N° 3111
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2015.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2016,
TOME VII
MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES
LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES
PAR Mme Virginie DUBY-MULLER,
Députée.
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 3096, 3110 (annexe n° 32).
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS EN FAVEUR DU LIVRE ET DES INDUSTRIES CULTURELLES 7
A. L’ACTION « LIVRE ET LECTURE » 7
1. Développer la lecture publique 8
a. Renforcer les actions de sensibilisation 8
b. Préserver le réseau des bibliothèques 9
c. La Bibliothèque nationale de France (BnF) 10
d. La Bibliothèque publique d’information (BPI) 11
2. Soutenir la chaîne du livre 12
B. L’ACTION « INDUSTRIES CULTURELLES » 16
1. Le cinéma 16
2. La Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) 19
3. La musique enregistrée 20
4. Le jeu vidéo 21
C. LES AUTRES ACTIONS DU PROGRAMME 22
II. LES SALLES DE CINÉMA À L’HEURE DU NUMÉRIQUE 25
A. LE NUMÉRIQUE : UN NOUVEAU DÉFI POUR LES SALLES DE CINÉMA 25
1. L’exploitation cinématographique française : une exception dans le paysage européen 25
2. Les défis posés aux exploitants par la transition numérique 32
a. De nouveaux modes de consommation concurrentiels 33
b. Un bouleversement de l’économie du film 34
B. LA NÉCESSITÉ D’UN SOUTIEN ADAPTÉ 36
1. Maintenir la spécificité de la salle 36
a. Conserver un équilibre entre tous les supports de diffusion 36
b. Encourager une offre tarifaire compétitive 39
2. Assurer une offre de salles et de films diversifiée 40
a. Garantir un pluralisme dans le parc d’exploitation 40
b. Préserver une offre diversifiée de films 45
TRAVAUX DE LA COMMISSION 49
I. PRÉSENTATION DE L’AVIS 49
II. AUDITION DE LA MINISTRE 79
III. EXAMEN DES CRÉDITS 79
ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS 81
Créé en loi de finances initiale (LFI) pour 2011, le programme 334 Livre et industries culturelles de la mission « Médias, livre et industries culturelles » comprend quatre actions.
La première, Livre et lecture, a pour objectif de favoriser le développement de la création littéraire, d’encourager la pratique de la lecture et de soutenir la chaîne du livre qui est composée d’intervenants aussi divers que les auteurs, les éditeurs, les libraires ou les bibliothèques. Cette action permet d’assurer une meilleure visibilité aux crédits consacrés à la politique publique en faveur du livre et de la lecture, qui étaient éclatés auparavant au sein de la mission Culture.
La deuxième action, Industries culturelles, finance les politiques transversales en faveur du développement des industries culturelles comme le cinéma, le jeu vidéo ou la musique enregistrée, ainsi que la lutte contre le piratage des œuvres culturelles en ligne, par l’intermédiaire d’une autorité publique indépendante. Cette année les crédits accordés au Bureau export de la musique ont été transférés du programme 131 Création à l’action Industries culturelles.
Deux nouvelles actions, Soutien aux médias de proximité et Compagnie internationale de radio et télévision (CIRT) figurent également au sein du programme.
La Rapporteure a choisi, cette année, de consacrer la deuxième partie de son rapport au cinéma et plus particulièrement à la situation des salles à l’heure du numérique.
L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances fixe au 10 octobre la date butoir pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.
À cette date, 90 % des réponses étaient parvenues.
Pour 2016, 265,6 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 276 millions d’euros en crédits de paiement (CP) seront alloués au programme 334 Livre et industries culturelles, contre 271,5 millions d’euros d’AE et 268,5 millions d’euros de CP en loi de finances initiale (LFI) pour 2015. 96,8 % des crédits sont consacrés à l’action Livre et lecture.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS
(en euros)
Loi de finances initiale 2015 |
PLF 2016 |
Évolution |
% | |||
AE |
CP |
AE |
CP |
AE |
CP | |
Action 1 « Livre et lecture » |
261 225 635 |
258 252 519 |
246 584 593 |
256 984 593 |
– 5,6 |
– 0,5 |
Action 2 « Industries culturelles » |
10 302 140 |
10 302 140 |
15 906 383 |
15 906 383 |
+ 54,4 |
+ 54,4 |
Action 3 « Soutien aux médias de proximité » |
1 500 000 |
1 500 000 |
||||
Action 4 « CIRT » |
1 650 000 |
1 650 000 |
||||
Total |
271 527 775 |
268 554 659 |
265 640 976 |
276 040 976 |
– 2,2 |
+ 2,8 |
Source : Questionnaire budgétaire.
Les crédits de paiement du programme augmenteront (+ 2,8 %) au profit de l’action Industries culturelles tandis que les autorisations d’engagement connaîtront une diminution (– 2,2 %).
La Rapporteure tient à souligner que ces crédits intègrent deux nouvelles actions Soutien aux médias de proximité et CIRT qui totalisent 3,1 millions d’euros. À périmètre constant, le total des CP s’élèverait à 272,8 millions soit une augmentation de 1,4 % par rapport à 2015.
Pour 2016, 246,6 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et presque 257 millions d’euros en crédits de paiement (CP) seront alloués à cette action contre 261,2 millions d’euros d’AE et 258,2 millions d’euros de CP en LFI pour 2015, soit une diminution de – 5,6 % des autorisations d’engagement et de
– 0,5 % des crédits de paiement.
Ces évolutions reflètent l’état d’avancement des travaux de rénovation de la Bibliothèque nationale de France sur le quadrilatère Richelieu. En effet, la première tranche des travaux est terminée.
La sous-action Développement de la lecture et des collections bénéficie de 0,5 million d’euros de crédit de fonctionnement courant, de 12,8 millions d’euros de crédits d’intervention, dont 1,4 million d’euros de crédits centraux et de 11,3 millions d’euros en crédits déconcentrés au titre des dépenses d’intervention et de 8,2 millions d’euros de subvention pour charge de service public destinés à la BPI.
Afin d’encourager la pratique de la lecture et, indirectement, de contribuer à lutter contre l’illettrisme, l’État mène des opérations expérimentales en lien avec les collectivités territoriales.
Les contrats territoires-lecture, qui ont pris la suite des contrats ville-lecture, se développent avec succès depuis 2010. En septembre 2015, 75 contrats sont programmés. Ces contrats prennent la forme de partenariats pluriannuels (sur trois ou quatre ans) entre l’État, les collectivités territoriales (départements, communes ou établissements publics de coopération intercommunale) et des acteurs associatifs ou parapublics autour d’actions ciblées sur le développement de la lecture publique. L’État verse une subvention aux collectivités territoriales, via les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), selon une convention établie entre les deux partenaires. Elle peut aller de 10 000 euros à 20 000 euros. Ce financement n’est pas pérenne mais joue un rôle d’impulsion. En 2015 ce soutien s’est élevé à près de 1,3 million d’euros. Pour 2016, il sera de 2,3 millions d’euros soit une augmentation de un million d’euros.
Par ailleurs, l’État subventionne les très nombreuses associations qui s’investissent pour développer le goût pour la lecture auprès de publics défavorisés ou empêchés et aider ainsi à leur insertion sociale.
Enfin, l’opération Premières Pages, initiée en 2009, présente un bilan encourageant et 150 000 enfants par an en ont bénéficié. Cette action de sensibilisation à la lecture pour les enfants en bas âge (0-3 ans) et leurs familles prend la forme de différentes manifestations : remises d’albums, inscription offerte en bibliothèque, prêt de mini bibliothèques ou séances d’animations. Cette opération associe l’État, l’UNAF (Union nationale des associations familiales) et les collectivités territoriales volontaires (1) qui labellisent des projets. Son intérêt est de permettre une plus grande coopération entre des acteurs sociaux comme les centres de protection maternelle et infantile (PMI), les crèches et les acteurs culturels via les bibliothèques départementales de prêt. En 2015, les crédits se sont élevés à 150 000 euros.
La France dispose d’un réseau dense et actif de 7 100 bibliothèques, répartie sur tout le territoire.
Selon les données d’activités des bibliothèques municipales recensées en 2011, 55 millions de Français peuvent accéder à un établissement de lecture publique et 83 % ont accès à une bibliothèque.
À l’exception de la Bibliothèque nationale de France (BnF) et de la Bibliothèque publique d’information (BPI), opérateurs de l’État, le réseau des bibliothèques est géré par les collectivités territoriales et principalement par les communes.
Néanmoins, l’État conserve un pouvoir d’impulsion et d’accompagnement dans le domaine de la lecture publique, en apportant son concours financier et technique aux bibliothèques.
Son soutien financier s’exerce à travers le versement, chaque année, du concours particulier de la dotation générale de décentralisation (DGD) affectée aux investissements dans les bibliothèques, d’un montant de 80 millions d’euros en 2015, reconduit en 2016 (2). Cette dotation a été réorientée afin de lutter contre la fracture numérique et encourage les bibliothèques à s’adapter aux nouvelles technologies. Ainsi la dotation consacrée aux dépenses informatiques et numériques est passée de 5,8 millions d’euros en 2012 à 9,6 millions d’euros en 2014.
Le constat est encourageant, en effet les bibliothèques se sont adaptées à la transition numérique, à la fois en termes d’équipement et de prêt de livres numériques. Ainsi, 82 % des bibliothèques des villes de moins de 5 000 habitants sont informatisées.
S’agissant du prêt de livres numériques par les bibliothèques, une concertation entre les collectivités territoriales et les représentants des organisations professionnelles a permis de clarifier la question du respect du droit d’auteur. En effet, le livre numérique, considéré comme un service, est de ce fait exclu du droit de prêt. Un texte intitulé « Recommandations pour une diffusion du livre numérique par les bibliothèques publiques » a été signé en décembre 2014. Les bibliothèques pourront ainsi diffuser des livres numériques selon des modalités d’accès contrôlées.
La question de l’accès aux bibliothèques et de leur amplitude d’horaires d’ouverture reste, néanmoins, une question préoccupante. La durée moyenne des heures d’ouverture des bibliothèques municipales est de 40 heures dans les communes de 200 000 habitants et de 30 heures dans celles de 40 000 habitants. Certaines villes ont lancé des expérimentations d’ouverture en soirée ou le dimanche. Le ministère de la culture et de la communication encourage les collectivités à mettre en place de nouveaux horaires, un guide (3) a été publié en novembre 2014 en ce sens. Dans le prolongement de la mission confiée à la sénatrice Sylvie Robert (4), le Président de la République a annoncé que le taux d’attribution de la dotation du concours particulier de la DGD serait modulé en fonction de la mise en œuvre de projets d’ouverture plus larges et particulièrement de l’ouverture le dimanche.
Les crédits accordés à la Bibliothèque nationale de France (BnF) en 2016 restent stables et s’élèvent à 206,8 millions d’euros en AE et CP.
Le plafond d’emploi sera de nouveau en baisse, 18 ETP étant supprimés, et passera de 2 287 ETP en LFI 2015 à 2 269 ETP en 2016.
Comme l’année précédente, une partie des crédits est consacrée à la rénovation du quadrilatère Richelieu. Initiée en 2011 afin de mieux accueillir les chercheurs et de moderniser l’accès aux collections, cette opération doit s’étaler sur six années. Le coût total estimé à 211 millions d’euros en 2011, réévalué en 2014 à 218,7 millions d’euros, est désormais estimé à 232,9 millions d’euros. La Rapporteure souhaiterait relever et déplorer que les dépenses de ce programme progressent régulièrement, notamment en raison de travaux imprévus de désamiantage. En effet, en 2012, le montant global avait déjà été réévalué à 212,8 millions d’euros et en 2013 à 217,8 millions d’euros.
Cette rénovation est financée conjointement par les ministères de la culture et de la communication pour 190,3 millions d’euros et par celui de l’enseignement supérieur et de la recherche pour 42,6 millions d’euros. Le programme 334 doit, pour sa part, participer à hauteur de 155,6 millions d’euros en CP. 73,5 millions d’euros en CP dont 12 millions de fonds de concours ont déjà été engagés sur la période 2011-2014. 9,9 millions d’euros en CP sont budgétés dans le présent projet de loi de finances pour 2016.
Des travaux de remise aux normes et de protection contre les risques d’inondation sont également prévus sur le site François-Mitterrand pour des montants respectifs de 6,7 millions d’euros et de 5,4 millions d’euros sur la période 2015-2017.
Un nouveau contrat de performance a été signé par la BnF pour la période 2014-2016 qui fixe trois priorités :
– garantir l’accès aux collections ;
– partager ses richesses et son savoir-faire ;
– optimiser ses ressources.
L’accès aux collections s’est poursuivi. Le projet Gallica, qui numérise les œuvres détenues dans ses collections afin de les rendre accessibles au plus grand nombre, contient 3,4 millions d’ouvrages en juin 2015. En 2014, 589 480 monographies ont ainsi été mises en ligne et 365 000 le seront en 2015 (5). Le Centre national du livre contribuera à la numérisation à hauteur de 5,8 millions d’euros en 2016.
C’est dans ce cadre que la BnF a mené une réforme du dépôt légal (6) qui vise à assurer la collecte de la production éditoriale numérique et qui a supprimé l’obligation pour les éditeurs de déposer deux exemplaires s’agissant des documents imprimés, graphiques ou photographiques (7). Cette évolution lui a permis de simplifier ses procédures et de redéployer des ressources sur d’autres taches.
Une des priorités pour 2016 sera d’améliorer le taux de fréquentation des salles de lecture, en baisse depuis plusieurs années (8). Il est prévu de moderniser les services sur place (accès au wifi, actions de médiation).
La BPI, établissement public administratif, est une composante du Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou. Dotée d’un statut spécifique, elle n’a pas d’activité de prêt et propose l’accès gratuit à ses collections. Elle se concentre sur des services de médiation en faveur des lycéens, des demandeurs d’emploi ou des personnes handicapées et accompagne les bibliothèques municipales dans la transition numérique.
La subvention pour charges de service public augmentera de 1,04 % par rapport à 2015 et s’élèvera pour 2016 à 6,8 millions d’euros. La dotation en fonds propres est considérablement augmentée à 1,3 million d’euros dans le cadre des travaux de rénovation de l’entrée et de l’espace d’accueil du public. La BPI disposera donc de 8,2 millions d’euros de crédits.
63 ETP seront budgétés en 2016, soit une très légère diminution d’un emploi par rapport à la LFI pour 2015.
Depuis 2013, la fréquentation diminue, le nombre d’entrées s’étant élevé à 1 350 000 entrées en 2015 contre 1 462 779 en 2013.
Une réflexion a été menée en mars 2012, dans le cadre du projet de rénovation de l’établissement, autour de deux axes qui devrait conduire à un nouveau contrat de performance pour 2016-2018 :
– le contenu : un programme intitulé « Lire le monde » vise à mettre en place des départements documentaires autour de trois thèmes, comprendre le monde (le savoir classique), imaginer le monde (le savoir artistique, culturel) et vivre le monde (le savoir pratique). Ce projet a pour ambition de diversifier le public et les usages de la BPI et de valoriser son expertise dans le domaine de la médiation ;
– les espaces : une entrée commune avec le musée sur la place devrait être créée afin d’augmenter la superficie et d’ouvrir la bibliothèque de façon plus large.
À ce titre, les travaux de réaménagement de l’accueil du public ont été estimés à 9 millions d’euros. 3 millions de crédits de paiement sont prévus sur la période 2016-2017. 1 million d’euros est budgété pour financer des études préalables à la rénovation de l’entrée.
Le soutien à la politique en faveur du livre passe par un opérateur de l’État, le Centre national du livre (CNL), établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de la culture et de la communication. Sa mission consiste à encourager la création, l’édition et la diffusion des œuvres littéraires et scientifiques.
Le budget du Centre s’est élevé à 38,6 millions d’euros en 2015.
Le nombre d’emplois sera en légère augmentation en 2016 avec 67 emplois en 2016 (9) dont 16 ETPT pris en charge sur le budget du ministère de la culture et de la communication.
98 % des recettes du CNL proviennent du produit de deux taxes qui lui sont affectées :
– une taxe de 0,20 % est due par les éditeurs en fonction de leurs ventes d’ouvrages en librairie. Elle est estimée à 4,9 millions d’euros en 2015 ;
– la taxe relative aux appareils de reprographie, de reproduction et d’impression est perçue à hauteur de 3,25 % sur toute vente de ces appareils ; 28,3 millions d’euros seraient perçus en 2015.
Ces deux taxes ont été plafonnées par la loi de finances pour 2012 (10), à hauteur de 5,3 millions d’euros pour la taxe sur l’édition et 29,4 millions d’euros pour la taxe sur le matériel de reproduction. De plus, ce plafonnement, reconduit en 2016, est appliqué avant le prélèvement des frais de gestion qui représentent 1,2 million d’euros, amoindrissant d’autant les recettes du Centre.
ÉVOLUTION DU RENDEMENT DES TAXES AFFECTÉES 2008-2015
(en millions d’euros)
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
BI (*) 2015 | |
Taxe sur le matériel de reprographie (**) |
28,4 |
22 |
29,3 |
32,4 |
29,6 |
29,4 |
26,3 |
28,3 (*) |
Taxe sur l’édition (**) |
5,4 |
5,2 |
5,2 |
5,5 |
4,9 |
5,2 |
4,67 |
4,9 (*) |
Montant net des taxes (***) |
32,3 |
26,2 |
33,1 |
34,3 |
33,1 |
34,6 |
30,9 |
33,2 (*) |
(*) budget initial 2015, bâti sur une prévision du rendement de taxe matérielle de reprographie minorée de 1,5 M€ par rapport au plafond fixé par la LFI 2012. En cours de gestion, le BI a été ajusté pour anticiper une baisse des recettes de – 2 M€
(**) montants bruts des taxes et *** net des remboursements de taxes sur les exercices antérieurs
Source : Agence comptable CNL, comptes financiers 2010-2014
La diminution du rendement de ces taxes crée des difficultés quant à l’avenir des missions du CNL. C’est pourquoi une mission a été confiée à l’Inspection générale des affaires culturelles et au contrôle général économique afin de trouver les raisons de ces mauvais résultats.
Les missions du CNL sont multiples et couvrent tout le champ de la chaîne du livre. À la suite d’une concertation, une évolution du dispositif des aides a été mise en place en 2015 avec pour objectif de le simplifier : ainsi le nombre de dispositifs est passé de 36 à 26.
Dans le domaine de la création, le CNL attribue des bourses d’écriture, des crédits de traduction, de préparation ou des crédits de résidence à des auteurs reconnus. En 2014, ces aides se sont élevées à 2 millions d’euros, au même niveau qu’en 2013.
Dans le domaine de l’édition, le CNL peut accorder des subventions à la traduction et à des publications. En 2014, elles se sont élevées à 5,3 millions d’euros, en légère diminution par rapport à 2013 où 5,8 millions d’euros avaient été attribués.
S’agissant du soutien au numérique, environ 9 millions d’euros ont été distribués, représentant 30,2 % du total des aides, en forte progression par rapport à 2013 ou 7,8 millions d’euros avaient été accordés.
En 2015, un nouveau dispositif a été mis en place afin de soutenir les actions initiées par les bibliothèques en faveur des publics empêchés, que ce soit des personnes souffrant de handicaps, détenues ou hospitalisées ou de publics éloignés (11). Les subventions portent sur l’achat de collections, y compris d’ouvrages adaptés (12) ou sur des actions de médiation vis-à-vis de ces publics ou de formation du personnel.
Un nouveau contrat de performance a été signé par le CNL pour la période 2015-2017 qui fixe trois priorités :
– contribuer au développement de la place du livre dans les pratiques culturelles et faciliter l’accès au livre ;
– accompagner les acteurs du livre face aux mutations ;
– optimiser et moderniser l’organisation et le fonctionnement du CNL.
La France peut s’enorgueillir d’avoir su préserver un réseau dense de près de 2 500 librairies indépendantes dont 538 disposent d’un label de qualité « librairie indépendante de référence » (LIR). Bien que ce commerce soit menacé à la fois par l’arrivée de nouveaux modes de diffusion du livre (vente en ligne, livre numérique) et par une chute de la rentabilité de leur modèle économique, l’année 2014 semble amorcer la fin de l’érosion de la part de marché des librairies indépendantes. Elles représentent 22 % des ventes en 2014, dont 18,5 % pour les librairies générales et spécialisées et 3,5 % pour les maisons de la presse et librairies-papeteries, contre 21,5 % en 2013. Le plan de soutien à la librairie semble avoir permis cette bonne tenue du secteur.
La vente de livre par internet connaît une forte progression. Si, en 2000, 1 % des achats s’effectuait en ligne, en 2014 18,5 % des ventes s’effectuent par ce biais, se rapprochant ainsi des résultats des librairies, qui conservent toujours, néanmoins, 22 % des ventes mais ne progressent pas.
La pénétration du livre numérique, moindre en France par rapport à d’autres pays européens, reste inéluctable. Les ventes représentent en 2014 environ 3 % du chiffre d’affaires des éditeurs.
Les atouts des librairies indépendantes sont autant de points faibles. Elles sont situées en centre-ville où les loyers sont élevés, elles dispensent un accueil et un conseil qui supposent l’emploi de personnel qualifié (les charges de personnel peuvent atteindre 20 % de la masse salariale) et elles offrent une diversité éditoriale qui suppose le financement d’un stock important et la présence de locaux appropriés. C’est pourquoi le taux de rentabilité des libraires s’est effondré pour devenir inférieur à 0,5 % de leur chiffre d’affaires. Or un taux de rentabilité inférieur à 2 % met la profession à la merci du moindre aléa.
C’est pourquoi un plan de soutien a été mis en place en 2014.
Trois grands axes ont été privilégiés :
– l’aide à la transmission des librairies. Géré par l’Association pour le développement de la librairie de création (ADELC), le fonds d’aide à la transmission intervient sous forme de prises de participations au capital de l’entreprise et d’apports remboursables. Doté de 7 millions d’euros, il a été engagé à hauteur de 5,6 millions d’euros fin 2014. Il a notamment permis la reprise de onze librairies du réseau Chapitre en mobilisant 1,36 million d’euros ;
– l’accès au crédit bancaire. Les libraires peuvent via l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), disposer d’un fonds d’avances en trésorerie doté de 5 millions d’euros, provenant du CNL. Depuis le 1er janvier 2014 et jusqu’au 1er juin 2015, 45 librairies ont bénéficié d’avances de trésorerie pour un montant total de 1,35 euro (soit 30 000 euros en moyenne par bénéficiaire). Afin d’utiliser pleinement ces crédits, le ministère de la culture et de la communication a décidé d’élargir ses conditions d’éligibilité à la restructuration des fonds de roulement des libraires à compter de 2016 ;
– le renforcement de l’aide du CNL. Ce dernier joue un rôle pivot en accordant des aides directes : prêts sans intérêt ou subventions pour l’accompagnement de projets de création, de reprise ou de développement des librairies. En 2014, il a accordé 4,2 millions d’euros d’aides, soit 2,9 millions d’euros au titre de prêt et 1,3 million d’euros au titre de subventions. 19 projets de reprises de librairies dans le cadre du réseau Chapitre ont bénéficié de 2,09 millions d’euros en 2014.
Par ailleurs, les directions régionales des affaires culturelles peuvent accorder des crédits déconcentrés afin de soutenir des projets d’aménagement, d’équipement ou des actions d’animation. En 2014 elles ont accordé 1,44 million d’euros.
Avec l’arrivée de nouveaux acteurs économiques et l’essor de nouveaux moyens de vente, l’État se devait de préserver l’équilibre économique de la filière. Trois textes législatifs ont été adoptés en 2014 à cette fin.
En premier lieu, la loi interdit désormais de pratiquer la gratuité des frais de livraison des livres à domicile (13), ensuite une instance de médiation a été créée (14) et des agents (15) relevant du ministre chargé de la culture et de la communication sont assermentés afin de pouvoir constater les infractions à la loi sur le prix unique du livre.
Selon le Syndicat de la librairie française, cette évolution législative a permis d’encourager l’offre en ligne des librairies indépendantes.
Quant à l’instance de médiation, elle a déjà conduit depuis sa nomination neuf procédures de conciliation. Saisie par le ministère de la culture et de la communication d’une consultation sur les offres d’abonnement illimité aux livres numériques, elle a confirmé que ces offres relevaient bien du champ de la loi relative au prix du livre numérique mais que leur conformité était conditionnée à la fixation du prix par l’éditeur et non par le vendeur. Les opérateurs en ligne se sont rangés à cet avis.
Pour 2016, 15,9 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) seront alloués à cette action contre 10,3 millions d’euros d’AE et de CP en 2015, soit une augmentation de + 54,4 %.
Cette action regroupe notamment les crédits accordés à la musique enregistrée, au jeu vidéo et au cinéma. Cette dernière industrie fera l’objet de la seconde partie du présent rapport.
La forte augmentation des crédits s’explique par l’augmentation substantielle des moyens accordés à la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) et au transfert au sein du programme des crédits alloués au Bureau export de la musique française (16).
Les aides financées par cette action s’inscrivent dans une démarche visant à encourager un secteur participant à l’activité économique du pays et pourvoyeur d’emploi. De nombreuses initiatives ont été menées comme par exemple la diffusion d’un guide recensant les dispositifs nationaux d’aide, la mise en ligne d’un site internet dédié et l’organisation d’un forum « Entreprendre dans la culture » dans sept villes entre mars et avril 2015 afin de promouvoir et de valoriser l’entreprenariat culturel.
Depuis le PLF 2015, Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a été rattaché au programme 334. Cet établissement public national à caractère administratif créé en 1946 (17) présente une spécificité, étant à la fois établissement public et administration centrale. Sa principale mission consiste à soutenir, réglementer et promouvoir les industries cinématographiques et audiovisuelles.
Les recettes constituant son fonds de soutien proviennent principalement de trois taxes affectées, la taxe sur les entrées en salle de cinéma (TSA), la taxe sur les services de télévision (TST) et la taxe sur la vidéo et la vidéo à la demande. Le CNC assure le recouvrement et le contrôle fiscal des deux principales taxes affectées (TSA depuis 2007 et TST depuis 2010). Quant à la taxe sur la vidéo, son recouvrement est effectué par la Direction générale des finances publiques (DGFIP).
Le produit de ces taxes affectées s’est élevé en 2014, en exécution, à 664,9 millions d’euros, contre un budget primitif prévu de 700 millions d’euros. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet écart : recul du marché de la vidéo physique (18), baisse du chiffre d’affaires des opérateurs télécoms mais aussi stratégie de contournement de ces opérateurs qui réduisent leurs offres incluant des services de télévision.
C’est pourquoi, le présent projet de loi de finances pour 2016 propose de sécuriser l’assiette de la TST éditeurs en y incluant les recettes des SMS (19) et de la télévision de rattrapage. Le chiffre d’affaires des SMS échappant à l’assiette de la taxe est estimé à 34,6 millions d’euros en 2015 et les recettes issues de la télévision de rattrapage seraient de 59,5 millions d’euros en 2015.
Pour 2016, le produit des taxes affectées est estimé à 633 millions d’euros, une nouvelle fois en net recul. Aucun prélèvement sur le fonds de roulement du CNC n’est prévu, contrairement à celui opéré de l’an passé (20). C’est le produit de ces taxes qui assure le financement du fonds de soutien du CNC destiné à la création, à la production, à la distribution et à l’exploitation cinématographiques, ce qui constitue un modèle original intégré et redistributif.
Depuis 2010, le fonds de soutien prend également en charge des actions auparavant financées par la mission Culture, soit près de 56 millions d’euros de charges pérennes annuelles comme les dispositifs d’éducation à l’image, le plan de restauration des films anciens, l’action culturelle internationale ainsi que la subvention allouée à la Cinémathèque française.
Le dispositif d’aide à la restauration et à la numérisation des films du patrimoine a ainsi permis, entre 2012 et juillet 2015 d’aider 570 films pour un montant total de près de 35 millions d’euros (21).
La Cinémathèque française a pour vocation de valoriser et de diffuser le patrimoine cinématographique, par le biais de la projection de films et l’organisation d’expositions. Le budget pour 2015 de l’établissement s’élève à 31,8 millions d’euros, dont 19,6 millions d’euros versés par le CNC.
Celui-ci finance également la Cinémathèque de Toulouse et cinq institutions en région.
Depuis 2012, le CNC assure en outre, via le fonds de soutien, la subvention à l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (ancienne FEMIS).
Le budget de gestion du CNC s’est élevé à 49,2 millions d’euros en 2015, hors amortissement et projet immobilier. Pour 2016, dans un contexte de baisse du montant prévisionnel des taxes affectées, le budget de gestion du Centre, évalué à 48,2 millions d’euros, sera financé par un prélèvement de 37,2 millions d’euros sur le montant prévisionnel des taxes affectées, de 10,98 millions d’euros de ressources et d’une subvention de l’État de 72 000 euros. Les emplois pour 2016 sont fixés à 471 ETP, en légère augmentation par rapport à 2015 (22), néanmoins les emplois sous plafonds restent inchangés à 459 ETP.
Un projet immobilier de regroupement des emprises sur un seul site est prévu : 34 millions d’euros sont budgétés, en ce sens, en 2016.
Outre les aides versées par le CNC, 2,6 millions d’euros sont prévus en 2016 (soit un montant identique à celui de 2015) pour le soutien au cinéma. Ils sont destinés à soutenir des festivals et des associations régionales de salles de proximité et d’art et essai qui favorisent la découverte d’œuvres cinématographiques peu diffusées ou produites localement.
Par ailleurs, afin d’éviter que les tournages soient réalisés à l’étranger, le crédit d’impôt cinéma, qui permet à une société de production de déduire de son imposition un pourcentage de certaines dépenses, sera aménagé dans le présent projet de loi de finances pour 2016 :
– le plafond des dépenses éligibles par film est porté de 4 millions d’euros à 30 millions d’euros ;
– les films en langue étrangère pourront en bénéficier sous certaines conditions ;
– l’ensemble des œuvres pourra bénéficier d’un taux de 30 % de crédit d’impôt.
Autorité publique indépendante chargée de promouvoir le développement de l’offre légale sur internet et de protéger les œuvres d’atteintes aux droits d’auteur, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), créée par la loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, est chargée de trois missions : appliquer un dispositif de réponse graduée contre les usages illégaux, favoriser l’offre légale et mener des études afin d’adapter les industries culturelles aux défis du numérique.
Concernant sa première mission, depuis le second semestre 2010, la Hadopi a envoyé environ 4,8 millions de premières recommandations, et 361 dossiers ont été transmis aux tribunaux dont 169 entre janvier et juillet 2015.
Depuis 2012, le gouvernement a souhaité réorienter la lutte contre le piratage vers les sites de téléchargement illégal à des fins commerciales. Un décret (23) a donc supprimé la peine complémentaire de suspension d’accès à internet. En cas de condamnation pour téléchargement illégal, le juge peut seulement prononcer une amende contraventionnelle de cinquième classe, et non plus suspendre l’accès à internet.
Dans cet esprit, dans la lignée du rapport présenté par Mme Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la commission de protection des droits de l’Hadopi (24) la ministre de la culture et de la communication a présenté un plan de lutte contre le piratage commercial qui s’articule autour de trois objectifs : assécher les ressources financières des sites illicites, renforcer les actions interministérielles et responsabiliser les plateformes numériques.
Le 23 mars 2015, une Charte des bonnes pratiques a été signée entre les annonceurs, les professionnels de la publicité et les représentants des ayants droit.
Fondée sur une démarche volontaire, les signataires s’engagent à inciter l’ensemble des acteurs à exclure les sites pirates de leurs relations commerciales et à les priver de recettes publicitaires.
La subvention de 8,5 millions d’euros en AE et CP est en augmentation par rapport à 2015, où la subvention avait été fixée à 6 millions d’euros ; le plafond d’emploi de 71 ETPT est reconduit pour 2016. L’effectif actuel est quant à lui limité à 52 agents.
4,9 millions d’euros pour 2015 seront alloués à la sous-action Soutien dans le domaine de la musique enregistrée, soit une forte augmentation des crédits par rapport à ceux accordés en 2015 qui s’élevaient à 1,7 million d’euros.
La difficulté de la filière musicale à s’adapter à un nouveau modèle économique dominée par le numérique et la pratique du piratage expliquent les mauvais résultats enregistrés depuis une dizaine d’années dans ce secteur. Après une embellie conjoncturelle en 2013 (25), les résultats de 2014 confirment les difficultés du secteur : le chiffre d’affaires est redescendu passant à 459 millions d’euros.
Ces mauvais chiffres s’expliquent par la prédominance des ventes physiques au sein des revenus des producteurs, à hauteur de 71 % du chiffre d’affaires. Seul le vinyle connaît une progression, soit + 42 %.
S’agissant des ventes numériques, le streaming par abonnement qui représente 55 % des revenus de ce marché prédomine face au téléchargement à l’acte. En 2014, le marché du streaming représentait 73 millions d’euros de chiffre d’affaires, contre 54 millions en 2013, soit plus de 35 % d’augmentation.
Afin d’accélérer la mutation numérique des entreprises de production phonographique et des éditeurs de service de musique en ligne, un plan d’aide a été lancé en 2014 qui a permis de soutenir 60 labels et une dizaine de plateformes en ligne. Afin de pérenniser ces aides, l’État dote le fonds de soutien à l’innovation et à la transition numérique de 2 millions d’euros, ce qui explique la forte progression des crédits de cette sous-action.
Le secteur est composé de trois filiales de multinationales dites majors mais aussi de nombreuses PME et TPE indépendantes. C’est pourquoi, afin de soutenir la diversité culturelle au sein du secteur un dispositif de soutien en faveur des petites entreprises phonographiques a été mis en place. Ce crédit d’impôt (26) qui concerne les entreprises de production phonographique assujetties à l’impôt sur les sociétés et créées depuis au moins trois ans porte sur les dépenses de production, de développement et de numérisation d’un enregistrement phonographique ou vidéographique musical a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2018 (27). Cette aide cible les entreprises indépendantes, au premier rang desquelles les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME).
Au-delà de la prorogation, ce crédit d’impôt a été renforcé avec (28) :
– la réduction du critère d’ancienneté des entreprises de production phonographiques de 3 ans à 1 an ;
– l’augmentation du plafond de crédit d’impôt qui passe de 800 000 euros à 1,1 million d’euros par an et par entreprise ;
– pour les PME, la prise en compte de la rémunération des dirigeants dans l’assiette des dépenses éligibles, au prorata du temps passé sur l’œuvre et dans la limite d’un plafond de 45 000 d’euros par dirigeant ;
– pour les non-PME, la fin de la décote dans la comptabilisation des projets éligibles au crédit d’impôt et, en contrepartie, l’abaissement du taux de crédit d’impôt de 20 % à 15 %.
Industrie culturelle dynamique, le marché du jeu vidéo affiche un chiffre d’affaires de 4,5 milliards d’euros en 2014 et ce chiffre d’affaires serait en progression de 8 % en 2015 selon l’institut GfK. Les entreprises du jeu vidéo souffrent néanmoins de la concurrence étrangère et éprouvent des difficultés à accéder au crédit bancaire, ce qui nuit au renforcement de leurs fonds propres.
Afin de faire face à la concurrence étrangère qui a mis en place des dispositifs de crédits d’impôt agressifs, le mécanisme français, créé en 2007, se devait d’être adapté. Ce dispositif contribue à éviter la délocalisation des entreprises de jeu vidéo en permettant de combler partiellement la différence de coût des studios français avec ceux de l’étranger. Des aménagements avaient donc été votés par le Parlement lors de la loi de finances pour 2014 (29).
L’année dernière, M. Rudy Salles, dans son avis budgétaire (30), avait regretté le retard pris pour notifier à la Commission européenne ce nouveau dispositif, ce qui reportait d’autant sa mise en application.
Finalement, un décret du 23 juin 2015 (31) a fixé les conditions d’application de ce nouveau crédit d’impôt. Trois évolutions majeures sont introduites afin d’adapter ce dispositif aux évolutions du marché :
– les œuvres, destinées à un public adulte selon la classification en vigueur dite PEGI 18, sont désormais éligibles au crédit d’impôt, à condition qu’elles ne comportent pas de scène de grande violence. Ce dispositif bénéficie d’une rétroactivité sur les dépenses engagées en 2014 ;
– le dispositif est désormais éligible pour les jeux dont le budget de production est supérieur à 100 000 euros ;
– les dépenses de personnel indirectement liées à la production pourront être prises en compte.
La Rapporteure s’en félicite mais déplore, elle aussi, le retard pris, soit plus d’une année, pour que ce dispositif soit effectif.
S’agissant de l’accès au crédit bancaire, deux initiatives principales avaient été lancées :
– un partenariat entre la Banque publique d’investissement (BPI) et l’IFCIC a été conclu le 30 mars 2015 :il permettra à l’IFCIC d’engager par délégation la garantie de Bpifrance et de délivrer aux banques un taux de garantie de 70 % sur leurs crédits aux entreprises du secteur culturel et d’utiliser le réseau régional des agences de la BPI.
– en revanche, le fonds d’avances remboursables sous forme de prêts participatifs sous l’égide de l’IFCIC, en collaboration avec la Caisse des dépôts et consignations, est toujours en cours de finalisation. L’idée générale est de créer un effet de levier pour les entreprises qui pourraient, en complément de ce prêt participatif, obtenir des crédits complémentaires auprès des banques. Ce fonds est en gestation depuis plusieurs années et la Rapporteure tient à souligner la nécessité de sa mise en œuvre effective.
● L’action « soutien aux médias de proximité »
Le soutien aux médias non professionnels, citoyens et participatifs sera doté d’une enveloppe de 1,5 million d’euros en AE et CP. Ce fonds de soutien accordera des subventions à des associations qui ne peuvent bénéficier des aides à la presse traditionnelles. Après une première expérimentation fructueuse en 2015, ce fonds est donc pérennisé.
● L’Action « compagnie internationale de radio et télévision »
La radio franco-marocaine Medi 1, détenue à 51 % par des partenaires marocains, bénéficiera de 1,6 million d’euros en AE et CP. Il est indiqué dans le Projet annuel de performance pour 2016 que cette dotation permettra d’assurer la couverture des coûts salariaux des douze journalistes marocains travaillant à Medi 1, sous contrat de travail français. Cette radio est un instrument de la promotion de la francophonie.
Ces crédits figuraient auparavant au sein du programme 115 Action audiovisuelle extérieure de la mission Médias, livre et Industries culturelles.
Souvent donnée comme moribonde, la salle de cinéma a su résister à de nombreuses innovations technologiques telles que la télévision ou le magnétoscope. Dans une société de plus en plus individualiste, assister à une séance de cinéma en salle participe d’un moment de convivialité. Loisir culturel populaire par excellence, le cinéma semble même trouver un regain d’intérêt en période de crise économique comme le démontrent le succès des comédies françaises au cours de ces dernières années et la bonne tenue de la fréquentation des salles.
L’apparition du numérique changera-t-il cette donne ? Deux menaces pèsent sur les salles de cinéma. Tout d’abord, l’apparition de nouveaux modes de diffusion du film via des appareils numériques change son mode de consommation et vient concurrencer la salle de cinéma. Ensuite, la projection des films à l’aide de nouveaux équipements numériques induit des bouleversements dans l’économie du cinéma et menace la diversité des salles et de la création.
Si dans l’immédiat, le film en salle résiste à la transition numérique, les dispositifs de soutien ont été adaptés afin que les salles de cinéma relèvent ce nouveau défi.
Soutenue et fortement réglementée depuis l’après-guerre, la filière cinématographique est représentative de l’exception culturelle française. S’agissant du secteur de l’exploitation, sa situation fait figure d’exception en Europe. Le réseau de salles reste dense et diversifié sur tout le territoire et les chiffres de la fréquentation se maintiennent à un bon niveau.
La sortie au cinéma reste une activité culturelle populaire. Si la fin des années 1960 marque la fin de l’âge d’or des salles de cinéma durant laquelle les salles enregistrent une chute des entrées qui passent de 411 millions en 1957 à 116 millions en 1992, à partir des années 1990, la fréquentation reprend, sans pour autant retrouver ses niveaux antérieurs.
Plusieurs facteurs expliquent ce déclin : offre diversifiée de films en dehors de la salle de cinéma proprement dite, augmentation du prix des places et moindre attractivité des salles notamment en raison du vieillissement du parc.
Néanmoins, le niveau de fréquentation reste un des meilleurs à l’échelle européenne.
Ainsi, en 2014, la fréquentation des salles a atteint son plus haut niveau depuis 1980, avec 209 millions d’entrées, contre environ 194 millions d’entrées en 2013, soit une progression de presque 8 %. 39,2 millions de personnes sont allées au moins une fois au cinéma et en moyenne chaque spectateur s’y est rendu 5 fois dans l’année.
De plus, ces bons chiffres concernent toutes les catégories d’âge, même si une étude (32) fait apparaître que les adultes de 25 ans à 49 ans composent le plus fort pourcentage de spectateurs (32 %), suivi par les seniors (26,5 %). Le jeune public se maintient à un bon niveau (22 % pour les moins de 14 ans et 19 % pour les jeunes de 15 ans à 24 ans).
TABLEAU COMPARATIF EUROPÉEN DE LA SITUATION DES SALLES DE CINÉMAS
Nombre d’écrans |
Part du film national |
Entrées (millions) | |
Espagne 2005 2014 |
4 383 3 694 |
12 % 25,6 % |
127 87,4 |
Italie 2005 2014 |
3 280 3 917 |
25,7 % 27,8 % |
105 100,2 |
Royaume-Uni 2005 2014 |
3 357 3 947 |
33 % 15,5 % |
164 157,5 |
Allemagne 2005 2014 |
4 889 4 637 |
17 % 26,7 % |
127 121,7 |
France 2014 |
5647 |
44,4 % |
209 |
Source : CNC – Données internationales.
● Une offre de salles diversifiée
Le réseau français de salles de cinéma fait figure d’exception en Europe. Il a conservé un maillage dense sur tout le territoire et une diversité des salles conséquente perdure, notamment grâce à la présence de nombreuses salles d’art et d’essai, particularité française.
En 2014, on comptait 1 644 communes équipées d’au moins un établissement cinématographique et toutes les agglomérations de plus de 50 000 habitants en étaient équipées. Par ailleurs, le cinéma itinérant permet la diffusion des œuvres dans des territoires reculés.
Exploitation cinématographique en Haute-Savoie
Pour l’année 2014, selon les chiffres du CNC, on recense :
– 41 établissements actifs ;
– 84 écrans actifs ;
– 17 111 fauteuils ;
– 17 établissements art et essai, soit 41,4 % des établissements ;
– 4 établissements de 8 écrans et plus, soit Décavison (Annecy), Gaumont (Archamps), CinéLéman (Thonon), CinéMontBlanc (Sallanches) ;
– 31 mono-écrans ;
– 33 établissements classés petite exploitation ;
– 3 établissements classés moyenne exploitation
– 5 établissements classés grande exploitation.
Il existe 2 circuits itinérants :
–CDPC/ Ecran mobile qui compte 26 points de diffusion en Haute-Savoie et 3 en Savoie.
–Cinébus qui compte 19 points de diffusion en Haute-Savoie et 17 en Savoie.
Ils sont tous les deux soutenus par l’Assemblée des Pays de Savoie.
Fréquentation :
L’indice de fréquentation est de 3,8 entrées par habitant (pour mémoire on compte 3,35 entrées par habitant en moyenne nationale) ;
L’équipement cinématographique est de 9 000 habitants par écran
Région Rhône-Alpes :
La région Rhône-Alpes est la deuxième région de France en termes de fréquentation. En 2014, elle compte 273 établissements cinématographiques (trois de moins qu’en 2013) et 664 écrans actifs (cinq de moins qu’en 2013). Le nombre de fauteuils s’élève à 122 839, soit un fauteuil pour 50 habitants et une capacité d’accueil par habitant plus importante que la moyenne nationale (un fauteuil pour 58 habitants). La fréquentation en Rhône-Alpes atteint 21,86 millions d’entrées en 2014, soit 6,0 % de plus qu’en 2013 (+7,9 % au niveau national). C’est la deuxième région en termes de fréquentation après l’Île-de-France.
Les recettes guichets des salles de la région s’élèvent à 142,25 millions d’euros en 2014 et augmentent de 4,4 % (+6,5 % au niveau national). La recette moyenne par entrée atteint 6,51 euros TTC, soit 13 centimes de plus qu’au niveau national. 141 établissements sont classés art et Essai (51,6 % des cinémas de la région) et 21 sont des multiplexes.
Il n’en reste pas moins que trois régions concentrent les entrées. En 2014, l’Île-de-France a enregistré 27,4 % des entrées soit 57,3 millions d’entrées sur 209 millions d’entrées au niveau national, suivie de la région Rhône-Alpes à hauteur de 10,5 % soit 21,9 millions d’entrées et de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour 8,2 % soit 17, 2 millions d’entrées (33).
Autre spécificité française, le parc de cinémas d’art et d’essai se maintient et a même progressé. Ainsi, il est passé de 1 063 établissements en 2005 à 1 116 en 2014, soit 55,2 % du parc total. Ce sont en large majorité des salles mono-écrans à 56,5 % même si 29 multiplexes ont obtenu le classement art et essai. Ils représentent 29,3 % de la fréquentation.
ÉVOLUTION DES ÉTABLISSEMENTS CLASSÉS ART ET ESSAI
Établissements |
Écrans |
Fauteuils | ||||
Nombre |
% du parc total |
Nombre |
% du parc total |
Nombre |
% du parc total | |
2005 |
1 063 |
51,3 |
2 110 |
40 |
372 708 |
36,6 |
2006 |
1 073 |
52,0 |
2 188 |
41,4 |
385 824 |
37,9 |
2007 |
1 041 |
50,7 |
2 129 |
40 |
371 605 |
36,3 |
2008 |
984 |
47,6 |
2 065 |
38,3 |
360 171 |
34,8 |
2009 |
1 059 |
51,3 |
2 202 |
40,3 |
383 420 |
36,5 |
2010 |
1 077 |
52,6 |
2 235 |
40,9 |
390 672 |
37,3 |
2011 |
1 106 |
54,4 |
2 247 |
41,1 |
391 581 |
37,4 |
2012 |
1 132 |
55,6 |
2 290 |
41,6 |
399 709 |
37,9 |
2013 |
1 148 |
56,7 |
2 365 |
42,3 |
411 407 |
38,6 |
2014 |
1 116 |
55,2 |
2 315 |
41 |
401 061 |
37,4 |
Source : CNC
Les salles art et essai
Les salles d’art et d’essai ont pour ambition de défendre la diversité de la création cinématographique. Elles privilégient un travail dans la durée.
Sont considérées comme salles d’art et d’essai celles diffusant des films classés art et essai selon les critères fixés par l’article D.210-3 du code du cinéma et de l’image animée (CCIA) :
– œuvres cinématographiques ayant un caractère de recherche ou de nouveauté dans le domaine cinématographique ;
– œuvres cinématographiques présentant d’incontestables qualités mais n’ayant pas obtenu l’audience qu’elles méritaient ;
– œuvres cinématographiques reflétant la vie de pays dont la production cinématographique est assez peu diffusée en France ;
– œuvres cinématographiques de reprise présentant un intérêt artistique ou historique, et notamment œuvres cinématographiques considérées comme des « classiques de l’écran » ;
– œuvres cinématographiques de courte durée tendant à renouveler par leur qualité et leur choix le spectacle cinématographique.
Le classement des salles repose sur un indice automatique indiquant la proportion de séances de films recommandés art et essai par rapport aux séances totales, qui fluctue selon la taille de la commune et des coefficients de majoration comme le contexte géographique et sociologique, la politique d’animation mais aussi l’environnement cinématographique, le travail en réseau, la politique de diffusion du court-métrage ainsi que des coefficients de minoration tels que l’état de la salle, la diversité des films, ou l’insuffisance de fonctionnement.
De plus trois labels peuvent être attribués aux salles selon leur programmation : « jeune public », « répertoire et patrimoine » ou « recherche et découverte ».
Ce classement est établi par le CNC, sur avis des 7 commissions régionales puis de la commission nationale qui assure l’harmonisation des propositions.
Les commissions art et essai réexaminent chaque année les demandes de classement de tous les cinémas.
● Des signes de fragilité
Le maintien de cette diversité de salles est néanmoins fragilisé par l’évolution de la structure du parc d’exploitations cinématographiques. En effet, si le nombre d’écrans progresse, le nombre d’établissements, de son côté, diminue.
Entre 2005 et 2014 le nombre d’écran est passé de 5 269 à 5 647, soit une augmentation de 7,2 %. Dans le même intervalle, le nombre d’établissements est passé de 2 074 à 2 020, soit une diminution de 2,6 %. Le parc d’exploitations a ainsi perdu 10 établissements par an en moyenne. Ce phénomène se traduit par l’émergence de multiplexes, qui au nombre de 135 en 2003 s’élèvent à 191 en 2014, soit 6 ouvertures par an en moyenne. Ce type d’exploitation contribue au maintien de la fréquentation mais fragilise l’accès aux films des exploitations indépendantes, menace leur pérennité et accentue ainsi la concentration du secteur.
ÉVOLUTION DU PARC DE SALLES DE CINÉMA
Année |
Établissements |
Écrans |
Fauteuils |
2005 |
2 074 |
5 269 |
1 017 553 |
2006 |
2 064 |
5 281 |
1 018 494 |
2007 |
2 055 |
5 316 |
1 022 693 |
2008 |
2 069 |
5 390 |
1 036 136 |
2009 |
2 066 |
5 470 |
1 051 524 |
2010 |
2 049 |
5 467 |
1 048 156 |
2011 |
2 033 |
5 467 |
1 046 847 |
2012 |
2 035 |
5 508 |
1 053 643 |
2013 |
2 026 |
5 588 |
1 065 849 |
2014 |
2 020 |
5 647 |
1 071 305 |
Source : CNC.
● Un régime d’autorisation préalable et de contrôle des recettes
Activité commerciale, l’exploitation d’une salle de cinéma est doublement encadrée.
En premier lieu, l’exploitation d’un cinéma est soumise à un régime d’autorisation préalable.
Toute personne physique ou morale dont l’activité a pour objet l’exploitation d’un établissement de spectacles cinématographiques ou l’organisation de spectacles cinématographiques itinérants doit être titulaire d’une autorisation d’exercice et d’une homologation de son établissement délivrées par la présidente du CNC. L’article L. 212-1 du code du cinéma et de l’image animée (CCIA) définit un établissement de spectacles cinématographiques comme « toute salle ou tout ensemble de salles de spectacles publics spécialement aménagées, de façon permanente, pour y donner des représentations cinématographiques, quels que soient le procédé de fixation ou de transmission et la nature du support des œuvres ou documents cinématographiques ou audiovisuels qui y sont représentés ». Un établissement peut donc compter une ou plusieurs salles ou écrans de cinéma.
Afin d’obtenir l’homologation, les salles et leurs équipements de projection doivent répondre à des spécifications techniques figurant dans des normes qui définissent notamment la distance entre l’écran et le premier rang ou la valeur de luminance des images. Une fois l’homologation obtenue, l’autorisation est délivrée moyennant le paiement d’un droit au CNC. Ce droit est fixé forfaitairement à 16 euros au titre de chacune des salles d’un établissement de spectacles cinématographiques et à 5 euros au titre de chaque lieu de projection en cas d’activité itinérante. En cas de défaut de paiement, l’autorisation n’est pas délivrée (34).
Par ailleurs, l’exploitant doit s’engager à projeter des films assortis d’un visa d’exploitation (35).
En deuxième lieu, les recettes d’exploitation sont contrôlées et un relevé est effectué auprès du CNC.
La recette aux guichets est assujettie à deux taxes, la taxe spéciale additionnelle (TSA) et la TVA au taux réduit de 5,5 %. La TSA est établie sur le prix du billet. Elle est calculée en appliquant sur le prix des entrées aux séances organisées par les exploitants un taux de 10,72 %. Elle sera étendue le 1er janvier 2016 aux départements d’outre-mer au taux de 1 % à titre transitoire. Ce taux est multiplié par 1,5 en cas de représentation d’œuvres ou de documents cinématographiques à caractère pornographique ou d’incitation à la violence (36).
La SACEM perçoit également une rémunération. Enfin, le reste est partagé entre l’exploitant et le distributeur selon un taux de location négocié entre les parties pour chaque film et chaque établissement. Le taux moyen de location s’élève à 46,9 %. En 2014, la recette revenait pour 44,4 % à l’exploitant et à pour 38,3 % au distributeur.
L’article L.212-32 du CCIA fixe les modalités du contrôle de ces recettes :
– Les exploitants sont tenus d’enregistrer et de conserver dans un système informatisé les données relatives à l’entrée de tout spectateur ;
– Les exploitants tiennent à jour des documents permettant d’identifier les recettes réalisées pour chaque programme cinématographique représenté dans les salles de leurs établissements aux fins de contrôle ;
– Les exploitants adressent au CNC, à la fin de chaque semaine cinématographique, une déclaration des recettes réalisées pour chaque programme cinématographique représenté dans les salles de leurs établissements.
● Un dispositif de soutien original
Les aides au cinéma ont la particularité d’être autofinancées par la profession elle-même. Le CNC se charge ensuite de les redistribuer selon des critères spécifiques.
S’agissant de l’exploitation, le soutien financier s’organise autour d’un fonds qui se compose de subventions automatiques et d’aides sélectives.
– Le soutien automatique à l’exploitation :
Chaque établissement reçoit une allocation calculée proportionnellement au montant de la taxe acquittée sur le prix des entrées des séances (la TSA). Plus l’établissement fait recette, moins la subvention reversée par le CNC sera élevée. Cependant, elle ne peut être inférieure à 30 % du montant total de la taxe. Depuis 2013, elle tient compte de l’évolution de l’indice des prix et du coût de la construction. Son objectif est de faciliter les investissements des exploitants.
Ces aides se sont élevées à 65,6 millions d’euros en 2014 contre 67,9 millions d’euros en 2013.
– Le soutien sélectif :
Dans cette catégorie figure trois aides, la modernisation des salles en zone insuffisamment équipées développée ci-dessous, le soutien aux salles classées art et essai et l’aide aux salles à la programmation difficile.
Les exploitants d’établissements classés « art et essai » peuvent recevoir une aide s’ils programment une proportion conséquente de films classés art et essai et mènent une politique d’animation pour les promouvoir ; trois labels sont pris en compte, « jeune public », « recherche et découverte » et « patrimoine et répertoire ». En 2014, 1 148 établissements ont reçu 14,6 millions d’euros soit une moyenne de 13 000 euros par établissement.
Des primes sont également accordées à des exploitants de grandes villes qui maintiennent, face à la concurrence, une programmation difficile. Sont prises en compte la ville de Paris, les communes de plus de 200 000 habitants et les communes de moins de 200 000 habitants mais ayant réalisé plus de 1,5 million d’entrées l’année précédente. L’aide tient compte de la qualité, de la diversité et des prises de risque de la programmation ainsi que de la situation financière de la salle.
En 2014, 39 établissements ont reçu 1,76 million d’euros.
En 2006, sept majors hollywoodiens ont lancé un nouveau format, le DCI ou « Digital Cinéma Initiative » pour la diffusion de leurs films. Progressivement, les bobines argentiques de 35 mm ont été remplacées par des fichiers numériques. Le schéma de distribution et de diffusion des films s’en est trouvé bouleversé.
Désormais, les films sont envoyés sous forme de fichiers aux salles, le DCP ou « Digital Cinéma Packages », et sont stockés sur des serveurs. Ils sont ensuite diffusés au moyen de projecteurs électroniques. Les salles françaises ont toutefois su, avec l’aide de l’État, s’adapter à ces transformations (cf. infra, B. 2).
Mais le développement des technologies numériques va bien au-delà de la seule projection en salle : en quelques années, il a bouleversé la filière de l’exploitation cinématographique à la fois en accentuant la concurrence avec de nouveaux canaux de diffusion de films et en transformant l’économie même du film.
L’apparition d’écrans dits nomades permet la diffusion de films en dehors de salles non seulement sur l’ordinateur via le streaming, sur des tablettes et des smartphones mais aussi sur des téléviseurs HD (37) (en vidéo à la demande ou VàD). Le mode d’accès et le temps de consommation des images en sont modifiés. Selon le CNC en 2014, 97,6 % des foyers français possèdent une télévision, 79 % sont équipés d’un lecteur de DVD (38) et 36 % détiennent une tablette.
Si le marché de la vidéo est en baisse, la vidéo à la demande progresse. Selon le CNC, si en 2010, 8 147 films avaient été téléchargés au moins une fois, en 2014 ce sont 12 811 références qui l’ont été. Quant à l’offre, elle continue sa progression, soit 12 811 films disponibles en 2014 contre 11 870 en 2013.
En outre, depuis le printemps 2014, est apparu en France un nouveau concept, le « e-cinéma », que l’on peut définir comme la diffusion sur internet de longs-métrages sur un territoire donné sans que ces œuvres bénéficient auparavant d’une sortie en salle. Ces œuvres peuvent être diffusés dans des salles lors de festivals ou dans d’autres pays.
L’intérêt pour le distributeur est d’éviter des frais de promotion et de publicité élevés. En effet, on estime à 1,6 million d’euros le coût moyen de la sortie d’un film dans plus de 400 établissements. Les recettes échappent à la TSA mais sont assujetties à la taxe sur la vidéo à la demande, ce qui leur permet d’abonder le compte de soutien du CNC. Ainsi, Wild Bunch et TF1vidéo ont lancé en mai dernier une offre de location de films étrangers qui ne seront pas commercialisés en salle.
Ce concept a été médiatisé avec la sortie de « Welcome to New York » d’Abel Ferrara en VàD en mai 2014, après sa présentation au festival de Cannes. On peut citer, entre autres les films « Teach me love » de Tom Vaughan sorti en juillet 2015 ou un « Un incroyable talent » de David Frankel diffusé en mai 2015. Dans l’immédiat, le succès reste limité, les œuvres n’ont pas dépassé 10 000 visionnages à l’exception du film d’Abel Ferrara. Selon les représentants de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF) (39), ils sont assimilables à des œuvres audiovisuelles et non à des œuvres cinématographiques. Pour la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF) (40), ils ne constituent pas un risque particulier, au vu du nombre de films diffusés en salles.
Enfin, de nouveaux loisirs, comme les jeux vidéo, les réseaux sociaux peuvent également constituer une menace concurrente au cinéma.
● De nouveaux schémas de diffusion
L’arrivée du numérique a permis d’accroître l’offre de films en salle et permet une programmation plus souple pour les exploitants.
Les investissements techniques moins importants autorisent un amortissement du film sur une période plus courte, ce qui a permis une progression du nombre de films inédits. Ainsi une salle diffuse en moyenne 135 films inédits en 2014 contre 111 en 2010. Cette progression est notable pour les cinémas d’art et d’essai, (+ 23,7 %), les établissements en zone rurale(+ 38,4 %) ou les établissements mono-écrans (+ 29,2 %).
En outre, cette offre accrue profite au cinéma français puisqu’entre 2010 et 2014, le nombre de films français a progressé de 71 titres diffusés passant de 272 à 343.
En 2014 la part de marché des films français est de 44,4 %, faisant jeu égal avec la part des films américains qui s’élève à 45,4 %, ce qui démontre la vitalité de la filière française. En outre, trois films français occupaient les trois premières places du classement des entrées.
Par ailleurs, le stockage sur fichier permet à l’exploitant de projeter le film dans n’importe quelle salle de son établissement à des horaires différents, en version originale ou française, sous réserve de l’accord de son distributeur.
Enfin, le nouvel équipement numérique permet de programmer des contenus alternatifs au film dénommés « le hors film » qui peuvent être la diffusion en direct ou en différé d’opéras, de ballets, de pièces de théâtre, de concerts voire d’événements sportifs. Ce type de programmation est exclu du calcul des aides. Les partisans du développement de ce type d’initiative mettent en avant un élargissement possible du public. Néanmoins, selon les distributeurs (41), ce marché représente une concurrence par rapport aux films lorsqu’ils sont programmés à des créneaux de forte audience de type soirée ou week-end. Jusqu’à présent, ce nouveau marché reste limité, de l’ordre de 0,2 % des séances.
Le revers de la médaille de cette souplesse est une plus grande rotation des films, constat partagé par les représentants des exploitants et des distributeurs (42).
Il est plus facile qu’auparavant de faire circuler les copies ou d’augmenter leur nombre. Ainsi, la première semaine est décisive et les films qui ne rencontrent pas le succès escompté sont retirés de l’affiche, tandis que ceux qui enregistrent de bonnes entrées voient leur diffusion renforcée. Ce système accentue les succès mais aussi les échecs.
Ce phénomène a des conséquences sur la programmation, certains distributeurs privilégient une exposition intensive de films à gros budget sur de courtes périodes et choisissent de concentrer l’exploitation de leurs films dans des villes clés afin de réaliser une rentabilité rapide. Selon les chiffres de l’Agence de développement régional du cinéma (ADRC), 85,2 % des films sont ainsi sortis sur moins de 300 points de diffusion en 2014.
Le corollaire de cette rotation rapide des films est la difficulté pour les petites salles situées en province et particulièrement dans les villes moyennes d’accéder aux films en première exclusivité. Lors de son audition (43), le Syndicat des cinémas d’art de répertoire et d’essai (SCARE) a ainsi indiqué que la ville de Mayenne et tout le département n’avaient pu obtenir de sortie nationale des dernières palmes d’or depuis 3 ans. Selon l’ADRC, en 2013, 41 % des multiplexes programme un film en première semaine contre 24,5 % des salles de moyenne exploitation.
Le plan de sorties des films fait souvent l’objet d’âpres négociations entre les distributeurs et les exploitants. Se pose donc la question de la multiprogrammation pratiquée par les petites salles, soit par volonté de toucher plusieurs publics, soit en raison de la contrainte de l’écran unique qui freine leur possibilité de diffuser les sorties en première semaine. Les distributeurs préfèrent, en effet, une programmation continue.
Par ailleurs, lors de leur audition, les représentants des salles d’art et d’essai (44) ont indiqué que certains distributeurs ne fournissaient leurs salles qu’à partir de la cinquième semaine afin d’éviter de payer la contribution dite Vpf (cf. infra, B. 2.) (45).
● Un renforcement de la concentration du secteur
Cette difficulté d’accès aux films remettant ainsi en cause les salles indépendantes et favorise la concentration du secteur, menaçant l’équilibre de l’écosystème unique du cinéma français.
Cette concentration concerne à la fois le secteur de la distribution et de l’exploitation.
S’agissant de la distribution, l’ADRC pointe dans son rapport d’activité que 6,2 % des distributeurs actifs en 2014 ont sorti 24,4 % des films d’exclusivité et ont réalisé 67,7 % des entrées. Ces majors de la distribution ont renforcé leur pouvoir sur les exploitants. Comme le résumait M. Jean-Michel Gévaudan, délégué général de l’ADRC (46), le risque à venir est de ne conserver que de grandes enseignes et des salles municipales.
Concernant l’exploitation, les chiffres sont également révélateurs : en 2014 les petites exploitations réalisent moins de 80 000 entrées par an et représentent 73,7 % du parc, mais ne rassemblent que 34,8 % des écrans, tandis que les grandes exploitations, avec 293 établissements sur 2020 réalisent 450 000 entrées annuelles, regroupent 14,5 % des exploitations, représentent 45,4 % des écrans et réalisent 66 % des entrées et 70,6 % des recettes. Les multiplexes, soit 191 établissements représentent 9,4 % du parc mais concentrent presque 60 % des entrées et 64 % des recettes.
Préserver l’engouement que manifestent les spectateurs pour le cinéma en salle est un défi pour les exploitants qui veillent à maintenir l’attractivité de leurs établissements en développant de nouveaux services et en déployant des stratégies tarifaires compétitives.
Les nouveaux canaux de diffusion et de consommation des films ne semblent pas être des concurrents directs dans l’immédiat, mais se cumuleraient plutôt. Plusieurs points font la différence.
En premier lieu, la qualité de l’accueil et des services fait se démarquer la salle par rapport à la télévision ou à l’ordinateur. La modernisation du parc des salles et de l’offre de services annexes va dans ce sens. Afin de maintenir l’attractivité de leurs établissements, les exploitants doivent offrir une qualité de diffusion supérieure à celle offerte par les autres canaux : taille de l’écran, qualité du son, lieux de convivialité. Des enquêtes menées dans les années 2000 par le CNC indiquaient que parmi les déterminants qui motivaient une sortie au cinéma figurait, outre le prix du billet, la taille de l’écran, la qualité du son et le confort des fauteuils.
Bien que controversée, l’implantation de multiplexes revient aux fondamentaux du cinéma comme salles de spectacles avec la présence de restaurants ou de cafés, remplaçant les attractions d’antan. Il associe la séance de cinéma à une sortie, à un loisir. Par ailleurs, selon le CNC, 72 % des spectateurs prennent la décision d’aller au cinéma à l’avance, au moins la veille.
En deuxième lieu, aller voir un film en salle est un partage d’expérience, un moment de convivialité, à l’inverse du visionnage du film sur un ordinateur ou un écran de télévision. Ainsi, 90 % des personnes se rendent au cinéma accompagnées tandis que 85 % regardent seul une vidéo sur leur ordinateur (47).
Enfin, la salle bénéficie de l’exclusivité de diffusion. Avec l’essor des nouveaux supports et l’habitude prise par la jeune génération de visionner des films via internet, l’équilibre est cependant précaire.
Les exploitants et le CNC (48) ont par ailleurs souligné l’importance de la salle pour le devenir d’un film, un succès en salle bénéficiant par la suite à la vidéo ou à la VàD.
Dans cette logique, en concertation avec les professionnels, l’État a instauré une réglementation particulière pour la diffusion des films. Élaboré dans un premier temps pour encadrer la diffusion des films à la télévision, elle a évolué avec l’apparition de nouveaux supports. Le dispositif vise à éviter la concurrence de la télévision et à faire participer les groupes audiovisuels à la politique publique de soutien au cinéma. Il réglemente la quantité, les horaires de la diffusion d’œuvres cinématographiques sur les chaînes de télévision ainsi que le contenu de cette programmation.
La loi du 29 juillet 1982 modifiée en 1986 (49) instaure des quotas de diffusion de films à la télévision. La programmation d’œuvres cinématographiques sur des chaînes de télévision hertziennes en clair est interdite aux jours et heures où la fréquentation en salles est la plus forte (mercredi, vendredi soir, samedi et dimanche avant 20 h 30, à l’exception de films d’art et essai après 22 h 30 le mercredi, le jeudi et vendredi). Un plafond annuel de films diffusés est aussi prévu (192 films et 52 films classés art et essai).
La programmation est également encadrée. 60 % du temps annuellement consacré à la diffusion d’œuvres cinématographiques doit être consacré à des films européens et 40 % de ce temps à des films français. France Télévisions est soumis à un régime spécifique, avec 70 % d’œuvres cinématographiques européennes et 50 % de films français.
La chronologie des médias, qui résulte d’un accord interprofessionnel, maintient, quant à elle, un équilibre entre la diffusion en salles et sur d’autres supports.
Les articles L. 231-1 à 234-2 du code du cinéma et de l’image animée et l’accord interprofessionnel du 6 juillet 2009 fixent ainsi des délais de commercialisation et de diffusion des films à compter de leur sortie en salle. Les salles de cinéma disposent de quatre mois d’exclusivité
S’agissant des vidéogrammes physiques, la loi a fixé à 4 mois le délai de diffusion après la sortie des films en salle. Une dérogation peut être accordée par le CNC lorsque le film enregistre moins de 2 000 entrées au cours de sa quatrième semaine d’exploitation.
Quant aux services de médias audiovisuels à la demande et aux services de télévision, un accord professionnel a négocié les délais applicables qui varient selon le support. Cet accord est reconduit tacitement chaque année.
LA CHRONOLOGIE DES MÉDIAS
Fenêtre d’exploitation |
Accord de 2009 | |
Sortie en salle |
J = sortie en salles | |
Vidéo physique (fixée par la loi) |
J + 4 mois | |
VàD (vidéo à la demande) à l’acte | ||
Première fenêtre TV payante de cinéma |
en cas d’accord avec les organisations professionnelles du cinéma |
J + 10 mois |
dans le cas contraire |
J + 12 mois | |
Seconde fenêtre TV payante de cinéma |
en cas d’accord avec les organisations professionnelles du cinéma |
J + 22 mois |
dans le cas contraire |
J + 24 mois | |
Services de télévision en clair et autres services payants |
s’ils consacrent 3,2 % de leur chiffre d’affaires à la coproduction d’œuvres cinématographiques |
J + 22 mois |
dans le cas contraire |
J + 30 mois | |
VàD par abonnement |
J + 36 mois | |
VàD gratuite |
J + 48 mois |
Source : Centre national du cinéma et de l’image animée.
L’assouplissement de la chronologie des médias est une question controversée au sein de la profession qui redoute surtout la sortie simultanée d’une œuvre en salles et en vidéo ou s’agissant des films étrangers, la sortie en vidéo disponible via internet avant sa sortie sur écran en France.
Néanmoins, une adaptation est nécessaire pour suivre l’évolution des modes de consommation de films, celle-ci ayant fortement évolué depuis 2009, date de la signature des derniers accords.
Lors de son audition (50), M. Xavier Lardoux, directeur du cinéma du CNC a évoqué plusieurs orientations possibles :
– abaissement du seuil à 3 mois pour la vidéo ou la Vàd à l’acte pour les films ayant fait moins de 20 000 entrées cumulées sur les 4 premières semaines et moins de 1 000 entrées sur la 4e semaine ;
– avancement de 2 mois de l’ensemble des fenêtres des chaînes de télévision ;
– mise en place d’un système de fenêtres glissantes pour les films ayant réalisé moins de 20 000 entrées cumulées sur les 4 premières semaines et sans diffuseurs sur la fenêtre précédente.
Un autre risque réside dans le piratage des films, point souligné par les représentants des exploitants comme ceux de la distribution (51).
Selon l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA), en 2015 13,5 millions d’internautes ont consommé des vidéos illégales, que ce soit en streaming ou en téléchargement. Sur 47 millions d’internautes en France, elle estime que 14 millions d’entre eux utilisent des sites illicites. La facilité des téléchargements illicites des œuvres de cinéma est un danger pour toute la filière. La FNDF a indiqué (52) qu’elle avait engagé des poursuites en justice contre des moteurs de recherche et des fournisseurs d’accès qui permettent de se connecter à des sites illicites de streaming ou de téléchargement de films.
C’est pourquoi la profession plaide pour la mise en œuvre de sanctions vis-à-vis des consommateurs de sites illicites. Selon les représentants des distributeurs, la signature de la Charte des bonnes pratiques entre les annonceurs, les professionnels de la publicité et les ayants droit ne produira que des effets limités car elle ne permettra pas d’atteindre des sites domiciliés à l’étranger.
Avec un niveau moyen autour de 6,38 euros, la question du prix de la place de cinéma est délicate. Un prix trop bas nuit à la rentabilité des salles à l’heure d’investissements onéreux alors même que la variable du prix influe sur la fréquentation.
C’est pourquoi, les exploitants privilégient depuis quelques années, la mise en œuvre de stratégies tarifaires : diversification des tarifs, fidélisation des spectateurs par l’intermédiaire des opérations de promotion ou des cartes de fidélité sont autant de réponses à la concurrence des nouveaux canaux de diffusion.
L’opération « 4 euros pour les moins de 14 ans » mise en place en 2014 est significative. Avec pour objectif affiché d’inciter le jeune public à fréquenter les salles de cinéma, elle a rempli ses objectifs. 16,3 millions d’entrées ont été comptabilisées et le nombre de fois où le jeune public est allé au cinéma a progressé, passant de 3,8 fois en 2013 à 4,3 fois en 2014. Parmi la tranche d’âge ciblée on observe une hausse de plus de 32 % chez les 6-10 ans et plus 2,6 % de 11 à 14 ans (53). L’opération n’a pas été reconduite mais de nombreuses salles pratiquent des tarifs différenciés pour le jeune public.
Afin de conserver une clientèle captive les grandes enseignes ont, quant à elles, mis en place des cartes d’abonnement. Toutefois, ces stratégies tarifaires accentuent le fossé entre les petites exploitations et les grosses enseignes. M. Xavier Lardoux, directeur du cinéma du CNC (54) a plaidé pour une meilleure lisibilité de ces tarifs.
L’État de son côté a apporté son soutien en maintenant le taux réduit de TVA sur les billets. L’article 7 de la loi de finances pour 2014 (55) a diminué le taux de TVA sur les billets d’entrée à 5,5 % contre 10 %. Le coût budgétaire a été évalué entre 55 millions et 60 millions d’euros.
La diversité des salles permet la diversité de la création. C’est pourquoi l’État apporte son soutien pour maintenir un parc d’exploitations diversifié et favoriser un maillage dense de salles sur tout le territoire.
● Accompagner la transition numérique
Afin de préserver le tissu diversifié du parc d’exploitations menacé par la mise en place de nouveaux équipements numériques coûteux, la France a mis en place un dispositif destiné à faciliter l’installation d’équipements numériques dans toutes les salles.
La numérisation des films entraîne pour les distributeurs des économies sur les coûts de fabrication, de reproduction et sur les frais de distribution des copies de films. C’est pourquoi, la loi du 30 septembre 2010, adoptée à l’unanimité à l’initiative de notre collègue Michel Herbillon (56), prévoit le financement de l’équipement numérique des salles par les distributeurs, ceux-ci devant en contrepartie bénéficier d’économies.
Un mécanisme redistributif est fléché vers les exploitants afin de les aider à financer les nouveaux équipements. Ainsi une contribution obligatoire, le « Virtual print fee » ou VpF, est versé par les distributeurs pour l’ensemble des films et des salles, dès lors que le film est diffusé en numérique au cours des deux premières semaines de sortie nationale (et au-delà dans le cas d’un élargissement du plan de sortie initial) (57).
La VpF doit contribuer au financement des investissements nécessaires à l’installation initiale des équipements de projection numérique, ce qui recouvre les coûts liés à l’acquisition des matériels de projection numérique (serveur et projecteur notamment), les éventuels frais annexes (tels que l’extension de garantie de ces matériels, les frais d’installation et les frais financiers en cas d’emprunt), ainsi que les coûts liés à la transformation technique des cabines de projection (climatisation, extension du hublot de projection, etc.). La contribution numérique peut être versée directement par les professionnels concernés ou indirectement, c’est-à-dire par un intermédiaire. En 2013, la VpF s’est élevée à 16,09 millions d’euros prélevés sur 172 films.
Par ailleurs, le CNC a mis en place une aide sélective, le Cinenum pour les salles qui ne pouvaient pas percevoir assez de contributions en raison d’une programmation dite de continuation (58). Il a ainsi subventionné des petites exploitations pour un coût global de 134,6 millions d’euros entre 2010 et 2013.
Les établissements peu actifs (moins de 5 séances hebdomadaires par semaine en moyenne sur l’année) depuis juin 2012 et les circuits itinérants depuis octobre 2012, font également l’objet d’un dispositif de soutien spécifique.
Ce mécanisme a été un succès et a permis d’éviter la disparition de petites salles souvent en milieu rural. Il a été salué par tous les représentants de la profession.
En 2014, la totalité des salles en métropole était équipée pour la projection numérique et fin 2014, 1 187 établissements disposaient d’un équipement de projection numérique 3D, soit presque 59 % des établissements (59). Ce dispositif sera étendu à l’Outre-mer à partir de 2016.
En outre, cette modernisation des salles a permis un regain d’intérêt des spectateurs, reflété par les bons chiffres de la fréquentation.
Un dispositif récemment précisé
L’article 10 du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, examiné fin septembre 2015 en première lecture à l’Assemblée nationale, a complété ce dispositif. Il consolide les mécanismes de contrôle des recettes d’exploitation cinématographique et, d’autre part, il précise l’organisation et les destinataires des échanges d’informations relatives à la projection numérique des œuvres cinématographiques en salles.
Dans le cadre du dispositif financier institué par cette loi pour faciliter la numérisation des salles, l’article L. 213-21 du code du cinéma et de l’image animée a en effet imposé aux exploitants d’établissements de transmettre tant aux distributeurs qu’au CNC les données extraites des journaux de fonctionnement des équipements de projection numérique relatives à l’exploitation des œuvres cinématographiques de longue durée et à l’utilisation de ces équipements. Cette transmission est nécessaire en particulier pour assurer une meilleure transparence de la programmation des films en salles ainsi que, dans un nouveau cadre technologique, une plus grande efficacité en matière d’information sur les recettes d’exploitation. Or, cette obligation n’a pu être mise en œuvre à ce jour, en raison de nombreux problèmes techniques. Le projet de loi prévoit donc les ajustements nécessaires afin que cette transmission d’information puisse avoir lieu.
Ces bons résultats et cette satisfaction de tout le secteur pour ce dispositif ne doivent pas occulter les questions qui ne manqueront pas de se poser à moyen terme.
Comme toute nouvelle technologie, le cinéma numérique connaîtra des évolutions. Les petites exploitations pourront-elles continuer à maintenir cette course à l’innovation ? Les représentants des distributeurs ont insisté sur le caractère transitoire du mécanisme mis en place par la loi de 2010 (60) .
De plus, lors des auditions, les représentants des salles art et essai ont insisté sur les coûts annexes des nouveaux équipements, maintenance ou frais d’achat de lampes (61) pour lesquels ils ne peuvent bénéficier de tarifs négociés en raison de leurs faibles volumes.. Quant aux économies de personnel, elles n’ont été possibles que dans les grandes exploitations, car dans les petites salles le personnel est souvent polyvalent.
● Réguler le parc d’exploitations
L’apparition de multiplexes dans le parc des salles de cinéma, dont il n’existe pas de définition juridique mais qui peuvent néanmoins être caractérisés comme des complexes cinématographiques de 8 à 23 salles souvent intégrés à un centre commercial, a suscité une évolution de la réglementation applicable à l’ouverture des cinémas.
Activité commerciale (62), l’ouverture d’une exploitation cinématographique a longtemps relevé d’un régime calqué sur l’ouverture et l’extension des grandes surfaces commerciales de type hypermarché. L’activité cinématographique étant également culturelle, une législation calquée sur l’urbanisme commercial s’est avérée réductrice et menaçait, à terme, la diversité des salles. En effet, la multiplication des multiplexes crée à la fois une concurrence sur le parc d’exploitations dans les petites villes et villes moyennes et sur le créneau des films d’art et d’essai dits porteurs. C’est pourquoi, à partir de 1996, la législation s’est efforcée de réguler l’implantation des salles de forte capacité.
En 2014 (63), afin de bien marquer son appartenance à la sphère culturelle, le dispositif de l’aménagement cinématographique a été transféré du code du commerce au code du cinéma et de l’image animée. De plus, ce dispositif a été renforcé afin de préserver le pluralisme des salles. Ainsi, tout projet d’extension de cinéma qui atteindrait 8 salles est soumis systématiquement à autorisation par la commission départementale de l’aménagement cinématographique. Le seuil précédent ne tenait pas compte des salles mais des fauteuils. Cette évolution vise à réguler le parc de multiplexes.
Désormais, les commissions départementales d’aménagement cinématographique statuent notamment sur les projets présentés dans les cas suivants :
– tout projet de création, de réouverture ou de transformation d’un établissement de spectacles cinématographiques comportant plusieurs salles et plus de 300 places ;
– toute extension d’un établissement ayant atteint le seuil de 300 places et devant le dépasser après cinq ans de mise en exploitation à l’exception des extensions représentant moins de 30 % des places existantes ;
– toute extension d’un établissement ayant atteint le seuil de 1 500 places et devant le dépasser.
Les demandes doivent être accompagnées d’études qui permettent d’apprécier (64) :
– l’effet potentiel du projet sur la diversité cinématographique dans la zone. Chaque opérateur doit préciser le contenu du projet de programmation : soit le pourcentage des séances consacrées à des films art et essai, soit le pourcentage de séances consacrées au jeune public et aux films de patrimoine ou la part des films projetés en version originale et en version française ;
– l’effet potentiel du projet sur l’aménagement culturel du territoire et la qualité de l’urbanisme : notamment l’intérêt du projet par rapport à la répartition géographique des cinémas dans la zone et par rapport à la répartition de la population, l’effet potentiel sur l’équilibre entre les différentes formes de spectacles de cinéma, les caractéristiques architecturales ou la pertinence de la localisation au regard du plan local d’urbanisme ou du schéma de cohérence territoriale.
En cas de recours, une commission nationale d’aménagement cinématographique statue.
Toutefois, des critiques subsistent sur l’efficacité de ce dispositif.
Lors de son audition (65), l’ADCR a dénoncé les pratiques de démarchage de promoteurs auprès des élus locaux qui proposent des projets de multiplexes des grandes enseignes afin d’animer en soirée les centres commerciaux existants.
La prépondérance des élus locaux au sein de ces commissions a également été critiquée. Seuls deux experts au titre du CNC et de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) représentent le secteur culturel. Selon les exploitants, les collectivités territoriales raisonnent en fonction d’enjeux locaux où le prisme commercial domine sans vision d’ensemble sur l’ensemble de la zone. C’est pourquoi ils considèrent que l’échelle de la région serait plus adaptée. En outre, il conviendrait également qu’un contrôle soit véritablement exercé quant au respect des engagements du projet.
Par ailleurs, bon nombre d’exploitants partiront à la retraite d’ici à quelques années comme pour le secteur de la librairie. Afin d’éviter la disparition des petites salles et de faciliter leur reprise, l’État a pris des mesures pour faciliter leur transmission. En premier lieu, l’État a créé une filière au sein de l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (ancienne FEMIS) afin de former les nouveaux exploitants. En deuxième lieu, il va mettre en place un soutien financier sous forme d’un fonds d’avance remboursable géré par l’Institut du financement du cinéma et des industries Culturelles (IFCIC). Il permettra d’octroyer des avances qui pourraient représenter jusqu’à 40 % du montant de l’acquisition de petites ou moyennes exploitations (200 000 entrées par an) sur une période de 4 ans à 7 ans par des exploitants de moins de 45 ans.
● Préserver le maillage territorial
Comme cela a été rappelé ci-dessus, la France peut s’enorgueillir de disposer d’un parc d’exploitations cinématographiques présent sur tout le territoire, y compris en zone rurale et contribuent de ce fait à l’aménagement culturel du territoire. L’ADCR souligne que la salle de cinéma est souvent le seul lieu culturel d’une commune.
Plusieurs acteurs contribuent à la vitalité du cinéma en zone rurale : l’État, une association, l’Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC) et les collectivités territoriales.
L’État, via le CNC, distribue une aide sélective. Afin de préserver ce maillage territorial unique, les exploitants peuvent présenter des projets au CNC visant à créer ou restructurer des salles dans des zones tendues et bénéficier de subventions s’ils sont retenus. Elle ne peut bénéficier aux propriétaires ou exploitants détenant plus de 50 écrans. En 2014, 40 projets sur 49 présentés ont reçu 7,58 millions d’euros. La moitié des projets aidés sont situés dans des villes de moins de 15 000 habitants.
L’ADRC, association créée en 1983, soutient et favorise le développement de la petite exploitation dans les zones rurales et les petites villes ou villes moyennes. Pour ce faire, elle aide à l’accès aux films, elle offre des consultations pour des projets de création ou de transformation de salles, et favorise la diffusion de films patrimoniaux.
Enfin les collectivités territoriales peuvent également apporter leur soutien. Il peut prendre la forme de subventions aux exploitants ou de reprise de salles par les municipalités.
Les départements et régions peuvent attribuer des subventions à des exploitations réalisant moins de 7 500 entrées en moyenne hebdomadaire ou faisant l’objet d’un classement « art et essai » (66).
Par ailleurs, les communes qui souhaitent éviter la fermeture d’une salle dans leur ville peuvent en devenir propriétaires. La salle, dite salle municipale, sera exploitée de différentes manières :
– la gestion sera confiée à une association ;
– la gestion ressortira d’une régie municipale ou d’une société d’économie mixte ;
– la gestion sera déléguée à un exploitant privé, et peut être assortie d’un cahier des charges.
L’accès aux films est devenu particulièrement compliqué pour les exploitants de salles situées dans les villes moyennes. Les représentants des salles d’art et d’essai (67) ont insisté sur la concentration des copies dans des zones où règne une forte concurrence et la diffusion de films d’art et d’essai dits porteurs dans des circuits dont ce n’est pas la ligne éditoriale. Dans le cadre de ses missions, l’ADRC s’est donc attachée à sensibiliser les distributeurs.
Cette dernière joue un rôle particulièrement important en finançant des copies de films demandés par les exploitants pour les diffuser auprès de salles de petites agglomérations et de zones rurales afin de leur permettre l’accès à certains films en première exclusivité ou classés art et essai. La circulation du film bénéficie à plusieurs salles. Chaque circulation entraîne une VpF répartie équitablement entre les salles.
Entre 2004 et 2013, le nombre de circulation de copie est passé de 1986 à 3041 et entre 2013 et 2014, le nombre de circulation sur les villes moyennes a doublé (68).
Trois procédures coexistent :
– un dispositif destiné aux salles des petites villes qui réalisent moins de 50 000 entrées par an ;
– un dispositif villes moyennes pour celles qui comptabilisent entre 50 000 et 250 000 entrées par an ;
– un dispositif pour les établissements classés art et essai.
2 000 localités ont bénéficié en 2014 de ces dispositifs.
RÉPARTITION DES CIRCULATIONS DE COPIES ADRC EN 2014
Procédure |
Films |
Circulations |
Petites villes |
194 |
2 811 |
Villes moyennes |
18 |
312 |
Art et essai |
5 |
50 |
TOTAL |
217 |
3 173 |
Source : Questionnaire budgétaire.
La Rapporteure tient à saluer le rôle joué par cette association. En effet, elle permet par son action correctrice, de préserver l’accès aux films pour les salles et les localités considérées comme moins rentables ne font pas partie des plans de sorties des distributeurs.
Lors de son audition (69), M. Xavier Lardoux, directeur du cinéma au CNC a évoqué la possibilité de mettre en œuvre des engagements de programmation entre les exploitants et les distributeurs qui permettraient le maintien d’un film pendant un nombre donné de séances, sous contrôle du Médiateur du cinéma. Ce point qui pourrait porter atteinte au principe de la libre concurrence est toutefois controversé. Les distributeurs sont attachés à leurs prérogatives de plans de sorties.
La Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède à l’examen des rapports pour avis de M. Jacques Cresta (Audiovisuel ; Avances à l’audiovisuel public), de M. Michel Françaix (Presse) et de Mme Virginie Duby-Muller (Livre et industries culturelles) sur les crédits pour 2016 de la mission « Médias, livre et industries culturelles » lors de sa séance du mardi 27 octobre 2015.
M. le président Patrick Bloche. Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2016 avec la présentation successive des trois rapports pour avis sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » ainsi que ceux figurant au compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », autrement dit, la répartition de la contribution à l’audiovisuel public (CAP), autrefois appelée redevance.
Comme leurs autres collègues rapporteurs pour avis, Jacques Cresta, Virginie Duby-Muller et Michel Françaix ont choisi un thème spécifique pour leur rapport, qui leur a permis d’approfondir un enjeu particulièrement important pour une entreprise ou un secteur professionnel des médias et des industries culturelles.
Je vous rappelle que Mme la ministre de la culture et de la communication nous présentera lundi prochain son budget pour 2016 en commission élargie. Ce même lundi 2 novembre, à quinze heures puis à dix-sept heures, nous procéderons au vote sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » puis sur ceux de la mission « Culture ».
Je vais tout d’abord donner la parole à M. Jacques Cresta, rapporteur pour avis sur les crédits de l’audiovisuel public, qui a porté son attention sur le projet numérique de France Télévisions dont nous auditionnerons demain matin la nouvelle présidente, Mme Delphine Ernotte. Elle nous présentera son plan d’action, qu’elle nous a fait parvenir, comme la loi du 15 novembre 2013 le prévoit, dans les deux mois suivant sa prise de fonctions, intervenue le 22 août dernier.
M. Jacques Cresta, rapporteur pour avis. Monsieur le président, mes chers collègues, dans un univers médiatique en pleine mutation, France Télévisions est confrontée à un véritable défi numérique, un défi qui doit être relevé avec fermeté, énergie et imagination. C’est pour cette raison que j’ai souhaité consacrer la partie thématique de mon rapport à son projet numérique.
Il s’agit d’un véritable enjeu démocratique. Cette révolution numérique pose en effet la question de la capacité du service public de l’audiovisuel à toucher les jeunes publics et à garantir, pour les nouvelles générations, une certaine diversité de culture et d’information.
L’année 2016 sera déterminante pour l’avenir numérique de France Télévisions car elle verra la signature du prochain contrat d’objectifs et de moyens qui devra impérativement faire une place importante à cette question. Le projet stratégique, que la nouvelle présidente de France Télévisions Mme Delphine Ernotte a présenté devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel avant sa nomination, a d’ailleurs pleinement intégré cette dimension.
Nous assistons, en effet, à un véritable bouleversement des pratiques audiovisuelles en France. En 2015, l’usage de la télévision linéaire reste nettement majoritaire, 51,9 % des Français privilégient l’usage d’un téléviseur. La durée d’écoute quotidienne s’est maintenue à un niveau très élevé en 2014 : trois heures et quarante et une minutes par individu. Derrière ces chiffres se dissimule toutefois une érosion. La durée d’écoute individuelle a subi en 2013 une diminution de quatre minutes, tendance confirmée par une nouvelle diminution, de cinq minutes, en 2014. Ce recul est plus spécifiquement marqué chez les 15-24 ans : moins 19 minutes en six ans, de 2006 à 2014. On constate, par ailleurs, un vieillissement marqué des téléspectateurs des chaînes de télévision publiques et privées. L’âge moyen des téléspectateurs de France Télévisions s’établit à cinquante-huit ans en 2014.
Il est naturellement trop tôt pour tirer de ces chiffres des conclusions définitives. Ils sont néanmoins un reflet, parmi d’autres, des évolutions qui semblent à l’œuvre et des bouleversements qui modifieront peut-être radicalement les pratiques audiovisuelles des Français.
Les Français sont de plus en plus équipés en matériels et abonnés à des services qui constituent autant de moyens d’accès aux offres de télévision numérique : 76,1 % des foyers sont dotés de trois écrans – télévision, ordinateur, tablette ou mobile ; un téléviseur sur deux est connecté à internet via les boxes des opérateurs ; le nombre de smartphones explose avec 59,3 % des Français équipés, proportion qui s’élève à 81 % chez les 15-24 ans ; les deux tiers des foyers français sont abonnés à des offres ADSL, satellite ou câble, l’ADSL étant désormais le premier mode de réception de la télévision devant le mode hertzien.
De nouvelles pratiques audiovisuelles se développent rapidement.
C’est le cas notamment de la télévision de rattrapage. En 2014, plus de quatre milliards de programmes ont été visionnés en ligne en France, soit une progression de 106 % depuis 2011. Le recensement des consommateurs des services délinéarisés montre que ceux-ci pourraient potentiellement se détourner à terme de la télévision linéaire. Selon les estimations du Centre national du cinéma et de l’image animée, la moitié du public de la télévision de rattrapage a aujourd’hui entre quinze et trente-quatre ans.
Le développement de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD) constitue une autre évolution notable du paysage médiatique, comme l’illustre l’arrivée de Netflix en France en 2014. Si ces nouveaux modes de consommation restent encore relativement peu développés en France, ils sont devenus massifs aux États-Unis. À la fin de l’année 2014, 38 % des foyers américains étaient ainsi abonnés à Netflix. Cette évolution a d’autant plus d’impact sur les chaînes de télévision en France que ces nouveaux acteurs peuvent se soustraire facilement à la réglementation française, notamment en matière de concurrence, de financement de la création et d’engagement de diffusion.
Si, face à ces évolutions, France Télévisions a développé avec retard son activité numérique, ce retard est aujourd’hui en partie comblé sous l’impulsion notamment de l’ancien président Rémy Pflimlin, qui a donné un coup d’accélérateur au développement de l’offre numérique à compter de 2011.
Le Gouvernement et France Télévisions ont fait de la stratégie numérique un axe central du contrat d’objectifs et de moyens 2011-2015, confirmé et renforcé par un avenant. France Télévisions a ainsi développé une stratégie autour de cinq axes.
Le premier axe consiste à proposer des offres dites de destination multi-écrans autour de cinq thématiques recouvrant le champ des missions de service public de France Télévisions : l’information, avec francetv info ; l’offre sportive, avec francetv sport ; l’offre culturelle, avec culturebox ; la mission éducative, avec francetv éducation ; l’offre jeunesse avec Les Zouzous et Ludo. France Télévisions a mis en œuvre dans le même temps une refonte de l’offre régionale et ultramarine.
Le deuxième axe à développer est la télévision sociale, « Social TV », et les écrans compagnons.
Le troisième axe passe par le renforcement de la présence des marques et programmes.
Le quatrième axe repose sur le développement de la télévision de rattrapage. Le service francetv pluzz est désormais distribué sur le web, les mobiles, ou les téléviseurs via les téléviseurs connectés et les fournisseurs d’accès à internet. Francetv pluzz permettait, en 2014, l’accès à environ 76 % des programmes diffusés sur les chaînes de France Télévisions entre dix-sept heures et minuit. France Télévisions a également lancé en 2012 son service payant de vidéo à la demande Pluzzvad. Ce service permet aux téléspectateurs de retrouver les programmes diffusés sur les chaînes de France Télévisions dès le huitième jour après leur diffusion, à l’issue de la période de gratuité.
Le dernier axe du projet numérique de France Télévisions est l’accompagnement du public et la promotion des innovations. Le groupe a ainsi lancé des services innovants comme Salto, qui permet de reprendre à son commencement un programme déjà en cours de diffusion, ou Maliste, qui permet de sélectionner un programme à regarder plus tard.
Cette stratégie a permis d’étendre significativement la présence numérique de France Télévisions qui se plaçait en juin dernier, avec 10,6 millions de visiteurs uniques, au premier rang des marques audiovisuelles devant MyTFl, Canal+ et 6Play. Record en la matière, 203 millions de vidéos ont été vues au mois de septembre dernier sur l’ensemble des supports, soit une progression de 85 % par rapport à septembre 2014.
Néanmoins, des progrès restent encore à accomplir pour faire connaître plus largement ces offres au grand public, notamment en matière de culture et de programmes pour la jeunesse. À titre d’exemple, l’audience du site culturebox pour les festivals de cet été est restée inférieure à celle d’Arte Concert.
Il conviendra donc d’aborder dans le prochain contrat d’objectifs et de moyens différents enjeux majeurs pour les développements numériques de France Télévisions.
Le premier enjeu est économique. Le développement du numérique par France Télévisions a généré des charges passant de 46 millions d’euros en 2011 à 78,3 millions d’euros en 2014. Les recettes nettes associées au numérique se sont élevées, quant à elles, à 22,3 millions d’euros en 2014. Un enjeu important pour France Télévisions résidera donc dans sa capacité à trouver des pistes de monétisation accrue pour les plateformes numériques, au-delà des sources actuelles de revenus. Une réflexion est en cours au sein du groupe sur un développement plus important de services payants de vidéos à la demande.
Mme Delphine Ernotte propose ainsi, dans son projet stratégique, de développer la vidéo à la demande pour les programmes dédiés à la jeunesse, premier motif de visite sur Netflix ou Canalplay. Les chiffres des programmes de France Télévisions les plus vus en replay tendent à montrer qu’il existe, en effet, une forte demande en matière de vidéos de rattrapage pour ce type de programmes. Le développement d’un tel service doit concilier l’impératif d’équilibre économique avec les exigences propres à une chaîne de service public.
En toute hypothèse, de tels développements resteront soumis à la capacité financière et juridique de France Télévisions à acquérir auprès des producteurs des droits d’exploitation en SVOD.
Le deuxième défi concerne la mise en cohérence d’offres multiples.
Afin d’accélérer le développement du numérique au sein du groupe, le précédent PDG de France Télévisions, M. Rémy Pflimlin, avait créé un service spécifique dédié au numérique. Ces équipes ont été, pour l’essentiel, regroupées au sein d’une entité spécifique, localisée dans un bâtiment situé à Issy-les-Moulineaux et non au siège du groupe.
Il est désormais nécessaire de diffuser ce développement numérique dans l’ensemble du groupe et de former les personnels à ces techniques numériques, à l’instar de ce qu’a fait Arte en développant la double compétence de ses agents
– télévision traditionnelle et télévision numérique. Il convient donc de parvenir à une réelle hybridation du groupe et des équipes autour d’une double mission, linéaire et numérique.
Or l’offre numérique de France Télévisions apparaît aujourd’hui foisonnante et peu lisible. L’enjeu est bien, dans un univers très concurrentiel, de promouvoir une « marque » reconnue en matière d’audiovisuel public, comme y sont parvenus de grands acteurs internationaux, et de proposer une meilleure ergonomie des différentes offres numériques.
Le troisième défi consiste à promouvoir une mutualisation des projets numériques à l’échelle du service public de l’audiovisuel. J’ai en effet constaté la dispersion des moyens dans le développement numérique au sein de l’audiovisuel public. Le lancement, en septembre, d’un service de SVOD par l’INA illustre très bien le fait que la mise à niveau des acteurs de l’audiovisuel public en matière numérique intervient en ordre dispersé.
Les moyens consacrés à l’information au sein de l’audiovisuel public sont également marqués par la dispersion. Les stratégies des sociétés publiques ne sont pas coordonnées et les moyens s’additionnent au sein des trois entités concernées : France Télévisions, Radio France, France Médias Monde. Or, l’audiovisuel public dispose de moyens considérables en matière d’information : les rédactions de ces sociétés totalisent environ 4 500 journalistes, au niveau national, régional et international.
Le projet de chaîne publique d’information en continu peut constituer une occasion historique de coordonner et mutualiser les moyens des différents groupes de l’audiovisuel public en matière d’information. L’objectif est de permettre à l’usager de disposer d’une analyse et d’une compréhension de l’information, le numérique étant le vecteur idéal pour permettre une réflexion et une analyse de l’actualité.
Cette nouvelle chaîne devrait être mise en place en 2016. Elle serait disponible en priorité sur les supports numériques, en particulier mobiles, et s’appuierait sur les moyens de la direction de l’information de France Télévisions, qui regroupe plus de 1 300 personnes et dispose, en 2015, d’un budget de 235,5 millions d’euros. Par ailleurs, les synergies obtenues grâce au regroupement des rédactions dans le cadre du projet « Info 2015 », dont la première phase sera réalisée début 2016, permettraient de dégager une partie des moyens financiers et humains dont aura besoin la chaîne d’information.
Une mise en commun des moyens d’autres acteurs de l’audiovisuel public, comme Radio France, l’INA et France Médias Monde, est également prévue.
Je tiens enfin à saluer la mise en place, sous l’égide de la ministre de la culture et de la communication, d’un comité stratégique de l’audiovisuel public réunissant les différents acteurs du secteur public de l’audiovisuel ; cette nouvelle structure devrait permettre de faire émerger des projets communs, de développer les mutualisations de moyens et d’assurer le pilotage et la coordination indispensables.
Lors de la première réunion de ce comité, le 21 octobre dernier, ont été abordées les questions relatives à la coordination de l’offre publique d’information, aux moyens de mieux s’adresser aux jeunes, notamment aux jeunes adultes, ainsi que la coordination des actions en faveur de la cybersécurité.
Sur l’ensemble de ces sujets, des actions communes devraient être mises en place très rapidement.
M. le président Patrick Bloche. Merci, monsieur le rapporteur : vous nous avez fourni une excellente entrée en matière pour l’audition de Mme Delphine Ernotte devant notre commission demain. Le projet numérique constitue, à l’évidence, un enjeu essentiel pour l’avenir de France Télévisions et plus largement de l’audiovisuel public.
Nous allons maintenant écouter Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs au livre et aux industries culturelles. Elle s’est, elle aussi, intéressée aux enjeux numériques, mais dans le secteur de l’exploitation cinématographique.
Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure pour avis. Monsieur le président, mes chers collègues, j’ai choisi cette année de consacrer l’avis budgétaire sur les crédits de la mission « Livre et industries culturelles » au cinéma et de me pencher plus particulièrement sur les salles de cinéma à l’heure du numérique.
Si un secteur est représentatif de l’exception culturelle française, c’est bien celui du cinéma, notamment la filière de l’exploitation des films. La France peut s’enorgueillir de disposer d’un réseau de salles important, avec plus de 2 000 salles sur tout le territoire, y compris en zone rurale, allant de la petite salle municipale aux multiplexes, sans oublier les 1 116 salles d’art et d’essai, véritable particularité française. En Haute-Savoie, nous disposons par ailleurs d’un réseau itinérant très dense, avec Cinébus et Écran Mobile CDPC. Cela représente au total 46 salles. Le département, à travers l’assemblée des pays de Savoie, a beaucoup oeuvré pour soutenir la partie fixe des investissements, notamment en matière de numérique.
La fréquentation demeure soutenue en France : notre pays comptabilise 209 millions d’entrées en 2014 alors que le Royaume-Uni affiche 157 millions d’entrées et l’Allemagne 122 millions. Ces bons chiffres ne doivent cependant pas occulter la réalité : à l’heure du numérique, la salle de cinéma doit relever deux défis.
Premièrement, la possibilité de regarder un film en dehors de la salle proprement dite s’est accrue. À la télévision et à l’ordinateur sont venus s’ajouter des appareils nomades comme les smartphones ou les tablettes. De nouveaux modes de consommation des films se sont développés : streaming, vidéo à la demande et même « e-cinéma ». Depuis 2014, quelques films ne sont d’ailleurs proposés que sur internet.
Deuxièmement, les bobines argentiques de 35 millimètres ont été remplacées par des fichiers numériques stockés sur des serveurs et diffusés au moyen de projecteurs électroniques. Ces transformations dans la diffusion induisent des bouleversements dans l’économie du film. Les copies circulent plus rapidement et peuvent être reproduites avec facilité ; les coûts sont réduits. Toute la chaîne de distribution et de diffusion est ainsi modifiée.
Ce passage au numérique comporte des points positifs. Il permet une plus grande souplesse de programmation et une offre accrue de films, notamment en exclusivité, qui profite au cinéma français : entre 2010 et 2014, le nombre de films français diffusés a ainsi progressé de soixante et onze titres.
Le revers de la médaille de cette souplesse et de cette offre abondante est une plus grande rotation des films. Comme il est plus facile de faire circuler les copies et d’augmenter leur nombre, la première semaine de diffusion devient décisive : les succès mais aussi les échecs sont accentués.
Ce phénomène se ressent sur la programmation. Les distributeurs privilégient des plans de sortie de leurs films qui leur assurent une rentabilité rapide. Les petites salles situées dans des petites villes ou des villes moyennes peinent à accéder aux films en exclusivité. Cette difficulté menace les salles indépendantes et favorise la concentration. La diversité des salles est ainsi remise en cause et, par là même, la diversité de l’offre de films.
Comment alors parvenir à préserver ce pluralisme de l’offre, ce tissu diversifié de salles ? Grâce à la loi portée par notre collègue Michel Herbillon en 2010, toutes les salles en métropole sont désormais équipées de matériel de projection numérique grâce à un mécanisme redistributif, dit virtual print fee (VPF). Cette contribution obligatoire, versée par les distributeurs pour l’ensemble des films et des salles, est fléchée vers les exploitants afin de les aider à financer leurs investissements en équipement numérique. Ce dispositif, salué par toute la profession, a permis d’éviter une fracture entre les grandes enseignes et les petites exploitations et de conserver un maillage territorial dense. N’oublions pas l’Outre-mer, où le mécanisme sera mis en place l’année prochaine.
Néanmoins, ces évolutions technologiques sont loin d’être achevées. On peut légitimement se demander si les petits établissements pourront continuer cette course à l’innovation. Se pose déjà la question des coûts annexes du numérique liés à la maintenance ou l’achat de consommables, plus coûteux.
Par ailleurs, les économies permises par le numérique profitent surtout aux grandes enseignes. Comme je le mentionnais, la concentration du secteur a été accentuée. Le nombre d’établissements diminue tandis que le nombre d’écrans augmente. Les chiffres sont significatifs. Entre 2005 et 2014, le nombre d’établissements a diminué de 2,6 % : chaque année en moyenne, une dizaine d’entre eux ferme. Dans le même temps, le nombre d’écrans a augmenté de 7,2 %. Ce phénomène traduit l’émergence des multiplexes, lesquels représentent en 2014 60 % des entrées et 64 % des recettes alors qu’ils ne forment que 9,4 % du parc. S’il est vrai que ces salles participent de la bonne tenue de la fréquentation, il n’en reste pas moins qu’elles constituent un danger pour les petites exploitations.
L’implantation des salles de cinéma est déjà fortement encadrée et, en 2014, le dispositif a été renforcé afin de préserver le pluralisme des salles. Ainsi, tout projet d’extension d’un cinéma qui atteindrait huit salles est soumis systématiquement à autorisation par la commission départementale d’aménagement cinématographique. Aujourd’hui, une plus grande régulation semble nécessaire. Des améliorations sont encore possibles s’agissant, en particulier, de la composition des commissions départementales, où les experts du secteur culturel sont trop peu nombreux, ou encore du contrôle du respect des engagements du projet présenté.
J’en viens au deuxième défi : comment maintenir une offre de film diversifiée sur tout le territoire ?
Association créée en 1983, l’Agence de développement régional du cinéma (ADRC) joue un rôle crucial dans l’accès aux films pour les petites salles. Elle finance des copies de film en sortie nationale pour celles d’entre elles qui en font la demande. En 2014, 2 000 communes ont bénéficié de ce dispositif. Je tiens à saluer leur travail qui permet d’assurer l’aménagement culturel dans des territoires reculés.
Il faut aussi noter les importantes mesures destinées à éviter la disparition des petites salles et à faciliter leur reprise. En premier lieu, l’État a créé une filière au sein de l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, ex-FEMIS, afin de former les nouveaux exploitants. En deuxième lieu, un soutien financier sous forme d’un fonds d’avance remboursable sera mis en place. Géré par l’Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), il permettra d’octroyer des avances qui pourraient représenter jusqu’à 40 % du montant de l’acquisition de petites ou moyennes exploitations sur une période de quatre ans à sept ans par des exploitants de moins de quarante-cinq ans.
Toutefois, le vrai danger réside aujourd’hui dans le piratage des films. Selon l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, en 2015, 13,5 millions d’internautes ont consommé des vidéos de films illégales, que ce soit en streaming ou en téléchargement.
La signature de la Charte des bonnes pratiques entre annonceurs, professionnels de la publicité et représentants d’ayants droit, qui vise à exclure les sites pirates de leurs relations commerciales et à les priver de recettes publicitaires, ne produira que des effets limités car elle ne permettra pas d’atteindre des sites domiciliés à l’étranger. La dissuasion passe par la mise en œuvre de réelles sanctions.
Pour conclure, je soulignerai que l’engouement des Français pour la sortie au cinéma ne faiblit pas. Ce n’est pas la première fois que la salle de cinéma doit relever le défi d’innovations technologiques. Donnée moribonde avec l’arrivée de la télévision et du magnétoscope, elle a su résister. Les bons chiffres de la fréquentation du jeune public sont particulièrement encourageants : 22 % des spectateurs sont âgés de moins de quatorze ans et presque 20 % d’entre eux ont entre quinze et vingt-quatre ans. L’éducation à l’image doit être encouragée. Dans une société de plus en plus individualiste, la séance de cinéma reste un moment de convivialité et de partage.
L’une de nos grandes actrices françaises, Isabelle Huppert, définit le cinéma comme « un art beaucoup plus périssable que les pyramides ». Aujourd’hui, c’est à nous, législateurs, d’en prendre conscience et de mettre en place des politiques publiques afin d’agir efficacement pour sa conservation, son développement et son rayonnement international.
M. le président Patrick Bloche. Nous en venons à la présentation du rapport pour avis sur les crédits de la mission « Presse » de Michel Françaix, qui s’est consacré à la réforme des aides à la presse, sujet inédit, comme on le sait !
M. Michel Françaix, rapporteur pour avis. En octobre 2012, dans mon avis sur les crédits destinés à la presse dans le projet de loi de finances pour 2013, j’avais établi un bilan sévère des aides à la presse et mis en évidence de nombreux dysfonctionnements, en rendant publique pour la première fois la liste édifiante des montants attribués aux trente titres les plus aidés par l’État. Mon rapport appelait à une remise à plat de l’intervention de l’État en faveur de la presse, fondée sur deux objectifs principaux : d’une part, rationaliser les aides à la distribution et à la diffusion ; d’autre part, recentrer l’effort financier sur une presse citoyenne de qualité ainsi que sur les investissements d’avenir et l’innovation. J’insistais également sur le nécessaire renforcement de la contractualisation et de la transparence des aides.
Sur la base de ces propositions, s’est engagée en 2013 et 2014 une réforme des aides à la presse qui se poursuit en 2015 et 2016 avec le chantier crucial de la réforme des aides à la distribution, alors que les « accords Schwartz », qui précisaient les conditions de distribution de la presse par La Poste pour la période allant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2015, arrivent à échéance.
Trois ans après le diagnostic sévère que j’ai posé, il m’est apparu opportun de dresser un premier bilan des évolutions intervenues depuis lors et de formuler des propositions pour les réformes à venir.
Dans le dossier complexe de la réforme des aides à la presse, un premier constat s’impose : il est tout aussi urgent de réformer un système qui présente des défauts majeurs qu’il est difficile de faire évoluer un secteur qui se porte mal. Si face aux contradictions et incohérences du système, la première tentation est celle des solutions radicales, les demi-mesures l’emportent parfois hélas à la lumière des risques que la moindre adaptation ou modification font peser sur un secteur d’une extrême fragilité.
J’ai donc dû me rallier à la conviction que la réforme des aides à la presse doit nécessairement procéder d’un équilibre subtil entre audace et prudence : de l’audace afin de mettre fin aux plus graves défauts et aberrations du système ; de la prudence afin d’éviter les effets trop brutaux et les ruptures fatales, alors que le système d’aide a placé le secteur dans une situation de grande dépendance à son égard. À cette aune, les évolutions récentes et annoncées des aides à la presse fournissent quelques motifs de satisfaction. Il faut donc avoir le courage de changer ce qui peut l’être, la sérénité d’accepter ce que nous ne pouvons pas changer et la sagesse de reconnaître un certain nombre de progrès.
Parmi les progrès, il faut compter la régulation renforcée. Nous pensons être en position de voir émerger un barème des messageries qui permettrait d’établir un juste prix. Nous avons assisté au développement des mutualisations entre les messageries – peut-être faudra-t-il d’ailleurs aller jusqu’à la fusion. Même si beaucoup de retard a été pris, des sociétés communes de moyens et un système d’information commun se sont développés. Des avancées ont également été enregistrées dans les réflexions sur la gouvernance et l’organisation de l’Agence France Presse.
Reste toutefois beaucoup à faire.
Premier chantier : le recentrage de l’aide postale sur la presse d’information politique et générale (IPG). J’aime à le rappeler : en 2008, 20 % de l’avantage tarifaire postal, soit l’équivalent de 53 millions d’euros, bénéficiaient à huit magazines de télévision ; en 2014, ceux-ci bénéficiaient encore à ce titre de près de 20 millions d’euros, alors que l’ensemble de l’aide à la modernisation des diffuseurs de presse s’établit à 3,68 millions d’euros.
Il faut également prendre en compte la création de deux nouvelles catégories de presse, la presse du savoir et de la connaissance et la presse de loisir et de divertissement à côté et de la presse IPG. Ces trois catégories ne bénéficieront pas des mêmes montants d’aides. Pour la presse IPG et la presse du savoir et de la connaissance, il faudrait que les tarifs postaux se rapprochent de ceux de l’inflation tandis que la presse de loisirs se verrait appliquer une augmentation sensible, l’objectif étant de parvenir à une convergence des titres vers le tarif universel. Concrètement, pour La Poste, le coût de distribution est aujourd’hui de 80 % de déficit pour un quotidien et de 70 % pour un titre de la presse de loisirs. L’évolution vers le juste prix – 70 % sur sept ans, soit 10 % par an – ne paraît pas simple.
Il faudra aussi définir les contours de ces nouvelles catégories de presse. Tout laisse à penser que sur 6 500 titres, la moitié relèverait de la presse du savoir et de la connaissance, l’autre moitié entrant dans la catégorie de la presse de loisirs. Vous aurez compris que ce classement sera source pour la commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP) de soirées animées, chacun voulant être placé dans la bonne case afin de bénéficier des frais postaux les moins élevés !
L’aide au portage devrait être pensée en cohérence avec l’évolution de l’aide au transport postal. La question est complexe car si l’aide postale diminue pour la presse de loisirs, les clients abandonneront l’envoi postal au profit du portage, ce qui contribuera à augmenter le coût pour La Poste qui ne transportera plus les titres en quantité nécessaire. Il faudra sans doute aller plus loin dans le portage multi-titres. Disons-le : La Poste me semble avoir raté le coche avec Neopress. Il est évident que demain, si elle devait perdre en volumes transportés, il serait nécessaire qu’elle se lance dans le portage pour certains titres.
Parmi les choses positives que la ministre va nous annoncer, notons l’extension de l’aide au pluralisme aux publications fragiles qui ont une périodicité autre que quotidienne. Certains journaux bénéficient, en raison de leurs faibles recettes publicitaires, d’une aide particulière qui va être étendue à quelque soixante-quinze nouveaux bénéficiaires, des hebdomadaires et des mensuels. Rassurez-vous, cette enveloppe de 4 millions d’euros ne sera pas prise sur les autres aides accordées : il s’agit de crédits nouveaux.
Je pourrais vous parler du fonds stratégique pour le développement de la presse en ligne et des rapports de la presse avec Google, en vous montrant le danger que présentent certains phénomènes. Je pourrais aussi vous dire que nous devrions aller beaucoup plus loin en matière d’aides à l’innovation et au numérique.
Mais, en guise de conclusion, je vais plutôt vous lister une vingtaine de recommandations que je formule dans mon rapport :
– Appliquer à la presse d’information politique et générale (IPG) et à la presse de la connaissance et du savoir un même taux d’augmentation de leur tarif postal, voisin du taux d’inflation.
– Pour les titres de la presse du loisir et du divertissement, établir une trajectoire acceptable de convergence vers le tarif universel de La Poste, s’étalant sur plusieurs années.
– Apporter une réponse à la distorsion de concurrence créée par la diffusion au tarif préférentiel IPG de suppléments spécialisés de titres IPG, concurrents d’autres catégories de presse. Pour ne citer que deux exemples, Madame Figaro et le M Le magazine du Monde bénéficient du prix IPG de La Poste appliqué aux quotidiens. D’autres magazines se voient appliquer des postaux beaucoup plus importants, alors que ce sont des publications du même type.
– Clarifier dans la durée la finalité et les perspectives d’évolution de l’aide au portage.
– Approfondir différents scénarii d’évolution graduelle vers une aide unique à l’exemplaire diffusé, en envisageant son extension à la diffusion numérique.
– Pour le calcul de l’aide au portage, exclure le portage réalisé, non pas de manière individuelle mais par paquets, à destination des hôtels, des entreprises de location d’automobiles, etc. Notre collègue Rudy Salles avait relevé ce problème et le ministère de la culture et de la communication a déjà exclu le portage à destination des aéroports. Nous sommes bien partis, mais nous ne devons pas nous arrêter en chemin.
– Réexaminer le rôle de La Poste dans l’avenir du portage.
– Redéployer une partie des crédits dégagés par la baisse de l’aide au transport postal vers le soutien aux initiatives émergentes et innovantes du secteur de la presse.
– Renforcer et étendre la réduction d’impôt pour souscription au capital des entreprises solidaires de presse d’information ; relever les plafonds de la réduction d’impôt dont bénéficient les particuliers ; réactiver la réduction d’impôt pour souscription des entreprises au capital des sociétés de presse en majorant l’avantage pour souscription au capital des entreprises solidaires de presse d’information.
– Fournir un premier bilan de l’impact de l’application d’un taux super réduit de TVA à la presse en ligne. Pour l’heure, je n’arrive pas à en mesurer les conséquences.
– Maintenir l’éligibilité des services de presse en ligne de la connaissance et du savoir aux aides du fonds stratégique pour le développement de la presse.
– Relever les taux de subvention du fonds stratégique pour le développement de la presse.
– S’assurer que les crédits du fonds Google ne se substituent pas à l’action des pouvoirs publics en matière d’accompagnement à la transition numérique.
– Accélérer la mise en place de la conditionnalité des aides. Au vu de la concentration qui est à l’œuvre, je pense qu’il faudra établir une distinction entre les journaux qui se font sans journalistes et ceux qui respectent les obligations déontologiques et l’emploi.
– Plus important encore, il faut changer radicalement de politique vis-à-vis des kiosquiers et des marchands de journaux. Je propose de consacrer une partie des marges de manœuvre financières dégagées par la réforme de l’aide postale à la mise en place d’une aide publique plus structurante et pérenne en faveur des diffuseurs. Même si les sommes en jeu sont beaucoup moins importantes que celles dont je viens de vous parler, les mesures sont sans cesse reportées à l’année suivante. En tout cas, elles n’arrivent pas au rythme où les marchands de journaux et kiosquiers pourraient le souhaiter.
M. le président Patrick Bloche. Merci, Michel Françaix, d’avoir utilisé toute votre compétence et votre connaissance du dossier pour nous éclairer. C’est à la fois technique et compliqué ; il faut connaître l’histoire pour en comprendre tous les enjeux.
Vos propos suggèrent que vous êtes en attente, un peu au milieu du gué, et nous y sommes avec vous. Espérons que nous parviendrons à rejoindre l’autre rive car le pluralisme est en jeu. Je vous remercie d’avoir conclu en évoquant la situation des vendeurs de presse. Pour présider la commission professionnelle des kiosquiers parisiens, je sais combien leur situation reste particulièrement précaire.
Mme Lucette Lousteau. Dans le temps qui m’est imparti, je me bornerai à vous livrer quelques remarques que m’inspire le rapport pour avis de notre collègue Michel Françaix sur les aides à la presse.
Je tiens tout d’abord à remercier le rapporteur pour la qualité de son travail ; il nous fournit des clés de compréhension tout à fait essentielles sur la situation de la presse, sujet à la fois passionnant et complexe, qu’il maîtrise parfaitement.
Dans un contexte de réformes engagées depuis plusieurs années dans un secteur qui vit une profonde mutation, il était tout à fait opportun de dresser, comme il l’a fait, un premier bilan des évolutions récentes et de formuler des propositions pour les années à venir.
À cet égard, on peut remarquer la pertinence des recommandations contenues dans le rapport et se réjouir de l’annonce récente faite par la ministre de la culture et de la communication quant à la création d’une nouvelle catégorie de presse, afin de mieux cibler les aides postales. Comme le suppute notre rapporteur, il sera probablement délicat de la délimiter.
Depuis l’origine, le soutien public à la presse et à l’information trouve sa justification dans l’exigence de liberté et de garantie du pluralisme. Ces aides s’articulent autour de trois axes : la diffusion, le pluralisme et la modernisation. Ce dernier volet comprend le fonds stratégique qui intervient pour l’aide au développement de la presse numérique.
Comme l’indiquait notre collègue Jean-Noël Carpentier dans son rapport pour avis l’an dernier, le numérique est avant tout une chance pour la démocratie, mais son arrivée a fait bouger les lignes. Les nouveaux moyens d’accès à l’information et la révolution des technologies obligent toute la chaîne de la presse papier, de l’impression à la diffusion en passant par la distribution, à se réinventer pour ne pas disparaître.
Cependant, notre collègue Michel Françaix relève dans son rapport que les soutiens existants semblent insuffisants pour le secteur des médias émergents. Un rapport de Jean-Marie Charon, remis à la ministre de la culture et de la communication en juin 2015, s’en fait l’écho. Rappelons néanmoins que l’époque où la presse d’information citoyenne en ligne était pénalisée par rapport à la presse papier par un taux de TVA de 19,6 % est révolue : comme la presse écrite, elle bénéficie du taux de TVA super réduit de 2,1 % depuis février 2014, à la suite de l’adoption, à l’unanimité de l’Assemblée nationale, d’une proposition de loi portée par le président de notre commission et par le rapporteur pour avis.
Si le développement du numérique représente un enjeu majeur, nous devons veiller à ce qu’il ne se fasse pas au détriment de la qualité éditoriale. L’économiste Julia Cagé, que le rapporteur a auditionnée, remarque que les grands titres ont progressivement remplacé les journalistes d’investigation par des journalistes postés devant leurs écrans lorsque la presse en ligne a émergé. Cette substitution a parfois affecté la qualité du titre, papier et numérique. Or la presse d’information, quel que soit son support, ne survivra qu’en faisant le pari de la qualité.
La vigilance s’impose aussi en ce qui concerne la liberté d’expression des journalistes. Si certains repreneurs interviennent parce qu’ils sont convaincus de la nécessité de soutenir la presse pour défendre la pluralité de l’information, tous n’affichent pas cette même volonté. On peut redouter les conséquences de certains rachats sur le pluralisme ou même sur l’indépendance des journalistes vis-à-vis du propriétaire du journal. L’exemple récent de la reprise de Canal + peut légitimement nous alerter.
Certains financiers ou grands partons, qui ont fait fortune dans d’autres secteurs, semblent plutôt s’inscrire dans des stratégies personnelles ou purement financières lorsqu’ils achètent des journaux. La création du fonds d’investissement, baptisé Media One et destiné à racheter des médias, en est une illustration flagrante. Or, on est en droit de se demander si le pluralisme de la presse et des idées peut perdurer dans un pays où quelques financiers possèdent la plupart des médias.
Cette situation suscite des questions sur la qualité de l’information, la pertinence des aides publiques, la liberté des journalistes et le pluralisme. C’est pourquoi nous ne pouvons que suivre le rapporteur lorsqu’il suggère, pour l’application de la conditionnalité des aides, la mise en place de critères relatifs à la déontologie et à l’emploi de journalistes.
Mme Annie Genevard. Tout d’abord, je voudrais complimenter nos trois collègues – Virginie Duby-Muller, Jacques Cresta et Michel Françaix – pour la qualité de leurs rapports et de leurs exposés.
Ma première question concerne l’audiovisuel. Monsieur Cresta, vous avez choisi de centrer votre réflexion sur le développement de l’offre numérique de France Télévisions, à l’heure où les comportements exigent des opérateurs publics qu’ils prennent le train du numérique s’ils veulent rester des médias de référence.
Comme vous l’expliquez, le développement de l’offre de vidéos à la demande, par abonnement, est lié à la réglementation du droit de production, le diffuseur n’étant pas propriétaire des œuvres qu’il a pourtant en partie financées. Vous nous dites qu’un assouplissement des décrets Tasca serait envisagé par le Gouvernement. Avez-vous des informations sur le calendrier de la négociation interprofessionnelle annoncée et sur les principales orientations qui la guideront ?
En ce qui concerne les industries culturelles, je voudrais faire deux observations, l’une sur le cinéma et l’autre sur le livre. S’agissant du cinéma, vous avez parfaitement décrit l’évolution préoccupante en cours. En dépit de l’excellente loi portée par notre collègue et ami Michel Herbillon, qui a permis le vaste et utile mouvement de numérisation des salles, on constate la disparition d’une dizaine de salles indépendantes par an. Cette évolution n’est pas anecdotique et elle menace la diffusion du cinéma sur les territoires, alors qu’il s’agit de la première pratique culturelle des Français.
L’accès aux films dans ces petites salles indépendantes demeure assez difficile malgré la numérisation ; l’équilibre économique y est plus fragile ; l’implication des collectivités est nécessaire dans de nombreux secteurs. Le risque demeure malgré les dispositifs existants. Reste-t-il, selon vous, des mesures à inventer qui permettraient notamment d’anticiper certains changements ? Puisque nous connaissons l’âge des exploitants de cinéma, nous pouvons prévoir le moment auquel la transmission aura lieu et quand la pérennité de la salle se jouera.
S’agissant du livre, Madame la rapporteure, vous mentionnez les réflexions sur l’extension des périodes d’ouvertures des bibliothèques, en soirée ou le dimanche. Certaines collectivités font des expérimentations en la matière, notamment en mettant en œuvre les préconisations de la mission confiée à la sénatrice Sylvie Robert. Un point me semble préoccupant : le Président de la République a annoncé que le taux d’attribution du concours particulier de la dotation générale de la décentralisation serait modulé en fonction de l’ouverture des bibliothèques. Or l’extension des horaires ou des jours d’ouverture de ces équipements a des incidences budgétaires : 15 % des bibliothèques ont dû créer des postes de titulaires ; 19 % ont eu recours à des heures supplémentaires ou à des primes ; 25 % ont mis en place des vacations supplémentaires. À un moment où les moyens des collectivités s’amenuisent, il est dangereux d’assujettir la dotation aux amplitudes d’ouvertures, comme une récompense : certaines villes aimeraient ouvrir davantage leurs bibliothèques mais elles ne le pourront pas. Ce danger a-t-il été bien évalué ? Comment faire pour sensibiliser le Gouvernement à cette question ?
En ce qui concerne la presse, monsieur Françaix, vous prônez un nouveau calibrage des aides qui ne sont pas assez ciblées, qui créent des effets d’aubaine, qui doivent être rénovées, modernisées, etc. Tout le défi est de soutenir ce secteur dans la mue qu’il doit nécessairement effectuer afin de simplement survivre, sans entretenir sa dépendance aux aides publiques. Vous dites attendre des annonces imminentes qui tardent à venir. Comme elles ne sont pas toutes formulées, n’êtes-vous pas optimiste sur la prise en compte de vos préconisations nombreuses et pertinentes ?
Mme Isabelle Attard. Comme mes collègues, je tiens à vous féliciter tous les trois pour la qualité de vos rapports.
Monsieur Cresta, parmi les offres numériques les plus fréquentées de France Télévisions que vous pointez, certaines sont destinées aux enfants. Le Sénat vient d’adopter une proposition de loi écologiste qui prône la suppression de la publicité dans les programmes jeunesse du service public. En effet, les études scientifiques démontrent un impact sanitaire négatif de la publicité sur les enfants qui la subissent. Le chercheur français Michel Desmurget dénonce notamment le rôle de la publicité pour les produits alimentaires auprès des enfants : celle-ci entraîne l’émergence précoce d’habitudes de vie sédentaires et de préférences alimentaires inadaptées.
Avez-vous envisagé l’interdiction de la publicité pour les programmes diffusés via le numérique à destination des enfants ? Pensez-vous, comme nous, que la démarche d’intérêt général du service public de l’audiovisuel est incompatible avec le matraquage publicitaire à l’intention des jeunes enfants ?
Michel Françaix, vous êtes un expert de la presse française et votre rapport est, comme d’habitude, extrêmement fouillé. Vous soutenez l’extension annoncée de l’aide au pluralisme pour atténuer la concentration des aides. Cependant, vous n’évoquez pas la question de la concentration de la propriété des titres. Le journaliste Fabrice Arfi écrit dans Mediapart : « Sept milliardaires, dont le cœur d’activité n’est pas l’information – c’est de vendre des armes, de faire du BTP, de la téléphonie mobile, de la banque – ont entre leurs mains 95 % de la production journalistique. »
Ce chiffre de 95 % déborde largement du journalisme de presse puisqu’il inclut radios, télévisions et sites d’information. Néanmoins, il devrait nous interpeller. Pour mémoire, le programme du Conseil national de la Résistance (CNR), intitulé Les Jours Heureux, mentionnait l’importance de rétablir « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères. »
Soixante-dix ans plus tard, il semblerait que cet objectif de l’indépendance de la presse ne soit plus une préoccupation. Certes, votre rapport mentionne, page 39, qu’il est important de soutenir l’émergence de nouveaux médias. Dans un secteur autant dominé par l’argent, ne craignez-vous pas que ces nouveaux médias soient inaudibles ou, pire, qu’ils soient rachetés dès qu’ils deviennent audibles ?
Madame Virginie Duby-Muller, votre rapport mentionne l’importante augmentation du budget de la Hadopi : il remonte de 6 millions d’euros à 8,5 millions d’euros, sans que cette augmentation de 41,6 % ne soit justifiée quelque part. Notons que ce budget fluctue beaucoup puisqu’il était de 8 millions d’euros en 2013. Cette année, le document budgétaire indique que ces crédits permettent de « financer les missions d’appui au développement de l’offre légale et de protection des œuvres contre le téléchargement illégal. »
À ma connaissance, le bilan de la Hadopi est nul. Cette autorité indépendante peut tout au plus se vanter de subventionner La Poste à grande échelle, en expédiant des millions de lettres recommandées. Mais quel est l’effet de ces courriers ? La quasi-intégralité de la production culturelle est aujourd’hui disponible en téléchargement illégal. À quoi servent les millions dépensés ?
Je vous ai déjà parlé du blog « J’voulaispaspirater.tumblr.com ». Voici la dernière mésaventure qui y est contée. Un internaute voulait visionner une série récente appelée Mr. Robot. Après avoir tenté d’y accéder légalement en France, cet internaute s’est résolu à la télécharger. Quelques jours plus tard, il recevait un message de la Hadopi lui signalant qu’il avait violé l’article L. 331-25 alinéa 3 du code de la propriété intellectuelle, puisque son ordinateur avait été utilisé pour diffuser cette série. Après vérification, le site même de la Hadopi, www.offrelegale.fr, confirme que cette série n’est pas disponible en France.
Chers collègues, peut-on vraiment parler de contrefaçon d’une œuvre lorsque celle-ci est volontairement rendue indisponible par ceux qui sont chargés de la diffuser ? Les 8,5 millions d’euros de la Hadopi seraient bien mieux employés à financer la création et la diffusion, au lieu d’être utilisés pour payer l’envoi de millions de courriers inutiles.
Mme Annie Genevard. Ce n’est pas une raison pour pirater !
Mme Isabelle Attard. Il faut développer l’offre légale !
M. le président Patrick Bloche. Je rappelle que, dans le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, nous avons adopté assez unanimement une disposition visant à la recherche d’une exploitation suivie des œuvres cinématographiques et audiovisuelles. En vous écoutant, je me disais que ce que La Poste gagne en frais d’envois recommandés de la Hadopi, elle pourrait peut-être le redonner sous forme de baisse des tarifs postaux de la presse.
M. Rudy Salles. À mon tour, je tiens à saluer la qualité des rapports et, bien entendu, celle des rapporteurs. On peut toutefois regretter que certains de ces rapports nous soient arrivés assez tard. Après quelques remarques sur les crédits de la mission, j’aurais quelques questions sur les thèmes choisis par les rapporteurs.
L’examen des crédits de soutien à la presse revêt un caractère tout particulier, notamment après les attentats que la France a vécus au début de l’année. Nous avons malheureusement été les témoins impuissants de la menace qui pèse sur la liberté d’opinion et de diffusion. Aussi, est-il plus que jamais de notre devoir d’assurer et de garantir la diffusion des courants de pensées et d’opinions dans notre pays. La liberté, l’indépendance et le pluralisme sont intrinsèquement liés à la démocratie et à la vitalité du débat citoyen.
Outre cette menace qui pèse sur la liberté d’opinion, le livre, la presse et l’industrie culturelle dans son ensemble sont confrontés à un environnement de plus en plus concurrentiel, marqué par des bouleversements technologiques. Le Programme 180, « Presse », doit par conséquent constituer le socle budgétaire solide sur lequel s’appuie l’évolution des dispositifs de soutien en faveur de la presse. Après avoir déploré une baisse des aides à la presse de 9 % l’année dernière, nous regrettons cette année que le soutien de l’État à la presse continue de cibler massivement la diffusion papier alors même qu’il est urgent de mettre l’accent sur l’innovation pour que le secteur prenne avec succès le virage du numérique. En outre, nous estimons que les aides à la presse doivent bénéficier davantage à la presse quotidienne régionale qui constitue le principal vecteur d’information du pays.
S’agissant du Programme 334, « Livre et industries culturelles », nous tenons à dénoncer la situation dans laquelle se trouve la Hadopi. Certes sa subvention augmente par rapport à l’année dernière puisqu’elle s’élève à 8,5 millions d’euros. Néanmoins, cette subvention demeure incontestablement insuffisante pour lui permettre de mener à bien ses missions. Ai-je besoin de rappeler que, pour 2012, la subvention de la Hadopi s’élevait à 11 millions d’euros ? Au mépris de la loi, le Gouvernement organise donc son extinction. Je tiens à rappeler que cette autorité a été créée par la loi ; elle ne peut être supprimée ou remplacée que par l’adoption d’une nouvelle loi.
Il aurait fallu un peu de courage si vous aviez des projets sur le sujet. Depuis deux ans et demi, aucun des grands changements que nous attendions ne s’est produit. La Hadopi devait disparaître et le CSA devait reprendre ses activités. Il ne s’est rien passé et il ne se passe toujours rien. Le Gouvernement ne peut ignorer que la Hadopi est exsangue. Chers collègues de la majorité, que voulez-vous faire de cette autorité ? Si rien ne change, l’institution court à la catastrophe, et la faiblesse de son budget lui interdit de remplir les missions que le législateur lui a confiées.
Permettez-moi de poser maintenant quelques questions plus précises sur les différents rapports.
Madame Duby-Muller, vous évoquez la délicate question de la chronologie des médias entre la sortie en salle, puis en DVD, puis à la télévision. D’après vos auditions, pensez-vous qu’il faudrait revenir sur cette chronologie et la rendre plus souple ? Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants est particulièrement attaché aux structures culturelles qui maillent le territoire, que ce soit les librairies indépendantes ou les salles de cinéma, dans la mesure où elles garantissent le pluralisme. Après vos échanges avec les professionnels du secteur, pensez-vous que le modèle économique des cinémas d’art et d’essai soit pérenne, malgré les coûts annexes des nouveaux équipements, notamment de numérisation ?
Monsieur Françaix, quels éléments nouveaux pouvez-vous nous apporter sur l’évolution et la répartition de l’aide au portage entre les éditeurs de la presse quotidienne nationale et ceux de la presse quotidienne régionale ? Avez-vous des informations sur la solution privilégiée par le Gouvernement ? Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants se joint au rapporteur pour regretter qu’il n’y ait pas de premier bilan de l’application du taux de TVA super réduit à la presse en ligne.
Monsieur Cresta, avant d’entendre Delphine Ernotte demain matin, votre rapport propose un premier éclairage sur les mutations à venir de France Télévisions. Nous aurions évidemment beaucoup à dire et nous n’en avons pas le temps. Néanmoins, je suis en désaccord total avec vous lorsque vous considérez que le projet de chaîne publique d’information en continu peut constituer une occasion historique pour coordonner et mutualiser les moyens des différents groupes de l’audiovisuel public en matière d’information. Dans un contexte budgétaire contraint et fortement concurrentiel, il n’est pas opportun de créer une chaîne d’information en continu supplémentaire, sachant que certaines de celles
– nombreuses – qui existent, sont déjà en difficulté. Qui va payer ?
Mme Gilda Hobert. Comme mes collègues, je tiens tout d’abord à vous remercier pour ces rapports excellents, intéressants et fournis, qui corrèlent véritablement nos politiques à destination de la culture et des médias avec les nouvelles pratiques liées au numérique.
La culture ne peut être figée. Mouvante, elle accompagne ou amorce des changements de société. Ceux que nous vivons sont justement liés au numérique qui bouleverse notre manière d’appréhender la lecture, la musique ou tout autre contenu multimédia. Ils sont également d’une étonnante rapidité : le streaming musical, par exemple, a engendré 73 millions de chiffre d’affaires en 2014, contre 54 millions en 2013, ce qui représente une augmentation de 34 % en un an.
Je tiens à saluer les mesures contenues dans ce PLF. À budget équilibré
– les autorisations d’engagement des crédits en faveur du livre et des industries culturelles n’ont diminué que de 2,2 % –, l’aide à l’innovation prend une place de plus en plus importante. C’est ainsi que le fonds de soutien à l’innovation et à la transition numérique est chargé de suivre, voire d’accélérer la mutation numérique des entreprises de production phonographique. S’il n’est pas le plus important, ce fonds concerne les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) qui représentent pour notre pays une richesse que l’on doit soutenir et encourager. Ces entreprises permettent le maillage efficient et la diversité culturelle dont nous avons besoin.
Cette richesse, nous devons la protéger. Prenons l’exemple de l’industrie du cinéma. Le nombre d’écrans a augmenté de 7,2 % de 2005 à 2014 tandis que le nombre d’établissements cinématographiques diminuait de 2,6 % dans le même temps. Nous devons combattre cette uniformisation progressive, et défendre le développement du maillage territorial. Réjouissons-nous du fait que 14,6 millions d’euros vont être répartis entre les 1 148 établissements ayant le label « art et essai », qui participent activement au développement de l’exception culturelle française. C’est le cas à Lyon, où les deux salles du Cinéma national populaire (CNP) ouvrent à nouveau leurs portes après quelques mois de travaux, en gardant une programmation ambitieuse et iconoclaste, mais en y intégrant de nouveaux dispositifs numériques.
L’exception culturelle française est aussi liée à des pratiques qui sont bouleversées par le numérique. Entre 2007 et 2014, le nombre d’écrans par foyer est passé de 5,3 à 6,4, ce qui a considérablement augmenté le temps passé sur internet. Le phénomène pourrait avoir des effets négatifs – et l’on peut comprendre les réticences qu’il suscite – mais il peut être une force si nous l’accompagnons.
Il est impératif d’accompagner les cinémas d’art et d’essai, le streaming musical ou l’audiovisuel français vers le numérique. Arte a fait ce choix qui se révèle payant : il permet à la chaîne de se développer et d’attirer de nouveaux publics. Le groupe France Télévisions fait ce choix en ce moment et je ne doute pas de son succès.
Vos trois rapports témoignent, chacun à sa manière et dans son domaine, de la poursuite de la tradition progressiste de la France en faveur de l’indépendance, de la création et, à présent, du numérique. Pensez-vous que l’on puisse, en continuant de lier transition numérique et exception culturelle française, promouvoir et élargir l’audience des arts du spectacle ?
Mme Marie-George Buffet. Tout d’abord, je voudrais bien sûr remercier les rapporteurs pour la qualité de leur travail et de leurs interventions.
À l’instar de Jacques Cresta, je pense que France Télévisions doit accélérer sa mue numérique et innover en la matière. Mais on ne peut pas toujours exiger l’excellence de cette grande maison, sans lui donner les moyens de la chercher. Or la baisse des moyens compromet la capacité du groupe à avancer vers une modernisation nécessaire.
Contrairement à Rudy Salles, je pense que le projet de chaîne publique d’information en continu peut constituer une occasion historique de coordonner et de mutualiser les moyens, mais aussi de favoriser d’autres méthodes de recherche et de traitement de l’information. Lors d’événements particulièrement douloureux, nous avons eu l’occasion – et le CSA également – d’émettre des critiques sur la façon dont les événements étaient relatés par certaines chaînes d’information en continu. Du service public de l’audiovisuel, nous pouvons attendre une nouvelle entrée dans l’information en continu, faisant appel à la réflexion et à la connaissance, ce qui permettrait aux citoyens de mieux maîtriser les enjeux des débats actuels.
La création d’une chaîne publique d’information en continu nécessite une mise en commun de moyens, mais celle-ci ne doit pas être vécue comme une nouvelle manière de diminuer les ressources des différentes entités de l’audiovisuel public. Ne répétons pas la douloureuse expérience de la fusion de RFI et France 24, cherchons une mutualisation qui permette l’enrichissement de l’information des citoyens.
J’en viens au rapport présenté par Michel Françaix que je veux remercier pour sa ténacité en ce qui concerne les aides à la presse. Nous connaissons la situation extrêmement fragile de la presse mais aussi le rôle éminent qu’elle joue et l’importance du pluralisme pour le développement de notre démocratie. La liberté d’information permet de juger du degré d’émancipation d’une société.
Je partage les propositions du rapporteur sur le recentrage des aides, dont il nous a déjà démontré la nécessité. Il nous parle d’avancer vers une mutualisation et peut-être vers une fusion des messageries, en évoquant les difficultés qui pourraient survenir de la part de certains organes de presse. Ces propositions, cher collègue, vous les avez faites à plusieurs reprises et je les approuve complètement. Mais quel est le calendrier ? Nous ne pouvons pas attendre beaucoup plus longtemps.
Ma deuxième remarque porte sur les rachats et la concentration du secteur. Certes, nous devons obtenir le respect des règles déontologiques et l’emploi de journalistes, mais ne faudra-t-il pas aller plus loin pour empêcher cette marche vers la concentration ? Un certain individu, qui a pourtant un endettement extrêmement important, a pu ainsi racheter des titres très rapidement, sans que nous ayons les outils pour l’en empêcher.
Enfin, je regrette que vous n’ayez pas cité votre vingtième proposition qui est extrêmement importante : inscrire à l’ordre du jour des assemblées le projet de loi sur la protection du secret des sources des journalistes.
M. Michel Pouzol. Non sans avoir avant toute chose approuvé ce propos de Mme Buffet concernant la vingtième proposition de M. Françaix, je tiens à mon tour à féliciter les rapporteurs, en particulier M. Cresta pour son travail sur le projet numérique de France Télévisions, très utile étant donné l’évolution des usages audiovisuels des Français - un thème qui semble être au cœur du projet stratégique volontariste de Mme Ernotte. Il était temps, en effet, que France Télévisions prenne le tournant du numérique pour que le service public de l’audiovisuel touche l’ensemble des publics et se mette au diapason des nouvelles pratiques en la matière.
Comme le souligne le rapport du groupe de travail sur l’avenir de France Télévisions, coordonné par M. Marc Schwartz, ces pratiques sont en mutation : les Français sont mieux équipés en matériels et plus souvent abonnés à des services leur permettant d’accéder aux offres de télévision numérique. L’évolution des technologies et la multiplication des écrans offrent aux utilisateurs un accès aisé et transparent aux programmes, quels que soient l’heure, le lieu et le support de diffusion. De ce point de vue, le rapport de M. Cresta montre que la consommation de télévision de rattrapage est en forte augmentation, surtout parmi les jeunes de 15 à 34 ans qui, selon le CNC, représenteraient la moitié de ce public. Pensez-vous dès lors que la télévision de rattrapage offre une solution pérenne permettant de renouveler les audiences de France Télévisions ?
D’autre part, ce groupe doit-il s’inspirer des stratégies innovantes déployées en ce domaine par Arte, qui propose plus de 80 % de ses programmes en rattrapage et enregistre une hausse de vues de 22 % au premier semestre 2015, certains documentaires étant visionnés jusqu’à 400 000 fois ? Grâce à la diffusion non linéaire de ses programmes sur internet, Arte jette en effet les bases d’une chaîne multilingue de dimension européenne.
Enfin, l’essor de cette manière individualisée de vivre la télévision et la baisse du taux d’équipement en téléviseurs, surtout parmi les jeunes, doivent-ils selon vous entraîner l’extension de la base de calcul de la contribution à l’audiovisuel public à l’ensemble des appareils capables de diffuser ces nouvelles offres ?
M. Patrick Hetzel. Les documents budgétaires qui nous sont présentés ne donnent aucune indication concernant les incidences pourtant réelles de la loi NOTRe sur l’offre audiovisuelle du secteur public. Je m’interroge en particulier sur le devenir des émissions locales diffusées sur France 3 Alsace et sur France Bleu Alsace. Ces deux chaînes, l’une de télévision et l’autre de radio, se caractérisent en effet par une forte proximité avec leur public. Cette offre audiovisuelle sera-t-elle préservée ? Le redécoupage régional ne risque-t-il pas d’éloigner ces chaînes de leur public ? Ces services de proximité relevant d’un financement public, nos concitoyens sont en droit d’attendre non seulement qu’ils ne se dégradent pas, mais même qu’ils s’améliorent !
M. Stéphane Travert. Je me réjouis, madame Virginie Duby-Muller, de constater l’augmentation de 54,4 % en autorisations d’engagement et en crédits de paiement de l’action « Industries culturelles », qui s’explique non seulement par la hausse des crédits alloués à la Hadopi, mais aussi par le transfert au sein du programme des crédits alloués au Bureau export de la musique française et, enfin, par l’inscription au titre de cette action de nouvelles aides destinées à valoriser l’entreprenariat culturel.
Je vous félicite particulièrement, madame, pour votre rapport sur la numérisation des salles de cinéma : vous y soulignez la vitalité exceptionnelle de l’exploitation cinématographique en France, qui conserve l’un des taux de fréquentation les plus élevés d’Europe, et la grande diversité de l’offre que la numérisation permet de proposer en salles. Vous présentez également les motifs d’inquiétude du secteur : la concurrence d’autres modes de diffusion des films, comme la lecture en continu ou streaming, mais aussi le fait que les exploitants peuvent accélérer à l’excès la rotation des films grâce à la souplesse que leur offre le numérique. Vous indiquez en particulier qu’en dépit de l’augmentation du nombre d’écrans de cinéma en France, le nombre d’établissements diminue. L’émergence des multiplexes accentue en effet la concentration de ce secteur autour de grandes sociétés d’exploitation bien connues.
Pensez-vous que les exploitations indépendantes, qu’il s’agisse d’associations ou de sociétés coopératives et participatives, les SCOP – comme c’est le cas de l’Utopia à Toulouse – soient menacées par ces superstructures qui, alors qu’elles étaient 135 en 2003, sont désormais 191, soit un rythme moyen de six ouvertures par an ?
Vous soulignez d’autre part la nécessité d’apporter un soutien adéquat à la filière cinématographique ; les dispositifs proposés par le CNC vous semblent-ils adaptés à cette nouvelle donne ? Enfin, parallèlement à l’augmentation du nombre de multiplexes, nous pouvons nous réjouir du fait que le parc de cinémas d’art et d’essai se maintienne et même progresse – signe qu’une cohabitation fructueuse entre ces deux modèles d’exploitation est toujours possible !
Mme Claudine Schmid. Votre rapport, madame Virginie Duby-Muller, insiste sur l’importance de la filière du cinéma en France. Nous devons en effet préserver la singularité de son maillage composé tout à la fois de multiplexes et de salles d’art et d’essai. Pouvez-vous apporter des précisions quant à l’avenir des quelque 1 100 salles d’art et d’essai ? Comment pouvons-nous continuer de les soutenir pour garantir la diversité des œuvres ? Existe-t-il des dispositifs particuliers visant à accompagner leur transition auprès des distributeurs ?
D’autre part, les salles de cinéma jouissent actuellement d’un délai d’exclusivité de quatre mois. De ce point de vue, faut-il assouplir la chronologie des médias ?
Mme Colette Langlade. L’audiovisuel public, la presse écrite et l’industrie du livre sont des enjeux culturels majeurs pour notre société. Ces trois secteurs font aujourd’hui face à une révolution culturelle et à une crise de modèle liée à l’émergence du numérique. L’audiovisuel public doit reconquérir par de nouveaux supports un public qui a perdu l’habitude d’allumer la télévision pour s’informer, se divertir et accéder aux créations cinématographiques. La presse se heurte à une concurrence plus vive encore, tant l’information sur internet et les titres exclusivement numériques gagnent en importance. Enfin, le livre et les industries culturelles comme le cinéma doivent s’adapter à de nouvelles pratiques sans pour autant bouleverser un modèle économique créateur d’emplois. Il ne s’agit plus pour chacun de ces secteurs de se prononcer pour ou contre le numérique, mais de trouver la voie leur permettant de concilier au mieux l’adaptation à la demande et la préservation de notre patrimoine culturel.
Ma question est donc transversale : pouvez-vous, madame et messieurs les rapporteurs, nous éclairer concernant les mesures d’urgence que vous défendez afin de réorienter la dimension numérique de chacun de ces domaines ?
Mme Sophie Dessus. Vous l’avez indiqué, Madame Virginie Duby-Muller : les deux-cents multiplexes qui existent en milieu urbain représentent presque 10 % des salles et 60 % des entrées, tandis que les salles de proximité en milieu rural – souvent aidées par les communes – représentent 73 % des établissements pour 20 % des entrées. Pourtant, ce sont ces petites salles qui garantissent la diversité de l’offre culturelle et la présence du cinéma sur l’ensemble du territoire. La loi du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des cinémas visait d’une part à ce qu’aucune salle ne ferme en raison de la mutation technologique – objectif pleinement atteint – et à ce que tout distributeur mettant un film à la disposition d’une salle de cinéma lui verse une contribution numérique au cours des quatre semaines suivant la sortie nationale, et ce jusqu’en 2021. Cinq années après ce très bon point de départ, trois problèmes se posent. D’une part, la durée d’amortissement des équipements varie selon les salles, d’où une inégalité d’accès aux films. Ensuite, la fixation d’une durée de quatre semaines pendant laquelle les contributions sont dues entraîne la discrimination des salles de proximité, qui n’ont plus accès aux films qu’en cinquième semaine. Enfin, la diffusion simultanée de certains films sur un trop grand nombre d’écrans pourrait appauvrir la diversité culturelle de l’offre cinématographique.
Face à ces risques très graves pour la petite exploitation, peut-on envisager, comme le propose la Fédération française des cinémas français, de refuser le « plein programme » et d’instaurer un taux de location réduit des films, par exemple 40 % à partir de la cinquième semaine, de permettre à l’ensemble des salles d’accéder aux disques durs des films, de proposer un matériel publicitaire adapté, gratuit et unique au moyen d’une plateforme de téléchargement, et de simplifier la saisine du médiateur du cinéma ? Enfin, le comité de concertation, le CNC, le ministère de la culture et de la communication et le Parlement peuvent-ils prendre le problème à bras-le-corps en simplifiant – comme en 2010 – le cadre législatif ? À ces conditions, nous éviterons sans doute d’ici à 2021 la fermeture de cinq à six cents salles qui assurent la diversité et la proximité de la culture cinématographique, ainsi que son égal accès par tous les citoyens.
M. Hervé Féron. Vous rappelez, madame Duby-Muller, que la France possède le parc cinématographique le plus important d’Europe, mais le nombre d’établissements est en recul. Pour préserver le pluralisme des salles, il existe un dispositif de régulation des implantations de cinémas selon lequel au-delà d’un certain seuil de salles, tout projet de création ou d’extension d’un établissement nécessite une autorisation de la commission départementale d’aménagement cinématographique, la CDAC. Or, ce dispositif est parfois menacé : nous venons ainsi de supprimer une mesure que la droite sénatoriale avait insérée dans le projet de loi défendu par M. Emmanuel Macron, qui consistait à relever de 300 à 600 sièges le seuil au-delà duquel l’approbation de la CDAC est nécessaire et, ce faisant, à favoriser les multiplexes. Il faut au contraire renforcer les mécanismes de régulation de l’aménagement cinématographique. De ce point de vue, le sénateur socialiste Serge Lagauche a proposé avec raison d’autoriser les collectivités territoriales à adopter dans leurs plans locaux d’urbanisme des règles spécifiques aux salles de cinéma, et de donner aux régions ainsi qu’aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC), un rôle primordial en matière d’implantation des salles, afin de conserver le recul nécessaire à l’aménagement harmonieux des cinémas sur le territoire. Qu’en pensez-vous ?
D’autre part, vous indiquez qu’en 2014, toutes les salles de métropole étaient équipées pour diffuser une projection numérique, mais qu’en est-il en milieu rural et dans les cinémas indépendants, où le modèle du cinéma numérique est inadapté compte tenu du coût, de la complexité et des exigences de sécurité des équipements ?
Mme Sylvie Tolmont. Je tiens avant toute chose à saluer la constance et la cohérence de M. Françaix concernant les aides à la presse. Dans le projet de loi de finances pour 2016, les aides à la distribution représentent 200 millions d’euros : c’est un budget dédié au soutien aux titres de presse, qu’il s’agisse de la vente au numéro ou par abonnement. Vous plaidez dans ce contexte en faveur de la rationalisation de ces aides. Vous proposez notamment de mieux cibler l’aide postale, dont bénéficient de nombreux titres. La presse d’information politique et générale, dite IPG, ne bénéficie que de 45 % de cette aide alors que son rôle est indispensable au maintien d’une information accessible à tous et à la sensibilisation au civisme que permettent l’éclairage sur l’actualité et l’ouverture au monde.
Dans le même temps, huit magazines de programmes télévisés bénéficiaient en 2014 d’un avantage tarifaire postal équivalant en tout à 20 millions d’euros. Pour mieux cibler ces aides, monsieur le rapporteur pour avis, vous avez soutenu la proposition de Fleur Pellerin consistant à créer une catégorie de presse dite « du savoir et de la connaissance », qui regrouperait notamment les titres spécialisés et destinés aux professionnels. Distinguer cette catégorie de la presse IPG et de la presse de divertissement et de loisir permettrait de mieux différencier les aides postales. Cependant, une telle ambition se heurte à plusieurs défis liés à la porosité des frontières entre presse IPG et presse du savoir et de la connaissance. De surcroît, il ne faudrait pas réduire cet objectif à une opposition stérile entre « bonne » et « mauvaise » presse. Je rappelle toutefois qu’en 2001, le Conseil constitutionnel a jugé tout à fait légitime la classification des titres de presse afin de préserver le pluralisme de la presse IPG, qui contribue à l’information du citoyen.
Dans ce contexte, pourriez-vous tracer plus précisément les contours de la catégorie de titre qui pourrait relever de la presse du savoir et de la connaissance et les critères de définition qui pourraient être retenus ? D’autre part, vous proposez que les tarifs postaux appliqués à la presse du loisir et du divertissement rejoignent progressivement les tarifs universels de La Poste, soit une hausse de 70 % : quelles en seraient les conséquences pour les titres concernés et comment pourront-ils préserver leur volume d’abonnements ?
Mme Julie Sommaruga. Quel est selon vous, Madame Duby-Muller, l’effet de diverses opérations telles que le Printemps du cinéma sur l’accessibilité des tarifs et l’attractivité des salles de cinéma ? Il serait difficile, dites-vous, de rendre le cinéma encore plus accessible financièrement sans accentuer le fossé qui existe entre les cinémas de quartier et les grandes enseignes – et que les stratégies tarifaires de ces dernières aggravent. Quelles propositions vous ont été présentées sur ce point au cours des auditions ?
Nous partageons tous l’objectif visant à encourager le plus grand nombre de personnes à aller au cinéma, en particulier les jeunes. Ne faut-il pas que l’Éducation nationale valorise davantage le cinéma – l’art autant que le lieu – auprès de tous, et non pas seulement dans les filières spécialisées ?
Mme Martine Martinel. Le rapport de M. Cresta détaille l’évolution des pratiques audiovisuelles et la tendance qu’ont notamment les jeunes et les enfants à se détourner de la télévision linéaire. Vous indiquez d’autre part que la stratégie numérique de France Télévisions produit des résultats encourageants, mais que le projet numérique d’Arte est plus convaincant. Selon vous, comment mieux faire connaître la dimension numérique de France Télévisions ? Plus généralement, en quoi le fait de relever le défi numérique représente-t-il un enjeu démocratique ?
M. Jacques Cresta, rapporteur pour avis. J’ai le même attachement à France 3 Pays catalan que M. Hetzel à France 3 Alsace, et je suis très vigilant au sujet des antennes locales. Le rapport au Parlement sur les orientations de France Télévisions que vient de nous adresser Mme Delphine Ernotte indique il est vrai que la réforme de l’organisation territoriale entraînera l’évolution de France 3 afin de l’adapter aux nouvelles régions, mais cette adaptation sera principalement éditoriale et concernera pour l’essentiel les rendez-vous d’information.
La télévision de rattrapage, monsieur Pouzol, est pour France Télévisions tout à la fois un relais d’audience et un outil fondamental d’organisation. Quant à la chaîne Arte, elle a déployé une stratégie numérique sur diverses plateformes qui est un véritable succès. Sans doute les structures plus petites et moins bien dotées ont-elles plus de facilité à faire preuve d’innovation et de créativité.
J’en viens à la question de la chaîne d’information en continu pour m’étonner qu’il n’en existe pas encore dans le secteur public. Une chaîne publique pourrait pourtant mieux équilibrer le fonctionnement de notre démocratie. L’objectif, en effet, n’est pas de copier les journaux en continu des chaînes privées, qui reposent souvent sur l’émotion, mais de proposer une chaîne d’information s’adressant à l’intelligence des téléspectateurs.
Un amendement du Gouvernement, adopté à la suite d’une proposition de MM. Bloche et Beffara, a permis d’augmenter les dotations de France Télévisions de 25 millions d’euros pour 2016. Cet apport viendra partiellement combler le déficit de 50 millions d’euros prévu par le groupe pour ce même exercice mais il lui faudra trouver de nouvelles ressources, peut-être au moyen de réformes de structure. Je constate toutefois que les acteurs de l’audiovisuel public semblent travailler chacun dans leur coin au développement du numérique ; l’INA vient ainsi de lancer son service de vidéo à la demande. J’estime au contraire que France Télévisions doit promouvoir une offre numérique du service public dans son ensemble. De ce point de vue, la chaîne d’information en continu permettra de favoriser les synergies, d’éviter la multiplication des unités de recherche et développement dans chaque entité et de proposer une offre cohérente dans le respect des sensibilités de chaque chaîne.
Concernant les métiers, il faut en effet aller vite, sachant que chaque entreprise, qu’il s’agisse de France 2, de France 3 ou de l’INA, possède sa culture propre. Une action plus transversale permettra de rapprocher ces équipes du service public qui s’ignorent parfois, voire se méfient les unes des autres, et d’améliorer l’offre publique. Dans l’immédiat, il est urgent de renforcer la polyvalence des salariés de ces chaînes de sorte qu’ils puissent travailler tout à la fois sur les chaînes linéaires et sur les supports numériques.
À titre personnel, j’aurais certainement voté pour l’amendement concernant la suppression de la publicité durant les programmes pour enfants. En réalité, seule la chaîne Ludo diffuse des publicités ; la plateforme des Zouzous, quant à elle, propose des applications sans publicité pour les supports mobiles et encadre strictement les annonces diffusées sur certaines parties du site en les limitant à des jouets et films pour enfants et en excluant toute publicité pour des produits de consommation alimentaire, par exemple. J’y suis extrêmement attentif. Cela étant, pour se développer, ces chaînes doivent trouver un équilibre entre recherche de financements et respect des obligations du service public.
Mme Virginie Duby-Muller, rapporteure pour avis. Chacun d’entre vous a relevé la vitalité du cinéma français, et je rappellerai à cet égard que les films français représentent plus de 40 % des parts de marché. Vous avez également tous souligné votre attachement à préserver ce vecteur de diffusion culturelle, le plus important dans notre pays.
Il faut en effet, Madame Annie Genevard, innover en matière d’aides. Des annonces ont déjà été faites au congrès de la Fédération nationale des cinémas français, à Deauville, en ce qui concerne la transmission de salles, en vue d’accompagner les nouveaux entrants, un vieillissement des exploitants étant constaté. Ces mesures seront lancées dès le mois de décembre, avec la création d’une filière – un module de formation – à l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, et surtout celle d’un fonds d’avances remboursables, géré par l’Institut du financement du cinéma et des industries culturelles, ce qui sera sécurisant pour les futurs investisseurs, tant l’investissement pour reprendre une salle est lourd.
Je suis un peu surprise par la question concernant les bibliothèques et le fait de moduler les crédits du concours particulier de la dotation générale de la décentralisation en fonction des plages horaires des bibliothèques, dans une volonté d’encourager leur ouverture à des heures tardives ainsi que le dimanche. Des plages horaires plus larges sont un moyen d’ouvrir ces lieux et de lutter contre l’illettrisme. Il faudra poser la question à la ministre de la culture et de la communication pour s’assurer que ces mesures n’auront pas d’effets négatifs pour les finances des collectivités territoriales.
S’agissant de la Hadopi, M. Rudy Salles a déploré un budget insuffisant tandis que Mme Isabelle Attard constatait que son bilan était nul. Le budget pour 2016 s’élève à 8,5 millions d’euros. Il a été divisé par deux entre 2011 et 2014. Si, en 2012 et 2013, les réserves budgétaires ont été utilisées, il y a eu une évolution significative de son activité en 2015, ainsi qu’en 2016, afin de répondre aux missions définies par la loi. Le bilan n’est donc pas nul. En cinq ans, 5,4 millions de courriels ont été envoyés, donnant lieu à un premier avertissement, 500 000 personnes ont récidivé et ont donc reçu un deuxième courriel, 2 844 ont reçu un troisième courriel, et, au final, 400 dossiers ont été transmis à la justice. Ces chiffres indiquent que la Hadopi et la riposte graduée sont efficaces et ont un effet dissuasif. Il faut également rappeler que la possibilité de suspendre l’accès à internet a été supprimée en 2013.
La question de la chronologie des médias, posée par M. Rudy Salles et Mme Claudine Schmid, est controversée. L’exclusivité du film est une condition du succès en salle et nous y sommes attachés. Il pourrait cependant être envisagé d’abaisser la fenêtre d’exploitation de quatre à trois mois pour certains films, lorsque les entrées lors des quatre premières semaines d’exploitation sont insuffisantes – on a par exemple évoqué le chiffre de 20 000 entrées. Lorsque le départ sur ces premières semaines est raté, le délai d’exclusivité pourrait être écourté et la chronologie des médias assouplie.
Il a beaucoup été question également de l’importance du cinéma d’art et d’essai. Le danger vient moins de la numérisation des films que des films d’art et d’essai dits porteurs. En effet, les multiplexes diffusent eux aussi des films d’art et d’essai porteurs, et concurrencent ainsi les salles dédiées. Pour répondre à M. Stéphane Travert sur la menace représentée par des multiplexes, il faut rappeler que la loi du 18 juin 2014 exige un accord en CDAC lorsque la salle compte plus de huit salles : cette régulation est positive. Claudine Schmid a posé la question d’un soutien particulier au cinéma d’art et d’essai : il existe déjà des aides spécifiques prévues par le CNC, et cela fonctionne assez bien.
Mme Gilda Hobert a fait le lien entre les trois rapports, en indiquant que la mutation liée au numérique appelait un changement de modèle. Elle a aussi posé la question du spectacle vivant. Les salles de cinéma diffusent désormais ce que l’on appelle « le hors-film » : opéras, concerts… Les exploitants nous disent que c’est intéressant mais que cela doit rester marginal, et qu’il faut si possible éviter de diffuser ces programmes le week-end, à des moments plus porteurs pour les films. Il convient cependant d’utiliser les salles de cinéma pour diffuser d’autres modes de culture.
M. Hervé Féron a rappelé les propositions du sénateur Serge Lagauche et celles-ci nous paraissent assez intéressantes, notamment l’articulation au niveau régional. Il peut y avoir une différence de vues entre un aménagement purement commercial et un aménagement culturel, et la difficulté, comme je l’ai rappelé en préambule, est que les CDAC comptent moins de représentants du monde culturel que d’élus.
M. Hervé Féron a également indiqué que toutes les salles n’étaient pas équipées en numérique. Je n’ai pas les mêmes chiffres que lui : en métropole, 100 % du parc est équipé, y compris en zones rurales. L’étape suivante concerne les outre-mer. La loi de 2010 a permis de pérenniser nos salles, alors que, dans d’autres pays européens, tels que l’Espagne, 20 % des salles ont dû fermer.
Les modalités du taux de location, madame Sophie Dessus, sont fixées par le code du cinéma et de l’image animée et le taux est négocié de gré à gré entre distributeurs et exploitants. La durée de la période d’amortissement de l’équipement numérique représente un vrai souci ; il faut sans doute s’en remettre au comité de suivi parlementaire institué par la loi de 2010, dans lequel siègent nos collègues Michel Herbillon et Marcel Rogemont. En ce qui concerne la cinquième semaine d’exploitation, la question nous a beaucoup été posée, car c’est en effet souvent un moyen pour les distributeurs de contourner le paiement de la contribution dite VpF.
Julie Sommaruga a posé la question des actions pouvant être menées, comme le Printemps du cinéma, qui sont assez porteuses et fonctionnent, et celle de la politique tarifaire. Le prix moyen d’un billet, à 6,38 euros, reste assez accessible. Le tarif différencié de 4 euros pour les moins de quatorze ans, contrepartie de la diminution à 5,5 % de la TVA en 2014, a plutôt bien fonctionné. Mme Julie Sommaruga a également rappelé l’importance de l’Éducation nationale et je suis d’accord avec elle : il faut davantage associer celle-ci et travailler sur l’éducation à l’image. Les cinémas d’art et d’essai nous ont rappelé qu’ils étaient disponibles pour recevoir des classes scolaires.
M. Michel Françaix, rapporteur pour avis. On parle souvent de la crise : dans le domaine de la presse papier, elle existe bel et bien, qu’il s’agisse d’une baisse des recettes publicitaires de 9 ou 10 %, ou encore de la baisse de la distribution de 7 à 8 %, voire de 10 à 12 % chez les kiosquiers… C’est dans ce cadre que nous essayons de trouver des solutions d’avenir, et c’est plus difficile quand un domaine est en crise.
Vous êtes tous d’accord pour accompagner la transition et éviter la rupture, et vous demandez que l’on aille plus vite. Or il n’est pas facile d’aller plus vite.
Si nous souhaitons classifier les différentes formes de presse, par exemple, c’est parce que la presse de loisir, même si elle est tout à fait respectable, a moins de raisons d’être aidée par le citoyen qu’une presse plus citoyenne. Or La Poste nous indique que, si elle ne reçoit plus d’argent de l’État, les prix doivent augmenter de 70 % dans les sept ou huit ans ; cela signifie qu’un journal sur deux dans la catégorie des loisirs risque d’être supprimé. Si, donc, il serait décevant de ne pas distinguer différents types de presse, il est également compliqué de prévoir tout d’un coup que certains ne seront plus aidés, car cela conduira à la suppression de nombreux emplois.
J’ai souligné le fait que je suis favorable aux aides conditionnelles. Mais je pense que les concentrations sont obligatoires, à défaut de quoi ce sont des concentrations à l’international qui domineront. Toutefois, s’il faut que nos groupes de presse soient plus puissants, nous pouvons conditionner l’aide publique au respect du pluralisme. Le pluralisme n’est pas forcément opposé à la concentration. Je préférerais qu’il n’y ait pas besoin de concentrations, que nous vivions dans un monde formidable où chacun pourrait sortir son journal du jour au lendemain. Je fais partie de ceux qui ont cru, en 1981, aux radios locales : nous avons bien vu que les Nostalgie, les NRJ et les autres ont été rachetées au bout de quatre ou cinq ans. Il faut permettre à certains petits journaux de vivre selon des modèles différentes, mais la concentration est obligatoire.
Les plus aidés, c’est vrai, sont ceux qui en ont le moins besoin. Le Figaro, Le Monde, Libération, et tous les titres rachetés par de gros patrons de presse, pourraient se passer des aides, mais nous ne pouvons pas dire d’un seul coup qu’ils ne recevront plus d’aides parce que tout va bien pour eux. C’est un fait : une partie de l’argent public ne va pas là où ce serait souhaitable.
Enfin, comment ferons-nous pour différencier la presse de loisir et la presse du savoir ? Ce n’est pas la question la plus simple qui m’ait été posée. Il faudra peut-être modifier la commission paritaire des publications et agences de presse. J’attends du Gouvernement qu’il nous présente, la semaine prochaine, les décrets d’application définissant précisément une presse du savoir et une presse de loisir. Il ne faut pas que la commission paritaire mette trois ans à décider.
Je pense que nous récupérerons un peu d’argent pour l’innovation, pour l’IPG, pour de nouveaux journaux papiers et le numérique, mais ce sera le quart de ce que nous pourrions avoir si l’argent donné à La Poste n’allait pas à la presse de loisir. Le sujet n’est pas simple, et je vous remercie, les uns et les autres, d’avoir loué ma persévérance.
La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation procède le lundi 2 novembre 2015, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, sur les crédits pour 2016 de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».
À l’issue de la commission élargie, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation examine, pour avis, les crédits pour 2016 de la mission « Livre et industries culturelles ».
M. le président Patrick Bloche.
M. le président Patrick Bloche. La commission n’étant saisie d’aucun amendement, je mets aux voix les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », avec un avis favorable des MM. Les rapporteurs Jacques Cresta et Michel Françaix, et une abstention de Mme la rapporteure Virginie Duby-Muller.
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Médias livre et industries culturelles » pour 2016.
M. le président Patrick Bloche. Même vote sur les crédits du compte spécial « Avances à l’audiovisuel public » inscrits à l’état D annexé au projet de loi de finances pour 2016 ?
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits du compte spécial « Avances à l’audiovisuel public ».
ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS
(Par ordre chronologique)
Ø Cabinet de Mme la ministre de la culture et de la communication – Mme Aude Accary-Bonnery, conseillère technique en charge du cinéma et du jeu vidéo, et M. Xavier Lardoux, directeur du cinéma au Centre national du cinéma et de l’image animée
Ø Table ronde « Exploitation »
– Fédération nationale des cinémas français (FNCF) – M. Richard Patry, président, M. Jean Pierre Decrette, président délégué, et M. Marc-Olivier Sebbag, délégué général
– Association française des cinémas d’art et d’essai (AFCAE) – M. Michel Ferry, vice-président, et M. Renaud Laville, délégué général
– Syndicat des cinémas d’art, de répertoire et d’essai (SCARE) – M. Sylvain Clochard, vice-président
– Groupement national des cinémas de recherche – M. Boris Spire, président, et M. Jérôme Brodier, délégué général
– Syndicat français des théâtres cinématographiques (SFTC) – M. François Thirriot, président
Ø Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) – Direction du cinéma – M. Xavier Lardoux, directeur
Ø Audition commune :
– Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC) – M. Christophe Ruggia, président, M. Patrick Brouiller, trésorier, et M. Jean-Michel Gévaudan, délégué général
– Association des conseillers cinéma, audiovisuel et multimédia (ACCAM) – M. Laurent Fouquet, président, conseiller cinéma aux DRAC de Haute et Basse Normandie, M. Antoine Trotet, vice-président de l’ACCAM, conseiller cinéma à la DRAC Île-de-France, Mme Tifenn Martinot-Lagarde, chef du service de l’économie culturelle à la DRAC d’Ile-de-France, et M. Jean-Pascal Lanuit, directeur régional adjoint à la DRAC d’Île-de-France
Ø Table ronde « Distribution »
– Pathé – M. Marc Lacan, directeur général
– Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF) – M. Victor Hadida, président, et Mme Julie Lorimy, déléguée générale
– Syndicat des distributeurs indépendants – M. Étienne Ollagnier, président, et M. Christian Oddos, représentant permanent du syndicat
Ø Syndicat des musiques actuelles (SMA) – Mme Aurélie Hannedouche, déléguée générale, et Mme Camille Froger, coordinatrice de la Ferarock et membre du SMA
Ø PRODISS – Mme Malika Séguineau, secrétaire générale, Mme Aline Renet, conseillère stratégique et relations institutionnelles, et M. Jean-Philippe Daniel, directeur associé de Lysios
Ø Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) – M. Martin Ajdari, directeur général, M. Hugues Ghenassia de Ferran, adjoint au directeur chargé du livre et de la lecture, M. Pierre Mainguy, chef du bureau du financement et des industries culturelles, et M. Fabrice de Battista, chargé de mission pour la coordination et la synthèse budgétaire