N° 3117
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2015.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 3096)
de finances pour 2016
TOME VII
JUSTICE
ACCÈS AU DROIT ET À LA JUSTICE ET AIDE AUX VICTIMES
PAR Mme Élisabeth POCHON
Députée
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Voir le numéro : 3110-III-31.
En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses au questionnaire budgétaire devaient parvenir à la rapporteure pour avis au plus tard le 10 octobre 2015, pour le présent projet de loi de finances.
À cette date, l’intégralité des réponses était parvenue à votre rapporteure pour avis, qui remercie les services du ministère de la Justice de leur collaboration.
SOMMAIRE
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Pages
I. LES CRÉDITS ET RECETTES AFFECTÉS À L’AIDE JURIDICTIONNELLE SONT EN HAUSSE POUR FINANCER SA RÉFORME 7
II. LES CRÉDITS DÉDIÉS À L’ACCÈS AU DROIT ET À LA JUSTICE AUGMENTENT SIGNIFICATIVEMENT POUR FINANCER LE RECOURS AUX CONSULTATIONS JURIDIQUES 8
III. UNE FORTE AUGMENTATION DES CRÉDITS DE L’AIDE AUX VICTIMES 9
IV. MÉDIATION FAMILIALE ET ESPACES DE RENCONTRE 11
V. LA DISPARITION DE L’ACTION RELATIVE À L’INDEMNISATION DES AVOUÉS 12
SECONDE PARTIE : LA RÉFORME DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE 15
I. EN DÉPIT D’IMPORTANTS EFFORTS FINANCIERS ET DE PLUSIEURS RÉFORMES, LE SYSTÈME DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE EST À BOUT DE SOUFFLE 15
A. LES PLAFONDS DE RESSOURCES, TROP BAS, CONDUISENT À L’EXCLUSION DE JUSTICIABLES AUX REVENUS MODESTES 16
1. Le seuil d’admission à l’aide juridictionnelle totale est inférieur au seuil de pauvreté 16
2. L’aide juridictionnelle partielle ne parvient pas à pallier cet effet de seuil 17
B. DES BESOINS DE FINANCEMENT CROISSANTS 18
1. Une hausse tendancielle des dépenses d’aide juridictionnelle 18
a. Le nombre de décisions d’admission, après une forte augmentation entre 1991 et 2006, semble s’être stabilisé 18
b. Les dépenses effectives d’aide juridictionnelle ont cependant continué à croître fortement 19
c. Cette hausse a vocation à se poursuivre avec l’extension du champ de l’aide juridictionnelle et des aides à l’intervention de l’avocat 20
2. La recherche de nouvelles sources de financement 22
a. Les différentes pistes envisagées 22
b. Les nouvelles sources de financement introduites par la loi de finances pour 2015 25
c. La contribution à l’accès au droit et à la justice prévue par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques 26
C. LES EFFORTS DE RATIONALISATION DES DÉPENSES N’ONT PAS PRODUIT LES EFFETS ESCOMPTÉS 27
D. UNE RÉTRIBUTION INSUFFISANTE DES AVOCATS 29
a. Un système complexe fondé sur la « modulation » d’une unité de valeur de référence affectée d’un barème par type de procédure 29
b. Une rétribution insuffisante 30
II. LA RÉFORME PROPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT 30
A. LE RELÈVEMENT DU PLAFOND DE RESSOURCES 31
B. LE RELÈVEMENT DE L’UNITÉ DE VALEUR DE RÉFÉRENCE ET LA SUPPRESSION DE LA DÉMODULATION GÉOGRAPHIQUE 32
C. LE DÉVELOPPEMENT DE LA CONTRACTUALISATION LOCALE 33
1. Les instruments de contractualisation existants 33
2. Une nouvelle contractualisation avec les barreaux 34
D. LA REFONTE DU BARÈME 35
E. L’EXTENSION DU PÉRIMÈTRE DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE À LA MÉDIATION 36
F. DE NOUVELLES SOURCES DE FINANCEMENT 37
1. L’affectation de nouvelles ressources à l’aide juridictionnelle 37
a. Un nouveau relèvement de la taxe sur les contrats d’assurance de protection juridique 37
b. La création d’un prélèvement sur la trésorerie des CARPA 38
c. L’affectation d’une partie des amendes pénales au CNB 41
2. La suppression de l’affectation de certaines ressources 41
a. La suppression de l’affectation de la taxe forfaitaire sur les actes des huissiers de justice 41
b. La suppression de l’affectation d’une fraction du droit fixe de procédures devant les juridictions répressives 41
Le budget de la Justice connaît à nouveau, dans le projet de loi de finances pour 2016, une hausse, avec 8,04 milliards d’euros, dont 7,97 milliards de dotations budgétaires, soit + 1,3 % par rapport à 2015. Dans un contexte budgétaire difficile, cette évolution traduit la priorité accordée par le Gouvernement à la Justice.
Le programme « Accès au droit et à la justice », auquel cet avis est consacré, devrait être doté en 2016 de 366,36 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 366,97 millions d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 1,97 % en autorisations d’engagement et de 2,58 % en crédits de paiement par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2015. Si l’on tient compte des ressources extrabudgétaires consacrées à l’aide juridictionnelle, qui augmentent de 43 millions d’euros en 2015 à 68 millions d’euros en 2016, la hausse est nettement plus significative, supérieure à 8,5 %.
Plus de 90 % des crédits de ce programme sont dédiés à l’aide juridictionnelle. Celle-ci est une politique publique essentielle de solidarité, qui met en œuvre un droit fondamental, garanti au niveau international (1) et constitutionnel (2) : le droit à un recours juridictionnel effectif.
Le droit d’accès à la justice pour tous, qui implique une aide au profit des plus modestes, fut reconnu en France dès la moitié du XIXe siècle, par la loi du 22 janvier 1851 sur l’assistance judiciaire. La loi n° 72-11 instituant l’aide juridique du 3 janvier 1972 rompt avec cette logique d’assistance et reconnaît un véritable droit à l’aide judiciaire.
L’aide juridictionnelle est aujourd’hui régie par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique, modifiée et complétée notamment par la loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits. Son article premier précise que l’aide juridique comprend trois composantes :
– l’aide juridictionnelle ;
– l’aide à l’accès au droit ;
– l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles.
Le système d’aide juridictionnelle se trouve aujourd’hui dans une situation critique :
– les plafonds de ressources sont trop bas (celui de l’aide juridictionnelle totale est inférieur au seuil de pauvreté), conduisant à exclure des justiciables aux revenus modestes de l’accès à la justice ;
– les besoins de financement sont croissants, dans un contexte de crise économique marqué par une hausse des demandes et par l’extension du champ de l’aide juridictionnelle et des aides à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles (telles que la garde à vue ou les auditions libres) sous l’influence du droit européen notamment ;
– la rétribution des avocats, qui repose sur une unité de valeur non revalorisée depuis 2007, est insuffisante.
Ce diagnostic sévère a été dressé par de nombreux rapports, parlementaires ou remis au Gouvernement au cours des dernières années. L’heure n’est plus aujourd’hui aux réflexions, mais à la prise de décision et à la réforme. Une première étape a été franchie avec la loi de finances pour 2015, qui a introduit de nouvelles sources de financement. Le Gouvernement propose une réforme plus ambitieuse dans le présent projet de loi de finances, en particulier en son article 15, que l’Assemblée nationale a adopté le 15 octobre 2015. Cette réforme s’inscrit pleinement dans le cadre de la « justice du 21e siècle », dont l’accès au droit et à la justice est un axe majeur.
Le présent rapport a pour objet, après avoir retracé l’évolution des crédits du programme « Accès au droit et à la justice », d’analyser le contexte et les enjeux de cette réforme de l’aide juridictionnelle.
PREMIÈRE PARTIE :
LES CRÉDITS DE L’ACCÈS AU DROIT ET À LA JUSTICE POUR 2016
Pour l’année 2016, le présent projet de loi de finances prévoit de doter le programme 101 « Accès au droit et à la justice » de 366,36 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 366,97 millions d’euros en crédits de paiement. Cela représente une augmentation de 1,97 % en autorisations d’engagement et de 2,58 % en crédits de paiement par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2015, qui s’élevaient, respectivement, à 359,14 et 357,73 millions d’euros. Si l’on tient compte des ressources extrabudgétaires, qui se sont élevées à 43 millions d’euros en 2015 et qui seront d’un montant de 68 millions d’euros en 2016, la hausse est plus significative : + 8,54 % avec une dépense totale passant de 400,73 millions d’euros en 2015 à 434,97 millions d’euros en 2016.
Le programme 101 comporte quatre actions, chacune correspondant à un axe de la politique publique en matière d’accès au droit et à la justice :
– l’aide juridictionnelle ;
– le développement de l’accès au droit ;
– l’aide aux victimes ;
– la médiation familiale et les espaces de rencontre parents-enfants.
I. LES CRÉDITS ET RECETTES AFFECTÉS À L’AIDE JURIDICTIONNELLE SONT EN HAUSSE POUR FINANCER SA RÉFORME
L’aide juridictionnelle s’adresse aux personnes physiques, et exceptionnellement aux personnes morales à but non lucratif, dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice. Elle consiste en la prise en charge par l’État de tout ou partie – l’aide pouvant être totale ou partielle – des frais relatifs à un procès (rétribution d’avocat, rétribution d’huissier de justice, frais d’expertise, etc.) ou à une transaction (rétribution de l’avocat). C’est un volet essentiel de la politique d’accès au droit et à la justice.
Elle fait l’objet de l’action n° 1 du programme, dont elle représente plus de 91 % des crédits budgétaires. Le projet de loi de finances initiale pour 2016 prévoit de la doter de 336,72 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit une augmentation des crédits budgétaires de 1,31 % par rapport à 2015.
À ces dotations budgétaires doivent être ajoutés 68 millions d’euros de ressources extrabudgétaires, soit un total de 404,72 millions d’euros, en hausse de 29,32 millions (+ 7,8 % par rapport à 2015). Ces ressources extrabudgétaires incluent la taxe spéciale sur les contrats d’assurance de protection juridique, le droit fixe de procédure, la taxe forfaitaire sur les actes des huissiers de justice et une nouvelle contribution financière de la profession d’avocat par le biais d’une affectation au Conseil national des barreaux d’une partie des produits financiers des fonds placés par les caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA).
En 2015, le montant total des dépenses s’était élevé à 375,4 millions d’euros, dont 332,4 millions de crédits budgétaires et 43 millions de ressources extrabudgétaires affectées au Conseil national des barreaux (CNB).
L’aide juridictionnelle fait l’objet d’une importante réforme dans le présent projet de loi de finances, opérée notamment par son article 15. La seconde partie du présent avis lui est consacrée.
II. LES CRÉDITS DÉDIÉS À L’ACCÈS AU DROIT ET À LA JUSTICE AUGMENTENT SIGNIFICATIVEMENT POUR FINANCER LE RECOURS AUX CONSULTATIONS JURIDIQUES
L’action n° 2, intitulée « développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité », vise à mettre en œuvre une politique d’accès au droit, permettant à tout citoyen, et notamment à ceux qui rencontrent le plus de difficultés, de connaître leurs droits afin de pouvoir les exercer et de se rapprocher de la justice.
Pour 2016, le projet de loi de finances prévoit de doter cette action de 7 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement (soit 1,9 % des crédits du programme), en augmentation de 35 % par rapport à 2015. Cette augmentation résulte d’une nouvelle dotation de 2 millions d’euros destinée à financer le recours aux consultations juridiques (voir infra).
Ces crédits servent, en premier lieu et à hauteur de 6,32 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, à cofinancer les 101 conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et les lieux d’accès au droit, au nombre d’environ 1 200. Ces groupements d’intérêt public sont chargés de recenser les besoins, de définir une politique locale, d’impulser des actions nouvelles, de dresser et de diffuser l’inventaire des actions menées et d’évaluer la qualité des dispositifs auxquels l’État apporte son concours.
En 2016, ces crédits incluront une dotation de 2 millions d’euros destinée à financer le recours aux consultations juridiques préalables à la saisine du juge, afin d’analyser le bien-fondé de la demande du citoyen, de faciliter, le cas échéant, l’instruction de sa demande d’aide juridictionnelle et de proposer, si nécessaire, une orientation vers d’autres intervenants, et notamment un médiateur. Cette consultation préalable sera mise en œuvre dans le cadre d’une convention conclue entre les CDAD et les tribunaux de grande instance. En 2016, le dispositif devrait bénéficier à environ 35 000 justiciables.
Ils servent, en deuxième lieu et à hauteur de 582 000 euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, à cofinancer les maisons de la justice et du droit (MJD). Ils seront utilisés, cette année, pour cofinancer :
– l’ouverture de quatre nouvelles MJD, via des subventions d’investissement aux collectivités territoriales concernées pour réaliser les travaux d’aménagement des bâtiments qui accueilleront ces nouvelles structures, à hauteur de 480 000 euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, et de dotations de 13 000 euros par site (soit 52 000 euros au total) pour l’achat de mobilier et de postes informatiques ;
– le renouvellement du matériel informatique et du mobilier de huit MJD existantes, à hauteur de 50 000 euros au total en autorisations d’engagement et en crédits de paiement.
Enfin, ces crédits, à hauteur de 90 000 euros, permettent de soutenir dix associations spécialisées réalisant des actions d’envergure nationale, excédant le champ de compétence locale des CDAD, notamment en faveur de publics fragiles (jeunes, population issue de l’immigration, personnes incarcérées, gens du voyage, etc.).
L’action n° 3 du programme, intitulée « Aide aux victimes », vise à améliorer la prise en charge des victimes d’infractions pénales, en leur apportant un soutien matériel et psychologique tout au long du parcours judiciaire et jusqu’à leur indemnisation. Elle est dotée de 19,38 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 20 millions d’euros en crédits de paiement, soit 5,29 % des autorisations d’engagement et 5,5 % des crédits de paiement du programme. Ces crédits sont en augmentation de 1,02 million d’euros en autorisations d’engagement et de 3,05 millions d’euros en crédits de paiement, soit, respectivement, + 5,59 % et + 18 % par rapport à 2015.
Cette nouvelle augmentation fait suite à des hausses significatives en 2015 (+ 22 %), 2014 (+ 6 % par rapport à 2013) et 2013 (+ 25 % par rapport à 2012), traduisant la priorité politique accordée à cette action.
Cette politique repose essentiellement sur un réseau de 166 associations locales d’aide aux victimes, conventionnées par les cours d’appel, qui, de manière gratuite et confidentielle, reçoivent les victimes, les aident dans leurs démarches et les orientent. Certaines tiennent des permanences dans les bureaux d’aide aux victimes (BAV). En 2014, elles ont aidé 256 867 victimes (contre 246 316 en 2013, soit une augmentation de 4,3 % entre 2013 et 2014 et de 24,6 % par rapport à 2007). Ces associations bénéficieront de 17,48 millions d’euros en 2016 en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, auxquels s’ajouteront 1,75 million d’euros en faveur des associations et fédérations intervenant au niveau national et pour des actions de dimension nationale.
La politique d’aide aux victimes s’appuie également sur les bureaux d’aide aux victimes (BAV) ouverts au siège des tribunaux de grande instance (TGI) et dont la mission est d’informer, d’orienter et d’accompagner les victimes. Ils seront au nombre de 160 fin 2015 (ils étaient 157 au 1er juillet 2015), l’objectif étant que tous les tribunaux de grande instance et les tribunaux de première instance en soient dotés à la fin de 2016, avec l’ouverture de 8 derniers BAV. Il est également prévu de créer des BAV dans les cours d’appel. Les crédits de l’action incluent, en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, 150 000 euros pour le premier équipement des BAV qui seront créés en 2016 et pour le maintien à niveau du matériel informatique ou du mobilier ainsi que 4,5 millions d’euros pour les associations tenant des permanences dans les BAV.
Des crédits d’un montant de 620 000 euros en crédits de paiement sont prévus pour financer, dans le cadre d’un marché triennal, un dispositif d’assistance téléphonique social à destination des victimes, le numéro « 08VICTIMES », qui offre à toute victime une première écoute et une orientation personnalisée, 7 jours sur 7, de 9 à 21 heures.
D’autres dispositifs innovants sont aussi pris en charge par cette action, parmi lesquels figurent :
– 2,73 millions d’euros pour généraliser l’évaluation des besoins particuliers de protection des victimes sur l’ensemble du territoire. Cette évaluation est prévue par la directive 2012/29/UE du 25 octobre 2012 dite « directive victimes » (3), transposée par l’article 7 de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, qui l’a inscrite à l’article 10-5 du code de procédure pénale ;
– 320 000 euros pour soutenir les associations qui accompagnent les victimes bénéficiant du dispositif de téléprotection des personnes en grave danger, dit « TGD », mis en place par l’article 36 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ;
– 100 000 euros pour constituer, au sein du réseau associatif, un réseau de référents « victimes d’actes de terrorisme » ;
– 230 000 euros pour étendre à une douzaine de départements l’actuelle expérimentation des mesures de « justice restaurative » permettant à une victime, ainsi qu’à l’auteur d’une infraction, de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Ce dispositif est prévu par l’article 18 de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales ;
– 100 000 euros pour accompagner les victimes étrangères ou résidant à l’étranger pour des faits commis en France et les victimes françaises pour des faits commis à l’étranger.
Enfin, une dotation de 500 000 euros est inscrite pour compléter les crédits prévus en 2015 en application de l’article 100 de la loi de finances pour 2015, qui a prévu de verser une allocation aux mineurs licenciés en 1948 et 1952 pour faits de grève ou à leurs ayant-droits afin de réparer le préjudice dont ils ont été victimes.
L’action n° 4, intitulée « Médiation familiale et espaces de rencontre », est dotée de 3,25 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit environ 0,9 % des crédits du programme.
Cette action regroupe les crédits ayant pour objet, d’une part, de développer une résolution amiable des conflits dans le domaine familial et, d’autre part, de maintenir des liens entre parents et enfants grâce à des espaces de rencontre. Elle contribue au développement des modes alternatifs de règlement des litiges qui sont au cœur du projet du Gouvernement pour la « Justice du XXIème siècle » (4).
La médiation familiale a été reconnue par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale et par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce. En 2014, 18 205 mesures de médiation familiale ont été achevées dont 7 022 mesures judiciaires et 11 183 mesures spontanées, ayant ensuite été soumises pour homologation à un juge.
Les espaces de rencontre parents-enfants sont des lieux permettant à un enfant de rencontrer l’un de ses parents ou un tiers, ou de faire l’objet d’une remise à un parent ou à un tiers, notamment à la suite d’une séparation, lorsque le droit de visite ne peut être exercé au domicile du parent titulaire de ce droit. Ces espaces contribuent au maintien des relations entre un enfant et ses parents ou un tiers, notamment en assurant la sécurité physique et morale et la qualité d’accueil des enfants, des parents et des tiers.
Les crédits de l’action n° 4 permettent de soutenir un réseau d’associations locales mettant en œuvre ces dispositifs (5). Une dotation de 3,16 millions d’euros est prévue pour les financer, dont :
– 1,1 million d’euros pour les associations locales gérant un service de médiation familiale ;
– 2,06 millions d’euros pour les associations gérant un espace de rencontre parent/enfant.
Ces crédits sont complétés par une dotation de 87 000 euros pour le développement du partenariat avec les fédérations et les associations nationales de médiation familiale et d’espaces de rencontre.
Les deux expérimentations menées au sein des tribunaux de grande instance de Bordeaux et d’Arras au cours de l’année 2015, la première relative à la « double convocation » (6) et la seconde au « préalable obligatoire de médiation » (7), ont pris fin le 31 décembre 2014 et ne font plus l’objet d’un financement.
On signalera, pour mémoire, que le présent programme comportait, dans la loi de finances pour 2015, une nouvelle action n° 5 relative à l’indemnisation des avoués. En effet, l’article 19 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d’appel a institué un fonds d’indemnisation des avoués (FIDA), ceux-ci ayant perdu le bénéfice du monopole de représentation en appel. Ce fonds, créé auprès de la Caisse des dépôts et consignations et géré par elle, est principalement alimenté par un droit de timbre (relevé à 225 euros et prolongé jusqu’en 2026 par l’article 97 de la loi de finances pour 2015) payé par les parties faisant appel dans les procédures civiles.
Après trois années de fonctionnement, un déséquilibre entre les montants des indemnisations allouées aux avoués et les ressources prévisibles du FIDA est apparu. L’État a donc dû abonder le fonds pour préserver son équilibre et financer ses engagements.
Plusieurs éléments ont finalement conduit à l’annulation des crédits ouverts en loi de finances pour 2015 à ce titre, dans le cadre du décret d’annulation du 9 juin 2015 :
– une ouverture de crédit par décret d’avance du 2 décembre 2014 a permis de contribuer au financement d’une subvention d’équilibre de 32,2 millions d’euros ;
– l’augmentation du droit de timbre précité (qui générera environ 32 millions d’euros par an) et la prolongation de sa période de perception ;
– la renégociation de l’échéancier de remboursement des avances accordées au FIDA par la Caisse des dépôts et consignations (qui a ramené l’annuité de remboursement à 32,3 millions d’euros à partir de 2016) ;
– l’orientation favorable des premières décisions de la Cour d’appel de Paris dans le contentieux qui oppose le FIDA aux anciens avoués.
Il n’est par conséquent plus nécessaire de prévoir une subvention du FIDA dans le présent projet de loi de finances.
SECONDE PARTIE : LA RÉFORME DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE
Depuis le rapport de la commission de réforme de l’accès au droit et à la justice, dit « rapport Bouchet » de 2001 (8), l’aide juridictionnelle a fait l’objet de très nombreuses réflexions et de rapports, qu’ils soient parlementaires (9), réalisés par des parlementaires en mission comme celui remis récemment par notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec (10) ou administratifs (11).
Le présent avis n’a pas pour objet de venir s’ajouter à la somme – déjà impressionnante – de ces rapports, mais de tenter d’éclairer la prise de décision de notre assemblée sur la réforme de l’aide juridictionnelle proposée par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2016 et, en particulier, en son article 15 que l’Assemblée nationale a adopté le 15 octobre 2015. L’aide juridictionnelle ne se résume en effet pas à une simple question budgétaire, mais constitue une composante essentielle du service public de la justice, en permettant aux plus démunis d’y avoir accès.
En dépit d’importants efforts financiers et de plusieurs réformes, le système de l’aide juridictionnelle est à bout de souffle (I). La réforme proposée par le Gouvernement, dont les modalités peuvent encore être affinées, précisées ou complétées en concertation avec les acteurs concernés, est par conséquent indispensable (II).
I. EN DÉPIT D’IMPORTANTS EFFORTS FINANCIERS ET DE PLUSIEURS RÉFORMES, LE SYSTÈME DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE EST À BOUT DE SOUFFLE
Le fonctionnement actuel de l’aide juridictionnelle n’est pas satisfaisant. Les plafonds de ressources, trop bas, conduisent à l’exclusion de justiciables aux revenus pourtant modestes (A). La hausse tendancielle des dépenses entraîne des besoins de financement croissants (B), dont la progression n’a pas été significativement enrayée par les efforts de rationalisation (C). La rétribution versée aux avocats reste, compte tenu de ces contraintes budgétaires, insuffisante (D).
A. LES PLAFONDS DE RESSOURCES, TROP BAS, CONDUISENT À L’EXCLUSION DE JUSTICIABLES AUX REVENUS MODESTES
Pour pouvoir bénéficier de l’aide juridictionnelle, les personnes doivent remplir un certain nombre de conditions de nationalité ou de résidence et de ressources. Les plafonds de ressources fixés, tant pour l’aide juridictionnelle totale (1) que pour l’aide juridictionnelle partielle (2), apparaissent trop bas.
S’agissant de l’aide juridictionnelle totale (qui conduit à la prise en charge par l’État de l’ensemble des dépenses encourues par le bénéficiaire pour faire valoir ses droits en justice), le plafond de ressources en vigueur est de 941 euros par mois. Il a été revalorisé de 0,5 % par la loi de finances pour 2015 (il était de 936 euros en 2014).
Ce plafond est inférieur au seuil de pauvreté (12), qui était de 1 000 euros en 2013 selon l’INSEE (13). Il est largement inférieur au montant net du salaire minimal interprofessionnel de croissance (SMIC) qui est de 1 135,99 euros en 2015.
Certes, la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique comporte quelques règles de nature à atténuer le caractère strict de la condition de ressources.
Tout d’abord, ce critère est écarté en raison de la situation dans laquelle se trouvent certains demandeurs. Tel est le cas pour :
– les victimes de crimes d’atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne (meurtre, acte de torture ou de barbarie, viol, etc.) ou ayants droits d’une victime de tels crimes en vue d’une action civile en réparation des dommages résultant des atteintes à la personne ;
– à titre exceptionnel, les personnes dont la situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès ;
– dans les litiges transfrontaliers au sein de l’Union européenne, les personnes apportant la preuve de leur incapacité à faire face aux dépenses couvertes par l’aide juridictionnelle en raison de la différence de coût de la vie entre la France et l’État membre où elles ont leur domicile ou leur résidence habituelle.
La condition de ressources est également écartée pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), du revenu de solidarité active (RSA) socle ou de l’allocation temporaire d’attente (ATA).
Ensuite, les textes prévoient des correctifs pour charges de famille. Les plafonds de ressources, pour l’aide juridictionnelle totale ou partielle, sont ainsi majorés de 169 euros par personne pour les deux premières personnes à charge, puis de 107 euros par personne à charge supplémentaire au-delà de deux.
Enfin, les prestations familiales et certaines prestations sociales (telles que la prestation de compensation du handicap (PCH), l’aide personnalisée de retour à l’emploi (APRE) ou l’aide personnalisée au logement) ne sont pas prises en compte dans l’appréciation des ressources.
En dépit de ces diverses corrections, le plafond d’admission, supérieur au seuil de pauvreté, reste trop élevé pour ne pas exclure de nombreux justiciables aux revenus modestes du bénéfice de l’aide juridictionnelle.
Lorsque les revenus du justiciable se situent entre 942 euros et 1 411 euros par mois, il peut bénéficier d’une aide juridictionnelle partielle, dégressive et divisée en six tranches, assurant un taux de prise en charge allant de 15 % du forfait prévu pour l’aide juridictionnelle totale pour la tranche de revenus la plus élevée à 85 % pour la plus basse.
L’AIDE JURIDICTIONNELLE PARTIELLE
Ressources mensuelles (pour une personne seule) |
Part prise en charge |
Entre 942 et 984 euros |
85 % |
Entre 985 et 1037 euros |
70 % |
Entre 1 038 et 1 112 euros |
55 % |
Entre 1 113 et 1 197 euros |
40 % |
Entre 1 198 et 1 303 euros |
25 % |
Entre 1 305 et 1 411 euros |
15 % |
L’aide juridictionnelle partielle serait, en théorie, de nature à « lisser » les effets de seuils et à permettre à des justiciables aux revenus modestes mais situés au-dessus du plafond de ressources de l’aide juridictionnelle totale de bénéficier d’un soutien dans l’exercice de leurs droits en justice.
En pratique, le recours à l’aide juridictionnelle partielle reste cependant très faible. En 2014, 89 368 décisions d’admission à l’aide juridique partielle ont été prises, sur un total de 896 786 décisions d’admission, soit moins de 10 %.
Ce recours limité à l’aide juridictionnelle partielle s’explique, selon les personnes entendues par votre rapporteure pour avis, par la complexité du dispositif et les incertitudes qui entourent sa mise en œuvre pour le justiciable, qui peut craindre que la charge résiduelle restant à sa charge reste trop élevée.
Les plafonds de ressources restent, par ailleurs, relativement peu élevés. Une personne gagnant le SMIC, par exemple, n’aura droit qu’à une prise en charge à hauteur de 40 %. Le coût résiduel d’une procédure juridictionnelle restant à sa charge est suffisant, par rapport à ses revenus, pour la faire renoncer à introduire une action en justice.
Les dépenses d’aide juridictionnelle connaissent une hausse tendancielle (1), conduisant à la recherche de nouvelles sources de financement (2).
a. Le nombre de décisions d’admission, après une forte augmentation entre 1991 et 2006, semble s’être stabilisé
Le nombre de décisions d’admission à l’aide juridictionnelle a augmenté considérablement entre 1991 et 2006 : il est passé de 348 587 à 904 532 entre ces deux dates, soit une augmentation de 159,5 %.
Depuis 2007, ce nombre est cependant resté quasiment constant aux alentours de 900 000 (890 138 en 2007, 896 786 en 2014), avec quelques fluctuations (comme le pic de 2013 à 919 625 admissions). Le nombre de demandes d’aide juridictionnelle s’est également stabilisé depuis 2007, autour de un million (1 052 171 en 2007, 1 056 497 en 2014).
ÉVOLUTION DES DEMANDES ET DES DÉCISIONS D’ADMISSION ET DE REJET D’AIDE JURIDICTIONNELLE DE 2007 À 2014
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 | |
Toutes décisions |
1 052 171 |
1 038 929 |
1 057 777 |
1 068 927 |
1 032 577 |
1 065 721 |
1 080 203 |
1 056 497 |
Toutes admissions |
890 138 |
890 020 |
901 630 |
912 191 |
882 607 |
915 563 |
919 625 |
896 786 |
Aide totale |
788 597 |
791 326 |
802 617 |
811 024 |
790 530 |
821 777 |
826 135 |
807 418 |
Aide partielle |
101 541 |
98 694 |
99 013 |
101 167 |
92 077 |
93 786 |
93 490 |
89 368 |
Autres décisions |
162 033 |
148 909 |
156 147 |
156 736 |
149 970 |
150 158 |
160 578 |
159 711 |
Dont rejets |
112 906 |
102 475 |
86 997 |
82 533 |
77 841 |
79 414 |
85 679 |
87 223 |
Taux de rejets définitif |
10,7 % |
9,9 % |
8,2 % |
7,7 % |
7,5 % |
7,5 % |
7,9 % |
8,3 % |
Source : Ministère de la Justice
En 2014, la répartition des bénéficiaires selon le type de contentieux était la suivante : 51,3 % en civil, 39,6 % en pénal, 6,2 % en droit administratif et 2,7 % en droit des étrangers.
Les crédits budgétaires consacrés à l’aide juridictionnelle ont augmenté fortement entre 2002 et 2014, passant de 219,18 millions d’euros à 328,46 millions d’euros entre ces deux dates, soit une hausse de 49,85 %.
Pour apprécier l’évolution des dépenses effectives d’aide juridictionnelle, il convient de prendre en compte, outre les dotations budgétaires, les autres ressources qui les complètent, à savoir :
– des crédits ayant fait l’objet d’une procédure de rétablissement (comme les dépenses recouvrées contre la partie condamnée aux dépens ou qui perd son procès dès lors que celle-ci n’est pas bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, ou contre le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle lorsque cette aide lui a été retirée par décision du bureau d’aide juridictionnelle ou de la juridiction saisie) ;
– le produit d’une ressource extrabudgétaire, comme la contribution pour l’aide juridique ;
– la variation des trésoreries des caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) entre la fin de l’année considérée et la fin de l’année précédente.
Si l’on intègre ces éléments, on observe une hausse des dépenses effectives de 15,5 % entre 2008 et 2014. Cette hausse sera encore plus marquée entre 2008 et 2016, même en se limitant aux seuls crédits budgétaires et aux ressources extrabudgétaires (soit 404,72 millions d’euros) : + 28,26 %.
ÉVOLUTION DES DÉPENSES EFFECTIVES D’AIDE JURIDICTIONNELLE ENTRE 2008 ET 2014
(en millions d’euros)
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 | ||
Dépense sur crédits budgétaires inscrits |
(1) |
306,76 |
299,93 |
309,65 |
344,40 |
292,91 |
317,31 |
328,46 |
Rétablissements de crédits |
(2) |
0,28 |
8,49 |
11,55 |
6,70 |
4,42 |
0,75 |
0,00 |
Produit de la contribution pour l’aide juridique |
(3) |
0 |
0 |
0 |
0 |
54 ,39 |
51,08 |
27,84 |
Évolution de la trésorerie des CARPA entre les fins d’année N et N – 1 |
(4) |
–8,5 |
–8,27 |
10,80 |
19,50 |
–15,46 |
–1,43 |
– 8,15 |
Dépense effective |
(5) = (1) + (2) + (3) – (4) |
315,54 |
316,70 |
310,40 |
331,6 |
367,18 |
370,57 |
364,47 |
Source : Ministère de la Justice
c. Cette hausse a vocation à se poursuivre avec l’extension du champ de l’aide juridictionnelle et des aides à l’intervention de l’avocat
La hausse des dépenses d’aide juridictionnelle (entendues au sens large car les dépenses qui suivent concernent des interventions non juridictionnelles des avocats ne relevant pas, au sens strict, de l’aide juridictionnelle) devrait se poursuivre au cours des prochaines années, compte tenu des extensions du périmètre de l’aide juridictionnelle intervenues récemment.
● L’assistance de l’avocat au cours de la garde à vue, de la retenue douanière ou de la retenue d’une personne étrangère pour vérification de son droit de séjour
Rappelons tout d’abord que, conformément à la décision n° 2010-14/22 QPC du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 et à deux décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 octobre 2010 (14), la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue a prévu que les personnes gardées à vue, les victimes confrontées avec une personne gardée à vue et les personnes en retenue douanière peuvent demander à être assistées par un avocat choisi par elles ou désigné d’office dès le début de la garde à vue, au cours des auditions et confrontations et pendant la prolongation de la garde à vue.
Le décret n° 2011-810 du 6 juillet 2011 relatif à l’aide à l’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue et de la retenue douanière a prévu une rétribution croissante selon le nombre d’interventions de l’avocat. L’avocat intervenant uniquement pour un entretien avec la personne gardée à vue au début de la garde à vue ou lors de la prolongation de cette mesure reçoit une rétribution de 61 euros hors taxes. Lorsqu’il intervient pour s’entretenir avec la personne gardée à vue, puis pour assister cette dernière lors de ses auditions et confrontations au cours des 24 premières heures, la contribution de l’État est de 300 euros hors taxes. En cas de prolongation, la rétribution complémentaire est de 150 euros hors taxes. Enfin, lorsque l’avocat assiste une victime lors de confrontations avec la ou les personnes gardées à vue, le forfait est de 150 euros hors taxes.
En pratique, le nombre de gardes à vue a notablement diminué entre 2010 et 2014 : il est passé de 523 069 en 2010 à 364 368 en 2014 (hors délits routiers et hors départements d’outre-mer), soit une diminution de 30,34 %. Les barreaux ont réorganisé leurs permanences pénales pour rendre effective cette assistance.
La loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour a également prévu le droit de l’étranger concerné de demander à être assisté par un avocat choisi par lui ou désigné par le bâtonnier. L’avocat peut communiquer avec la personne retenue pendant trente minutes de manière confidentielle. La contribution de l’État est de 61 euros hors taxes lorsque l’avocat intervient uniquement au début de la mesure de retenue et de 150 euros hors taxes lorsqu’il assiste également aux auditions.
La dépense au titre de l’aide à l’intervention de l’avocat au cours d’une garde à vue, d’une retenue douanière ou d’une retenue d’une personne étrangère pour vérification de son droit de séjour ou de circulation est estimée à 42,5 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2016.
● L’assistance de l’avocat lors d’une audition libre
L’article premier de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, qui a pris effet à compter du 1er janvier 2015, a prévu le droit de toute personne soupçonnée entendue librement à bénéficier du droit d’être assisté par un avocat choisi par elle ou, à sa demande, désigné d’office par le bâtonnier de l’ordre des avocats. Les frais d’assistance ne sont pas à la charge de la personne entendue si elle remplit les conditions d’accès à l’aide juridictionnelle.
Le coût de cette nouvelle mesure avait été estimé dans la loi de finances pour 2015 à 16,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, correspondant à environ 157 000 interventions d’un coût moyen prévisionnel de 105 euros. Les dépenses réelles ayant été bien inférieures à cette estimation, les crédits prévus à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2016 sont de 13,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement.
● L’assistance de l’avocat en cas de défèrement devant le procureur
L’article 8 de la loi du 27 mai 2014 précitée a consacré le droit des personnes déférées devant le procureur de la République lorsqu’il est envisagé de les poursuivre de bénéficier de l’assistance d’un avocat de son choix ou commis d’office (article 393 du code de procédure pénale). Les crédits prévus pour financer cette nouvelle mesure se sont élevés, dans la loi de finances pour 2015, à 2,48 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement. Le nombre d’interventions prévues est de 45 000, avec un coût moyen prévisionnel de 55 euros.
Par ailleurs, la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a prévu une rétribution de l’avocat lorsqu’il assiste des personnes retenues ou placées en rétention parce qu’elles sont suspectées d’avoir violé les obligations du contrôle judiciaire auquel elles sont astreintes (article 141-1 du code de procédure pénale), parce qu’elles sont placées au dépôt de nuit des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny ou Créteil (article 803-3 du même code) ou parce qu’elles ont été interpellées dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen (article 695-27 du même code).
L’article 35 de la loi de finances pour 2015 a aussi prévu une rétribution de l’avocat assistant le condamné devant le président du tribunal ou le juge délégué lors du débat contradictoire de révocation de la contrainte pénale (article 713-47 du code de procédure pénale) ainsi que pour l’avocat assistant le condamné devant la commission de l’application des peines (article 720 du code pénal).
Les modalités de rétribution des avocats à ces divers titres ont été précisées par le décret n° 2015-271 du 11 mars 2015.
Diverses sources nouvelles de financement ont été envisagées dans les rapports présentés au cours des dernières années. Certaines de ces pistes ont été mises en œuvre, d’autres ont été abandonnées, par choix politique ou à la suite d’une censure du Conseil constitutionnel. Il a souvent été préconisé d’affecter ces nouvelles recettes à un fonds dédié à l’aide juridictionnelle (15).
Ces sources de financement ayant fait l’objet d’une présentation très complète en annexe au rapport de notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec (16), elles ne seront que brièvement rappelées ici.
● La taxation du chiffre d’affaires des professions juridiques
La taxation du chiffre d’affaires des professions juridiques est une piste évoquée depuis plusieurs années, notamment dans le rapport Darrois de 2009 (17). Ce dernier proposait de créer une taxation, dont le produit devrait se situer autour de 300 millions d’euros pour permettre un quasi doublement du budget de l’aide juridictionnelle, du chiffre d’affaires des professionnels exerçant une activité juridique, que ce soit à titre principal (avocats, notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires, administrateurs et mandataires judiciaires) ou à titre accessoire dans le cadre d’une profession réglementée (greffiers des tribunaux de commerce, experts-comptables, etc.). Le choix du taux et de l’assiette devrait être arrêté par profession au regard de l’importance de son activité juridique. Un seuil de taxation de 120 000 euros était évoqué, de même qu’une variation du taux en fonction de l’importance du chiffre d’affaires.
Cette proposition a, jusqu’à présent, été mal accueillie par les professions juridiques concernées, en particulier par les représentants des avocats.
Une taxation des seuls avocats a aussi été envisagée et a naturellement rencontré une opposition encore plus forte de leur part.
● La taxation de certains actes juridiques
La taxation de l’ensemble des actes juridiques a parfois été évoquée, mais c’est plus souvent la taxation de certains d’entre eux qui a été privilégiée.
Le Conseil national des barreaux a recommandé de créer une taxe sur les mutations et actes soumis à droits d’enregistrement ainsi que sur les actes juridiques soumis à une formalité de dépôt ou de publicité (18).
Nos collègues Philippe Gosselin et George Pau-Langevin ont proposé d’augmenter les droits d’enregistrement portant sur les actes opérant une mutation de biens ou de droits potentiellement porteurs de litiges (comme les cessions de fonds de commerce ou les ventes d’immeubles).
Nos collègues sénateurs Sophie Joissains et Jacques Mézard ont aussi préconisé un relèvement des droits d’enregistrement sur certains actes.
● Une contribution de solidarité personnelle pesant sur les avocats ne contribuant pas de manière significative à l’aide juridictionnelle et sur les professions juridiques réglementées
M. Alain Carré-Pierrat, avocat général honoraire à la Cour de cassation, à qui la garde des Sceaux avait confié, en octobre 2013, une mission sur l’aide juridictionnelle, avait préconisé de mettre en place une contribution de solidarité pesant sur les avocats ne contribuant pas de manière significative à l’aide juridictionnelle, ainsi que les professions juridiques réglementées. En pratique, il convient en effet de souligner que l’aide juridictionnelle est assurée, pour une large part, par un nombre d’avocats relativement restreint : selon les chiffres cités par la garde des Sceaux le 15 octobre 2015, 57 % de l’aide est assurée par 7 % des avocats, et 84 % par 17 % d’entre eux (19).
S’agissant des avocats, cette contribution aurait été personnelle et forfaitaire en fonction de leurs revenus (exonération jusqu’à 36 000 euros, 100 euros annuels de 36 001 à 60 000 euros, 200 euros de 60 001 à 120 000 euros puis 300 euros au-delà de 120 000 euros de revenus annuels). Les avocats inscrits depuis moins de trois ans et apportant leur concours à une structure conventionnée en auraient été exonérés.
Cette contribution de solidarité aurait été complétée par la taxation de certains actes juridiques soumis à enregistrement ou à dépôt et des contrats de protection juridique.
● L’augmentation de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance
De nombreux rapports ont préconisé d’augmenter la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA), en limitant cette augmentation aux seuls contrats de protection juridique.
● Le financement par les justiciables
Sous la législature précédente, le Gouvernement avait fait le choix de faire financer l’aide juridictionnelle par les justiciables eux-mêmes, au moyen d’une contribution pour l’aide juridique (CPAJ).
Mise en place par la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, la contribution pour l’aide juridique devait être acquittée, à compter du 1er octobre 2011, par tout justiciable introduisant une instance en matière civile, commerciale, prud’homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou engageant une instance devant une juridiction administrative. Cette contribution, d’un montant de 35 euros, n’était pas due par les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, par l’État et pour un certain nombre de contentieux.
Son produit était affecté à la rétribution des missions d’aide juridictionnelle accomplies par les avocats en complément des crédits budgétaires ouverts en loi de finances. Il était versé au Conseil national des barreaux (CNB) qui décidait de sa répartition entre les barreaux par l’intermédiaire de l’Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats (UNCA). Ainsi, en 2013, les caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) avaient reçu 51,1 millions de produits de la CPAJ, soit 18 % des sommes versées à des avocats ayant effectué des missions d’aide juridictionnelle.
Constatant que la CPAJ pouvait constituer, pour certains justiciables, un obstacle au libre accès à la justice (20), le Gouvernement a décidé de la supprimer. L’article 128 de la loi n° 2013-1278 de finances pour 2014 a ainsi abrogé l’article 1635 bis Q du CGI : la CPAJ n’est plus due pour les instances introduites après le 1er janvier 2014.
L’article 35 de la loi de finances pour 2015 a prévu une série de mesures destinées à accroître les moyens financiers alloués à l’aide juridictionnelle :
– une augmentation de 2,6 points de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance de protection juridique, qui est passée de 9 % à 11,6 %, pour un montant affecté au Conseil national des barreaux (CNB) de 25 millions d’euros par an ;
– une revalorisation de 40,6 % du montant du droit fixe de procédure (21), qui était resté inchangé depuis le 1er janvier 1998, dont le produit a été affecté, dans la limite de 7 millions d’euros par an, au CNB ;
– une revalorisation de 22 % de la taxe forfaitaire sur les actes des huissiers de justice, restée inchangée depuis le 1er janvier 1998, qui était fixée à 9,15 euros et qui a été relevée à 11,6 euros, dont le produit a été affecté au CNB dans la limite de 11 millions d’euros par an.
Au total, ce sont 43 millions d’euros de ressources extrabudgétaires qui ont été affectés au CNB pour financer les dépenses d’aide juridictionnelle.
c. La contribution à l’accès au droit et à la justice prévue par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques
L’article 50 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite « loi Macron ») a créé un « fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice ». L’article L. 444-2 du code de commerce prévoit que sa finalité principale est de financer « une redistribution entre professionnels, afin de favoriser la couverture de l’ensemble du territoire par les professions judiciaires et juridiques et l’accès du plus grand nombre au droit ». Une partie des ressources abondant ce fonds sont destinées à financer l’aide juridictionnelle, l’accès au droit et les maisons de la justice et du droit.
Le même article 50 mettait en place, pour alimenter ce fonds, une contribution à l’accès au droit et à la justice.
Cette nouvelle contribution était due par les personnes physiques ou morales titulaires d’un office de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d’huissier de justice ou de notaire ou exerçant à titre libéral l’activité d’administrateur judiciaire ou de mandataire judiciaire, d’avocat pour les droits et émoluments perçus en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires mentionnés à l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
Elle était assise sur la valeur hors taxes de tout bien ou sur le montant hors taxes de tout droit, pour lequel le tarif est fixé proportionnellement à ceux-ci, et qui est supérieur à un seuil de 300 000 euros. Ce seuil pouvait être révisé par arrêté conjoint des ministres de la justice et du budget, en tenant compte des besoins de couverture de l’ensemble du territoire par les professions judiciaires et juridiques et d’accès du plus grand nombre au droit.
Le taux de la contribution était fixé par arrêté conjoint des ministres de la justice et du budget, entre 0,05 et 0,2 %.
Dans sa décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 (« Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques »), le Conseil constitutionnel, sans remettre en cause l’existence du fonds lui-même, a censuré les dispositions du paragraphe III de l’article 50 qui instituaient cette contribution. Il a relevé que ces dispositions habilitaient le pouvoir réglementaire à fixer les règles concernant l’assiette de cette taxe, dont la détermination revient en principe au législateur en application de l’article 34 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel en a déduit que le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence.
Plusieurs mesures ont été adoptées ces dernières années en vue d’une rationalisation des dépenses d’aide juridictionnelle. Aucune n’a cependant généré d’économies significatives.
● La facilitation de la prise en charge de la rétribution de l’avocat intervenant à l’aide juridictionnelle par la partie qui succombe
Avant la loi de finances pour 2014, l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 permettait à l’avocat du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle de demander au juge la condamnation de la partie tenue aux dépens ou qui perdait son procès, non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, au paiement des émoluments que le bénéficiaire aurait dû payer à l’avocat s’il n’avait pas eu l’aide juridictionnelle. Cette procédure restait cependant peu utilisée. En 2012, elle n’a joué que dans 547 procédures, soit 0,07 % des missions d’aide juridictionnelle effectuées cette année-là, et, en 2013, dans 604 procédures, soit à nouveau 0,07 % des missions de l’année considérée.
L’article 128 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a modifié l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 pour rendre ce dispositif plus attractif. Il a, en particulier, prévu que le juge devait désormais condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès, si elle est non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, à payer l’avocat de la partie adverse, intervenant au titre de l’aide juridictionnelle. L’avocat n’a donc plus à en faire la demande au juge. Ce dernier tient cependant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée et peut, pour ces mêmes motifs, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. En outre, il a été précisé que la somme déterminée par le juge devant être versée à l’avocat du bénéficiaire de l’aide ne saurait être inférieure à la part contributive de l’État, ce qui rend le dispositif plus attractif. Enfin le délai de recouvrement de l’indemnité allouée a été allongé.
Afin d’assurer une large connaissance de ce dispositif, le décret n° 2013-1280 du 29 décembre 2013 a inscrit les dispositions de l’article 128 sous l’article 700 du code de procédure civile.
On constate qu’au terme d’un an de mise en œuvre de cette réforme, le dispositif de l’article 37 a été utilisé en 2014 dans 696 procédures, soit 0,09 % des 791 448 missions. Ce chiffre est en augmentation de 15 % par rapport à l’année précédente.
● Le renforcement des procédures de retrait de l’aide juridictionnelle
L’article 50 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit que le bénéfice de l’aide juridictionnelle est retiré, même après l’instance ou l’accomplissement des actes pour lesquels il a été accordé, si ce bénéfice a été obtenu à la suite de déclarations ou au vu de pièces inexactes. Il est également retiré, en tout ou partie, dans les cas suivants :
– s’il survient au bénéficiaire, pendant cette instance ou l’accomplissement de ces actes, des ressources telles que si elles avaient existé au jour de la demande d’aide juridictionnelle, celle-ci n’aurait pas été accordée ;
– lorsque la décision passée en force de chose jugée a procuré au bénéficiaire des ressources telles que si elles avaient existé au jour de la demande d’aide juridictionnelle, celle-ci ne lui aurait pas été accordée ;
– lorsque la procédure engagée par le demandeur bénéficiant de l’aide juridictionnelle a été jugée dilatoire ou abusive.
La loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a renforcé ce dispositif, en rendant obligatoire le retrait dans les deux cas de « retour à meilleure fortune » ainsi qu’en cas de procédure dilatoire ou abusive. Auparavant, la décision de retrait était laissée à l’appréciation du bureau d’aide juridictionnelle (BAJ). En cas de procédure dilatoire ou abusive, le retrait est en outre prononcé par la juridiction saisie, et non par le BAJ.
En 2013, le nombre de retraits était de 1 086, contre 937 en 2010. L’effet de ces changements semble être resté, à ce jour, limité.
● Le renforcement de la mise en œuvre du principe de subsidiarité de l’aide juridictionnelle lorsque les frais de procès peuvent être pris en charge par l’assurance juridique
La loi n° 2007-210 du 19 février 2007 portant réforme de l’assurance de protection juridique a introduit à l’article 2 de la loi du 10 juillet 1991 le principe de la subsidiarité de l’aide juridictionnelle. Ce principe signifie que l’aide juridictionnelle n’est pas accordée lorsque les frais afférents aux instances, procédures ou actes pour laquelle elle est demandée, sont couverts par un contrat d’assurance de protection juridique ou tout autre système de protection applicable. Ce principe a été mis en œuvre par le décret n° 2008-1324 du 15 décembre 2008.
Le décret n° 2014-1502 du 12 décembre 2014 a été pris pour renforcer l’effectivité du principe de subsidiarité de l’aide juridictionnelle. Dans le dispositif antérieur, un justiciable pouvait déposer une demande d’aide juridictionnelle même s’il disposait d’un justificatif de prise en charge établi par son assureur ou son employeur. Désormais, cette possibilité est supprimée. Si le demandeur a indiqué qu’il bénéficie d’une assurance ou d’un autre système de protection applicable, il lui appartiendra de produire un justificatif de non-prise en charge. La notice actualisée de la demande d’aide juridictionnelle invite en outre plus clairement le demandeur à vérifier ses contrats et à contacter son assureur ou son employeur.
Ce nouveau dispositif représente sans doute un progrès, mais il ne met cependant pas fin à la principale cause du faible recours au principe de subsidiarité de l’aide juridictionnelle, à savoir l’exclusion de nombreux contentieux (tels que les contentieux familial et pénal) des contrats de protection juridique.
a. Un système complexe fondé sur la « modulation » d’une unité de valeur de référence affectée d’un barème par type de procédure
La rétribution des avocats à l’aide juridictionnelle résulte du produit du montant d’une unité de valeur (UV) fixé en loi de finances par un coefficient représentant la charge de travail correspondant à chaque type de mission, ce coefficient étant fixé dans un barème figurant à l’article 90 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
En application de ce barème, une procédure de divorce par consentement mutuel, par exemple, représente 30 UV de base, auquel on peut ajouter 9 UV pour une expertise avec déplacement ou 2 UV pour les médiations ordonnées par le juge. Une instruction criminelle vaut 50 UV ; un contentieux prud’homal, 30 UV de base, plus éventuellement 2 UV pour une enquête sociale et 4 UV pour une expertise sans déplacement.
L’unité de valeur de référence, qui n’a pas été revalorisée depuis 2007, est d’un montant de 22,50 euros (22).
L’UV n’est cependant pas du même montant dans tous les barreaux, en application d’un système dit de « modulation ». En effet, pour les missions d’aide juridictionnelle totale, le montant de l’unité de valeur de référence, tel qu’il est fixé par la loi de finances, est majoré selon un barème comportant dix tranches égales permettant de classer chaque barreau à l’intérieur de l’une de ces dix tranches en fonction du volume des missions effectuées au titre de l’aide juridictionnelle au cours de l’année précédente au regard du nombre d’avocats inscrits au barreau. Le classement des barreaux en dix groupes figure en annexe à une circulaire du ministère de la Justice du 29 décembre 2006 et les majorations de l’UV de référence applicables sont fixées par un arrêté du 28 décembre 2006.
Les barreaux de Grasse, de Nice, de Paris et des Hauts-de-Seine, par exemple, se situent dans le groupe 1 et l’UV y est d’un montant de 22,84 euros. À l’autre bout de l’échelle, les barreaux de Béthune, de Laon et de Saumur, par exemple, figurent dans le groupe 10 et l’UV y est d’un montant de 25,90 euros.
L’article 128 de la loi de finances pour 2014 avait prévu de supprimer la possibilité de moduler l’unité de valeur servant de base au calcul de la rémunération des avocats pour les justiciables bénéficiant de l’aide juridictionnelle totale à compter du 1er janvier 2015 (mesure dite de « démodulation »). Le Gouvernement a décidé de tenir compte des critiques de la profession d’avocat ainsi que des recommandations de notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec. La « démodulation » a par conséquent été supprimée par la loi de finances pour 2015, pour un coût estimé à 11,2 millions d’euros en 2015.
Les représentants des avocats considèrent que la rétribution au titre de l’aide juridictionnelle est insuffisante et que ceux qui interviennent à ce titre travaillent donc « à perte ».
Il convient de souligner, en premier lieu, que l’UV n’a effectivement pas été revalorisée depuis 2007.
En deuxième lieu, les représentants des avocats font valoir que le coût horaire d’un cabinet d’avocats se situerait autour de 125 euros hors taxes, rémunération des avocats incluse. Une UV étant censée représenter environ une demi-heure de travail, ils avancent qu’il faudrait environ doubler les dépenses d’aide juridictionnelle pour que la rétribution versée soit satisfaisante.
Enfin, l’Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats (UNCA) souligne que la hausse des dépenses d’aide juridictionnelle constatée au cours des dernières années n’a aucunement amélioré la rétribution des avocats. Elle serait en effet imputable aux hausses successives de la taxe sur la valeur ajoutée, qui est passée de 5,5 % à 19,6 % puis 20 %, ainsi qu’aux extensions de périmètre de l’aide juridictionnelle au sens large (assistance à l’intervention de l’avocat lors de la garde à vue et d’autres procédures, précitées).
La réforme proposée par le Gouvernement dans le présent projet de loi de finances est issue d’une large concertation engagée par la garde des Sceaux le 16 décembre 2014, à la suite du rapport remis par notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec, avec les professionnels du droit, le secteur associatif, ainsi que des magistrats et greffiers en chef issus de juridictions de taille différente.
Quatre groupes de travail ont ainsi été constitués :
– sur la sociologie des acteurs de l’aide juridictionnelle et la définition des besoins des citoyens (23) ;
– sur la rétribution des avocats (24) ;
– sur l’amélioration des processus et l’aide juridictionnelle au quotidien (25) ;
– sur la gouvernance et le financement de l’aide juridictionnelle (26).
Le coût de la réforme proposée est estimé à 25 millions d’euros en 2016 et à 50 millions d’euros en 2017, qui sera la première année pleine pour son application. Ses grands axes sont les suivants :
– le relèvement du plafond de ressources d’accès à l’aide juridictionnelle totale pour le porter à 1 000 euros pour une personne seule et son indexation sur l’inflation ;
– la revalorisation de l’unité de valeur de référence de 22,50 euros hors taxes à 24,20 euros hors taxe et la suppression de la modulation géographique des unités de valeur au profit d’une contractualisation locale permettant de mieux prendre en compte la spécificité de chaque barreau ;
– une refonte du barème utilisé pour calculer la rétribution des avocats (qui est de nature réglementaire mais qui doit évidemment être prise en compte dans le projet de loi de finances puisqu’elle a un impact significatif sur l’équilibre financier de la réforme) ;
– l’introduction d’une rétribution de l’avocat et du médiateur en cas d’injonction à rencontrer un médiateur ou d’homologation d’un accord, afin de développer les modes alternatifs de règlement des litiges ;
– la poursuite de la diversification des sources de financement de l’aide juridictionnelle, avec le relèvement de la taxe sur les contrats d’assurance de protection juridique et de la taxe sur les actes d’huissier, l’affectation d’une partie du produit des amendes pénales au Conseil national des barreaux (CNB) et la création d’une contribution financière de la profession d’avocat par le biais d’une affectation au conseil national des barreaux (CNB) d’une partie des produits financiers des fonds des justiciables placés par les caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA).
Le 2° du I de l’article 15 du projet de loi de finances modifie l’article 4 de la loi du 10 juillet 1991 afin de relever les plafonds de ressources pour l’admission à l’aide juridictionnelle totale et à l’aide juridictionnelle partielle respectivement à 1 000 euros (au lieu de 941 euros) et à 1 500 euros (au lieu de 1 411 euros). Ces plafonds seront en outre désormais révisés chaque année en fonction de l’inflation, et non plus comme la tranche la plus basse du barème de l’impôt sur le revenu.
Selon le Gouvernement, le relèvement du seuil d’admission à l’aide juridictionnelle rendra près de 100 000 personnes supplémentaires éligibles. Le coût de cette mesure est estimé à 7 millions d’euros en 2016 et à 28 millions d’euros en 2017, en année pleine.
Votre rapporteure pour avis se félicite de ce relèvement des plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle, qui est indispensable pour que des justiciables aux revenus modestes ne soient pas exclus. Un relèvement du plafond d’admission à l’aide juridictionnelle totale au niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) reste cependant hautement souhaitable et devrait être réalisé dès que le contexte budgétaire le permettra.
B. LE RELÈVEMENT DE L’UNITÉ DE VALEUR DE RÉFÉRENCE ET LA SUPPRESSION DE LA DÉMODULATION GÉOGRAPHIQUE
Le 1° du I de l’article 15 du présent projet de loi de finances introduit un nouvel article 1-3 au sein de la loi du 10 juillet 1991 fixant le montant de l’unité de valeur (UV) de référence à 24,20 euros hors taxes, au lieu de 22,50 euros hors taxe aujourd’hui, soit une hausse de 6 %. Rappelons que l’UV n’a pas été revalorisée depuis 2007.
Cette valeur de l’UV socle nationale correspond, d’après les chiffres fournis par l’Union nationale des caisses des règlements pécuniaires des avocats (UNCA), au montant moyen de l’UV constaté en 2014 au niveau national en tenant compte de la modulation géographique. En effet, au cours de cet exercice, les avocats ont effectué 729 908 missions, rétribuées 9 115 982 UV, et les versements des CARPA ont représenté 220 521 115 euros hors taxes, soit un montant moyen de l’UV de 24,19 euros.
Cette revalorisation de l’unité de valeur de référence s’accompagne d’une suppression de la modulation géographique des UV.
Si l’on ne tenait pas compte de la rétribution complémentaire qui sera versée dans le cadre de la contractualisation locale (voir infra), le montant de l’UV de référence proposé par le Gouvernement produirait des effets contrastés selon les barreaux :
– dans les barreaux appartenant aux groupes 1 à 4 inclus, soit 36 barreaux, l’UV socle nationale sera d’un montant supérieur à l’UV majorée actuelle (27) ;
– dans les barreaux appartenant au groupe 5, soit 23 barreaux, le montant de l’UV socle nationale proposé correspond au montant actuel de l’UV (28) ;
– dans les barreaux appartenant aux groupes 6 à 10, soit 120 barreaux (29), le montant proposé est en revanche inférieur à la valeur actuelle de l’UV.
Le Gouvernement propose de compenser intégralement les pertes entraînées pour certains barreaux par la suppression de la démodulation géographique par le biais d’une contractualisation locale entre les barreaux et les tribunaux de grande instance. Une rétribution complémentaire sera versée aux avocats dans ce cadre. Près de 5 millions d’euros sont prévus à ce titre en 2016 et 20 millions d’euros en 2017.
Votre rapporteure pour avis se félicite que l’unité de valeur soit revalorisée, ce qui n’avait pas été fait depuis plus de huit ans. Il ne serait cependant pas illégitime que le montant de l’UV socle nationale soit fixé au niveau de l’UV actuelle la plus élevée, celle du groupe 10, soit 25,90 euros. Ce montant permettrait de garantir plus clairement qu’indépendamment de la rétribution complémentaire prévue dans le cadre de la contractualisation locale, aucun barreau ne puisse voir ses conditions actuelles de rétribution se dégrader.
Il existe déjà, en l’état du droit, une contractualisation entre les barreaux, représentés par leur bâtonnier, et les tribunaux de grande instance, qui permet une rétribution complémentaire des avocats au titre de l’aide juridictionnelle. Cette contractualisation repose sur deux instruments : les protocoles relatifs à l’amélioration de la défense pénale, dits « protocoles de l’article 91 », et les « protocoles garde à vue ».
● Les protocoles relatifs à l’amélioration de la défense pénale sont prévus par l’article 91 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Ils permettent de majorer, dans une proportion maximale de 20 %, la rétribution des avocats dans les barreaux ayant souscrit des engagements d’objectifs assortis de procédures d’évaluation visant à assurer une meilleure organisation de la défense pénale.
Ces engagements font l’objet d’un protocole passé avec le tribunal de grande instance près lequel le barreau est établi. Les protocoles sont homologués par un arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice, qui fixe le montant de la majoration appliquée lors de la liquidation de la dotation annuelle. À ce jour, des protocoles ont été conclus avec une quarantaine de barreaux.
● Les protocoles dits de garde à vue et de rétention douanière sont prévus pour leur part par l’article 132-20 du décret du 19 décembre 1991. Ils permettent de verser une subvention aux barreaux qui ont établi une convention relative à l’organisation matérielle des permanences qu’ils mettent en place pour garantir l’assistance par un avocat désigné d’office des personnes gardées à vue, placées en retenue ou en rétention dans les conditions prévues par le code de procédure pénale, en retenue douanière ou des étrangers placés en retenue aux fins de vérification de leur droit de circulation ou de séjour ainsi que des victimes au cours des confrontations avec la personne gardée à vue ou placée en retenue ou en rétention. Une soixantaine de conventions ont été conclues.
Au total, ces deux dispositifs représentent environ 6,6 millions d’euros par an.
Le 1° du I de l’article 15 du projet de loi de finances prévoit un nouveau dispositif de contractualisation entre les barreaux et les présidents des tribunaux de grande instance, qui se substituera aux dispositifs existants.
Cette nouvelle contractualisation permettra de mettre en œuvre des actions organisationnelles ou de formation afin de renforcer la qualité des interventions effectuées par les avocats du barreau. Elle permettra aussi de verser une rétribution complémentaire destinée à prendre en compte les charges et les contraintes spécifiques à certaines missions d’aide juridique, la longueur et la complexité des procédures au titre desquelles l’aide est accordée ainsi que les conditions particulières d’exercice de ces missions dans le ressort de la juridiction au sein desquelles elles sont réalisées. Cette rétribution complémentaire pourra prendre la forme d’une forfaitisation ou d’un ajustement du nombre d’unités de valeur par rapport au nouveau barème en vigueur (voir infra).
Un décret en Conseil d’État définira notamment :
– les missions susceptibles d’ouvrir droit au bénéfice de la rétribution complémentaire ;
– les conditions dans lesquelles, dans le ressort de chaque tribunal de grande instance, une convention conclue entre les chefs de juridictions et le bâtonnier, après avis du premier président de la cour d’appel et du procureur général près cette cour, arrête le montant ou le mode de calcul de la rétribution complémentaire ;
– les modalités d’évaluation de la mise en œuvre de cette convention au sein de chaque barreau.
À défaut de convention passée dans le délai de trois mois suivant la publication dudit décret, le montant ou le mode de calcul de la rétribution complémentaire applicable dans le barreau concerné sera fixé par arrêté du garde des Sceaux.
En 2016, le Gouvernement a prévu de consacrer 27,4 millions d’euros à cette contractualisation, dont 6,6 millions d’euros de redéploiement des dispositifs existants, 4,8 millions d’euros pour la compensation à due concurrence de la suppression de la modulation géographique actuelle de l’UV (20 millions d’euros en 2017) et une mesure nouvelle de 16 millions d’euros (25 millions d’euros en 2017) pour le développement de la contractualisation.
En l’absence d’une péréquation nécessaire entre les barreaux qui aurait pu être organisée par la profession elle-même, votre rapporteure pour avis approuve pleinement ce développement de la contractualisation, qui permettra d’assurer une meilleure rétribution des avocats en tenant compte de la spécificité de chaque barreau.
Le Gouvernement a annoncé une refonte du barème applicable à la rétribution des avocats. Le nouveau barème intégrera en un document unique le barème prévu par l’article 90 du décret du 19 décembre 1991 (relatif à l’aide juridictionnelle au sens strict) et les autres rétributions prévues par l’article 132 du même décret pour l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles (garde à vue, retenue, composition et médiation pénale et assistance aux détenus). Il inclura aussi les rétributions prévues pour les autres auxiliaires de justice.
Ce nouveau barème est de nature réglementaire : sa refonte ne figure donc pas dans le projet de loi de finances. Elle a cependant été prise en compte dans le calcul de l’équilibre financier de la réforme. Selon le Gouvernement, elle devrait générer une économie de 8 millions d’euros en 2016 et de 33 millions d’euros en 2017.
Le barème projeté (30) procède à d’importants ajustements, à la hausse ou à la baisse, qui peuvent être illustrés par les exemples suivants :
● Exemples de diminutions du nombre d’UV
– pour une procédure de divorce par consentement mutuel où chaque époux a son propre avocat, le nombre d’UV passe de 30 à 25,5. Si les deux époux ont le même avocat, le nombre d’UV passe de 50 à 40 ;
– pour un référé devant le tribunal d’instance, le nombre d’UV passe de 16 à 6 et pour l’instance au fond devant cette même juridiction, de 21 à 16 ;
– pour une procédure prud’homale sans départage, le nombre d’UV passe de 30 à 2, et de 36 à 30 avec départage.
● Exemples de hausse du nombre d’UV
– l’intervention de l’avocat lors de l’audition d’une personne entendue librement est revalorisée de 3,64 UV (88 euros hors taxes) à 4 UV (96,8 euros) ;
– l’intervention de l’avocat pour l’assistance d’une personne détenue faisant l’objet d’une procédure disciplinaire en relation avec sa détention est revalorisée de 3,64 UV (88 euros hors taxes) à 5 UV (121 euros hors taxes) ;
– l’intervention de l’avocat pour l’assistance d’une personne détenue faisant l’objet d’une mesure d’isolement d’office, de prolongation de cette mesure ou de levée, sans son accord, d’un placement à l’isolement à sa demande est revalorisée de 3,64 UV (88 euros hors taxes) à 5 UV (121 euros hors taxes).
En outre, les interventions des avocats en matière de médiation, qui n’étaient pas du tout rétribuées, le seront désormais et sont donc intégrées dans le nouveau barème (voir infra).
Le projet de barème a suscité des réactions très négatives de la part des représentants des avocats. Le CNB a notamment demandé le retrait de la révision de tout barème qui se traduirait par une diminution de la rétribution des missions accomplies, dans une délibération adoptée à l’unanimité le 8 octobre 2015.
Votre rapporteure pour avis estime qu’une refonte du barème, qui apparaît obsolète et ne pas refléter adéquatement la durée du travail requis par certaines procédures, est nécessaire. Certains des ajustements à la baisse prévus par le projet de barème, en matière de procédure prud’homale et de divorce notamment, apparaissent cependant excessifs et pourraient faire l’objet d’une concertation renouvelée avec la profession.
Le 7° du I de l’article 15 du projet de loi de finances pour 2016 prévoit une rétribution des avocats et des médiateurs qui interviendront dans le cadre de la médiation. Un nouvel article 64-5 est ainsi inséré au sein de la loi du 10 juillet 1991.
Son premier alinéa prévoit que l’avocat qui assiste une partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle dans le cadre d’une médiation ordonnée par le juge a droit à une rétribution. Son deuxième alinéa dispose que lorsque le juge est saisi aux fins d’homologation d’un accord intervenu à l’issue d’une médiation qu’il n’a pas ordonnée, une rétribution est due à l’avocat qui a assisté une partie éligible à l’aide juridictionnelle. Son troisième alinéa précise que le décret en Conseil d’État qui définira les modalités d’application de cet article définira également les conditions dans lesquelles une partie éligible à l’aide juridictionnelle peut obtenir la prise en charge d’une part de la rétribution due au médiateur.
Le projet de barème prévoit, pour une médiation ordonnée par le juge, une rétribution de 3 UV. S’agissant d’une médiation extra-judiciaire (homologation d’un accord par le juge), la rétribution serait de 4 UV pour l’avocat et de 8 pour le médiateur. Dans le cadre de la médiation judiciaire, le nombre d’UV actuellement prévu pour l’avocat intervenant dans le cadre de la médiation familiale est relevé de 2 à 4 et 8 UV sont prévues pour la rétribution du médiateur.
Le Gouvernement évalue la dépense à 3 millions d’euros pour 2016 et à 8 millions d’euros pour 2017.
Votre rapporteure pour avis se félicite que l’aide juridictionnelle soit ainsi étendue aux modes alternatifs de règlement des litiges.
Il s’agit d’une première étape très positive en faveur du développement du recours à la médiation. Il serait souhaitable que les crédits budgétaires alloués à ce développement soient progressivement augmentés au cours des prochaines années.
L’article 15 du projet de loi de finances pour 2015 prévoit d’affecter à l’aide juridictionnelle de nouvelles ressources extrabudgétaires, pour un montant cumulé de 68 millions d’euros en 2016. Il supprime également l’affectation à l’aide juridictionnelle de certaines des ressources qui lui avaient été dédiés par la loi de finances pour 2015.
Le IV de l’article 15 du projet de loi de finances pour 2016 prévoit un nouveau relèvement du taux de la taxe sur les contrats d’assurance de protection juridique. Ce taux avait déjà été relevé de 9 % à 11,6 % (+ 2,6 %) par la loi de finances pour 2015, avec une affectation du produit de cette fraction de 2,6 % au Conseil national des barreaux (CNB), dans la limite de 25 millions d’euros par an.
Le projet de loi de finances pour 2016 porte le taux de cette taxe à 12,5 % en 2016 puis à 13,4 % en 2017. Le produit correspondant est affecté au CNB à hauteur de 35 millions d’euros en 2016 et de 45 millions en 2017.
Votre rapporteure pour avis observe que ce nouveau relèvement aura sans doute pour effet d’augmenter le coût des contrats de protection juridique, ce qui pourrait conduire à une baisse du taux de couverture et, in fine, à une hausse des dépenses d’aide juridictionnelle compte tenu de son caractère subsidiaire par rapport à l’assurance de protection juridique.
Il lui semble qu’il serait préférable de s’inspirer des propositions formulées sur ce sujet par nos collègues Philippe Gosselin et George Pau-Langevin dans leur rapport d’information n° 3319 au nom de la commission des Lois. Celles-ci visaient notamment :
– à renforcer l’information des assurés sur les garanties souscrites, notamment par la distinction des contrats d’assurance de protection juridique des autres contrats d’assurance au sein desquels elle est souvent intégrée afin qu’elle soit clairement identifiable et avec la mise en place d’une attestation délivrée automatiquement à l’assuré dès la signature du contrat pour l’informer clairement, en partenariat avec les sociétés d’assurance ;
– à définir un « socle minimal » de garanties devant être respecté par tout contrat d’assurance de protection juridique (qui devrait notamment systématiquement prévoir la prise en charge obligatoire des frais d’assistance et de représentation par un avocat librement choisi) ;
– à encourager l’assurance de groupe, souscrite par une entreprise pour le compte de ses salariés par exemple.
Le V de l’article 15 du projet de loi de finances pour 2016 prévoit un prélèvement de 5 millions d’euros en 2016 et de 10 millions d’euros en 2017 sur le produit des placements des fonds, effets et valeurs reçus par les avocats au nom de leurs clients. Ces sommes seront affectées au CNB pour le financement de l’aide juridique.
Rappelons que les avocats sont tenus de déposer les fonds, effets ou valeurs qu’ils reçoivent de leurs clients dans une caisse créée obligatoirement à cette fin par chaque barreau ou en commun par plusieurs barreaux, en application du 9° de l’article 53 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaire et juridique.
En application de ces dispositions, 130 caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) ont été créées, pour 164 barreaux (certaines caisses étant communes à plusieurs barreaux). Ces caisses perçoivent également sur un compte spécial les dotations annuelles versées par l’État pour assurer la rétribution des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle.
Le fonctionnement des CARPA est principalement régi par les articles 236 à 242 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat. Les CARPA assurent une garantie totale et sans condition pour les clients des avocats de la représentation des fonds qu’ils leur confient, ainsi qu’une traçabilité des fonds maniés dans le respect du secret professionnel que l’avocat partage avec son bâtonnier. Elles constituent également un instrument de lutte contre le blanchiment d’argent.
La mutualisation des fonds déposés en CARPA conduit à un solde placé sur les marchés financiers. Selon les informations communiquées par l’Union nationale des CARPA (UNCA), le solde cumulé des CARPA oscille entre 2,7 et 3 milliards d’euros depuis plusieurs années. Les produits financiers de ces placements généreraient, selon les chiffres cités par la garde des Sceaux (31), 75 millions d’euros par an.
L’article 235-1 du décret précise l’affectation de ces produits financiers. Il prévoit que :
« Les produits financiers des fonds, effets ou valeurs mentionnés au 9° de l’article 53 de la loi du 31 décembre 1971 précitée sont affectés exclusivement :
1° Au financement des services d’intérêt collectif de la profession, et notamment des actions de formation, d’information et de prévoyance, ainsi qu’aux œuvres sociales des barreaux ;
2° À la couverture des dépenses de fonctionnement du service de l’aide juridictionnelle et au financement de l’aide à l’accès au droit. »
Le V de l’article 15 prévoyait que l’affectation de ces produits financiers au CNB pour financer l’aide juridique se ferait « préalablement à toute autre utilisation ». Un amendement de votre rapporteure, adopté lors de l’examen de cet article en séance le 15 octobre 2015, a supprimé cette précision, qui paraissait inutile dès lors que cette contribution, prévue par la loi, est obligatoire.
Le V prévoit que cette contribution sera répartie au prorata du montant des produits financiers générés au titre de l’année précédant l’année au titre de laquelle la contribution est due. Il précise qu’elle sera recouvrée, sous le contrôle du ministère de la Justice, par le CNB et que le contentieux, les garanties et les sanctions relatifs à cette contribution sont régis par les règles applicables en matière de créances étrangères à l’impôt et aux domaines.
Ce prélèvement a suscité une très forte opposition des représentants de la profession d’avocat. L’UNCA a ainsi adopté une délibération à l’unanimité le 25 septembre 2015 dénonçant « les conséquences désastreuses qu’aurait sur l’équilibre financier des CARPA » l’adoption du V de l’article 15, « d’autant que les taux de rendement des placements financiers sont historiquement au plus bas et ce de manière durable ». Selon l’UNCA, ce prélèvement se traduira « par des cotisations supplémentaires appelées auprès des avocats eux-mêmes, ce qui revient à faire peser sur ceux-ci la participation au financement de l’aide juridictionnelle que le Gouvernement entend de manière inacceptable faire supporter par la profession d’avocat ».
Le CNB a également adopté à l’unanimité une délibération marquant son opposition à ce dispositif lors de son assemblée générale extraordinaire du 8 octobre 2015. Il demande à l’État d’assumer l’accès au droit et à la justice de toute personne et sollicite le retrait de l’article 15. Il a appelé les bâtonniers à cesser toute désignation au titre de l’aide juridictionnelle et a invité les barreaux à cesser la mise à disposition des moyens humains et matériels nécessaires au fonctionnement du service de l’aide juridictionnelle.
Votre rapporteure regrette que les représentants de la profession d’avocat rejettent en bloc l’article 15 du projet de loi de finances, alors que celui-ci comporte par ailleurs incontestablement des avancées significatives, telles que le relèvement du plafond d’admission, qui auraient dû faire consensus.
La garde des Sceaux, lors de l’examen de l’article 15 en séance publique le 15 octobre dernier, avait indiqué que ce prélèvement serait temporaire, puisque limité à 2015 et 2016, et qu’au-delà, à partir de 2017, le Fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice prendrait le relais. Les modalités de financement de ce fonds restent cependant à préciser.
Le 21 octobre 2015, la garde des Sceaux a annoncé que le Gouvernement avait renoncé à ce prélèvement et qu’il déposerait un amendement pour le supprimer.
Votre rapporteure pour avis se félicite que l’on s’oriente vers un financement de l’aide juridictionnelle ne pesant pas uniquement sur la profession d’avocat, alors que d’autres professions juridiques sont concernées (notaires, huissiers, etc.) et devraient elles aussi contribuer à son financement, via celui du Fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice, dont elle regrette que la mise en place ne soit pas déjà effective.
Elle souhaite également que les réflexions s’orientent vers une exonération totale ou partielle de contribution des avocats qui interviennent au titre de l’aide juridictionnelle, au prorata de leur intervention.
Le VI de l’article 15 du projet de loi de finances prévoit qu’une fraction du produit des amendes pénales sera affectée au CNB, à hauteur de 28 millions d’euros en 2016 et de 38 millions d’euros à compter de 2017.
La taxe forfaitaire sur les actes des huissiers de justice avait été relevée de 9,15 euros par acte à 11,6 euros par la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, et son produit affecté, dans la limite de 11 millions d’euros par an, au CNB pour le financement de l’aide juridictionnelle.
Son montant est à nouveau relevé par le IV de l’article 15 du projet de loi de finances, à 13,04 euros. Son affectation au CNB est cependant supprimée. L’ensemble du produit de la taxe ira par conséquent au budget général de l’État.
b. La suppression de l’affectation d’une fraction du droit fixe de procédures devant les juridictions répressives
La loi de finances pour 2015 avait prévu une revalorisation du montant du droit fixe de procédure dû par chaque condamné et l’affectation de son produit, dans la limite de 7 millions d’euros par an, au CNB. Le projet de loi de finances pour 2016 supprime cette affectation.
Au total, l’équilibre financier global de la réforme est le suivant :
ÉQUILIBRE FINANCIER DE LA RÉFORME DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE
(unités : million d’euros)
Économies nouvelles |
2016 |
2017 |
Dépenses nouvelles |
2016 |
2017 |
Financement |
2016 |
2017 |
Réforme du barème |
8 |
33 |
Développement de la médiation |
3 |
8 |
Taxe sur les contrats d’assurance juridique |
+ 10 |
+ 20 |
Relèvement du plafond d’admission |
7 |
28 |
Taxe sur les huissiers |
+ 10 |
+ 20 | |||
Revalorisation de l’UV |
16 |
25 |
Contribution profession juridique |
+ 5 |
+ 10 | |||
Consultation juridique préalable |
5 |
20 |
||||||
Total |
8 |
33 |
Total |
33 |
83 |
Total |
25 |
50 |
Source : Annexe au projet de loi de finances pour 2016, Mission « Justice ».
Lors de sa réunion du 21 octobre 2015, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » pour 2016.
M. Pierre-Alain Muet, président. Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, je suis heureux de vous accueillir, avec M. Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Nous sommes réunis en commission élargie afin de vous entendre sur les crédits du projet de loi de finances pour 2016 consacrés à la mission « Justice ».
Je vous rappelle les règles de nos commissions élargies.
Lors de sa réunion du 7 juillet dernier, la Conférence des présidents a reconduit à l’identique les modalités d’organisation de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances.
Nous donnerons d’abord la parole aux rapporteurs des commissions, qui interviendront pour une durée de cinq minutes. Après la réponse de Mme la ministre, s’exprimeront ensuite, pour deux minutes chacun, les porte-parole des groupes, ainsi que tous les députés qui le souhaitent.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je remercie les rapporteurs pour avis de la Commission des lois, qui ont beaucoup travaillé.
Nous avons souhaité changer les responsabilités par rapport à l’année précédente. Ainsi, Elisabeth Pochon interviendra sur l’accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes, sujet dont on sait qu’il tient à cœur à la garde des sceaux. Guillaume Larrivé, quant à lui, nous éclairera sur l’administration pénitentiaire. Ce sera vrai en tout cas pour ceux qui n’ont pas lu Le Figaro, car ceux qui l’ont lu connaissent déjà la teneur du rapport de notre collègue – il y a là une sorte de jurisprudence si l’on se réfère à ce qui s’est déjà produit l’an dernier. Enfin, Anne-Yvonne Le Dain, rapporteure pour avis pour la justice administrative et judiciaire, et Colette Capdevielle, rapporteure pour avis pour la protection judiciaire de la jeunesse, nous feront part de leurs observations.
Tous les quatre interviendront sur les thématiques qu’ils ont choisies. Depuis quelques années, nous avons souhaité, en effet, que les rapporteurs pour avis ne fassent pas le travail, remarquable, déjà mené par le rapporteur de la Commission des finances, Étienne Blanc. Nous nous intéressons donc à l’usage des sommes dont il va vérifier l’honnêteté, la sincérité et la limpidité, comme il le fait tous les ans, de façon à avoir un regard à la fois sur le contenu et le contenant. C’est un travail complémentaire entre les commissions des finances et des lois.
M. Marc Dolez. Je souhaite faire un rappel au règlement, fondé sur l’article 41, qui définit les modalités d’organisation de nos travaux en commission – et je prie Mme la garde des sceaux de m’excuser car ce débat ne la concerne pas.
Monsieur le président, vous venez d’indiquer que les orateurs des groupes ne disposeraient cette année que de deux minutes de temps de parole et que cette décision résultait de la Conférence des présidents.
J’ai précisément interrogé le président Bartolone lors de la dernière Conférence des présidents, qui m’a indiqué qu’en réalité, la responsabilité de l’organisation des débats était du ressort des présidents de commission, lesquels avaient toute latitude pour organiser ces débats dans les meilleures conditions possible. Ainsi, l’an dernier, les orateurs des groupes ont disposé de cinq minutes.
Nous allons examiner ce soir un budget de 8 milliards d’euros, ce qui fait, si je compte bien, 15 secondes par milliard ! Cela prête à sourire, mais c’est toute la question de l’utilité du Parlement et de ses commissions qui est ainsi posée. La ministre pourra s’exprimer le temps qu’elle voudra, mais les parlementaires sont bâillonnés. Par conséquent, je me demande s’il convient encore de réunir des commissions élargies. Autant nous demander d’envoyer la position de nos groupes respectifs par carte postale ou par tweet !
Sauf si vous reveniez sur votre décision, monsieur le président, je serai amené, ainsi que mon groupe, pour cette commission élargie et pour toutes celles qui vont suivre, à en tirer les conséquences. En accordant deux minutes au lieu de cinq à chacun des six groupes, monsieur le président, vous escomptiez faire une économie de dix-huit minutes. J’ai une bonne nouvelle pour vous : ce soir, vous allez faire une économie de vingt minutes, car, dans de telles conditions, je renonce à mon temps de parole. Les choses intéressantes que j’avais à dire à Mme la garde des sceaux et aux différents membres du Gouvernement, je les dirai mercredi prochain dans l’hémicycle.
M. Pierre-Alain Muet, président. Monsieur le député, je comprends parfaitement votre remarque. Cela étant, nous avions déjà le même dispositif l’an dernier. On peut effectivement penser que le temps de parole de cinq minutes attribué autrefois aux orateurs des groupes était meilleur, mais nous sommes obligés d’appliquer des décisions qui s’imposent à toutes les commissions élargies. Ce sujet méritera d’être évoqué à nouveau pour le prochain budget, dans le cadre de la Conférence des présidents.
M. Marc Dolez. Je me permets de rappeler que le président Bartolone a indiqué que les présidents de commission avaient toute latitude pour organiser au mieux les travaux de leur commission. Je comprends, monsieur le président, que vous vous référiez à ce qui a été décidé par la Commission des finances : il n’en reste pas moins que le problème de fond est posé et que la situation est pour nous tout à fait inacceptable.
M. François Rochebloine. Au nom du groupe Union des démocrates et indépendants, je fais totalement miens les propos de notre collègue Dolez. Je ne doute pas, monsieur le président, que vous puissiez porter au moins à quatre minutes ce temps de parole. Faute de quoi, mieux vaudrait supprimer les commissions élargies. Nous irions ainsi directement en séance publique où, je le rappelle, nous n’avons déjà plus que cinq minutes par groupe. On réduit sans cesse notre temps de parole. Cela fait bientôt vingt-huit ans que je suis dans cette maison, mais je n’avais encore jamais vu cela !
M. Guy Geoffroy. J’adhère aux propos qui viennent d’être tenus. Monsieur le président, vous dites que vous porterez cette parole là où ce sera tranché. L’an passé, j’avais déjà soulevé le problème et l’on m’avait répondu la même chose. Je souhaite que la parole portée cette année soit plus efficace que l’an passé…
M. Pierre-Alain Muet, président. Compte tenu des interventions qui viennent d’avoir lieu et du temps que représente le passage de deux à cinq minutes, nous pouvons, avec le président Urvoas, considérer que les orateurs des groupes prendront le temps qui leur permettra de s’exprimer, en restant le plus possible dans les normes.
M. Étienne Blanc, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour les crédits relatifs à la justice. La réalité de la situation de la justice en France, c’est qu’elle ne peut continuer à fonctionner avec le budget qui lui est dédié. C’est une observation qui relève du rapporteur spécial, mais aussi de la Cour des comptes. Ensemble, nous mettons en évidence, depuis 2012, l’absence de soutenabilité du budget de la justice. La soutenabilité des finances publiques, c’est la capacité d’un État à rester solvable, c’est-à-dire à conserver des marges de manœuvre budgétaires suffisantes pour honorer ses engagements.
Or le manque de moyens est flagrant, pratiquement dans tous les secteurs, et en particulier dans quatre domaines : la masse salariale, les frais de justice et les moyens de fonctionnement, les dépenses d’investissement et les dépenses d’aide juridictionnelle.
C’est peut-être ce qui explique la dégradation des indicateurs : les délais de jugement des procédures civiles augmentent – ceux des procédures pénales ne sont malheureusement pas connus –, la sécurité dans les établissements pénitentiaires diminue, les délais de prise en charge des mineurs délinquants ne sont pas satisfaisants et le taux de mesures en attente d’exécution augmente.
Au regard de ces observations générales, madame la garde des sceaux, je voudrais vous poser quatre questions.
La première porte sur la masse salariale, qui est insuffisamment calibrée.
Le plafond d’emplois n’est pas saturé, et pourtant, la dépense constatée de rémunérations d’activité a toujours consommé pratiquement tous les crédits ouverts. Le coût unitaire de chaque emploi a toujours été supérieur aux prévisions de la loi de finances initiale, en 2013 et 2014. On ne vous reproche pas de ne pas saturer les plafonds d’emplois, mais de ne pas inscrire des crédits de personnel en rapport avec les créations d’emplois affichées. La masse salariale prévue par le projet de loi de finances est manifestement sous-calibrée au regard des emplois annoncés, ce qui ne l’empêche pas de croître sous l’effet mécanique du glissement vieillesse technicité (GVT). Aujourd’hui, que valent les annonces de créations d’emplois au regard de ces constatations ?
Ma deuxième question porte sur le sacrifice des investissements.
Contrairement aux affirmations du Gouvernement, la réalité de la situation des investissements au ministère de la justice, particulièrement des investissements immobiliers, n’est pas qu’ils sont poursuivis, mais qu’ils sont sacrifiés au fonctionnement courant.
Sur les trois années 2012, 2013 et 2014, les montants des dotations de titre 5 – dépenses d’investissement – ouvertes en loi de finances initiale et qui n’ont pas été consommées, ont atteint la somme très importante de 892 millions d’euros pour les autorisations d’engagement et de 358 millions pour les crédits de paiement.
La Cour des comptes le dit clairement : « Les annulations et les redéploiements de crédits du titre 5 au profit des dépenses de fonctionnement manifestent un renoncement aux projets à moyen et long terme, au profit de préoccupations de gestion plus immédiates. La Cour estime que le ministère de la justice ne peut durablement sacrifier les crédits d’investissement sans compromettre à terme la mise en œuvre de ses missions. »
Comment pouvez-vous expliquer cette situation ? Comment entendez-vous donner les moyens de préserver les investissements du ministère de la justice à hauteur des engagements que vous avez pris ?
Ma troisième question concerne l’aide juridictionnelle, dont je constate qu’elle est financée par des expédients.
Au 1er janvier 2014, vous avez supprimé la contribution pour l’aide juridique, estimant qu’il s’agissait d’une taxe qui allait restreindre les droits des justiciables à saisir une juridiction. Or depuis, vous n’avez cessé d’augmenter les taxes : revalorisation de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance de protection juridique, augmentation des droits fixes de procédure et de la taxe forfaitaire prévue sur les actes effectués par les huissiers de justice, augmentation du droit de timbre dû par les parties à l’instance d’appel, qui passe de 150 à 225 euros.
Comment pouvez-vous, aujourd’hui, expliquer cette situation ? Ne considérez-vous pas que ces taxes spéciales affectées à l’aide juridictionnelle constituent un obstacle à la possibilité de saisir une juridiction, en tout cas un frein ?
Ma quatrième question porte sur les crédits dédiés aux dépenses de santé des détenus.
Lors d’une précédente législature, j’avais commis un rapport sur ce sujet. Pour avoir visité quelques établissements pénitentiaires, je puis vous dire que c’est un véritable sujet d’inquiétude chez les agents de la pénitentiaire et au niveau de la direction des établissements.
Les crédits proposés ne sont pas à la hauteur des engagements et des attentes. En 2016, vous avez prévu 126,6 millions pour les dépenses de santé des détenus, dont 33,4 millions à la charge des services déconcentrés et 93,2 millions versés à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) pour le paiement des cotisations sociales des détenus.
Cependant, selon la réponse au questionnaire budgétaire, la prévision de dépenses pour 2015 s’établit à 37 millions, pour 31,8 millions d’euros ouverts en loi de finances initiale pour 2015. Il en sera évidemment de même pour 2016.
Comment pourrez-vous remédier à cette nouvelle dégradation budgétaire des dépenses de santé des détenus, à l’heure où les problèmes de psychiatrie, de psychologie et d’addiction méritent une intervention très lourde dans ce domaine au sein des établissements pénitentiaires ?
M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’administration pénitentiaire. Je voudrais en quelque sorte être un porte-parole ce soir, après ce que j’ai vu au cours de ces dernières semaines sur le terrain, dans les prisons, s’agissant de la situation des personnels de l’administration pénitentiaire. J’ai rencontré des personnels de grande valeur, très solides, des équipes de direction courageuses et très motivées, mais aussi des agents exprimant un vrai malaise quant aux missions qui leur sont assignées et aux difficultés de leur exercice. Il est important qu’au-delà des chiffres, le Gouvernement entende ce malaise et dirige l’administration pénitentiaire pour mobiliser pleinement les personnels qui y travaillent.
Sur le fond, j’ai souhaité concentrer cet avis budgétaire sur la question de l’adaptation de l’administration pénitentiaire à la menace terroriste, voire, pour reprendre les termes employés par le chef du Gouvernement, à la guerre contre le terrorisme islamiste radical dans laquelle notre pays est engagé.
Dans ce rapport, je fais une vingtaine de propositions aussi opérationnelles que possible. Je souhaite, ce soir, concentrer mon propos sur deux d’entre elles, pour que nous ayons, madame la garde des sceaux, un véritable échange.
Mon premier sujet de préoccupation porte sur le regroupement ou non, et selon quelles modalités, des détenus terroristes identifiés par l’administration pénitentiaire comme étant les plus dangereux.
Le Gouvernement a engagé un programme qui consiste à identifier, puis à répartir ces détenus dans cinq lieux de détention. Le cinquième, celui de Lille-Annœullin, a vocation, à compter de janvier prochain, à accueillir vingt-huit détenus identifiés comme étant les plus dangereux, au terme d’un processus d’évaluation pensé en amont.
Alors que je me suis rendu sur place, j’ai compris que ce qui était engagé était lourd de nouvelles menaces. Je voudrais que vous en preniez, les uns et les autres, pleinement conscience.
Ces vingt-huit détenus seront regroupés dans deux unités de quatorze détenus, unités étanches l’une par rapport à l’autre et par rapport au reste de la prison, ce qui est une bonne chose. Mais au sein de chacune de ces unités, les communications seront possibles, notamment au moment des promenades ou des activités sportives.
La conviction que j’ai acquise au fil des auditions, et notamment lors d’échanges avec des patrons de services de police impliqués dans ce domaine, c’est que vous êtes en train, si vous ne changez pas l’architecture de ce projet, de créer les conditions de la renaissance de cellules de combat dans cette unité de Lille-Annœullin. L’intérêt général commanderait d’envisager une autre solution consistant à isoler du reste du monde pénitentiaire, mais aussi les uns par rapport aux autres, ces détenus identifiés par vous comme étant les plus dangereux.
En ce qui concerne ma seconde proposition, il me semble nécessaire, madame la garde des sceaux, que vous engagiez avec nous une réflexion sur la durée des peines, c’est-à-dire le quantum prononcé, mais aussi les modalités de réduction ou d’aménagement, s’agissant de détenus condamnés pour des actes de terrorisme. La société a le droit de se protéger contre ces individus qui veulent la détruire, ce qui suppose de trouver les moyens juridiques d’une mise à l’écart durable, voire perpétuelle, de certains d’entre eux au sein de l’administration pénitentiaire. Certains magistrats, et notamment le président du tribunal de grande instance de Paris lui-même, ont engagé publiquement une réflexion à ce sujet. L’Assemblée nationale doit, elle aussi, se saisir de cette question. Si nous voulons mieux protéger les Français dans la durée, nous devons, j’en suis convaincu, modifier, ajuster le quantum et les modalités d’aménagement des peines en matière de terrorisme.
Mme Elisabeth Pochon, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes. Je me félicite de cette nouvelle augmentation du budget de la justice, qui traduit la place essentielle accordée à celle-ci par le Président de la République et le Gouvernement. J’ai décidé de consacrer mon avis à la réforme de l’aide juridictionnelle, qui fait l’objet de l’article 15 du projet de loi de finances adopté jeudi dernier. C’est un sujet d’une actualité certaine.
Nous sommes tous attachés à l’aide juridictionnelle (AJ) parce qu’elle est le vecteur d’une politique de solidarité qui permet l’accès des plus démunis au service public de la justice. Aujourd’hui, sa réforme est indispensable, car elle est dans une situation critique, malgré les efforts budgétaires importants réalisés par le Gouvernement depuis trois ans – 318 millions d’euros en 2013, 373 millions d’euros en 2014, 379 millions d’euros en 2015, ressources extrabudgétaires incluses.
Le système d’AJ est confronté à plusieurs difficultés majeures. Beaucoup de justiciables aux revenus modestes en sont exclus, le plafond d’admission pour l’AJ totale étant inférieur au seuil de pauvreté. Les besoins de financement sont croissants, avec l’augmentation du nombre de demandes – même si elles semblent se stabiliser ces dernières années – et l’extension progressive des champs d’intervention de l’avocat – lors de la garde à vue, des auditions libres etc. La rétribution des avocats est insuffisante, avec une unité de valeur qui n’a pas été revalorisée depuis 2007. La réforme proposée n’est pas au rabais : 50 millions d’euros supplémentaires y seront dédiés en année pleine, sur un budget total qui sera cette année de 405 millions d’euros.
Cette réforme fait suite à de nombreux rapports, dont le dernier, celui de notre collègue Jean-Yves Le Bouillonnec, a inspiré certaines mesures adoptées dans le cadre de la loi de finances pour 2015.
Enfin, cette réforme a fait l’objet de temps de concertation avec les professions concernées. Elle repose sur plusieurs axes : le relèvement du plafond de ressources de 941 à 1 000 euros ; la revalorisation de l’UV de référence à 24,20 euros hors taxes ; la refonte du barème utilisé pour calculer la rétribution des avocats ; la suppression de la modulation géographique de l’UV ; la compensation intégrale des effets négatifs que pourrait produire cette suppression pour certains barreaux par le biais d’une contractualisation locale, qui permettra de mieux prendre en compte les spécificités locales de chaque barreau ; l’introduction d’une rétribution des avocats et des médiateurs en matière de médiation ; la poursuite de la diversification des sources de financement de l’AJ.
Le relèvement du plafond d’admission, le développement de la contractualisation et l’extension de l’AJ à la médiation sont des avancées indéniables.
Sur d’autres points, après avoir auditionné les principaux acteurs concernés – l’Union nationale des CARPA (UNCA), le Conseil national de l’aide juridique (CNAJ), le Conseil national des barreaux (CNB), le Syndicat des avocats de France (SAF), les rapporteurs des quatre groupes de travail que vous aviez mis en place en décembre –, j’ai cinq interrogations ou suggestions sur lesquelles j’aimerais connaître votre position, madame la garde des sceaux.
Est-il envisageable, si le budget le permet, de relever le plafond de ressources afin de permettre un accès au droit encore plus adapté aux revenus modestes des justiciables ?
Pouvez-vous nous éclairer davantage sur la refonte du barème de rémunération des avocats et nous dire si vous avez prévu de revoir à la hausse ce barème qui avait chuté ? Pensez-vous pouvoir augmenter à nouveau des missions liées au droit de la famille et au droit social ?
L’UV de référence, qui n’a pas été augmentée depuis 2007, ne pourrait-elle pas être alignée sur la plus haute, c’est-à-dire 25,90 euros, plutôt que sur la moyenne, afin de n’engendrer aucun effet de baisse ?
Afin de développer la mise en œuvre du principe de subsidiarité de l’AJ par rapport à la protection juridique, ne faudrait-il pas une concertation avec les assurances afin que l’information des assurés sur leurs garanties soit renforcée ? Il faudrait, par exemple, qu’une attestation soit délivrée de façon systématique ou qu’il existe un socle de garanties minimales, incluant la prise en charge d’un avocat librement choisi.
S’agissant du prélèvement sur les fonds des Caisses des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), qui est au cœur de l’actualité, je m’interroge sur la légitimité d’un financement pesant uniquement sur la profession d’avocat, alors que le fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice créé dans le cadre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques permet de faire contribuer d’autres professions juridiques. L’alimentation dudit fonds est-elle prévue dans le projet de loi de finances ?
Madame la ministre, je souhaite que vous puissiez reprendre le long chemin sur lequel vous vous êtes engagée pour moderniser la justice en apportant un nouveau souffle à l’aide juridictionnelle.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour la justice administrative et judiciaire. Je voudrais tout d’abord souligner à mon tour que le budget de la justice franchit pour la première fois cette année un seuil symbolique, celui des 8 milliards d’euros, avec une augmentation de 1,3 % par rapport à 2015.
Dans le contexte de redressement de nos finances publiques, cette nouvelle hausse démontre la volonté du Gouvernement et de notre majorité de combler le retard de notre pays en matière de budget de la justice. La France reste en effet, chacun le sait, mal classée – trente-septième sur quarante-cinq États – par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) au regard du critère du budget de la justice rapporté à la population du pays – 61,20 euros par habitant et par an – et du PIB par habitant. Il y a encore beaucoup à faire, comme j’ai pu m’en rendre compte lors de mes auditions. C’est pour cela que je salue aujourd’hui, une fois de plus, l’augmentation de notre budget.
J’ai consacré mon avis, cette année, à la répartition territoriale des moyens de la justice. La justice doit être forte et proche des citoyens. L’égal accès de tous à la justice est un impératif démocratique, et ce, sur tout le territoire national.
Cette égalité d’accès et cette proximité ont été mises à mal par la réforme de la carte judiciaire engagée en 2007 par Mme Dati et achevée en janvier 2011. Menée dans la précipitation et sans concertation, elle a abouti à la suppression de 341 juridictions et réduit de près de 30 % le nombre de juridictions en France. Elle a créé de véritables déserts judiciaires, des zones dans lesquelles, sur plus de 100 kilomètres, un territoire est privé de toute implantation judiciaire, comme en Bretagne intérieure ou en Auvergne, et dans bien d’autres endroits.
Cette réforme a également entraîné un effet d’éviction en matière de demande de justice, l’éloignement de la juridiction conduisant certains justiciables à renoncer à saisir le juge pour de petits litiges, qui sont de grands dols pour eux.
Sur le plan financier, la réforme de la carte judiciaire a souvent entraîné des surcoûts immobiliers, avec l’abandon de sites antérieurement mis gracieusement à disposition par les collectivités territoriales au profit de sites loués, dont les loyers sont croissants. C’est en outre une réforme inaboutie, qui n’a pas concerné les cours d’appel, dont les ressorts rappellent pour certains ceux des parlements de l’Ancien Régime… Bref, une réforme qui a mis à mal la justice et la confiance que l’on pouvait avoir en elle.
Les correctifs que vous avez apportés, madame la garde des sceaux, à partir des conclusions de la mission que vous aviez confiée à M. Serge Daël, en réimplantant des TGI dans les villes de Saint-Gaudens, Saumur et Tulle, et en créant des chambres détachées à Dôle, Guingamp, Marmande et Millau, étaient indispensables.
Il faut aller au-delà et poursuivre le rapprochement de la justice des citoyens, dans le cadre de la justice du XXIe siècle.
Le renforcement de la politique d’accès au droit, avec la réforme de la composition et de la gouvernance des conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD), prévue par l’article 1er du projet de loi J21, est une excellente mesure. Il faudra qu’elle s’accompagne de moyens suffisants pour que chaque Maison de la justice et du droit (MJD) se voie, notamment, affecter un greffier. Pouvez-vous nous confirmer que telle est bien votre intention ?
La création du Service d’accueil unique du justiciable (SAUJ), prévue par l’article 2 du projet de loi J21, sera aussi une avancée remarquable, qui simplifiera considérablement l’accès des Français à la justice. Cependant, elle ne sera effective que si les systèmes informatiques sur lesquels elle se fonde, Cassiopée en matière pénale et Portalis en matière civile, sont déployés et opérationnels sur tout le territoire. Pourriez-vous nous donner des éléments sur le calendrier de déploiement de Portalis et son articulation avec celui de la mise en place des SAUJ ?
Je regrette que la piste constituée par les audiences foraines, prévues par l’article R. 124-2 du code de l’organisation judiciaire, ne soit pas davantage explorée. Je sais que ces audiences représentent une contrainte importante pour les magistrats et les greffiers, déjà surchargés, mais elles sont très utiles pour maintenir une présence judiciaire dans les villes où une juridiction a été supprimée. Ce n’est plus le justiciable qui se déplace, mais la justice qui vient à lui. Ne pourrait-on envisager de pérenniser et conforter ces audiences foraines, en leur conférant un statut législatif ?
Au-delà de l’implantation territoriale des juridictions, je me suis également penché sur la répartition des effectifs de magistrats et de personnels des greffes, entre les juridictions. Votre administration m’a récemment transmis les chiffres, qui sont évidemment à manier avec précaution, car les données quantitatives ne sont pas toujours suffisantes pour effectuer des comparaisons rigoureuses entre les juridictions. Ces limites étant posées, j’ai cependant relevé des disparités territoriales, sur lesquelles je m’interroge.
Pour ne prendre que quelques exemples, j’ai du mal à comprendre que le ratio, dit « d’efficience », rapportant le nombre d’affaires traitées par juge d’instruction puisse varier de 8 à Mende, à 128 à Soissons, soit un rapport de 1 à 16 ! Ou encore que le nombre d’affaires traitées par un juge des enfants varie de 226 au TGI de Créteil à 3 600 au TGI d’Auch, soit un rapport de 1 à 16. Ou encore que celui des affaires traitées par un juge de l’application des peines soit de 358 à Paris et de 7 767 au TGI de Rodez, soit un rapport de 1 à 21. Il nous faut donc comprendre ces disparités.
Il reste encore beaucoup à faire pour restaurer l’égalité de tous devant le service public de la justice et rapprocher la justice des Français. Je me réjouis, madame la garde des sceaux, que vous ayez décidé, avec l’énergie qui vous caractérise, de vous atteler à cette tâche indispensable dans le cadre du projet de loi pour la justice du XXIe siècle, que notre assemblée examinera dans quelques mois.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour la protection judiciaire de la jeunesse. Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » bénéficie d’un accroissement de ses crédits de paiement de 2,3 % et s’élève à près de 796 millions d’euros. Quant au plafond des autorisations d’emplois, il augmente de 196 emplois. Sur les trois dernières années, 293 emplois auront ainsi été créés.
Je tiens à souligner ces chiffres, car la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est un service public qui revient de très loin. En effet, entre 2007 et 2012, ses crédits avaient baissé de 4 % et la PJJ avait perdu, en ce qui concerne son plafond d’autorisations d’emplois, pas moins de 632 emplois, ce qui représentait une diminution de 7 % du plafond. On avait pu craindre, à l’époque, une remise en cause de la pérennité même de cette institution.
Le défi de la protection et de l’éducation des mineurs délinquants n’a pourtant jamais été aussi urgent. Ces jeunes, qui cumulent des ruptures familiales, des addictions, parfois de très graves problèmes psychiatriques, doivent être pris en charge le plus en amont possible. Plus cette prise en charge intervient tôt, plus nous avons de chances de remettre ces jeunes sur des parcours d’insertion, de respect de la loi et des autres, et de respect d’eux-mêmes.
Lorsqu’au contraire, la prise en charge intervient tard, il est beaucoup plus difficile d’aider et d’accompagner ces mineurs à s’en sortir, et les coûts à moyen et long terme, sont très lourds, bien plus élevés pour la société, que ce soit en termes d’atteintes aux biens ou aux personnes, d’incarcération ou d’aides sociales.
Il faut donc se féliciter que le Gouvernement n’ait pas choisi, comme sous la précédente législature, de sacrifier la protection judiciaire de la jeunesse à une application aveugle et à très courte vue, de la fameuse révision générale des politiques publiques (RGPP), si abrupte en ce domaine.
Les efforts consentis, malgré les contraintes imposées par le contexte budgétaire, en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse traduisent de manière concrète et ferme la volonté du Gouvernement de redonner du sens au contrat social qui nous unit, et dont tant de mineurs sont exclus ou s’excluent eux-mêmes en commettant des infractions. Ils confirment la priorité que le Président de la République, le Gouvernement et notre majorité ont choisi de donner, dès le début de ce quinquennat, à la justice et à la jeunesse. Je donnerai donc un avis favorable aux crédits de ce programme.
J’en viens à la présentation du thème que j’ai choisi de traiter prioritairement cette année, celui de la prise en charge des mineurs en milieu ouvert.
La majorité des mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse fait l’objet non pas d’une mesure d’incarcération ou de placement, mais d’un suivi en milieu ouvert, exécutée à partir du lieu de vie du jeune, sur prescription de l’autorité judiciaire. Le suivi en milieu ouvert représente ainsi 53 % de l’activité de la protection judiciaire de la jeunesse et 56 % de ses éducateurs travaillent dans ce secteur.
La réussite de la prise en charge d’un mineur qui n’est pas encore ancré durablement dans la délinquance dépend notamment de la rapidité, de la cohérence globale du parcours de protection du jeune, de l’adaptation et de la souplesse des moyens mis en œuvre.
Or j’ai pu mesurer, lors des diverses auditions que j’ai menées, comme lors de mon déplacement à l’unité éducative de milieu ouvert de l’Est parisien, à quel point les moyens dont dispose la protection judiciaire de la jeunesse sont encore tendus. En milieu ouvert, un éducateur s’occupe en moyenne de vingt-cinq jeunes ; les psychologues, accaparés par les mesures d’investigation, ont trop peu de temps pour suivre les mineurs qui en ont besoin ; les psychiatres sont en nombre très insuffisant, alors que de nombreux jeunes souffrent de troubles du comportement et de la personnalité ; enfin, les moyens matériels, tels que les véhicules ou les ordinateurs, ne sont pas encore à la hauteur des besoins réels.
Cela m’amène, madame la garde des sceaux, à ma première question : pouvez-vous confirmer l’intention du Gouvernement de poursuivre, l’année prochaine, le redressement du budget et des moyens humains et matériels de la protection judiciaire de la jeunesse, que vous avez entamé depuis trois ans ?
J’ai également visité, en compagnie du président de l’association « Sauvegarde de l’enfance à l’adulte du Pays basque », le centre éducatif fermé (CEF) d’Hendaye. J’ai pu échanger là-bas avec des éducateurs et certains jeunes. Il me semble que certains de ces centres ont montré leurs limites, lorsqu’on songe notamment à leur prix de journée élevé et au grand nombre d’éducateurs qui sont mobilisés pour un nombre restreint de jeunes. Ces éducateurs font un travail rude, souvent mal connu. Nous devons leur rendre hommage, eu égard à la difficulté de leur tâche.
Ne pourrait-on pas, madame la ministre, réorienter vers le milieu ouvert une partie des moyens aujourd’hui dévolus aux centres éducatifs fermés ?
Par ailleurs, des efforts ont été faits pour garantir plus de cohérence dans le parcours des mineurs pris en charge. Dans cet esprit, une note d’orientation de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse du 30 septembre 2014, saluée par l’ensemble des professionnels, a défini le milieu ouvert comme étant le socle de l’intervention éducative. C’est au milieu ouvert qu’il appartient de coordonner les autres modalités d’intervention lorsque les circonstances exigent qu’elles soient mises en œuvre.
Toutefois, il reste incontestablement des marges de progrès dans ce domaine. Trop souvent, les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse méconnaissent les autres dispositifs de protection ou négligent de rencontrer les enseignants et les chefs d’établissement, ou encore ne viennent pas consulter les dossiers d’assistance éducative au greffe du juge des enfants. J’ai également pu constater qu’ils cessaient parfois de suivre les jeunes qui faisaient l’objet d’un placement en centre éducatif fermé.
Au-delà du manque d’effectifs, que comptez-vous mettre en œuvre, madame la ministre, pour que l’on puisse progresser dans le sens d’une plus grande culture partenariale et d’un décloisonnement entre les différents dispositifs ? Quel jugement portez-vous sur l’idée de confier un mandat global aux services de la protection judiciaire de la jeunesse ? Sans aller jusqu’au mandat global, comment pourrait-on accroître le rôle de pilotage des services de milieu ouvert de la protection judiciaire de la jeunesse ?
Comme je l’ai indiqué, le facteur temps est fondamental pour la réussite du suivi d’un mineur. Le délai total de prise en charge par un service éducatif était de trente et un jours en 2014. Il est parfois, pour certaines mesures et dans certains endroits, beaucoup plus long. On observe alors des phénomènes de files d’attente.
Quelles mesures pourrait-on prendre, madame la garde des sceaux, pour faire diminuer le délai moyen de prise en charge en milieu ouvert, notamment pour la mise en œuvre des libertés surveillées préjudicielles, des réparations, des sanctions éducatives et des stages ?
J’en viens à un phénomène que l’on commence à observer chez certains jeunes pris en charge, celui d’une forme de radicalisation. Cette problématique n’est pas ignorée du Gouvernement puisque le plan de lutte contre le terrorisme annoncé le 21 janvier 2015 comporte un volet relatif à la PJJ. Il prévoit notamment la création de 169 emplois : dix coordonnateurs, cinquante-neuf référents laïcité et citoyenneté affectés en direction territoriale, quatre-vingt-deux psychologues et dix-huit éducateurs.
S’agissant de la soixantaine de référents laïcité et citoyenneté, je m’interroge sur la pertinence de leur affectation en direction territoriale. De mon point de vue, l’urgence porte sur la prise en charge directe sur le terrain des jeunes en voie de radicalisation. Madame la ministre, quelles actions pourraient être envisagées ?
Je conclurai mon propos en vous demandant dans quelle mesure le présent budget de la protection judiciaire de la jeunesse préfigure une prochaine réforme de l’ordonnance du 2 février 1945, réforme très attendue et à laquelle je vous sais très attachée.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Mesdames, messieurs les rapporteurs, vos propos éclairent le budget pour 2016 de la mission « Justice » qui laisse apparaître, en filigrane, des dispositions qui s’appliqueront sur le triennal. La diversité et la profusion de vos questions expliquent peut-être qu’un temps de parole illimité soit accordé au Gouvernement pour y répondre, cher Marc Dolez…
M. Marc Dolez. Je ne conteste pas ce point !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je ne fais cette remarque qu’afin de vous demander de me pardonner d’avance si je ne réponds pas sur tous les points abordés.
Le budget de la justice pour 2016 est en augmentation. Malgré les contraintes qui s’exercent sur les finances publiques, il franchit la barre symbolique des 8 milliards d’euros. Il s’agit donc toujours d’un budget prioritaire comme cela est réaffirmé par le Président de la République et par le Premier ministre.
Depuis le début de la législature, le ministère de la justice crée en moyenne cinq cents emplois par an. En 2014, l’administration pénitentiaire a même bénéficié de 534 emplois supplémentaires et, depuis le début de l’année 2015, de nouvelles capacités de créations ont été prévues dans le cadre du plan antiterroriste – nous disposons ainsi de 950 emplois supplémentaires. Nous créons cette année 1 024 emplois, et nous en créerons 2 947 sur le triennal alors que nous en avions prévu 1 834.
Ce budget trouve sa cohérence autour de l’efficacité des politiques publiques que nous mettons en place.
Une réforme de la justice civile est en cours. C’est le premier axe fort de ce budget. Mme la rapporteure pour avis pour les crédits relatifs à la justice administrative et judiciaire a évoqué le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle. Avec le projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société, il vous sera soumis après que le Sénat l’aura examiné au début du mois de novembre prochain. Cette réforme de la justice civile a été pensée dans un cadre global, comme un écosystème : une série de dispositions réglementaires et opérationnelles rendent efficaces les mesures législatives. La réforme doit permettre de rapprocher cette justice des citoyens – je rappelle que la justice civile représente 70 % de l’activité de l’institution judiciaire. Le service d’accueil unique du justiciable permettra à tout justiciable d’accéder à la justice à partir de n’importe quel site judiciaire proche de son domicile. Nous avons souhaité corriger les principaux défauts de la carte judiciaire en réimplantant des tribunaux de grande instance (TGI), en créant des chambres détachées, et en ouvrant des maisons de la justice et du droit où nous affectons des greffiers. Plus d’une vingtaine y ont déjà été affectés, et vingt et un postes y seront encore créés. Une nouvelle organisation du travail a également été expérimentée grâce notamment au rôle joué par le greffier assistant de magistrat ; elle sera généralisée.
Les décisions prises dans cet écosystème ont des traductions budgétaires. La plus grande accessibilité de la justice passe par exemple par sa modernisation : les nouvelles technologies doivent permettre la dématérialisation. Madame la rapporteure pour avis, vous m’interrogiez sur le calendrier de déploiement du système informatique Portalis. Il sera développé sur cinq ans, et sa première version sera disponible dès la fin de cette année. Nous avons aussi expérimenté l’équipement du ministère public en téléphones portables, en tablettes et en ordinateurs portables, instruments fort utiles pour satisfaire les obligations de permanence et de mobilité des magistrats. Cette évolution a des conséquences budgétaires d’autant plus lourdes qu’il faut s’assurer du niveau de sécurité très élevé de ces outils. Nous mettons également en place des standards téléphoniques « autocom » qui permettent d’optimiser le traitement des appels téléphoniques et de gérer en temps réel la relation entre enquêteurs et magistrats.
La deuxième grande orientation de ce budget concerne l’aide juridictionnelle dont il faut évoquer les crédits mais aussi la nécessaire réforme. Le budget de l’aide juridictionnelle n’a cessé d’augmenter passant de 275 millions d’euros en 2010, à 405 millions. Ce budget comprend la compensation de la suppression de la contribution pour l’aide juridique (CPAJ), taxe anciennement perçue sous la forme d’un droit de timbre de 35 euros, à hauteur de 60 millions d’euros par an. Monsieur le rapporteur spécial, cette taxe constituait bien une entrave pour l’accès à la justice : nous avons constaté, dans certains ressorts, que sa mise en place, en 2011, avait provoqué un recul de 10 % du recours à la justice. Vous vous demandiez si les taxes que nous avons créées n’étaient pas, elles aussi, de nature à entraver le recours au juge. Ce n’est pas le cas : la taxe spéciale sur les conventions d’assurance de protection juridique ne conditionne pas directement l’accès à la justice. À terme, nous devrons d’ailleurs être capables de mobiliser ces contrats. Vous évoquez aussi le droit de timbre dû par les parties à l’instance d’appel ; il est effectivement passé de 150 à 225 euros l’année dernière. Cette taxe a été créée lors de la précédente législature afin d’abonder le fonds d’indemnisation de la profession d’avoué (FIDA), profession qui a été supprimée. Elle contribue également à l’aide juridictionnelle. Son augmentation était nécessaire car son rapport avait probablement été surestimé : nous avons besoin tous les ans d’environ 20 millions d’euros pour combler l’insuffisance de ses recettes. Cette augmentation aura cependant une durée limitée puisque l’indemnisation en cours sera achevée en 2023. Ces évolutions permettent de diversifier les ressources de l’aide juridictionnelle. Au-delà de l’augmentation des crédits, cette diversification constitue un impératif de la réforme à entreprendre.
La lutte contre le terrorisme constitue la troisième grande orientation de ce budget. Dès novembre 2012, j’ai signé une circulaire concernant les détenus particulièrement surveillés. Elle a été actualisée en novembre 2013 grâce à de nouvelles informations. Nous avons en effet renforcé le renseignement pénitentiaire qui ne comptait que soixante-dix agents lorsque nous sommes arrivés aux affaires. Il compte aujourd’hui 159 personnels, pour la plupart des officiers qualifiés, et, demain, ils seront 185.
Monsieur Guillaume Larrivé, les personnes très radicalisées ne sont pas détenues dans l’aile dédiée de Fresnes, et nous n’avons pas opéré un rassemblement de celles qui se situent à un niveau intermédiaire de radicalisation. Concernant ces dernières, nous avons plutôt expérimenté une « double séparation » qui correspond à ce que vous souhaitez – dans l’univers pénitentiaire, l’isolement a un autre sens. Les personnes très radicalisées sont en revanche à l’isolement, et elles font l’objet de contrôles fréquents et de transferts. Pour leur part, les condamnés ou les prévenus pour des faits liés à des actes de terrorisme, c’est-à-dire ceux qui se situent à un niveau intermédiaire de radicalisation, sont doublement séparés. Ils sont séparés du reste la population carcérale dans une aile dédiée – ce qui a permis de faire immédiatement baisser la tension dans l’établissement pénitentiaire –, et séparés entre eux. Les personnels concernés suivent des programmes de formation spécifiques. Cette expérimentation est particulièrement suivie : nous envisageons de la dupliquer pour les jeunes, le milieu ouvert, les courtes peines et les longues peines.
L’Association française des victimes du terrorisme (AFVT) a remporté l’appel d’offres que nous avions lancé en juin 2014 pour intervenir dans deux établissements. Le renseignement pénitentiaire nous a permis de constater que les personnes radicalisées développent désormais des stratégies de dissimulation alors que les signes ostentatoires de radicalisation permettaient jusqu’à ce jour de les identifier. Les méthodes évoluent également : nous sommes passés de manifestations bruyantes s’adressant aux foules à des interventions discrètes auprès de petits groupes de deux ou trois détenus. Nous devons aussi veiller à repérer les personnes exposées à cet endoctrinement. L’AFVT effectue pour nous un travail de détection des « signaux faibles ». Nous procédons à la modernisation du guide méthodologique conçu à l’échelle européenne en 2008 et enrichi en 2010. Il ne recensait que trois critères afin d’identifier la radicalisation : la vie quotidienne et le comportement social, la pratique religieuse, et le rapport à l’autorité. La recherche de détection des signaux faibles montre que ces critères ne sont plus pertinents. Nous produisons actuellement des indicateurs et des matériaux de connaissance et de prise en charge qui seront aussi utiles à tous nos partenaires européens. Nous avons aussi lancé un programme de « désendoctrinement » qui concerne aujourd’hui trente détenus. Il fait intervenir des repentis et il est conduit par l’AFVT. Nous l’évaluons en même temps qu’il se met en place.
Nous envisageons de dupliquer dans trois autres établissements la double séparation dans une aile dédiée qui est expérimentée à Fresnes.
Nous travaillons aussi à la prévention de la radicalisation pour assécher le terreau dans lequel le phénomène se nourrit : nous imposons une formation dans tous les quartiers arrivant, nous avons mis au point avec l’éducation nationale un programme spécifique destiné aux mineurs incarcérés, et nous formons surtout les personnels de surveillance, de probation et d’insertion, ainsi que les aumôniers. Nous avons recruté trente aumôniers en 2013, le même nombre en 2014, soixante cette année, et nous en recruterons encore trente l’année prochaine. Le budget consacré à l’aumônerie musulmane a doublé, et nous finalisons actuellement le décret relatif à la formation universitaire des aumôniers. Un accord avec l’Algérie prévoit que tous les imams algériens arrivant en France doivent suivre une formation universitaire laïque. Nous discutons afin de signer un accord équivalent avec la Turquie et Maroc.
Le plan de lutte antiterroriste se traduit par 300 millions d’euros supplémentaires sur trois ans, dont 102 millions dès cette année, et par 950 emplois supplémentaires pour le renseignement pénitentiaire, pour la surveillance ou encore pour des métiers nouveaux. Dans le domaine du renseignement pénitentiaire, nous créons une cellule pluridisciplinaire afin de mieux connaître le phénomène de radicalisation ainsi qu’une cellule de veille permanente sur les réseaux sociaux. Des informaticiens-analystes et des interprètes-traducteurs ont été recrutés. Nous installons aussi dans les établissements des brouilleurs de haute technologie et des détecteurs de téléphones portables.
Mme la rapporteure pour les crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse a dit l’essentiel sur le sujet. La mise en place d’une mission nationale de veille et d’information nous a permis de détecter deux cents jeunes en cours de radicalisation ou qui y sont exposés en raison de leur entourage.
Dans le cadre de la lutte contre la radicalisation, nous avons structuré nos rapports avec l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) au sein de laquelle siège un directeur des services pénitentiaires. J’ai signé avec M. le ministre de l’intérieur des circulaires conjointes organisant nos services déconcentrés afin d’harmoniser leur travail. Un protocole a été signé avec l’UCLAT.
La mise en œuvre de la réforme pénale constitue le quatrième grand axe de ce budget. Cette réforme permet d’accroître et de mieux garantir les droits des victimes. Elle s’accompagne des moyens et des ressources humaines nécessaires à l’application de dispositifs comme la contrainte pénale ou la libération sous contrainte. Cela nous amène à créer un millier d’emplois au sein des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), ce qui induit une augmentation de 25 % des personnels de ce corps – 700 postes sont déjà créés, et 510 agents sont en place. Le budget de ce service augmente de 9 % cette année ; il aura augmenté de 21 % depuis 2013. Nous avons créé vingt-sept postes de juge de l’application des peines, et nous avons mis en place une étude qui a permis d’élaborer des outils de prise en charge dont disposent les agents d’insertion et de probation.
Monsieur Étienne Blanc, les délais de prise en charge des mineurs sont trop longs ; c’est insupportable. Ils sont actuellement de vingt mois en moyenne, ce qui est interminable pour les victimes. Nous travaillons à une réforme de l’ordonnance de 1945 qui permettrait d’appliquer, à environ 30 % des affaires, le principe de la césure afin qu’une première audience tenue assez rapidement – dix jours à trois mois de délai – permette à la victime de faire valoir son préjudice. Dans un délai maximal de six mois, le juge prononcera ensuite des mesures éducatives ou coercitives qu’il pourra ajuster. L’attente ne sera donc plus que de neuf mois au maximum alors qu’elle est aujourd’hui de vingt mois en moyenne. Il est en tout cas nécessaire de mettre de la cohérence dans la prise en charge des mineurs : les trente-sept réformes déjà adoptées ont introduit des modifications dans les procédures et dans la nature des sanctions qui ne sont pas toutes connues par les juges.
Madame Le Dain, vous souhaitez conférer un statut législatif aux audiences foraines. Je crois que nous avons besoin d’un peu de souplesse. Nous n’avons pas prévu de figer leur organisation dans la loi, mais elles sont inscrites dans le code de l’organisation judiciaire.
M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.
M. Sébastien Pietrasanta. Madame la ministre, cette année, vous nous présentez à nouveau un budget en hausse. Cette augmentation de 1,3 % de vos crédits leur permet de dépasser le seuil des 8 milliards d’euros, chiffre qui à lui seul symbolise la promesse tenue par le Gouvernement de considérer les missions de la justice comme prioritaires.
En 2012, vous avez reçu en héritage des services obsolètes et un budget sinistré ; depuis, et nous devons vous en remercier, vous consacrez toute votre énergie et votre pugnacité à accomplir votre mission.
Madame la garde des sceaux, les procès en sorcellerie qui vous sont faits sont injustes et intellectuellement médiocres.
Sur la question du terrorisme et de la radicalisation, vous prenez toute votre part dans l’effort gouvernemental. L’administration pénitentiaire bénéficie de moyens supplémentaires. Qui peut voir du laxisme là ou vous augmentez considérablement les moyens de la justice dans la lutte contre le terrorisme ? De même, contrairement à ce qu’affirment certains à droite, vous ouvrez plus de places de prison que vous n’en fermez, en général pour vétusté. Deux plans triennaux financés permettent de créer près de 10 000 places supplémentaires, le total passant de 57 300 à 67 000 places. Où donc est le laxisme ?
On vous doit également une rénovation immobilière de qualité sans précédent, qui a su éviter autant que possible les constructions en partenariat public-privé (PPP) si onéreuses. Rien que pour l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, vous consacrez plus de 53 millions d’euros à la construction et à la livraison de palais de justice. J’observe que la plupart de ces constructions se situent dans des villes moyennes. C’est une manière de rétablir un maillage territorial mis à mal par le fameux « plan Dati ».
L’accès au droit et à la justice finance la possibilité pour toute personne de connaître ses droits et de les faire valoir. Ces deux libertés fondamentales complémentaires sont particulièrement sensibles aujourd’hui. L’aide juridictionnelle absorbe l’essentiel des crédits de cette mission comme l’a souligné Mme Élisabeth Pochon. Permettez-moi simplement de dire mon étonnement sur ce sujet. L’État reste le premier contributeur de la politique de solidarité nationale qu’est l’aide juridictionnelle. Pour autant la participation très minoritaire des professions est attendue. Ce sujet mérite un dialogue urgent.
Dans une période difficile, chacun doit raison garder. Soyons précis et factuels ! J’invite mes collègues à refuser cette démagogie, cette logique de bouc émissaire. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen y sera particulièrement vigilant. Il approuve avec raison le budget de la mission « Justice » tel qu’il nous est proposé
M. Guy Geoffroy. M. Pietrasanta vient de nous inviter à raison garder ; cela vaut également pour ceux qui évoquent une augmentation de ce budget. Restons modestes ! Hors pensions, l’augmentation en question n’est que de 0,2 % et, l’an prochain, d’après les prévisions, le budget, sera en diminution. Il n’y a tout de même pas de quoi être euphorique.
Je me contenterai ce soir d’évoquer la contrainte pénale, dispositif applicable depuis le 1er octobre 2014. Jusqu’en 2017, cette peine concerne seulement les auteurs d’infractions et de délits passibles de moins de cinq ans de prison. Au-delà de cette date, elle s’appliquera à tous les délits.
Avec quelque malice et gourmandise, permettez-moi de rappeler que l’étude d’impact annexé au projet de loi créant le dispositif, étude produite par votre ministère, madame la garde des sceaux, tablait sur 8 000 à 20 000 contraintes pénales prononcées par an. Force est de constater que nous en sommes très loin : un an après l’entrée en vigueur du dispositif, 950 mesures de contraintes pénales ont été prises. Je note que 37 tribunaux, parmi lesquels ceux de Perpignan ou Lyon, qui ne sont pas des petites villes, n’en ont prononcé aucune. Quant au TGI de Paris, il en a prononcé six en tout et pour tout. La contrainte pénale peine à s’imposer. Quelle est votre sentiment à ce sujet, madame la ministre ?
Avant cette réunion, j’ai relu le compte rendu de nos débats dans l’hémicycle sur le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines qui a créé la contrainte pénale et qui a supprimé les peines planchers. Au sujet de ces dernières, vous disiez à l’époque que si les juges ne les appliquaient pas, c’est qu’il s’agissait de mauvaises dispositions. Tenez-vous le même raisonnement s’agissant de la contrainte pénale ? (Sourires.)
Vous ne pouvez pas prétendre que nous ne vous avions pas prévenue. Les juges vous disent qu’ils ont du mal à identifier les mesures de contraintes à prescrire. Tout est à inventer : les obligations, le suivi personnalisé… Quant aux conseillers d’insertion, ils sont censés faire du « sur-mesure », mais ils n’y arrivent pas. Les juges qui le savent parfaitement se désintéressent de ce dispositif qui, selon vous, devait révolutionner le champ pénal en matière délictuel.
La personnalisation des mesures ou l’évaluation, tout cela prend du temps, et la charge de travail est énorme. Je crois que nous n’avons pas les moyens d’un tel suivi. Les magistrats craignent d’ailleurs que ce dispositif ne soit pas à la hauteur, et ils préfèrent ne pas prononcer de contrainte pénale. Que comptez-vous faire pour que la contrainte pénale, ce joyau que vous avez offert à la République, soit à la hauteur des ambitions que vous aviez pour elle ?
M. François Rochebloine. Avec 6,4 milliards d’euros de crédits demandés, vous nous présentez un budget, certes stable, mais loin de nous satisfaire, sachant qu’il faut poursuivre la mise en œuvre de la loi du 15 août 2014, dite réforme pénale. Je ne m’attarderai pas, par manque de temps, sur la gestion du dossier de l’aide juridictionnelle. En revanche, je m’interroge : pensez-vous que l’effort indéniable de la création de deux cents emplois supplémentaires pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation soit suffisant ?
Alors que l’exécution des peines doit demeurer une priorité, nous nous posons des questions sur les moyens accordés à l’administration pénitentiaire, alors que l’on ouvre 2 298 places sur la période 2015-2017, dont 216 en 2016
À titre d’exemple, je peux citer la maison d’arrêt de Saint-Étienne, pour laquelle on relève actuellement quatorze vacances de postes, soit un peu plus de 12 % de l’effectif théorique total de l’organigramme de référence. Des renforts en personnels de surveillance sont-ils prévus ? Les sorties de promotions d’école en novembre 2015 et début 2016 le permettront. Cette situation s’explique principalement par des mutations en direction d’établissements neufs. Nul n’ignore le contexte budgétaire mais, madame la ministre, il est indispensable de ne pas laisser dériver une situation aussi préoccupante qui renforce la démobilisation des personnels déjà confrontés à la surpopulation carcérale chronique, à l’accroissement des violences, et à des contraintes découlant du plan Vigipirate. Le recours aux heures supplémentaires s’accroît aussi dans des organigrammes structurellement sous-dotés depuis plus de dix ans, qui en sont restés aux trente-neuf heures.
Un mot sur la réhabilitation des établissements. J’observe avec satisfaction que la programmation triennale a prévu plusieurs opérations indispensables tant nos maisons d’arrêts et nos centres pénitentiaires sont vétustes et dégradés. Vous me permettrez de revenir une nouvelle fois sur la maison d’arrêt de Saint-Étienne. Ouverte en 1968, elle doit être reconstruite. Je me réjouis de cette bonne décision, madame la ministre, et je ne peux faire moins que vous en remercier. Serait-il possible de connaître le calendrier détaillé de cette opération. Peut-on espérer qu’elle soit réalisée à horizon 2019-2020 ? Pourriez-vous également nous préciser si le lieu d’implantation est définitivement arrêté parmi ceux déjà proposés localement ?
Enfin, je tiens à vous rappeler mes démarches insistantes en faveur de l’association d’enseignement à distance Auxilia. Faute de moyens suffisants, ses dirigeants vont devoir procéder très prochainement à des licenciements, comme je vous l’ai indiqué par courrier. Pourtant, tout le monde s’accorde à dire que cette association répond à un réel besoin. Il y a urgence. L’an dernier, je vous ai déjà posé une question à ce sujet, et vous deviez recevoir les représentants de l’association. J’ai saisi le conseil régional pour qu’il puisse apporter un éventuel concours à cette association.
M. Sergio Coronado. Il faut toujours se réjouir des bonnes nouvelles, surtout en période de disette budgétaire. À l’instar de mes collègues, je ferai donc preuve d’un très grand optimisme, un optimisme en grande partie justifié. Depuis 2012, la majorité a accompagné de manière presqu’unanime les efforts consentis par le Gouvernement en faveur du budget de la justice. Il a augmenté les moyens du ministère de la justice et engagé des réformes structurelles comme la réforme pénale et le projet de réforme de la justice du XXIe siècle.
Pour 2016, avec 8,04 milliards d’euros, la hausse du budget de la justice sera d’1,3 % par rapport à 2015. Il s’agit plus que d’un budget sanctuarisé : nous atteignons 80 280 emplois, près de 3 000 créations jusqu’en 2017, dont 1 024 en 2016. Il faut se réjouir aussi de l’apport de fonds destinés à la lutte contre le terrorisme. Plus de la moitié du budget est absorbée par l’administration pénitentiaire. En douze ans, son poids n’a fait que s’accroître : sa part dans le budget du ministère de la justice est passée de 29 % à 44 %. Pourtant, on ne peut pas dire que tout aille bien : vétusté des locaux, situations en marge de la loi faute de crédits – rappelons la présence illégale de murets dans les parloirs à Fresnes, à propos desquels j’avais saisi la garde des sceaux et le président de la commission des lois –, report contestable de l’encellulement individuel, taux d’occupation des maisons d’arrêt atteignant 135 %. À cet égard, madame la ministre, il serait intéressant que vous nous indiquiez le nombre de cellules et leur ventilation en fonction de leurs tailles et du nombre de places.
Vous avez décidé de mettre un accent particulier sur l’aide juridictionnelle. Il est vrai que réformer le système pour qu’il puisse continuer à jouer son rôle est devenu une nécessité.
L’accès à la justice des plus démunis demeure fondamental et je sais combien vous êtes sensible à cette question. En 2014, après deux ans de gel, les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle ont été revalorisés de 0,8 %. Depuis le 1er janvier dernier, les personnes dont les revenus mensuels sont inférieurs à 937 euros peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle totale. Toutefois, ce plafond ne permet toujours pas à une partie de la population d’être correctement défendue, malgré l’existence de l’aide juridictionnelle partielle.
Votre réforme de l’aide juridictionnelle permettra à près de 100 000 justiciables supplémentaires de bénéficier de l’aide juridictionnelle, grâce à la hausse du plafond de ressources établi désormais à 1 000 euros pour être couverts à 100 %. C’est louable mais il reste à trouver le mode de financement nécessaire à la réforme, question qui suscite, comme nous avons pu le constater ces derniers jours, de fortes oppositions dans l’avocature.
À la suite de la rencontre que vous avez organisée aujourd’hui, nous avons appris par voie de presse que le prélèvement sur les intérêts de fonds placés dans des caisses gérées par les avocats serait abandonné. Il est même question qu’un amendement supprimant ce dispositif soit déposé au Sénat. Qu’en est-il réellement ? Où trouvera-t-on les 15 millions qui devaient être prélevés sur les CARPA ?
Il pouvait apparaître discutable de faire peser le poids du financement de l’aide juridictionnelle sur les épaules des avocats, déjà peu nombreux à s’y consacrer, 7 % d’entre eux réalisant 57 % des missions qui lui sont liées. Les barèmes fixés ne permettent nullement de prendre en considération le temps passé sur une affaire. Une intervention d’avocat en correctionnel est indemnisée 180 euros, quelle que soit la complexité du dossier. Il faut être très motivé, voire militant pour accepter de fournir cette aide.
De plus, comme l’a relevé la mission de modernisation de l’action publique (MAP) dans son rapport de novembre 2013 sur l’évaluation de la gestion de l’aide juridictionnelle, plus de la moitié des dossiers de demande d’aide juridictionnelle déposés par les justiciables sont incomplets. Selon le syndicat des greffiers de France, cette proportion atteint 80 % au bureau d’aide juridictionnelle de Versailles. Les informations complémentaires que vous voudrez bien nous fournir à ce sujet, madame la ministre, nous serons d’une très grande utilité.
Enfin, un rapport d’inspection a révélé que près de 50 000 personnes travaillaient au noir pour l’État, dont 40 500 pour le ministère de la justice : interprètes, experts judiciaires, médiateurs, médecins experts, qui travaillent exclusivement sur réquisition des autorités de police ou des autorités judiciaires. Considérées comme des prestataires, elles n’ont ni bulletin de salaire ni protection sociale et ne sont pas assujetties à la TVA. La Chancellerie a annoncé que la situation, qui dure depuis plus de quinze ans, sera régularisée lors de l’examen du PLF 2017. Savez-vous quelles seront les mesures prévues et les coûts qui en découleront pour l’État ?
M. Marc Dolez. Ma première question porte sur l’aide juridictionnelle. On ne peut qu’accueillir avec satisfaction, madame la ministre, votre décision de renoncer à une participation financière des avocats car l’État ne doit pas se défausser sur les principaux acteurs de l’aide juridictionnelle. Pour autant, le problème de fond n’est pas réglé dans la mesure où les modalités de rétribution restent à préciser. Elles feront l’objet d’un décret en Conseil d’État. Une note de la Chancellerie publiée en septembre laisse craindre une révision à la baisse de la rétribution de certaines missions : ce serait le cas pour la garde à vue, les procédures de divorce et certaines procédures prud’homales. Selon le barème annexé à la note, le montant de la rétribution d’un avocat assistant un gardé à vue pendant les premières vingt-quatre heures serait réduit de 300 euros à 180 euros et un référé serait payé 145 euros au lieu de 345 euros actuellement. Pourriez-vous nous donner des précisions sur les nouveaux barèmes en cours d’élaboration et vous engager à ce qu’il n’y ait aucune diminution de rétribution ? Cet enjeu est essentiel car, si pour certaines missions, l’avocat devait travailler à perte, il est clair que l’augmentation du seuil d’admission à l’aide juridictionnelle – mesure que nous ne pouvons qu’approuver – ne serait que théorique.
Ma deuxième question concerne le décret d’application des réformes de la justice prud’homale induites par la loi Macron. Le Conseil supérieur de la prud’homie s’est réuni la semaine dernière et a formulé plusieurs remarques sur le projet de décret. Pensez-vous les prendre en compte pour apporter des modifications éventuelles ? En particulier, allez-vous restreindre les contraintes concernant la saisine du Conseil des prud’hommes par requête, ce qui pourrait signifier la fin de la saisine simplifiée avec les conséquences que cela implique pour l’accès à la justice des publics les plus fragilisés ? Pouvez-vous, en outre, confirmer que ces nouvelles formalités de saisine n’auront plus à être accomplies sous peine de nullité ? Concernant la procédure d’appel, pouvez-vous préciser les obligations qui pèseront sur les défenseurs syndicaux ? Seront-ils soumis au même formalisme que les avocats ?
Ma troisième question sera consacrée la réforme de l’ordonnance de 1945. Comme l’an passé, vous vous engagez à la présenter devant Parlement en 2016, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Pouvez-vous nous préciser selon quel calendrier ? La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs figurera-t-elle bien dans la réforme ? Je dois dire que les déclarations du Premier ministre la semaine dernière m’ont laissé perplexe à ce sujet.
Le travail au noir au ministère de la justice a été évoqué par Sergio Coronado. Je fais miennes les questions qu’il a posées.
Pour finir, je souhaiterais vous interroger, madame la ministre, sur les agents non titulaires de la protection judiciaire de la jeunesse. Beaucoup d’entre eux sont encore dans une situation de précarité : on évalue à 1 300 équivalents temps pleins travaillés le nombre de personnes dans cette situation, soit 16 % des personnels en activité. Au regard de la mission spécifique de ces agents, il me paraît impératif de trouver des solutions. Que pensez-vous notamment de la proposition de requalifier les contrats ?
J’aurais encore des questions, mais je ne voudrais pas abuser de la générosité des présidents qui ont bien voulu accorder cinq minutes de temps de parole aux orateurs de chaque groupe.
M. Philippe Goujon. Madame la garde des sceaux, sous l’effet de votre politique, le nombre de détenus dans les prisons ne cesse de diminuer : entre avril 2014 et avril 2015, il y a ainsi eu 2 000 détenus de moins. La baisse concerne aussi les condamnés à des peines en milieu ouvert et les aménagements de peine – 5,2 % de moins en un an. À l’inverse, les chiffres de la délinquance sont en hausse, en dehors des vols avec violence. Quelle analyse portez-vous sur ces chiffres ?
Pour ce qui concerne les mineurs délinquants, nous souhaitons, contrairement à Mme la rapporteure pour avis, une multiplication des centres éducatifs fermés, dans le droit fil des engagements de campagne du Président de la République. Où en est le projet d’implantation de centres éducatifs fermés en Île-de-France dont la presse s’était fait l’écho ? Que pensez-vous de la recommandation des professionnels qui souhaitent porter à douze mois minimum au lieu de six mois renouvelables la durée de placement dans de tels établissements ?
Par ailleurs, j’aimerais savoir si vous allez procéder à l’abrogation de la rétention de sûreté.
S’agissant du transfèrement de détenus, il importe de rappeler que l’administration pénitentiaire ne dispose pas de suffisamment d’agents habilités pour assurer cette mission, d’autant que, depuis février 2015, ils doivent convoyer les détenus à l’extérieur de leur ressort territorial. Au surmenage des personnels s’ajoute un allongement des délais de transfert de détenus qui fait peser un risque d’annulation des procédures, comme l’a souligné la Conférence nationale des procureurs généraux. Quelles mesures comptez-vous prendre pour lutter contre cette pénurie de personnel ?
En ce qui concerne les permissions de sortir, quelles propositions envisagez-vous pour améliorer le dispositif qui a connu de nombreuses défaillances ces derniers temps ?
M. Pascal Popelin. Madame la ministre, vous me permettrez de m’éloigner quelque peu du cœur des crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2016 pour évoquer une question qui pourrait avoir des conséquences intéressantes sur les crédits ultérieurs de la mission « Sécurités » dont je suis le rapporteur pour avis au titre de la commission des lois.
L’empilement des textes de procédure pénale, conjugué à la montée en puissance du droit européen, a complexifié la tâche de ceux qui sont chargés d’appliquer chaque jour le code de procédure pénale, au premier rang desquels les forces de police et de gendarmerie. Ces lourdeurs sont pointées de longue date et je sais que vous travaillez à des pistes de réflexion depuis plusieurs mois sur ces questions, en lien avec M. le ministre de l’intérieur.
La semaine dernière, le Premier ministre a fait en votre présence des annonces importantes en matière de simplification de ces procédures, par voie législative et réglementaire. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce qui est envisagé par le Gouvernement afin de simplifier la gestion de la garde à vue par les officiers de police judiciaire ainsi que le formalisme procédural – je pense à la question des réquisitions –, de faciliter l’accès à certaines données utiles à l’enquête, de fluidifier les relations entre les parquets et les services enquêteurs, d’alléger la tâche des enquêteurs – je pense aux procédures de notification ? Pouvez-vous également nous éclairer sur le calendrier envisagé par le Gouvernement pour la mise en œuvre de ces évolutions très attendues ?
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Madame la ministre, je souhaiterais appeler votre attention sur le financement des conseils départementaux d’accès au droit (CDAD). Depuis la loi du 10 juillet 1991, leur mise en place progressive sur l’ensemble du territoire s’est accompagnée d’une amélioration croissante du service rendu aux justiciables en matière d’accès au droit. J’en veux pour preuve la création d’antennes de médiation dans certains quartiers, la diffusion de brochures d’information, la mise en place de numéros verts et d’actions de sensibilisation au droit et à la citoyenneté en direction des jeunes .
L’État, à travers le ministère de la justice, assure l’hébergement des CDAD au sein des TGI du chef-lieu du département et contribue à leur financement aux côtés des collectivités territoriales, notamment par le biais de subventions de votre ministère. Toutefois sa part reste souvent en deçà des besoins liés à la création de tels groupements d’intérêt public – formule juridique retenue par la loi de 1991.
En 2015, la Lozère est le dernier département français à avoir entrepris de se doter d’un CDAD. L’ensemble du territoire sera donc intégralement couvert en 2016.
Pouvez-vous me préciser, madame la ministre, quelles orientations budgétaires sont prévues pour financer ce type de structure ?
M. Dominique Raimbourg. Ma question est simple : où en est-on de la construction de places de prison ? En 2012, madame la ministre, vous avez hérité d’une situation très difficile : entre 2002 et 2012, le nombre de détenus est passé de 48 000 à 68 000, soit un taux d’incarcération qui a évolué de 75 pour cent mille habitants à 100 pour cent mille habitants. Pour gérer la surpopulation, on avait recours à un mécanisme mauvais mais efficace : les décrets de grâce. Il a été supprimé sans être remplacé et nous nous retrouvons aujourd’hui confrontés à une difficile situation de surpopulation.
Combien de places de prison allez-vous créer ? Comment régler la question de la surpopulation carcérale sans céder à ce fantasme, cette chimère des 80 000 places, tout à la fois infaisable, infondée et inutile ?
M. Olivier Audibert Troin. Ma question porte, madame la ministre, sur le programme 107, particulièrement sur les opérations menées par l’Agence pour l’immobilier de la justice (APIJ) pour la déconstruction du centre pénitentiaire de Draguignan.
Je voudrais tout d’abord saluer l’écoute dont vous et les membres de votre cabinet avez su faire preuve en 2013 dans le dossier de reconstruction du centre pénitentiaire. Rappelons que le 15 juin 2010, alors que des inondations touchaient le département du Var, le personnel pénitentiaire a évité une épouvantable catastrophe humaine au centre de Draguignan, situé en zone inondable, en sauvant de la noyade des dizaines de détenus. Je veux ici encore rendre hommage à son courage.
Le problème de la déconstruction de cette ancienne maison d’arrêt demeure. Toutes les études hydrologiques ont montré l’effet aggravant de cette emprise bâtie pour l’écoulement des eaux et leur retour dans le lit de la rivière en cas de crue. L’examen des crédits de la mission « Justice » consacrés aux investissements immobiliers m’inquiète : aucune ligne budgétaire n’est prévue pour ces travaux de démolition, les crédits étant, fort légitimement, concentrés sur l’indispensable construction de nouveaux établissements. Pour des raisons de salubrité et de sécurité publiques, il est urgent de voir réalisé en lieu et place de l’ancien bâtiment un bassin de rétention afin de lutter efficacement contre les inondations qui frappent régulièrement nos régions.
Pouvez-vous, madame la ministre, nous apporter des précisions sur le calendrier des travaux de déconstruction de l’ancien centre pénitentiaire de Draguignan ?
Mme Cécile Untermaier. L’aide juridictionnelle repose sur une politique de solidarité nationale qui garantit l’accès à la justice pour les plus pauvres. Je tiens à rappeler ici que des avocats se donnent sans compter pour la faire vivre.
L’État est le principal contributeur de l’aide juridictionnelle, comme aime à la souligner Jean-Yves Le Bouillonnec qui lui a consacré un rapport qui nous a beaucoup éclairés. Nous nous réjouissons de l’augmentation sensible de ses crédits intervenue depuis 2012.
Conscients de la nécessité de les augmenter encore, nous avons créé par amendement à la loi pour la croissance et l’activité un fonds interprofessionnel de l’accès au droit et à la justice destiné entre autres à contribuer au financement de l’aide juridictionnelle. Le Conseil constitutionnel a considéré que la possibilité offerte au Gouvernement de modifier par arrêté ministériel le niveau d’assiette ou de taux de la taxe visant à l’alimenter était contraire à la Constitution au titre de l’incompétence négative. Il a été convenu de travailler aux modifications nécessaires dans le cadre du projet de loi de finances. Pouvez-vous, madame la ministre, nous donner des précisions au sujet de l’échéancier que vous envisagez pour la création de ce fonds interprofessionnel, initialement prévue pour le 1er janvier 2016 ?
Mme Françoise Descamps-Crosnier. Alors que l’ordonnance de 1945 relative à la délinquance des mineurs fête ses soixante-dix ans cette année, je souhaite vous interroger sur le programme budgétaire « Protection judiciaire de la jeunesse ». Il devrait être le dernier à être placé sous le régime législatif et réglementaire actuel puisque vous préparez un projet de loi réformant la justice des mineurs. Avant de rentrer dans le vif de ma question, je tiens à saluer l’action de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et de ses agents. Madame la ministre, vous le rappeliez lors d’un séminaire des cadres de la PJJ à la fin du mois de septembre : en 2014, sur les 136 091 jeunes qu’elle a pris en charge, plus de 50 % n’auront affaire qu’une fois à la justice pénale ; un tiers reviendra devant la justice pénale au moins une fois ; 10 % s’installeront dans un parcours chaotique de délinquance. C’est ce dernier public qui nous pose le plus grand défi.
Dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons tous, vous réaffirmez notre engagement pour la justice des mineurs avec la création de 60 emplois supplémentaires et une augmentation de 18 millions d’euros des crédits de paiement par rapport à la LFI 2015. Ces moyens supplémentaires doivent permettre d’améliorer les résultats obtenus, notamment en matière de prévention de la récidive ou de la réitération ou bien encore en matière de réinsertion. Sur ce dernier point, je veux saluer l’objectif que fixe l’indicateur n° 1 : un taux de 80 % d’inscription dans un dispositif d’insertion sociale et professionnelle ou de formation pour les jeunes pris en charge.
Alors que les partenaires associatifs de votre ministère prennent en charge une part substantielle de l’action publique en matière de protection de la jeunesse avec 1 079 établissements, vous avez également renforcé les liens avec ces acteurs depuis le début de l’année grâce à la mise en place, le 30 janvier, d’une charte d’engagements réciproques signée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse et les fédérations associatives.
Madame la ministre, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale ce que vous attendez de cette nouvelle contractualisation ? Quels en sont les objectifs ? Comment les partenaires associatifs peuvent-ils contribuer à l’amélioration des résultats ? Quelle est la répartition entre le secteur public et le secteur associatif des jeunes pris en charge ?
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Je prends note, madame la ministre, de l’augmentation du budget de la médiation, notamment des crédits dédiés à la médiation familiale et aux lieux de rencontre. Puis-je vous demander de nous donner des précisions sur la mise en œuvre de cette politique ?
L’ordonnance de 1945 avait pour objectif de prendre en charge les jeunes en danger. Le recentrage de la protection judiciaire de la jeunesse sur la seule prise en charge des mineurs au pénal a eu d’importantes conséquences : les jeunes délinquants perdent à leur majorité la protection qui leur était assurée en tant que mineurs. Que comptez-vous faire pour leur permettre d’en conserver le bénéfice ?
Enfin, tout en n’ignorant pas la dangerosité d’une utilisation malveillante d’internet, il faut convenir qu’il est parfois indispensable de maîtriser cet outil moderne dans un processus de réinsertion. Pouvez-vous nous dire si des expérimentations en ce domaine peuvent être envisagées ?
M. Sébastien Pietrasanta. Je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur la question des transfèrements et des extractions judiciaires.
La réunion interministérielle du 30 septembre 2010 a acté la prise en charge par l’administration pénitentiaire de l’intégralité des missions de transfèrement et d’extraction judiciaire jusqu’alors dévolues aux forces de l’ordre. Ce transfert devait s’effectuer progressivement, région par région, entre 2011 et 2013. Pour cela, le gouvernement de l’époque – et je crois savoir que M. Larrivé avait joué un rôle important en tant que conseiller – a décidé de transférer au ministère de la justice 800 ETP, en provenance de la gendarmerie, pour 65 %, et de la police, pour 35 %.
Or les besoins ont été largement sous-évalués. Un gel du transfert a été opéré en 2013 et une nouvelle réunion interministérielle a acté le transfert de 1 200 ETP. Aujourd’hui, le processus est relancé et huit régions ainsi que trois départements d’Île-de-France sont pris en charge par le ministère de la justice. Au 1er novembre, le Nord-Pas-de-Calais et l’Aquitaine passeront également sous la responsabilité de l’administration pénitentiaire.
En 2014, ce sont près de 25 000 extractions judiciaires qui ont été réalisées par l’administration pénitentiaire.
Je souhaite, madame la garde des sceaux, appeler votre attention sur les nombreuses difficultés qui m’ont été signalées.
On constate une augmentation de ce que l’on appelle « l’impossibilité de faire », c’est-à-dire l’impossibilité d’assurer les extractions judiciaires pour l’administration pénitentiaire, qui les reporte alors sur les forces de l’ordre. Les impossibilités de faire représentent 9 % au 1er septembre 2015 et atteignent 30 % dans une région sous tension comme la Champagne Ardenne. Cela crée évidemment des tensions avec les forces de l’ordre, police et gendarmerie.
Ce système doit sans conteste être amélioré. On ne saurait récupérer des ETP tout en faisant assurer une partie de la mission par les forces de l’ordre.
Il apparaît urgent de mieux organiser le système de l’administration pénitentiaire. Dans cette perspective, la question de la polyvalence du personnel apparaît primordiale. De même, il serait salutaire d’augmenter les entretiens avec les magistrats par visio-conférence pour faire baisser le nombre d’extractions judiciaires. Chacun doit, ici, faire un effort indispensable.
Madame la ministre, le système des transfèrements n’est pas satisfaisant. Comment mieux adapter l’organisation de l’administration pénitentiaire pour qu’elle assure pleinement sa mission ? Comment inciter les magistrats à utiliser la visio-conférence ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Merci pour vos propos sur l’institution judiciaire. Nous sommes en situation de la moderniser pour la faire entrer de plain-pied dans le XXIe siècle. Les demandes d’introduction de tablettes et de téléphones portables révèlent son état. Grâce à une modification introduite par le Parlement l’année dernière, le code de procédure pénale rend désormais possible la communication par voie électronique entre les tribunaux et les justiciables alors qu’auparavant obligation était faite de procéder par courrier, en particulier par l’envoi de lettres recommandées, ce qui coûtait d’autant plus cher que 80 % d’entre elles n’étaient pas réclamées.
Plusieurs questions ont porté sur la création de nouvelles places de prison. Rappelons que nous disposons de deux programmes immobiliers entièrement financés : un programme visant 6 500 nouvelles places, exécuté à hauteur de 3 600 places ; un autre visant 3 200 places.
Vos remarques sur la rénovation immobilière renvoient à la mise en œuvre de la politique de présence sur le territoire et d’efficacité que nous avons instaurée.
J’en viens à l’aide juridictionnelle, objet de plusieurs questions. Cela fait une quinzaine années que tous les rapports s’accordent à dire que le système est à bout de souffle. Le dernier rapport en date est celui de Jean-Yves Le Bouillonnec que je remercie pour le temps qu’il y a consacré, l’énergie qu’il a déployée et le courage qu’il a eu de formuler des préconisations opérationnelles, ce qui le distingue de rapports précédents, qui se limitaient à des constats et des recommandations générales.
Nous aurions pu, à l’instar des gardes des sceaux précédents, ne rien toucher au dispositif de l’aide juridictionnelle : ne pas augmenter ses crédits, ne pas nous soucier de la taxe de 35 euros qui entravait l’accès à la justice, nous contentant de quelques gestes. Nous avons choisi d’augmenter les crédits qui lui sont consacrés, de supprimer l’entrave à la justice que constituait le timbre de 35 euros, et nous souhaitons réformer le dispositif afin d’éviter son effondrement, qui est une perspective vraisemblable.
La meilleure façon de mesurer ce risque est de considérer la concentration des avocats qui s’y consacrent : 7 % d’entre eux assurent 57 % de l’activité rémunérée au titre de l’aide juridictionnelle ; 16 % en assurent 84 %. Cette concentration comporte un risque de précarisation de la profession. Nous ne pouvons être indifférents à la paupérisation croissante d’une profession libérale qui intervient au pénal et au civil auprès de citoyens vulnérables et à faibles revenus. En outre, cette concentration n’est pas conforme de la loi de 1991 qui a énoncé des principes en matière de répartition de l’aide juridictionnelle au sein de la profession d’avocat.
Nous ne voulons pas adopter l’attitude qui consisterait à dire : « Après moi, le déluge ». Nous ne voulons pas laisser au gouvernement de gauche qui nous succédera un système qui se serait effondré.
Nous voulons réformer le dispositif de l’aide juridictionnelle. Comment procéder ? La loi de 1991 pose le principe de la participation de la profession et de la répartition de la mission de l’aide juridictionnelle. La profession intervient par le traitement des dossiers et le transfert que nous opérons d’une partie du budget de l’aide juridictionnelle au Conseil national des barreaux. Vous avez permis l’année dernière l’inscription dans la loi d’un cadre juridique permettant la conventionnalisation ou la contractualisation avec des barreaux. Le barreau de Lyon, demandeur en la matière, fait des expérimentations en la matière.
Si 16 % des avocats assurent l’essentiel des missions de l’aide juridictionnelle, qu’en est-il des 84 % restants ? C’est tout l’enjeu de la loi de 1991.
S’agissant du financement, nous avons proposé pour cette année un budget de 405 millions d’euros. Les groupes de travail sont en discussion depuis trois ans et leurs travaux ont connu une accélération cette année. Mais il y a un moment où il faudra tirer un trait : ou bien l’on constatera que les choses sont assez avancées pour enclencher la réforme ; ou bien l’on prendra acte du fait que la réforme est impossible à mettre en place et chacun assumera ses responsabilités.
Quoi qu’en disent certains, ceux qui considèrent que c’est un casus belli d’envisager une contribution de la profession, une telle option avait été proposée, comme en témoignent les comptes rendus de réunions. Il s’agissait d’opérer un prélèvement pendant une période transitoire – de 5 millions d’euros en 2016 et de 10 millions d’euros en 2017 – sur les produits financiers perçus sur les fonds des clients qui transitent par les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats, les CARPA.
Il y a quelques semaines, dans le cadre des discussions avec mon cabinet et l’administration, la profession a fait une autre proposition : les représentants des avocats ont indiqué qu’ils préféraient contribuer à la modernisation de la justice, en participant à la dématérialisation prévue dans le cadre du projet de loi de réforme de la justice civile, dite « J21 - justice du XXIe siècle ». Sauf qu’à quarante-huit heures du débat budgétaire, la profession a choisi de rompre la discussion. Si elle l’avait fait il y a un mois, nous aurions pu renouer le dialogue dans l’intervalle. À ce stade, soumis à une contrainte de calendrier, nous n’avions d’autre choix que de reprendre sa proposition antérieure et de l’inscrire dans le PLF.
S’il ne s’agit pas de stigmatiser les avocats qui ne font pas d’aide juridictionnelle, nous pouvons néanmoins nous interroger sur la forme que peut prendre leur contribution au système. Certains gros cabinets sont spécialisés dans la fiducie, les montages internationaux, les transactions immobilières ou le conseil fiscal. Il serait assez absurde de leur imposer de faire de l’aide juridictionnelle puisque cela ne fait pas partie de leurs métiers. En revanche, ils appartiennent à la profession. Depuis deux ans, quelques gros cabinets nous ont d’ailleurs fait savoir qu’ils trouvaient normal de contribuer au système, alors que d’autres nous ont opposé un refus de principe.
Monsieur le député Dolez, vous m’interrogez sur cette note concernant le barème de rémunération des avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle. En fait, il s’agit d’un document interne au groupe de travail, que d’aucuns ont instrumentalisé, et non pas d’une note de la chancellerie que j’aurais validée. Le ministère a apporté son soutien logistique au groupe de travail : salle de réunion, assistance des conseillers de l’administration, etc. Mais il ne s’agit en aucun cas d’une note de la chancellerie.
Nous avons commencé à travailler à partir des observations des représentants des avocats qui soulignent les aberrations du barème : certains actes, qui ne réclament pas une technicité particulière, bénéficient d’une rétribution correcte sinon confortable ; d’autres sont moins bien payés alors qu’ils demandent beaucoup de travail. Les barreaux sont les mieux placés pour apprécier ce qu’une intervention dans le cadre de l’aide juridictionnelle représente comme travail et comme contraintes, car les situations sont très disparates sur le territoire. Nous avons décidé de revaloriser l’unité de valeur socle, et proposé d’y ajouter un complément contractualisé pour tenir compte de certaines technicités juridiques et particularités territoriales : en zone rurale, un avocat peut ainsi être amené à parcourir un grand nombre de kilomètres.
Ce midi, j’ai rencontré les représentants du CNB, du barreau de Paris et de la Conférence des bâtonniers. Ils ont proposé d’en revenir à la dernière proposition qu’ils avaient formulée pendant le groupe de travail, à savoir leur participation à la dématérialisation dans le cadre de la future réforme judiciaire. En contrepartie, ils ont demandé que l’on renonce à ce prélèvement sur les produits financiers des CARPA. Nous sommes donc tombés d’accord. On me dit que la profession a confirmé cet accord dans une première déclaration, puis a nuancé sa position dans un communiqué ultérieur. Pour l’instant, je n’ai pas eu l’occasion de prendre connaissance moi-même de ces réactions.
Nous verrons bien ce qu’il advient, mais je le répète : il s’agit de savoir si nous voulons respecter ou abroger la loi de 1991 qui prévoit la participation de la profession d’avocat à l’aide juridictionnelle. Nous sommes dans la maison où l’on fabrique la loi et où on la respecte. Si nous n’abrogeons pas la loi, nous devons créer les conditions pour que l’aide juridictionnelle soit prise en charge par l’État mais gérée avec le discernement de la profession. Sinon, il faut fonctionnariser des avocats qui seraient exclusivement chargés de l’aide juridictionnelle. Pour ma part, en tant que garde des sceaux, je ne prendrai pas une telle option qui bouleverserait l’identité de la profession, même si les avocats eux-mêmes me le demandaient. Quoi qu’il en soit, si nous ne parvenons pas à faire cette réforme absolument indispensable, le dispositif de l’aide juridictionnelle s’effondrera avant que nos cheveux aient tous blanchi.
Pardonnez-moi d’avoir été longue et peut-être inutilement précise, mais je connais votre attachement à ces questions, vos relations avec les barreaux de vos circonscriptions. Je sais que vous vous préoccupez de la solidité d’un système créé pour que les justiciables modestes aient accès au droit et à la justice, ce qui est tout de même l’alpha et l’oméga, le début et la fin de l’histoire. L’État met les moyens nécessaires pour couvrir l’effet du relèvement du plafond de ressources pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle et de la revalorisation de l’unité de valeur payée aux avocats. Mais nous restons dans le cadre de la loi de 1991.
Venons-en au fonds de péréquation interprofessionnel, créé dans le cadre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, sur initiative parlementaire, même si le Gouvernement a repris à son compte l’amendement, du fait de l’application de l’article 40 de la Constitution. Il était prévu que ce fonds soit opérationnel en 2018, une incertitude étant liée à la censure introduite par le Conseil constitutionnel. Il semble que l’on puisse travailler plus vite et que ce fonds puisse être disponible dès 2017, voire au deuxième semestre de 2016. Cela relativise tout ce tollé actuel au sujet de ce prélèvement de 5 millions d’euros pour l’année 2016 – qui pourrait d’ailleurs se réduire à 2,5 millions d’euros – alors que l’État consacre 400 millions d’euros à l’aide juridictionnelle. Je n’en tire pas d’enseignement ni de conclusion.
Monsieur le député Guy Geoffroy, vous m’avez interrogée sur la contrainte pénale, disant qu’elle n’était quasiment pas prononcée par les tribunaux. Je ne peux que vous inciter à la patience. Pour ma part, j’ai parlé de redonner du sens à la peine, pas de révolutionner le champ pénal. Nous en reparlerons dans dix ans – vous serez encore très frais, moi beaucoup moins – mais souvenez-vous que le travail d’intérêt général (TIG) avait suscité le même scepticisme. Trente ans plus tard, personne ne pense que le TIG n’a pas sa place dans le paysage des sanctions pénales. Nous voulons que les peines soient efficaces, et la contrainte pénale a fait ses preuves dans les pays – démocratiques, sérieux, raisonnables – qui la pratiquent parfois depuis une vingtaine d’années.
Cette réforme pénale a été pensée comme un écosystème et dotée de moyens. Elle a été élaborée à partir d’une conférence de consensus, de consultations sérieuses et des débats parlementaires. En tant que garde des sceaux et ancienne parlementaire, j’ai la faiblesse de croire que ces travaux ont été de très grande qualité : le texte avait été beaucoup travaillé en amont et il a été encore amélioré lors de nos débats. La contrainte pénale vise à prévenir la récidive qui, rappelons-le en essayant de prendre un peu de hauteur, a triplé entre 2001 et 2011. Nous voulons empêcher que de nouveaux actes de délinquance ne créent de nouvelles victimes.
Au passage, je signale que nous avons doublé le budget de l’aide aux victimes, qui avait baissé au cours des trois dernières années de l’ancien quinquennat, en le portant de 10 à 20 millions d’euros. Nous avons aussi instauré un suivi individualisé et une prise en charge pluridisciplinaire des victimes, tout en conduisant des politiques ciblées à l’égard de certaines catégories d’entre elles : nous avons ainsi généralisé le téléphone grand danger pour les femmes victimes de violences au sein du couple ou de viols, et créé un réseau de référents afin d’améliorer la prise en charge des victimes du terrorisme. Notre politique à l’égard des victimes est très volontariste. Dans la réforme pénale, nous avons accru leurs droits et leurs garanties. Notre souci est de mieux les protéger et de les accompagner vers la résilience, le service qualitatif le plus important que l’État puisse leur assurer. Au-delà de la prise en charge matérielle et pécuniaire, nous devons créer les conditions pour que les victimes avancent vers la résilience.
Revenons à la contrainte pénale, une peine qui a été prononcée un millier de fois depuis son entrée en vigueur, il y a un an. L’étude d’impact avait surestimé son utilisation, mais cela signifie aussi que nous avons redonné au magistrat une liberté d’appréciation qu’il avait perdue avec l’instauration des peines planchers. Nous affichons notre confiance vis-à-vis des magistrats, tout en convenant avec vous que nous devons nous interroger quand aucune contrainte pénale n’est prononcée dans un ressort. D’ailleurs, cette question s’adresse d’abord à vous, les législateurs. Dans une démocratie, lorsque le Parlement a adopté une loi après en avoir débattu…
M. Philippe Goujon. La majorité l’a adopté !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Sans doute, mais l’opposition a fait mieux encore : en déférant le texte devant le Conseil constitutionnel, elle a permis qu’il soit validé par cette institution. Par voie de conséquence, personne n’a à craindre une question prioritaire de constitutionnalité. Par un acte que je me dispense de qualifier, vous avez renforcé la solidité de ce texte de loi.
M. François Rochebloine. C’est bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Absolument ! Je vous en remercie, monsieur Rochebloine ! Aucun magistrat n’a à craindre une fragilité de ce texte de loi. Quand je dis que vous avez raison de poser la question en voyant qu’aucune contrainte pénale n’est prononcée…
M. Guy Geoffroy. Et vous avez tort de ne pas me répondre !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vais vous apporter une réponse.
M. Guy Geoffroy. Vous m’avez dit que je devais attendre dix ans !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Non, je n’ai pas dit cela ! Je vous ai dit que, dans une dizaine d’années – le débat se sera apaisé bien avant d’ailleurs –, tout le monde conviendra que nous avons donné du sens à la peine et que, par conséquent, nous avons lutté de manière efficace contre la récidive. Voilà le pari que je prends et que je peux faire enregistrer chez le notaire, si vous le voulez.
Dans un ressort, il est statistiquement impossible que personne ne présente un profil adapté à la contrainte pénale, pour lequel cette peine serait la plus efficace. Avec les outils que nous avons mis en place, les recrutements de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) que nous avons effectués, la contrainte pénale est la peine la plus adaptée à certains profils qui ont besoin d’un suivi serré. Auparavant, les magistrats n’avaient d’autre choix que de prononcer une courte peine de prison pour des personnes présentant une addiction à l’alcool avec les comportements associés, par exemple, ou pour certains délits qui provoquent une rupture de la socialisation. Or, dans ces cas, la contrainte pénale est une réponse plus adaptée que la courte peine de prison. Il faudra qu’on m’explique pourquoi, dans un ressort entier, personne ne présente un tel profil.
Monsieur le député Rochebloine, je sais que la reconstruction de la maison d’arrêt de Saint-Étienne vous préoccupe profondément. Le préfet est chargé de trouver un terrain, et je pense qu’il vous tient régulièrement informé de ses démarches.
M. François Rochebloine. Le préfet m’informe de cette recherche et des autorisations d’engagements.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Les autorisations d’engagements seront données en 2017.
M. François Rochebloine. Nous pourrons inaugurer le bâtiment en 2020 ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Il sera terminé depuis longtemps !
M. Guy Geoffroy. Vous aurez votre réponse avant moi, cher collègue…
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Les vacances de postes dans les prisons vous préoccupent. Comme je l’ai indiqué, 534 postes vont s’ajouter à ceux qu’il était prévu de créer en 2014. Compte tenu de vos interpellations régulières sur les vacances de postes, je ne résiste pas à l’envie de vous fournir quelques détails, quitte à faire des réponses déraisonnablement longues.
Si j’ai obtenu ces postes supplémentaires en juin 2014, c’est parce que j’ai été en mesure de démontrer que, durant trois ans, vous n’avez pas créé les postes inscrits en lois de finances. La formation des nouveaux surveillants a commencé en septembre 2014, et ils vont arriver au fur et à mesure dans les établissements.
Le passage aux 35 heures a engendré trop d’heures supplémentaires, ce qui se répercute sur l’absentéisme. Le taux de vacance de postes se situe en moyenne entre 3 % et 5 % mais il peut monter jusqu’à 8 % dans certains établissements. C’est beaucoup parce que la charge de travail se reporte sur les effectifs en place dont le métier n’est déjà pas simple.
Monsieur Dolez, vous m’avez interrogée sur la réforme de la justice des mineurs…
M. François Rochebloine. Qu’en est-il de l’association Auxilia, madame la garde des sceaux ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Nous avions reçu ses représentants et il était question qu’ils voient le conseil régional et l’Association des régions de France (ARF).
M. François Rochebloine. Deux postes ont été supprimés sur les cinq alors que cette association joue un rôle indispensable !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Ils sont en contact avec la direction de l’administration pénitentiaire, monsieur le député.
Pour en revenir à votre question, monsieur Dolez, l’abrogation des tribunaux correctionnels pour mineurs est prévue dans le projet de réforme de l’ordonnance de 1945. Cette suppression répond à la fois à un engagement du Président de la République et à une demande de tous les chefs de juridiction. Ces tribunaux correctionnels, créés pour juger les récidivistes âgés de seize à dix-huit ans, visaient à rapprocher la justice de mineurs de celle des majeurs. En fait, ils n’ont jugé que 1 % des affaires et dans des délais plus longs que ceux des tribunaux pour enfants. En outre, leurs décisions sont en moyenne d’une sévérité égale ou inférieure à celles des tribunaux pour enfants. Tout le monde peut deviner le type d’adjectif que je serais tentée d’accoler à cette opération.
S’agissant des collaborateurs occasionnels du service public, 40 000 d’entre eux relèvent, en effet, du ministère de la justice. Cette situation, qui dure depuis 1999, n’a jamais été traitée. Nous l’avons prise en charge depuis deux ans. Marisol Touraine et moi-même avons confié une mission à l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) et à l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui nous a déjà permis de savoir combien de personnes étaient concernées. Jusqu’à présent, nul ne le savait. D’une part, il n’y avait pas de centralisation des statistiques. D’autre part, le statut de ces personnes n’avait pas été clairement défini : certaines ont un lien de subordination avec le ministère, d’autres effectuent des prestations de service assujetties à la TVA. Même les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) n’avaient pas les chiffres. Nous avons déjà provisionné 23 millions d’euros de façon à payer les cotisations sociales qui sont dues, ce qui correspond à environ 40 % du total. Nous sommes donc en train de régler ce dossier.
Monsieur Popelin, vous m’avez interrogé sur la réforme de la procédure pénale, un travail que nous avons engagé depuis plusieurs mois avec le ministère de l’intérieur. La transposition de directives européennes a rendu notre procédure pénale compliquée. Il y a deux ans, j’ai décidé que nous allions reprendre la main afin de redonner de la cohérence à la procédure pénale. En mars 2014, j’ai installé une mission d’une douzaine de personnes, présidée par Bruno Cotte, qui va réfléchir au droit des peines et à la procédure pénale. J’ai aussi confié à une mission à Jacques Beaume, ancien procureur général près la cour d’appel de Lyon, et à Jean-Louis Nadal, procureur général honoraire près la Cour de cassation. Le groupe de travail dispose d’une partie de ces matériaux puisque la mission Cotte est en train de nous remettre son rapport définitif. À partir de là, nous avons déterminé les mesures nécessaires.
Nous allons faciliter le travail des enquêteurs qui ont été soumis à un empilement de contraintes. Au terme de la réforme, ils ne seront plus obligés d’établir un procès-verbal pour chaque acte procédural, mais ils pourront regrouper tous ces actes dans un procès-verbal unique. Nous allons simplifier d’autres formalités administratives et chronophages telles que l’obligation de demander à chaque fois au procureur l’autorisation d’accéder à des informations. Les procureurs pourront établir des listes de formalités permanentes, et les enquêteurs pourront accéder très rapidement à des fichiers afin d’obtenir des compléments d’information sans avoir à solliciter l’autorisation du parquet. Nous allons créer une plateforme qui permettra aux enquêteurs de disposer immédiatement de l’information disponible sur les avocats, les médecins et les interprètes de permanence. Nous allons permettre à la police scientifique et technique d’effectuer les scellés immédiatement puisqu’elle est sur le terrain et qu’elle effectue les relevés.
Les dispositions réglementaires vont être effectives très vite, dans les semaines à venir. Quant aux dispositions législatives, plus lourdes, elles devraient être finalisées et transmises au Conseil d’État dans le courant du premier trimestre 2016.
Dans le cadre du projet de loi sur la justice au XXIe siècle, nous allons réformer les Conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) dont nous allons mailler le territoire. Nous réformons leur composition mais aussi leur gestion : le procureur sera impliqué davantage, sans pour autant devenir commissaire du Gouvernement. Puisque vous allez examiner ce texte très prochainement, je vous propose de vous donner tous les détails à cette occasion.
Monsieur Dominique Raimbourg, vous connaissez encore mieux que moi le problème de la population carcérale.
Dans les projets de loi J21, nous reviendrons aussi sur la médiation : c’est le titre II du projet de loi organique. Nous harmonisons cette profession libérale qui est exercée de manière très disparate sur le territoire. Nous allons harmoniser à la fois la qualification, la formation, les règles déontologiques, le code disciplinaire, etc. Nous introduisons aussi la conciliation obligatoire. Nous avons prévu d’améliorer l’indemnisation – assez misérable – des conciliateurs qui travaillent gracieusement mais bénéficient de remboursements de frais divers, notamment de transports. Nous remercions les collectivités qui mettent leurs locaux et leur logistique à la disposition de ces conciliateurs.
Le sujet des jeunes majeurs est très important. Nous pouvons prendre en charge les jeunes majeurs, notamment lorsqu’ils ont fait l’objet d’une mesure judiciaire, afin d’éviter que ne s’abatte sur eux le couperet des dix-huit ans. Cependant, depuis la réforme de 2007, les conseils généraux développent des programmes à destination de ces jeunes. Dans un souci de gestion efficace des deniers publics, nous devons travailler davantage en coopération avec les conseils généraux.
Mille excuses à tous d’avoir été trop longue et à certains d’avoir oublié une partie de leurs questions. Je vais passer en revue les questions auxquelles je n’ai pas répondu et je vous ferai parvenir une réponse avant les débats en séance publique.
M. Olivier Audibert Troin. Qu’en est-il du centre pénitentiaire de Draguignan ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. J’ai bien entendu votre question et pris note du problème. Je vous propose une séance de travail, monsieur le député, ce sera plus raisonnable et plus constructif.
M. Pierre-Alain Muet, président. Merci, madame la ministre, pour la précision et l’exhaustivité de vos réponses.
La discussion et le vote en séance publique auront lieu le mercredi 28 octobre.
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À l’issue de l’audition de Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux, la Commission examine, pour avis, les crédits de la mission Justice (Mme Élisabeth Pochon, rapporteure pour avis « Accès au droit et à la justice et aide aux victimes » ; M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire » ; Mme Anne-Yvonne Le Dain, rapporteure pour avis « Justice administrative et judiciaire » ; Mme Colette Capdevielle, rapporteure pour avis « Protection judiciaire de la jeunesse »).
Conformément aux conclusions de Mme Élisabeth Pochon, Mme Anne-Yvonne Le Dain et Mme Colette Capdevielle, rapporteures pour avis, mais contrairement à l’avis de M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis, la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2016.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA RAPPORTEURE POUR AVIS
l Ministère de la Justice
— Mme Nathalie RIOMET, cheffe du service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes, secrétariat général
l Conseil national de l’aide juridique (CNAJ)
— M. Olivier ROUSSELLE, président
GROUPES DE TRAVAIL MIS EN PLACE PAR LA GARDE DES SCEAUX SUR LA RÉFORME DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE
l Groupe de travail « Rétribution (barème de l’aide juridictionnelle, forfaits de l’aide à l’intervention), protocoles article 91 et subventions GAV »
— Me Yves TAMET, président de la commission Accès au droit et à la justice du Conseil national des Barreaux
— M. Éric NEGRON, premier président de la cour d’appel de Montpellier
l Groupe de travail « Gouvernance et financement »
— Me Myriam PICOT, ancien bâtonnier, co-rapporteure
l Groupe de travail « Sociologie des acteurs de l’aide juridictionnelle et définition des besoins des citoyens »
— Me Christine RUETSCH, ancien bâtonnier, membre du Conseil national des barreaux
— M. Didier MARSHALL, premier président honoraire
l Groupe de travail « Amélioration des processus – L’aide juridictionnelle au quotidien »
— Me Maryvonne LOZAC’HMEUR, vice-présidente de la Conférence des bâtonniers
— Mme Monique POMPUI, greffier en chef, vice-présidente du bureau de l’aide juridictionnelle de Paris
l Barreau de Paris
— M. Pierre-Olivier SUR, bâtonnier
— M. Xavier AUTAIN, délégué du bâtonnier aux affaires publiques
— Mme Amélie GUIRAUD, chargée d’affaires publiques
l Conseil national des barreaux (CNB)
— Mme Maria BONON, vice-présidente de la commission accès au droit et à la justice
— M. Roland RODRIGUEZ, vice-président
— Me Yves TAMET, président de la commission « Accès au droit et à la Justice »
— M. Jacques-Edouard BRIAND, conseiller aux relations avec les pouvoirs publics
l Syndicat des avocats de France (SAF)
— M. Florian BORG, président
l Union Nationale des CARPA (UNCA)
— M. Marc BERENGER, président
— M. Jean-Christophe BARJON, vice-président
— M. Karim BENAMOR, directeur
— M. Jean-Charles KREBS, président d’honneur