N° 3112
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2015.
AVIS
PRÉSENTÉ
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2016 (n° 3096)
TOME V
ÉCOLOGIE, DÉVELOPPEMENT ET MOBILITÉ DURABLES
ÉNERGIE
PAR Mme Béatrice SANTAIS
Députée
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Voir les numéros : 3096, 3110 (annexe 16).
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LA NÉCESSAIRE RÉFORME DE LA CONTRIBUTION AU SERVICE PUBLIC DE L’ÉLECTRICITÉ 7
A. UNE CLARIFICATION BUDGÉTAIRE BIENVENUE 7
B. UNE ÉVOLUTION SOUHAITABLE DE L’ASSIETTE 10
II. LES RÉSEAUX DE CHALEUR, UN INSTRUMENT INDISPENSABLE, À VALORISER AU SERVICE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 11
A. LES RÉSEAUX DE CHALEUR : UNE GRANDE VARIÉTÉ DE SYSTÈMES ET DES AMBITIONS FORTES DANS LE CADRE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 11
1. La situation des réseaux de chaleur en France : un développement certain, mais selon des modalités variées 11
a. Le développement des réseaux de chaleur depuis les années 1980 12
b. Des réseaux de chaleur présents selon des modalités variées 12
2. Les réseaux de chaleur : un système performant pour une ambition forte dans la loi de transition énergétique 13
a. Les réseaux de chaleur : un système répondant à des défis écologiques, économiques et sociaux 13
b. La loi de transition énergétique : amplification des lois « Grenelle » pour confier un rôle premier aux réseaux de chaleur 14
B. FACE AUX DIFFICULTÉS, REVALORISER LES RÉSEAUX DE CHALEUR POUR EN FAIRE UN VÉRITABLE LEVIER DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE 15
1. Un développement regrettablement entravé par certaines difficultés persistantes ou conjoncturelles 15
a. Des difficultés persistantes auxquelles s’ajoutent des difficultés conjoncturelles 15
b. En conséquence, un développement des réseaux de chaleur inférieur à la moyenne européenne 16
2. L’indispensable revalorisation des réseaux de chaleur par leur extension et leur verdissement, en impliquant les collectivités territoriales et en ajustant les dispositifs de soutien 17
a. Un nécessaire réajustement du soutien public 17
b. Vers l’extension et le verdissement des réseaux existant 18
c. Accroître l’implication des collectivités territoriales et leur rôle de planification : vers l’appropriation des réseaux par les collectivités territoriales et une approche intégrée des territoires 20
III. L’INDISPENSABLE RELANCE DU SOLAIRE THERMIQUE 23
A. LE SOLAIRE THERMIQUE EST UNE ÉNERGIE D’AVENIR QUI PEUT CONTRIBUER À L’ATTEINTE DES OBJECTIFS DE LA LOI SUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE POUR LA CROISSANCE VERTE 23
1. Le solaire thermique : une énergie répondant à des défis écologiques 23
2. Le solaire thermique : une énergie répondant à des besoins sociaux et économiques 24
a. Une énergie permettant de satisfaire un désir d’autoconsommation et de stabilité de la facture énergétique 24
b. Une filière créatrice d’emplois dans laquelle la France peut être leader technologique mondial 25
3. Le solaire thermique : une filière aux perspectives de développement nombreuses, notamment grâce aux réseaux de chaleur 25
B. CEPENDANT, LE MARCHÉ DU SOLAIRE THERMIQUE S’EST EFFONDRÉ EN FRANCE CES DERNIÈRES ANNÉES 26
1. La situation du solaire thermique en France et en Europe aujourd’hui 26
2. L’effondrement du marché du solaire thermique français au milieu des années 2000 27
a. Les raisons de l’effondrement du solaire thermique individuel 28
b. Les raisons de l’effondrement du solaire thermique collectif 28
C. SEULE UNE VOLONTÉ POLITIQUE FORTE EST À MÊME DE RENFORCER LA PLACE DU SOLAIRE THERMIQUE 29
1. Des outils de politique publique existent déjà mais ne permettent pas d’atteindre les objectifs du plan national d’action relatifs au solaire thermique 29
2. Une plus grande communication sur les intérêts du solaire thermique est souhaitable 30
3. Une révision de la RT 2012 paraît nécessaire 31
4. La non-suppression du CITE pour la partie solaire thermique des panneaux hybrides pourrait revaloriser le solaire thermique 32
Depuis plusieurs années, les préoccupations environnementales ont pris une ampleur croissante dans la conception et la mise en œuvre de la politique énergétique française. Si les Grenelle de l’environnement avaient posé de premiers jalons de cette prise de conscience, la loi n° 2015-992 de transition énergétique pour une croissance verte du 17 août 2015 a considérablement accéléré cette dynamique et donné à la France de grandes ambitions, en fixant notamment des objectifs chiffrés relatifs à la part d’énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie. Il s’agit aujourd’hui de se donner les moyens d’atteindre ces objectifs.
En effet, réussir la transition énergétique implique de développer et de promouvoir des solutions innovantes, respectueuses de l’environnement et porteuses d’efficacité énergétique. Il importe pour cela que le soutien public soit bien orienté, bien ajusté, et suffisamment incitatif pour permettre à chacun de s’impliquer dans l’évolution que notre pays souhaite porter.
En premier lieu, la contribution au service public de l’électricité mérite une attention particulière. Cette contribution vise à compenser les charges résultant des obligations de service public supportées par les fournisseurs d’électricité, notamment en ce qui concerne le soutien aux énergies renouvelables, les surcoûts de production en zones non interconnectées ou encore la prise en charge des tarifs sociaux de l’électricité. Elle fait pourtant l’objet de plusieurs critiques, relatives à son assiette ou au caractère automatique de son évolution. À l’heure où une réforme de la CSPE est envisagée, ce rapport permettra de faire le bilan des propositions entendues au cours des auditions, et d’envisager plusieurs perspectives d’évolution devant mettre cette contribution au service de la transition énergétique et renforcer le contrôle du Parlement sur cette politique publique essentielle.
En second lieu, un examen plus approfondi de la situation des réseaux de chaleur permettra d’établir le rôle que peuvent jouer ces systèmes de chauffage à l’échelle urbaine dans la mise en œuvre de la transition énergétique. En effet, ces réseaux constituent une solution unanimement reconnue comme performante, mais pourtant insuffisamment exploitée à ce jour, malgré les dispositions prises à leur égard par la loi de transition énergétique. Pour cette raison, les dispositifs de soutien public doivent être ajustés de manière à garantir une plus grande incitation à l’extension et au verdissement de ces réseaux, véritables catalyseurs de l’utilisation d’énergies renouvelables et de récupération, et seuls en mesure de faire pénétrer ces énergies propres dans les villes.
Enfin, alors que l’énergie solaire thermique est une solution d’avenir, elle n’en demeure pas moins confrontée à certaines difficultés et peine à se développer. Votre rapporteure a donc souhaité mener une analyse poussée des raisons du retard de la France en ce domaine, mais aussi des perspectives d’évolution qui peuvent être envisagées pour, une nouvelle fois, activer tous les leviers de la transition énergétique.
La réforme de la contribution au service public de l’électricité figurera très certainement dans le projet de loi de finances rectificative dont notre assemblée sera saisie dans les prochaines semaines.
Cette réforme est attendue depuis longtemps et doit répondre à plusieurs objectifs. Le premier est de sécuriser un dispositif aujourd’hui juridiquement fragile et qui a fait l’objet de très nombreux contentieux. Certes l’avis Praxair du Conseil d’État du 22 juillet dernier devrait permettre d’éviter des remboursements massifs de CSPE qui auraient fortement fragilisé le dispositif mais la compatibilité du régime actuel d’exonérations avec la législation européenne reste discutée.
Par ailleurs, s’agissant des dépenses, le montant des charges liées au service public de l’électricité continue d’augmenter : selon la récente délibération de la Commission de régulation de l’électricité (CRE) (1), le montant des charges prévisionnelles devrait s’établir à 7 milliards d’euros en 2016, soit un niveau supérieur de 17 % aux charges constatées en 2014. Cette augmentation des charges entre 2014 et 2016 s’explique essentiellement par le développement des filières photovoltaïque et éolien qui représentent respectivement 39 % et 17 % des charges prévisionnelles au titre de 2016 (soit respectivement 2,7 milliards d’euros et 1,2 milliard d’euros). Le soutien aux énergies renouvelables électriques devrait ainsi représenter 67,1 % des charges au titre de 2016, le soutien à la cogénération 8,8%, la péréquation tarifaire 19,5 %, et les dispositifs sociaux 4,6 %.
L’intégration de ces dépenses au budget permettra une plus grande transparence et un plus grand contrôle du Parlement. Cette plus grande association du Parlement au dispositif est importante car, même si des progrès ont été faits dans la loi de transition énergétique avec la création d’un comité de gestion de la CSPE, la nature fiscale originale de la CSPE empêche cette politique publique essentielle d’être aujourd’hui pleinement appréhendée par le Parlement.
Enfin, la réforme doit, pour votre rapporteure, être l’occasion d’une mise en place d’un véritable service public de l’énergie qui passe nécessairement par un élargissement de l’assiette aux énergies fossiles.
Aujourd’hui, aucune des dépenses relatives au service public de l’énergie ne transite par le budget de l’État et cette politique publique n’est donc pas soumise au contrôle annuel du Parlement, en contradiction flagrante avec l’esprit de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).
La réforme envisagée par le Gouvernement devrait mettre fin à cette anomalie juridique et politique puisque l’ensemble des dépenses du service public de l’électricité seraient désormais intégrées au budget général.
Cette intégration au budget général se ferait, selon les informations recueillies par votre rapporteure, par un double-vecteur : la création d’un programme « service public de l’énergie » au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et la création d’un compte d’affectation spéciale « transition énergétique ».
Le nouveau programme « service public de l’énergie » aurait vocation de porter l’ensemble des dépenses non liées aux énergies renouvelables (mais ce point ne semblait pas définitivement arbitré à la mi-octobre) ainsi que certaines dépenses liées aux énergies renouvelables engagées avant le 1er janvier 2016. Les actions de ce programme pourraient être les suivantes :
– Solidarité avec les zones non interconnectées au réseau métropolitain ;
– Protection des consommateurs en situation de précarité énergétique ;
– Soutien à la co-génération ;
– Soutien aux énergies renouvelables ;
– Médiateur de l’énergie ;
– Support (frais financiers de la dette, frais de gestion de la CDC…).
Le compte d’affectation spéciale « transition énergétique » constituerait donc une mission à part (dont l’examen parlementaire serait néanmoins certainement commun avec la mission Écologie), elle-même constituée de deux programmes, « soutien à la transition énergétique » et « désendettement de l’État et d’organismes divers d’administration centrale » qui porterait la dette de l’État envers EDF au titre des charges de service public de l’électricité non couvertes ces dernières années.
Selon les informations recueillies par votre rapporteure, le programme « soutien à la transition énergétique » pourrait comporter les actions suivantes :
– Soutien aux énergies renouvelables électriques ;
– Soutien à l’effacement de consommation électrique ;
– Soutien aux installations de production nécessaires pour assurer l’équilibre offre-demande dans les zones en tension ;
– Désendettement vis-à-vis des opérateurs supportant des charges de service public de l’électricité ;
– Soutien à l’injection de biométhane.
S’il était confirmé lors du projet de loi de finances rectificative, le dispositif ainsi présenté constituerait un indéniable progrès pour le Parlement qui serait amené, année après année, à se prononcer sur les dépenses du service public de l’énergie, dépenses qui seraient assorties d’objectifs et d’indicateurs de performance. Cette politique publique gagnerait alors assurément en lisibilité et en transparence.
Ce gain en lisibilité du côté des dépenses serait en outre, selon les informations recueillies par votre rapporteure, accompagné, côté recettes, par une « normalisation fiscale » de la CSPE qui sortirait de l’étrange catégorie des « impositions innomées »
La réforme envisagée par le Gouvernement pourrait conduire à une suppression pure et simple de la CSPE qui disparaîtrait comme imposition spécifique. Cette disparition serait compensée par une hausse de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), la question étant de savoir si une ligne CSPE serait ou non maintenue afin que ce prélèvement soit bien identifié par les consommateurs.
Cet adossement aurait de nombreux avantages. Il permettrait d’abord au Parlement de débattre et de voter le financement du service public de l’électricité. Le rôle d’évaluation des charges et de recommandation d’évolution des taux de la CRE serait préservé mais cela se ferait plus tôt dans l’année afin que cela soit compatible avec le calendrier d’élaboration du projet de loi de finances.
Du point de vue du prélèvement, cet adossement permettrait également de le transférer à l’État ce qui allégerait d’autant la CRE et permettrait d’éviter que ne se répète la situation qu’a connue cette institution ces dernières années où elle était submergée par les contentieux liés à la CSPE.
Enfin, cet adossement permettra de sécuriser juridiquement et de simplifier le régime des exonérations dont bénéficient certaines industries. Il conviendra néanmoins de veiller à ce que la réforme permette de préserver les conditions d’une réelle compétitivité internationale des industries hyper électro-intensives.
Cette clarification fiscale de la CSPE devrait par ailleurs, pour votre rapporteure, s’accompagner d’un élargissement de son assiette.
Même si cette idée est contestée par certains acteurs du système, votre rapporteure est convaincue que cette transformation juridique de la CSPE doit s’accompagner, d’un élargissement de l’assiette à l’ensemble des énergies de chauffage, en particulier fossiles.
Il n’est aujourd’hui plus possible de réfléchir de manière cloisonnée, énergie par énergie : certes ce sont les énergies renouvelables électriques qui ont aujourd’hui le potentiel le plus important mais la transition énergétique est multi-énergies et le système énergétique forme un tout qu’il est difficile de compartimenter en segments hermétiques.
Il est logique que le service public de l’énergie, dans ses multiples composantes (tarifs sociaux, solidarité avec les zones non interconnectées, soutien aux énergies renouvelables) profite à l’ensemble des énergies et soit également financé par l’ensemble des énergies.
Un tel élargissement serait d’autant plus opportun que les circonstances sont particulièrement favorables avec un prix des énergies fossiles extrêmement bas.
Cet élargissement de l’assiette est par ailleurs légitime afin de rééquilibrer la fiscalité applicable aux différentes sources d’énergie, et remédier à cette contradiction qui fait que l’énergie la moins productrice de CO2 soit aujourd’hui la plus taxée dans notre pays.
Enfin l’électricité est une énergie consommée par tous les Français. L’élargissement de l’assiette aux énergies fossiles permettra une réduction de la facture d’électricité qui sera ainsi profitable à tous nos concitoyens.
II. LES RÉSEAUX DE CHALEUR, UN INSTRUMENT INDISPENSABLE, À VALORISER AU SERVICE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Les réseaux de chaleur, auxquels votre rapporteure porte une attention particulière, sont des éléments essentiels de la politique énergétique et des contributeurs indispensables à la transition énergétique aujourd’hui entamée. Véritables systèmes de chauffage à l’échelle urbaine, et non à l’échelle des bâtiments, ils consistent en la production de chaleur au sein d’une chaufferie centrale, puis en sa distribution via un réseau de canalisations à l’ensemble des habitations raccordées.
Ces réseaux, existant sous différentes formes en France, présentent de multiples avantages, et bénéficient pour cette raison d’un soutien public important, notamment au travers du Fonds chaleur, doté jusqu’en 2015 de 220 M€ par an, mais dont le doublement est prévu à horizon 2017. Ils font, en outre, l’objet d’ambitions fortes dans le cadre de la loi n° 2015-992 pour la transition énergétique et une croissance verte du 17 août 2015, qui prévoit, à juste titre, d’en faire l’un des instruments de la transition énergétique. Pourtant, les réseaux de chaleur sont aujourd’hui confrontés à des difficultés. En particulier, la diminution du coût des énergies fossiles les rend moins attractifs et n’incite pas à accomplir l’investissement initial nécessaire. En outre, certains dispositifs de soutien public sont peu compris ou mal utilisés. Plusieurs perspectives sont toutefois envisageables pour revaloriser la filière des réseaux de chaleur, et leur faire une plus grande place dans la mise en œuvre de la transition énergétique, en agissant en premier lieu sur les réseaux existants, en impliquant l’ensemble des acteurs de la filière, et en actionnant les leviers publics.
A. LES RÉSEAUX DE CHALEUR : UNE GRANDE VARIÉTÉ DE SYSTÈMES ET DES AMBITIONS FORTES DANS LE CADRE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
1. La situation des réseaux de chaleur en France : un développement certain, mais selon des modalités variées
Les réseaux de chaleur étaient peu présents en France avant les années 1980, mais ont pris progressivement de plus en plus d’ampleur, pour jouer aujourd’hui, quoique sous des formes variées, un rôle essentiel en matière environnementale et énergétique.
Si les réseaux de chaleur sont anciens – il en existait sous la Rome antique, acheminant l’eau chaude des thermes aux différentes habitations – ils se sont progressivement développés en France, d’abord timidement, à partir des années 1950 : en période de forte urbanisation, la construction de nouvelles zones d’habitation s’est souvent accompagnée de la construction d’une chaufferie et d’un réseau de chauffage urbain. Dans les années 1980, à la suite des chocs pétroliers, les réseaux de chaleur sont devenus un instrument d’indépendance énergétique, car le bouquet d’énergies qu’ils utilisaient permettait d’exploiter des énergies de récupération produites localement. À partir de la fin des années 2000, les réseaux de chaleur ont progressivement été perçus comme un outil de mobilisation des énergies renouvelables permettant de limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Il existe aujourd’hui 518 réseaux de chaleur, dont une cinquantaine de moins de 3,5 MW et 450 de plus de 3,5 MW, dans 350 communes de France. Ces réseaux desservent 2,1 millions d’équivalents logements, essentiellement en zone urbaine dense, soit plus de 6 millions d’habitants, grâce à 3 800 km de canalisations. Le résidentiel consomme 57 % de cette chaleur, tandis que le secteur tertiaire (dont les services publics, en particulier hospitaliers, militaires et scolaires) en consomme 36 % et l’industrie 5 %. Plus de la moitié des logements raccordés sont des logements sociaux.
Les réseaux de chaleur sont aujourd’hui de nature et de taille très variées. Les plus petits concernent 100 à 200 habitants, lorsque les plus grands concernent plus de 15 000 équivalents-logements.
La grande majorité des réseaux de chaleur utilise une combinaison de plusieurs énergies. Toutefois, les bouquets retenus sont très variables. 32 % des réseaux de chaleur ne fonctionnent qu’avec des énergies fossiles (par exemple un bouquet « charbon – fioul »). De façon plus encourageante, 58 % des réseaux utilisent au moins une source d’énergie renouvelable (bois énergie, géothermie, solaire thermique…) ou de récupération, dite aussi « chaleur fatale » (chaleur industrielle, déchets, eaux usées…), au côté d’une énergie fossile. Mieux encore, 45 % des réseaux sont alimentés à plus de 50 % par ces énergies propres.
Au total, si les énergies fossiles – en particulier le gaz – restent dominantes dans l’approvisionnement des réseaux dont elles assurent les deux tiers, l’utilisation des énergies renouvelables et de récupération est en progression rapide et atteint près de 40 % en 2013.
La répartition géographique est enfin elle aussi hétérogène : 120 des 432 réseaux recensés se situent en région parisienne. 50 réseaux sont en région Rhône-Alpes, contre moins de 20 pour chacune des autres régions. Les réseaux sont davantage présents dans le nord et l’est que dans le sud et l’ouest de la France.
2. Les réseaux de chaleur : un système performant pour une ambition forte dans la loi de transition énergétique
Pour votre rapporteure comme pour beaucoup de spécialistes, les réseaux de chaleur présentent de multiples atouts, sur les plans économiques et sociaux notamment. Plus fondamentalement, leur performance énergétique et environnementale, excellente, justifie les ambitions portées par la loi n° 2015-992 de transition énergétique pour une croissance verte du 17 août 2015 et le rôle premier confié aux réseaux de chaleur pour les années à venir.
Les atouts des réseaux de chaleur sont nombreux, tant pour les particuliers que pour les territoires. Ils assurent ainsi pour les particuliers :
– la stabilité des prix : l’arbitrage entre les énergies en fonction de la conjoncture, l’utilisation d’énergies renouvelables pour limiter la volatilité des prix des énergies fossiles, ainsi que les économies d’échelle pour les installations et leur maintenance garantissent une plus grande stabilité des prix ;
– la sécurité des approvisionnements : l’utilisation prioritaire des énergies locales et la flexibilité énergétique permise par la combinaison de plusieurs énergies minimisent les risques de ruptures d’approvisionnement ;
– l’autonomie du consommateur : le particulier conserve la possibilité de régler le niveau de son chauffage individuel ;
– la sûreté et le confort : l’absence de stockage de combustible dans chacun des immeubles garantit à leurs habitants une sécurité complète ainsi qu’une absence de poussières, d’odeurs ou de fumées.
Ils assurent, en outre, pour les territoires :
– la performance environnementale : les réseaux de chaleur permettent de mobiliser massivement d’importants gisements d’énergies renouvelables et de récupération, autrement difficiles à valoriser (bois, géothermie, solaire…) et de faire pénétrer ces énergies dans les villes. L’émission moyenne de CO2 par les réseaux de chaleur est ainsi de 0,190 kg/kWh, contre 0,234 kg/kWh pour le gaz et 0,384 kg/kWh pour le charbon. Les réseaux de chaleur évitent alors la production et le rejet de 2,3 millions de tonnes de CO2 par an ;
– l’efficacité énergétique : la mutualisation de la production de chaleur, les économies d’échelle, le recours aux énergies de récupération, la flexibilité énergétique sont autant de facteurs de hausse de la performance énergétique ;
– la compatibilité avec les contraintes des villes : les réseaux de chaleur permettent une centralisation de la production de chaleur et, par conséquent, des nuisances liées à cette production, qui sont ainsi traitées plus efficacement que si elles étaient diffuses. Ils assurent le respect des contraintes liées à l’espace et à la densité urbaine, ainsi que la protection du patrimoine architectural ;
– un soutien à l’emploi local : la création, l’extension et la maintenance des réseaux de chaleur sont sources d’emplois locaux non délocalisables : une récente analyse de l’ADEME estime à 5 400 les emplois assurés à l’échelle nationale par la chaîne des réseaux de chaleur, de la production à la distribution ;
– la compétitivité du secteur industriel : la valorisation de la chaleur fatale et la réduction des consommations énergétiques contribuent à la compétitivité de l’industrie. Un accompagnement par le fonds chaleur géré par l’ADEME (voir infra) existe pour la valorisation de la chaleur fatale industrielle.
b. La loi de transition énergétique : amplification des lois « Grenelle » pour confier un rôle premier aux réseaux de chaleur
Dans le cadre du « paquet énergie-climat » et des objectifs Europe 2030 fixés par l’Union européenne, ainsi que des ambitions que la France s’est données, la part des énergies renouvelables dans notre consommation finale brute d’énergie devra atteindre 23 % en 2020 et 32 % en 2030. Dans ce contexte, les réseaux de chaleur constituent un instrument indispensable pour mobiliser massivement des énergies comme la biomasse, la géothermie ou la chaleur fatale industrielle, et atteindre effectivement ces objectifs.
Les Grenelle I et II ont posé les premiers jalons de cette évolution. Ainsi, la loi n° 2009-367 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement imposait la réalisation d’une étude d’impact sur la faisabilité d’un réseau de chaleur alimenté par des énergies renouvelables pour les aménagements les plus importants et fixait à 1,2 million de tonnes d’équivalent pétrole (Tep) l’objectif de chaleur produite chaque année à partir de biomasse et distribuée par un réseau de chaleur à horizon 2020. La loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement imposait un objectif chiffré de contribution des réseaux de chaleur à l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie et ambitionnait de tripler le nombre d’équivalents logements raccordés.
La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte vient confirmer et consolider ces avancées et confère aux réseaux de chaleur un rôle primordial dans la transition énergétique. Elle fixe un objectif de quintuplement de la part des énergies renouvelables dans les bouquets utilisés par les réseaux de chaleur à horizon 2030. La quantité de chaleur renouvelable étant de 0,68MTep en 2012, l’objectif de multiplication par cinq conduit à une production de 3,4MTep de chaleur renouvelable et de récupération livrée par les réseaux de chaleur à horizon 2030. Si la trajectoire adoptée est linéaire, les objectifs intermédiaires seraient alors de 1,6MTep en 2018 et 2,5MTep en 2023. Pour atteindre ces valeurs, il convient de multiplier par trois le rythme de développement de l’utilisation des énergies renouvelables et de récupération, de manière à passer d’une hausse de 50kTep par an (observée entre 2010 et 2013) à une hausse de 150kTep par an.
B. FACE AUX DIFFICULTÉS, REVALORISER LES RÉSEAUX DE CHALEUR POUR EN FAIRE UN VÉRITABLE LEVIER DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
1. Un développement regrettablement entravé par certaines difficultés persistantes ou conjoncturelles
Paradoxalement, malgré le contexte législatif favorable, plusieurs difficultés sont relevées, dont votre rapporteure regrette qu’elles entravent le développement et l’utilisation optimale des réseaux de chaleur, pourtant solution d’avenir.
L’éligibilité au crédit d’impôt pour la transition énergétique est source de difficultés. En effet, le CITE constitue en théorie une incitation au raccordement à un réseau alimenté à plus de 50 % par des énergies renouvelables grâce à la prise en charge publique d’une partie du coût des équipements de raccordement, pour un montant annuel global de 0,4 M€. Toutefois, le CITE peine à atteindre ses objectifs en raison de son caractère excessivement restrictif : aux termes de l’article 200 quater d) du code général des impôts, dans sa version en vigueur comme dans la version projetée par le PLF 2016, le CITE ne s’applique qu’aux dépenses d’acquisition du matériel de raccordement. Or, dans la plupart des cas, les particuliers qui souhaitent se raccorder ne deviennent pas propriétaires des équipements mais acquittent simplement un « droit de raccordement ». À ce titre, et malgré leur action en faveur d’une plus grande efficacité énergétique, ils ne peuvent pas bénéficier du crédit d’impôt, dont la portée est grandement atténuée.
Le soutien financier risque de devenir insuffisant. Le fonds chaleur, créé en 2009 et géré par l’ADEME permet certes de soutenir la production et la distribution de chaleur renouvelable, notamment lorsque celles-ci sont assurées par des réseaux de chaleur. Entre 2009 et 2014, 603 réseaux ont ainsi été soutenus, et 1 500 km de raccordement réalisés pour un montant total de 240 M€, soit 38 % du fonds et un coût pour la puissance publique performant de 41 €/Tep. Pourtant, ce soutien financier pourrait devenir prochainement insuffisant. En effet, alors même que le fonds chaleur a été sous-consommé en 2014, en raison de l’abandon de certains projets à la suite des élections municipales ou face aux faibles coûts des énergies fossiles, ce fonds pourrait être rapidement dépassé : les ressources les plus faciles d’accès ayant déjà été exploitées, il faut désormais un soutien financier plus élevé pour permettre la mobilisation et l’approvisionnement en ressources telles que la biomasse ou la géothermie, pour lesquelles l’investissement initial et la maintenance des installations sont coûteux. En outre, alors que le doublement du fonds chaleur a été acté en 2015, pour passer de 220 M€ en 2014 à 440 M€ en 2017, cette augmentation n’a pas été entamée au cours de l’année 2015 (le montant est resté stable, à 220 M€). Il ne reste ainsi plus que deux années (2016 et 2017) pour procéder effectivement au doublement annoncé.
À ces difficultés structurelles s’ajoute une difficulté conjoncturelle : le contexte du contre-choc pétrolier rend les énergies fossiles – en particulier le gaz – peu chères, et par conséquent les réseaux moins attractifs pour les clients publics (sous contraintes budgétaires et cherchant le prix le moins élevé) et les clients privés (sensibles à une facture de gaz moins chère). Les travaux de raccordement ou de rénovation énergétique sont retardés, voire annulés, or le désistement d’un petit nombre de clients, et leur basculement vers des énergies fossiles, suffit à déséquilibrer un projet de réseau et à mettre à bas un business model établi en amont. En outre, l’instabilité actuelle des cours des énergies altère la confiance et la visibilité des potentiels investisseurs et les rend plus hésitants.
Au total, en raison notamment de ces difficultés, les réseaux de chaleur représentent une solution performante mais regrettablement sous-exploitée. Ainsi, les réseaux ne produisent en France que 6 % de l’énergie consommée pour le chauffage lorsque la moyenne européenne de la contribution des réseaux de chaleur à la consommation d’énergie se situe autour de 15 %, et lorsque certains États, comme le Danemark, la Norvège, la Pologne ou la Suède utilisent les réseaux de chaleur à plus de 50 % pour l’alimentation des habitations en chauffage et en eau chaude. De même, seuls 6 millions d’habitants, soit moins 10 % de la population française, sont chauffés par réseau, contre plus de 60 % dans ces mêmes pays nordiques.
Les réussites suédoises en matière de réseau de chaleur :
Les réseaux de chaleur sont fortement développés en Suède. Ils constituent le principal mode de chauffage dans 240 des 290 communes suédoises, et sont présents dans l’intégralité des communes de plus de 10 000 habitants. Ces réseaux sont détenus à 100 % par des organismes publics. Ils alimentent plus de 62 % des Suédois en chaleur et eau chaude sanitaire. Par ailleurs, ces réseaux sont particulièrement « verts » : leur bouquet énergétique est composé à environ 75 % d’énergies renouvelables, contre 38 % en France.
Ainsi, le réseau de la région de Göteborg est une réussite : interconnecté, il relie le nord et le sud de la région, sur 20 km, avec au total 1 200 km de canalisations et 19 sites de production. Il dessert 90 % des logements collectifs de la zone, soit 19 000 clients. Enfin, son mix énergétique est à plus de 80 % renouvelable, grâce notamment à l’utilisation comme énergie de base (à 50 %) de la chaleur issue de l’incinération des déchets et des raffineries.
2. L’indispensable revalorisation des réseaux de chaleur par leur extension et leur verdissement, en impliquant les collectivités territoriales et en ajustant les dispositifs de soutien
Les objectifs fixés par la loi de transition énergétique peuvent être atteints par la combinaison d’une extension des réseaux existants et d’une augmentation de l’utilisation par chacun des énergies renouvelables et de récupération. Cette utilisation étant déjà passée de 27 % à près de 40 % entre 2007 et 2013, un objectif cible de 50 % d’utilisation des énergies renouvelables et de récupération d’ici 2018 et de 60 % à horizon 2023 paraît réaliste et suffisamment ambitieux, à la condition que le soutien public soit ajusté de manière à être plus efficace.
Le doublement du fonds chaleur est indispensable. L’objectif fixé par la loi n° 2015-992 de transition énergétique et une croissance verte de multiplication par cinq de la part des énergies renouvelables est accessible si le fonds chaleur est effectivement doublé d’ici 2017, et si la pérennité du doublement de ce fonds chaleur est assurée au-delà de 2017. Plusieurs outils financiers sont envisageables :
– subventions des conseils départementaux ;
– subventions du fonds européen de développement régional ;
– financements de plus long terme par la Caisse des dépôts et consignations ;
– abondement du fonds chaleur en fonction des remontées de projets par le fonds de financement de la transition énergétique.
L’élargissement de l’éligibilité au CITE est nécessaire et possible. Pour renforcer l’incitation au raccordement à un réseau de chaleur utilisant plus de 50 % d’énergies renouvelables ou de récupération, il importe d’élargir le CITE aux dépenses liées aux droits ou aux frais de raccordement à ces réseaux, et non pas simplement à l’acquisition des équipements de raccordement.
Un amendement au PLF 2016 allant en ce sens est déposé par votre rapporteure.
Les premiers efforts doivent être concentrés sur l’extension des réseaux existants, par le raccordement de bâtiments anciens, davantage que sur les constructions neuves. En effet les constructions neuves consomment d’une part moins d’énergie que les anciennes, ce qui limite l’impact potentiel des réseaux de chaleur, et représentent d’autre part un horizon temporel trop lointain pour permettre d’atteindre en temps voulu – soit en quinze ans – les objectifs fixés. L’accent mis sur les réseaux existants implique alors une densification et une interconnexion des réseaux ainsi qu’une facilitation du raccordement.
« Verdir » les réseaux par l’utilisation de nouvelles énergies est essentiel. Un grand nombre de solutions sont envisageables, d’autant plus que le système des réseaux de chaleur se prête à l’innovation : instaurer un système innovant pour une chaufferie centrale de réseau de chaleur est plus efficace que d’innover pour autant de chaufferies individuelles. Parmi les énergies à privilégier figurent notamment :
– Le solaire thermique : l’utilisation de l’énergie solaire thermique au sein d’un réseau de chaleur, par l’installation à proximité du quartier à chauffer d’une centrale solaire rassemblant une grande surface de panneaux solaires thermiques ou par l’installation diffuse dans la ville de panneaux solaires dont l’énergie produite est collectée puis redistribuée par le réseau, présente de nombreux avantages : un meilleur rendement, un coût plus faible grâce aux économies d’échelle, la possibilité de chauffer par l’énergie solaire des bâtiments mal orientés, un meilleur suivi et un meilleur entretien des installations et une bonne rentabilité économique une fois l’investissement initial amorti. Toutefois, la production d’énergie solaire étant par nature intermittente, des dispositifs de stockage interjournaliers ou intersaisonniers doivent permettre de lisser la couverture des besoins.
– Les énergies de récupération (utilisées par 57 réseaux) : les réseaux de chaleur sont un excellent moyen de valoriser cette chaleur de récupération, difficilement mobilisable autrement. Ainsi, l’incinération des déchets peut permettre d’alimenter 1/5 de la chaleur d’un réseau, tandis que la chaleur fatale industrielle peut couvrir 60 % des besoins en chauffage de 15 000 logements (à Dunkerque par exemple). En outre, la chaleur de récupération est une énergie n’émettant pas de CO2 car réutilisant une ressource déjà produite. Aujourd’hui, toutes les unités de valorisation énergétique ne sont pas raccordées à un réseau de chaleur et des marges d’action existent.
– La géothermie (utilisée par 30 réseaux) : la géothermie profonde permet de faire appel à une chaleur puisée en profondeur (1 000 à 2000 mètres). Cette ressource fournit de grandes quantités de chaleur, mais n’est disponible que dans quelques régions et suppose des investissements financiers initiaux importants, rentables pour un raccordement de plus de 5 000 logements. La géothermie superficielle (quelques dizaines de mètres de profondeur) peut cependant suffire à alimenter de petits réseaux de chaleur, pour un coût compatible avec une consommation individuelle quotidienne. La chaleur est alors collectée par différents systèmes associés à des pompes à chaleur. Cette source comporte l’avantage de n’entraîner aucune nuisance, y compris visuelle, et d’assurer une production continue, sans émissions de CO2. Dans les deux cas, l’essentiel du coût de la chaleur livrée étant lié à l’investissement de départ, et non à l’achat de combustibles, le prix de la chaleur est stabilisé dans la durée pour les usagers.
– La filière bois (utilisée par un tiers des réseaux) : le bois est une ressource particulièrement adaptée aux réseaux de chaleur, abondante, disponible sur l’ensemble du territoire et renouvelable lorsqu’elle est gérée durablement. Son utilisation au sein des réseaux de chaleur ne se fait pas au détriment du bois-construction ou du bois-ameublement, et n’est pas incompatible avec la protection de l’environnement, dès lors qu’il existe aujourd’hui un gisement de bois-énergie disponible et pourtant non exploité en France, et que les coupes sont compensées par des semis. En outre, elle assure le confort des usagers en préservant la qualité de l’air, dans la mesure où les chaufferies collectives sont équipées de systèmes de traitement des fumées. Disposer d’une chaufferie de grande taille permet enfin de sécuriser les approvisionnements en bois de chauffage et d’en diminuer le coût. Toutefois, pour être durable, cette option requiert de structurer davantage la filière, composée aujourd’hui d’un trop grand nombre de parcelles individuelles peu ou non entretenues, et par conséquent mal valorisées.
Le mix solaire-bois : l’expérience de Vidailhan-Balma (Haute-Garonne)
Le quartier de Vidailhan-Balma (1 200 logements), au sein de la ZAC de Toulouse, expérimente un réseau fonctionnant à plus de 85 % sur un bouquet solaire thermique– bois. La première tranche des travaux a été achevée en 2012.
La chaudière bois, qui produit 750 kWh d’énergie, est alimentée en bois-énergie provenant exclusivement de forêts durablement gérées dans un rayon de 100 kilomètres autour de la chaufferie. Cette filière d’approvisionnement participe au dynamisme économique régional à travers la pérennisation et la création d’emplois. Le bois permet, à lui seul, de couvrir 60 % des besoins en chauffage et eau chaude sanitaire des logements concernés.
800 m² de panneaux solaires, installés dans l’enceinte du quartier, assurent la production de 330 kWh. Les capteurs utilisés sont des « concentrateurs », qui amplifient le rayonnement solaire et permettrent de produire une eau surchauffée à 130°. Ils sont plus efficaces que des capteurs classiques et nécessitent moins d’entretien. Le solaire thermique permet de couvrir 50 % des besoins en chauffage et eau chaude sanitaire des logements et de compenser 100 % des pertes réseaux.
Le gaz reste toutefois présent en appoint. En été notamment, la chaudière bois est éteinte et le solaire et l’appoint gaz sont seuls mobilisés pour couvrir les besoins en eau chaude sanitaire.
c. Accroître l’implication des collectivités territoriales et leur rôle de planification : vers l’appropriation des réseaux par les collectivités territoriales et une approche intégrée des territoires
Les collectivités territoriales doivent rester les acteurs majeurs de la politique énergétique, dont les réseaux de chaleur sont un outil essentiel à l’échelle du territoire. La loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 relative aux économies d’énergie et à l’utilisation de la chaleur donnait déjà compétence aux collectivités territoriales en matière d’établissement des réseaux de distribution d’énergie calorifique, et créait la procédure de classement par laquelle elles pouvaient ordonner le raccordement à un réseau de chaleur à toute habitation située dans un périmètre déterminé. La loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles dite « loi MAPTAM » réaffirme le rôle des collectivités territoriales en matière de planification énergétique du territoire, au-delà de leur simple rôle de propriétaire des réseaux de distribution concédés. Elle prévoit de transférer la compétence des réseaux de chaleur aux métropoles et aux communautés urbaines.
Les collectivités doivent ainsi conserver la mise en œuvre des réseaux et en faire un instrument de développement économique et de péréquation. Elles doivent, en particulier, adopter une vision prospective au travers de l’élaboration de schémas directeurs de raccordement aux réseaux ou de documents d’orientation indiquant l’objectif d’incorporation d’énergies renouvelables et de récupération. À cet égard, le plan local d’urbanisme doit être l’instrument permettant de connaître la consommation énergétique par zone et le taux d’incorporation d’énergies renouvelables et de récupération, de manière à préparer et à accompagner l’extension des réseaux de chaleur, à convaincre de leur utilité et à assurer la progressivité des raccordements.
Elles doivent, par ailleurs, faire usage de la procédure de classement telle que réformée par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « Grenelle II », qui en facilite la mise en œuvre par les collectivités territoriales : l’enquête publique est supprimée, la collectivité devant simplement recueillir l’avis de la commission consultative des services publics locaux. En 2014, il n’existait que 5 réseaux classés selon la nouvelle procédure.
La mutualisation des compétences pour la coordination des différents réseaux permettrait enfin de poursuivre cette dynamique organisationnelle.
L’implication des collectivités : l’exemple du Danemark
Au Danemark, les réseaux de chaleur constituent le mode de chauffage dominant et assurent plus de 50 % de la production et de la distribution de chaleur, voire jusqu’à 98 % à Copenhague. 62 % des logements sont raccordés à un réseau, soit 10 fois plus qu’en France. En outre, à ce jour, la production d’énergie par les réseaux provient à 51 % d’énergies renouvelables (contre 38 % en France), et plusieurs villes ont développé des réseaux de chaleur « 100 % renouvelables ».
Cette avance du Danemark s’explique en grande partie par l’implication des collectivités territoriales, encouragée par le gouvernement central dès les années 1970, à la suite du choc pétrolier. Ainsi, en 1979, pour diminuer sa dépendance aux importations de pétrole, le Danemark transfère aux collectivités locales la responsabilité de la planification énergétique et leur donne pour mission de prioriser le chauffage le plus vertueux sur les plans socio-économique et environnemental : les collectivités peuvent ainsi déterminer, pour chaque zone de leur territoire, le mode de chauffage en vigueur, et notamment prôner un raccordement obligatoire à un réseau de chaleur, ce qu’elles font le plus souvent. Cette obligation potentielle est socialement bien acceptée en raison du caractère non lucratif des organismes gestionnaires des réseaux de chaleur, exploités par des coopérations d’usagers (pour 350 réseaux) ou par les collectivités territoriales elles-mêmes (pour 55 réseaux).
Le développement des réseaux de chaleur est donc un enjeu crucial pour la transition énergétique, d’autant plus lorsque ces réseaux utilisent des énergies renouvelables comme le solaire thermique, dont la présence sur les réseaux de chaleur a fortement augmenté ces dernières années. L’énergie solaire thermique, qui convertit le rayonnement solaire en chaleur par l’intermédiaire de capteurs solaires thermiques, possède bien d’autres avantages que la seule possibilité d’être utilisée dans des réseaux de chaleur. C’est une énergie d’avenir non polluante et inépuisable qui contribue à atteindre les objectifs fixés dans la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte. C’est également une énergie qui répond à des besoins sociaux puisqu’elle permet de satisfaire un désir d’autoconsommation et de stabilité de la facture énergétique. Sur le plan économique, la filière solaire thermique est créatrice d’emplois en France et l’innovation française et européenne jouent un rôle majeur.
Cependant, le solaire thermique ne représente qu’une faible part de la production d’énergie et le marché s’est effondré ces dernières années. Si certaines aides et réglementations visent à soutenir le solaire thermique, force est de constater qu’elles ne permettent pas de rattraper le retard par rapport aux objectifs 2020 fixés pour le solaire thermique dans le plan national d’action (PNA). Ainsi, seule une volonté politique forte pourra être à même de redynamiser la filière solaire thermique et de redonner une juste place à cette énergie innovante. Votre rapporteure propose donc quelques mesures concrètes visant à renforcer le rôle joué par le solaire thermique à court et moyen terme.
A. LE SOLAIRE THERMIQUE EST UNE ÉNERGIE D’AVENIR QUI PEUT CONTRIBUER À L’ATTEINTE DES OBJECTIFS DE LA LOI SUR LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE POUR LA CROISSANCE VERTE
L’énergie solaire thermique est une énergie d’avenir au sens où elle répond à des besoins de tout ordre (écologique, social et économique). Elle est également une énergie d’avenir dans la mesure où, comme le montrent les différents laboratoires et chercheurs, les perspectives de développement du solaire thermique sont nombreuses.
La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte vise à atteindre un objectif global de développement des filières renouvelables, ces dernières devant représenter 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et 32 % en 2030. À cet horizon, les énergies renouvelables devront représenter 38 % de la consommation finale de chaleur. Le solaire thermique peut contribuer à l’atteinte de cet objectif.
La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte fixe également l’objectif de multiplier par cinq la quantité de chaleur et de froid renouvelable et de récupération dans les réseaux d’ici 2030. Le solaire thermique peut également aider à parvenir à cet objectif, sa présence sur les réseaux de chaleur ayant fortement augmenté ses dernières années : plus de 100 installations disposant d’au moins 500 m² de capteurs solaires ont été mises en service depuis les années 1990 en Europe (2).
Des capteurs solaires associés à une autre énergie, la biomasse par exemple, peuvent en effet permettre de fournir à un réseau de l’eau à haute température en vue d’alimenter en chauffage un ensemble de bâtiments reliés au réseau. L’étude « Solaire thermique & réseaux de chaleur » menée par l’association Amorce, que votre rapporteure a auditionnée, souligne bien les avantages du solaire thermique dans les réseaux de chaleur. Une telle association peut permettre d’alimenter des bâtiments mal orientés avec de l’énergie solaire et de diminuer les coûts d’installation.
a. Une énergie permettant de satisfaire un désir d’autoconsommation et de stabilité de la facture énergétique
Certes, le solaire thermique, comme toute énergie, comporte des inconvénients. Ses performances sont conditionnées par la localisation géographique des locaux à chauffer et par les conditions météorologiques. De plus, un chauffage d’appoint est nécessaire en complément. Enfin, les coûts de stockage de l’énergie, notamment inter-saisonniers, sont pour l’instant relativement élevés.
Cependant, le solaire thermique paraît répondre à certains besoins des citoyens.
En termes de facture énergétique, les installations solaires thermiques possèdent un vrai intérêt sur le long terme puisque les particuliers ou industriels y ayant recours acquièrent davantage d’indépendance vis-à-vis du renchérissement et de la volatilité du coût des énergies fossiles. De plus, les frais de maintenance et de fonctionnement d’une installation thermique sont relativement faibles.
En termes de chaleur produite, le Syndicat des Énergies Renouvelables auditionné par votre rapporteure rappelle que la France dispose du cinquième gisement solaire européen. Dans le sud de la France, un chauffe-eau solaire individuel (CESI) avec 2 à 3,5 m² de capteurs (3 à 5,5 m² dans le nord) est ainsi à même de produire de l’eau chaude sanitaire pour une famille de trois ou quatre personnes, à hauteur de 50 à 80 % de leurs consommations. Le ratio moyen pour le taux d’économie d’énergie concernant les systèmes solaire combiné (SSC) s’échelonne entre 10 et 50 %, voire plus dans certains cas très favorables. Le solaire thermique peut donc être une réponse au désir d’autoconsommation de plus en plus grand en France et peut contribuer à la lutte contre la précarité énergétique.
Selon l’étude in Numeri 2010 pour l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), la filière thermique représente en France de l’ordre de 8 000 emplois dont 4 000 emplois directs. La France étant exportatrice nette d’équipements solaires thermiques, 600 emplois directs sont liés à l’exportation. D’après cette étude, 80 % du chiffre d’affaires de la filière concerne la production industrielle et 50 % de l’emploi total est dû à l’installation du matériel solaire thermique.
Pour l’association professionnelle de l’énergie solaire Enerplan, que votre rapporteure a auditionnée, l’objectif de la branche de baisser les coûts de 50 % des systèmes installés en 2020 par rapport à 2011/12 pourrait engendrer la création de nombreux emplois. La filière française pourrait alors représenter 36 000 emplois pour un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros en 2020.
3. Le solaire thermique : une filière aux perspectives de développement nombreuses, notamment grâce aux réseaux de chaleur
Les perspectives de développement de la filière sont nombreuses. Elles existent dans le résidentiel individuel et le collectif en cas de renforcement de la réglementation thermique, notamment sur le marché de la rénovation. Le recours aux solutions hybrides pourrait permettre de redynamiser la filière. Le panneau solaire hybride ou capteur solaire mixte permet de produire à la fois de l’électricité et de la chaleur, d’augmenter le rendement des cellules photovoltaïques en abaissant leur température et d’économiser de l’espace en combinant la production électrique et thermique sur une même surface. La conquête de nouveaux marchés peut également se faire du côté des applications industrielles et de la connexion de champs de capteurs solaires thermiques aux réseaux de chaleur. Ces nouveaux marchés pourraient bénéficier d’économies d’échelle et d’une diminution des coûts de production.
Les recherches actuelles dans le domaine du secteur thermique sont prometteuses comme l’a souligné le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), que votre rapporteure a auditionné. En effet, pour le CEA, il est possible de mobiliser le savoir-faire français issu du nucléaire pour développer les énergies renouvelables. Le laboratoire des systèmes thermiques de l’Institut National de l’Énergie solaire (INES) travaille aujourd’hui sur la partie stockage des dispositifs solaire thermique, plus particulièrement sur des technologies innovantes permettant de minimiser les pertes de chaleur (grâce à des tubes sous vide). Le CEA regrette cependant la faible part du budget recherche alloué aux énergies renouvelables et plus spécifiquement au solaire thermique. Dans de nombreux cas, les solutions technologiques existent déjà, mais il faut encore faire beaucoup d’études et d’expérimentations pour les adapter aux besoins.
La programmation pluriannuelle de l’énergie, dans la fixation des objectifs de la filière solaire thermique pour 2018 et 2023, gagnerait à prendre en compte ces nouvelles perspectives de développement.
Si l’énergie solaire thermique est une énergie d’avenir porteuse de solutions aux nombreux défis auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, force est de constater que le marché du solaire thermique ne reflète pas ce constat. Le solaire thermique est une énergie peu connue dont le marché s’est effondré récemment, pour des raisons avant tout conjoncturelles.
Le solaire thermique ne représente qu’une faible part de la production d’énergie. Selon le commissariat général au développement, la production primaire d’énergie renouvelable en 2012 s’élevait, en métropole, à 22,4 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) et le solaire thermique y participait à hauteur de 0,4 %. Le parc en activité de la France, dont 75 % se trouvent en métropole, représente près de 2 millions de capteurs solaires thermiques. Environ 55 % de la surface supplémentaire annuelle du parc solaire thermique est utilisée par les chauffe-eau solaires individuels (CESI), près de 10 % par des chauffe-eau solaires combinés individuels (SSC) et 35 % par le solaire thermique installé dans des bâtiments collectifs à usage résidentiel, agricole, industriel ou tertiaire.
La consommation finale de chaleur (3) à partir de solaire thermique était en 2013 de 87 kilotonnes équivalent pétrole (ktep) en métropole et de 145 ktep si l’on inclut les DOM. D’après l’ADEME, le chauffage solaire produit entre 300 et 500 kilowatt-heure (kWh) par mètre carré de capteurs par an, selon les départements. Comme le rappelle Cofély (4), que votre rapporteure a auditionné, le solaire thermique est une énergie bien adaptée aux zones où le rapport entre la surface disponible pour l’installation de capteurs et le besoin thermique est important, comme les zones de montagne.
Selon EurObserv’ER (5), le parc solaire thermique en Europe fin 2014 (production de chaleur, eau chaude sanitaire et chauffage) représentait près de 33 gigawatt-heure (GWh). La France, en tenant compte des DOM, se situait au 6e rang en termes de surfaces solaires thermiques installées. Le solaire thermique se développe plus rapidement dans certains pays comme le Danemark en raison d’une volonté politique plus forte.
Le marché ne représente plus qu’environ 150 000 m² de capteurs par an (incluant les DOM). D’après l’association professionnelle de l’énergie solaire Enerplan, que votre rapporteure a auditionnée, le décrochage concerne aussi bien le marché du solaire thermique aux applications individuelles que le marché du solaire thermique aux usages collectifs.
Évolution du marché de capteurs solaire thermique
Cet effondrement peut aussi être observé au niveau européen. Selon EurObserv’ER, le parc solaire thermique en Europe fin 2014 était en diminution pour la sixième année consécutive. Une telle baisse s’explique en partie par la mise en place, dans de nombreux pays européens, de politiques de « stop-and-go » en matière d’aides à l’investissement et par de fortes disparités fiscales entre filières.
L’effondrement du marché solaire thermique individuel s’explique essentiellement par l’évolution du crédit d’impôt « particulier » et par la confusion qui s’est opérée dans l’esprit de certains particuliers et industriels entre le photovoltaïque et le thermique.
Dans un premier temps, de 2006 à 2010, en plus du crédit d’impôt de 50 % existant sur le coût du matériel photovoltaïque ou thermique, le solaire photovoltaïque était soutenu par un tarif d’achat à 60 centimes le KWh. Ces soutiens plus importants au photovoltaïque ont provoqué un transfert massif sur cette énergie, réduisant ainsi la croissance qu’aurait pu connaître le marché du solaire thermique. Les installateurs proposaient en effet presque uniquement du solaire photovoltaïque.
Dans un second temps, à partir de 2010, le crédit d’impôt photovoltaïque est passé de 50 % à 25 % sur le coût du matériel puis a été supprimé. D’après les associations et syndicats que votre rapporteure a auditionnés, cet arrêt brutal de certaines aides au photovoltaïque a engendré une confusion dans l’esprit des particuliers et leur a donné l’impression que le solaire en général n’était pas une énergie d’avenir dans laquelle investir.
Dans le même temps, le crédit d’impôt existant sur le solaire thermique (crédit d’impôt développement durable puis crédit d’impôt pour la transition énergétique) n’a pas dynamisé autant que souhaité le marché du solaire thermique. En effet, la concurrence avec les autres énergies a pu être défavorable au solaire thermique. Le chauffage thermodynamique a longtemps donné droit à un crédit d’impôt de 40 % sans plafond et sans objectif particulier en termes de kWh (il n’y a aujourd’hui toujours aucun plafond bien que le taux ait été uniformisé).
La croissance du marché du solaire thermique en collectif a pu, pendant un certain temps, permettre de contrebalancer la baisse du marché individuel. Cette croissance était portée par la réglementation thermique 2005 pour le bâtiment neuf. Mais le marché du collectif s’est effondré à son tour.
Une telle baisse s’explique en partie par les réglementations mises en place. D’une part, la réglementation thermique (RT) 2012 n’impose pas de proportion particulière d’énergies renouvelables en collectif neuf. D’autre part, alors que la RT 2012 fixe la consommation d’énergie primaire des bâtiments à une valeur maximale de 50 kWh/(m².an), une dérogation existe pour les bâtiments collectifs qui peuvent consommer jusqu’à 57,5 kWh/(m².an). Cette moindre exigence de performance énergétique, qui devait prendre fin au 31 décembre 2014, a été étendue par arrêté jusqu’au 31 décembre 2017.
La chute du marché du solaire thermique en collectif s’explique également par les effets de la crise économique et la baisse du prix du carbone. Ces effets ont été d’autant plus grands pour le solaire thermique que le coût des installations est encore relativement important.
Face à une telle discordance entre les avantages de l’énergie solaire thermique et ses difficultés à se développer sur le marché de l’énergie, seule une volonté politique peut redynamiser la filière. Certes, de nombreuses aides et réglementations encouragent déjà à l’usage du solaire thermique. Cependant, certaines aides pourraient être mieux ciblées et certaines réglementations pourraient reposer sur un calcul plus juste des performances du solaire thermique. Ces réformes concrètes que propose votre rapporteure gagneraient à être accompagnées d’une meilleure communication sur les avantages du solaire thermique.
1. Des outils de politique publique existent déjà mais ne permettent pas d’atteindre les objectifs du plan national d’action relatifs au solaire thermique
La diffusion des chauffe-eau solaires individuels est principalement soutenue par le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) qui a été simplifié au 1er septembre 2014, avec la mise en place d’un taux unique de 30 %, sans condition de ressources et sans exigence de bouquet de travaux. Le coût du crédit d’impôt consacré à la filière solaire thermique a été estimé à environ 30 millions d’euros pour l’année budgétaire 2014, soit environ 0,5 % du coût global de la mesure fiscale.
Le recours au solaire thermique est également encouragé lors de la réalisation de travaux, notamment d’installation, de régulation ou de remplacement de systèmes de chauffage associés à des systèmes de production d’eau chaude sanitaire performants. Depuis le 1er juillet 2014, seuls les travaux effectués par les entreprises disposant du signe RGE « Reconnu Garant de l’Environnement » sont éligibles aux dispositifs. Ces travaux peuvent bénéficier ainsi d’un prêt à taux zéro (éco-PTZ), d’un taux de TVA réduit (à 5,5 %) et des dispositifs de certificat d’économie d’énergie (6).
Le fonds chaleur tente également d’encourager le recours au solaire thermique en favorisant la production de chaleur à partir de sources renouvelables dans les secteurs de l’habitat collectif, du tertiaire, de l’industrie et de l’agriculture. Il permet de garantir un prix de la chaleur d’origine renouvelable produite inférieur d’environ 5 % (7) à celui obtenu avec des énergies conventionnelles en fournissant des aides gérées par les directions régionales de l’ADEME.
La filière du solaire thermique est également soutenue par des appels d’offres, notamment ceux lancés par l’ADEME en février 2015 qui visaient spécifiquement à développer la filière solaire thermique grâce à la réalisation de grandes installations devant permettre de réaliser des économies d’échelle et de réduire les coûts de l’installation (logement, industrie, réseaux de chaleur…). Cinq projets, représentant plus de 4 000 m² de capteurs et 4,7 milliards d’euros d’investissement sont en cours d’analyse par l’ADEME.
Malgré ces aides, la filière solaire thermique affiche un retard par rapport à la trajectoire du plan national d’action (PNA) qui fixe des objectifs pour 2020 (produire 817 ktep de chaleur renouvelable à partir d’installations solaires thermiques individuelles et 110 ktep à partir d’installations solaires thermiques collectives en 2020). Ce retard s’accentue depuis 2010 et en 2013, seul 52 % (8) de l’objectif a été réalisé (15,6 % de l’objectif 2020). Il est davantage marqué pour la filière du solaire thermique individuel, qui n’a pour l’instant réalisé que 7 % de son objectif 2020, le solaire collectif ayant, lui, atteint 24 % de son objectif 2020.
Un rattrapage de ce retard semble nécessaire. Afin de le rattraper, les outils de politique publique existants gagneraient à être quelque peu modifiés et rendus plus visibles.
Les qualités du solaire thermique ne sont pas assez connues. Ce constat tient en partie aux « contre références » c’est-à-dire aux dysfonctionnements qui ont pu se produire par le passé, notamment pour la production d’eau chaude sanitaire solaire collective. Certaines installations n’ont pas réussi à atteindre les résultats escomptés en raison d’erreurs de conception, de mauvaises régulations, de mises en œuvre incorrectes et de manque de suivi et de maintenance.
L’image du solaire thermique a certes été un peu améliorée grâce à une meilleure visibilité de la filière. Les différents acteurs de la filière sont en effet de mieux en mieux fédérés et coordonnés. Ainsi, l’initiative SOCOL (solaire collectif) lancée fin 2008 regroupe plus de 1 500 acteurs dont les installateurs et les maîtres d’ouvrage et a pour objectif de rendre le solaire compétitif à l’horizon 2020, notamment en améliorant l’image du solaire thermique. Les États généraux de la chaleur solaire organisés par Enerplan, syndicat des professionnels de l’énergie solaire, permettent également de fédérer les acteurs de la filière et de fixer collectivement des objectifs pour le solaire thermique.
Cependant, sans communication politique plus importante, la visibilité du solaire thermique comme solution d’avenir ne peut être que partielle. Les journées européennes du solaire ayant pour but de faire découvrir l’énergie solaire et de promouvoir son utilisation auprès du grand public n’ont ainsi pas été maintenues, faute de ressources suffisantes et de volonté politique. Il s’agit donc de sensibiliser à la fois les élus et le grand public, de convaincre et de rassurer les maîtres d’ouvrage, de favoriser les échanges entre les villes et la mutualisation des besoins et d’encourager la réflexion globale de la profession pour favoriser le mix énergétique contenant du solaire thermique.
Afin de vérifier la conformité d’un projet de bâtiment à la RT 2012, un calcul réglementaire est réalisé avec un logiciel d’application intégrant le moteur de calcul développé par la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages (DHUP) et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB).
Or, les professionnels du solaire thermique soulèvent depuis 2013 le problème d’une sous-estimation manifeste des performances énergétiques du solaire collectif (jusqu’à 30 %) dans le moteur de calcul RT 2012 du CSTB. Une étude réalisée par le bureau d’études Pouget Consultants a ainsi comparé les différentes technologies disponibles sur le marché et conclu que l’énergie solaire active n’était pas suffisamment valorisée dans le moteur de calcul réglementaire RT 2012. L’étude (9) va même jusqu’à démontrer que « le solaire thermique est le champion de la chaleur renouvelable » et « la meilleure solution pour répondre à l’exigence réglementaire de 50 kWh d’énergie primaire/m² ». Les mauvaises modalités de calcul n’ont pas seulement engendré un moindre recours au solaire thermique mais ont également pu conduire, lorsque le choix du solaire thermique était fait, à une installation trop importante de capteurs solaires par rapport aux besoins.
Si cette revendication est reconnue comme valable par le CSTB depuis l’automne 2015, rien n’a encore été entrepris pour actualiser le mode de calcul des performances énergétiques du solaire thermique. La première option serait de mettre à jour la version du moteur de calcul actuelle et les logiciels d’application de la RT 2012. Cette mise à jour est techniquement possible (10) mais serait sans doute coûteuse, étant donné le remplacement dans un futur proche de la RT 2012 par la RT 2020. La seconde option serait ainsi d’établir une juste valorisation pour le solaire thermique dans la RT 2020. La RT 2020 sera une réglementation encore plus ambitieuse que la réglementation précédente, l’objectif étant de construire des bâtiments à énergie positive (dits BEPOS) générant plus d’énergie qu’ils n’en utilisent pour fonctionner. Le solaire thermique, s’il est justement valorisé, aura toute sa place à jouer pour permettre aux bâtiments de se conformer à cette nouvelle réglementation.
4. La non-suppression du CITE pour la partie solaire thermique des panneaux hybrides pourrait revaloriser le solaire thermique
Le panneau solaire hybride ou capteur solaire mixte sont des systèmes innovants et écologiques composés de panneaux photovoltaïques sur lesquels sont disposés des capteurs solaires thermiques. Les systèmes photovoltaïque-thermique (PVT) sont considérés comme une technologie stratégique par l’Agence Internationale de l’Énergie dans sa feuille de route technologique sur la chaleur solaire de 2012.
Si ces produits bénéficiaient jusqu’au 30 septembre 2015 du CITE pour leur fonction de production de chaleur, l’exclusion totale à compter du premier octobre 2015 et pour 2016 du PVT du crédit d’impôt, tel que prévu à l’article 40 du projet de loi de finances pour 2016, pourrait avoir des nombreuses conséquences dommageables. Cette disposition semble s’expliquer à la fois par la volonté d’exclure un dispositif au niveau de performance insuffisant et par celle de mettre fin à certains abus. En effet, aujourd’hui, lorsqu’un équipement mixte est composé d’une partie éligible et d’une partie non éligible au crédit d’impôt et qu’il est impossible de distinguer sur la facture le prix de chaque partie, 50 % de la dépense totale est retenue au titre de l’équipement éligible, ce qui ne se justifie pas toujours, les dépenses dues au solaire thermique étant souvent minoritaires.
Cependant, cette exclusion enverrait un signal très négatif en direction de l’énergie solaire thermique. De plus, elle pénaliserait l’innovation française et européenne. Les systèmes PVT français ont, en effet, été en partie conçus par les meilleurs laboratoires français et européens (Centre d’énergie atomique INES, Fraunhofer ISE) et sont parmi les plus performants du marché mondial.
Votre rapporteure propose que la partie thermique de l’équipement mixte puisse bénéficier du crédit d’impôt. Afin d’éviter les abus de recours au CITE, l’aide ne serait perçue qu’à proportion de l’énergie produite par la seule partie solaire thermique du panneau hybride. Afin d’améliorer la performance énergétique de ces dispositifs, ces panneaux hybrides gagneraient à faire l’objet d’une évaluation précise. D’après Énergies et Avenir (11), que votre rapporteure a auditionné, cette évaluation est en cours, le Centre Technique des Industries Aérauliques et Thermiques (Cetiat) devrait recevoir une subvention de l’ADEME pour conduire ces tests en naturel et identifier les sources d’amélioration de performance.
Le jeudi 5 novembre 2015, dans le cadre de la commission élargie, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur le rapport de Mme Béatrice Santais, les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilités durables » (voir le compte rendu officiel de la commission élargie du 5 novembre 2015, sur le site internet de l’Assemblée nationale (12).
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À l’issue de la commission élargie, la commission des affaires économiques a délibéré sur les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilités durables ».
Mme Béatrice Santais, rapporteure pour avis, a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission.
La Commission, conformément à l’avis favorable de Mme Béatrice Santais, donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la Mission « Écologie, développement et mobilités durables ».
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
M. Antoine Pellion, conseiller technique
Solis’Art
M. Olivier Godin, président
Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)
M. Laurent Michel, directeur général
Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME)
M. Fabrice Boissier, directeur général délégué
M. Damien Siess, directeur adjoint productions et énergies durables
Commission de régulation de l’énergie (CRE) *
M. Philippe de Ladoucette, président
M. Jean-Yves Ollier, directeur général
M. Christophe Leininger, directeur du développement des marchés
Mme Olivia Fritzinger, chargée des relations institutionnelles et de la communication
Fédération des services Énergie Environnement (FEDENE)
M. Jean-Claude Boncorps, président
Mme Élise Bourmeau, déléguée générale
M. Christian Monnier, Président du Syndicat national du traitement et de la Valorisation des Déchets Urbains et assimilés
M. Côme Sevaistre, consultant pour Fedene
Syndicat des énergies renouvelables
M. Jean-Louis Bal, président
M. Damien Mathon, délégué général
M. Axel Richard, responsable du thermique
M. Alexandre de Montesquiou, consultant
Cofély Services
M. Pascal Roger, directeur de la stratégie – Cofély
M. Frédéric Martin, directeur général adjoint de la branche Energie Services en charge du pôle réseau – ENGIE
Mme Valérie Alain, directrice des relations institutionnelles – ENGIE
Association AMORCE
M. Nicolas Garnier, délégué général
M. David Leicher, responsable du pôle Réseaux de chaleur
Enerplan, syndicat des professionnels de l’énergie solaire
M. Richard Loyen, délégué général
M. François Gibert, vice-président en charge du solaire thermique
Mme Laetitia Brottier, vice-présidente
M. Frédéric Mykieta, administrateur
Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)
M. Christophe Gégout, directeur financier, administrateur général adjoint
M. Jean-Pierre Vigouroux, chargé des relations avec le Parlement
Électricité de France (EDF) *
M. Jacques Lefort, responsable efficacité énergétique (Dalkia)
Mme Véronique Loy, directrice adjointe des affaires publiques
M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques
M. Dominique Kieffer, directeur des affaires publiques chez Dalkia
M. Xavier Girre, directeur financier France
M. Patrice Bruel, directeur régulation
Mme Véronique Loy, directrice adjointe des affaires publiques
M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques
Direct Énergie
M. Xavier Caïtucoli, président-directeur général
Mme Frédérique Barthélemy, responsable des affaires publiques
Énergies et Avenir
M. Hervé Thelinge, président
M. Jean-Paul Ouin, porte-parole
M. Joël Pedessac, porte-parole
Mme Sabina Lindstedt, directrice des affaires publiques de Cohn & Wolfe
Energie FerroPem
M. Jean-Philippe Bucher, président
M. Luc Baud, directeur
Représentants du groupement des industriels Hyper Electro-Intensifs (HEI) :
M. Jean-Paul Aghetti, de Rio Tinto Alcan
M. Gaétan de Royer, consultant senior de Communications & Institutions (C & I)
Ministère des finances et des comptes publics
M. Clément Schaff, conseiller fiscalité
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
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