N° 3112
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2015.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LE PROJET DE
loi de finances pour 2016 (n° 3096)
TOME III
AGRICULTURE, ALIMENTATION, FORÊT ET AFFAIRES RURALES
AGRICULTURE ET ALIMENTATION
PAR M. Jean-Pierre LE ROCH
Député
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Voir les numéros : 3096, 3110 (annexe 4).
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Pages
INTRODUCTION 5
I. UN PROJET DE BUDGET QUI RECENTRE SES MESURES D’INTERVENTION 7
A. LES CRÉDITS DE LA MISSION AGRICULTURE, ALIMENTATION ET AFFAIRES RURALES 7
1. Le programme 154 : « Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires » 8
2. Le programme 206 : « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation » 10
3. Le programme 215 : « Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture » 11
4. Le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR) 12
B. LES AUTRES BUDGETS CONTRIBUTEURS DU SECTEUR 12
1. Les crédits relatifs à l’enseignement agricole 12
2. Les lois de finances pour 2015 et 2016 intègrent l’essentiel des mesures en faveur des filières d’élevage 13
C. UN SOUTIEN EUROPÉEN CONSÉQUENT 13
1. La politique agricole commune 13
2. Le plan de soutien européen en faveur de l’élevage, complément du plan national 15
II. LA CRISE DE LA FILIÈRE D’ÉLEVAGE FRANÇAISE 17
A. LA FILIÈRE D’ÉLEVAGE CONNAÎT DE MULTIPLES CRISES DE MARCHÉ MAIS AUSSI DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES COMMUNES PROFONDES 17
1. Une crise conjoncturelle qui touche diversement les filières de l’élevage 17
a. Une production porcine sous pression 17
b. Une production bovine concurrencée 19
c. Une production avicole dynamique 21
d. Une production d’ovins et de caprins exigeante 22
2. La crise structurelle, profonde, est commune à l’ensemble de la filière d’élevage 23
a. Une consommation en mutation 23
b. Des rapports commerciaux difficiles 23
c. Une compétitivité mise à mal 24
B. UNE MOBILISATION NATIONALE QUI DOIT CONCERNER ACTEURS DE LA FILIÈRE ET CONSOMMATEURS 25
1. Responsabiliser chaque acteur 25
2. Associer le consommateur 26
a. Informer le consommateur de l’origine des produits 26
b. Reconquérir la restauration hors foyer 27
Le budget 2016 de la mission Agriculture, alimentation et affaires rurales recentre ses actions sur la compétitivité du secteur en proposant des interventions ciblées sur la filière d’élevage tout en participant à l’objectif de redressement des comptes publics.
Le plafond de crédits alloués à la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales (AAFAR) pour 2016 s’élève à 2,81 Md€ en AE et 2,75 Md€ en CP. En y intégrant les deux programmes relatifs à l’enseignement agricole rattachés à d’autres missions et le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural », le budget total du ministère s’élève à 4,7 Md€ en AE et 4,6 Md€ en CP. À périmètre constant du ministère, la baisse est de 2,8 % en CP par rapport à 2015, y compris le compte d’affectation spéciale « Pensions ».
La baisse s’explique par le fait qu’une partie des dépenses est transférée sur le budget communautaire de la politique agricole commune (PAC) et de fortes économies sont opérées dans les services du ministère. Par ailleurs, de nombreuses mesures de soutien à la filière d’élevage n’entrent pas dans le périmètre des crédits 2016 de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » parce qu’elles sont prises en charge dès 2015 par la réserve de précaution du ministère, le futur projet de loi de finances rectificative pour 2015 et, pour ce qui concerne les charges sociales, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016.
Le champ d’intervention européen dans le financement de l’agriculture française ne diminue pas : le budget communautaire de la PAC revenant à la France s’élève à 9,7 Md€ en 2016. Le budget européen pour l’agriculture française est deux fois plus important que le budget national. À cette enveloppe s’ajoute une participation européenne au plan de soutien de l’élevage à hauteur de près de 63 M€.
En dépit d’une baisse du budget, il faut relever que les mesures d’intervention en faveur de l’agriculture ne sont pas réduites. La volonté de préparer l’avenir en renforçant la compétitivité du secteur par l’investissement et en favorisant l’installation des jeunes est affirmée.
*
* *
Votre rapporteur soutient l’action du Gouvernement et du ministre M. Stéphane Le Foll en donnant un avis favorable à l’adoption des crédits des programmes 154 « Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires », 206 « Sécurité et qualité sanitaire de l’alimentation » et 215 « Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture ».
Le plafond de crédits alloués à la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales (AAFAR) pour 2016 s’élève à 2,81 Md€ en AE et 2,75 Md€ en CP. En y intégrant les deux programmes relatifs à l’enseignement agricole rattachés à d’autres missions et le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR), le budget total du ministère s’élève à 4,7 Md€ en AE et 4,6 Md€ en CP, soit une baisse de 5,54 % en AE et 3,44 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2015.
À périmètre constant, c’est-à-dire en neutralisant l’effet des transferts d’effectifs et d’un transfert de services interministériels départementaux, la baisse est de 2,8 % en CP par rapport à 2015, y compris le compte d’affectation spéciale « Pensions ».
La structure des programmes de la maquette budgétaire ne connaît pas d’évolution entre 2015 et 2016. Le présent avis budgétaire « Agriculture, alimentation et affaires rurales » retient trois programmes :
– le programme 154 « Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires » dont la finalité est d’accompagner la consolidation et l’adaptation des filières agricoles et alimentaires et des territoires aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux ;
– le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation » qui contribue à la maîtrise globale des risques sanitaires ;
– et le programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture » consacré aux moyens de personnel et au fonctionnement du ministère.
(en euros)
Numéro et intitulé du programme |
AE |
CP | |||
Ouvertes en LFI 2015 |
Demandées pour 2016 |
Ouverts en LFI 2015 |
Demandés pour 2016 | ||
154 |
Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires |
1 610 829 287 |
1 390 458 576 |
1 412 053 831 |
1 303 398 198 |
11 |
Adaptation des filières à l’évolution des marchés |
176 600 630 |
169 155 334 |
178 847 874 |
169 614 956 |
12 |
Gestion des crises et des aléas de production |
27 448 166 |
3 418 666 |
27 448 166 |
3 958 666 |
13 |
Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles |
140 576 000 |
169 250 000 |
168 118 300 |
94 730 000 |
14 |
Gestion équilibrée des territoires |
983 942 524 |
782 547 326 |
755 377 524 |
769 007 326 |
15 |
Moyens de mise en œuvre des politiques publiques et gestion des interventions |
282 261 967 |
266 087 250 |
282 261 967 |
266 087 250 |
Le programme 154 « Économie et développement durable de l’agriculture et des territoires », qui vise à intervenir, avec les fonds communautaires, pour favoriser la compétitivité des exploitations et des entreprises est structuré autour de cinq actions :
– L’adaptation des filières à l’évolution des marchés : cette action accompagne l’organisation des filières et promeut les produits de qualité ; elle complète l’intervention du fonds européen agricole de garantie (FEAGA), dont l’objectif est de stabiliser les marchés et de réguler les revenus.
– La gestion des crises et des aléas de production, l’appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles et la gestion équilibrée et durable des territoires, trois actions destinées aux exploitations agricoles. L’appui et la gestion équilibrée financent la contrepartie nationale des crédits du fonds européen agricole de développement rural (FEADER).
– Les moyens de mise en œuvre des politiques publiques et la gestion des interventions correspondent au financement des opérateurs participant à la mise en œuvre du programme.
Ce programme dispose d’un budget de 1,39 Md€ en AE et 1,30 Md€ en CP, en baisse de 220 M€ en AE (- 13,7 %) et de 109 M€ en CP (- 7,7 %) par rapport à 2015.
Cette baisse conséquente résulte notamment de la prise en charge communautaire totale (second pilier) du soutien au développement de l’assurance-récolte (jusque-là financée à hauteur de 75 %). En réalité, de nouveaux crédits, essentiellement prévus par le plan de soutien à l’élevage, abondent ce programme 154 :
– L’enveloppe consacrée à la modernisation des exploitations est revalorisée de 30 M€ pour atteindre 86 M€. Ces crédits financent le plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles (PCAE). Les crédits supplémentaires seront affectés aux filières d’élevage pour accompagner et soutenir leurs investissements.
– L’enveloppe ICHN (indemnités compensatoires de handicaps naturels) est revalorisée de 24 M€ pour atteindre 256 M€. Ces indemnités visent au maintien des exploitations agricoles dans les zones défavorisées. Elles sont en augmentation depuis 2014. Couplée aux crédits européens du FEADER (75 % de l’aide), l’enveloppe atteint 2 016 M€ en 2016.
Les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) qui compensent les surcoûts liés à la mise en place de pratiques plus respectueuses de l’environnement et les mesures de soutien à l’agriculture biologique sont préservées. Au total, elles représentent 71,9 M€ en AE en 2016.
En crédits de paiement, la baisse n’est que faciale et correspond à des dispositifs à cofinancement communautaire : l’année 2015 a vu s’accélérer des décaissements concernant les prêts à l’installation et à la modernisation des exploitations. En somme, il fallait dépenser, avant le 31 décembre 2015, des paiements FEADER prévus antérieurement sans quoi ils auraient été perdus, réduisant ainsi les besoins pour 2016.
(en euros)
Numéro et intitulé du programme et de l’action |
AE |
CP | |||
Ouvertes en LFI 2015 |
Demandées pour 2016 |
Ouverts en LFI 2015 |
Demandés pour 2016 | ||
206 |
Sécurité et qualité sanitaire de l’alimentation |
496 119 269 |
487 889 358 |
494 798 269 |
486 571 586 |
01 |
Prévention et gestion des risques inhérents à la production végétale |
20 569 515 |
21 420 499 |
20 569 515 |
20 923 649 |
02 |
Lutte contre les maladies animales et protection des animaux |
92 996 001 |
87 027 365 |
90 996 001 |
85 605 443 |
03 |
Prévention et gestion des risques sanitaires liés aux denrées alimentaires |
15 428 339 |
14 506 072 |
15 428 339 |
14 306 072 |
04 |
Actions transversales |
74 627 370 |
71 828 847 |
74 006 370 |
72 136 847 |
05 |
Élimination des cadavres et des sous-produits animaux |
2 125 892 |
3 707 000 |
3 425 892 |
4 200 000 |
06 |
Mise en œuvre de la politique de sécurité et de qualité sanitaire de l’alimentation |
286 499 722 |
285 420 491 |
286 499 722 |
285 420 491 |
08 |
Qualité de l’alimentation et offre alimentaire |
3 872 430 |
3 979 084 |
3 872 430 |
3 979 084 |
Le programme 206 : « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation » qui contribue à la maîtrise globale des risques sanitaires compte sept actions : prévention et gestion des risques inhérents à la production végétale, lutte contre les maladies animales et protection des animaux, prévention et gestion des risques sanitaires liés aux denrées alimentaires, actions transversales, élimination des cadavres et des sous-produits animaux, mise en œuvre de la politique de sécurité et de qualité sanitaire de l’alimentation et qualité de l’alimentation et offre alimentaire.
Ce programme dispose d’un budget de près de 488 M€ en AE et 487 M€ en CP, en baisse d’environ 8 M€ en AE et CP (– 1,7 %) par rapport à 2015.
L’efficacité des politiques de prévention et de surveillance doit être analysée au regard du coût socio-économique, bien supérieur, qu’engendreraient des mesures de lutte contre des infections et des indemnisations aux agriculteurs, sans compter la sensibilité du consommateur à l’égard de la sécurité alimentaire. Pour 2016, l’accent est mis sur le renforcement des dispositifs de prévention et de surveillance des risques sanitaires et phytosanitaires. L’efficacité de ces dispositifs, ces dernières années, a permis de réduire les dépenses d’indemnisation.
60 ETPT (1) sont créés, pour la deuxième année consécutive afin de renforcer les contrôles, en particulier dans les abattoirs de volailles, les activités de certification à l’exportation et l’inspection.
(en euros)
Numéro et intitulé du programme et de l’action |
AE |
CP | |||
Ouvertes en LFI 2015 |
Demandées pour 2016 |
Ouverts en LFI 2015 |
Demandés pour 2016 | ||
215 |
Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture |
715 198 537 |
659 648 029 |
723 604 951 |
663 995 195 |
01 |
Moyens de l’administration centrale |
204 159 049 |
198 627 303 |
209 785 385 |
203 753 325 |
02 |
Évaluation de l’impact des politiques publiques et information économique |
18 540 433 |
17 997 655 |
18 540 433 |
17 997 655 |
03 |
Moyens des directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt et directions départementales des territoires (et de la mer) |
421 896 287 |
374 236 703 |
421 896 287 |
374 236 703 |
04 |
Moyens communs |
70 602 768 |
68 786 368 |
73 382 846 |
68 007 512 |
Le programme 215 « Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture » d’appui au ministère et directions régionales se décline en cinq actions : moyens de l’administration centrale, évaluation de l’impact des politiques publiques et information économique, moyens des directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, des directions de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt et directions départementales des territoires (et de la mer) et moyens communs.
Les crédits de ce programme s’élèvent à 660 M€ en AE, en baisse de 56 M€ (– 7,8 %) et 664 M€ en CP en baisse de 60 M€ (– 8,2 %).
La baisse des crédits traduit les mesures d’économies et d’optimisation sur le fonctionnement courant mises en œuvre par les services du ministère. Elles prennent également en compte les besoins de financement liés aux projets informatiques ainsi qu’aux projets immobiliers dans le cadre de la réorganisation des services du ministère suite à l’abandon du projet Picpus.
Les effectifs de ce programme sont en baisse de 3 %, ce qui permet de renforcer les effectifs de l’enseignement agricole (programmes 142 et 143) et de la sécurité sanitaire de l’alimentation (programme 206). Des postes sont transférés au ministère de l’écologie, vers le programme 217.
Depuis 2012, la baisse des dépenses de fonctionnement s’élève à près de 13 %.
Le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR) bénéficie du même plafond de dépense qu’en 2015, soit 147,50 M€, année de la revalorisation de 22 M€, grâce à l’affectation de la totalité de la taxe sur le chiffre d’affaires des exploitations agricoles. Les deux programmes qui composent ce compte d’affectation spéciale sont « développement et transfert en agriculture » et « recherche appliquée et innovation en agriculture ». L’objectif est d’assurer la diffusion des fruits de la recherche agronomique c’est-à-dire le progrès technique et l’innovation, essentiels pour la compétitivité de l’agriculture et la sécurité et la qualité sanitaires de l’alimentation. Ces programmes s’appuient sur des structures telles que les chambres d’agriculture et les coopératives agricoles.
Ce compte finance des dispositifs de développement dans le domaine agricole, notamment la poursuite de la mise en œuvre de la démarche « agricultures : produisons autrement » visant à la réorientation agro-écologique des modèles agricoles.
Le champ de l’avis budgétaire ne couvre pas l’ensemble des crédits budgétaires gérés par le ministère de l’agriculture mais seulement ceux des trois programmes précités.
Deux autres programmes de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2016 sont gérés par le même ministère, mais relèvent d’autres missions : il s’agit du programme 142 : « Enseignement supérieur et recherche agricole », au sein de la mission interministérielle : « Recherche et enseignement supérieur » qui est doté de 334 M€ en AE et 333 M€ en CP ; et du programme 143 : « Enseignement technique agricole », au sein de la mission interministérielle : « Enseignement scolaire », qui est doté de 1,39 Md€ en AE comme en CP.
Y compris le compte d’affectation spéciale « Pensions », les deux programmes cumulent plus de 1,7 Md€.
La dotation en faveur de l’enseignement et de la recherche agricoles augmente de 1 % par rapport à 2015 afin de poursuivre l’objectif affiché dès 2012 de créer des emplois dans l’enseignement agricole. Le projet de budget pour 2016 intègre notamment diverses mesures en faveur des lycéens et étudiants et de l’école nationale vétérinaire d’Alfort.
L’enseignement agricole est dispensé dans 830 établissements d’enseignement technique et 19 établissements d’enseignement supérieur qui accueillent environ 170 000 élèves dans l’enseignement technique, près de 16 000 étudiants, 33 000 apprentis en formation du second degré et du supérieur, et environ 145 000 stagiaires.
2. Les lois de finances pour 2015 et 2016 intègrent l’essentiel des mesures en faveur des filières d’élevage
Le projet de loi de finances pour 2016 comporte, dans sa première partie relative aux recettes, deux dispositifs de soutien indirect aux éleveurs : une extension des exonérations fiscales foncières sur les installations de méthanisation « pionnières » (4 M€) et une pause dans la baisse annuelle de 2 % de la taxe affectée aux chambres d’agriculture (6 M€).
Il faut relever que l’essentiel des mesures du plan de soutien à l’élevage français est porté par le budget 2015. L’urgence de la situation des éleveurs et la nécessité d’une mise en place rapide des aides ont conduit le Gouvernement à activer la réserve de précaution du ministère de l’Agriculture : 100 M€ pour le fonds d’allégement des charges, 10 M€ pour les actions de promotion à l’export, 15 M€ pour les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC). Le projet de loi de finances rectificative pour 2015 devrait également comporter des dispositifs de soutien : 30 M€ pour la modernisation des outils d’abattage-découpe, la restructuration de la dette des éleveurs ou « année blanche » c’est-à-dire le report en fin de tableau de remboursement des annuités d’emprunt 2015, à ce stade non chiffré.
Enfin, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 comporte des dispositifs de report de charges et de baisse des cotisations sociales attendues par les éleveurs.
Depuis sa création en 1962, la France a toujours été le grand bénéficiaire de la politique agricole commune (PAC). Le budget de la PAC couvre trois types de dépenses :
– L’aide au revenu des agriculteurs et au respect de pratiques agricoles durables : versement de paiements directs, conditionné au respect de normes européennes en matière de sécurité des aliments, de protection de l’environnement et de santé et bien-être des animaux. Ces paiements sont intégralement financés par l’UE et représentent environ 70 % du budget de la PAC.
– Les mesures de soutien du marché : activés, par exemple, lorsque les mauvaises conditions climatiques déstabilisent les marchés, ces paiements représentent moins de 10 % du budget de la PAC.
– Les mesures de développement rural : mesures destinées à aider les agriculteurs à moderniser leurs exploitations et à devenir plus compétitifs, tout en protégeant l’environnement, à contribuer à la diversification des activités agricoles et non agricoles et à la vitalité des communautés rurales. Ces paiements sont partiellement financés par les États membres, sont généralement pluriannuels et représentent environ 20 % du budget de la PAC.
La nouvelle PAC – cinquième réforme depuis sa création – « plus juste, plus équitable, plus verte et transparente » telle que souhaitée par la Commission européenne en 2010, est entrée en vigueur dans sa globalité en 2015. Quatre éléments caractérisent la nouvelle PAC :
1° La possibilité de répartir de manière individualisée les fonds entre paiements directs des agriculteurs et le développement rural ;
2° Des primes encourageant les jeunes agriculteurs ;
3° L’harmonisation des paiements du premier pilier entre les agriculteurs des états membres depuis longtemps et ceux ayant rejoint l’Union européenne en 2004 ;
4° Le « verdissement » des aides afin de conserver les sols et protéger la biodiversité.
La réorientation des dépenses témoigne de cette évolution : le passage d’un régime de soutien au produit vers le soutien au producteur et la prise en compte des considérations environnementales. Les mesures de soutien au marché ne sont plus aujourd’hui qu’un filet de sécurité en période de crise.
ÉVOLUTION DES DÉPENSES DE LA PAC PAR ANNÉE (PRIX COURANTS)
Source : DG agriculture et développement rural.
Un des résultats importants de la réforme de la PAC est de laisser plus de marge aux États.
Elle se fonde toujours sur un budget important qui a été préservé et qui s’élève pour la France à 9,1 Md€ par an sur la nouvelle période (contre 9,3 Md€ en 2013). La baisse n’est que de 2 %, elle est contenue par rapport aux baisses que connaissent les anciens États membres tels que l’Allemagne.
Les subventions et les programmes agricoles de la PAC pour la période 2014-2020 s’élèvent à 408,30 M€, dont 312,70 M€ réservés au paiement direct des agriculteurs et 95,60 M€ au développement direct ; le reste de l’enveloppe étant essentiellement consacré au soutien à l’exportation. Le budget communautaire de la PAC revenant à la France s’élèvera à 9,7 Md€ en 2016. L’échelon européen cofinance de nombreuses mesures notamment les mesures agro-environnementales, les mesures d’aide aux récents installés, à hauteur de 75 %), le soutien à l’assurance récolte (entièrement).
Dans le cadre de la PAC 2014-2020 existe le mécanisme de « discipline financière ». Il consiste à appliquer un prélèvement de 2,84 % sur les soutiens directs des agriculteurs européens percevant plus de 2 000 € d’aides afin de constituer une réserve destinée à faire face à d’éventuelles crises agricoles. La Commission européenne avait annoncé en novembre 2014 que 868 M€ seraient ainsi restitués aux agriculteurs européens, dont 193,50 M€ pour la France, premier bénéficiaire devant l’Allemagne (125,60 M€) et l’Espagne (110,70 M€). Selon le ministère de l’agriculture, près de 300 000 agriculteurs français devraient bénéficier du déblocage de ces aides.
Le 15 septembre 2015, la Commission européenne a, en outre, présenté le détail d’un dispositif de soutien européen à l’élevage. Le plan, d’un montant de 500 M€, se répartit entre 420 M€ d’aides ciblées, 30 M€ pour la promotion, 30 M€ pour venir en aide aux réfugiés et un dispositif de stockage privé.
Sur l’enveloppe d’aides ciblées, 62,90 M€ seront attribués à la France. Par ailleurs, l’aide au stockage privé de poudre de lait sera portée de 16 centimes à 36 centimes par jour et par tonne et la période de stockage allongée de 3/7 mois à 12 mois. L’aide au stockage privé de porc est également relancée et relevée de 20 % (3,60 € par jour et par tonne). Celle-ci avait été ouverte au printemps 2015 à la demande de la France. La France continue à demander un relèvement du prix d’intervention sur la poudre de lait, économiquement plus efficace.
La filière d’élevage française connaît depuis plusieurs années une crise structurelle grave qui se double d’une crise conjoncturelle qui, loin de s’atténuer, n’en finit pas de s’aggraver. Les éleveurs subissent de plein fouet la concurrence internationale et la volatilité de leurs prix de production. Selon le ministère de l’agriculture, entre 2004 et 2014, la consommation des Français a connu une baisse de 4,5 kg en porc et de 1 kg en bovin, non compensée par la hausse de la consommation de volaille (+ 4,1 kg). Les premiers mois de l’année 2015 ont plongé les éleveurs dans une situation catastrophique que les budgets pour 2015 et 2016 prennent en compte. L’urgence de la situation a conduit le Gouvernement à annoncer des mesures fortes pour restaurer les cours de viande et assurer des revenus décents aux agriculteurs.
Les éléments de conjoncture expliquent en grande partie la crise actuelle des filières d’élevage mais la structure du paysage agricole l’annonçait. Les rapports commerciaux établis dans la filière affaiblissent les éleveurs : nationalement avec la pression des intermédiaires et internationalement avec la concurrence, y compris européenne. Plus largement, crise de marché et crise de compétitivité ont une origine structurelle.
A. LA FILIÈRE D’ÉLEVAGE CONNAÎT DE MULTIPLES CRISES DE MARCHÉ MAIS AUSSI DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES COMMUNES PROFONDES
En 2014, le cheptel porcin français atteint 13,3 millions de têtes (2), ce qui fait de la France le troisième producteur européen après l’Allemagne et l’Espagne. Après avoir connu une forte augmentation dans les années 1980 et 1990, la production française est en recul depuis une quinzaine d’années. La crise débute en 2007 avec une guerre des prix incessante et l’abandon des outils européens de régulation doublée d’un endettement critique. Un éleveur porcin aurait en moyenne 1 M€ d’engagements financiers.
C’est depuis 2014 que les pertes sont les plus importantes. La Fédération nationale porcine chiffre ces pertes à 500 millions d’euros par an environ. Le revenu 2014 des éleveurs porcins est effectivement en baisse de 13,3 % en un an et atteint 24 800 € par actif non salarié (sans retrancher les prélèvements sociaux et fiscaux) (1). La baisse du coût de l’aliment n’a pas compensé la baisse des prix de production, ni le recul de la valeur de la production. Ce résultat serait inférieur de 33 % à la moyenne des trois dernières années.
Devenu symbole de la crise de la filière porcine, le marché au cadran du porc breton à Plérin a concentré tous les regards à l’été 2015. Alors que ne s’y vend que 15 % de la production porcine consommée en France, ce marché d’enchères dégressives est la référence nationale du prix du porc. La moyenne sur ces douze derniers mois s’est élevée à 1,23 € le kilogramme. À la suite des accords intervenus entre les différents acteurs de la filière le 17 juin 2015 sur la revalorisation des prix, les prix avaient augmenté, atteignant le seuil symbolique de 1,40 €. Mais le lundi 10 août, les deux plus grands industriels acheteurs ont boycotté le marché, jugeant la viande trop chère par rapport aux cours allemands, le différentiel atteignant 0,25 € au kilogramme. Un tiers des stocks n’avait alors pas trouvé preneur, les transformateurs dénonçant une cotation politique déconnectée des prix du marché européen. L’écart avec les prix allemands demeure élevé. Le 5 octobre 2015, la situation ne s’était pas améliorée avec une cotation à 1,30 €.
La chute des prix ne permet pas à l’éleveur de couvrir le compte d’exploitation de son élevage. D’après l’Institut français du porc (IFIP), le coût de production d’un kilogramme de carcasse de porc en 2014 s’élève à 1,51 € mais est très fluctuant en fonction de l’exploitation et du coût de l’alimentation.
La baisse des prix est le résultat d’une crise de marché liée à la surproduction, essentiellement européenne. Celle-ci a fortement augmenté ces dernières années, notamment en Espagne, deuxième producteur européen (47,2 millions de porcs abattus en 2014). Elle a connu la plus forte croissance de sa production en Europe ces dernières années. Elle est à ce jour le premier fournisseur de la France. Les entreprises porcines y sont fortement intégrées, de l’élevage à la transformation, et représentent plus des deux tiers des porcs produits dans le pays. La filière est très moderne, les bâtiments bénéficient de subventions et le recours à la main-d’œuvre à bas coûts très répandu. Les élevages ont des dimensions bien supérieures à la moyenne française. D’après la Fédération nationale porcine, le secteur porcin français diminue de 2 % par an tandis que le même secteur espagnol augmente sa production de près de 5 % par an.
Source : Agreste (2013).
À la concurrence européenne s’ajoute la fermeture du marché russe. Le 7 août 2014, la Russie a décidé d’un embargo concernant notamment le bœuf, le porc, la volaille en provenance des États-Unis, de l’Union européenne, de l’Australie, du Canada et de la Norvège. Cette mesure a été reconduite, le 24 juin 2015, en représailles de la prolongation des sanctions sectorielles. Ces restrictions ont été étendues le 21 octobre 2014 aux abats, farines animales, lard et autres produits dérivés du porc et des poulets, pour « violations des normes de sécurité », notamment liées à une infection microbienne. Le marché russe est estimé, pour le porc, à 100 M€ par an.
Enfin, la production porcine pâtit de la pratique des promotions fréquentes dans la grande distribution sur la viande fraîche (soit 25 % du marché du porc français) que le Gouvernement a entendu encadrer en les limitant, par arrêté du 10 juin 2015 relatif à l’encadrement des opérations promotionnelles pour la vente de viande porcine fraîche, aux mois de janvier et septembre.
En 2014, le cheptel bovin français atteint 19,3 millions de têtes, dont 7,8 millions de vaches laitières (47 %) et allaitantes (53 %). La spécificité française réside dans le fait qu’elle est la seule à disposer d’une production de bovins d’origine allaitante développée.
Source : Agreste (2013).
Pour la filière viande, le revenu moyen des éleveurs bovins s’élève à 28 000 € par actif non salarié (3). Il est difficile de chiffrer précisément le coût d’une bête à l’élevage et l’habitude est à ne pas considérer les coûts salariaux – ce qui est révélateur de l’état d’esprit du secteur. Selon l’Observatoire des prix et des marges, le coût de production de 100 kilogrammes de vif s’élève à 347 € en 2014.
La filière souffre d’un déséquilibre entre l’offre et la demande pour les vaches de réforme allaitantes. D’après la Fédération nationale bovine, sur les vingt dernières années, le prix à la consommation a augmenté de 62 %, le prix à la production de 18 % et les coûts dans les exploitations de 56 %. Les éleveurs sont poussés à la modernisation, ils ont des niveaux d’endettement considérables qui augmentent in fine les coûts de production.
La France est le premier pays européen producteur de viande bovine. Le commerce extérieur des bovins est excédentaire (557 M€ en 2014, vers l’Italie, la Grèce et l’Allemagne) mais fragile, notamment du fait de la crise économique des pays de destination. La France est un exportateur net de bovins et le principal fournisseur du marché européen en « broutards » (jeunes bovins maigres destinés à l’engraissement). Pour répondre à la demande intérieure, la France importe plus qu’elle n’exporte de viandes fraîches, congelées et transformées. Il s’agit de viandes désossées, essentiellement des pièces arrières et de la matière première, moins noble, pour le steack haché, plébiscité par les Français (31 % de la consommation). Ces importations sont issues à plus de 85 % de vaches laitières européennes (Allemagne et Pays-Bas).
La filière laitière française a collecté 24,6 Md de litres de lait en 2014, en augmentation de près de 6 % par rapport à 2013. La France est le deuxième producteur de l’Union européenne, derrière l’Allemagne. Le cheptel laitier n’a cessé de diminuer chaque année jusqu’en 2014.
En 2014, le prix élevé du lait et une collecte orientée à la hausse ont généré un revenu de 31 000 € (4) en moyenne par actif non salarié, supérieur de 19 % à la moyenne 2011-2013. Mais cette hausse est largement à relativiser puisque depuis la fin de l’année dernière, la tendance est exactement inverse. Le prix des 1 000 litres est ainsi passé de 389 € en décembre 2014 à 300 € en juin 2015. Il avoisinerait 312 € en moyenne en 2015 (5).
La récente chute des cours est concomitante à la fin des quotas laitiers dans l’Union européenne (avril 2015). La dynamique de collecte européenne, anticipant dès 2014 la fin des quotas, a eu pour conséquence directe la chute des cours, même si depuis l’été 2014, le supplément de collecte a été transformé en produits de reports (beurre, fromage, poudre laitière).
Depuis l’été 2014 la demande mondiale en poudre de lait a chuté avec la baisse de la demande chinoise liée à une contraction de la consommation. Au second trimestre de la même année, la Russie a décidé d’un embargo, commun à de nombreux produits agricoles. L’Allemagne connaît la même situation.
L’offre française de production est éparpillée. Selon la Fédération nationale des producteurs de lait, les coopératives manquent de compétitivité et ne collectent que 50 % du lait produit. La taille des fermes n’est pas en cause puisque les grandes fermes nécessitent plus d’investissements et de main-d’œuvre.
La filière avicole regroupe les producteurs d’œufs, de lapin, de foie gras et de volaille de chair. La France est le premier producteur européen de volailles (1,2 million de tonnes en 2012 (6)) et pourtant, la forte demande intérieure (notamment en poulet) n’est pas couverte par la production française. Plus du quart de la consommation française est importée (7).
La situation des exploitations avicoles est contrastée en 2014 : en volaille de chair, la valeur de la production diminuerait en raison d’une baisse de prix tandis qu’en filière ponte, la valeur de la production serait légèrement en hausse, grâce à la hausse du prix des œufs. Au total, sur les deux filières, le revenu moyen des exploitations s’établirait à 23 200 euros en 2014 après une mauvaise année 2013, inférieur de 15 % à la moyenne des trois dernières années (8).
Le marché de la chair de volaille de poulet est segmenté en trois types de produits : 52 % de poulet standard, 24 % de poulet labellisé, bio ou certifié et 24 % de poulet destiné à l’exportation. Cette segmentation a permis de répondre aux attentes du marché. La situation économique de la filière est relativement bonne grâce à la contractualisation qui atténue les soubresauts. De plus, la grande distribution en a fait un produit attractif de grande consommation grâce à un marketing développé et une forte segmentation.
La production des volailles de chair est fortement impactée par la volatilité des prix des matières premières composant l’alimentation animale. L’aviculture est très consommatrice de céréales et d’oléo-protéagineux.
L’enjeu est d’être plus présent sur le marché intérieur français qui fait majoritairement appel à l’importation sur le segment des découpes (filets, cuisses) destiné au marché des premiers prix, à la restauration et à l’industrie. La filière souhaite reconquérir ce marché en produisant davantage de poulet standard à un prix compétitif. Cette reconquête passe l’investissement, notamment dans la modernisation des bâtiments vieillissants (23 ans en moyenne) et des abattoirs.
On compte en 2014 environ 7,2 millions d’ovins en France (9). Le cheptel est en baisse continue depuis une vingtaine d’années (– 20 % depuis 2001). La baisse de l’exportation des agneaux est en cause.
Soutenu par des prix en légère hausse et par la revalorisation de l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN), le revenu des élevages ovins et caprins atteindrait 17 400 euros en 2014 (1) , tout juste au niveau de la moyenne des trois dernières années. Les performances techniques moyennes sont insuffisantes et les coûts de production élevés, ce qui entraîne une faible rentabilité économique de l’élevage ovin. Le métier est exigeant et peu rémunérateur. Le marché international de la viande ovine est dominé par les exportations de l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
La production de viande ovine est en repli dans tous les principaux pays producteurs de l’Union européenne, sous l’effet de l’obligation d’identification électronique des animaux, de l’intérêt économique à aller vers d’autres productions et, plus récemment, de la fièvre catarrhale ovine (FCO).
Source : Agreste (2013).
Le secteur du lait de chèvre est sorti d’une crise de surproduction mais la production peine désormais à repartir, celui du lait de brebis est essentiellement ancré dans des bassins traditionnels – en zone de montagne – et a tendance à stagner.
Les crises économiques et sanitaires affectent les habitudes alimentaires des consommateurs. Les produits carnés et frais n’échappent pas à cette règle.
La consommation mondiale est en baisse. En 2014, la consommation française s’est élevée à 5,7 millions de tonnes équivalent carcasse soit 86 kilogrammes par personne (10). La consommation a augmenté jusqu’aux années 1990 puis s’est stabilisée et elle connaît aujourd’hui un léger repli depuis 10 ans.
La structure de la consommation a également été modifiée : les parts de viande bovine, ovine, porcine et surtout chevaline se sont réduites depuis 20 ans au profit de la viande de volaille. Ce phénomène s’explique par son prix relativement plus bas que les autres viandes, sa facilité à être cuisinée et par la dynamique de l’offre de produits transformés.
Les productions de viande font intervenir de multiples acteurs qui morcellent la structure de la filière. Jusqu’à quatre intermédiaires peuvent intervenir : l’éleveur, l’abatteur/découpeur, le transformateur et le distributeur.
Chaque étape crée de la valeur ajoutée mais en augmente aussi le prix jusqu’à la vente au consommateur final. Les transformations sont de plus en plus sophistiquées mais chaque acteur doit dégager une marge qui, en période de faiblesse des prix, suscite de graves tensions dans la production. La guerre des prix à laquelle se livrent les enseignes de la grande distribution crée de la déflation qui se répercute en amont de la filière. Dans ce contexte commercial, les éleveurs se trouvent en position de faiblesse.
La chaîne de transformation et de commercialisation est déséquilibrée au détriment de l’éleveur qui subit les fluctuations des cours de la viande et les décisions de ses acheteurs.
Le rapport commercial entre industriels de l’agroalimentaire, distributeurs et éleveurs est d’autant plus déséquilibré que la filière manque d’organisation. Les producteurs bovins ne sont que peu organisés : en 2011, les organisations de producteurs (OP) de bovins ne commercialisaient que 48 % de la viande contre 85 % pour les organisations de producteurs porcins selon un rapport de la mission sur l’organisation économique de la production agricole du CGAAER (11) de mars 2012. Les productions laitière, ovine et caprine sont atomisées. Pour cette raison, le poids des éleveurs dans les négociations commerciales est affaibli.
Les coûts de production des filières françaises sont supérieurs à la moyenne européenne.
L’Allemagne et l’Espagne, concurrents directs de la France, bénéficient de coûts de main-d’œuvre inférieurs, du fait de l’absence ou de la faiblesse du salaire minimum mais aussi de la moindre part des charges sociales. L’Allemagne a, par ailleurs, beaucoup recours à la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services qui permet de rémunérer ces travailleurs au taux horaire de leur pays d’origine, bien inférieur au coût de la main-d’œuvre employée au tarif local.
Les prix des matières premières agricoles sont fluctuants et difficiles à répercuter compte tenu de la durée nécessaire à l’engraissement d’un élevage. La faiblesse du prix des céréales ces derniers mois n’a pas suffi à restaurer les marges de producteurs. Or, la part de cette alimentation dans le coût de production peut atteindre 50 % dans la production d’un poulet standard.
Les syndicats agricoles français s’accordent pour critiquer l’importance des contraintes administratives (normes nombreuses et fluctuantes) et bureaucratiques (complexité dans la constitution de dossiers) qui sont source d’insécurité juridique et constituent un frein à la compétitivité. Les éleveurs regrettent également la manière dont se passent les contrôles, comme l’a relevé le rapport de la Présidente de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, Mme Frédérique Massat, sur les contrôles en agriculture remis au Premier ministre le 20 mai 2015.
Les prix au détail ont considérablement augmenté ces dernières années. Pour un indice 100 en 1998, le prix de la viande de bœuf est passé à 156, le veau à 155, le mouton et le cheval à 164, la volaille à 159. Moins concerné par cette augmentation, le prix de la viande de volaille est passé à 130 (12).
Les prix à la consommation de la viande n’ont cessé d’augmenter et pourtant les revenus des éleveurs ne cessent de chuter. Le prix moyen annuel d’un kilo de viande en France est passé de 29 € à 39 € entre 2004 et 2014 pour le filet de bœuf, de 19 € à 24 € pour l’escalope de veau et de 9 € à 11 € pour le rôti de porc sur la même période (13). Il faut toutefois relativiser ces prix qui correspondent aux parties nobles des viandes disponibles sur le marché. On constate de fortes disparités entre distributeurs.
Dans son rapport au Parlement 2015 sur les prix en 2014, l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, relève que la hausse des prix au détail des produits carnés est modérée (+ 1 %) mais les prix à la production ont diminué (– 6 à – 8 % selon les produits). En revanche, les produits frais de longe de porc et le poulet entier ou en découpe suivent le mouvement général de baisse des prix de détail (baisse souvent modeste) concomitante de celle des prix à la production (baisse plus importante). Ainsi, l’aval de la production agricole (industrie et distribution) a amélioré ses marges brutes.
En juin 2015, le Gouvernement a incité à la revalorisation des prix payés aux producteurs de viandes bovines et porcines et a encadré les promotions. Le rapport d’étape du médiateur des relations commerciales agricoles du 22 juillet 2015 relève que les abatteurs/découpeurs, les transformateurs et les distributeurs ont réévalué leurs prix d’achat. La remontée de ce prix a été effective mais plus lente en viande bovine qu’en viande porcine. La fin de l’été a vu la tension sur les prix réapparaître, rappelant que la hausse n’était que le résultat d’une incitation dépendante de la bonne volonté de chaque acteur. En outre cette hausse des cours a accru la vulnérabilité de la filière à la concurrence européenne dont les prix étaient d’autant plus éloignés des cours français.
Les hausses des prix cet été ont permis aux éleveurs de retrouver un peu d’oxygène mais il est nécessaire que l’aval s’engage durablement sur ce chemin.
Cet engagement passe par un développement de la contractualisation à plus de trois acteurs assise sur une transparence des marges de chaque acteur, sur un accord alliant prix, quantité et qualité. Un tel contrat de marché permet aux parties de se couvrir contre un risque de variation importante du prix, de l’approvisionnement et du débouché. Tous les acteurs s’accordent à dire que sécuriser les débouchés et les approvisionnements est appréciable, surtout lorsqu’il s’agit de secteurs où il faut investir et se développer. La contractualisation devrait permettre de diminuer la dissymétrie des pouvoirs de marché précédemment décrite, analyse partagée par votre rapporteur, d’autant plus si les producteurs s’engagent dans des regroupements et s’organisent.
Le Gouvernement prépare le développement de la contractualisation dans la filière porcine. Le ministre de l’agriculture a lancé, le 23 septembre 2015, un appel à manifestation d’intérêt sur cette question.
L’organisation est aussi la clé de l’accès à l’exportation, les filières doivent appuyer les initiatives collectives pour éviter la dispersion à l’international, « chasser en meute » et gagner des parts de marché. L’association des producteurs peut aussi être ponctuelle, c’est ce que permet désormais la plateforme « France Viande Export » créée le 9 septembre 2015 et qui propose des offres groupées. Les récentes levées d’embargos de pays tiers devraient permettre son développement.
La France bénéficie d’une traçabilité exemplaire qui donne les conditions d’une production haut de gamme. Les modes de production et les exigences réglementaires en France garantissent un très haut niveau de sécurité et de qualité sanitaire pour le consommateur. La bonne image dont bénéficient les produits français doit être renforcée, le consommateur étant souvent sensible à l’origine des produits qu’il consomme, y compris si la garantie de l’origine en augmente le prix.
Les appellations d’origine contrôlée (AOC), regroupant les produits dont les caractéristiques sont déterminées par le lieu de production et les indications géographiques protégées (IGP), signe européen d’origine et de qualité garantissant le lien entre un produit et son lieu de production ou de transformation et les labels, tels que le Label Rouge, signe de qualité d’une production soumise à un cahier des charges strict sont des initiatives de valorisation efficaces même s’ils ne concernent qu’une minorité de produits très qualitatifs.
L’amélioration et la généralisation de l’étiquetage est une demande forte des producteurs. Les professionnels de la filière ont créé en 2014 le logo bleu, blanc et rouge « Viandes de France ».
Les consommateurs ont désormais un repère garantissant l’origine et la traçabilité des viandes françaises. Ils ont la garantie que la viande et les produits qui en sont issus proviennent d’animaux nés, élevés, abattus puis découpés et transformés en France, que les modes de production assurent le bien-être animal, le respect de l’environnement, d’une alimentation saine et durable et de normes sanitaires strictes. Ce logo est un succès sur la viande de porc : selon le ministère de l’agriculture, près de 90 % du porc frais et la moitié des jambons cuits portent désormais le logo « Le porc français ». L’étiquetage de la viande bovine et de la charcuterie doit encore progresser mais c’est également au consommateur d’y être attentif.
L’origine française des viandes doit enfin être développée dans le secteur de la restauration hors foyer (RHF) qui comprend les restaurants, les points de vente à emporter, les cantines et les services des traiteurs. Ce secteur, qui ne cesse de se développer, totalise 25 % des achats de produits carnés en France (14). D’après la Fédération nationale bovine, ce secteur importe 70 % de sa consommation de viande. À titre d’exemple, l’Allemagne n’en importe que 30 %. Il faut relever que seule la mention de l’origine de la viande fraiche est obligatoire.
La restauration collective publique est comprise dans la RHF mais le code des marchés publics interdit le recours à un critère faisant mention d’une origine géographique. L’acheteur public doit faire en sorte de combiner plusieurs critères de qualité telle que la race de viande ou les productions conformes à un processus de production durable pour orienter ses achats vers les productions françaises.
Dans le cadre de la commission élargie du mercredi 28 octobre 2015, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur les rapports de M. Jean-Pierre Le Roch (Agriculture et alimentation) et de M. André Chassaigne (Forêt), les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (voir le compte rendu officiel de la commission élargie du 28 octobre 2015, sur le site internet de l’Assemblée nationale (15).
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À l’issue de la commission élargie, la Commission des affaires économiques a délibéré sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
La Commission est saisie des amendements n° II-CE1 et n° II-CE2 de M. Thierry Benoit et plusieurs de ses collègues.
M. Thierry Benoit. Conformément aux propos tenus tout à l’heure, l’amendement n° II-CE1 propose d’abonder le fonds d’allègement des charges à hauteur de 6,5 M€ à partir d’un ajustement pris sur les moyens de l’administration générale. Si vous le souhaitez, pour votre être agréable Madame la Présidente, je peux aussi défendre l’amendement n°II-CE2. Il s’agit d’abonder à hauteur de 7,5 M€ le dispositif des exonérations de charges sociales. Nous trouvons dommageable que cette rubrique soit affaiblie dans son volume. Là aussi, le mouvement se ferait à partir d’un ajustement pris sur des moyens de l’administration centrale.
M. Jean-Pierre Le Roch, rapporteur pour avis. Sur le premier amendement, Madame la Présidente, la réponse a déjà été abordée pendant le débat qui vient de s’écouler. Le budget du fonds d’allègement des charges est stable entre 2015 et 2016 et abondé sur 2015 avec 100 M€, peut-être même un peu plus puisque sur les 63 M€ accordés par l’Europe, une vingtaine de millions pourraient être affectés sur ce budget du fonds d’allègement des charges. L’avis est donc défavorable. Sur le deuxième amendement, la prévision est en accord avec le dispositif des 400 M€ pour l’emploi des travailleurs salariés saisonniers. Il est calibré pour cette dépense sachant que, pour les agriculteurs, s’ajoute la mise en place du crédit d’impôt compétitivité emploi et la montée en charge du pacte de responsabilité avec des nouvelles baisses de charges de plus de 700 M€ pour le secteur agricole. En conséquence, l’avis est défavorable.
M. Thierry Benoit. Toujours dans une démarche constructive, fidèle à l’Union des démocrates et indépendants, je propose de retirer l’amendement n° II-CE1 parce qu’en effet nous avons entendu le ministre. En revanche, je propose, au nom de mon groupe, de maintenir l’amendement n° II-CE2 parce que nous souhaitons revenir au volume initial de 418 M€.
L’amendement n° II-CE1 est retiré.
La Commission rejette l’amendement n°II-CE2.
Conformément à l’avis favorable de M. Jean-Pierre Le Roch, et contrairement à l’avis défavorable de M. André Chassaigne, la Commission des affaires économiques a donné un avis favorable à l’adoption des crédits de la Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Puis elle examine l’amendement n° II-CE3 de M. Potier et plusieurs de ses collègues.
M. Dominique Potier. Il s’agit d’un amendement d’appel. Il faut trouver une solution phyto-pharmacologique pour des productions orphelines avec des impasses phytosanitaires dont la mise en marché des produits n’est pas financée par les firmes faute d’une assiette d’utilisation suffisante. Je propose que la solution soit de type mutualiste avec une prise en charge par l’ensemble des producteurs via la redevance pour pollutions diffuses. C’est ce qui est prévu dans le plan Ecophyto. Pour économiser cet argent et avoir des solutions alternatives pour quelques milliers d’hectares de productions stratégiques agricoles, légumières et semencières, la proposition retenue est l’extension de la vocation de la taxe sur la pharmacovigilance qui est dévolue à l’Agence nationale de la sécurité sanitaire des aliments. C’est une solution très attendue dans la profession. Il ne s’agit pas d’une nouvelle taxe, j’anticipe les réponses de mon collègue Le Roch, mais c’est une extension de l’utilisation de l’argent levé par cette taxe, votée l’année dernière, conformément à la loi d’avenir pour l’agriculture, afin de prévenir la sécurité alimentaire et sanitaire des produits phytopharmaceutiques dans la durée.
M. Jean-Pierre Le Roch, rapporteur pour avis. Cette taxe a été introduite par la loi de finances rectificative pour 2014 et fixée en 2015 à 0,2 % du chiffre d’affaires des produits pharmaceutiques. Son produit est affecté à l’Agence nationale de la sécurité sanitaire des aliments pour financer un dispositif de phyto-pharmacovigilance. Votre intention d’étendre son usage à la résorption d’usages orphelins est louable dans la mesure où de petites filières agricoles se trouvent fragilisées par l’impasse technique rencontrée. Toutefois, il existe déjà une commission des usages orphelins et un programme d'expérimentation sur des solutions innovantes pour les usages orphelins. Par ailleurs, depuis cette année 2015, les autorités françaises cofinancent le secrétariat européen des usages mineurs (dont usages orphelins) avec deux autres États membres et la Commission. Celui-ci est basé à Paris dans les locaux de l'Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes. Le développement des solutions phytosanitaires pour les usages orphelins est d'ores et déjà soutenu au sein du plan Ecophyto. L’Agence nationale de la sécurité sanitaire des aliments ne peut pas se substituer aux entreprises dans ce cas. Elle a aussi besoin de l'ensemble du produit de cette taxe pour la pharmacovigilance. Je vous demande de retirer votre amendement.
M. Dominique Potier. Je le retire mais j’y reviendrai en séance parce que c’est un combat important pour prévenir les impasses phytosanitaires dans les productions orphelines.
L’amendement de M. Potier est retiré.
Mme la Présidente Frédérique Massat. Merci mes chers collègues. La Commission des affaires économiques est terminée. La séance est levée concernant la Commission des affaires économiques.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricole (FNSEA)
M. Henry Brichart, vice- président
M. Antoine Suau, directeur service économique et développement durable
M. Jean Louis Chandellier, directeur département Entreprises et Territoires
Jeunes agriculteurs (JA)
M. Antoine Daurelle, membre du bureau national, en charge du dossier fiscal social
M. Romain Quesnel, administratif en charge des questions fiscales
Mme Claire Cannesson, responsable service communication et affaires publiques
Coordination rurale
M. François Lucas, 1er vice-président
Confédération paysanne
M. Josian Palach, secrétaire national en charge de l’élevage
Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF)
M. Jean Mouzat, président
M. Pierre Thomas, vice-président
M. Alain Gaignerot, directeur
Fédération nationale bovine (FNB)
M. Jean-Pierre Fleury, président
M. Pierre Vaugarny, secrétaire général
M. Éric Chapelle, directeur-adjoint
Fédération nationale porcine (FNP)
M. Paul Auffray, président
Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL)
M. André Bonnard, secrétaire général
Mme Marie-Thérèse Bonneau, première vice-présidente
Mme Solenne Levron, chargée des affaires juridiques
Confédération française de l’aviculture (CFA)
M. Jean-Michel Schaeffer, président
M. Christian Marinov, directeur général
Interprofession nationale porcine (INAPORC)
M. Guillaume Roué, président
M. Didier Delzescaux, directeur
Fédération des industriels charcutiers traiteurs (FICT)
M. Robert Volut, président
Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD)
M. Mathieu Pecqueur, directeur agriculture et qualité
M. Antoine Sauvagnargues, responsable des affaires publiques
Coop de France
M. Pascal Viné, délégué général
M. Jacques Poulet, directeur du pôle animal
M. Bruno Colin, président de la filière bovine
M. François Monge, président de la filière ovine
Mme Irène de Bretteville, chargée des relations parlementaires
Ministère de l’alimentation, de l’agriculture et de la pêche
Mme Élodie Lematte, conseillère technique en charge des questions budgétaires et des affaires sociales
M. Bruno Ferreira, conseiller au cabinet en charge des productions animales
M. Julien Barré, chef au Bureau du lait, produits laitiers et sélection animale à la Direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE)
Mme Claire Brennetot, conseillère en charge des relations avec le Parlement et les élus
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