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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2016.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (n° 4061)
de finances pour 2017
TOME VI
JUSTICE
ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE
PAR M. Guillaume LARRIVÉ
Député
——
Voir le numéro : 4125-III-31.
En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2016, pour le présent projet de loi de finances.
À cette date, 99 % des réponses étaient parvenues à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de la Justice de leur collaboration.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 7
PREMIÈRE PARTIE : LE BUDGET DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE POUR 2017 NE SOLDE PAS LE PASSIF DES « ANNÉES VALLS-TAUBIRA » 11
I. UN BUDGET EN HAUSSE DE 5 % EN CRÉDITS DE PAIEMENT ET UN RELÈVEMENT DE 3 % DU PLAFOND D’AUTORISATIONS D’EMPLOI… 11
A. L’AUGMENTATION DES CRÉDITS OUVERTS POUR 2017 11
B. LE RELÈVEMENT DU PLAFOND DES AUTORISATIONS D’EMPLOI 14
C. UNE AUGMENTATION DES MOYENS QUI RÉSULTE PRNCIPALEMENT DES PLANS DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET LA RADICALISATION 15
II. … MAIS QUI DEMEURE INSUFFISANT COMPTE TENU DES URGENCES ET DES DÉFIS STRUCTURELS AUXQUELS EST CONFRONTÉE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE 15
A. UNE SITUATION BUDGÉTAIRE ENCORE CONTRAINTE ET PRÉOCCUPANTE 16
1. Un budget sur lequel pèsent de nombreuses contraintes 16
2. Les difficultés liées aux extractions judiciaires 17
B. COMME LORS DES QUATRE PRÉCÉDENTS BUDGETS, LE DÉVELOPPEMENT DES AMÉNAGEMENTS DE PEINE DEMEURE UN OBJECTIF PRIORITAIRE 18
1. Le développement des alternatives à l’incarcération demeure un objectif prioritaire… 18
2. … et dessine une stratégie d’évitement de l’incarcération motivée par le « surpeuplement » carcéral 19
SECONDE PARTIE : LES TROIS DÉFIS STRUCTURELS DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE 21
I. LE DÉFI DE LA SOUS-CAPACITÉ CARCÉRALE 21
A. NOTRE PAYS DEMEURE EN SITUATION DE SOUS-CAPACITÉ CARCÉRALE 21
1. Le rapport entre le nombre de places de prison et le nombre de détenus 21
2. Il n’existe pas une surpopulation mais une sous-capacité carcérale 23
B. L’HÉRITAGE CATASTROPHIQUE DE 2012-2016 24
1. La dynamique de construction lancée entre 2007 et 2012… 24
2. … a été stoppée net par la politique conduite entre 2012 et 2016 25
C. LES LIMITES DU « PLAN URVOAS » 27
1. Une prise de conscience tardive qui se traduit par des engagements en trompe l’œil… 28
2. … et qui condamne la France à la sous-capacité carcérale 29
II. LE DÉFI DE LA SÉCURISATION 31
A. DES PERSONNELS DE GRANDE VALEUR TRÈS EXPOSÉS 31
B. L’URGENCE D’UN PLAN DE SÉCURISATION DES ÉTABLISSEMENTS 34
1. Des efforts louables en faveur de la sécurité des établissements 34
2. La nécessité d’un plan plus ambitieux de sécurisation des prisons… 35
3. … financé par une contribution perçue sur les détenus solvables 38
III. LE DÉFI DE LA LUTTE CONTRE LA RADICALISATION ISLAMISTE 39
A. DES UNITÉS DÉDIÉES INSTALLÉES TARDIVEMENT 39
1. Après le temps du déni face à la radicalisation islamiste en détention… 39
2. … est venu le temps des expérimentations relativement improvisées 43
B. UNE RÉPONSE SOUS-DIMENSIONNÉE ET INADAPTÉE À L’AMPLEUR DE LA MENACE ISLAMISTE 46
1. Une réponse sous-dimensionnée à l’ampleur de la radicalisation islamiste en prison 46
2. Une réponse inadaptée à la dangerosité des détenus islamistes 48
C. DES CORRECTIONS NÉCESSAIRES POUR METTRE HORS D’ÉTAT DE NUIRE LES DÉTENUS ISLAMISTES 51
1. Appliquer un régime de détention séparé et renforcé dans des unités spécialisées 51
2. L’urgence d’un sursaut capacitaire et doctrinal en matière de renseignement pénitentiaire 54
EXAMEN EN COMMISSION 59
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS 101
PERSONNES ENTENDUES 103
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS 105
Peu avant l’achèvement du quinquennat du Président de la République sortant et de la mandature de l’actuelle majorité, le projet de loi de finances pour 2017 constitue la dernière occasion pour le Gouvernement de permettre à l’administration pénitentiaire de répondre aux défis qui se posent à elle.
C’est aussi l’occasion, pour votre rapporteur pour avis, de dresser un bilan des moyens donnés à la troisième force de sécurité intérieure pour mener à bien ses missions, dans un contexte particulièrement difficile, marqué par le terrorisme islamiste qui frappe notre pays depuis plusieurs années.
Avec les attentats qui ont endeuillé la France en janvier 2015 à Paris et Vincennes, en novembre de la même année à Paris, en juin 2016 à Magnanville et en juillet à Nice puis à Saint-Etienne-du-Rouvray, la menace terroriste a atteint un niveau extrême.
Entendu, en mai 2016, par la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, M. Patrick Calvar, directeur général de la sécurité intérieure, soulignait que la France « est aujourd’hui, clairement, le pays le plus menacé ». Il rappelait « qu’un des numéros de la revue francophone de Daech, Dar al Islam, titrait en une : " Qu’Allah maudisse la France " ». Il indiquait qu’« Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), en tant qu’organisation héritière du Groupe islamique armé (GIA) des années 1990, considère toujours la France comme l’ennemi numéro un et [qu’]Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) nous stigmatise de la même façon ». Il concluait ainsi son propos : « la question relative à la menace n’est pas de savoir "si", mais "quand" et "où" » (1).
Il résulte de cette menace une intense activité des services de renseignement, chargés de surveiller les quelque 2 000 Français partis, en transit ou souhaitant se rendre en Syrie, dont 700 sur zone.
Sur le plan judiciaire, M. François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, faisait état d’une augmentation très importante des procédures judiciaires ouvertes du chef de terrorisme. De 26 en 2013, nous serions passés à 136 en 2015 et 324 au 1er septembre 2016, à raison de 183 enquêtes préliminaires et 141 informations judiciaires. Au total, 982 individus faisaient l’objet d’enquêtes judiciaires en lien avec une entreprise terroriste, dont 280 mis en examen et 577 faisant l’objet d’un mandat de recherche ou d’arrêt. Sur les 280 personnes mises en examen, 167 étaient placées en détention.
Les prisons françaises sont dès lors confrontées à l’augmentation du nombre des personnes incarcérées pour des faits de terrorisme. Mais elles doivent également faire face à la progression des pratiques de prosélytisme religieux ou idéologique. Les établissements pénitentiaires sont eux-mêmes devenus le théâtre de comportements présentant toutes les caractéristiques d’actes terroristes. En témoigne la tentative d’assassinat terroriste, à l’arme blanche, le 3 septembre dernier, de deux surveillants de prison au sein de l’unité de prévention de la radicalisation de la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise, où votre rapporteur pour avis s’est rendu accompagné des députés Éric Ciotti et Philippe Goujon.
Au total, plus de 2 000 personnes considérées comme « radicalisées » seraient suivies par l’administration pénitentiaire, dont près de 330 incarcérées pour une incrimination terroriste, 1 400 autres détenus de droit commun et 360 personnes prises en charge par le milieu ouvert.
Dans ce contexte, la France s’est-elle dotée des dispositifs juridiques et des moyens humains et budgétaires à la hauteur des menaces auxquelles notre pays est confronté ? L’administration pénitentiaire, en première ligne pour la prise en charge des individus faisant l’objet de procédures judiciaires et l’éradication de l’islamisme radical en détention, a-t-elle disposé d’outils suffisants ?
Ce n’est pas le cas. Le budget de l’administration pénitentiaire a, il est vrai, bénéficié, ces dernières années, de certaines marges de manœuvre mais elles se sont concentrées sur le traitement social de la délinquance. Du reste, la hausse de 14 % des crédits alloués à ces administrations entre 2012 et 2017 demeure nettement inférieure à l’augmentation de 27,1 % observée sous le quinquennat de M. Nicolas Sarkozy.
Le législateur a également renforcé l’arsenal administratif et judiciaire contre le terrorisme, en particulier en 2016 (2), bien souvent à l’initiative du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, mais selon une approche de « petits pas » qui n’a pas permis à l’administration pénitentiaire de se doter d’un cadre juridique suffisamment solide en matière de prise en charge des détenus djihadistes.
Le garde des Sceaux a annoncé, enfin, la construction de 10 000 à 16 000 nouvelles places de prison d’ici 2025 mais dans l’objectif de parvenir à 80 % d’encellulement individuel.
Ces mesures, intervenues souvent tardivement, se révèlent insuffisantes au regard des urgences capacitaires, sécuritaires et administratives qui s’imposent à l’administration pénitentiaire aujourd’hui.
À cet égard, votre rapporteur pour avis regrette que la plupart des propositions qu’il avait formulées dans ses avis budgétaires en octobre 2014 (3) puis en octobre 2015 (4) n’aient pas été suivies par le Gouvernement, ou alors de façon partielle ou inadéquate.
Bien qu’il soit en hausse, le budget de l’administration pénitentiaire pour 2017 ne solde pas le passif des quatre précédentes années (première partie). Il demeure, en tout état de cause, insuffisant au regard des trois défis structurels auxquels est confrontée l’administration pénitentiaire, celui de la sous-capacité carcérale, celui de la sécurisation et celui de la lutte contre la radicalisation islamiste (seconde partie).
PREMIÈRE PARTIE : LE BUDGET DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE POUR 2017 NE SOLDE PAS LE PASSIF DES « ANNÉES VALLS-TAUBIRA »
Le projet de loi de finances pour 2017, dernier budget de la législature, entérine une progression des moyens financiers et humains alloués à la mission première de l’administration pénitentiaire, la garde et le contrôle des personnes placées sous main de justice, et en particulier l’agrandissement et la sécurisation du parc pénitentiaire. Votre rapporteur pour avis constate que cela marque un changement d’orientation dans la politique pénitentiaire du Gouvernement (I). Ce sursaut intervient toutefois bien tardivement et demeure insuffisant (II).
I. UN BUDGET EN HAUSSE DE 5 % EN CRÉDITS DE PAIEMENT ET UN RELÈVEMENT DE 3 % DU PLAFOND D’AUTORISATIONS D’EMPLOI…
Les crédits ouverts pour le programme « Administration pénitentiaire » (n° 107) progressent en crédits de paiement et en autorisations d’engagement (A), permettant la création de nouveaux emplois (B). Mais ces nouveaux crédits sont surtout le résultat d’une réaction tardive à la menace qui pèse sur notre pays, au travers du lancement de plusieurs plans de lutte contre le terrorisme et la radicalisation (C).
Le programme « Administration pénitentiaire » bénéficiera l’année prochaine de crédits supplémentaires en autorisations d’engagement et en crédits de paiement (1), qu’il convient cependant d’affiner en fonction de chacune des trois actions qui le composent (2).
Le projet de loi de finances soumis à l’examen du Parlement fait bénéficier le budget de l’administration pénitentiaire d’une augmentation de 172,7 millions d’euros par rapport à la loi de finances pour 2016, soit une progression de 5 %.
Les crédits de paiement (CP) passent ainsi de 3,464 milliards d’euros en 2016 à 3,636 milliards d’euros en 2017. Hors masse salariale, les crédits de paiement s’élèvent à 1,286 milliards d’euros, soit une augmentation de 3,7 % par rapport à 2016. Les autorisations d’engagement (AE) connaissent une hausse de 55 %, passant de 3,727 milliards d’euros en 2016 à 5,780 milliards d’euros en 2017.
Comme les années précédentes, les actions composant le programme « Administration pénitentiaire » sont au nombre de trois :
–– la garde et le contrôle des personnes placées sous main de justice (PPSMJ) (5) (action 01)
Hors masse salariale, les crédits de cette action passent de 851,8 millions d’euros en AE et 497,4 millions d’euros en CP en loi de finances pour 2016 à 1,962 milliard d’euros en AE et 486 millions d’euros en CP pour l’année 2017.
En AE, l’évolution est principalement liée à la programmation de nouvelles opérations, à raison de 379 millions d’euros pour la poursuite du programme « 3 200 places » (6) et 1,158 milliard d’euros pour le nouveau programme immobilier annoncé par le garde des Sceaux afin de répondre à l’objectif de 80 % d’encellulement individuel.
La diminution de CP porte sur les dépenses d’investissement, dont la consommation est fonction du rythme de mise en œuvre des programmes immobiliers.
En CP, 150 millions d’euros permettront de réaliser des opérations de maintenance et de gros entretien, 162 millions d’euros seront consacrés au paiement des loyers de partenariats public-privé, 28 millions d’euros au développement des aménagements de peine et 40,6 millions d’euros à la sécurisation des établissements.
–– l’accueil et l’accompagnement des PPSMJ (7) (action 02)
Hors masse salariale, les crédits de cette action passent de 543,8 millions d’euros en AE et 640,7 millions d’euros en CP en loi de finances pour 2016 à 1,334 milliard d’euros en AE et 675 millions d’euros en CP pour l’année 2017.
L’augmentation des AE s’explique par le renouvellement d’une partie des marchés de gestion déléguée. Celle des CP doit notamment permettre le développement des actions de réinsertion des personnes détenues conformément à la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.
–– le soutien et la formation (action 04)
Hors masse salariale, les crédits de cette action passent de 108,9 millions d’euros en AE et 103,1 millions d’euros en CP en loi de finances pour 2016 à 133,6 millions d’euros en AE et 124,3 millions d’euros en CP pour l’année 2017.
L’augmentation des crédits doit notamment permettre de financer l’extension des bâtiments d’hébergement de l’école nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) et la prise en charge des élèves plus nombreux qu’elle forme.
En autorisations d’engagement
|
Crédits votés en loi de finances pour 2016 |
Crédits demandés pour 2017 |
Évolution 2016-2017 |
Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice (Action 01) |
2 449 |
3 632 |
+ 48 % |
Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02) |
977 |
1 797 |
+ 84 % |
Soutien et formation (Action 04) |
301 |
351 |
+ 17 % |
Total |
3 727 |
5 780 |
+ 55 % |
En millions d’euros
En crédits de paiement
|
Crédits votés en loi de finances pour 2016 |
Crédits demandés pour 2017 |
Évolution 2016-2017 |
Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice (Action 01) |
2 095 |
2 157 |
+ 3 % |
Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice (Action 02) |
1 074 |
1 139 |
+ 6 % |
Soutien et formation (Action 04) |
295 |
341 |
+ 16 % |
Total |
3 464 |
3 637 |
+ 5 % |
En millions d’euros
Source : ministère de la justice.
Les dépenses de personnel, d’un montant de 2,350 milliards d’euros, ce qui correspond à une hausse de 5,7 % par rapport à l’année dernière, permettent la création de 1 255 équivalents temps plein travaillé (ETPT) et le financement de diverses mesures catégorielles. La création de ces 1 255 nouveaux emplois répond à trois objectifs principaux :
– l’amélioration de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation (526 ETPT) ;
– le fonctionnement des établissements qui vont prochainement ouvrir (477 ETPT) ;
– le remplacement des postes vacants de surveillants (134 ETPT) ;
– la poursuite de la mise en œuvre de la loi de 2014 sur l’individualisation des peines et l’efficacité de la sanction pénale, au travers d’un renforcement des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) de 100 ETPT ;
– et l’ouverture de l’antenne de détention du futur palais de justice de Paris (18 ETPT).
Au titre des mesures catégorielles, l’augmentation des dépenses de personnel fait notamment suite à la revalorisation de la prime de sujétions spéciales pour les membres des corps en tenue, les personnels administratifs et techniques ainsi que les directeurs des services pénitentiaires, la création d’une prime de fidélisation pour les surveillants et les revalorisations indiciaires décidées en décembre 2015 et juillet 2016.
Catégories d’emplois | |||||||
Programme 107 : Administration pénitentiaire |
Magistrats |
Catégorie A : Personnels d’encadrement |
Catégorie B : Greffe, insertion et éducation |
Catégorie B : Administratifs et techniques |
Catégorie C : personnels de surveillance |
Catégorie C : administratifs et techniques |
Nombre d’ETPT 2017 |
Action 01 : garde et contrôle des PPSMJ |
0 |
834 |
2 078 |
200 |
24 462 |
546 |
28 120 |
Action 02 : accueil et accompagnement des PPSMJ |
0 |
634 |
2 640 |
496 |
2 492 |
1 227 |
7 489 |
Action 04 : soutien et formation |
14 |
385 |
303 |
471 |
970 |
1 455 |
3 598 |
Total programme |
14 |
1 853 |
5 021 |
1 167 |
27 924 |
3 228 |
39 207 |
Source : Réponse du ministère de la Justice au questionnaire budgétaire.
C. UNE AUGMENTATION DES MOYENS QUI RÉSULTE PRNCIPALEMENT DES PLANS DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET LA RADICALISATION
D’après le projet annuel de performance de la mission « Justice » annexé au projet de loi de finances pour 2017, « l’administration pénitentiaire bénéficie des plans de lutte contre le terrorisme et la radicalisation à hauteur de 665 nouveaux emplois (dont 5 emplois pour l’ENAP) et de 166,12 millions d’euros en AE et 102,82 millions d’euros en CP hors masse salariale », soit 53 % du nombre d’emplois créés en 2017 et 60 % de la hausse des CP observée entre 2016 et 2017.
Les crédits du premier volet du plan de lutte contre le terrorisme décidé en 2015 (PLAT 1) – 10,95 millions d’euros en AE et 15,45 millions d’euros en CP – sont notamment destinés à financer des opérations de sécurisation des établissements et de leurs abords (filets anti-projection, glacis…) ainsi que les expérimentations conduites en matière de lutte contre la radicalisation.
Ceux du second volet de ce plan (PLAT 2) – 136,97 millions d’euros en AE et 72,67 millions d’euros en CP – sont principalement consacrés à des travaux immobiliers (plan d’urgence pour les établissements), au regroupement à Fleury-Mérogis du pôle de rattachement d’extractions judiciaires, d’une base pour les équipes d’intervention et de sécurité (ERIS) et d’une base cynotechnique, ainsi qu’à l’extension de l’ENAP à Agen.
Les crédits du plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme (PART) du 9 mai 2016 – 18,2 millions d’euros en AE et 14,7 millions d’euros en CP – sont affectés au recrutement de 100 personnes supplémentaires dans les SPIP, à la création du service pénitentiaire de renseignement (acquisition de matériels, développement d’un système d’information) et au renforcement de la protection des établissements (vidéosurveillance, sécurisation des abords).
II. … MAIS QUI DEMEURE INSUFFISANT COMPTE TENU DES URGENCES ET DES DÉFIS STRUCTURELS AUXQUELS EST CONFRONTÉE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE
Si les crédits demandés pour l’administration pénitentiaire marquent une réorientation des priorités du Gouvernement en matière pénitentiaire, notamment en faveur d’un agrandissement du parc immobilier, d’une meilleure sécurisation des établissements, d’un renforcement des personnels et de la création d’un service de renseignement, ce sursaut est à relativiser dans son ampleur (A) et paraît bien tardif compte tenu de la priorité donnée, au cours des quatre précédentes années, au traitement social des détenus (B).
La situation budgétaire de l’administration pénitentiaire s’avère malgré tout contrainte et préoccupante (1), notamment à l’aune des missions qui lui ont été récemment confiées (2).
L’administration pénitentiaire représente, aux côtés des forces de police et de gendarmerie, la troisième force de sécurité intérieure. À ce titre, elle aurait dû bénéficier d’un budget prioritaire et crédible. Tel n’a pas été le cas.
Depuis 2012, la contribution de l’administration pénitentiaire à l’effort de diminution des dépenses publiques a conduit à l’annulation de près de 220 millions d’euros de CP. En 2016, 8 % des crédits hors titre 2 ont été mis en réserve, contre 6 % en 2013, conduisant à un dégel tardif de crédits qui pose des problèmes d’exécution budgétaire.
Le budget de l’administration pénitentiaire est également fragilisé par une part significative de dépenses contraintes, résultant notamment de la mise en œuvre de gestions déléguées ou de l’exécution de partenariats public-privé.
Il est aussi soumis à un important effet d’éviction des programmes immobiliers, obligeant à faire de la gestion des établissements et de la maintenance du parc pénitentiaire des variables d’ajustement.
Enfin, la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019, adoptée en 2014, était fondée sur une hypothèse d’évolution de la population carcérale irréaliste, évaluée à 66 236 personnes au 1er janvier 2017. Or, les prisons françaises accueillaient déjà 68 819 détenus au 1er août 2016.
Pour comparaison, s’ils ont augmenté de 14 % entre 2012 et 2017, les crédits de l’administration pénitentiaire avaient connu une hausse bien plus importante – de 27,1 % – sous le quinquennat de M. Nicolas Sarkozy.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE PAIEMENT ENTRE 2007 ET 2017
2007-2012 |
2012-2017 | |
1ère année du quinquennat |
2 371 596 162 |
3 192 530 959 |
2ème année du quinquennat |
2 459 425 208 |
3 229 541 959 |
3ème année du quinquennat |
2 691 436 984 |
3 374 582 548 |
4ème année du quinquennat |
2 821 791 921 |
3 463 732 440 |
5ème année du quinquennat |
3 013 950 006 |
3 636 449 734 |
Évolution sur le quinquennat |
+ 27,1 % |
+ 14 % |
Source : ministère de la justice.
L’administration pénitentiaire continue de manquer de moyens pour réaliser les nouvelles missions qui lui sont confiées. Symptomatique de ce point de vue est le transfert des extractions judiciaires du ministère de l’Intérieur au ministère de la Justice (8).
L’insuffisance des moyens donnés à l’administration pénitentiaire pour réaliser cette mission, par le transfert en 2013 de 1 200 ETPT du ministère de l’Intérieur à celui de la Justice, conduit à de nombreux dysfonctionnements. Or le transfert de cette mission se poursuit jusqu’en 2019 (9). Au 31 juillet 2016, le transfert avait concerné 48 % du total des extractions judiciaires, mobilisant 665 personnels de l’administration pénitentiaire répartis entre les pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ), qui assurent les missions, et les autorités de régulation des extractions judiciaires (ARPEJ), qui les organisent et planifient.
En cas d’impossibilité pour l’administration pénitentiaire de réaliser l’extraction, les services de l’ARPEJ compétente en informent le magistrat. Ce dernier peut soit déplacer la date de la mission, soit la mettre en œuvre par voie de visioconférence si l’intéressé l’accepte, soit saisir les forces de police ou de gendarmerie pour l’exécution de la mission.
Au 31 juillet 2016, le taux d’impossibilités de faire était de 20 %, en augmentation de 9 points par rapport à 2015. Votre rapporteur pour avis observe que les 450 nouveaux emplois qui devraient être créés dans le cadre du PLAT 2 pour renforcer cette mission ne seront pas affectés avant plusieurs mois. La direction de l’administration pénitentiaire reconnaît elle-même que « cet apport d’ETPT supplémentaires ne permettra cependant pas à l’administration pénitentiaire d’exécuter l’ensemble des missions requises par les services judiciaires ; un taux d’impossibilités de faire compris entre 5 % et 6 % est prévisible » (10).
Les syndicats entendus par votre rapporteur pour avis réclament la création de nouveaux emplois en plus de ceux déjà prévus pour mener à bien cette mission, évaluant pour leur part à 2 000 ETPT le nombre d’emplois nécessaires.
Les dysfonctionnements observés dans l’accomplissement de cette mission sont d’autant plus préoccupants qu’ils sont de nature à menacer la sécurité de nos concitoyens lorsqu’ils aboutissent à la libération de personnes détenues.
Un tel cas s’est présenté en Vendée, où la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Poitiers a été contrainte de libérer un multirécidiviste placé en détention provisoire pour être soupçonné d’avoir donné un coup de couteau à un homme en août 2016, faute de pouvoir faire procéder à son extraction.
Statuant récemment sur la libération ordonnée par une chambre de l’instruction d’une personne dont le placement en détention provisoire avait été décidé à la suite d’un débat contradictoire tenu en son absence, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé le service public de la justice à ses obligations. En l’espèce, le juge des libertés et de la détention n’avait pu obtenir l’extraction de la personne mise en examen ni par l’ARPEJ, ni par la gendarmerie ; il n’avait pas davantage pu se transporter sur le lieu de détention en raison de sa charge de travail et avait essuyé le refus de l’intéressé de procéder au débat par visio-conférence. La chambre criminelle a confirmé que devait « être annulée l’ordonnance de placement en détention provisoire rendue à la suite d’un débat contradictoire tenu en l’absence de la personne mise en examen incarcérée, dès lors que cette non-comparution est imputable non à l’existence de circonstances imprévisibles et insurmontables au service de la justice, mais à un dysfonctionnement dans l’organisation du service en charge des extractions judiciaires » (11).
Le cas des extractions judiciaires révèle plus généralement l’insuffisance des effectifs au sein de l’administration pénitentiaire, estimée par certains syndicats à 3 000 postes.
B. COMME LORS DES QUATRE PRÉCÉDENTS BUDGETS, LE DÉVELOPPEMENT DES AMÉNAGEMENTS DE PEINE DEMEURE UN OBJECTIF PRIORITAIRE
De manière plus préoccupante encore, ce budget, orienté, comme les précédents, vers le développement des alternatives à l’incarcération (1), continue de privilégier l’évitement de l’incarcération (2).
Au cours des quatre précédentes années, Mme Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, a privilégié une logique de traitement social des personnes placées sous écrou, en encourageant la baisse du nombre de détenus, leur sortie anticipée et le recours aux mesures alternatives à la prison.
Au plan budgétaire, ces choix se sont traduits par la création, entre 2014 et 2017, de 1 000 nouveaux postes au profit des SPIP – 400 en 2014, 300 en 2015, 200 en 2016 et 100 à venir en 2017 – destinés à mettre en œuvre la contrainte pénale (12)et la libération sous contrainte (13).
Le développement des alternatives à l’incarcération, notamment du placement sous surveillance électronique fixe, demeure un objectif important de l’administration pénitentiaire, ainsi que le précise le projet annuel de performance de la mission « Justice » annexé au projet de loi de finances. Le Gouvernement y indique que « la part des aménagements de peines sur l’ensemble des personnes condamnées écrouées (…) devrait s’accroître grâce à la mise en œuvre progressive de la loi relative à l’individualisation des peines et au renforcement de l’efficacité des sanctions pénales ».
En hausse constante sur le premier semestre 2016, le nombre des aménagements de peine est ainsi passé de 4 869 au 1er juin 2007 à 13 283 au 1er juillet 2016, soit un quasi triplement sur cette période. Ces aménagements de peine sont d’autant plus encouragés que, sur le plan budgétaire, ils coûtent moins cher à l’administration pénitentiaire qu’une journée en détention (14). Au 1er juillet 2016, on comptait 11 206 mesures de surveillance électronique fixe, dont 10 642 en aménagements de peine et 315 dans le cadre d’une libération sous contrainte. Au total, les personnes sous surveillance électronique fixe représentaient près de 18 % de l’ensemble des condamnés sous écrou.
Or, l’octroi de ces aménagements de peine ne s’accompagne pas d’un suivi rigoureux des personnes qui en bénéficient. Lors de son déplacement au tribunal de grande instance de Créteil, des magistrats ont ainsi indiqué à votre rapporteur pour avis le faible suivi dont font l’objet les personnes placées sous surveillance électronique fixe, faute de moyens suffisants dans les SPIP et au sein des pôles centralisateurs implantés dans chaque direction interrégionale pour suivre et traiter les incidents observés.
2. … et dessine une stratégie d’évitement de l’incarcération motivée par le « surpeuplement » carcéral
Motivée par le « surpeuplement » des prisons, l’augmentation notable des aménagements de peine résulte principalement de l’assouplissement, ces dernières années, des modalités d’aménagement des peines décidées ab initio par la juridiction de jugement ou a posteriori par le juge de l’application des peines en présence d’un quantum ou d’un reliquat de peine aménageable.
En effet, depuis la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, lorsqu’une peine correctionnelle est prononcée, elle doit par principe faire l’objet d’un aménagement de peine dès lors que la personnalité et la situation du condamné le permettent, sauf impossibilité matérielle (15).
La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales a même érigé les « conditions matérielles de détention et [le] taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire » en critères permettant aux juridictions d’application des peines d’apprécier l’opportunité de l’octroi d’une mesure de sortie accompagnée (16).
Votre rapporteur pour avis s’interroge sur le sens d’une telle politique d’évitement de l’incarcération qui, conjuguée aux mécanismes de crédits « automatiques » de réduction de la peine (17) et de réductions supplémentaires de la peine (18), en augmentation constante depuis 2009, participe à l’érosion des peines de prison effectivement exécutées.
Une telle politique porte atteinte non seulement à l’effectivité des peines encourues telles que le législateur pénal a décidé de les fixer mais aussi à l’autorité de la chose jugée puisqu’aussitôt prononcée, la décision de condamnation se trouve amputée d’une partie de ses effets.
ÉVOLUTION DU NOMBRE DE RÉDUCTIONS DE PEINES
SUPPLÉMENTAIRES ACCORDÉES DEPUIS 2009
Années |
Réductions de peines supplémentaires accordées |
2009 |
71 789 |
2010 |
71 527 |
2011 |
66 430 |
2012 |
80 052 |
2013 |
81 257 |
2014 |
79 048 |
2015 |
Non disponible |
Source : réponse du ministère de la Justice au questionnaire budgétaire.
SECONDE PARTIE : LES TROIS DÉFIS STRUCTURELS DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE
Trois défis se présentent, pour l’essentiel, à l’administration pénitentiaire : le sous-dimensionnement du parc carcéral français (I), l’insécurité qui règne en détention et dont les personnels sont les premières victimes (II) et la prise en charge des détenus djihadistes (III). Ces trois défis, liés les uns aux autres, appellent de la part des pouvoirs publics des réponses déterminées et urgentes.
Alors que notre pays demeure, depuis trop longtemps, dans une situation de sous-capacité carcérale (A), aggravée par l’héritage catastrophique des années durant lesquelles Mme Christiane Taubira était à la Chancellerie (B), l’annonce par l’actuel garde des Sceaux d’un nouveau programme immobilier apparaît à la fois tardive et insuffisante, dans la mesure où il est destiné à réaliser l’encellulement individuel (C).
L’inadéquation entre le nombre de places d’incarcération et le nombre de personnes écrouées témoigne d’une sous-capacité carcérale chronique et préoccupante (1). Elle est notamment le résultat d’une politique qui, durant quatre années, a privilégié la diminution du nombre de détenus et délaissé la construction de nouvelles places de prison (2).
Au 1er septembre 2016, notre pays comptait 58 587 places opérationnelles de prison (19), occupées par 68 253 écroués détenus, et 1 439 matelas au sol. Le taux d’occupation carcérale (20) s’élevait à 116 % sur l’ensemble des établissements pénitentiaires.
Mais cette saturation masque de profondes disparités :
– près de la moitié des 255 établissements ou quartiers connaissent une densité supérieure à 100 %, une quarantaine affiche une densité supérieure à 150 % ;
– les maisons d’arrêt et quartiers maison d’arrêt, qui reçoivent les personnes prévenues en détention provisoire (personnes détenues en attente de jugement ou dont la condamnation n’est pas définitive) ainsi que les personnes condamnées dont la peine ou le reliquat de peine n’excède pas deux ans, connaissent la densité la plus élevée, autour de 138 %.
ÉTABLISSEMENTS SELON LA DENSITÉ CARCÉRALE (AU 1ER SEPTEMBRE 2016)
Source : Ministère de la justice, statistique mensuelle (Me5)
DENSITÉ CARCÉRALE SELON LE TYPE D’ÉTABLISSEMENTS
OU DE QUARTIERS (AU 1ER SEPTEMBRE 2016)
Types d’établissement / Quartiers |
Capacité opérationnelle |
Nombre de personnes détenues |
Densité (%) |
Maisons d’arrêt |
33 437 |
46 191 |
138 |
Centres de détention |
19 424 |
18 104 |
93 |
Maisons centrale |
2 403 |
1 734 |
72 |
Centres pour peines aménagées |
609 |
465 |
76 |
Centres de semi-liberté |
1 253 |
834 |
67 |
Établissements pour mineurs |
1 144 |
733 |
64 |
Centre national d’évaluation de Fresnes |
317 |
192 |
61 |
Ensemble |
58 587 |
68 253 |
116 |
Source : idem.
À titre d’illustration, au 1er juillet 2016, le centre pénitentiaire ultra-marin de Faa’a Nuutania comptait 395 détenus pour 165 places opérationnelles, soit un taux d’occupation de 239 %, la maison d’arrêt de Fontenay-le-Comte à Rennes 86 détenus pour 39 places opérationnelles, soit un taux d’occupation de 221 %, le centre pénitentiaire de Fresnes 2 792 détenus pour 1 551 places opérationnelles, soit un taux d’occupation de 180 %, et la maison d’arrêt de Villepinte 1 060 détenus pour 587 places opérationnelles, soit un taux d’occupation de 181 %.
Votre rapporteur pour avis rejette l’idée qu’il existerait une « surpopulation carcérale », expression impropre qui laisse à penser que la population carcérale constituerait une variable d’ajustement à disposition des pouvoirs publics pour des motifs budgétaires ou idéologiques. L’évolution de la population carcérale est fonction de l’évolution de la population pénale et, in fine, de celle de la délinquance. Il est donc plus pertinent de parler de « sous-capacité carcérale ».
Contrairement à une idée reçue, la France incarcère moins que nombre de ses voisins. Une comparaison européenne des taux de détention pour 100 000 habitants en 2014 permet de constater que la France a un taux d’incarcération de 101 personnes pour 100 000 habitants, soit une proportion nettement inférieure à celle observée dans d’autres pays, comme l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Grèce, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal ou le Royaume-Uni.
SITUATION CARCÉRALE DANS CERTAINS PAYS MEMBRES
DU CONSEIL DE L’EUROPE AU 1ER SEPTEMBRE 2014
Pays |
Nombre de détenus |
Taux d’incarcération pour 100 000 habitants |
Densité carcérale pour 100 places |
Autriche |
8 857 |
104,1 |
101,1 |
Belgique |
13 212 |
117,9 |
129 |
France |
66 494 |
101,0 |
114,5 |
Grèce |
12 006 |
110,1 |
121,4 |
Luxembourg |
656 |
119,3 |
92,3 |
Pologne |
77 371 |
203,5 |
88,2 |
Portugal |
14 003 |
134,3 |
111,2 |
Espagne |
65 931 |
141,7 |
110,9 |
Angleterre et Pays de Galles |
85 509 |
149,7 |
97,5 |
Irlande du Nord |
1 860 |
101,3 |
94,8 |
Écosse |
7 879 |
147,6 |
97,6 |
Moyenne sur l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe |
- |
135,8 |
91,7 |
Moyenne sur la population globale du Conseil de l’Europe |
- |
195,7 |
88,3 |
Source : statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe « Space I », p. 36.
Enfin, le mode actuel d’évaluation du taux d’occupation du parc pénitentiaire surestime la capacité carcérale réelle de notre pays en raison des modalités de calcul du nombre de places opérationnelles dans un établissement, à partir de leur surface et non à partir du nombre de cellules. La mise en œuvre effective du principe de l’encellulement individuel, poursuivi par l’actuel Gouvernement comme un objectif prioritaire, supposerait en effet la construction d’autant de cellules – et non de places opérationnelles – qu’il y a de détenus…
La politique pénale et carcérale conduite durant les quatre premières années du quinquennat de M. François Hollande a une lourde part de responsabilité dans la dégradation du parc pénitentiaire, en portant un coup d’arrêt (2) à la dynamique lancée par la précédente majorité (1).
Entre 2007 et 2011, ce sont près de 8 700 nouvelles places de prison qui ont été créées par la précédente majorité. Ce travail d’agrandissement du parc pénitentiaire s’est fait sans renoncer à l’exigence d’exécution des décisions de justice pénale. Il a été rendu possible par un effort financier important en faveur de la poursuite du programme de construction « 13 200 places », décidé par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation pour la justice, et par le lancement d’opérations de rénovation de grande envergure à Fleury-Mérogis, Paris-La Santé, Marseille-Les Baumettes et Nantes.
PLACES DE DÉTENTION OUVERTES ENTRE 2007 ET 2011
Année |
Établissements ouverts |
Nombre de places |
2007 |
Extension du centre pénitentiaire de Ducos |
80 |
Total 2007 |
80 | |
2008 |
Centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan |
703 |
Centre pénitentiaire de Saint-Denis de La Réunion |
574 | |
Total 2008 |
1 277 | |
2009 |
Centre de détention de Roanne |
602 |
Maison d’arrêt de Lyon-Corbas |
690 | |
Centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville |
693 | |
Centre pénitentiaire de Béziers |
810 | |
Centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne |
578 | |
Total 2009 |
3 373 | |
2010 |
Maison d’arrêt du Mans Les Croisettes |
401 |
Centre pénitentiaire du Havre |
690 | |
Centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse |
690 | |
Centre pénitentiaire de Rennes-Vezin |
690 | |
Total 2010 |
2 471 | |
2011 |
Centre pénitentiaire de Lille-Annœullin |
688 |
Centre pénitentiaire sud-francilien de Réau |
798 | |
Total 2011 |
1 486 | |
Total des places livrées entre 2007 et 2011 |
8 687 |
Source : Avis (n° 3810, XIIIe législature) fait par M. Sébastien Huyghe au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2012, octobre 2011, p. 15.
Au total, entre 2007 et 2012, près de 6 650 nouvelles places opérationnelles nettes ont été créées.
Ce mouvement devait être prolongé par le lancement, dès 2011, d’un nouveau plan de construction et de réhabilitation, avec pour objectif fixé par la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines d’atteindre un parc d’une capacité de 80 000 places. Le rapport annexé à cette loi prévoyait également la construction de structures réservées aux courtes peines.
Dénommé « nouveau programme immobilier » (NPI), ce plan de restructuration visait, d’une part, à assurer des conditions de détention plus dignes, et, d’autre part, à augmenter les capacités d’hébergement de l’administration pénitentiaire afin d’améliorer le taux de mise à exécution des peines d’emprisonnement prononcées par les juridictions pénales et d’assurer l’encellulement individuel des personnes détenues. Il prévoyait la construction de 25 nouveaux établissements, dont 2 en outre-mer, la réhabilitation de 2 établissements, la maison d’arrêt de Paris-La Santé et le centre pénitentiaire de Nouméa, et l’extension du centre pénitentiaire de Ducos. Concomitamment à la livraison de ces structures, la fermeture de 36 sites était programmée. Environ 9 500 places nettes devaient être créées d’ici à la fin de l’année 2017.
À son arrivée à la Chancellerie, Mme Christiane Taubira a porté un coup d’arrêt à cette dynamique en freinant la construction de nouvelles places de prison.
En témoigne l’évolution du nombre de places opérationnelles entre juillet 2012 et juillet 2016, qui invite à dresser un bilan modeste des efforts entrepris par l’actuelle majorité pour augmenter la capacité réelle du parc pénitentiaire. Sur cette période, près de 2 100 places de prison opérationnelles ont été supprimées et environ 3 000 nouvelles places ont été créées.
Au total, l’actuelle majorité n’a créé, entre juillet 2012 et juillet 2016, que 900 places opérationnelles nettes de prison.
CAPACITÉ THÉORIQUE ET OPÉRATIONNELLE DES ÉTABLISSEMENTS, NOMBRE D’ÉCROUÉS DÉTENUS ET TAUX D’OCCUPATION (2012-206)
Nombre d’établissements |
Capacité théorique (21) |
Capacité opérationnelle |
Écroués détenus |
Taux d’occupation | |
1er juillet 2012 |
190 |
58 657 |
57 408 |
67 373 |
117,3 % |
1er juillet 2013 |
190 |
58 497 |
57 320 |
68 569 |
119,6 % |
1er juillet 2014 |
190 |
58 802 |
57 712 |
68 295 |
118,3 % |
1er juillet 2015 |
187 |
58 487 |
57 441 |
66 704 |
116,1 % |
1er juillet 2016 |
186 |
59 900 |
58 311 |
69 375 |
119 % |
Source : statistique mensuelle des personnes écrouées et détenues en France.
Ce bilan modeste résulte des choix politiques et budgétaires opérés par l’actuelle majorité qui a décidé de ne pas maintenir les ambitions portées par la loi de programmation pour l’exécution des peines de mars 2012.
Dès la loi de programmation pour les finances publiques pour les années 2012 à 2017, a été annoncé l’abandon de l’essentiel du « NPI » ainsi que du nouveau programme dédié à la construction de structures pour les courtes peines, en remplaçant ces projets par un programme moins ambitieux, le programme dit « 63 500 places ».
Sur les 27 opérations prévues au titre du programme « NPI », seules ont été maintenues 5 constructions nouvelles (Beauvais, Lutterbach, Orléans-Saran, Riom et Valence), la réhabilitation de la maison d’arrêt de Paris-La Santé et l’extension du centre pénitentiaire de Ducos en Martinique. En revanche, ont été abandonnées ou gelées la construction de 3 nouveaux établissements en région parisienne, l’extension du centre pénitentiaire de Marseille-Les Baumettes (opération « Baumettes 3 ») et la réhabilitation du centre pénitentiaire de Nouméa.
L’objectif du Gouvernement se limitait ainsi à un parc pénitentiaire d’une capacité de 63 500 places à la fin de 2018, pour une population incarcérée de 67 373 personnes au 1er juillet 2012.
Ce bilan s’explique également par des choix regrettables faits en matière de gestion des crédits votés en lois de finances. Entre 2012 et 2014, les dotations du titre 5 (dépenses d’investissement) non consommées avaient atteint la somme de 892 millions d’euros d’autorisations d’engagement (AE) et 358 millions d’euros de crédits de paiement (CP). De 2012 à 2015, les annulations de crédits hors titre 2 sur le budget de l’administration pénitentiaire s’élevaient à 915 millions d’euros en AE et à 245 millions d’euros en CP.
Comme le relevait la Cour des comptes en 2014, « [l]es annulations et les redéploiements de crédits du titre 5 au profit des dépenses de fonctionnement manifestent un renoncement aux projets à moyen et long terme, au profit de préoccupations de gestion plus immédiates », alors même que « le ministère de la justice ne peut durablement sacrifier les crédits d’investissement sans compromettre à terme la mise en œuvre de ses missions » (22).
Ce n’est qu’en 2015 que la garde des Sceaux, prenant en partie la mesure du sous-dimensionnement du parc pénitentiaire, a lancé de nouvelles opérations de construction, au travers du programme dit « 3 200 places » qui n’arrivera toutefois à échéance qu’en 2023.
Ouverture ou extension d’établissements |
Fermeture d’établissements |
Nombre de places fermées |
Nombre de places créées |
Nombre de places nettes créées |
Année prévisionnelle de livraison |
Programme immobilier dit « 63 500 places » (2012-2018) | |||||
Aix 2 |
Fermeture partielle des Baumettes |
+ 735 |
735 |
2018 (1er semestre) | |
Paris-La-Santé |
Quartier de semi-liberté |
- 483 |
+ 808 |
325 |
2018 (fin d’année) |
Ducos (extension) |
+ 160 |
160 |
2016 (août) | ||
Papéari |
+ 410 |
410 |
2017 (2ème trimestre) | ||
Draguignan |
+ 504 |
504 |
2017 (3ème trimestre) | ||
Baumettes 2 |
Bâtiment D |
- 452 |
+ 560 |
108 |
2017 |
Programme immobilier dit « 3 200 places » (2015-2023) | |||||
Lille-Loos |
+ 574 |
574 |
2021 | ||
Caen |
Caen |
- 269 |
+ 566 |
297 |
2022 |
Troyes |
Troyes |
- 116 |
+ 520 |
404 |
2022 |
Lutterbach |
Mulhouse et Colmar |
- 403 |
+ 520 |
117 |
2020 |
Baumettes 3 |
- 807 |
+ 640 |
- 167 |
2021 | |
Bordeaux-Gradignan |
- 436 |
+ 609 |
173 |
2021 | |
Saint-Etienne |
- 327 |
+ 533 |
206 |
2022 | |
Faa’a |
- 165 |
+ 194 |
29 |
2021 | |
Martinique 3 |
+ 520 |
520 |
2023 | ||
Koné |
+ 120 |
120 |
2020 | ||
Angers |
Angers |
- 266 |
+ 604 |
338 |
2023 |
Martinique |
+ 25 |
25 |
2019 | ||
Basse-Terre |
- 130 |
+ 174 |
44 |
2021 | |
Baie-Mahault |
+ 200 |
200 |
2021 | ||
Grand-est |
+ 150 |
150 |
2022 | ||
Nanterre |
+ 90 |
90 |
2018 | ||
Total |
- 3 854 |
+ 9 216 |
5 362 |
Source : réponse du ministère de la Justice au questionnaire budgétaire
Les choix politiques et budgétaires faits entre 2012 et 2015 s’agissant de l’avenir de l’immobilier pénitentiaire sont donc la traduction manifeste d’un renoncement à doter notre pays d’un parc pénitentiaire rénové et conforme à ses besoins en matière d’exécution des peines.
L’annonce de la construction de 10 000 à 16 000 nouvelles places de prison d’ici 2025 constitue une prise de conscience salutaire mais ne peut se traduire que modestement dans le budget de l’année prochaine, en raison de son caractère tardif (1). En outre, il y a tout lieu de craindre que ce nouveau programme de construction, fondé sur l’objectif de 80 % d’encellulement individuel, ne nous condamne une nouvelle fois à la sous-capacité carcérale (2).
Votre rapporteur pour avis salue la prise de conscience par le nouveau garde des Sceaux, M. Jean-Jacques Urvoas, de la situation préoccupante des prisons et, selon ses propres termes, du « sous-investissement immobilier chronique » dont elles ont fait l’objet ces dernières années.
À l’occasion de la remise au Parlement du rapport relatif à l’encellulement individuel (23), le garde des Sceaux a ainsi proposé la construction de 10 000 à 16 000 places de prison, selon le scénario retenu (24), en tenant compte des constructions en cours et d’un objectif de 80 % d’encellulement individuel (25).
Cette annonce se traduit toutefois, dans le projet de loi de finances pour 2017, par des engagements budgétaires modestes. En effet, si 1,158 milliard d’euros sont annoncés en AE, seuls 2,6 millions d’euros sont inscrits en CP :
– 234,2 millions d’euros en AE et 2,6 millions d’euros en CP pour engager la construction de 28 quartiers de préparation à la sortie de 1 740 places ;
– 923,5 millions d’euros en AE pour lancer une première tranche de construction de maisons d’arrêt de 3 902 cellules (3 468 individuelles et 434 doubles) et construire 32 nouvelles maisons d’arrêt et 1 centre de détention.
C’est donc à peu de frais que le Gouvernement s’engage pour l’avenir dans la mesure où le nouveau programme immobilier annoncé n’est budgété qu’en autorisations d’engagement.
En tout état de cause, votre rapporteur pour avis estime nécessaire, dès l’été 2017, de revoir à la hausse les ambitions de ce programme en portant de 16 000 à 20 000 le nombre de places à construire – afin de doter notre pays d’une capacité carcérale comparable à celles de ses principaux voisins européens et tenir compte des fermetures concomitantes d’établissements vétustes – et en fixant à 2022, et non 2025, la date de livraison de ces constructions.
Proposition n° 1
Dès l’été 2017, revoir le programme immobilier annoncé par le garde des Sceaux en portant de 16 000 à 20 000 le nombre de places de prison à construire et en fixant l’échéance de ce programme à 2022 au lieu de 2025.
Afin de rendre possible ce nouveau calendrier et compte tenu de l’intérêt général qui s’attache à l’agrandissement du parc pénitentiaire, votre rapporteur pour avis suggère de mettre en place des procédures d’urbanisme dérogatoires du droit commun et accélérées permettant de réduire le délai qui sépare généralement l’annonce de la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire et sa mise en service réelle.
Ce délai, qui peut atteindre dans certains cas 10 ans, s’explique, en premier lieu, par les difficultés liées à la recherche foncière et à l’accomplissement des formalités pour l’implantation des établissements et, en second lieu, par l’alourdissement des cahiers des charges en raison des contraintes urbanistiques et environnementales croissantes. Il s’allonge en raison des oppositions et résistances locales, qui prennent souvent la forme de recours juridictionnels tout au long de la procédure de déclaration d’utilité publique.
Votre rapporteur pour avis invite à réfléchir à la mise en œuvre d’une procédure permettant de sécuriser dans la loi la phase d’acquisition foncière en y inscrivant les conditions précises d’acquisition des terrains.
Proposition n° 2
Mettre en place des procédures d’urbanisme dérogatoires du droit commun et accélérées, le cas échéant par la sécurisation dans la loi de la phase d’acquisition foncière, afin de réduire le délai qui sépare l’annonce de la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire et sa mise en service réelle.
La crédibilité du nouveau programme immobilier annoncé par le garde des Sceaux est également atteinte par l’objectif qui en sous-tend l’ampleur et le calendrier : permettre à 80 % des détenus de bénéficier de l’encellulement individuel.
Le principe de l’encellulement individuel, réaffirmé dans notre droit par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 comme l’une des garanties de la dignité des conditions de détention (26), a été à l’origine promu dès 1875 (27) dans le but d’isoler les détenus en préventive et les condamnés à de courtes peines afin d’éviter leur corruption morale et de faciliter leur amendement.
Cette règle, respectée dans les établissements pour peines, a fait l’objet de moratoires successifs depuis une quinzaine d’années pour sa mise en œuvre dans les maisons d’arrêt. Le dernier date de 2014 et court jusqu’au 31 décembre 2019.
Aucun autre pays européen n’est allé aussi loin que la France dans la mise en œuvre de ce principe prévu par les règles pénitentiaires européennes mais qui l’assortissent de nombreuses dérogations.
Au demeurant, la Cour européenne des droits de l’homme ne l’a jamais consacré dans sa jurisprudence, préférant définir des critères de dignité des conditions de détention en termes de superficie, de luminosité ou de séparation des lieux d’hygiène.
Malgré tout, le Gouvernement a fondé son nouveau programme immobilier sur un ratio de 80 % de cellules individuelles et de 20 % de cellules collectives, ces dernières étant réservées aux détenus qui le souhaitent ou à certaines nécessités (prévention du suicide, organisation du travail…).
Votre rapporteur craint qu’un objectif aussi rigide ne condamne une nouvelle fois la France à la sous-capacité carcérale. Il risque en effet de conduire à la construction de cellules de petite superficie rendant plus compliqué d’y affecter plusieurs détenus : pour rappel, la superficie d’une cellule destinée à l’accueil d’une personne selon les critères de capacité théorique définis par l’administration pénitentiaire est de 11 m2 maximum.
En conséquence, il suggère de desserrer cette contrainte en augmentant le coefficient de cellules collectives.
Proposition n° 3
Assouplir l’objectif de 80 % de cellules individuelles qui sous-tend le nouveau programme immobilier en augmentant le coefficient de cellules collectives à construire.
Alors que les personnels de l’administration pénitentiaire se trouvent aujourd’hui dans une situation d’insécurité et de souffrance particulièrement inquiétante (A), il est urgent de lancer et de financer un plan ambitieux de sécurisation des établissements (B).
Votre rapporteur pour avis n’a pu que constater la souffrance profonde des personnels de l’administration pénitentiaire, en particulier des surveillants, exposés à un climat inédit d’insécurité en détention (1) et épuisés par un rythme de travail difficile (2).
Les personnels de l’administration pénitentiaire travaillent dans des conditions d’insécurité propres au système pénitentiaire mais aggravées par la densité carcérale, la circulation d’objets ou de substances interdits en détention et la présence en nombre de détenus écroués pour des faits de violence.
Ainsi, le nombre annuel de saisies d’objets interdits en détention a significativement augmenté ces dernières années, quadruplant entre 2007 et 2015 :
– le nombre de téléphones portables en détention a connu une augmentation exponentielle, favorisée par les dimensions de plus en plus restreintes des appareils et par leur composition basée sur des matériaux difficilement détectables. Ils représentaient en 2015 près de la moitié des objets interdits et saisis en détention ;
– entre 2014 et 2015, le nombre d’armes saisies en détention a augmenté de 37 % : même si cette catégorie recouvre des réalités diverses, il s’agit pour l’essentiel d’objets susceptibles d’être employés comme armes par destination (pics, cutters, objets transformés et taillés avec ou sans lame de rasoir…) ;
– sur la même période, le nombre d’explosifs est passé de 1 à 4 ;
– entre 2013 et 2015, le nombre de projections depuis la voie publique vers l’intérieur des établissements pénitentiaires a été multiplié par deux, passant de 6 157 à 12 320 ; ces projections ont augmenté de 80 % entre 2014 et 2015.
Rien qu’au 30 juin 2016, 16 398 téléphones et accessoires, 6 060 stupéfiants, 747 armes, 1 explosif, 873 sommes d’argent et 382 produits alcooliques avaient déjà été saisis.
ÉVOLUTION DU NOMBRE D’OBJETS PROHIBÉS SAISIS (2007 – 2015)
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 | |
Téléphones et accessoires |
4 977 |
6 661 |
7 341 |
10 990 |
16 487 |
20 532 |
23 495 |
27 524 |
31 084 |
Stupéfiants |
5 177 |
6 069 |
5 757 |
6 661 |
7 795 |
8 755 |
8 998 |
9 895 |
10 624 |
Armes |
413 |
305 |
364 |
512 |
705 |
705 |
766 |
1017 |
1402 |
Explosifs |
2 |
4 |
0 |
0 |
0 |
0 |
2 |
1 |
4 |
Argent |
365 |
486 |
550 |
706 |
872 |
1 234 |
1 293 |
1 479 |
1 530 |
Alcool |
483 |
621 |
488 |
523 |
850 |
930 |
760 |
847 |
762 |
Autres |
2 435 |
3 165 |
3 885 |
4 776 |
5 759 |
7 296 |
7 809 |
8 545 |
10 284 |
Projections extérieures |
- |
- |
- |
- |
- |
- |
6 157 |
6 841 |
12 320 |
Total |
13 852 |
17 311 |
18 385 |
24 168 |
32 468 |
40 693 |
49 280 |
56 149 |
68 011 |
Source : réponse au questionnaire budgétaire.
Par ailleurs, les personnels pénitentiaires sont victimes de faits de violence physique et verbale au sein des établissements mais peuvent également subir, du fait de leur fonction, des agressions à l’extérieur de ces établissements de la part d’anciens détenus ou de proches de détenus.
En 2015, 20 110 agressions – 4 070 physiques et 16 040 verbales – ont été recensées, contre 19 681 en 2014. Ce chiffre atteint déjà 10 335 au 30 juin 2016. Si 59 % des agressions physiques n’ont donné lieu, l’année dernière, à aucune interruption temporaire de travail (ITT), l’année 2015 se caractérise par une forte augmentation des ITT de plus de 9 jours. Ces faits d’agression peuvent aussi avoir pour origine des agressions entre personnes détenues, elles aussi importantes en nombre – 8 425 en 2015 – et en augmentation depuis 2014. Derniers évènements en date, les 21, 25 et 27 septembre, plusieurs surveillants ont été violemment agressés respectivement aux centres pénitentiaires de Poitiers-Vivonne et de Valence ainsi qu’à la maison centrale de Condé-sur-Sarthe.
Pour nombre des représentants syndicaux auditionnés par votre rapporteur pour avis, le sous-dimensionnement et le sous-équipement du parc pénitentiaire, la fermeture de miradors et la mise en œuvre de l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009, mettant un terme aux fouilles systématiques, expliquent ce climat d’insécurité.
ÉVOLUTION DU NOMBRE D’AGRESSIONS PHYSIQUES ET VERBALES (2010-2015)
Agressions envers les personnels |
Agressions entre détenus | |||||
Nombre total d’agressions |
Dont violences physiques |
Dont violences verbales |
Nombre total d’agressions |
Dont violences physiques |
Dont humiliations et racket | |
2010 |
15 028 |
2 825 |
12 203 |
7 825 |
7 655 |
170 |
2011 |
17 579 |
3 230 |
14 349 |
8 365 |
8 162 |
203 |
2012 |
19 912 |
4 083 |
15 829 |
8 861 |
8 647 |
214 |
2013 |
21 281 |
4 403 |
16 878 |
8 560 |
8 349 |
211 |
2014 |
19 681 |
4 122 |
15 559 |
8 061 |
7 853 |
208 |
2015 |
20 110 |
4 070 |
16 040 |
8 425 |
8 204 |
221 |
Source : réponse du ministère de la Justice au questionnaire budgétaire.
Votre rapporteur pour avis a été interpellé par la détresse des personnels de la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise, qu’il a visitée quelques jours après l’agression, le 4 septembre dernier, de deux surveillants par un détenu affecté à l’unité de prévention de la radicalisation, dont un agent grièvement blessé dans le cou et dans le dos à l’aide d’une arme artisanale.
À ce climat d’insécurité s’ajoutent des conditions de travail éprouvantes, résultant d’une organisation complexe ainsi que de difficultés de fidélisation et de recrutement des personnels.
La gestion défaillante dont font l’objet les personnels pénitentiaires a d’ailleurs été soulignée en décembre 2015 par la Cour des comptes qui a relevé « un système à la limite de l’épuisement, comme en témoignent les difficultés rencontrées par le ministère pour respecter les plafonds de masse salariale, l’inflation structurelle des heures supplémentaires, l’inadaptation des régimes indemnitaires, la centralisation excessive des processus de gestion et, en définitive, l’insuffisance du pilotage d’ensemble » (28). La Cour a notamment souligné le foisonnement des cycles de travail, qui rend les organisations complexes à concevoir et difficiles à tenir. Il en résulterait une augmentation de l’absentéisme, un rappel accru des agents en repos et donc un allongement des périodes de travail entraînant l’octroi de repos compensateurs et l’augmentation des heures supplémentaires. Votre rapporteur pour avis rappelle que la durée du travail du personnel de détention est encore de 39 heures par semaine au lieu de 35 heures, l’écart qui en résulte produisant de nouvelles heures supplémentaires.
La difficulté des conditions de travail soulève d’importants problèmes de fidélisation et de recrutement des personnels, qu’il s’agisse des personnels de direction ou de surveillance. C’est tout particulièrement le cas pour les personnels de surveillance, chez lesquels on constate un important déséquilibre entre les régions de résidence – Nord et départements d’outre-mer – et les lieux d’emploi – région parisienne, Lyon, Dijon. Il manque une offre de logements adaptée aux besoins des agents, souvent en situation de célibat géographique. La tenue des postes n’est pas davantage soumise à une durée minimale, conduisant de nombreux agents à considérer leur affectation comme provisoire et à quitter les établissements franciliens rapidement.
Le problème d’attractivité est palpable dès le stade de la formation des personnels, ainsi qu’en témoignent, d’une part, la déperdition importante entre le nombre d’admis et le nombre d’élèves qui entrent en formation à l’École nationale de l’administration pénitentiaire, et, d’autre part, les démissions en cours de scolarité, qui représentent une perte annuelle de 13 % des effectifs.
Si des efforts de sécurisation des établissements ont été entrepris par l’administration pénitentiaire (1), ils demeurent, aux yeux de votre rapporteur pour avis, insuffisants et méritent d’être amplifiés (2) et financés (3).
Certains efforts ont déjà permis de renforcer la protection des établissements contre l’entrée en détention d’objets ou de substances interdits ainsi que de consolider les équipes de surveillance.
Contre les projections, le plan de sécurisation lancé en juin 2013 puis le premier volet du plan de lutte contre le terrorisme (PLAT 1) ont permis la création de glacis extérieurs autour des prisons, leur extension ou leur sécurisation, l’installation de filets anti-projection, le rehaussement des clôtures et la pose de caméras de vidéosurveillance et de caillebotis.
Des portiques à ondes millimétriques, permettant la détection de matières diverses (métaux, liquides, céramique…) présentes à la surface de la peau de la personne contrôlée, ont également été déployés. Le Gouvernement a cependant fait le choix d’en circonscrire l’emploi aux maisons centrales sécuritaires et aux établissements accueillant des profils sensibles. À ce jour, seuls 11 portiques ont été installés. Dans les autres établissements, 282 nouveaux portiques de détection de masse métallique ont été installés en plus des 620 existants. En outre, 1 534 détecteurs manuels et 234 contrôleurs à bagage par rayons X ont été acquis depuis 2013. Si l’administration pénitentiaire dispose désormais d’équipes cynotechniques, permettant une meilleure détection des explosifs, armements et stupéfiants, seules 3 unités ont été à ce jour installées à Paris, Toulouse et Lyon.
Par ailleurs, la lutte contre la prolifération des téléphones portables en détention butte toujours contre l’absence de technologies de brouillage adaptées à toutes les technologies de communication utilisées et aux spécificités de l’architecture pénitentiaire. Les dispositifs de brouillage doivent en effet tenir compte de plusieurs contraintes : l’évolution technologique constante dans le domaine des télécommunications, la spécificité des bandes de fréquence aux Antilles, les particularités de l’architecture pénitentiaire (murs en béton armé, grilles, barreaudages), les troubles potentiels sur les communications du voisinage, les possibles interactions avec les autres systèmes de sécurité…
En 2015 et 2016, la sécurisation des sites a mobilisé 25 millions d’euros en AE et 24 millions d’euros en CP. Pour 2017, une enveloppe de 40,8 millions d’euros en AE et 40,6 millions d’euros en CP est prévue pour poursuivre ces efforts. 14,7 millions d’euros iront à la recherche d’une solution de brouillage des communications, 3,6 millions d’euros à la sécurisation des abords des établissements (lecture automatique de plaques d’immatriculation, barriérage…) et à la mise en place de dispositifs de vidéosurveillance.
En outre, sur les 1 255 nouveaux postes qui seront créés en 2017, 878 viendront renforcer les personnels de surveillance et 40 l’encadrement.
Enfin, en 2016, le législateur (29)a assoupli les modalités de fouilles en détention en autorisant, à l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009, en sus des fouilles individualisées, le recours à tout type de fouilles en cas de suspicions sérieuses d’introduction d’objets ou de substances interdits en détention ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens, sans qu’il soit nécessaire de les individualiser au regard de la personnalité des détenus. Cette évolution législative a toutefois été assortie de conditions restrictives (30), inspirées d’une interprétation excessive des exigences conventionnelles en la matière.
De fait, les fouilles générales et sectorielles sont insuffisamment ordonnées. 761 opérations de fouilles sectorielles ont été organisées en 2015, soit légèrement plus que les 722 de 2014. Ces fouilles nécessitent parfois l’appui d’autres forces de sécurité ou d’intervention : 25 % des opérations de 2015 ont été réalisées avec la participation des forces de sécurité intérieure et 21 % avec la collaboration des équipes régionales d’intervention (ERIS). La création d’équipes locales d’appui et de contrôle (ELAC), composées de 7 agents par établissement formés par les ERIS, n’a pas permis d’augmenter leur fréquence, ces équipes n’ayant été déployées que dans 20 établissements.
Votre rapporteur pour avis prend acte de l’augmentation de ces moyens et de l’assouplissement des conditions juridiques encadrant les fouilles. Il estime toutefois que ces nouveaux moyens – budgétaires, humains et juridiques – sont bien dérisoires face aux enjeux de sécurité soulevés par l’état de sous-équipement des prisons.
Votre rapporteur pour avis propose d’aller plus loin et formule à cette fin huit propositions.
Il préconise un nouvel assouplissement des fouilles indépendamment de la personnalité des détenus en cas de suspicions sérieuses d’introduction d’objets ou de substances interdits en détention ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens. Il suggère de supprimer la double exigence de motivation spéciale et de transmission d’un rapport spécial auprès du parquet et de l’administration centrale.
Proposition n° 4
Assouplir les modalités d’organisation des fouilles sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 indépendamment de la personnalité des détenus, sans qu’il soit besoin de les motiver spécialement, ni d’en faire un rapport spécial auprès du parquet et de l’administration centrale.
Dans le même esprit, afin d’améliorer la sécurité des établissements pénitentiaires à leur entrée, il importe de faciliter la réalisation de palpations de sécurité par les personnels de l’administration pénitentiaire. En l’état du droit, les familles qui rentrent dans un établissement pénitentiaire pour accéder aux parloirs sont seulement soumises à un détecteur métallique et leurs affaires sont passées dans un tunnel à rayons X. Les palpations de sécurité ne sont en principe pas possibles, sauf en cas de détection persistante du portique.
Tout en poursuivant le déploiement des portiques de détection de masse métallique, des contrôleurs à bagage par rayons X et, surtout, des portiques à ondes millimétriques, il convient de donner aux personnels la possibilité de procéder à des palpations de sécurité sur les tiers à l’entrée des parloirs et des unités de vie familiale, comme cela a déjà été rendu possible dans le cadre du renforcement des mesures de contrôle avant l’accès à certains autres endroits sensibles (stades, réseaux de la SNCF et de la RATP…).
Proposition n° 5
Sur décision du chef d’établissement, pour des motifs de sécurité, donner aux personnels de l’administration pénitentiaire la possibilité de réaliser des palpations de sécurité sur les tiers pour l’accès aux parloirs et aux unités de vie familiale.
Votre rapporteur pour avis estime également nécessaire de renforcer les dotations matérielles et les outils juridiques à la disposition des personnels de l’administration pénitentiaire pour réaliser leurs missions.
Il propose d’habiliter certains agents de l’administration pénitentiaire à disposer des mêmes prérogatives que celles reconnues aux agents de police judiciaire par les articles 20 et 21-1 du code de procédure pénale afin de les autoriser à constater les crimes, délits ou contraventions qui ont lieu dans un périmètre proche de l’établissement pénitentiaire et d’en dresser procès-verbal aux fins de transmission au procureur de la République.
Ces agents disposeraient ainsi du pouvoir d’arrêter eux-mêmes les personnes qui se rendent coupable d’infractions dans un périmètre proche de l’établissement (projections, violences, rixes, détention illicite de certains produits) et de procéder, dans ce périmètre, à des contrôles d’identité, sous le contrôle des officiers de police judiciaire territorialement compétents.
Proposition n° 6
Habiliter certains agents de l’administration pénitentiaire à disposer des prérogatives reconnues aux articles 20 et 21-1 du code de procédure pénale aux agents de police judiciaire afin de leur permettre de constater des infractions et d’en appréhender les auteurs lorsqu’ils agissent dans un périmètre proche de l’établissement.
Par cohérence, votre rapporteur pour avis propose de renforcer l’équipement de protection et de défense des personnels de l’administration pénitentiaire. Une première mesure, de bon sens, consisterait à changer les gilets pare-balles qui, selon les syndicats entendus, sont d’un poids excessif, au profit de gilets plus adaptés à leurs missions.
Par ailleurs, sur le modèle des agents affectés aux pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ), certains agents spécialement habilités et formés pourraient être autorisés au port et à l’usage d’armes, notamment des armes non létales et incapacitantes, lorsque leurs missions et leurs conditions de travail le justifient.
Proposition n° 7
Renforcer l’équipement de protection et de défense des surveillants pénitentiaires, notamment en adaptant les gilets pare-balles à l’exercice de leurs missions et en les autorisant, sous certaines conditions et dans des circonstances déterminées, au port et à l’usage d’armes, non létales par exemple.
Votre rapporteur pour avis préconise par ailleurs de développer les équipes cynophiles au-delà des trois unités existantes, en créant de nouvelles unités dans chaque direction interrégionale, voire des unités dédiées à certains grands établissements lorsque leur taille, le nombre de détenus et leurs profils le justifient.
Proposition n° 8
Doter chaque direction interrégionale et certains établissements pénitentiaires particulièrement exposés à des risques importants d’équipes cynotechniques de détection des objets et substances interdits en détention.
Votre rapporteur pour avis n’oublie pas les services pénitentiaires d’insertion et de probation, qui accueillent également des publics susceptibles d’agresser les personnels. Ces services devraient faire l’objet de mesures particulières de sécurisation compatibles avec la nature de leurs missions, par exemple en les dotant de dispositifs de vidéosurveillance et de filtrage aux entrées des services de milieu ouvert.
Proposition n° 9
Sécuriser les services pénitentiaires d’insertion et de probation en les dotant de dispositifs de vidéosurveillance et de filtrage aux entrées des services de milieu ouvert.
Ces mesures pourraient être, au moins en partie, financées par la création d’une contribution perçue sur les détenus solvables destinée à les faire participer financièrement aux frais de leur incarcération.
Seules seraient concernées les personnes détenues définitivement condamnées incarcérées en maison d’arrêt ou en établissement pour peines, soit près de 47 000 détenus au 1er septembre 2016. En conséquence, en seraient exclues celles purgeant leur peine en milieu ouvert ou semi-ouvert ainsi que celles hébergées en placement extérieur. L’indemnisation des victimes de l’infraction pour laquelle la personne a été condamnée demeurerait prioritaire par rapport à la participation au remboursement des frais engendrés par leur incarcération.
Dans un souci d’équité, une modulation du montant de cette contribution en fonction des ressources des personnes concernées pourrait être prévue, à charge pour le pouvoir réglementaire de déterminer les modalités de cette modulation. En revanche, ne seraient pas soumises à cette contribution les personnes bénéficiant de l’aide de l’administration pénitentiaire sur le fondement des articles 31 de la loi pénitentiaire de 2009 (31) et D. 347-1 du code de procédure pénale de façon à éviter que les sommes reçues soient reversées à l’administration.
Il conviendrait, en conséquence, de supprimer la seconde phrase du quatrième alinéa de l’article 717-3 du même code, qui prévoit que « le produit du travail des détenus ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire ».
Proposition n° 10
Instaurer une contribution perçue sur les détenus solvables destinée à les faire participer aux frais de leur incarcération, notamment afin de financer, au moins en partie, le plan de sécurisation proposé par votre rapporteur pour avis.
L’incarcération des détenus islamistes constitue un défi majeur pour l’administration pénitentiaire. Certains établissements reçoivent des personnes faisant l’objet d’un mandat de dépôt pour des faits de terrorisme islamiste. D’autres détenus, de droit commun, sont radicalisés ou se radicalisent en détention. Toutes ces personnes représentent un réel danger pour la sécurité des établissements pénitentiaires et, à leur sortie, pour la société. Votre rapporteur pour avis y a d’ailleurs consacré ses avis budgétaires en 2014 et 2015.
Deux ans plus tard, la seule réponse apportée par le Gouvernement à cette problématique a pris la forme d’unités de prise en charge tardivement installées (A) et inadaptées par rapport à l’ampleur du phénomène (B). Aussi est-il temps d’apporter à ces dispositifs les corrections nécessaires à une meilleure prise en charge des détenus islamistes (C).
Après un moment de déni (1), les pouvoirs publics se sont engagés, avec retard, dans diverses expériences destinées à endiguer la progression de la radicalisation islamiste dans les prisons françaises, au travers d’expérimentations conduites dans plusieurs établissements, notamment franciliens (2).
Dès le mois d’octobre 2014, votre rapporteur pour avis appelait l’attention du Gouvernement sur la « menace très grave pour la sécurité nationale » que représentait « la radicalisation islamiste de plusieurs centaines de détenus » et l’invitait à « anticiper la prise en charge, dans les établissements pénitentiaires, de détenus de retour du "djihad" dans la zone irako-syrienne ».
Il proposait « que le traitement pénitentiaire de ces radicaux soit anticipé et pensé dans le cadre d’une stratégie globale anti-radicalisation, à la fois préventive et curative, c’est-à-dire destinée à la fois à prévenir la radicalisation et, autant que possible, à permettre la sortie de la radicalisation lorsqu’elle s’est produite » (32).
Il définissait à cette fin un plan d’action global anti-radicalisation islamiste en prison et formulait 20 propositions, parmi lesquelles celle de « créer, dans certains établissements pénitentiaires, des unités spécialisées anti-radicalisation (USAR) au sein desquelles les détenus de retour du "djihad" dans la zone irako-syrienne seraient isolés les uns des autres et suivraient un programme personnalisé, adapté au profil de chacun d’entre eux ».
Synthèse des propositions formulées par votre rapporteur pour avis en octobre 2014 afin de lutter contre la radicalisation islamiste en prison
Axe n°1 – Renforcer le renseignement pénitentiaire
Proposition n° 1 : Évaluer et anticiper le phénomène de la radicalisation islamiste en prison et élaborer une vraie stratégie anti-radicalisation, à la fois préventive et curative, tenant compte du retour en France des « djihadistes » de la zone irako-syrienne.
Proposition n° 2 : Renforcer les effectifs du renseignement pénitentiaire aux échelons national, interrégional et local.
Proposition n° 3 : Élaborer et appliquer une grille d’analyse de la radicalisation islamiste en prison.
Proposition n° 4 : Assurer la formation de l’ensemble des personnels pénitentiaires au recueil du renseignement, et la formation des chefs d’établissement ainsi que des délégués locaux et des correspondants interrégionaux au renseignement à l’analyse du renseignement.
Proposition n° 5 : Faire de la fonction de délégué local au renseignement une fonction spécialisée, à plein temps, intégrée à l’organigramme de chaque établissement, mais susceptible d’être exercée sous couverture.
Proposition n° 6 : Améliorer l’information réciproque entre les services de renseignement et l’administration pénitentiaire :
– en permettant l’accès par l’administration pénitentiaire à certaines données issues des fichiers des services de renseignement ;
– en améliorant l’information de l’administration pénitentiaire en cas d’incarcération d’une personne surveillée par les services de renseignement ;
– en organisant le retour d’information vers l’administration pénitentiaire lorsque des informations qu’elle a transmises aux services de renseignement ont contribué à l’interpellation de personnes radicalisées ou permis de prévenir un acte terroriste ;
– en intégrant un directeur de prison dans les effectifs de l’UCLAT ou de la DGSI et, réciproquement, un officier de police de l’UCLAT ou de la DGSI dans les effectifs du bureau du renseignement pénitentiaire.
Proposition n° 7 : Permettre le recours, par des agents pénitentiaires ayant la qualité d’officiers de police judiciaire, à la sonorisation des locaux de détention pouvant constituer des lieux propices au prosélytisme radical : salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers, etc.
Axe n°2 – Se doter d’une capacité d’opposition au discours islamiste radical
Proposition n° 8 : Mieux évaluer l’importance respective des différents cultes en prison et adapter le nombre d’aumôniers musulmans.
Proposition n° 9 : Mettre en place une formation obligatoire des aumôniers sur le discours à tenir face aux détenus susceptibles d’être radicalisés.
Proposition n° 10 : Élaborer un programme pluridisciplinaire anti-radicalisation pouvant être mis en œuvre en détention et sans doute hors détention en s’inspirant de l’expérience acquise dans d’autres démocraties occidentales.
Proposition n° 11 : Donner au juge de l’application des peines la possibilité de soumettre des détenus à l’obligation de suivre un programme anti-radicalisation et exclure le bénéfice des crédits de réduction de peine et des réductions de peine supplémentaires en cas de refus de suivre ce programme.
Axe n°3 – Réduire la capacité d’essaimage des détenus radicalisés dans les établissements pénitentiaires
Proposition n° 12 : Supprimer le placement en régime « ouvert » pour les détenus radicalisés incarcérés dans les établissements pour peines, en prévoyant expressément dans la loi que le fait de constituer un risque pour la sécurité est un motif de placement en régime « portes fermées ».
Proposition n° 13 : Supprimer la possibilité de former un recours pour excès de pouvoir contre la décision de l’autorité administrative de placer un détenu en « régime ouvert » ou « régime fermé ».
Proposition n° 14 : Pour les détenus constituant un risque pour la sécurité, faciliter le placement à l’isolement :
– en portant de 3 à 6 mois la durée du placement et de chacun de ses renouvellements ;
– en abaissant d’un an à six mois la période d’interruption de l’isolement en-deçà de laquelle la durée de l’isolement antérieur s’impute sur la durée de la nouvelle mesure d’isolement.
Proposition n° 15 : Créer, dans certains établissements pénitentiaires, des unités spécialisées anti-radicalisation (USAR) au sein desquelles les détenus de retour du « djihad » dans la zone irako-syrienne seraient isolés les uns des autres et suivraient un programme personnalisé, adapté au profil de chacun d’entre eux.
Axe n°4 – Limiter les communications avec l’extérieur favorisant la radicalisation
Proposition n° 16 : Permettre la réalisation de fouilles par palpation sur les personnes entrant dans les établissements pénitentiaires.
Proposition n° 17 : Renforcer les opérations de fouilles judiciaires des visiteurs accédant aux établissements pénitentiaires.
Proposition n° 18 : Permettre la détection et l’accès aux données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les personnes incarcérées.
Proposition n° 19 : Dans l’enceinte des établissements pénitentiaires situés en dehors des zones urbaines, limiter l’accès au réseau téléphonique aux seuls numéros autorisés par l’administration pénitentiaire, figurant sur une liste adressée aux opérateurs.
Proposition n° 20 : Contrôler de façon rigoureuse l’activité des associations prétendant apporter un soutien spirituel aux détenus et, si nécessaire, interdire les contacts avec les détenus pour les associations susceptibles de radicaliser des détenus.
Source : Avis (n° 2267, XIVe législature) précité, pp. 71-73.
Pour toute réponse, la garde des Sceaux alors en fonction, Mme Christiane Taubira, avait relativisé l’importance du phénomène – « aux ressentis, j’oppose des faits qui, eux, sont probants » – et estimé que « la plupart de [ses] propositions [étaient] déjà mises en œuvre et [produisaient] leurs effets » (33).
Cet optimisme est démenti par les faits : un nombre croissant de détenus terroristes ou radicalisés se trouvent en détention sans faire l’objet de mesures de sécurité et d’une prise en charge appropriées.
Un an plus tard, votre rapporteur pour avis formulait à nouveau 20 propositions destinées à constituer un plan d’urgence de mobilisation de l’administration pénitentiaire contre le terrorisme islamiste, au travers d’efforts matériels et humains, de nouvelles capacités de renseignement et d’une profonde modification des règles applicables au prononcé et à l’exécution des peines.
Synthèse des propositions formulées par votre rapporteur pour avis en octobre 2015 afin de lutter contre la radicalisation islamiste en prison
Axe n° 1 – Accroître la capacité pénitentiaire, mieux sécuriser les prisons et isoler les détenus les plus dangereux
Proposition n° 1 : Programmer un effort de construction de plus de 20 000 places de prison permettant d'atteindre, au plus tôt, 80 000 places d'incarcération.
Proposition n° 2 : Renforcer les effectifs de surveillants dans les établissements les moins bien dotés et les plus exposés aux atteintes à la sécurité des personnels.
Proposition n° 3 : Adapter le volume des heures supplémentaires, sur la base du volontariat, selon un régime de rémunération incitatif.
Proposition n° 4 : Suspendre immédiatement le projet de regroupement des détenus radicalisés les plus dangereux tel qu'il est aujourd'hui envisagé par le Gouvernement.
Proposition n° 5 : Définir et mettre en œuvre un régime juridique adapté pour la détention des individus radicalisés, dans de petites unités spécialisées, où les détenus seront isolés les uns des autres.
Proposition n° 6 : Créer un régime de détention spécifique pour les mineurs prévenus ou condamnés pour faits de terrorisme.
Proposition n° 7 : Adapter le cadre juridique des fouilles :
– mettre en œuvre une politique de fouilles par palpation plus fréquentes sur les individus entrant dans les établissements pénitentiaires ;
– renforcer les opérations de fouilles judiciaires ciblées des personnes accédant aux établissements pénitentiaires.
Proposition n° 8 : Permettre la détection et l’accès aux données de connexion des téléphones portables illégalement détenus par les personnes incarcérées.
Proposition n° 9 : Dans l’enceinte des établissements pénitentiaires situés en dehors des zones urbaines, limiter l’accès au réseau téléphonique aux seuls numéros autorisés par l’administration pénitentiaire, figurant sur une liste adressée aux opérateurs.
Axe n° 2 – L’administration pénitentiaire doit mieux trouver sa place au sein de la communauté du renseignement
Proposition n° 10 : Permettre au Gouvernement d’intégrer par décret en Conseil d’État le renseignement pénitentiaire parmi les services appartenant au second cercle du renseignement.
Proposition n° 11 : Faire de la fonction de délégué local au renseignement une fonction spécialisée, à plein temps, intégrée à l’organigramme de chaque établissement, mais susceptible d’être exercée sous couverture.
Proposition n° 12 : Permettre le recours, par des agents pénitentiaires spécialisés, à la sonorisation des locaux de détention pouvant constituer des lieux propices au prosélytisme radical : salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers, etc.
Proposition n° 13 : Améliorer l’information réciproque entre les services de renseignement et l’administration pénitentiaire :
– en permettant l’accès par l’administration pénitentiaire à certaines données issues des fichiers des services de renseignement ;
– en améliorant l’information de l’administration pénitentiaire en cas d’incarcération d’une personne surveillée par les services de renseignement ;
– en organisant le retour d’information vers l’administration pénitentiaire lorsque des éléments qu’elle a transmis aux services de renseignement ont contribué à l’interpellation de personnes radicalisées ou permis de prévenir un acte terroriste.
Proposition n° 14 : Permettre à l’administration pénitentiaire d’exploiter elle-même le contenu des téléphones portables qu’elle saisit.
Axe n° 3 – Relever le quantum des peines et restreindre leurs possibilités d’aménagement
Proposition n° 15 : Punir de quinze ans d’emprisonnement le délit d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste prévu à l’article 421-2-1 du code pénal.
Proposition n° 16 : Prévoir, pour les délits en matière de terrorisme, une durée de la détention provisoire de six mois renouvelables.
Proposition n° 17 : Supprimer, en matière de terrorisme, tout mécanisme de réduction automatique de peine.
Proposition n° 18 : Conditionner, en matière de terrorisme, toute mesure de réduction ou d’aménagement de peine à une décision du juge d’application des peines prise après avis explicite favorable du centre national d’évaluation antiterroriste (CNEAT).
Proposition n° 19 : Permettre le prononcé d’une période de sûreté de trente ans ou d’une période de sûreté illimitée en cas d’assassinat ou de meurtre commis intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.
Proposition n° 20 : Réfléchir à une modification de l’article 706-53-13 du code de procédure pénale tendant à permettre le prononcé d’une rétention de sûreté contre les personnes condamnées pour la commission de certaines infractions terroristes.
Source : Avis (n° 3117, XIVe législature) précité, pp. 53-55.
La création de cinq unités de prévention de la radicalisation (UPRA) n’a été annoncée par le Premier ministre que le 21 janvier 2015, dans le cadre du premier volet du plan de lutte contre le terrorisme (PLAT 1).
Cette initiative faisait suite à l’expérience, en octobre 2014, par le directeur de l’établissement de Fresnes, d’une unité de regroupement des personnes détenues islamistes radicales, initialement destinée à faire face à l’augmentation du nombre des personnes incarcérées dans cet établissement pour des faits de terrorisme, à la progression des pratiques de prosélytisme et aux pressions croissantes exercées par certains détenus sur d’autres.
Ces unités expérimentales, localisées à Fleury-Mérogis, Fresnes, Lille-Annœullin et Osny-Pontoise, doivent être distinguées des unités inscrites dans le code de procédure pénale par la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement (34).
L’affectation en UPRA est aujourd’hui réservée aux hommes détenus majeurs, condamnés (20 %) ou prévenus (80 %), en raison de l’implantation de ces unités dans des établissements ou des quartiers d’hébergement n’accueillant qu’une population pénale masculine.
Elle implique un encellulement individuel, afin de respecter le principe de séparation des prévenus et des condamnés. Pour le reste, c’est le régime ordinaire de détention qui s’applique (maintien des liens familiaux, accès aux activités et au culte…).
D’après l’administration pénitentiaire, deux profils de détenus sont susceptibles d’être affectés dans ces unités en fonction de certains critères de détection : soit des personnes faisant l’objet d’un mandat de dépôt pour une infraction liée au terrorisme islamiste, soit des détenus radicaux non incarcérés pour des faits de terrorisme lié à l’islam radical.
Avant leur affectation, ces détenus sont évalués, pendant une durée de 6 à 8 semaines, de manière pluridisciplinaire – par des surveillants, l’encadrement de la détention, des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, des éducateurs et des psychologues – et sur le fondement de critères d’évaluation préalablement définis – niveau de radicalité, degré d’imprégnation religieuse, risque de passage à l’acte violent pour un motif religieux – au sein des deux unités d’évaluation de Fleury-Mérogis et de Fresnes.
À l’issue de cette évaluation :
– les personnes qui ne sont pas réceptives à un programme de prise en charge ou qui justifient des mesures de sécurité particulières sont placées à l’isolement administratif après une procédure contradictoire et pour une durée de trois mois renouvelable, dans les conditions fixées par les articles R. 57-7-66 à R. 57-7-68 du code de procédure pénale : une trentaine de détenus seraient aujourd’hui à l’isolement administratif pour ce motif ;
– les détenus dont le profil et la réceptivité le permettent sont affectés dans les UPRA de Fleury-Mérogis ou d’Osny-Pontoise et, pour les personnes les plus résistantes à une prise en charge, à celles de Lille-Annœullin.
D’autres expérimentations, d’un champ plus large, seraient en cours (35). D’après la direction de l’administration pénitentiaire, une recherche-action portant sur la lutte contre la radicalisation violente en milieu ouvert, conduite par le Centre international de prévention de la criminalité de Montréal, était en cours dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation de l’Isère, du Rhône et des Alpes-Maritimes. Une autre recherche-action devait être prochainement lancée sur la prévention de la radicalisation violente des personnes condamnées détenues en centre de détention ou en quartier centre de détention. Des travaux seraient également en cours concernant la radicalisation des mineurs, en lien avec la protection judiciaire de la jeunesse.
Dernier rebondissement en date, qui témoigne une nouvelle fois de l’improvisation et de l’impréparation du ministère de la Justice sur ce sujet, le garde des Sceaux a annoncé, le 25 octobre dernier (36), la fin des UPRA et leur remplacement par 6 quartiers d’évaluation de la radicalisation (1 à Fresnes, 2 à Fleury-Mérogis, 1 à Osny et 2 à venir à Bordeaux et Marseille) destinés à accueillir, pour une durée de 4 mois, une centaine de détenus. Après une phase d’évaluation, les détenus jugés « les plus dangereux, les plus déterminés ou les plus prosélytes seront incarcérés dans des conditions de détention qui répondront aux exigences élevées de sécurité » (fouilles régulières, changements de cellule, limitation des effets personnels) et feront l’objet d’un suivi individualisé, d’une prise en charge spécifique ainsi que d’une évaluation au moins biannuelle. Cela impliquera la création de 300 places dédiées à ces profils, à raison de 100 places en maisons centrales ou quartiers maison centrale, qui seront transformées en places de maison d’arrêt et localisées au sein de 6 quartiers pour détenus violents, et 200 places d’isolement. Les détenus dont l’évaluation conclura à l’absence de nécessité d’encadrement maximum seront pris en charge dans 27 établissements présentant des conditions de sécurité supérieures à celles pratiquées classiquement et renforcés en personnels. M. Jean-Jacques Urvoas a également annoncé que les autres détenus radicalisés « resteront incarcérés dans les conditions habituelles de la détention » au motif que, pour ces profils, « la fréquentation d’autres détenus, voire paradoxalement la surpopulation, peuvent aider à un désistement par une assimilation et un phénomène mimétique, voire par une pression sociale ». Enfin, la prise en charge des femmes et des mineurs radicalisés sera soumise au « principe de la dispersion en groupes de 5 à 10 personnes ».
Votre rapporteur ne sous-estime pas les initiatives prises par la direction de l’administration pénitentiaire pour prendre en charge les détenus islamistes en détention. Il ne prétend pas davantage détenir le remède miracle à la radicalisation croissante des esprits en prison. Il observe toutefois que la réponse apportée à ce phénomène qui gangrène les établissements pénitentiaires est notoirement sous-dimensionnée par rapport au nombre de détenus radicalisés (1) et inadaptée à leur dangerosité (2).
Au moment où il écrit ces lignes, votre rapporteur a dénombré un total de 117 places dans les UPRA, ces unités ne pouvant accueillir plus de détenus qu’il n’y a de places dans la mesure où l’encellulement individuel y est la règle :
– 40 places à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, qui accueille une unité d’évaluation et une unité de prise en charge de 20 places chacune ;
– 26 places au centre pénitentiaire de Fresnes, siège historique du Centre national d’évaluation de la dangerosité criminologique des personnes détenues, qui héberge une unité d’évaluation ;
– 28 places au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin, qui comporte une unité de prise en charge ;
– 23 places à la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise, qui comprend également une unité de prise en charge.
Ces 117 places, dont seules 71 sont dédiées à la prise en charge des détenus, ne sont, à ce jour, pas toutes occupées. Insuffisante au regard du nombre actuel de détenus djihadistes ou radicalisés en détention, la capacité d’accueil de ces unités l’est également au regard de l’évolution probable de ce chiffre dans les prochains mois.
Elles ne permettent pas d’accueillir l’ensemble des personnes faisant l’objet d’un mandat de dépôt pour terrorisme islamiste, soit aujourd’hui environ 330 personnes : seules 35 % des personnes écrouées pour terrorisme islamiste peuvent donc être prises en charge dans l’une de ces unités dédiées. Elles ne suffisent pas davantage à prendre en charge les 1 720 personnes identifiées, au 1er août 2016, comme radicalisées par l’administration pénitentiaire, à raison de 1 364 en milieu fermé et 356 en milieu ouvert.
En définitive, sur les 2 050 personnes placées sous main de justice pour islamisme ou radicalisées, seules 6 % sont susceptibles de faire l’objet d’une prise en charge spécifique au sein d’une UPRA et 94 % doivent être maintenues en détention ordinaire.
NOMBRE DE DÉTENUS DE DROIT COMMUN SUIVIS POUR RADICALISATION
PAR DIRECTION INTERRÉGIONALE (AU 1ER AOÛT 2016)
Directions interrégionales |
Milieu fermé |
Milieu ouvert |
Paris |
196 |
97 |
Lille |
145 |
19 |
Dijon |
172 |
9 |
Strasbourg |
58 |
18 |
Lyon |
83 |
71 |
Marseille |
131 |
28 |
Toulouse |
179 |
34 |
Bordeaux |
250 |
33 |
Rennes |
133 |
39 |
Mission outre-mer |
17 |
8 |
Total |
1 364 |
356 |
Source : réponse du ministère de la Justice au questionnaire budgétaire.
Le sous-dimensionnement de ces unités est d’autant plus problématique qu’il n’est pas compensé par un nombre de places suffisant à l’isolement administratif, seule alternative – provisoire dans sa durée – à l’affectation du détenu djihadiste en UPRA.
Les dernières annonces du garde des Sceaux, qui a décidé de remplacer les actuelles UPRA en quartiers d’évaluation de la radicalisation, de porter à 300 le nombre de places susceptibles d’accueillir les détenus islamistes les plus dangereux et de créer, pour ceux ne nécessitant pas un encadrement maximum, un dispositif de prise en charge spécifique dans 27 établissements sans toutefois préciser le nombre précis de places qui seront dégagées, ne permettront pas davantage de répondre à la masse de détenus concernés par la radicalisation islamiste.
Par ailleurs, votre rapporteur s’interroge sur le sort des détenus mineurs et des femmes détenues qui présentent des signes de radicalisation ou ont été incarcérés pour des faits de terrorisme, pour lesquels aucune unité spécifique n’a été créée à ce jour et dont la prise en charge pourrait être régie, selon les récents propos du garde des Sceaux, par « le principe de la dispersion en groupes de 5 à 10 personnes », sans autre précision.
Il est vrai que les mineurs bénéficient, en principe, d’un encellulement individuel dans les établissements ou quartiers qui leur sont réservés mais cette circonstance ne constitue pas une réponse suffisante.
De surcroît, si seuls 10 mineurs sont aujourd’hui placés sous mandat de dépôt pour terrorisme et 6 autres détenus mineurs de droit commun identifiés comme radicalisés, ces chiffres sont appelés à augmenter significativement dans les prochains mois pour atteindre environ 400 mineurs, milieu ouvert et milieu fermé confondus. Votre rapporteur a toutefois été informé de la mise en œuvre par l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse d’une recherche-action sur ce sujet.
Il en va de même des 31 femmes détenues radicalisées ou impliquées dans des affaires de terrorisme, dont le nombre va probablement croître ces prochains mois, comme le laissent penser la mise en examen et le placement sous écrou, en septembre dernier, de plusieurs femmes radicalisées dans l’Essonne. À ce jour, l’administration pénitentiaire travaillerait à un programme de prise en charge individuelle dans trois établissements franciliens, à Fresnes, Fleury-Mérogis et Versailles.
Des visites de plusieurs unités dédiées qu’il a effectuées au cours des derniers mois dans différents établissements pénitentiaires, votre rapporteur tire plusieurs enseignements.
Le ministère de la Justice a manifestement manqué d’anticipation sur ce sujet en étant contraint d’improviser une réponse à un phénomène dont elle a sous-évalué l’ampleur et la nature.
Votre rapporteur pour avis s’interroge sur la pertinence des critères d’affectation retenus, dans un premier temps, par la direction de l’administration pénitentiaire. La qualification terroriste comme critère unique d’affectation a d’abord conduit l’administration pénitentiaire à ne placer dans ces unités que des personnes faisant l’objet d’un mandat de dépôt dans le cadre d’une procédure en lien avec une entreprise terroriste, sans que toutefois l’intégralité des personnes incarcérées pour terrorisme puissent y être affectées.
La direction de l’administration pénitentiaire n’a étendu que dans un second temps ces unités aux personnes incarcérées pour d’autres faits mais considérées comme radicalisées ou en voie de radicalisation. Un tel élargissement suppose toutefois, au préalable, l’homogénéisation des critères de détection des comportements radicaux dans l’ensemble des établissements, ce qui ne devrait être le cas qu’avec la généralisation prochaine des trois grilles de détection jusque–là expérimentées par les surveillants, les personnels d’encadrement de la détention et les membres des services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Par ailleurs, les modalités de regroupement des détenus, dont l’isolement est relatif, sont propices à la reconstitution de « cellules de combat » djihadiste ou de noyaux durs radicaux, voire à la connexion de l’« islamo-gangstérisme », à rebours des objectifs assignés à ces unités.
Votre rapporteur pour avis avait alerté le Gouvernement sur ce risque dès octobre 2015, dans son précédent avis budgétaire, dans lequel il craignait que, « dans le cadre des unités "dédiées" actuellement mises en place, les larges possibilités laissées aux détenus de communiquer entre eux n’aient pour effet de conforter ceux-ci et de faire naître une dynamique de groupe, aboutissant à la création quasiment d’une sorte de "katiba", de cellule de combat » (37).
Sauf à Lille-Annoeullin, où l’unité dédiée bénéficie de la configuration de l’ancien quartier maison centrale qu’elle occupe, toutes les autres UPRA ne sont pas parfaitement séparées et étanches des autres quartiers de la détention. C’est particulièrement le cas à Fleury-Mérogis et Fresnes où les possibilités de communication par les fenêtres sont nombreuses. À Osny-Pontoise, l’étanchéité entre les quartiers est meilleure mais la cour de promenade demeure visible depuis les cellules du dernier étage du bâtiment voisin.
La porosité entre les quartiers est également facilitée par les mouvements vers des zones fréquentées par d’autres détenus (parloirs, unité sanitaire…) et la possibilité, au moins théorique, laissée aux détenus placés en unité dédiée de participer à certaines activités proposées à l’ensemble de la population pénale, au travail ou à la formation professionnelle.
Les grandes disparités observées dans l’offre de prise en charge des détenus et l’autonomie laissée aux équipes locales pour définir les activités proposées conduisent à s’interroger sur les finalités réellement poursuivies par ces programmes (suivi individuel, accompagnement religieux, réflexion sur la violence, apprentissage de la gestion des émotions, travail sur l’esprit critique…).
Ce constat prend un relief particulier à la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise, que votre rapporteur a visitée, accompagné de MM. Éric Ciotti et Philippe Goujon, quelques jours après l’agression à l’arme blanche, le 3 septembre 2016, de deux surveillants de l’unité dédiée.
Le fonctionnement de l’UPRA de la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise
Les activités
Les personnes bénéficient d’un emploi du temps individuel et personnalisé comprenant la participation à des séances collectives et à des entretiens individuels. Elles effectuent certaines activités à l’écart des autres détenus, comme les parloirs (dans les conditions de droit commun mais en se rendant directement à leurs cabines spécialement affectées sans être placées en salle d’attente), l’accès au terrain de sport (créneau réservé) ou à la salle de sport de 3 places interne à l’unité et la promenade dans une cour isolée.
En revanche, le règlement intérieur dispose que « l’hébergement en unité dédiée n’étant pas une mesure d’isolement, les personnes (…) peuvent être autorisées à participer à des activités proposées à l’ensemble de la population pénale », après avis de la commission pluridisciplinaire unique et « sous réserve (…) de la disponibilité compte tenu de l’emploi du temps individuel obligatoire ». Le programme de l’unité dédiée, « pensé autour d’un enseignement scolaire adapté tant au niveau des connaissances préalables de la personne que des ojectifs à atteindre » ne laisse pas le volume horaire suffisant pour prétendre être classé au travail ou à la formation professionnelle.
Les fouilles
Le règlement intérieur prévoit la possibilité de mettre en œuvre « un régime exorbitant de fouille (…) des personnes détenues affectées en UD, dès lors que ce régime, qui doit respecter les critères de nécessité et de proportionnalité posés par la loi, est justifié par l’exitence de suspicions fondées sur le comportement de la personne détenue, ses agissements intérieurs ou les circonstances de ses contacts avec des tiers ».
Source : règlement intérieur de l’UPRA de la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise.
La mise en œuvre pratique des règles de fonctionnement de l’unité dédiée d’Osny-Pontoise fait en effet apparaître de nombreuses lacunes dans la prise en charge et l’encadrement des détenus islamistes.
Interrogé par votre rapporteur pour avis, les représentants des syndicats UFAP-UNSA Justice et FO-Pénitentiaire de la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise ont regretté l’insuffisante sécurisation de l’unité dédiée, principalement en raison du faible nombre de surveillants affectés à cette unité et de l’absence d’encadrement direct. Si 5 postes supplémentaires de surveillants ont été créés à l’ouverture de l’unité, aucun premier surveillant ni officier n’avait été désigné pour leur encadrement avant l’agression intervenue sur deux d’entre eux. Cette situation expliquerait que toutes les fouilles nécessaires à la sécurité de l’unité ne puissent être réalisées régulièrement, comme le prévoit en théorie le règlement intérieur de cette dernière. Par ailleurs, avant cette agression, les promenades des détenus affectés à l’unité se seraient déroulées de manière collective.
Les représentants du personnel ont également mis en doute le contenu du programme de prise en charge des détenus radicalisés. Ce programme comprendrait des séances de sophrologie ou de « thérapie psychocorporelle » ou des activités sportives proposées aux détenus de droit commun. Ces activités, dont l’organisation a été confirmée par la direction de l’établissement, contribueraient, selon cette dernière, à déconstruire les certitudes religieuses ou idéologiques du détenu et favoriseraient une prise de distance à l’égard de ses engagements radicaux.
Enfin, les dernières annonces du garde des Sceaux relatives aux modalités de prise en charge des détenus radicalisés soulèvent de nombreuses interrogations, eu égard aux stratégies très élaborées de dissimulation développées par nombre d’entre eux. Votre rapporteur pour avis relève, à ce stade, l’imprécision des critères qui présideront à l’affectation de tel ou tel détenu au sein d’un établissement répondant plus ou moins à des exigences élevées de sécurité. Il s’interroge surtout sur le choix fait par la Chancellerie de laisser les détenus qui n’auront pas été identifiés comme dangereux ou prosélytes parmi les détenus de droit commun pour « aider à un désistement par une assimilation et un phénomène mimétique, voire par une pression sociale », ce qui reste à démontrer.
Il paraît donc nécessaire d’apporter certaines corrections au dispositif aujourd’hui expérimenté afin de permettre une prise en charge de ces détenus avec un haut niveau de sécurité pour les personnels et les autres détenus (1). La question de la prise en charge des détenus islamistes ne sera par ailleurs pas réglée tant que notre pays ne se sera pas doté d’un service de renseignement pénitentiaire digne de ce nom (2).
Votre rapporteur pour avis est opposé au regroupement de tous les détenus radicalisés dans un ou plusieurs établissements pénitentiaires, compte tenu des risques très élevés pour la sécurité que comporterait la gestion de nombreux détenus dangereux. Il n’est qu’à penser à l’échec du regroupement des détenus en Irlande du Nord ou à l’expérience libanaise désastreuse du « bloc » B de la prison de Roumieh, près de Beyrouth, devenu un quartier général de djihadistes échappant au contrôle de l’administration pénitentiaire.
Votre rapporteur pour avis préconise un système différent, fondé sur la création de petites unités spécialisées dotées de moyens adaptés et organisées selon un régime de détention ad hoc où les détenus seraient effectivement isolés les uns des autres avec l’obligation de suivre un programme personnalisé anti-radicalisation.
La législation italienne à destination des détenus mafieux ou terroristes constitue, de ce point de vue, un exemple intéressant dont on pourrait s’inspirer. Dans ce pays, l’article 41 bis de la loi pénitentiaire n° 354 de 1975 prévoit un régime d’isolement spécifique pour les détenus appartenant à des groupes mafieux ou terroristes. Ce régime permet de couvrir une période de détention plus longue que l’isolement administratif français. Il prévoit en outre des conditions de surveillance très strictes afin de couper les liens entre les détenus et leur organisation criminelle.
Le régime carcéral de l’article 41 bis en Italie
Introduit en 1992 et modifié successivement en 2002 puis 2009, l’article 41 bis de la loi pénitentiaire de 1975 autorise le ministre de la justice à suspendre par décret, pour des raisons de sécurité et d’ordre publics, l’application du régime de détention ordinaire pour les détenus appartenant à des organisations criminelles mafieuses ou terroristes, incarcérés pour l’une des infractions prévues par l’article 4 bis de la loi pénitentiaire.
La Cour constitutionnelle italienne a jugé que la motivation du décret du ministre de la justice devait être précise, la peine n’étant pas jugée comme un élément suffisant. Les décisions sont susceptibles de recours devant le tribunal de surveillance de Rome.
Les détenus sont placés dans des unités spécifiques, séparées au sein des établissements pénitentiaires, sous la surveillance d’un personnel dédié, les Gruppi operativi mobili. Ils sont seuls dans leur cellule.
Les détenus peuvent passer deux heures par jour en dehors de leur cellule, une en promenade et une dans les locaux d’activités communes, par groupe de quatre détenus au maximum. Ils sont autorisés à recevoir une visite de leur famille par mois, pour une heure maximum, enregistrée en vidéo, et trois visites hebdomadaires de leur avocat, pour une heure maximum.
En 2009, la durée initiale de ce régime a été portée à 4 ans, renouvelable pour 2 ans.
Source : Rapport (n° 2828, XIVe législature) fait par M. Patrick Mennucci au nom de la commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes présidée par M. Éric Ciotti, juin 2015, p. 137.
Au demeurant, dans deux décisions de 2009 (38), la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’application de l’article 41 bis de la loi pénitentiaire n’avait pas constitué, en l’espèce, un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a considéré que les restrictions et les contrôles des visites familiales n’étaient pas disproportionnés par rapport au but poursuivi, couper les liens avec le milieu criminel d’origine.
Votre rapporteur pour avis préconise en France une séparation effective entre les détenus affectés au sein d’une unité spécialisée, en lieu et place de la « relative étanchéité » actuelle, admise par la direction de l’administration pénitentiaire elle-même. Il recommande l’instauration d’un « double isolement », à l’égard du reste de la détention et entre les personnes affectées à l’unité, le tout au sein d’unités spécialisées de petite taille.
Proposition n° 11
Au sein d’unités spécialisées de petite taille, appliquer un régime de double isolement entre les détenus affectés à l’unité et les autres détenus d’une part, et entre les détenus au sein de l’unité d’autre part.
Un tel régime suppose la mise en place de moyens budgétaires et humains suffisants : certains syndicats entendus par votre rapporteur pour avis ont estimé que 3 surveillants devraient être affectés au déplacement de chaque détenu. Ces moyens permettraient l’organisation de fouilles systématiques à la sortie et à l’entrée de la cellule, justifiées par la dangerosité particulière des détenus affectés à ces unités.
Proposition n° 12
Autoriser la fouille systématique des détenus affectés aux unités spécialisées, à l’entrée et à la sortie de leur cellule.
Lors des visites qu’il a effectuées au sein de plusieurs unités dédiées, votre rapporteur pour avis a constaté que les personnes qui y sont affectées peuvent être perçues, par le reste de la population de l’établissement, comme des détenus privilégiés, bénéficiant de l’encellulement individuel et de conditions de détention plus favorables.
Si la règle de l’encellulement individuel est indispensable à la prévention du prosélytisme religieux ou idéologique et contribue à empêcher la constitution de cellules de combat, rien n’impose que ces détenus bénéficient d’activités culturelles ou sportives qui ne sont pas proposées au reste de la détention. De manière générale, une certaine rusticité des conditions de détention devrait s’appliquer dans les unités spécialisées, selon un régime ad hoc.
Proposition n° 13
Définir un régime de détention ad hoc pour les détenus affectés à ces unités afin d’éviter qu’ils ne bénéficient d’un régime privilégié par rapport au reste de la population pénale.
Votre rapporteur pour avis appelle également à anticiper l’arrivée en masse de femmes détenues islamistes et de mineurs radicalisés ou impliqués dans la préparation d’actes de terrorisme.
Des unités spécialisées dans la prise en charge des femmes détenues islamistes devraient être développées.
S’agissant des mineurs, qui bénéficient en principe déjà d’un encellulement individuel dans les établissements pour mineurs, il conviendrait de définir un régime de détention spécifique et un programme de prise en charge adaptée afin d’éviter les risques de contamination des autres jeunes détenus, souvent très influençables compte tenu de leur âge.
Proposition n° 14
Développer des unités spécialisées dans la prise en charge des femmes détenues islamistes et créer un régime de détention spécifique pour les mineurs prévenus ou condamnés pour faits de terrorisme, comportant un programme de prise en charge adaptée.
Enfin, il est indispensable de permettre le recours à la sonorisation de l’ensemble des locaux de l’unité spécialisée qui sont autant de lieux propices au prosélytisme radical (cellules de l’unité, salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers…), sans préjudice des autres locaux de détention susceptibles, par leur affectation, d’être également sonorisés.
Proposition n° 15
Permettre le recours à la sonorisation de l’ensemble des locaux de l’unité spécialisée qui sont autant de lieux propices au prosélytisme radical : cellules, salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers…
L’activité de renseignement pénitentiaire permet elle aussi de contribuer à la lutte contre la radicalisation en détention.
Créé en 2003 à l’initiative de M. Dominique Perben, garde des Sceaux, le bureau du renseignement pénitentiaire, alors dénommé « EMS 3 » et intégré à la sous-direction de l’état-major de sécurité, avait pour mission de surveiller les détenus difficiles puis, à partir de 2005, de sécuriser les établissements et prévenir les évasions ou mutineries. Relevant aujourd’hui de la sous-direction des missions, ses compétences se sont étendues, en 2015, à la surveillance, « en liaison avec les autres services compétents de l’État (…) [de] l’évolution de certaines formes de criminalité et de radicalisation violente » (39). Le renseignement pénitentiaire est aujourd’hui structuré en trois niveaux :
– au niveau central, le bureau du renseignement pénitentiaire, dénommé BRP ou MI3, comportant environ 13 personnes réparties notamment entre un pôle « Criminalité organisée », un pôle « Terrorisme » et une unité de soutien opérationnel ;
– au niveau régional, 10 cellules interrégionales de renseignement pénitentiaire (CIRP) au sein des directions interrégionales des services pénitentiaires, animées par 37 délégués interrégionaux au renseignement pénitentiaire (contre 14 en 2014) et appuyées, depuis 2016, par 13 analystes veilleurs, 16 investigateurs numériques et 6 traducteurs arabophones ;
– au niveau local, 140 délégués locaux au renseignement pénitentiaire (DLRP), qui n’occupent généralement pas ces fonctions à temps complet (environ 35 équivalents temps plein), et 37 officiers à temps plein.
Par ailleurs, deux cellules spécialisées ont été mises en place, l’une chargée de la veille permanente sur les réseaux sociaux, l’autre de la réflexion pluridisciplinaire. Un directeur des services pénitentiaires a également rejoint l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) et participe à ses réunions hebdomadaires. Dans chaque service pénitentiaire d’insertion et de probation, il existe aussi un référent renseignement.
La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale a sensiblement renforcé les moyens juridiques à la disposition de l’administration pénitentiaire afin de la doter de capacités de renseignement utiles et efficaces.
D’une part, le Parlement s’est prononcé en faveur de l’intégration du renseignement pénitentiaire dans le « second cercle » de la communauté du renseignement. Votre rapporteur pour avis regrette toutefois le temps perdu sur cette question puisque cette disposition, déjà adoptée à son initiative par la commission des Lois de l’Assemblée nationale lors de la discussion du projet de loi relatif au renseignement au printemps 2015, avait été rejetée par le Sénat avec le soutien de la garde des Sceaux de l’époque.
La disposition adoptée, inscrite à l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure, ne constitue qu’une simple faculté laissée au Gouvernement d’autoriser des agents de l’administration pénitentiaire individuellement désignés et habilités à recourir, pour l’une ou plusieurs des finalités posées à l’article L. 811-3 du même code et sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), à des techniques de recueil du renseignement.
D’autre part, le Parlement a complété, à l’article 727-1 du code de procédure pénale, les pouvoirs de surveillance des communications en prison « aux fins de prévenir les évasions et d’assurer la sécurité et le bon ordre des établissements pénitentiaires ou des établissements de santé destinés à recevoir des personnes détenues ». Effectuées par des agents individuellement désignés et habilités, ces activités de renseignement peuvent consister dans :
– le recueil des données techniques de connexion, par l’intermédiaire de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) (1°) ou par IMSI catcher (40) (2°) ;
– l’interception, par les mêmes outils, de correspondances (3° et 4°) ;
– l’accès à diverses données informatiques (5° à 7°) ;
– la détection des connexions non autorisées (8°).
Dans les deux cas, plusieurs décrets en Conseil d’État – dont certains pris après avis de la CNCTR et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés – sont nécessaires pour mettre en œuvre ces nouvelles prérogatives. Plusieurs projets de décret seraient en préparation et devraient être soumis à l’avis du Conseil d’État à partir du mois de novembre 2016.
Afin de mener à bien le travail doctrinal et la réorganisation administrative qu’implique la mise en œuvre concrète de ces mesures, la direction de l’administration pénitentiaire a lancé une mission de préfiguration du futur service du renseignement pénitentiaire, confiée au directeur des services pénitentiaires ayant participé aux travaux de l’UCLAT.
LA MISE EN œUVRE DES TECHNIQUES DE RENSEIGNEMENT EN PRISON
(HORS RÉGIME GÉNÉRAL PAR LES SERVICES SPÉCIALISÉS DE RENSEIGNEMENT)
Fondement |
Article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure (loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement) |
Article 727-1 du code de procédure pénale (loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme) |
Pour quoi ? |
Prévenir le terrorisme, les violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ainsi que la criminalité et la délinquance organisées |
Prévenir les évasions et assurer la sécurité et le bon ordre des établissements |
Par qui ? |
Agents individuellement désignés et habilités du bureau du renseignement pénitentiaire, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement |
Agents individuellement désignés et habilités appartenant à l’administration pénitentiaire |
Quoi ? |
Une ou plusieurs des techniques de recueil de renseignements mentionnées aux articles L. 851-1 à L. 854-9 du code de la sécurité intérieure |
Recueil des données techniques de connexion, par l’intermédiaire de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) Interceptions des correspondances, par l’intermédiaire de la PNIJ ou par IMSI catcher Accès aux données informatiques dans tout format Détection des connexions non autorisées |
Votre rapporteur pour avis constate, à ce stade, que les décrets d’application de la loi votée en juin 2016 n’ont toujours pas été publiés alors qu’il rappelle, depuis octobre 2014, l’urgence de doter notre pays d’un service de renseignement pénitentiaire digne de ce nom.
Regrettant que le ministère de la justice ait refusé de lui communiquer le rapport conjoint de l’inspection des services pénitentiaires et de l’inspection générale des services judiciaires sur le renseignement pénitentiaire, il n’est pas en mesure d’apprécier, à ce stade, l’état réel de l’organisation du renseignement pénitentiaire et la pertinence des perspectives d’évolution envisagées dans le cadre de l’intégration du service du renseignement pénitentiaire dans le « second cercle » des services de renseignement.
Il estime toutefois indispensable qu’une doctrine claire et que des moyens humains et budgétaires suffisants soient mis en place pour permettre non seulement la collecte de renseignements mais aussi leur traitement et leur analyse dans des conditions qui contribuent à améliorer la sécurité nationale et à maintenir le bon ordre dans les établissements pénitentiaires.
Proposition n° 16
Définir une doctrine claire et dégager les moyens humains et budgétaires suffisants pour le fonctionnement du futur service de renseignement pénitentiaire, afin de permettre non seulement la collecte de renseignements mais aussi leur traitement et leur analyse dans des conditions satisfaisantes.
Lors de sa réunion du jeudi 27 octobre 2016, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur les crédits de la mission « Justice » pour 2017.
M. Dominique Lefebvre, président. La présente commission élargie va entendre M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les crédits du projet de loi de finances (PLF) pour 2017 consacrés à la mission « Justice ». Dominique Raimbourg, président de la commission des lois, et moi-même sommes heureux de vous accueillir, monsieur le ministre.
La Conférence des présidents a reconduit les modalités d’organisation de la discussion de la seconde partie du PLF. Je donnerai d’abord la parole au rapporteur spécial de la commission des finances et aux quatre rapporteurs pour avis de la commission des lois, pour cinq minutes chacun, puis, après la réponse du ministre, aux représentants des groupes politiques, pour cinq minutes, et aux collègues qui souhaitent poser des questions, pour deux minutes.
M. le président Dominique Raimbourg. Nous nous félicitons que, grâce à l’intervention et à la détermination du ministre, le budget de la justice connaisse une augmentation importante, alors que ce ministère est sous-budgété depuis une trentaine d’années. L’administration judiciaire souffre d’un engorgement des dossiers et d’un manque de moyens matériels. L’administration pénitentiaire est confrontée à une surpopulation endémique. Ce budget représente une lueur d’espoir, que nous vous remercions d’avoir allumée, monsieur le ministre.
M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial de la commission des finances. Nous entamons l’examen des crédits de la mission « Justice » de ce qui sera le dernier budget de la législature. De mon point de vue, ce travail ne saurait se limiter au suivi de la courbe des crédits et des plafonds d’emplois : il s’agit d’établir des bilans et, si possible, de prendre des mesures utiles pour un service public si essentiel pour notre contrat social.
Dans cette optique, que penser de la programmation que le Gouvernement nous propose pour 2017 ? À tous égards, il s’agit indéniablement, je le souligne, d’un acte de volontarisme budgétaire. D’abord en raison du contexte : alors que les déséquilibres accumulés par nos finances publiques rendent plus que jamais nécessaire une stricte maîtrise des dépenses de l’État, le PLF pour 2017 affiche une progression assez remarquable des crédits affectés à la mission « Justice ». Par rapport à l’exercice 2016, les autorisations d’engagements demandées connaissent en effet une croissance de 26,64 %, et les crédits de paiement une augmentation de 4,77 %.
Au-delà des chiffres, le caractère remarquable de l’effort proposé tient à son ampleur, mais surtout aux priorités retenues. De fait, l’ensemble des programmes bénéficient d’une augmentation souvent soutenue de leurs moyens. Je pense au programme « Accès au droit et à la justice », mais ce constat vaut également pour le programme « Justice judiciaire » ou encore, à un degré moindre, pour les programmes « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Protection judiciaire de la jeunesse ».
S’agissant des priorités, je pense que chacun d’entre nous peut se réjouir que le PLF pour 2017 comporte déjà un certain montant des crédits nécessaires à la réalisation du nouveau programme immobilier pénitentiaire annoncé par le garde des sceaux. Même si l’on peut regretter qu’il s’agisse là d’une conversion tardive du Gouvernement, on ne peut que saluer cet effort. Je rappelle que ce plan de relance vise, après des opérations manifestement insuffisantes pour remédier à la surpopulation carcérale sous la présente législature, à augmenter la capacité du parc pénitentiaire afin d’atteindre l’objectif de 80 % de personnes détenues bénéficiant de l’encellulement individuel. Ces crédits doivent permettre la réalisation de deux types d’opérations : d’une part, la construction de quartiers de préparation à la sortie et, d’autre part, le lancement d’une première phase de construction de maisons d’arrêts.
En dehors de ce renforcement des moyens de l’administration pénitentiaire, il convient évidemment de souligner l’utilité des ressources dégagées en faveur de la justice judiciaire – sujet sur lequel je me suis plus particulièrement penché dans mon avis –, notamment de la création de 666 équivalents temps plein (ETP). Si cette mesure comporte des obligations nouvelles en termes de dépenses de personnel ou d’offre de formations par l’École nationale de la magistrature (ENM), elle n’en paraît pas moins utile pour apporter des premières réponses à des besoins aujourd’hui identifiés, à deux titres : la défense de la sécurité de nos compatriotes ; le bon fonctionnement du service public de la justice. Dans la lutte contre le terrorisme qui nous menace depuis bientôt deux ans, chacun comprend évidemment l’importance de déployer les moyens nécessaires aux juridictions, notamment aux parquets. Et nous ne pouvons que nous féliciter que cette programmation des crédits ait pour objectifs d’assurer la création d’emplois de greffiers et de renforcer les moyens des juridictions pour le traitement des affaires pénales, ou qu’elle mette l’accent sur la prévention de la récidive et l’individualisation des peines.
Pour autant, suffit-il d’accroître les moyens de la justice pour en assurer l’efficacité ? De fait, le PLF pour 2017 s’inscrit dans le mouvement de hausse quasi continue des ressources votées en faveur de la justice, à l’œuvre tout au long de la présente législature. À certains égards, il en accentue même le caractère inflationniste. Or l’expérience montre également que, année après année, un écart chronique persiste entre les prévisions de la loi de finances initiale (LFI) et les résultats de son exécution. Pourquoi ? Parce que la justice souffre depuis des décennies de problèmes quasi structurels qui, aujourd’hui, ne peuvent qu’inciter à relativiser l’effort – encore une fois, sans doute remarquable – que nous propose le garde des sceaux, qui a insisté, dès sa prise de fonctions, sur la situation catastrophique des administrations judiciaire et pénitentiaire. En fait, ce service public subit les contraintes inhérentes à une ressource en réalité restreinte, et dont la gestion apparaît perfectible.
Dans la version du PLF déposée en vue de la première lecture à l’Assemblée nationale, le Gouvernement propose de consacrer à la mission « Justice » 3,4 % des autorisations d’engagement et 2,7 % des crédits de paiement demandés pour le budget général de l’État en 2017. Il s’agit d’une évolution intéressante par rapport aux années précédentes. Toutefois, lorsque l’on fait des comparaisons avec d’autres pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), notamment lorsque l’on se penche sur les études réalisées par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), on s’aperçoit que la France continue à occuper un rang assez médiocre en termes d’investissements effectués dans le système judiciaire. Le sous-financement de la justice française revêt aujourd’hui un caractère d’autant plus aigu que le budget demeure exposé aux aléas de la régulation budgétaire.
J’insiste sur le fait que beaucoup de progrès restent à accomplir afin de rationaliser l’emploi des ressources consacrées au service public de la justice. En outre, l’exécution du présent PLF me paraît pour le moins grevée par un certain nombre d’hypothèques, en raison des écarts que nous avons régulièrement constatés entre le budget initial et son exécution. C’est pourquoi, face à cette incertitude sur leur portée exacte et sur la base de l’avis réservé que j’ai établi, je vous propose, mes chers collègues, de nous abstenir sur ces crédits.
M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis de la commission des lois pour l’administration pénitentiaire. Il s’agit à l’évidence, d’un budget de correction, après le temps du déni, qui correspond grosso modo aux années Taubira (Murmures sur les bancs de la majorité), et après une petite période d’improvisation en 2016. Je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur trois sujets de fond, qui constituent trois défis.
Le premier défi est de remédier à la sous-capacité carcérale. J’ai bien compris que vous souhaitez corriger le tir. Je m’interroge néanmoins sur l’écart assez considérable entre le volume élevé des autorisations d’engagement – 1,158 milliard d’euros – et le volume plus modeste des crédits de paiement – 2,6 millions d’euros. Quelles seront, concrètement, les constructions réalisées en 2017 ? Une réflexion est-elle menée au sein de la Chancellerie sur des modalités procédurales qui permettraient d’accélérer le rythme de construction des prisons ? En particulier, serait-il possible ou non d’inscrire dans une loi ordinaire certaines décisions individuelles d’urbanisme, notamment pour prévenir un certain nombre de contentieux ? En d’autres termes, peut-on réfléchir à une sorte de fast track juridique en matière d’urbanisme, voire de marchés publics, pour accélérer le rythme des constructions ?
Le deuxième défi est la sécurisation des établissements pénitentiaires. Vous avez fait mardi dernier, monsieur le garde des sceaux, un certain nombre d’annonces à ce sujet. Elles sont raisonnables et étaient attendues depuis longtemps. Reste qu’un certain nombre de mesures concrètes, d’application immédiate et n’entraînant aucun coût budgétaire, pourraient être étudiées. Je pense à un nouvel assouplissement du régime des fouilles, après celui qu’a permis la loi du 3 juin 2016 : il serait nécessaire d’autoriser plus largement les palpations de sécurité – qui ne sont pas vraiment des fouilles – sur les tiers à l’entrée des parloirs. C’est une mesure attendue.
Je m’interroge aussi – c’est un débat ancien – sur la possibilité d’habiliter certains surveillants de l’administration pénitentiaire à exercer des prérogatives reconnues aux agents, voire aux officiers de police judiciaire, dans un périmètre proche de la prison, notamment pour constater certaines infractions ou pour procéder à des interpellations. Il y aurait un intérêt à le faire, tout en prévoyant naturellement une formation ad hoc, qui reste à concevoir. Enfin, pouvez-vous préciser votre position sur l’autorisation du port d’armes non létales pour certains agents ?
Le troisième défi est la neutralisation des détenus islamistes, djihadistes ou radicalisés. Vous avez à l’évidence raison de corriger l’expérimentation assez hasardeuse des unités dédiées qui est engagée depuis quelques mois, car les retours de terrain que nous avons eus les uns et les autres sont tous assez préoccupants. Ma principale interrogation est aujourd’hui la suivante – je la formule vraiment de manière non péremptoire, car il faut reconnaître que nous tâtonnons en la matière : pensez-vous que les décisions que vous prenez sont adaptées en termes de volume ? Les 300 places très sécurisées représentent certes un effort, mais suffira-t-il pour prendre en charge les individus les plus dangereux ? Combien de places seront destinées, dans les autres établissements, à la prise en charge des détenus identifiés comme un peu moins dangereux ? Quelles seront les modalités concrètes de prise en charge des femmes et des mineurs ? Surtout, quel sera le calendrier de mise en œuvre de ces décisions ? Il serait également utile que vous précisiez les moyens humains qui seront dédiés à cette politique, car cela n’apparaît pas dans les documents budgétaires, les annonces à ce sujet ayant été faites mardi dernier.
Mme Elisabeth Pochon, rapporteure pour avis de la commission des lois pour l’accès au droit et à la justice et l’aide aux victimes. Je veux tout d’abord saluer ce dernier budget de la législature, qui consacre le caractère prioritaire de la justice : avec une hausse de 9 % par rapport à 2016, les dotations de la mission « Justice » enregistrent leur plus fort accroissement. Parmi elles, celles qui sont destinées au programme 101 « Accès au droit et à la justice » connaîtront une hausse plus élevée encore, puisqu’elle atteindra 12,2 % en crédits de paiement, ce qui permettra de renforcer tout particulièrement l’aide juridictionnelle – à laquelle j’avais consacré mon précédent avis budgétaire – et l’aide aux victimes – à laquelle je me suis intéressée cette année. La période s’y prête, hélas, tout particulièrement, après les attentats barbares qui ont endeuillé notre pays depuis 2015. Rappelons néanmoins que l’aide aux victimes dépasse le seul cadre des actes terroristes.
L’action 3 du programme 101, intitulée « Aide aux victimes », vise à améliorer la prise en charge des victimes d’infractions pénales, en leur apportant un soutien matériel et psychologique tout au long du parcours judiciaire, jusqu’à leur indemnisation. Elle est dotée de 28 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit 6,8 % des autorisations d’engagement et des crédits de paiement du programme. Par rapport à la loi de finances initiale pour 2016, ces crédits sont en augmentation de 3,44 millions d’euros – soit de 14,03 % – en autorisations d’engagement et de 2,83 millions d’euros – soit de 11,2 % – en crédits de paiement. Cette nouvelle augmentation fait suite à des hausses substantielles au cours des deux derniers exercices budgétaires, ce qui traduit la priorité politique accordée à cette action. Au total, depuis 2012, ces crédits se sont accrus de 17,79 millions d’euros, soit une hausse de 174 %.
La politique d’aide aux victimes repose essentiellement sur un réseau de 166 associations locales, conventionnées par les cours d’appel, qui, de manière gratuite et confidentielle, reçoivent les victimes, les aident dans leurs démarches et les orientent. Elle s’appuie également sur les bureaux d’aide aux victimes (BAV) ouverts au siège des tribunaux de grande instance (TGI), dont la mission est d’informer, d’orienter et d’accompagner les victimes.
Le rôle des associations que je viens de mentionner est, on le sait, absolument déterminant. Connaissant les réalités de terrain, ayant acquis une expérience unique, elles jouent un rôle irremplaçable dans l’accompagnement des victimes : elles les aident à se reconstruire. Il est donc indispensable que l’État dégage les crédits budgétaires nécessaires pour les soutenir dans l’accomplissement de leur mission.
Au demeurant, les crédits budgétaires de l’action « Aide aux victimes » ne constituent qu’une faible partie de l’aide aux victimes, qui est assurée essentiellement par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), créé il y a trente ans, qui garantit la solidarité de la Nation à leur égard. Son financement est assuré par une contribution sur les contrats d’assurance de biens, dans une fourchette établie par la loi, variant entre zéro et 6,50 euros. Le montant de cette contribution était de 4,30 euros depuis le début de cette année, mais le Gouvernement a annoncé, le 19 octobre dernier, qu’il serait porté à 5,90 euros, ce qui devrait rapporter 140 millions d’euros supplémentaires. Cette hausse s’inscrit dans le cadre des engagements pris par le Président de la République le 19 septembre à l’hôtel des Invalides, lors de l’hommage national aux victimes. Le chef de l’État a en effet déclaré à cette occasion que « les règles du fonds de garanties [seraient] réformées », que « [ses] ressources [seraient] revues en conséquence » et que « l’État s’en [porterait] garant dans la durée ».
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter des précisions concrètes sur la mise en œuvre de cet engagement ? Convient-il d’aller plus loin en relevant le plafond fixé à la contribution par l’article L. 422-1 du code des assurances, afin de permettre, le moment venu, une nouvelle hausse significative de son montant ? Doit-on envisager un élargissement de son assiette ? Ou bien est-il concevable d’impliquer l’État dans son financement par l’affectation de crédits budgétaires, ainsi que l’engagement de se porter garant en dernier ressort de l’indemnisation des victimes peut le laisser penser ?
Je voudrais également connaître votre position sur certaines améliorations qui me paraissent envisageables.
Des représentants d’associations de victimes que j’ai reçus m’ont confié que le FGTI était parfois perçu comme un adversaire par certaines d’entre elles. Il me paraît donc souhaitable de renforcer le contradictoire dans leurs rapports avec ce fonds, de manière à en faire un véritable partenaire. À cette fin, la présence d’un avocat aux côtés des victimes, avec l’appui d’une des associations, me semble de bonne méthode. Dès lors, l’aide juridictionnelle doit-elle être étendue à la phase transactionnelle devant le FGTI, ce qui permettrait aux victimes de voir leurs frais d’avocats pris en charge par l’autorité judiciaire, ainsi que l’a proposé la commission d’enquête sur le terrorisme ? Ou bien un forfait doit-il lui être préféré ? Enfin, dans le but de sécuriser la procédure tout en renforçant son caractère contradictoire, ne serait-il pas envisageable de la juridictionnaliser en prévoyant l’intervention d’un juge pour homologuer l’indemnisation ?
Pour conclure, je rappelle les mots prononcés par le Président de la République lors de la cérémonie aux Invalides : « Oui, nous devons assurer la pérennisation de l’action pour les victimes. » Dans cette perspective, ne pensez-vous pas que la création d’une structure administrative pérenne – qui pourrait, le moment venu, se substituer au secrétariat d’État compétent, lequel est soumis aux aléas de la composition des gouvernements – permettrait de garantir la continuité du service public de l’aide aux victimes et la coordination de l’ensemble des acteurs concernés ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis de la commission des lois pour la justice administrative et judiciaire. Je tiens tout d’abord à souligner la remarquable évolution que le budget de la justice a connue au cours de cette législature, dans toutes les composantes de son périmètre. Elle est singulièrement accentuée dans le PLF pour 2017, notamment pour ce qui concerne le programme 166 « Justice judiciaire », dont les crédits augmentent de 5,53 % en autorisations d’engagement et de 3,73 % en crédits de paiement.
Les politiques conduites par Mme Christiane Taubira, puis par vous-même, monsieur le ministre, traduisent la place nécessairement éminente que la justice doit tenir dans nos institutions, dans la cohésion de notre corps social et dans la vie quotidienne de nos concitoyens. Et vous n’avez pas limité votre action à l’affirmation d’une telle primauté : vous avez investi vos efforts dans ce qui lui faisait défaut, à savoir les moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions.
Cette mobilisation budgétaire permet de rattraper un retard devenu alarmant pour l’institution judiciaire, notamment pour l’exercice de ses compétences. Elle s’est traduite par une progression constante, tant en autorisations d’engagement qu’en crédits de paiement. Les ressources en faveur de la justice s’élèveront à 8,67 milliards d’euros en 2017.
La reprise des recrutements tant de magistrats que de fonctionnaires des greffes a permis, dans un premier temps, d’atténuer les effets catastrophiques d’une politique antérieure de réduction drastique et purement comptable, puis de placer ces recrutements dans une perspective de développement et d’accroissement. Cet engagement se traduit aujourd’hui par un nombre de sorties de l’École nationale de la magistrature (ENM) et de l’École nationale des greffes (ENG) jamais atteint jusqu’alors, et qu’il faudra, bien entendu, encore faire progresser.
Les dispositifs d’organisation, de fonctionnement et de gestion des services de la justice ont été largement mobilisés et développés afin de les rendre plus conformes aux besoins d’une justice moderne, en s’appuyant sur les compétences des magistrats et des fonctionnaires. À cet égard, le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, adopté définitivement par notre assemblée le 12 octobre dernier, prévoit le déploiement des services d’accueil unique du justiciable (SAUJ), qui permettront audit justiciable d’accéder aux informations procédurales générales auprès de la juridiction la plus proche de son domicile. Quelles initiatives sont prises, monsieur le ministre, pour répondre aux besoins en connexion et en réseaux, en matériel, en locaux et en personnel que suscite nécessairement cette mise en place ?
J’ai souhaité consacrer plus spécifiquement mon avis à la gestion des moyens humains et financiers de la justice, ainsi qu’à l’ingénierie déployée pour les rendre plus efficients.
Alors que de nombreux progrès ont déjà été accomplis dans ces domaines, il me semble nécessaire de poursuivre, en l’accélérant, la démarche de modernisation engagée par les services judiciaires. Plusieurs pistes sont évoquées dans l’avis que je présente : la simplification de l’organisation et des processus, l’accélération de la dématérialisation et de l’informatisation, la pérennisation des emplois affectés aux missions de gestion tant dans les juridictions que dans les services administratifs régionaux, notamment par une politique de valorisation des emplois, afin de les rendre plus attractifs.
S’agissant de l’organisation elle-même, la complexité du système de gestion des moyens de la justice est relevée par tous les acteurs : il y a les budgets opérationnels de programme (BOP) gérés par dix cours d’appel, les unités opérationnelles des autres cours d’appel leur étant rattachées budgétairement ; les services administratifs régionaux ; les pôles Chorus ; les plateformes interrégionales du ministère. Des réflexions sont-elles conduites pour simplifier cette organisation ?
Dans le domaine de l’informatique, le développement des nouveaux systèmes, notamment du fichier CASSIOPEE s’agissant de la chaîne pénale, est jugé, aujourd’hui encore, laborieux par différents acteurs. Dans quelle perspective abordez-vous le déploiement du système Portalis, qui concerne la chaîne civile ? Où en est la mise en place de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), susceptible d’alléger notoirement les engagements financiers actuels en la matière ? Est-il envisagé de redéfinir les instruments statistiques et les stratégies conduites dans ces domaines par le ministère, afin de permettre une meilleure compréhension de l’activité des juridictions ? Sur ce dernier point, la situation actuelle n’est pas satisfaisante.
Enfin, j’ai pu constater une très forte demande de dialogue avec l’administration centrale du ministère de la part des juridictions et des services de gestion. Ces différents acteurs souhaitent légitimement être mieux associés aux orientations et à l’élaboration des décisions relatives au fonctionnement de la justice, qu’ils connaissent et assurent au quotidien. L’administration centrale de votre ministère est-elle susceptible de connaître des évolutions qui la rendront plus accessible et plus disponible au dialogue que ces acteurs appellent de leurs vœux ? Il s’agit, à mon sens, d’un enjeu essentiel : l’administration centrale doit renforcer sa capacité à accompagner et à soutenir les juridictions et les différents services dans leur démarche de modernisation. Cette évolution permettra de mieux répondre aux exigences de proximité, d’accessibilité, d’efficacité et de sérénité que formulent nos concitoyens pour leur justice.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure pour avis de la commission des lois pour la protection judiciaire de la jeunesse. « Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants, mais peu d’entre elles s’en souviennent », écrivait Saint-Exupéry dans la dédicace du Petit Prince. Nous ne dirons jamais assez que tous les efforts que nous faisons en faveur de l’enfance et la jeunesse sont des paris gagnés sur l’avenir.
Nous pouvons affirmer aujourd’hui avec force que le budget de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est redevenu prioritaire sous cette législature : dès 2013, la nouvelle majorité a mis un terme à la diminution des moyens consacrés à la PJJ, malgré un contexte tendu et le légitime souci de redresser nos finances publiques. La politique de baisse drastique des moyens mise en œuvre antérieurement avait porté un coup préjudiciable et, parfois, fatal à la vitalité du secteur associatif, qui assume une part très importante des missions dévolues à la PJJ, notamment en matière de diversification des modes de prise en charge des mineurs.
Ainsi, au total, entre 2012 et 2017, le budget consacré à la PJJ aura connu une augmentation notable, passant de 785 millions d’euros dans la loi de finances pour 2013 à 835 millions dans le PLF pour 2017, soit une hausse de 6,3 % au cours des cinq dernières années, ce qui est considérable. Le budget pour 2017, qui bénéficie du renforcement des moyens de lutte contre la radicalisation, est de nouveau en progression, de 5 % en autorisations d’engagement et de 4 % en crédits de paiement. Cette augmentation bénéficie à plusieurs actions, surtout à l’action 1 « Mise en œuvre des décisions judiciaires », qui concentre 85 % des crédits du programme, mais aussi à l’action « Formation ». Les crédits de l’action 1 augmentent de 5,2 % par rapport à 2016 et de près de 3 % hors masse salariale. Rappelons que la question des délais est très importante s’agissant du traitement des mineurs.
Grâce à l’effort entrepris depuis 2012, le plafond d’emplois de la PJJ retrouvera et, même, dépassera en 2017 son niveau de 2008. Trente psychologues seront affectés dans les zones où apparaissent des risques de radicalisation. Cent quinze nouveaux éducateurs seront mobilisés, en plus de ceux qui ont déjà été recrutés en vertu des deux plans de lutte contre la radicalisation et le terrorisme. Ce budget donne donc à la direction de la PJJ les moyens de développer des actions à la fois pour prévenir la radicalisation des mineurs et pour prendre en charge des mineurs déjà radicalisés.
Une mission nationale de veille et d’information sur les phénomènes de radicalisation a été mise en place au sein de la direction de la PJJ dès le 1er avril 2015 et, l’an dernier, nous avons voté la création d’un réseau de 69 référents « laïcité et citoyenneté » afin d’aider l’ensemble des professionnels de la PJJ, qui nous avaient appelés au secours. Les nouveaux moyens accordés dans le cadre du PLF pour 2017 se traduisent par l’affectation de 145 nouveaux emplois au renforcement des équipes d’éducateurs, de psychologues et d’assistants des services sociaux.
Je note avec beaucoup d’intérêt que la direction de la PJJ s’est fixé l’objectif de former l’ensemble des professionnels, tant du secteur public que du secteur associatif, à la connaissance du phénomène de radicalisation, afin qu’ils en appréhendent mieux les mécanismes, qu’ils puissent le prévenir et qu’ils disposent d’outils efficaces pour intervenir. Celles et ceux d’entre nous qui ont visité récemment les services de la PJJ ont pu apprécier à quel point cet effort était important, d’autant que les personnels sont démunis par rapport à ce nouveau phénomène. En septembre 2016, 6 000 des 9 000 agents qui relèvent de la PJJ avaient déjà été formés.
Dans l’esprit de la note d’orientation du 30 septembre 2014 de Mme Catherine Sultan, directrice de la PJJ, dont les axes clés sont l’individualisation de la prise en charge ainsi que la cohérence et la continuité du parcours éducatif, je me suis intéressée plus particulièrement à la diversification des modes de prise en charge des mineurs relevant de la PJJ, en mettant plus particulièrement en avant les « séjours de rupture » ou « de transition », que propose aujourd’hui un secteur associatif dynamique, imaginatif et très volontariste. Ces séjours sont destinés à remobiliser le mineur autour de valeurs positives, propices à sa réinsertion, et de projets constructifs. Ils permettent l’apprentissage du « vivre-ensemble ». Ils sont fondés sur un programme de prise en charge globale et pluridisciplinaire. Ce dispositif, qui a été très critiqué, est désormais très encadré sur les plans juridique, éducatif et sanitaire.
Selon moi, il mériterait d’être développé, à trois conditions : que l’on procède à son évaluation, par exemple au moyen d’une mission d’information parlementaire ; que l’on encourage les séjours de ce type dans le cadre pénal ; que l’on accroisse les possibilités d’accueil. Je fais même un lien direct entre les efforts du ministère en matière de déradicalisation des mineurs et ces séjours de rupture, qui permettent un travail de déconstruction et de reconstruction : ce dispositif ne pourrait-il pas, monsieur le garde des sceaux, être étudié, évalué et adapté afin d’agir efficacement et durablement contre la radicalisation ?
Enfin, au fil des années, je continue à m’interroger sur la place que l’on doit accorder ou non aux centres éducatifs fermés (CEF) dans la chaîne du traitement de la délinquance – secteur public, secteur associatif habilité. Serait-il possible d’en faire un bilan objectif, qui fasse la part des choses entre les chiffres dont nous disposons, les critiques qui sont formulées et les résultats qui ont été obtenus ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Je ne saurais cacher mon plaisir de me retrouver devant vous. N’ayant pas un budget désastreux à défendre, j’ai bon espoir que l’exercice ne soit pas trop difficile…
Monsieur Hetzel, comme vous l’avez dit, il s’agit du « dernier budget » de la législature. Il doit donc nous permettre de porter un regard sur l’ensemble du quinquennat, en faisant le bilan des engagements pris et des réalisations accomplies.
Depuis 2012, le président de la République a fait de la justice une priorité, qui a été confirmée budget après budget, et dès 2012 par Christine Taubira.
En termes d’emplois, le ministère de la Justice a procédé depuis 2012 à non moins de 6 943 recrutements supplémentaires.
C’est un ministère qui construit, qui restaure, qui renforce et qui modernise, alors même que la menace terroriste a alourdi nos responsabilités, mais nous a aussi permis d’accroître nos moyens.
Depuis 2012, le budget du ministère a augmenté de 14,7 %. Il est passé de 6,013 à 6,892 milliards d’euros, hors compte d’affectation spéciale (CAS) pour les pensions. Entre 2007 et 2012, la hausse avait été de 12,7 %, le budget passant de 5,335 à 6 013 milliards d’euros, toujours hors CAS.
Ce projet de loi de finances s’inscrit dans la continuité. Oui, certains pourront croire que le budget de la justice est sous-administré ; en les entendant, je pourrais dire que ce doit être le cas depuis Saint Louis… Nous nous améliorons cependant avec le temps.
En tout cas, ce projet de loi de finances représente la plus forte hausse budgétaire du quinquennat. Par rapport au projet de loi de finances 2016, c’est une augmentation de 520 millions d’euros. Ce n’est pas beaucoup en termes absolus, mais c’est considérable au regard de notre enveloppe. Cela nous permettra de faire beaucoup de choses au service d’une certaine conception de la justice.
Ainsi, la justice sera plus accessible. Mettant fin aux discriminations, elle sera une justice indépendante et une justice du quotidien, au service de l’état de droit.
J’avais d’ailleurs mis, dès mon arrivée place Vendôme, il y a neuf mois, l’accent sur la seule question du budget. En multipliant les priorités, en effet, on se disperse au point de finir, à mon sens, par perdre sur les différents tableaux. Sachant que j’avais peu de temps devant moi, j’ai donc fait du budget ma priorité première.
Les difficultés des juridictions sont connues : quasi absence d’entretien des immeubles, rupture de stock des matériels nécessaires au travail juridictionnel tels que photocopieurs ou ordinateurs, vacances de postes de magistrats : vous appelez régulièrement mon attention sur ce point par des courriers, qu’il s’agisse de conseils des prudhommes, de tribunaux des affaires de sécurité sociale, voire de tribunaux de grande instance (TGI). Nous manquons également de greffiers, tandis que les impayés s’accumulent, ce qui produit un mécontentement légitime des experts et des collaborateurs du service public de la justice.
Il a donc fallu patiemment tenter de redresser la barre. C’était une nécessité pour ceux qui œuvrent à la justice comme pour les justiciables, qui sont en droit d’être accueillis dans des conditions dignes. Nous partageons cette conviction : la justice est un marqueur de civilisation, et il faut y apporter une attention particulière.
C’est pourquoi nous créons des postes. Toutes nos écoles en bénéficient : celle de Bordeaux pour les magistrats, celle d’Agen pour l’administration pénitentiaire, celle de Roubaix pour la protection judiciaire de la jeunesse, celle de Dijon pour l’École nationale des greffes. L’année prochaine, elles seront au-delà de leur maximum de capacité. Cela nous engagera sûrement à un agrandissement, par exemple, des bâtiments de l’école nationale d’administration pénitentiaire au cours de la prochaine législature.
Dans les services judiciaires, que suit votre rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec, nous aurons créé 1 714 postes en cinq ans, tous corps confondus. En 2016, il y aura eu 366 auditeurs à l’École nationale de la magistrature (ENM), soit la promotion la plus importante de son histoire – sans vouloir faire de polémique, elle comptait à peine 140 auditeurs en 2012.
Compte tenu du temps de formation des magistrats, il faut cependant beaucoup de mois avant de constater un renversement de la tendance. Ce n’est que depuis la fin de l’année dernière et le début de cette année que nous avons enfin un solde légèrement positif – de 94 magistrats – entre le nombre de magistrats qui quittent la profession et ceux qui y entrent, alors que les promotions de l’ENM progressent depuis quatre ans déjà.
Comme l’avait souligné Jean-Yves Le Bouillonnec dans son rapport à ce sujet sur le projet de loi finances pour 2015, il est facile de dégrader une situation, et toujours plus long de la redresser. Il avait aussi écrit – j’aime son sens de l’euphémisme – que « la priorité accordée à ce budget se justifie pleinement au regard de l’ampleur du retard à combler et la situation souvent difficile dans laquelle sont plongées les juridictions ».
Dans le projet de loi finances pour 2017, 600 emplois sont créés pour les juridictions, dont 238 emplois de magistrats – il faudra donc encore quelques années pour que les quelque 450 vacances de postes soient comblées.
Au cours de cette législature, nous aurons recruté 2 086 magistrats, contre 834 sous la précédente. Sur ces 2 086 recrutements, non moins de 828 correspondent à des créations de poste, ce qui est évidemment louable.
Nous aurons aussi créé 362 emplois de greffiers et administratifs. Entre 2007 et 2012, 3 880 fonctionnaires avaient été recrutés dans les services judiciaires. Entre 2012 et 2017, ils auront été 6 800, soit 2 920 de plus.
Vous avez consacré, monsieur le rapporteur, beaucoup d’attention aux greffiers. Une réforme de leur statut est intervenue le 1er novembre 2015, à la suite d’un mouvement exemplaire : les greffiers ont arrêté leur activité pour protester, mais sans jamais désorganiser le fonctionnement des juridictions. Le fait est suffisamment rare pour être souligné : ils se sont rassemblés sur les parvis, en dehors des audiences, ce qui traduit une grande rigueur professionnelle. Je veux les saluer et les remercier pour leur investissement.
La réforme de leur statut reconnaît leur spécificité. En adoptant le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, vous en avez fait les vecteurs des droits nouveaux qui seront donnés à nos concitoyens. Il était donc légitime de permettre que leur carrière soit plus attractive, comme d’accompagner l’évolution de leurs missions.
Ainsi, leur expertise sera étendue dans les domaines de l’assistance renforcée du magistrat, de l’encadrement technique et de proximité, ainsi que de l’accueil des justiciables, puisque le service d’accueil unique du justiciable (SAUJ) repose essentiellement sur les eux. Voici un exemple supplémentaire de modernisation de l’administration.
Depuis cinq ans, les crédits consacrés au fonctionnement courant des juridictions ont augmenté de 32 %, passant de 268 millions d’euros dans la loi de finances initiale pour 2012 à 355 millions d’euros dans le projet de loi finances pour 2017.
Les chefs de cour et de juridiction vont bénéficier d’un vrai ressaut budgétaire, qui leur permettra de faire face à des dépenses soit retardées, soit étalées.
Par ailleurs, ne l’oublions pas, le ministère de la justice est le premier constructeur de l’État. La superficie de nos emprises immobilières représente 6 millions de mètres carrés, réparties entre 800 implantations judiciaires et plus de 200 implantations pénitentiaires, sans parler de la PJJ.
Depuis 2012, plus de 710 millions d’euros ont été votés pour la programmation immobilière judiciaire, autorisant la confirmation et la poursuite de nombreux projets immobiliers judiciaires. De Périgueux à Fort-de-France, de Caen à Béziers, des palais de justice ont été bâtis. Puisqu’il a fallu du temps pour les construire, cela me donne le plaisir de les inaugurer, comme je l’ai fait à Caen et à Béziers, ou de poser la première pierre, comme je l’ai fait aux Antilles. J’ai inauguré le palais de justice de Foix il n’y a pas très longtemps, ainsi que celui de Bourg-en-Bresse, avec le président de la République, il y a quelques semaines. Toutes ces constructions traduisent un attachement à la justice dans la durée.
Le budget de l’immobilier augmente de 31 %. Cela permettra de financer d’autres grandes opérations en cours : à Cayenne, monsieur Serville, mais aussi à Lisieux, à Strasbourg ou à Pointe-à-Pitre. De nouvelles opérations seront lancées en 2017 à Lille, où j’ai choisi le terrain en concertation avec Mme la maire, à Basse-Terre ou encore à Mont-de-Marsan.
En dehors de toutes ces opérations, nous aurons mené, sur la totalité de la législature, plus d’une centaine d’opérations de réhabilitation de palais de justice : remise aux normes, sécurisation, accessibilité.
Tout en augmentant, année après année, le budget de la justice, nous avons dans le même temps amélioré notre gestion des moyens budgétaires. Car le fait de demander des moyens nouveaux, et de les obtenir, ne nous exonère pas de rechercher des pistes d’amélioration de la dépenses publique : monsieur Hetzel, vous avez eu raison de le souligner.
En lien avec M. Christian Eckert, secrétaire d’Etat au budget, j’ai demandé une mission conjointe de nos corps d’inspection sur l’optimisation de nos dépenses. Je crois en effet qu’il y a des économies à faire, malgré une organisation incroyablement compliquée. Je défie quiconque de s’y retrouver entre le pôle Chorus, qui n’est pas propre au ministère de la justice et nous a été imposé par la révision générale des politiques publiques (RGPP), et les budgets opérationnels de programme (BOP), subdivisés en 70 unités opérationnelles ou « UO », qui viennent le doublonner…
Il faut évidemment simplifier cette organisation, mais cela suppose une restructuration fondamentale, celle des cours d’appel. Elles sont aujourd’hui au nombre de 36, soit trois fois plus que de régions administratives, conformément à la nouvelle carte que vous avez adoptée, si bien que la question de la compatibilité entre carte des services judicaires et carte administrative se trouve posée. La PJJ, que suit Mme Capdevielle, et l’administration pénitentiaire, que suit M. Larrivé, ont déjà entamé la restructuration de leur propre carte. Pour la carte pénitentiaire, nous y sommes presque, à ceci près que la région Centre n’y est pas isolée comme elle l’est sur le plan administratif.
Mais la carte judiciaire reste tout à fait éloignée de la carte administrative. Il va de soi que je ne saurais modifier en neuf mois la carte des cours d’appel. Cela ne conduirait pas forcément, d’ailleurs, à des suppressions. Je crois que nous avons la possibilité d’organiser des coopérations intelligentes sur la base des implantations existantes. Personne ne veut la mort de la cour d’appel de Riom, ni celle de Chambéry. Mais la proximité de cette dernière avec la cour d’appel de Grenoble pose des questions sur l’articulation de leurs activités.
La conférence des premiers présidents des cours d’appel, la conférence des procureurs généraux, reconnaissent aussi qu’il y a des évolutions à envisager. Cela passera par un travail de concertation, mais les esprits me semblent assez mûrs.
Je reviens à la gestion des services. J’avais identifié le problème des retards de paiement des frais de justice, désagréables pour nous comme pour nos prestataires, qui n’ont pas vocation à être des philanthropes. Je m’étais engagé à réduire les délais de paiement dès cette année. Grâce au dégel de 104 millions d’euros au printemps et au décret d’avance pris au début du mois d’octobre, nous avons pu passer, en neuf mois, ramener le délai moyen de quatre mois à un mois. Je veux saluer la mobilisation des services d’action régionale, qui n’ont pas pris beaucoup de vacances ! Les présidents de cour d’appel et les procureurs généraux, que j’avais réunis, ont eux aussi agi avec une efficacité qui augure bien de l’avenir.
Pour 2017, les crédits prévus pour les frais de gestion sont toutefois en baisse, comme vous aurez pu le remarquer. Je veux rassurer et insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une réduction des moyens, mais de la prise en compte de mesures d’économies attendues. Car nous faisons un pari, une loi de finances étant toujours, par définition, une forme de pari.
Nous attendons ainsi une économie de près de 35 millions d’euros grâce au déploiement progressif de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), évoquée par M. Le Bouillonnec. Cet outil, non choisi par nous, mis en place en 2010 et confié à l’entreprise Thales, ne rend pas les services attendus. Les six prestataires nous coûtent 55 millions d’euros par an, contre 25 millions en 2005 et 30 millions en 2012. Je rappelle qu’il s’agit des « fadettes » et des interceptions de sécurité dont les services ont besoin. La progression de ces dépenses est exponentielle, même si le choix d’avoir une plateforme nationale reste judicieux. Je n’ai aucune raison de douter que le fait de l’avoir confiée à Thales soit un facteur d’économie, mais il y a des difficultés de fonctionnement, notamment sur les écoutes, tandis que la police reconnaît l’excellente qualité de la communication des « fadettes ».
Il y a déjà eu des adaptations ergonomiques et technologiques depuis le début de l’année. Vous avez souhaité, par la loi du 3 juin 2016, que la PNIJ soit généralisée. Cela n’est possible que si elle fournit les services que nous en attendons. Aussi ai-je demandé au Premier ministre d’engager une mission d’audit interministériel, qui est à l’œuvre et a déjà fourni de premiers éléments de réponse. Nous en tirerons les conclusions. Je l’ai dit et je le répète devant vous : je n’écarte pas la solution d’une internalisation de la plateforme, dans le cas où Thales ne saurait pas apporter des solutions, dans un souci d’économie, mais aussi de maintien de la qualité des enquêtes s’appuyant sur la PNIJ.
Je reviens aux missions de la justice. Avec la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, vous avez engagé une réflexion et adopté un certain nombre de propositions.
Recruter était une première réponse. Recentrer les juges sur leurs missions essentielles en est une autre. Il faudra par exemple, à l’avenir, encourager les alternatives aux contentieux. Nous sommes encore très loin de ce qui existe dans d’autres pays et que nous pouvons encore parfaitement déployer.
Monsieur Hetzel, nous serons d’accord, je crois, pour dire que nous ne répondrons pas à l’embolie de la justice uniquement par un accroissement des moyens. Ce n’est pas parce que les difficultés sont de nature matérielle qu’elles seront réglées uniquement par des solutions de cet ordre. Je pense même l’inverse : plus nous mettrons de moyens dans la justice, plus nous renforcerons son efficacité, et plus on fera appel à elle. Parce que la structure sera plus efficiente, et que la soif de justice ne sera jamais assouvie, nous aurons une demande croissante. Répondre par des moyens matériels à une question matérielle est un processus sans fin.
Il faut plutôt modifier les structures afin que le ministère de la justice se vive comme un service public, expression que vous avez employée, monsieur Hetzel, et dans laquelle je me reconnais parfaitement. C’est un débat. Vous avez souhaité inscrire cette notion dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle. Ce souhait n’est pas partagé par tout le monde. Beaucoup des acteurs du monde judiciaire ne considèrent pas que la justice soit un service public. Il faudra donc des adaptations.
À ce titre, j’en viens à l’adaptation des structures du ministère de la justice, et notamment de son secrétariat général (SG), qui reste à mes yeux trop peu développé encore. C’est le ministère où le secrétariat général a été créé le plus tard. Dominique Raimbourg a raison de dire que le ministère est sous-administré, mais il manque parfois aussi de cohérence, d’optimisation et de partage d’information, notamment sur le plan horizontal. Prenons par exemple le suivi d’une personne par la justice. Tous les ministères ont à connaître du suivi d’une personne dans un parcours de vie. Eh bien, cette information n’existe pas. Il faut une transversalité, une mise en cohérence, et c’est au secrétariat général qu’il appartient de l’assurer.
Il faut donc d’abord investir dans le secrétariat général, avant d’en recevoir les économies que nous en attendons. Pas moins de 48 emplois y avaient été supprimés sous la précédente législature. C’est un sujet que j’ai abordé avec mes prédécesseurs de l’ancienne majorité, Michel Mercier et Michèle Alliot-Marie, qui m’ont expliqué les raisons de leur choix. Nous avons fait le choix inverse : 182 postes y auront été créés par votre majorité, dont 80 dans le projet de loi finances pour 2017.
Je pense qu’il faut aussi renforcer les fonctions support, et très essentiellement celle de l’informatique. Comme vous l’aurez peut-être constaté dans les juridictions, cela ne marche pas toujours comme cela devrait marcher. Le logiciel CASSIOPEE, évoqué par M. Le Bouillonnec, n’est ainsi pas conçu pour enregistrer plus de cinq cents victimes pour un même événement : c’est quelque chose qu’il est difficile d’expliquer à la cinq-cent-unième…
Des choix de regroupement des services centraux du ministère ont été faits dans le passé, ainsi sur le site du Millénaire à Aubervilliers. Toutes les grandes administrations du ministère s’y trouvent, et il ne reste place Vendôme que la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) et, pour partie, la direction des affaires civiles et du Sceau (DACS). Les autres – PJJ, secrétariat général et direction de l’administration pénitentiaire (DAP) sont au Millénaire. Cela a permis 6 millions d’euros d’économies sur les loyers autrefois payés dans la capitale, ainsi que des gains de mutualisation.
Je voulais aussi aborder devant le thème d’une justice plus accessible et d’un meilleur accès au droit. Avec la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, vous avez créé des services d’accueil unique du justiciable (SAUJ). Mme Anne-Yvonne Le Dain en avait beaucoup parlé au cours des débats préparatoires à l’adoption de la loi de finances pour 2016, disant qu’elle considérait que c’était l’un des facteurs de simplification dans l’accès à la justice. Eh bien, nous allons le concrétiser.
Vous avez voté également l’intégration des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et des tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI). Là encore, nous en attendons une simplification pour nos concitoyens.
Évidemment, il faut dire un mot de l’effort budgétaire dédié à l’aide juridictionnelle, à laquelle Mme Pochon avait consacré son rapport en 2016. Jean-Yves Le Bouillonnec avait également beaucoup travaillé sur cette question. Je souhaite rappeler les efforts budgétaires importants réalisés par le Gouvernement depuis le début du quinquennat. Dans la loi de finances pour 2012, 396 millions d’euros y étaient consacrés. Cette année, ses crédits s’élèveront à 454 millions d’euros, soit une progression de 15 % : 371 millions d’euros de subventions et 83 millions d’euros de ressources extrabudgétaires. Nous allons donc pouvoir tenir les engagements passés fin 2015 – c’est bien le moins.
Mais je vous propose, après discussion avec les avocats, d’aller plus loin encore en établissant une unité de valeur unique et revalorisée, servant de base au calcul de la rétribution des avocats. Son montant actuel est soit de 26,50 euros, soit de 27,50 euros, soit de 28,50 euros. Le projet de loi de finances contient un article qui le fixe uniformément à 30 euros, et j’ai déposé, après une nouvelle concertation avec les avocats, j’ai déposé un amendement le portant à 32 euros.
Il y aura donc eu, sous la présente législature, une augmentation de près de 10 euros, soit 42 %, de l’unité de valeur de base, alors qu’aucune revalorisation n’avait été faite entre 2007 et 2012.
S’agissant des justiciables, le plafond de ressources pour bénéficier de l’aide juridictionnelle est passé de 929 euros en 2012 à plus de 1 000 euros en 2017. Cela aura permis d’inclure dans le champ de l’aide 100 000 justiciables supplémentaires.
Ce budget est aussi dédié à l’aide aux victimes, dont les crédits ont crû régulièrement ces dernières années. Ils étaient de 10 millions d’euros dans la loi de finances initiale pour 2012 : ils s’élèvent à 25 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2017, soit une augmentation de 174 % en cinq ans.
De 2007 à 2012, 50 bureaux d’aide aux victimes (BAV) avaient été créés dans les tribunaux de grande instance. Nous en avons créé 116 depuis 2012 ; il y en a donc désormais 166, couvrant tous les TGI.
J’en viens à la protection judiciaire de la jeunesse, que Colette Capdevielle décrivait comme « un service public qui revient de très loin » dans son avis de l’an dernier. Entre 2007 et 2012, la PJJ avait en effet subi une baisse de 4 % de ses crédits et elle avait perdu 632 emplois d’éducateurs, soit 7 % du plafond d’autorisations d’emplois. À l’époque, on avait pu craindre une remise en cause de la pérennité même de cette institution. Or le défi de la protection des mineurs, fussent-ils délinquants, est toujours autant d’actualité. Plus la prise en charge intervient tôt, plus nous avons de chances de remettre ces jeunes sur des parcours d’insertion, de respect de la loi, des autres et d’eux-mêmes. Il y avait eu des suppressions d’emplois ; depuis 2012, nous avons créé 802 postes, dont 509 postes d’éducateurs, ce qui nous a permis une prise en charge rapide des mineurs.
Le PLF pour 2017 prévoit une augmentation des moyens de la PJJ puisque son budget augmente de 4 % – les crédits passent de 663 à 690 millions d’euros – et que des postes ont été créés.
Vous m’avez interrogé sur les « séjours de rupture », qui représentent une piste intéressante. Plusieurs projets vont se concrétiser, notamment en Île-de-France, la région la plus concernée par la problématique de la radicalisation. Il s’agit notamment de places d’hébergement thérapeutique en appartement, et d’un centre d’éducation renforcé (CER), dit « CER citoyen », où deux places seraient réservées aux mineurs qui sont dans ces logiques. Que se passe-t-il après le stage de rupture ? Si l’on ramène le mineur dans la situation dans laquelle il se trouvait avant de faire son stage, aussi bénéfique qu’ait pu être ce dernier, on s’inscrit dans la continuité. La PJJ de l’Île-de-France va créer un groupe d’appui régional, avec deux éducateurs, pour s’intéresser à ce suivi.
Vous m’avez aussi interrogé sur les centres éducatifs fermés (CEF), un sujet compliqué. Ces structures, de création récente, ont eu du mal à trouver leur place. Rappelons qu’elles ont été créées en 2002 par M. Perben, que certaines sont gérées directement par la PJJ tandis que d’autres le sont par des associations habilitées. Le Président de la République avait évoqué le doublement du nombre des CEF pendant son mandat, mais nous nous sommes posé la question suivante : ceux qui existent sont-ils occupés, et répondent-ils à la demande des magistrats ? En 2013, nous avons demandé à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), à l'Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) et à l’inspection de la PJJ de s’intéresser à cette question. Comme il est apparu que les CEF n’étaient pas pleins, le programme d’accroissement du nombre de places n’a pas été lancé.
Au moment où je vous parle, le taux d’occupation moyen est de 70 %. Il existe 51 CEF et nous n’avons pas de projet de création pour diverses raisons. Tout d’abord, nous avons été confrontés à la nécessité de rehausser l’exigence d’encadrement afin de mettre un terme à ce que je qualifierais pudiquement de « dysfonctionnements » dans certains CEF gérés par des associations. Nous avons imposé une hausse du nombre de personnels présents : il doit y avoir au moins 26,5 ETP dans un CEF. Nous avons surtout actualisé le cahier des charges des CEF pour les rendre plus pertinents au regard de la demande des magistrats, au terme d’un long travail de concertation avec les juges des enfants. À cette occasion, nous avons redonné des préconisations pour prévenir et gérer la violence des mineurs accueillis, afin de tenir compte en particulier des remarques tout à fait fondées de Jean-Marie Delarue, qui était à l’époque le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL).
Je suis attentif et exigeant en matière de qualité du service rendu, et je le dis à mes interlocuteurs. Les CEF ont trouvé leur place et je ne doute pas qu’ils soient extrêmement utiles. Puisqu’ils sont occupés à 70 %, il reste une marge mais nous n’atteindrons jamais un taux de 100 % compte tenu des contraintes liées à l’accueil d’un public particulièrement difficile : il peut y avoir des fugues, des incarcérations ou des hospitalisations. Tant que le taux d’occupation – qui a augmenté de 9 % au cours de l’année écoulée – n’atteindra pas 80 %, je ne crois pas que la puissance publique ait intérêt à s’engager dans la création de nouveaux CEF.
Après cette longue réponse sur les CEF, j’en viens à un autre point dont on ne peut faire abstraction : la radicalisation. Le président du TGI de Paris, M. Jean-Michel Hayat, a employé l’expression très explicite de « déferlante terroriste » pour caractériser ce que doit affronter, en termes d’organisation, le ministère de la justice. Avant toute chose, je tiens à saluer le remarquable investissement de tous : personnels administratifs, greffiers, magistrats, personnels de l’administration pénitentiaire, éducateurs, conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP). Ils sont tous exemplaires.
Depuis deux ans, nous leur donnons plus de moyens parce que leurs missions ont augmenté. Le nombre de magistrats de la section antiterroriste du parquet de Paris a quasiment doublé, passant de sept à treize. Le pôle d’instruction antiterroriste du TGI de Paris a aussi été renforcé : il y a maintenant dix juges au lieu de huit, dont un premier vice-président coordonnateur ; un dixième cabinet d’instruction dédié à l’antiterrorisme va prochainement être créé.
Guillaume Larrivé m’a interrogé sur les prisons. Nous avons fait des choix que je vais rappeler, quitte à me répéter car certaines choses ne sont pas suffisamment connues. Au cours de ce quinquennat, entre 2012 et 2017, nous aurons construit 4 035 places de prison. Je ne dis pas que nous avons lancé les programmes de construction : nous avons financé les constructions lancées. Comme je le répète souvent, je vais avoir l’honneur d’inaugurer une prison – la dernière – dont la construction avait été lancée par Dominique Perben en 2002 ! Le processus aura pris quinze ans... Le futur, en matière d’immobilier pénitentiaire, a toujours été mensonger, et il ne s’agit pas de tirer la couverture à soi. Depuis 2012, nous avons donc financé 4 035 places de prison dans le cadre de programmes de construction mais aussi de rénovation. Je vais inaugurer les « Baumettes 2 » au mois de décembre ; les travaux ont été permanents à Fleury-Mérogis, « cathédrale » qui a besoin d’une rénovation constante ; la prison de la Santé a été fermée et ne rouvrira qu’au deuxième semestre de 2018, ce qui n’est d’ailleurs pas sans conséquences sur la surpopulation carcérale en Île-de-France.
J’ai lancé un plan de construction pénitentiaire assez vaste, au titre duquel figurent des autorisations d’engagement pour un montant de 1,158 milliard d’euros dans le PLF pour 2017. Vous avez très justement pointé la différence entre les autorisations d’engagement et les crédits de paiement, mais le fait d’avoir ces autorisations d’engagement va nous permettre de passer les marchés.
Sur la dizaine d’années nécessaire à la construction d’une prison, il en faut trois pour trouver le terrain. Pour gagner du temps, le Premier ministre a donné une consigne aux préfets des trente-trois départements identifiés comme ceux où nous avons des besoins : chercher des terrains. Ils doivent nous remettre le fruit de ces recherches le 16 décembre. Plus les terrains seront gratuits, moins il y aura de contentieux, et plus nous pourrons aller vite. Je ne sais pas s’il est possible de purger les éventuels contentieux comme le suggérait Guillaume Larrivé, mais c’est une hypothèse intéressante.
Depuis 2007, j’entends parler du projet de construction d’une prison à Lutterbach mais, au bout de neuf ans, la première pierre n’est toujours pas posée parce que le maire n’en veut pas et qu’il engage des procédures devant le tribunal administratif. Or cette prison correspond à un réel besoin. Par votre truchement, j’ai redit au maire de Lutterbach qu’il y aura une prison dans sa ville. De la même manière, je redis au maire de Nice qu’il y aura une prison dans sa métropole, et qu’elle ne sera pas construite sur les terrains qu’il nous propose, qui sont déjà gagés par d’autres administrations et doivent notamment accueillir le commissariat de police. Je n’imagine pas que Christian Estrosi veuille qu’on déplace le commissariat de police pour mettre la prison à sa place... Le 16 décembre, des décisions seront prises sur la base de recommandations du préfet.
Je souhaite que nous allions vite dans ce domaine. Ce sera aussi le travail de la prochaine législature. Le Premier ministre a annoncé la rédaction d’un Livre blanc sur l’immobilier carcéral, à laquelle seront associées la commission des lois de l’Assemblée nationale et celle du Sénat. Présidés par un haut fonctionnaire avisé de ces questions, les travaux seront conduits en suivant exactement la procédure qui avait été utilisée lors de l’élaboration du Livre blanc de la défense nationale, qui a montré son efficacité en termes de diagnostic et de thérapie partagés. Dans ces conditions, la prochaine législature pourra agir sans attendre, sur la base de ce qui aura été défini pendant la fin de la législature actuelle. Mis en place à partir du mois de novembre, le comité du Livre blanc devra rendre ses travaux en mars pour que nous puissions faire l’étude d’impact d’une loi de programmation sur l’immobilier carcéral, seul outil permettant de répondre au défi. Nous envisageons la création de trente-deux maisons d’arrêt et d’un centre de détention. Il faut aller vite en matière foncière, je le répète.
Le budget de cette année prévoit la création de 1 255 créations d’emplois dans l’administration pénitentiaire. Depuis 2012, nous aurons créé 4 245 emplois pénitentiaires, dont 2 500 emplois de surveillants et 1 150 emplois dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). L’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) a accueilli trois promotions de surveillants cette année, alors qu’elle n’en accueillait qu’une seule quelques années auparavant. En 2012, il y avait 35 511 emplois à la DAP, et ce chiffre était en progression – je ne fais pas le procès à la précédente législature de ne pas avoir créé d’emplois dans cette administration. En 2017, leur nombre est passé à 39 207. Ces recrutements se sont accompagnés d’une revalorisation pour les personnels, suite aux accords statutaires conclus en 2013 et aux relevés de conclusions signés en 2015 et en 2016 concernant respectivement les personnels pénitentiaires et la filière insertion et probation.
Guillaume Larrivé m’interroge également sur la sécurisation des prisons, sujet brûlant. Dans le PLF pour 2017, nous y consacrons 40 millions d’euros. Ce montant s’élevait à 30 millions d’euros en 2013, à 17 millions en 2015 et à 30 millions d’euros en 2016. Ces moyens vont nous permettre de mieux sécuriser les bâtiments : il reste trop d’endroits sans vidéo, c'est-à-dire aveugles, dans les prisons. Au centre pénitentiaire d'Aiton, en Savoie, il n’y a pas de vidéo dans les couloirs, par exemple, ce qui peut rendre la situation difficile à évaluer en cas d’incidents. Nous allons également développer des moyens technologiques pour lutter contre les transmissions illicites, autrement dit : nous allons brouiller les téléphones portables. L’administration a engagé avec les opérateurs ce qu’on appelle un dialogue compétitif, et nous allons faire des essais in situ le mois prochain. Le but est de disposer d’une technologie qui évoluera en fonction de celle des téléphones portables. Sur ce sujet, je vous avais invités à la prison d’Osny. Il ne sert à rien que l’administration dépense de l’argent pour installer des brouilleurs 2G contre des téléphones 4G. Un montant de 14 millions d’euros est prévu dans le PLF pour 2017 pour financer cette technologie évolutive.
Faut-il modifier la loi sur les officiers de police judiciaire ? À titre personnel, je suis assez réservé sur ce point. Cela étant, je pense que la sécurité périmétrique des bâtiments doit relever de l’administration pénitentiaire et qu’il ne faut pas attendre l’intervention de la police ou de la gendarmerie. Cela fait partie de la répartition des missions dont nous discutons actuellement avec les forces de sécurité intérieure. La compétence de nos équipes doit être étendue. Cela signifie, comme le Président de la République l’a indiqué aux organisations syndicales de l’administration pénitentiaire, que nous devons nous doter d’équipes de sécurité pénitentiaires. À compter du moment où ces équipes effectuent des missions extérieures à la détention – transfèrements, extractions, sécurité périmétrique –, elles doivent être armées. Je n’ai pas de réserve sur ce point. On ne peut pas demander aux personnels de l’administration pénitentiaire, chargés du transfèrement de détenus réputés dangereux, de ne pas être armés. Depuis que je suis garde des sceaux, j’ai vu des situations où des personnels de surveillance étaient à mains nues devant des dangers inacceptables. On ne peut pas demander à des personnels d’aller avec un simple bouclier face à des gens armés. Dans les missions extérieures à la détention, l’armement doit être évoqué.
Faut-il leur donner des pouvoirs supplémentaires ? Vous avez adopté une proposition de loi, à l’initiative de Gilles Savary, qui a donné des compétences nouvelles aux services de sécurité de la RATP et de la SNCF, c'est-à-dire au Groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR) et à la Surveillance générale (SUGE). Je ne vois pas pourquoi on ne poserait pas la question de son extension aux personnels pénitentiaires. Il ne me semble pas qu’ils aient des missions qui soient si différentes que celles des agents du GPSR ou de la SUGE. Pour résumer : non au statut d’officier de police judiciaire à ce stade ; mais étudions les pouvoirs que vous avez donnés à des services qui relèvent de la puissance publique et voyons si cela correspond aux besoins.
Pour terminer, je dirai quelques mots sur la chaîne civile informatique Portalis et sur le numérique, sujets évoqués par Jean-Yves Le Bouillonnec. Nous allons investir 121 millions d’euros dans l’informatique du ministère, ce qui représente une hausse de 7 %, après avoir débloqué 21 millions d’euros au début de l’année grâce au dégel de la réserve de précaution. Ces moyens vont nous permettre de financer l’équipement courant mais aussi la première déclinaison de cet énorme « porte-avions » qu’est Portalis : l’ouverture au printemps dernier de justice.fr, le site d’information du justiciable. Les magistrats vont être dotés de nouveaux matériels qui leur permettront une plus grande mobilité : plus de 500 tablettes et près de 4 000 ordinateurs dits ultraportables sont en distribution. Les premiers utilisateurs ont l’air d’en être satisfaits. Nous lançons aussi le développement de nouveaux logiciels destinés aux magistrats du parquet qui en ont grand besoin.
M. Dominique Lefebvre, président. Je donne maintenant la parole aux représentants des groupes.
Mme Cécile Untermaier. Dès 2012, nous avons considéré que le budget de la justice était une priorité, comme ceux de l'éducation et de la police. Les faits ne cessent de nous donner raison. La politique menée pendant les dix années précédentes n’avait rien arrangé aux retards constatés depuis longtemps, comme vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux. Michel Mercier, dernier garde des sceaux de la précédente législature, reconnaissait en mars 2011, après le mouvement des personnels de justice, les difficultés liées à une augmentation continue du contentieux et le retard à combler les manques de moyens.
Entre 2001 et 2011, on constatait une augmentation de plus de 46 % des affaires judiciaires, sans apport de moyens correspondants. Sans surprise, comme l’a rappelé M. Hetzel, la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) avait donc rétrogradé la France dans son classement d’octobre 2010. Parmi 43 pays européens classés en fonction de la part du PIB par habitant consacrée à la justice, notre pays est passé du 35e au 37e rang.
Cette situation n’est pas structurelle et nous pouvons y remédier par une volonté politique telle que celle que nous exprimons au travers de ce budget 2017.
La réforme brutale et inorganisée de la carte judiciaire, et notamment la suppression des tribunaux d'instance, a eu pour effet de priver nombre de justiciables d’un accès au droit et de rendre le service public de la justice totalement illisible. Il nous a fallu remédier à cet abandon. C'est le second pilier de notre action : adapter la justice aux besoins du citoyen et de notre démocratie.
Ce budget permet l'application des mesures de modernisation, de simplification, de mutualisation et de numérisation prévues par les deux lois portant sur la justice du XXIe siècle, sans compter les alternatives au jugement dont vous avez évoqué la teneur, monsieur le garde des sceaux.
Depuis 2012, ce budget a augmenté chaque année d'un peu plus de 1 %. Cet effort constant s’est intensifié cette année puisque le budget progresse de 4,5 % pour atteindre un montant total de 6,882 milliards d’euros. Les créations d'emploi se poursuivent à un rythme élevé : 2 100 ETP dont 1 403 ETP au titre de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. C'est un effort très important. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous préciser la nature de ces postes et les endroits où ils seront créés ?
L'augmentation de 4 % des crédits hors masse salariale – soit plus de 36 millions d'euros par rapport à la loi de finances 2016 – traduit l'effort sans précédent de remise à niveau des moyens de fonctionnement des juridictions. C'est une mesure indispensable. Les difficultés, mises en évidence ces derniers jours et que vous aviez anticipées, confirment la pertinence de cet effort budgétaire.
Le budget relatif à l'administration pénitentiaire représente le premier programme de cette mission. Face aux enjeux de la radicalisation, de l'incarcération des terroristes, de la sécurité et de la surpopulation carcérale, il était nécessaire d'engager des moyens importants. Loin des simples discours, des dispositions concrètes sont prises. Vous prévoyez ainsi 1 566 cellules supplémentaires dans 28 quartiers de préparation à la sortie et 3 468 cellules en maison d'arrêt. Pourriez-vous nous expliquer la place des différentes structures et leur organisation ?
Je n'irai pas plus loin dans le détail des différents programmes présentés par nos rapporteurs. Elisabeth Pochon a évoqué le programme de l'accès au droit et la douloureuse question de l'aide aux victimes. Dans le cadre de ce programme, nous notons que les crédits affectés à l'aide juridictionnelle sont en augmentation et atteignent 454 millions d'euros. Nous voterons évidemment en faveur de l’amendement proposé qui permettra de majorer l’unité de valeur. Mais nous notons que les besoins sont en hausse et que l'accès au droit passe aussi par le relèvement du plafond d'admission à l'aide juridictionnelle.
Un effort substantiel a été fait par notre gouvernement, mais il nous faudra le poursuivre car trop de personnes abandonnent toute idée de justice à raison de son coût en appel et en cassation. Le relèvement du seuil est devant nous. À ce propos, en plein accord avec mes collègues de la commission des lois, je rappelle ici qu'un fonds interprofessionnel doit être mis en place avant la fin de l'année 2017. Ce fonds de redistribution, alimenté par l'écrêtement calculé à cette fin de tarifs proportionnels de professions réglementées, est également destiné, selon la volonté du législateur, à financer l'aide juridictionnelle.
Si les majorations sans précédent des crédits de la justice sont à saluer, il nous faut également noter l'effort simultanément poursuivi dans divers domaines : la réduction de 47 millions d'euros des dépenses pour frais de justice ; la modernisation indispensable des outils informatiques – nous pensons au système CASSIOPEE qui n’est toujours pas opérationnel au bout de quinze ans ; les mesures de déjudiciarisation permettant le redéploiement de 367 ETP.
Ce budget 2017 s'inscrit en cohérence avec la politique menée dans ce domaine depuis 2012. Il prend en compte les exigences multiples attendues sur notre territoire de la part de nos concitoyens et des nombreux acteurs œuvrant dans le domaine de la justice, en faisant une large place aux enjeux majeurs de sécurité, d'efficacité et de qualité dans l'exécution de la réponse judiciaire. Ce budget s'inscrit aussi dans le long terme et l’effort n'a de sens que s'il est maintenu au-delà de 2017. Le groupe socialiste, écologiste et républicain appellera donc à voter pour ce budget.
M. Philippe Goujon. Merci pour votre écoute, monsieur le garde des sceaux, pour votre ton apaisé, réfléchi et rigoureux. Cela nous change de l’atmosphère des débats qui régnait auparavant dans cette enceinte. (Protestations sur les bancs de la majorité.) En tant que membre de l’opposition, permettez-moi d’exprimer ce sentiment, mais ce n’est pas seulement pour cela qu’il est difficile de globaliser l’action dans le domaine de la justice depuis 2012.
Je voudrais vous citer, monsieur le garde des sceaux. À votre arrivée à la chancellerie, vous décriviez une justice sinistrée et en état d’urgence absolue. C’est que tout n’allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nous reconnaissons volontiers que votre premier budget tient compte de cette urgence budgétaire, puisque la mission voit ses ressources augmenter de près de 5 % en crédits de paiement. Permettez-moi néanmoins de revenir sur deux échecs majeurs de votre prédécesseure, qui continuent de produire leurs effets : la contrainte pénale et la récidive. La contrainte pénale ne représente à ce jour qu’un peu plus de 2 000 condamnations alors que l'étude d'impact nous en annonçait près de 20 000. Pour les libérations sous contrainte, l’écart entre les estimations et la réalité est à peu près du même ordre. Quant au problème des multirécidivistes, il reste entier. C’est l’une des raisons qui expliquent le mouvement de colère des policiers qui ont le sentiment que leur travail d’interpellation et les risques qu’ils endurent ne trouvent pas de traduction pénale.
En outre, les délais de traitement des procédures civiles ne baissent pas. Comment inverser cette tendance ? La loi sur la justice au XXIe siècle va certes décharger les tribunaux de certaines missions, mais elle va en transférer une partie aux officiers d'état civil. Ce transfert de compétences va générer d'importantes charges supplémentaires pour les mairies et ces dernières ne pourront pas les assumer. En plus, comme beaucoup l’ont souligné, le coût de l'aide juridictionnelle s'envole suite à une réforme que nous avons dénoncée. Selon le bleu budgétaire, il serait de 370 millions d’euros, alors que vous parlez de 450 millions d’euros, ce qui aggrave encore les choses.
En ce qui concerne l’administration pénitentiaire, comme l’a fort bien rappelé Guillaume Larrivé, il aura fallu attendre cette dernière année de la législature pour que vous annonciez un plan de création de prisons, qui, par ailleurs, n’est pas traduit en crédits de paiement – l’écart entre le milliard d’euros d’autorisations d’engagement et les 2,6 millions de crédits de paiement a été souligné. Vous en avez donné une explication ; est-ce à dire que vous laissez la responsabilité du financement au prochain gouvernement, voire au suivant si l’on applique la « jurisprudence » Perben que vous avez évoquée ?
Un mot sur les mesures que vous avez annoncées hier soir pour contribuer à résorber les charges indues des policiers.
D’abord, les extractions judiciaires, dont vous avez reconnu le 14 juin dernier devant le Sénat qu’elles constituaient un problème béant. Elles mobilisaient 3 000 policiers et gendarmes ; combien de personnels pénitentiaires sont aujourd’hui dédiés aux transfèrements, et comment combler le manque ? Envisagez-vous de resserrer le maillage des pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ), qui ne correspond pas à la carte des 188 établissements pénitentiaires ? Que pensez-vous de la comparution par vidéoconférence lorsque l’administration pénitentiaire ne peut effectuer le transfèrement ?
Ensuite, les gardes statiques. Selon le préfet de police, 300 policiers seront affectés à la surveillance du nouveau palais de justice de Paris, dont on va repousser l’ouverture pour mieux le sécuriser. Celle de l’ancien site était assurée par des gendarmes et des gardes républicains. Une nouvelle charge va donc peser sur la préfecture de police, sans compensation d’effectifs ; au contraire, les effectifs sont en baisse.
Vous avez évoqué des regroupements de personnels en vue de former la nouvelle sous-direction de la sécurité pénitentiaire, tout à fait bienvenue et que nous réclamions depuis un certain temps. Avez-vous une idée des effectifs qui lui seront affectés ?
Pensez-vous étendre à l’ensemble des établissements les postes d’officiers de renseignement à temps plein qui existent dans une trentaine de prisons ?
Votre prédécesseure avait refusé que les surveillants puissent également faire du renseignement. Quelle est votre position à ce sujet ?
Lors de votre prise de fonctions, vous aviez constaté que les informations venues du renseignement pénitentiaire ne vous remontaient pas. Avez-vous noté une évolution de la situation ? Qu’attendez-vous dans ce domaine ?
Enfin, le taux de démission et de rotation est très élevé parmi les personnels pénitentiaires. Quelles mesures supplémentaires pouvez-vous prendre pour les fidéliser ?
Je conclurai sur les bonnes conditions dans lesquelles l’opposition peut désormais travailler avec le Gouvernement sur les questions de justice. Cela ne résout pas les problèmes, mais cela facilite tout de même les choses !
M. François Rochebloine. Avec 6,9 milliards d’euros de crédits, le budget consacré à la mission « Justice » enregistre une augmentation de 4,5 % à périmètre constant.
Chacun s’accorde à le reconnaître, ce budget doit relever des défis considérables : permettre la réorganisation d’un système judiciaire qui attend hélas toujours une véritable modernisation, le tout sur fond de lutte contre le terrorisme. Nous considérons que l’un des objectifs de cette mission doit être de simplifier la justice tout en optimisant les moyens qui lui sont alloués. Espérons que la mise en œuvre de la loi dite de modernisation de la justice du xxie siècle, adoptée très récemment, permettra d’engager la vraie réforme d’ampleur que nous appelons de nos vœux.
Concrètement, et à court terme, il s’agira de mettre en œuvre les avancées obtenues en matière d’accès au droit et de simplification des procédures : la création d’un service d’accueil unique du justiciable et les mesures de déjudiciarisation permettant de désengorger les juridictions.
Seront également concrétisées des mesures que nous désapprouvons, comme nous vous l’avons indiqué lors des débats sur le texte : le transfert de certaines compétences aux officiers de l’état civil, qui vont faire peser des charges supplémentaires sur les communes, ou encore la suppression de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT).
L’avis du groupe de l’Union des démocrates et indépendants est donc partagé.
La lutte contre le terrorisme ne pouvait qu’être l’un des enjeux majeurs du projet de loi de finances pour 2017. Nous saluons les 233 millions d’euros de crédits, hors dépenses de personnel, alloués au ministère de la justice dans ce domaine, même s’il ne s’agit que d’un maintien à niveau des crédits de 2016.
Ces crédits bénéficieront notamment à la création du service public du renseignement pénitentiaire, ce dont nous nous réjouissons, car nous savons quel rôle déterminant les prisons ont pu jouer dans la propagation de la radicalisation, qu’il est essentiel de prendre en considération pour lutter contre le terrorisme.
Depuis le début de cette législature, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants a dénoncé des budgets ne répondant pas au besoin carcéral qui se développe dans notre pays. Ainsi que vous l’avez indiqué dans votre rapport de septembre 2016 sur l’encellulement individuel, monsieur le ministre, la France ne comptait au 1er août 2016 que 58 507 places de prison pour héberger 68 819 détenus, ce qui représente un déficit de 10 312 places et une surpopulation de 118 %. La construction de nouvelles places de prison s’impose donc d’évidence.
En 2017, des autorisations d’engagement à hauteur de 1,558 milliard d’euros sont ouvertes pour la construction d’établissements pénitentiaires. Vous prévoyez ainsi de lancer un programme immobilier de réduction de la surpopulation dans les maisons d’arrêt – 4 300 places – et un programme de construction de quartiers de préparation à la sortie – 2 500 places. Nous nous réjouissons de la prise de conscience que cela manifeste de votre part.
À ce propos, monsieur le ministre, vous avez très récemment confirmé plusieurs opérations, parmi lesquelles – vous me permettrez de l’évoquer – la construction d’une nouvelle maison d’arrêt à Saint-Étienne, dont je me réjouis. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, notamment sur les délais ? Vous avez parlé tout à l’heure du 16 décembre. Le problème du choix du terrain se pose, mais c’est l’État qui décide en définitive.
Par ailleurs, nous avons soudainement appris la fin des cinq unités de prévention de la radicalisation, inscrites dans ce budget et qui avaient commencé à fonctionner en janvier dernier. Vous avez annoncé mardi qu’elles seraient remplacées par six quartiers d’évaluation de la radicalisation. Comment ce changement va-t-il se traduire dans le budget ?
Je me dois enfin d’évoquer la refonte de l’aide juridictionnelle. À partir de 2013, nous avons assisté à une succession d’hésitations et d’incertitudes de la part du Gouvernement, qui témoignait d’une véritable improvisation en la matière. Cette année, le projet de loi de finances prévoit la revalorisation de l’unité de valeur de référence, qui passera de 26,50 à 30 euros hors taxes – voire 32 si votre amendement, monsieur le ministre, est adopté, ce dont je ne doute pas. Mais cela reste encore insuffisant, et vous le savez. Une réforme globale et pérenne de l’aide juridictionnelle et de l’accès au droit est indispensable.
Je ne voudrais pas conclure sans évoquer le mal-être du personnel des maisons d’arrêt et des prisons, qui vivent aujourd’hui des situations particulièrement difficiles ; mon collègue Philippe Goujon en a très bien parlé.
Si le groupe de l’Union des démocrates et indépendants tient à saluer des efforts importants et un certain nombre d’avancées, beaucoup reste encore à faire pour adapter notre système juridictionnel aux exigences du xxie siècle. Quoi qu’il en soit, monsieur le ministre, soyez remercié pour le travail accompli en neuf mois seulement. Quel dommage que vous n’ayez pas été nommé plus tôt à ce ministère régalien !
M. Marc Dolez. Je tiens pour ma part à saluer l’augmentation du budget de la justice, l’effort poursuivi de création d’emplois, l’amélioration de certains régimes indemnitaires et les crédits affectés à l’entretien du bâti. L’augmentation des crédits alloués à l’aide juridictionnelle, l’amélioration de la prise en charge des victimes, la création des services d’accueil unique du justiciable constituent également des avancées. Tout cela va dans le bon sens, même si – chacun en convient – le chemin sera encore long avant que nous ayons rattrapé un retard structurel et que le service public de la justice dispose d’un budget véritablement à la hauteur de sa mission.
Ma première question concerne la situation des agents non titulaires, toujours aussi préoccupante. En 2014, sur près de 2 700 agents sous contrat au sein du ministère de la justice, seul un millier environ étaient titularisables. Quelle est la position du ministère ? La prolongation du dispositif de titularisation pour deux années supplémentaires, jusqu’en 2018, ne semble pas en mesure d’améliorer véritablement la situation puisque peu d’agents non titulaires seront éligibles aux concours réservés.
Ma deuxième question a trait aux revendications des personnels des SPIP, qui travaillent dans des conditions très difficiles. Ils estiment que la filière d’insertion et de probation souffre d’une méconnaissance de ses missions et de son action qui se répercuterait sur leurs conditions statutaires. Le 22 juillet dernier, vous avez signé un relevé de conclusions avec les organisations syndicales, ce qui a mis fin au mouvement social entamé. Pouvez-vous nous confirmer que le projet de loi de finances pour 2017 met en œuvre les engagements alors pris ?
Ma troisième question porte sur la construction de nouvelles places de prison que vous avez annoncée, et aujourd’hui confirmée. Le ministère de la justice a-t-il vraiment, aujourd’hui et demain, les moyens de construire de nouvelles places de prison, vu le coût déjà exorbitant des partenariats public-privé ? Ne serait-il pas plus opportun de rénover massivement certaines prisons et de remplacer les établissements vétustes, tout en favorisant le milieu ouvert et les alternatives à l’emprisonnement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Je commencerai par les questions des rapporteurs auxquels je n’avais pas encore répondu.
Madame Pochon, vous avez souligné à juste titre, à propos du FGTI, que nous allons porter la contribution des assurances à 5,90 euros, ce qui représente pour le fonds un gain de 140 millions d’euros. Cette somme ne résulte pas d’une estimation hasardeuse, mais de l’évaluation du FGTI, selon laquelle il lui aurait manqué 140 millions d’euros fin 2017. Il fallait combler ce manque pour éviter d’avoir à puiser dans des fonds qui n’ont pas la même vocation. Le budget du FGTI sera donc équilibré.
Faut-il aller au-delà ? L’État s’est de toute façon engagé à assurer la solvabilité du fonds dans l’éventualité de dépenses exceptionnelles, qu’évidemment personne n’espère. Comment le ferons-nous ? Nous y réfléchissons. En tout cas, il n’est pas envisagé de recourir à de nouvelles taxes : il sera fait appel aux recettes du budget général.
Vous m’avez également posé une question tout à fait pertinente sur le contradictoire au sein du FGTI. Juliette Méadel a entendu de la part de certaines victimes des propos allant dans le même sens et faisant état de leur sentiment de fragilité à cet égard. Le FGTI a assez récemment fait l’objet d’une mission d’inspection ; nous travaillons sur ses conclusions. Nous n’envisageons pas d’accorder l’aide juridictionnelle dans la phase transactionnelle. Nous n’en poursuivons pas moins notre réflexion sur l’évolution de la procédure, et si nous devions en conclure à la nécessité de juridictionnaliser celle-ci – mais nous n’en sommes pas là –, alors l’aide juridictionnelle serait de droit pour les victimes, sans plafond de ressources, en leur seule qualité de victimes du terrorisme. À la suite des critiques formulées par les associations de victimes, le FGTI est déjà en train de se réformer afin de rendre ses décisions plus transparentes. Son conseil d’administration se prononcera par exemple bientôt sur l’idée d’un barème indicatif, souvent demandé ; surtout, des efforts seront faits pour mieux expliquer les décisions qui ont été rendues.
Mme Untermaier m’a interrogé sur CASSIOPEE. Ce système fonctionne, il est même utilisé tous les jours dans les juridictions, sauf dans les cours d’appel qui n’en disposent pas encore. Des modules sont mis en œuvre pour l’enrichir.
J’en viens aux unités dédiées, évoquées par plusieurs orateurs.
M. Larrivé m’a demandé si ce que nous envisageons est suffisant. Vous connaissez les chiffres, que j’ai déjà souvent cités : 351 détenus incriminés d’association de malfaiteurs terroriste et 1 336 radicalisés en prison. Il nous semble qu’il y a en la matière une obligation d’évaluation. Nous allons donc ouvrir en 2017 deux centres d’évaluation dans les directions interrégionales de Bordeaux et de Marseille, et les unités dédiées de Fresnes, Fleury et Osny vont devenir des lieux d’évaluation. L’évaluation durera quatre mois et concernera chaque fois 100 personnes.
Ensuite viendra le moment de l’orientation. Il y aura effectivement 300 places pour les détenus les plus durs : 100 dans les maisons centrales et 200 à l’isolement dans des établissements pour peines ou des maisons d’arrêt. Nous pensons à ce stade que cette capacité suffit. Pour les autres, combien de places y aura-t-il dans les 27 établissements concernés ? Nous n’avons pas encore entièrement identifié les lieux, mais ce sera entre 400 et 600. Ces personnes seront détenues dans un environnement plus soutenu ; nous recruterons des personnels selon les volumes prévus par le projet de loi de finances, ainsi que des équipes pluridisciplinaires. Les binômes qui associaient un psychologue et un éducateur au sein des unités dédiées fonctionnaient bien ; il en existe 50 ; nous allons en recruter 40 de plus, et nous ferons également appel à des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), en milieu ouvert et en milieu fermé, selon les volumes prévus dans le budget.
Je suis absolument convaincu – je l’ai dit hier – que nous avons encore besoin de nous adapter ; je ne suis nullement certain que tout cela soit suffisant. Nous ne mesurons pas l’effet des retours de Syrie, par exemple ; malgré les évaluations, l’estimation des volumes demeure aléatoire, notamment s’agissant des mineurs.
Nous avons aujourd’hui en détention 17 mineurs radicalisés. Si l’on tient compte des établissements pour mineurs et des quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt, nous disposons d’une capacité de 1 151 places. Nous ne jugeons donc pas utile de prévoir des équipements particuliers dédiés aux mineurs.
Monsieur Goujon, la sous-direction de la sécurité pénitentiaire sera composée de plusieurs types de personnels déjà existants : nous y inclurons les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) implantées dans neuf directions, les PREJ, le bureau du renseignement pénitentiaire que nous rebaptisons bureau central du renseignement pénitentiaire. Les effectifs sont aujourd’hui de 189 ; il y en a 51 de plus dans le projet de loi de finances, pour donner la priorité aux établissements sensibles. J’ai visité une vingtaine de prisons : à Riom, où il n’y a presque pas de détenus radicalisés, il n’y a pas lieu d’instituer en priorité un renseignement pénitentiaire, alors qu’à Fleury il n’y a que quatre délégués du renseignement pénitentiaire. Par ailleurs, les effectifs seront en partie dédiés à la construction de la structure centrale.
Je reçois dorénavant toutes les semaines des informations du renseignement pénitentiaire ; c’est de là que viennent les chiffres que je vous transmets régulièrement. Ces chiffres évoluent tous les jours. Ainsi, si nous avons identifié les 351 détenus pour association de malfaiteurs terroriste, en revanche le chiffre de 1 336 radicalisés est subjectif et provient du renseignement pénitentiaire. Par ailleurs, depuis le mois de juin, je participe comme garde des sceaux au conseil de défense que le Président de la République réunit le mercredi matin et au cours duquel le point est fait sur la menace intérieure, notamment au sein des établissements dont j’ai la responsabilité.
Nous incluons également dans la sous-direction les nouvelles équipes de sécurité pénitentiaire qui sont à construire. En outre, je vais créer en son sein un outil qui fait aujourd’hui défaut et qui servira à faire remonter l’information. Je l’ai dit en présentant ce plan, j’ai eu la tristesse de devoir actionner la cellule de crise de l’administration pénitentiaire à six reprises depuis que je suis garde des sceaux, et à un rythme quasi hebdomadaire au cours des dernières semaines, le week-end – car c’est le week-end que les choses se passent. Or la transmission d’informations n’est pas suffisamment rapide entre la direction locale, la direction interrégionale, la direction de l’administration pénitentiaire et mon cabinet. D’où le besoin d’une structure pour adapter notre réaction, puisqu’il faut toujours pouvoir mobiliser les ERIS des autres régions que celle concernée. Cet outil, imposé par la nécessité d’intervenir rapidement, de nous coordonner avec le parquet et de mobiliser les forces de sécurité intérieure, sera une cellule de veille et d’analyse composée de dix personnels pris sur notre budget pour 2017.
J’en viens aux extractions judiciaires, dont on parle beaucoup dans les juridictions et dont on a le sentiment qu’elles ne fonctionnent pas, alors même qu’au cours de l’année écoulée 10 % « seulement » des réquisitions n’ont pas pu être exécutées. La difficulté est structurelle. Lorsque l’on a décidé en 2010 de transférer l’extraction judiciaire des forces de sécurité intérieure à l’administration pénitentiaire, on a prévu pour cela 800 personnels, ce qui était probablement trop peu. En 2012, leur nombre est passé à 1 200 et, à la fin de cette année, il sera de 1 650.
Je ne pense pas qu’il en faille davantage en provenance des forces de sécurité : nous avons besoin d’organiser notre propre structure. Les PREJ ont été implantés, mais leur maillage me paraît perfectible. Un seul exemple : alors qu’à Agen, où je me suis rendu il y a quelques jours, la maison d’arrêt est de l’autre côté de la rue par rapport au tribunal, pour faire transférer un détenu, c’est-à-dire pour lui faire traverser la rue, il faut demander au PREJ, installé à Mont-de-Marsan, à une heure et demie de route en voiture, d’envoyer quelqu’un ! Inutile de vous dire que le garçon qui travaille au PREJ nous a expliqué qu’il avait autre chose à faire que rouler pendant trois heures pour aller traverser une rue… Nous devons pouvoir trouver un meilleur fonctionnement. J’ai donné l’exemple d’Agen pour ne pas parler de la Bretagne, mais, pour transférer un détenu du tribunal de Brest à la maison d’arrêt de Brest, il faut s’adresser au PREJ qui se trouve à Lorient ! Tout cela défie la raison.
Le système a été construit à l’époque où il ne bénéficiait que de 800 ETP ; nous en avons maintenant 1 650. Ce qui ne veut pas dire que nous ne solliciterons pas les forces de sécurité intérieure : cela peut toujours arriver, et une telle mission fait partie intégrante de leur cœur de métier puisqu’il s’agit d’amener des détenus.
L’administration pénitentiaire a beaucoup fait. Symboliquement, à la chancellerie, nous ne sommes plus protégés par la gendarmerie ni par la police, mais par les personnels de l’administration pénitentiaire. Il n’y a plus aujourd’hui de palais de justice qui soit protégé par la police ou par la gendarmerie : dans vos palais de justice, la surveillance est assurée soit par des sociétés de sécurité privée, soit par des réservistes que le ministère paie, par compensation auprès du ministère de l’intérieur. Les policiers ne sont plus présents que pour les audiences en cour d’assises, les comparutions immédiates et les procès quelque peu sensibles. Tout cela représente beaucoup d’efforts dont on ne parle pas suffisamment.
Pour surveiller le tribunal de Paris, monsieur Goujon, les discussions en cours portent sur 389 policiers. Il y aura une baisse des effectifs des agents qui étaient postés sur l’île de la Cité pour protéger l’ancien palais de justice : même si la cour d’appel et la Cour de cassation y restent, une grande partie des gendarmes qui y étaient affectés ne le seront plus. Mais cela relève d’une discussion interne au ministère de l’intérieur, notamment à la préfecture de police de Paris. Quoi qu’il en soit, voilà le nombre de policiers dont nous aurons besoin.
Quant à la fidélisation des personnels de l’administration pénitentiaire, elle pose effectivement un problème. Des mesures statutaires ont été prises le 14 mars 2013 et le 15 décembre 2015. Des mesures catégorielles supplémentaires destinées aux personnels de l’administration pénitentiaire sont inscrites dans le projet de loi de finances pour 2017, à hauteur de 20 millions d’euros. Nous avons en outre prévu une prime de fidélisation pour les surveillants dans les établissements les plus sensibles, pour 2 millions d’euros.
Monsieur Rochebloine, j’ai le plaisir de vous confirmer que nous referons la maison d’arrêt de Saint-Étienne ; je me suis engagé à aller l’annoncer sur place en votre compagnie dès que nous aurons choisi le terrain. Ce projet est financé sur le programme « 3 200 » qui avait été lancé par Christiane Taubira ; l’objectif est de 330 places.
Je crois vous avoir dit l’essentiel concernant la radicalisation.
Quant à l’aide juridictionnelle, la mesure représente tout de même un coût total en année pleine de 58 millions d’euros, dont 14,6 millions dès 2017. Avant 2015, l’unité de valeur n’avait pas été revalorisée depuis 2007. Ce sont nos discussions avec le Conseil national des barreaux qui me permettent de vous proposer de la porter de 30 à 32 euros.
Monsieur Dolez, en ce qui concerne la titularisation des personnels non titulaires, après la loi Sauvadet de 2012, il y avait exactement 914 éligibles au sein du ministère de la justice, dont 370 ont été titularisés. Le fait que le dispositif ait été prolongé de deux ans par la loi d’avril 2016 est donc une bonne nouvelle : ceux qui étaient éligibles au titre de la loi Sauvadet le demeurent. Surtout, nous sommes en train d’identifier avec les organisations syndicales les agents éligibles en vue du comité technique ministériel qui aura lieu en novembre, et à l’ordre du jour duquel ce point est inscrit.
Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ont connu un très important mouvement social il y a quelques semaines, qui a pris fin avec la signature d’un relevé de conclusions, lequel comporte des mesures attendues depuis très longtemps. J’ai ainsi mis fin, à la demande des organisations syndicales, à la préaffectation de stagiaires en lieu et place de titulaires. Les organisations syndicales sont bien conscientes du fait que la suppression de la préaffectation affectera la mobilité du personnel pendant un moment, et l’acceptent. Les conseillers pénitentiaires d'insertion et probation (CPIP) vont devenir des fonctionnaires de catégorie A. Voilà qui manifestera la reconnaissance de leur compétence. Christiane Taubira s’était engagée au recrutement de 1 000 CPIP ; nous en sommes à 900, et j’ai annoncé cette semaine que nous recruterions 100 personnels supplémentaires, parce que je souhaite que les conseillers affectés à la prévention de la radicalisation puissent se consacrer à cette lourde tâche. Nous avançons sur la question en bonne intelligence.
Je crois avoir répondu à tout le monde.
M. Dominique Lefebvre, président. Personne ne vous reprochera, monsieur le garde des sceaux, la précision et la pertinence de vos réponses. Nous apprécions toujours les ministres qui connaissent leurs dossiers.
Chers collègues, vous avez la parole, pour deux minutes chacun.
Mme Marie-Françoise Bechtel. Monsieur le garde des sceaux, je salue à mon tour un effort budgétaire significatif en faveur du programme « Justice judiciaire ». Quoique moindre que pour l’administration pénitentiaire, qui fait l’objet d’un examen séparé, cette augmentation de crédits profite à l’ensemble des dispositifs assurant le fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire, et ce d’amont en aval – formation des magistrats et des greffiers comprise, donc. Cela permettra de financer, vous l’avez dit, la création de 600 emplois et, hors masse salariale, une augmentation des crédits de 4 %.
Tous les problèmes de fonctionnement du service public de la justice ne s’en trouvent cependant pas résolus comme par un coup de baguette magique. Vous avez notamment évoqué, monsieur le garde des sceaux, des problèmes structurels que vous avez pris la peine d’analyser. J’ai beaucoup apprécié cette partie de votre exposé, et je fais tout à fait mienne votre observation. Une question complémentaire toutefois, quelle est alors la part conjoncturelle, autrement dit quelle est la part des décisions budgétaires prises cette année et au cours des prochaines années ? Ne faut-il pas que des efforts budgétaires continus viennent garantir, en particulier, les efforts de remise à niveau du matériel informatique, d’autant que les difficultés en question sont parfois liées à une vision parcellisée, à des politiques différentes des différentes juridictions ?
Par ailleurs, l’augmentation du nombre de postes ouverts ne se traduit pas immédiatement par des recrutements utiles, d’autant que le creux des effectifs de 2015 n’avait pas été anticipé assez tôt. N’oublions pas qu’il faut plus de trois ans pour former un magistrat à l’École nationale de la magistrature !
J’en viens à une question plus conjoncturelle que structurelle : à l’heure où le métier de juge subit des évolutions législatives – et est susceptible d’en subir d’autres – comment faire pour amortir et intégrer celles-ci dans les emplois nouveaux ?
Enfin, en matière de fonctionnement du service public judiciaire, ne devrions-nous pas plutôt, tous, appeler de nos vœux une loi de programmation, pour pérenniser l’effort et pour que la justice fonctionne dans des conditions dignes de la vision que nous en avons ?
M. Éric Ciotti. Merci, monsieur le garde des sceaux, pour ces réponses de qualité, nonobstant nos éventuelles divergences de fond. Voilà un état d’esprit qui nous change. Si seulement il avait prévalu dès le début du quinquennat ! (Protestations sur les bancs de la majorité.) Alors, vous n’auriez pas eu, monsieur le garde des sceaux, à déplorer la « clochardisation » de la justice – je cite vos propres termes.
Annonçant un changement de politique pénale à propos des associations de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, le procureur François Molins a indiqué qu’il ouvrirait quasi systématiquement des informations judiciaires en matière criminelle et non plus en matière délictuelle. Cette approche peut se comprendre, même si nous avions proposé une autre solution, complémentaire : porter à quinze ans le quantum de la peine encourue – cette solution serait d’ailleurs préférée par les magistrats du siège du tribunal de grande instance (TGI) de Paris.
La décision du parquet de Paris aura des conséquences matérielles très importantes pour la cour d’assises spéciale, compétente en matière de terrorisme. Si toutes les affaires instruites devaient donner lieu à un procès devant cette juridiction créée pour éviter que le jury ne soit, comme dans une affaire tristement célèbre, soumis à des pressions, ce sont soixante magistrats du TGI de Paris qui seraient en permanence mobilisés. Quels moyens supplémentaires prévoyez-vous donc pour une année budgétaire 2017 qui sera sans doute celle de ces premières sessions d’assises ? En ce qui concerne, plus généralement, les moyens du pôle antiterroriste, parmi lesquels les assistants administratifs, je souligne que les parties civiles sont très nombreuses dans les affaires de Nice et du Bataclan. La seule transmission des pièces, le seul envoi de notifications en lettre recommandée mobilisent donc des moyens considérables. Quelles mesures avez-vous envisagé pour y faire face ?
M. Gabriel Serville. Tout d’abord, je vous félicite, monsieur le garde des sceaux, pour les arbitrages que vous avez obtenus en faveur de la Guyane, avec une augmentation de 2 % des crédits alloués à la justice et une nette hausse des crédits du programme 101, « Accès au droit et à la justice », qui réalisent un bond de 13 %. Quand on sait dans quelle précarité vivent de nombreux Guyanais, c’est vraiment une bonne nouvelle – ce n’est pas le Défenseur des droits, récemment passé en Guyane, qui me démentirait.
Las ! Cet effort, aussi appréciable soit-il, ne saurait masquer l’état catastrophique du service public de la justice dans ce territoire. Aussi ma première question concerne-t-elle la cité judiciaire, véritable serpent de mer. J’ose espérer que ce projet connaîtra une issue aussi favorable que le nouveau commissariat de Cayenne, annoncé par votre homologue de l’intérieur, et dont la date de livraison a enfin été arrêtée, après des années de tergiversation.
Monsieur le garde des sceaux, qui vous êtes penché sur les évolutions de la Guyane, tant en termes démographiques qu’en termes de climat social, vous avez également fait un constat sans appel : il faut une cité judiciaire en Guyane, car, très bientôt, ni le tribunal de grande instance de Cayenne, ni sa chambre détachée à Saint-Laurent-du-Maroni ne pourront plus répondre aux besoins des justiciables. Serait-il possible d’avoir plus d’informations et de connaître l’état d’avancement de ce dossier ?
Ensuite, pourrions-nous avoir plus de précisions, notamment en termes de calendrier, sur le projet de construction d’une deuxième maison d’arrêt sur l’île de Cayenne, annoncé par le Premier ministre ?
M. Patrick Lebreton. L’examen des crédits de la mission « Justice » me donne l’occasion d’appeler votre attention sur l’utilisation des crédits du plan de lutte antiterroriste (PLAT) affectés à La Réunion. Une organisation syndicale m’a récemment saisi car les personnels ne constatent aucune évolution quant aux moyens déployés concrètement sur le terrain, qu’il s’agisse de sécurité passive, de sécurité active ou du déploiement d’une organisation efficiente du renseignement pénitentiaire, alors que les crédits des PLAT 1 et 2 ont été délégués aux structures. Aucune action concrète n’a pu être constatée par les personnels pénitentiaires, hormis celles concernant la population carcérale. Pourtant, La Réunion compte des personnes radicalisées ou fichées S. Il semblerait d’ailleurs qu’une partie de ces crédits ait été utilisée pour des dépenses de fonctionnement courant des établissements ; ce n’est pourtant pas l’usage auquel ils sont destinés.
Connaissant les représentants syndicaux locaux, je peux vous assurer que ce sont des fonctionnaires soucieux de remplir leur mission et de servir l’intérêt général. Dans un contexte où les forces de sécurité, au sens large, du terme, s’interrogent sérieusement quant aux moyens dédiés à l’accomplissement de leurs missions, je vous serais particulièrement reconnaissant si votre administration ou vous-même pouviez me transmettre des éléments relatifs à l’utilisation des crédits des PLAT délégués aux services de l’administration pénitentiaire à la Réunion.
M. Jean-Michel Clément. Je souhaite, monsieur le garde des sceaux, vous entretenir d’une question relative à l’accès la justice, cher au cœur de Mme Taubira comme au vôtre. Tout au long de cette législature, des efforts importants ont été fournis.
Ma question porte plus particulièrement sur l’accès aux lieux de justice, aux lieux où la justice est rendue. Les enceintes de justice sont des lieux qu’il convient de protéger, en toutes circonstances. La question de l’accès ne se pose évidemment pas pour les magistrats et les greffiers du lieu, mais elle peut se poser pour les auxiliaires de justice que sont les avocats. C’est un fait : la construction de nouveaux palais de justice, comme à Paris ou à Poitiers, où vous vous rendîtes récemment, mais aussi à Caen, à Périgueux et à Béziers, s’accompagne de la mise en place d’un accès sécurisé. Bien compréhensible, cette sécurisation ne doit pas constituer un obstacle pour ceux dont le métier les conduit plusieurs fois par jour à venir dans ces mêmes lieux. C’est pourquoi les ordres d’avocats ont proposé de recourir à un système de cartes à puce qui permettrait aux avocats d’accéder à leur palais de justice de rattachement. Le coût estimé de cette carte est de 15 euros par avocat, que les ordres se proposent d’assumer, allégeant ainsi les charges assumées par l’État. Êtes-vous favorable, monsieur le garde des sceaux, à un tel dispositif, voire à sa généralisation dans l’ensemble des enceintes de justice, qui en diminuerait le coût pour les ordres ?
M. Patrick Hetzel. Le Premier Président de la Cour de cassation a installé, le 10 octobre dernier, un groupe de travail consacré à l’autonomie budgétaire de l’autorité judiciaire. Je voudrais vous interroger sur deux idées qu’il a développées dans son discours disponible sur le site internet de la Cour. Tout d’abord, il se demande, si, face à la misère de la justice judiciaire, la seule réponse financière, c’est-à-dire l’accroissement du budget du ministère de la justice est suffisante – de manière implicite, il s’interroge aussi sur l’organisation. Ensuite, il se demande s’il n’est pas temps d’envisager une réforme budgétaire ambitieuse, qui placerait le budget de la justice en dehors de la place Vendôme ?
Je pense que vous ne pouvez pas être indifférent à ces questions, qui remettent en cause le rôle du garde des sceaux. Ce qui est en jeu, c’est aussi une vision du service public. Évidemment, cela ne concerne pas directement le budget 2017, mais il s’agit là de questions politiques qui me semblent fondamentales.
M. le président Dominique Raimbourg. Je m’associe, monsieur le garde des sceaux, aux compliments qui vous ont été adressés. J’ai, pour ma part, deux questions.
Tout d’abord, comment réduire le nombre de courtes peines ? Bien souvent, elles frappent des délinquants multirécidivistes dont la délinquance est difficile à accepter socialement, mais elles conduisent ces individus à faire de la prison leur résidence secondaire, voire principale. Ces courtes peines sont une réponse à très court terme, mais non, finalement, une solution. La contrainte pénale visait à réduire leur nombre. Comment relancer celle-ci ?
Par ailleurs, Mme Taubira soulignait, au cours des travaux précédant la réforme pénale, que près de 80 % des détenus quittaient la prison sans suivi. Comment relancer ce suivi ? Et comment faire en sorte que des fins de peine se passent à l’extérieur des murs de la prison, avec un véritable suivi ?
M. Dominique Lefebvre, président. Comme vous le savez, monsieur le garde des sceaux, la maison d’arrêt d’Osny est située dans ma circonscription – nous nous y étions rencontrés en juin. De graves incidents y ont eu lieu, et j’y suis retourné depuis lors. Il fallait prendre des décisions, et vous les avez prises. Cependant, je veux témoigner du fait que si le personnel pénitentiaire, qui a vécu des moments particulièrement terribles, et avec qui j’ai discuté, demande que la réalité soit prise en compte il n’en reste pas moins impliqué, il veut continuer son action sur l’ensemble de ces questions.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Merci, monsieur le président, pour les personnels pénitentiaires. Vous avez raison : ceux d’Osny ont été douloureusement, dramatiquement éprouvés. Un surveillant a même frôlé la mort. Je lui ai rendu visite à l’hôpital, je l’ai revu par la suite. L’engagement de l’équipe de prévention de la radicalisation est impressionnant : aucun de ses membres n’a, à aucun moment, voulu la quitter, et tous sont convaincus de l’utilité de leur fonction, nonobstant les difficultés. Et les décisions que nous avons prises mardi dernier se nourrissent précisément du temps que nous avons passé avec les équipes d'Osny, de Lille-Annœullin, de Fleury-Mérogis et de Fresnes. Le pluriel utilisé était parfaitement justifié : aucun projet n’était identique à un autre, celui d’Osny n’était pas celui de Lille-Annœullin, celui du centre d’évaluation de Fresnes n’était pas celui de Fleury-Mérogis.
Je ne suis pas d’accord avec M. Larrivé lorsqu’il parle d’expérimentation hasardeuse ; c’était même plutôt courageux. Nous ne pouvons avancer que par tâtonnements. Ainsi, nos collègues anglais, longtemps extrêmement réticents à l’idée de regrouper les détenus radicalisés, parce qu’ils avaient l’expérience de l’Irish Republican Army (IRA), ont changé de fusil d’épaule et sont désormais convaincus qu’il faut regrouper. Il n’existe pas de chemin tout tracé, il faut expérimenter. J’ai redit hier, dans l’hémicycle, ma gratitude à la directrice de l’administration pénitentiaire, Mme Isabelle Gorce. Ce n’était pas une décision facile.
Les personnels, qui étaient volontaires, nous ont beaucoup appris et continuent de nous apprendre beaucoup. Ce que nous allons faire, nous le ferons en partie grâce à eux, et peut-être aussi un peu grâce aux structures mises en place depuis huit mois, notamment un comité scientifique qui réunit régulièrement à la Chancellerie des universitaires qui connaissent le sujet de la détention – certains écrivent des livres, on les voit parfois sur les plateaux de télévision, et leur expertise est reconnue –, mais aussi d’autres, pour qui ces problèmes de radicalisation sont un champ d’expertise nouveau. Je pense tout naturellement aux spécialistes de sciences cognitives, qui nous apprennent beaucoup. Avec eux, nous avons élaboré la grille de détection qui sera dorénavant utilisée dans nos structures. J’ai également souhaité, au sein du ministère, un comité de pilotage de la lutte contre la radicalisation, car les actions et réflexions des uns et des autres, de la protection judiciaire de la jeunesse et de l’administration pénitentiaire, de la direction des affaires criminelles et des grâces, sont différentes. Il fallait créer cette relation.
Merci, donc, monsieur le président, des mots que vous avez eus pour les plus de 30 000 personnes qui travaillent dans nos services.
M. Hetzel pose une question fondamentale, objet d’un vrai débat au sein de notre institution. N’ayant malheureusement pas le temps de développer ma pensée, j’aurai l’outrecuidance de vous renvoyer aux propos que j’ai tenus au Sénat, dans le cadre d’un colloque organisé par la Cour de cassation, sur la place de l’autorité judiciaire dans la société. Ne revendique-t-on pas un pouvoir judiciaire ? Ne veut-on pas passer de l’autorité judiciaire au pouvoir judiciaire ? Cette question me paraît totalement légitime. Cependant, la Constitution ne comporte pas plus les expressions de « pouvoir législatif » et de « pouvoir exécutif » que celle de « pouvoir judiciaire ». L’expression « autorité judiciaire » ne doit donc pas être lue comme interdisant un « pouvoir judiciaire ».
Cependant, si l’on en croit une très belle formule de Marc Aurèle, seul un esprit serein peut juger. Je ne crois pas que la fonction du juge soit de s’occuper du budget. Je ne vois pas comment on pourrait demander à un magistrat de faire, au quotidien, le travail titanesque que j’essaie d’accomplir pour obtenir les arbitrages dont certains ont la gentillesse de me féliciter, pour essayer ici ou là de convaincre nos interlocuteurs dans tel ou tel ministère, eux-mêmes assaillis de demandes forcément urgentes. Je ne me rallie donc pas à ces revendications qui conduiraient à donner des pouvoirs financiers à l’autorité judiciaire. Je ne crois pas que ce serait pertinent ni légitime. D’ailleurs, ceux qui étaient intervenus à ce colloque, du président Larcher au président de la commission des lois du Sénat, en passant par d’autres élus partageaient plutôt ce point de vue. J’ai essayé de répondre de manière rigoureuse et construite au premier président de la Cour de cassation et au procureur général près celle-ci, c’est pourquoi je me permets de vous renvoyer à mon propos d’alors.
Gabriel Serville m’a notamment interrogé sur la Guyane. De nombreux travaux ont été lancés sur les différents sites depuis 2012, pour un montant de plus de 7 millions d’euros. Certains sont toujours en cours, et des projets sont envisagés pour la cour d’appel. En ce qui concerne le palais de justice, des travaux d’un montant de 5 millions d’euros ont été organisés en deux phases : de grosses réparations jusqu’au mois de septembre dernier, puis un réaménagement des locaux de ce mois d’octobre à l’année 2018. Ensuite, nous nous attaquerons à la cour d’appel de Cayenne proprement dite. La construction d’une maison d’arrêt, évoquée par le Premier ministre, sera traitée comme en métropole : nous attendons de trouver un site pour la construire, car nous avons besoin de quinze hectares pour ces 300 places. Soyons francs : ces travaux ne sont pas inscrits au budget de l’année 2017, puisqu’ils sont plutôt prévus pour 2018 ou 2019. Je suis à votre disposition, monsieur Serville, comme à celle de votre collègue Chantal Berthelot, pour aborder avec vous tous les sujets qui relèvent du ministère de la justice à Cayenne ; j’en mesure la nécessité, d’autant que ces sujets sont nombreux. Vous m’avez d’ailleurs déjà interrogé sur le site de Rémire-Montjoly, source de préoccupation constante pour l’administration pénitentiaire.
Évidemment, monsieur Ciotti, la stratégie de criminalisation de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste retenue par le parquet de Paris aura des conséquences sur la cour d’appel. Nous en discutons avec sa première présidente, ainsi qu’avec la procureure générale de Paris, pour arriver à calibrer les effectifs. À ce stade, nous avons envisagé qu’il y ait cinq magistrats et deux greffiers supplémentaires pour les sessions d’assises prévues. Nous ne savons pas plus que la cour, à ce stade, combien d’affaires seront jugées, ni quel sera le calendrier. Des propositions ont été faites, notamment pour réduire le nombre de magistrats siégeant en cour d’assises spéciale, qui passerait de sept à cinq ; nous n’en avons pas encore débattu, mais la question est posée. Des procès ont déjà eu lieu et soixante-quinze condamnations ont été prononcées en ces matières. D’autres procès sont prévus pour le mois de novembre, et ensuite. Il ne s’agit pas uniquement de terrorisme islamiste, il y a d’autres affaires de terrorisme, et nous avons déjà accru les moyens, avec un juge d’instruction supplémentaire et quatre juges non spécialisés pour les assises.
Nous avons précisément créé les assistants de justice pour faciliter le travail des juridictions – vous savez que les magistrats sont très demandeurs de ce qu’ils appellent une « équipe du magistrat ». D’autre part, dans le cadre de la loi organique du 8 août 2016 et de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, nous avons prévu de créer le statut de juriste assistant. C’est compliqué : nous avons créé les juristes assistants, les assistants de justice et les assistants spécialisés, et il n’y a guère que mes conseillers qui distinguent les uns et les autres... En matière de terrorisme, ce sont 270 postes de juriste assistant que nous avons ouverts aux personnes disposant d’une expérience professionnelle de deux années et d’un diplôme sanctionnant une formation juridique d’au moins cinq années après le baccalauréat – soit un niveau master –, et aux personnes ayant une expérience professionnelle et un doctorat de droit. Au dernier trimestre de cette année, 175 postes sont ouverts ; à partir du mois de janvier prochain, il y en aura 95 supplémentaires. Pour l’heure, 121 sont pourvus. Les tribunaux ont plutôt attendu la fin de l’année universitaire – concrètement : le mois dernier – pour recruter. Ces professionnels seront très utiles compte tenu de leur expertise juridique.
Jean-Michel Clément m’interroge sur l’accès des avocats, et pas seulement au palais de justice de Poitiers, qui s’annonce splendide, l’œuvre d’un architecte manifestement de génie, vu la manière dont il a su articuler son projet avec la topographie. Chaque fois que vous me proposerez, monsieur le député, des avancées au coût nul pour l’État, je vous prêterai une oreille attentive ! L’accès des avocats aux palais de justice ne me paraît pas devoir être discuté : c’est une condition du bon fonctionnement de la justice, c’est leur droit plein et entier, qui ne peut souffrir d’exceptions. Bien sûr, des problèmes de sécurité peuvent se poser, notamment en ce qui concerne l’accès à un immeuble de grande hauteur comme celui qui est en cours de construction aux Batignolles. J’en ai beaucoup parlé avec le bâtonnier Sicard, qui a fait des propositions. Je suis pour ma part totalement ouvert à l’idée d’une contribution des ordres visant à permettre l’accès des avocats. Chacun doit cependant comprendre qu’un travail soutenu et continu n’est possible que si les services ne sont pas sollicités en permanence ; il s’agit de faire preuve de respect mutuel et de compréhension réciproque. Sous cette réserve, je serai par principe favorable aux propositions des barreaux, quoique je ne puisse formuler une position dogmatique devant s’appliquer à l’ensemble des juridictions. Breton, je crois à la subsidiarité ; toute solution locale me paraît donc devoir être expertisée avant qu’il soit demandé au sommet de la pyramide de se prononcer. Oui au principe, et nous en reparlerons si des difficultés se présentent.
Mme Bechtel m’a interrogé sur le fonctionnement de notre institution. Je confesse que sa complexité ne cesse de me surprendre. Bien sûr, la complexité et la longueur de la chaîne, notamment de la chaîne financière, ne sont pas toujours de nature – tout le monde en est convaincu – à garantir son efficience. Mes interlocuteurs sont cependant motivés, notamment le secrétaire général du ministère, dont le rôle devra être renforcé. Nous avons demandé une inspection conjointe de l’inspection des services judiciaires et de l’inspection générale des finances, qui examineront ces circuits longs et complexes de la chaîne de dépenses au sein du ministère. J’ai eu beaucoup de débats avec Christian Eckert au moment des arbitrages budgétaires. Pour Bercy, nous sommes compliqués, avec une multiplicité de « petits » ordonnateurs. Bercy nous invite donc à la rationalisation. Le problème est que la rationalisation ne peut pas toujours passer par la centralisation – notamment dans le cas de la PJJ. L’intégration des unités nécessite précisément une capacité d’investissement et de commande locale, donc une « morcellisation » des centres de décision. Néanmoins, avec cette mission d’inspection, nous regardons BOP par BOP, UO par UO, cour d’appel par cour d’appel, comment faire mieux. L’insuffisance de moyens dont nous sommes aujourd’hui victimes n’est évidemment pas un contexte propice. J’essaie donc d’agir sur ces deux plans. Croyez en tout cas, madame la députée, à la détermination du ministère, notamment de son secrétaire général, mais aussi de nos interlocuteurs, dont l’exigence n’est jamais prise en défaut. Croyez également que les premiers présidents et les procureurs généraux ont le souci d’être à la hauteur des nouvelles responsabilités qui leur sont données.
Le président Raimbourg m’invite en fait à revenir devant la commission des lois. Il m’interroge effectivement sur notre travail en matière de contrainte pénale et sur l’application de la loi du 15 août 2014, laquelle visait à l’individualisation des peines et à la prévention de la récidive. Les deux questions que vous me posez, monsieur le président Raimbourg, touchent au cœur de cette démarche. Je ne crois pas que l’on puisse qualifier la contrainte pénale d’échec. Certes, les résultats sont modestes, et non à la hauteur de ce qui était envisagé dans l’étude d’impact, mais ils sont intéressants : 89 % des tribunaux de grande instance ont prononcé une mesure de contrainte pénale. Tous n’y recourent pas de manière massive, mais tous commencent à voir s’ils peuvent le faire. Il est effectivement très compliqué de modifier des habitudes, et il a fallu du temps pour que les uns et les autres saisissent la différence entre sursis avec mise à l’épreuve et contrainte pénale. Beaucoup n’osent pas recourir à la contrainte pénale parce qu’ils craignent un suivi insuffisant, ce qui nous ramène à la question des recrutements de CPIP : sans eux, pas de suivi.
Dans le même ordre d’idées, la libération sous contrainte est un formidable principe, mais à rebours de celui des aménagements de peine. L’aménagement n’est possible que si un projet existe. La libération sous contrainte, c’est l’inverse : elle donne la possibilité de bâtir un projet. Cela nécessite une mutation des pratiques professionnelles, une culture de la discussion, toutes choses qui commencent à se faire jour dans les juridictions, où le sujet revient. Je ne prétends certes pas que nous soyons à l’aube d’une révolution copernicienne, ni que nous ayons trouvé la pierre philosophale, mais qu’il faille deux ans pour que des usages, des habitudes se modifient me paraît supportable. Par ailleurs, si les procureurs ne requièrent pas la contrainte pénale – dans ma circulaire de politique pénale, j’ai demandé qu’ils le fassent –, les avocats ne la demandent pas non plus pour leurs clients. Une mutation est donc nécessaire des deux côtés. J’espère que le rapport que je vous présenterai aura une vertu pédagogique. Il montrera les avantages de la contrainte pénale et envisagera des évolutions réglementaires – non législatives. Il s’agit de faire en sorte que cet outil que vous avez créé, à la disposition des magistrats, puisse produire des effets, l’objectif visé étant d’éviter la récidive.
Monsieur Lebreton, j’ai bien entendu votre question sur les crédits du PLAT. Ont-ils bien été dépensés ? Je me ferai un devoir de vous répondre de la manière la plus précise possible et, si vous voulez venir à la Chancellerie, vous êtes le bienvenu.
M. Dominique Lefebvre, président. Monsieur le garde des sceaux, je vous renouvelle nos remerciements, pour la qualité du budget que vous nous présentez, mais aussi pour celle de vos interventions.
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À l’issue de l’audition de M. Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice, garde des Sceaux, la Commission examine, pour avis, les crédits de la mission « Justice » (Mme Elisabeth Pochon, rapporteure pour avis « Accès au droit et à la justice et aide aux victimes » ; M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire » ; M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis « Justice administrative et judiciaire » ; Mme Colette Capdevielle, rapporteure pour avis « Protection judiciaire de la jeunesse »).
Conformément aux conclusions de Mme Élisabeth Pochon, M. Jean-Yves Le Bouillonnec et Mme Colette Capdevielle, mais contrairement à l’avis de M. Guillaume Larrivé, la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Justice » pour 2017.
Article 57 (art. 27 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) : Revalorisation de l’aide juridictionnelle
M. Dominique Raimbourg, président. L’amendement n° II-92, présenté par le Gouvernement, vise à revaloriser l’unité de valeur servant au calcul de la rétribution des avocats à l’aide juridictionnelle en la portant de 30 à 32 euros.
Mme Élisabeth Pochon, rapporteure pour avis « Accès au droit et à la justice et aide aux victimes ». Il s’agit d’une augmentation attendue par la profession.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis « Justice administrative et judiciaire ». Indépendamment de cette progression, le Gouvernement s’est engagé à revoir la rétribution des avocats dans le cadre, d’une part, de la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel devant notaire et, d’autre part, de la procédure d’hospitalisation sous contrainte. Le Gouvernement étudie également l’extension des dispositifs de contractualisation locale entre les juridictions et les barreaux, ce qui permettrait d’améliorer la mise en œuvre de l’aide juridictionnelle et de mieux rétribuer les avocats.
Suivant l’avis de Mme Élisabeth Pochon, rapporteure pour avis, la Commission donne un avis favorable à l’amendement n° II-92 du Gouvernement. Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 57 modifié.
Après l’article 57
M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire ». Les crédits de l’administration pénitentiaire ont augmenté de 27,1 % entre 2007 et 2012 et de 14 % entre 2012 et 2017, ce qui prouve certes une tendance continue à la hausse mais aussi une légère rupture de rythme entre les deux quinquennats.
Je présente par ailleurs deux amendements qui visent à créer une contribution des détenus solvables au financement de leurs frais d’incarcération. L’amendement n° II-CL 16 prévoit une contribution qui varierait en fonction des ressources du détenu. L’amendement n° II-CL17, s’inspirant du modèle de la redevance pour service rendu, institue une contribution à montant fixe dont le produit serait affecté à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice. J’ai bien conscience que, dans le contexte politique actuel, il s’agit d’amendements d’appel.
M. Dominique Raimbourg, président. Nous nous étions penchés sur cette question en 2014, lorsque nous avons examiné les modalités de restitution des sommes bloquées sur les pécules des détenus aux parties civiles qui ne font pas connaître leur adresse. Nous avions alors constaté que les sommes dont les détenus disposent sont souvent très faibles et que le coût de leur recouvrement pourrait être supérieur aux gains attendus. Vos amendements soulèvent donc une question légitime mais à laquelle il ne peut être répondu par un système dont le coût serait supérieur aux bénéfices.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis « Justice administrative et judiciaire ». J’indique que notre collègue avait déjà déposé l’un de ces amendements lors de la discussion, en première lecture, du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle et qu’il avait été rejeté par l’Assemblée.
M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis « Administration pénitentiaire ». Les amendements que je vous soumets sont différents puisqu’il s’agit soit d’une contribution variant avec le revenu du détenu, soit d’une redevance pour le financement du service public pénitentiaire, dans les deux cas perçues sur les seuls détenus définitivement condamnés et solvables, ce qui n’était pas le cas de l’amendement que vous évoquez.
La Commission rejette les amendements nos II-CL16 et II-CL17 de M. Guillaume Larrivé.
Axe n° 1 : répondre au défi de la sous-capacité carcérale
Proposition n° 1 : dès l’été 2017, revoir le programme immobilier annoncé par le garde des Sceaux en portant de 16 000 à 20 000 le nombre de places de prison à construire et en fixant l’échéance de ce programme à 2022 au lieu de 2025.
Proposition n° 2 : mettre en place des procédures d’urbanisme dérogatoires du droit commun et accélérées, le cas échéant par la sécurisation dans la loi de la phase d’acquisition foncière, afin de réduire le délai qui sépare l’annonce de la construction d’un nouvel établissement pénitentiaire et sa mise en service réelle.
Proposition n° 3 : assouplir l’objectif de 80 % de cellules individuelles qui sous-tend le nouveau programme immobilier en augmentant le coefficient de cellules collectives à construire.
Axe n° 2 : répondre au défi de la sécurisation
Proposition n° 4 : assouplir les modalités d’organisation des fouilles sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 indépendamment de la personnalité des détenus, sans qu’il soit besoin de les motiver spécialement, ni d’en faire un rapport spécial auprès du parquet et de l’administration centrale.
Proposition n° 5 : sur décision du chef d’établissement, pour des motifs de sécurité, donner aux personnels de l’administration pénitentiaire la possibilité de réaliser des palpations de sécurité sur les tiers pour l’accès aux parloirs et aux unités de vie familiale.
Proposition n° 6 : habiliter certains agents de l’administration pénitentiaire à disposer des prérogatives reconnues aux articles 20 et 21-1 du code de procédure pénale aux agents de police judiciaire afin de leur permettre de constater des infractions et d’en appréhender les auteurs lorsqu’ils agissent dans un périmètre proche de l’établissement.
Proposition n° 7 : renforcer l’équipement de protection et de défense des surveillants pénitentiaires, notamment en adaptant les gilets pare-balles à l’exercice de leurs missions et en les autorisant, sous certaines conditions et dans des circonstances déterminées, au port et à l’usage d’armes, non létales par exemple.
Proposition n° 8 : doter chaque direction interrégionale et certains établissements pénitentiaires particulièrement exposés à des risques importants d’équipes cynotechniques de détection des objets et substances interdits en détention.
Proposition n° 9 : sécuriser les services pénitentiaires d’insertion et de probation en les dotant de dispositifs de vidéosurveillance et de filtrage aux entrées des services de milieu ouvert.
Proposition n° 10 : instaurer une contribution perçue sur les détenus solvables destinée à les faire participer aux frais de leur incarcération, notamment afin de financer, au moins en partie, le plan de sécurisation proposé par votre rapporteur pour avis.
Axe n° 3 : répondre au défi de la lutte contre la radicalisation islamiste
Proposition n° 11 : au sein d’unités spécialisées de petite taille, appliquer un régime de double isolement entre les détenus affectés à l’unité et les autres détenus d’une part, et entre les détenus au sein de l’unité d’autre part.
Proposition n° 12 : autoriser la fouille systématique des détenus affectés aux unités spécialisées, à l’entrée et à la sortie de leur cellule.
Proposition n° 13 : définir un régime de détention ad hoc pour les détenus affectés à ces unités afin d’éviter qu’ils ne bénéficient d’un régime privilégié par rapport au reste de la population pénale.
Proposition n° 14 : développer des unités spécialisées dans la prise en charge des femmes détenues islamistes et créer un régime de détention spécifique pour les mineurs prévenus ou condamnés pour faits de terrorisme, comportant un programme de prise en charge adaptée.
Proposition n° 15 : permettre le recours à la sonorisation de l’ensemble des locaux de l’unité spécialisée qui sont autant de lieux propices au prosélytisme radical : cellules, salles de culte, bibliothèques, salles de sport, cours de promenade, ateliers…
Proposition n° 16 : définir une doctrine claire et dégager les moyens humains et budgétaires suffisants pour le fonctionnement du futur service de renseignement pénitentiaire, afin de permettre non seulement la collecte de renseignements mais aussi leur traitement et leur analyse dans des conditions satisfaisantes.
• Ministère de la justice – Direction de l’administration pénitentiaire
–– M. Charles GIUSTI, chef de service, adjoint au directeur de l’administration pénitentiaire
–– M. Stéphane BREDIN, sous-directeur du pilotage et de la sécurité des services
–– M. Thomas BRIDE, adjoint à la sous-directrice des missions
–– Mme Géraldine BLIN, directrice de projet « lutte contre la radicalisation »
• Table ronde des syndicats de l’administration pénitentiaire
–– Union fédérale autonome pénitentiaire - Union nationale des syndicats autonomes Justice (UFAP-UNSA Justice) :
– M. Jean-François FORGET, secrétaire général
– M. Fabrice BEGON, secrétaire national
– M. David CALOGINE, secrétaire régional
–– Syndicat national pénitentiaire FO :
– M. Jimmy DELLISTE, secrétaire général
–– CGT Insertion-Probation :
– Mme Sabine GARROT, secrétaire nationale
– Mme Delphine COLIN, secrétaire nationale
–– Syndicat pénitentiaire des surveillants non gradés (SPS) :
– M. Philippe KUHN, délégué régional
– M. Pascal GOULARD, délégué régional
–– Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP-CFDT) :
– M. Damien PELLEN, membre du conseil national
– M. Jean-Christophe SENEZ, membre du conseil national
–– Syndicat libre justice (CFTC-SLJ) :
– M. Armand MINET, président
– Mme Maridza MAURIN, conseillère technique
– M. Jean-Marcellin BABIN, trésorier national
• Contributions écrites
–– Ambassade d’Espagne en France
–– Ambassade d’Italie en France
–– Ambassade du Royaume-Uni en France
• Maison d’arrêt d’Osny-Pontoise (Val-d’Oise)
— M. Renaud SEVEYRAS, directeur interrégional adjoint des services pénitentiaires de Paris
— M. Yves FEUILLERAT, directeur
–– des représentants locaux du syndicat national pénitentiaire FO
–– des représentants locaux de l’Union fédérale autonome pénitentiaire - Union nationale des syndicats autonomes Justice (UFAP-UNSA Justice)
• Tribunal de grande instance de Créteil
— M. Stéphane NOËL, président
–– Mme Nathalie BECACHE, procureur de la République
–– M. Jonathan ROZ, secrétaire général du parquet