition n° 12 (L) :
Supprimer le placement en régime « ouvert » pour les détenus radicalisés incarcérés dans les établissements pour peines, en prévoyant expressément dans la loi que le fait de constituer un risque pour la sécurité est un motif de placement en régime « portes fermées ».
Proposition n° 13 (L) :
Supprimer la possibilité de former un recours pour excès de pouvoir contre la décision de l’autorité administrative de placer un détenu en « régime ouvert » ou « régime fermé ».
Proposition n° 14 (R) :
Pour les détenus constituant un risque pour la sécurité, faciliter le placement à l’isolement :
— en portant de 3 à 6 mois la durée du placement et de chacun de ses renouvellements ;
— en abaissant d’un an à six mois la période d’interruption de l’isolement en-deçà de laquelle la durée de l’isolement antérieur s’impute sur la durée de la nouvelle mesure d’isolement.
Proposition n° 15 (O) :
Créer, dans certains établissements pénitentiaires, des unités spécialisées anti-radicalisation (USAR) au sein desquelles les détenus de retour du « djihad » dans la zone irako-syrienne seraient isolés les uns des autres et suivraient un programme personnalisé, adapté au profil de chacun d’entre eux.
Axe n°4 – Limiter les communications avec l’extérieur favorisant la radicalisation
Proposition n° 16 (L) :
Permettre la réalisation de fouilles par palpation sur les personnes entrant dans les établissements pénitentiaires.
Proposition n° 17 (O) :
Renforcer les opérations de fouilles judiciaires des visiteurs accédant aux établissements pénitentiaires.
Proposition n° 18 (L) :
Permettre la détection et l’accès aux données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les personnes incarcérées.
Proposition n° 19 (O) :
Dans l’enceinte des établissements pénitentiaires situés en dehors des zones urbaines, limiter l’accès au réseau téléphonique aux seuls numéros autorisés par l’administration pénitentiaire, figurant sur une liste adressée aux opérateurs.
Proposition n° 20 (O) :
Contrôler de façon rigoureuse l’activité des associations prétendant apporter un soutien spirituel aux détenus et, si nécessaire, interdire les contacts avec les détenus pour les associations susceptibles de radicaliser des détenus.
PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS
• Ministère de la justice – Direction de l’administration pénitentiaire
— M. Charles GIUSTI, adjoint à la directrice
— M. Morgan TANGUY, adjoint au sous-directeur de l’organisation et du fonctionnement des services déconcentrés
–– M. Bruno CLÉMENT-PETREMANN, sous-directeur de l’état-major de sécurité
— M. Olivier REILLON, chef du bureau du renseignement pénitentiaire
• Ministère de l’Intérieur – Direction générale de la sécurité intérieure
— M. Patrick CALVAR, directeur général
— Mme Lucile ROLAND, directrice de la lutte contre le terrorisme
• Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne
— M. Frédéric VEAU, chef du service justice – affaires intérieures
• Ambassade d’Espagne en France
— M. Pablo GONZÁLEZ, magistrat de liaison
• Ambassade d’Italie en France
— M. Nicola FALVELLA, expert pour les questions de sécurité
• Ambassade de Grande-Bretagne en France
— M. Grant MC DONALD, conseiller en charge des affaires intérieures et de justice
— M. Andrew WELCH, officier de liaison de la police anti-terroriste britannique auprès de l’unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT)
• Conseil français du culte musulman (CFCM)
— M. Dalil BOUBAKEUR, président, recteur de la Grande Mosquée de Paris
• Union des mosquées de France (UMF)
— M. Mohammed MOUSSAOUI, président, président d’honneur du Conseil français du culte musulman
• Rassemblement des musulmans de France (RMF)
— M. Anouar KBIBECH, président
• Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF)
— M. Ahmet OGRAS, président
• Aumônerie nationale des prisons
— M. Moulay EL HASSAN EL ALAOUI TALIBI, aumônier national musulman des prisons
Table ronde des syndicats de l’administration pénitentiaire :
• CFDT Interco
— M. Jean-Philippe GUILLOTEAU, secrétaire fédéral de la branche justice, en charge du secteur pénitentiaire
— M. Éric FIEVEZ, secrétaire national SNCP-CFDT
— Mme Rose-Marie PELLEGRINO, membre
• Syndicat national pénitentiaire FO-personnels de direction
— M. Jimmy DELLISTE, secrétaire général
• CGT Pénitentiaire
— M. David TORRES, secrétaire général
• Syndicat national des directeurs pénitentiaires
— M. Jean-Michel DEJENNE, premier secrétaire national
• SNEPAP-FSU (Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire)
–– M. Olivier CAQUINEAU, secrétaire général
–– Mme Tiphaine MAHÉ, secrétaire nationale
–– M. Sylvain ROUSSILLOUX, secrétaire national
• Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’Islam (CPDSI)
— Mme Dounia BOUZAR, anthropologue du fait religieux/gestion de la laïcité, fondatrice du CPDSI
— M. Sulayman VALSAN, chargé de mission accompagnement des professionnels
• Fondation pour la recherche stratégique
–– M. Jean-Luc MARRET, chercheur
Contributions écrites :
–– Ambassade de Belgique en France
–– Ambassade des Pays-Bas en France
–– Syndicat national pénitentiaire FO – personnels de surveillance
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS
Centre de détention de Villenauxe-la-Grande (Aube)
— M. Jacques MEGE, directeur
— Mme Huguette DANY, directrice adjointe
— M. Nelson FRANCOMME, lieutenant, responsable de l’infrastructure, de la sécurité et du renseignement
— M. Hakim FERROUDJI, premier surveillant, délégué local au renseignement pénitentiaire
Maison centrale de Clairvaux (Aube)
— M. Dominique BRUNEAU, directeur
— M. Claude ALARCON, directeur adjoint
— M. Christophe MILLESCAMPS, adjoint au directeur interrégional Centre-Est
Maison d’arrêt d’Auxerre (Yonne)
— M. Pierre PÉPÉ, directeur
— M. Michel KACI, chef de détention
Centre de détention de Joux-la-Ville (Yonne)
— M. Francis GERVAIS, directeur
— M. Christophe LAURENT, directeur adjoint
— Mme Dabia LEBRETON, directrice adjointe
— M. Patrice JORAND, major, responsable du travail et du renseignement
— Mme Amandine MIDEL, surveillante en charge des parcours d’exécution de peine et du cahier électronique de liaison
Maison d’arrêt de Bois d’Arcy (Yvelines)
— M. Arnaud SOLERANSKI, directeur
— M. Philippe BONNIN, chef de détention