______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 novembre 2012.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES(1)
sur la ratification et la mise en œuvre du protocole de Nagoya,
ET PRÉSENTÉ
PAR Mme Danielle Auroi,
Députée
——
La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; Mmes Annick GIRARDIN, Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; MM. Christophe CARESCHE, Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, M. André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Emeric BREHIER, Jean-Jacques BRIDEY, Mme Nathalie CHABANNE, M. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, M. Yves Daniel, MM. Charles de LA VERPILLIÈRE, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Jean-Claude FRUTEAU, Hervé GAYMARD, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzi HAMMADI, Michel HERBILLON, Marc LAFFINEUR, Mme Axelle LEMAIRE, MM. Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Michel LIEBGOTT, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY, Mme Paola ZANETTI.
SOMMAIRE
___
Pages
Les conséquences de la « biopiraterie » 11
Le brevetage des savoirs traditionnels, une aberration juridique 12
La logique de l’organisation de l’accès et du partage des avantages (APA) 13
L’esprit du protocole de Nagoya : instaurer une logique « gagnant-gagnant » entre fournisseurs et utilisateurs 14
I. LE PROTOCOLE DE NAGOYA, ADOPTÉ DANS LE CADRE DE LA CONVENTION SUR LA DIVERSITÉ BIOLOGIQUE, VISE À GARANTIR UN ACCÈS UNIVERSEL AUX RESSOURCES BIOLOGIQUES AINSI QU’UN JUSTE PARTAGE DES AVANTAGES TIRÉS DE LEUR EXPLOITATION 17
A. LA CONVENTION SUR LA DIVERSITÉ BIOLOGIQUE A POSÉ UN PREMIER JALON, DÈS 1992, POUR QUE L’ACCÈS AUX RESSOURCES GÉNÉTIQUES SOIT RÉGI PAR UN CADRE JURIDIQUE INTERNATIONAL 17
1. La Convention sur la diversité biologique, un socle pour mener à bien des actions concrètes en faveur de la sauvegarde du patrimoine biologique mondial 17
2. La question des ressources génétiques, abordée dans la Convention sur la diversité biologique mais avec un degré de précision insuffisant 18
B. LE PROTOCOLE DE NAGOYA SUR L’ACCÈS AUX RESSOURCES GÉNÉTIQUES ET LE PARTAGE JUSTE ET ÉQUITABLE DES AVANTAGES DÉCOULANT DE LEUR UTILISATION, DIT « ACCÈS ET PARTAGE DES AVANTAGES », ADOPTÉ EN 2010, COMBLE LES LACUNES DE LA CONVENTION SUR LA DIVERSITÉ BIOLOGIQUE 20
a) Les principes cardinaux du protocole 20
b) Une portée dépendant de l’investissement des parties signataires 22
3. Trois catégories d’obligations incombant aux parties et aux entreprises utilisatrices 22
a) Obligations en matière d’accès (articles 6, 7 et 8) 22
b) Obligations en matière de partage des avantages (articles 5, 9, 10 et 12) 23
c) Obligations en matière de contrôle a posteriori (articles 13, 15, 16, 17 et 18) 23
d) Dispositions spécifiques concernant la participation des communautés autochtones et locales 24
II. DEUX PROPOSITIONS DE TEXTES EUROPÉENS, DÉPOSÉES LES 4 ET 5 OCTOBRE 2012, OUVRENT DES PERSPECTIVES INTERNATIONALES INTÉRESSANTES EN CE QUI CONCERNE L’ACCÈS ET LE PARTAGE DES AVANTAGES 25
A. LA COMMISSION EUROPÉENNE PROPOSE D’APPLIQUER LE PROTOCOLE DE NAGOYA AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE, À TRAVERS DEUX TEXTES, TENDANT, D’UNE PART, À RATIFIER LE PROTOCOLE DE NAGOYA ET, D’AUTRE PART, À LE METTRE EN œUVRE DANS L’UNION EUROPÉENNE 25
1. Méthode de mise en œuvre proposée par la Commission européenne au niveau communautaire 25
a) Les échéances prévues dans le protocole 25
b) La démarche communautaire 25
c) La discussion dans les instances législatives européennes 26
(3) Le rapport parlementaire sur les droits de propriété intellectuelle et les ressources génétiques 27
2. Base juridique des deux propositions de règlements 28
3. Coordination avec les démarches de ratification menées au niveau national 29
B. L’ADOPTION DES DEUX TEXTES EST SOUHAITABLE, MOYENNANT QUELQUES AMENDEMENTS À LA PROPOSITION DE RÈGLEMENT AFIN DE RENFORCER SON EFFET CONTRAIGNANT SUR LES PRATIQUES DES UTILISATEURS 30
1. Les contraintes sur les utilisateurs de ressources génétiques (articles 4, 7, 8, 9, 10 et 11) 30
a) Le devoir de diligence 30
b) Les bonnes pratiques 31
c) Les contrôles et les sanctions 31
d) Le risque d’une législation moins-disante par rapport aux prescriptions du protocole 32
2. La labellisation des collections de ressources génétiques (article 5) 32
3. La nomination d’une autorité compétente (article 6) 33
4. La question de l’accès aux ressources (article 13) 33
5. Mesures complémentaires (article 14) 35
C. LA RATIFICATION PAR L’UNION EUROPÉENNE OUVRIRA DE NOUVELLES PERSPECTIVES EN MATIÈRE D’ACCÈS ET DE PARTAGE DES AVANTAGES, SUR NOTRE CONTINENT ET AU-DELÀ 35
1. Au niveau global, un signal fort en faveur d’une régulation universelle de l’accès et le partage des avantages 35
2. La ratification et la mise en œuvre du protocole par la France 36
a) La situation actuelle : malgré une appropriation administrative du sujet, une absence criante de dispositif opérationnel 36
b) Un dispositif « accès et partage des avantages » dans la future loi-cadre relative à la biodiversité 37
3. La nécessité de dégager des moyens financiers 37
4. La défense des intérêts matériels et moraux des communautés et groupes autochtones 38
TRAVAUX DE LA COMMISSION 41
CONCLUSIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION 43
GLOSSAIRE 47
ANNEXES 49
ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 51
ANNEXE 2 : NOTE DU MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES DU MEXIQUE 53
ANNEXE 3 : PROCÉDURE D'ADOPTION DES ACCORDS INTERNATIONAUX PAR L’UNION EUROPÉENNE 63
À partir des années quatre-vingt, plusieurs secteurs industriels ont développé une pratique contestée : la collecte de ressources naturelles de la planète et de connaissances traditionnelles relatives à leur bon usage, afin de les exploiter commercialement. Ces opérations, conduites sans démarches préalables d’autorisation auprès des autorités nationales et sans dispositifs de compensation en faveur des populations locales, constituent essentiellement un transfert de richesse du Sud – réservoir de la majeure partie de la biodiversité mondiale – vers le Nord, sans compensations monétaires ou non monétaires.
Le protocole de Nagoya, dit « accès et partage des avantages » (APA), rédigé en octobre 2010, lors de la 10e Conférence des parties (CdP) à la Convention sur la diversité biologique (CDB), érige la « biopiraterie » en objet juridique et se donne pour ambition de venir à bout de cette pratique déloyale. Son article 1er lui donne en effet pour objectif « le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert approprié des technologies pertinentes, compte tenu de tous les droits sur ces ressources et aux technologies et grâce à un financement adéquat, contribuant ainsi à la conservation de la diversité biologique et à l’utilisation durable de ses éléments constitutifs ».
Il s’agit de subordonner l’utilisation de ressources génétiques à trois conditions : l’obtention du consentement du pays fournisseur préalablement à toute démarche de prospection et de collecte ; le versement de contreparties monétaires ou non monétaires, pouvant prendre la forme de redevances financières ou de coopération en recherche et développement ; un réinvestissement d’une partie des bénéfices dans la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité.
Le secrétariat de la CDB ne disposant d’aucun moyen coercitif et la communauté internationale n’étant pas prête à marcher en ligne sur ce dossier, le protocole de Nagoya est le seul instrument international qui permette d’agir contre la « biopiraterie ». Il ne doit cependant pas être considéré comme la panacée ; l’efficacité de sa mise en œuvre dépendra de la détermination des parties signataires à intégrer dans leur droit des dispositions contraignantes pour les utilisateurs ressortissantes de leur juridiction.
Signé par l’Union européenne le 23 juin 2011, ainsi que par vingt-quatre de ses États membres – dont la France, le 20 septembre 2011 –, il n’a cependant encore été ratifié que par huit pays, dont aucun de notre continent.
La Commission européenne propose d’accélérer l’intégration des règles contenues dans cet accord international, à travers deux textes, qui ont respectivement été soumis au Conseil et au Parlement européen le 5 et le 4 octobre 2012 : une proposition de décision du Conseil portant ratification du protocole ; une proposition de règlement tendant à créer un cadre de mise en œuvre au niveau communautaire.
En s’emparant de ces deux propositions avec célérité, la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale marque son intérêt envers une question stratégique pour les intérêts de la France, de l’Union européenne et de l’humanité.
Premièrement, la France présente une spécificité : d’une part, grand pays industriel très actif en matière de recherche, de développement et de valorisation, elle est « utilisatrice » de ressources génétiques ; d’autre part, à travers ses départements et collectivités d’outre-mer – particulièrement la Guyane et les îles du Pacifique –, c’est aussi un pays « fournisseur » de ressources génétiques. Si la France n’est pas le seul pays du monde à posséder ce double statut, cette spécificité n’en est pas moins rare. Un volet du projet de loi-cadre relatif à la biodiversité que le Gouvernement s’apprête à déposer sera du reste consacré à l’APA.
Deuxièmement, depuis plus d’une dizaine d’années, dans une double optique de protection environnementale de son propre territoire et de contribution à l’effort global en faveur des équilibres écologiques planétaires, l’Union européenne s’attache à conduire une politique d’ensemble en faveur du développement durable, incluant les aspects biodiversité, plus particulièrement la question de la gestion des ressources génétiques. Sa stratégie sectorielle « La biodiversité, notre assurance-vie et notre capital naturel » – participant à la stratégie Europe 2020 –, qu’elle a adoptée, le 3 mai 2011, en vue de conserver et d’améliorer l’état de la biodiversité d’ici à 2020, fixe ainsi comme objectif de « réglementer l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des bénéfices résultant de leur utilisation », ce qui passe par la ratification et la mise en œuvre du protocole de Nagoya.
Ce rapport d’information, élaboré au terme d’un court cycle d’auditions, comporte une série de recommandations ayant vocation à être intégrées dans les négociations communautaires à venir : d’une part en vue d’encourager la ratification du protocole de Nagoya par l’Union européenne comme par ses États membres ; d’autre part dans le souci d’améliorer le contenu de la proposition de règlement, au regard de la situation spécifique de la France mais aussi de la nécessité de protéger efficacement les droits des pays du Sud ainsi que de leurs communautés autochtones.
Il doit être considéré comme un travail d’étape. En effet, compte tenu de la durée prévisible des discussions entre co-législateurs, mais aussi de la nécessité de suivre, à l’échelle européenne et mondiale, la façon dont le protocole de Nagoya produira progressivement ses effets, la Commission des affaires européennes pourra être amenée à se saisir de nouveau du sujet. En outre, plus généralement, les dispositifs et les résultats de la politique européenne de sauvegarde de la biodiversité mériteraient sans doute d’être investigués au cours de la législature.
INTRODUCTION :
GÉNÉRALITÉS SUR LES RESSOURCES GÉNÉTIQUES
ET LA BIOPIRATERIE
Mesdames, Messieurs,
Les industries des secteurs chimique, pharmaceutique, agroalimentaire, cosmétique et horticole collectent des ressources naturelles de la planète et des connaissances traditionnelles relatives à leur bon usage, afin d’isoler des gènes en vue de reproduire artificiellement puis d’exploiter commercialement certaines substances à forte valeur ajoutée. Ces opérations d’appropriation privée de richesses naturelles et culturelles en vue de leur marchandisation, conduites sans démarches préalables d’autorisation auprès des autorités nationales et sans dispositifs de compensation en faveur des groupes autochtones, se sont beaucoup développées depuis les années quatre-vingt, en particulier dans les pays du Sud, qui concentrent une grande partie de la biodiversité mondiale, du fait :
- du processus de mondialisation et du déficit de régulation internationale des pratiques commerciales ;
- des progrès en matière de génie génétique, qui ont ouvert de nouvelles perspectives à la sélection animale et végétale.
Ce pillage du patrimoine génétique mondial, qualifié de « biopiraterie », doit être combattu, à travers l’instauration d’un cadre juridique international décliné dans les législations nationales, pour trois raisons.
Premièrement, l’utilisation sans autorisation de ressources biologiques(2) ou de savoirs ancestraux qui y sont associés spolie les populations indigènes de leurs droits sur un patrimoine collectif.
Deuxièmement, les profits engendrés par la valorisation des brevets sont monopolisés par les industriels, sans aucune retombée financière pour l’économie domestique des pays d’origine.
Troisièmement, et peut-être plus grave encore, le brevetage abusif de ressources biologiques oblige les communautés autochtones à payer à leurs nouveaux propriétaires des droits sur la propriété intellectuelle pour rester habilités à les extraire ou à les produire puis à les exploiter. Le surenchérissement des coûts qui en résulte remet en cause des modèles de production fragiles, au point que cela peut s’avérer fatal aux économies de subsistance auxquelles ils sont associés et à des systèmes sociaux tout entiers. De surcroît, ce brevetage abusif conduit parfois à l’appauvrissement de la biodiversité locale, avec la mise en place d’une monoculture ou d’une mono-collecte de la ressource biologique convoitée par l’industrie.
Il s’agit de préconiser aux organismes compétents en Europe – les offices nationaux et surtout l’Office européen des brevets (OEB) – la plus grande vigilance et la plus grande rigueur pour qu’il ne soit pas conféré de monopole de droit sur les espèces biologiques sources.
Le clivage mondial est particulièrement marqué dans ce domaine puisque 90 % des ressources naturelles se situent au Sud de la planète, tandis que 97 % des brevets tirés de l’exploitation de ces ressources sont détenus par des agents économiques du Nord.
En principe, pour ne pas être contestable devant la justice et susceptible d’annulation, un brevet doit respecter quatre critères. L’invention doit impérativement :
- comporter une caractéristique nouvelle, étrangère au fonds des connaissances existantes dans l’état de la technique ;
- impliquer une activité réellement inventive, c’est-à-dire ne pas être évidente pour quiconque possédant une connaissance moyenne du domaine technique considéré ;
- avoir une utilité pratique ou pouvoir faire l’objet d’une application industrielle ;
- entrer dans le champ des objets brevetables délimité par le droit national.
De ce fait, un brevet fondé sur des savoirs traditionnels(3) est par définition illégal puisqu’il enfreint les deux premières conditions, dite « critère de nouveauté » et « critère d’inventivité ». Toutefois, lorsqu’il s’agit de faire valoir leurs droits, les groupes autochtones peuvent se trouver dépourvus, face à des multinationales disposant de ressources financières et juridiques sans commune mesure avec les leurs. Quand ils obtiennent gain de cause, avec le soutien d’organisations non gouvernementales et après des années de procédures, les dégâts sur les équilibres sociaux et écologiques sont souvent irréparables.
L’organisation de l’accès et du partage des avantages (APA), pour ces groupes humains, constitue une alternative précieuse au système du brevetage, dans lequel ils sont presque systématiquement perdants. Il s’agit en effet de subordonner l’utilisation de ressources génétiques à trois conditions :
- l’obtention du consentement du pays fournisseur préalablement à l’accès sur une partie de son territoire dans une optique de prospection et/ou de collecte ;
- le partage des avantages consécutifs à la valorisation commerciale de produits issus de ces ressources génétiques, par le biais de contreparties monétaires ou non monétaires, pouvant prendre la forme de redevances financières ou de coopération en recherche et développement ;
- un réinvestissement d’une partie des bénéfices dans la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité.
Source : ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Dans un ouvrage de 2002(4), la chercheuse et activiste indienne Vandana Shiva défendait une logique alternative à la « biopiraterie », susceptible de fonder une démarche de cogestion internationale des ressources offertes par la biodiversité : « La biodiversité a toujours été une ressource locale commune. Une ressource est un bien communautaire, à condition que les systèmes sociaux permettent de l’utiliser selon des principes de justice et de durabilité. Ceci implique que ses usagers aient conscience de leurs droits et de leurs responsabilités, de la nécessité d’équilibrer son utilisation et sa conservation, d’un état de co-production avec la nature et d’un don échangé entre les membres de la communauté. »
L’esprit du protocole de Nagoya : instaurer une logique « gagnant-gagnant » entre fournisseurs et utilisateurs
Pour se protéger contre la « biopiraterie », les États du Sud n’ont comme unique recours que d’adopter des mesures restrictives entravant de façon draconienne l’accès à leurs ressources génétiques, au détriment de la recherche académique publique et de l’innovation scientifique et technologique au niveau mondial, cruciales pour le développement économique du futur.
Cet « effet boomerang » frappe les grandes entreprises industrielles du Nord, principales responsables des actes de « biopiraterie ». Dans le secteur pharmaceutique, par exemple, 26 % des nouveaux médicaments approuvés au cours des trente dernières années étaient des produits naturels ou issus de produits naturels ; un tarissement du flux de ressources biologiques ferait obstacle à des avancées scientifiques, sources de profits pour l’industrie, dans des pays frappés par la crise de leur appareil productif et en quête de croissance.
La filière du médicament, comme les autres filières concernées – même si la traçabilité des molécules est complexe en pharmacologie –, ont donc aussi intérêt, paradoxalement, à une coopération internationale en matière de gestion des ressources génétiques, dans la mesure où la possibilité d’y accéder dans les pays du Sud ne saurait être décemment garantie qu’en contrepartie de l’adoption de bonnes pratiques en matière de coopération scientifique et de partage des bénéfices.
I. LE PROTOCOLE DE NAGOYA, ADOPTÉ DANS LE CADRE
DE LA CONVENTION SUR LA DIVERSITÉ BIOLOGIQUE,
VISE À GARANTIR UN ACCÈS UNIVERSEL
AUX RESSOURCES BIOLOGIQUES
AINSI QU’UN JUSTE PARTAGE
DES AVANTAGES TIRÉS DE LEUR EXPLOITATION
A. La Convention sur la diversité biologique a posé un premier jalon, dès 1992, pour que l’accès aux ressources génétiques soit régi par un cadre juridique international
1. La Convention sur la diversité biologique, un socle pour mener à bien des actions concrètes en faveur de la sauvegarde du patrimoine biologique mondial
Lors de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de juin 1992 – dite « Sommet de la terre de Rio » –, la communauté internationale a adopté trois accords correspondant à trois enjeux environnementaux majeurs, dont la Convention sur la diversité biologique (CDB), qui fournit un cadre juridique mondial d’action en faveur de la biodiversité(5). Entrée en vigueur le 29 décembre 1993 – quatre-vingt-dix jours après l’enregistrement de la trentième ratification –, elle poursuit trois objectifs :
- la conservation de la diversité biologique ;
- l’utilisation durable des composantes de la diversité biologique ;
- le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, thème de la proposition de règlement dont il sera question dans la présente communication.
L’adoption de la CDB avait été préparée, à partir de 1988, par des travaux exploratoires de groupes d’experts du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), partant du constat que la diversité biologique, ou biodiversité, s’appauvrissait dans des proportions alarmantes. En effet, dans l’histoire de la terre, hormis les épisodes de cataclysmes planétaires, jamais le rythme de disparition des espèces animales ou végétales n’a été aussi rapide : avec un nombre annuel de disparitions évalué dans une fourchette de 50 000 à 100 000, il est 100 à 1 000 fois supérieur à une évolution naturelle, épargnée par la pression des activités humaines et par l’impact des comportements sociaux.
Or la biodiversité est primordiale, non seulement pour le développement économique et social de l’humanité, mais aussi, dans un horizon lointain, pour sa survie même. Pour les générations actuelles et futures, sa valeur est par conséquent inestimable.
Les 193 pays qui ont ratifié la CDB à ce jour – parmi lesquels figurent l’Union européenne et ses vingt-sept États membres(6) – se rencontrent au moins tous les deux ans au sein de la Conférence des Parties (CdP)(7), son organe directeur, afin d’examiner les progrès réalisés dans sa mise en œuvre, de promouvoir la réalisation de ses objectifs, de fournir des orientations politiques et d’adopter des programmes de travail. La CdP s’est réunie à onze reprises ; sa dernière session vient de se tenir, du 8 au 19 octobre, à Hyderabad, en Inde.
2. La question des ressources génétiques, abordée dans la Convention sur la diversité biologique mais avec un degré de précision insuffisant
Les signataires de la CDB, à laquelle l’Union européenne est donc partie, reconnaissaient pour la première fois aux États, dans son article 15, le « droit de souveraineté sur leurs ressources naturelles » et aux gouvernements « le pouvoir de déterminer l’accès aux ressources génétiques », régi par les législations nationales. Ils s’engageaient en conséquence :
- d’un côté, pour les pays dits « fournisseurs »(8) aux termes de l’article 2 de la CDB , à faciliter, pour les autres parties contractantes, « l’accès aux ressources génétiques » disponibles sur leur territoire, à condition qu’elles fassent ensuite l’objet d’une « utilisation écologiquement rationnelle » ;
- de l’autre, pour les pays dits « utilisateurs »(9), à associer autant que possible les pays « fournisseurs » aux « recherches scientifiques fondées sur les ressources génétiques » et surtout à leur garantir un « partage juste et équitable des résultats de la recherche et de la mise en valeur ainsi que des avantages résultant de [leur] utilisation commerciale ».
Quelques précisions sont apportées :
- concernant les modalités de partenariat dans les articles 16, 17, 18 et 19, relatifs respectivement :
• à l’accès à la technologie et au transfert de technologie ;
• à l’échange d’informations ;
• à la coopération technique et scientifique ;
• à la gestion de la biotechnologie et à la répartition de ses avantages ;
- concernant les modalités financières dans les articles 20 et 21, relatifs respectivement :
• aux sources de financement ;
• aux modalités de financement.
Néanmoins, la CDB s’est avérée insuffisamment précise et injonctive pour que des résultats tangibles puissent être obtenus en matière d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages, pour deux raisons :
- d’une part, elle restait trop vague quant au dispositif organisationnel susceptible de mettre en pratique le système qu’elle imagine ;
- d’autre part, les pays industrialisés ne se sont pas sentis liés et n’ont pas adopté de mesures significatives en faveur d’un partage effectif des avantages.
Au total, seuls une vingtaine de pays ont adopté des législations nationales relatives à la gestion des ressources génétiques. Durant les vingt ans qui se sont écoulés depuis le Sommet de la terre, les progrès enregistrés en matière de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité s’en sont sérieusement ressentis dans les sanctuaires de la biodiversité africains, latino-américains et asiatiques.
B. Le protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation, dit « accès et partage des avantages », adopté en 2010, comble les lacunes de la Convention sur la diversité biologique
La nécessité de donner une consistance juridique aux principes définis à Rio motive l’organisation, en octobre 2001, à Bonn, d’une réunion gouvernementale, qui énonce des « lignes directrices » très détaillées, destiné à aider les États et les autres intervenants :
- à élaborer des stratégies concernant l’accès et le partage des avantages ;
- à déterminer les étapes du processus d’accès à leurs ressources génétiques et de partage des avantages ;
- à établir des mesures législatives, administratives ou de politique générale sur l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages ;
- à bien négocier des contrats en la matière.
Ce projet de « lignes directrices » sera adopté, moyennant quelques modifications, par la 6e CdP, à La Haye, en avril 2002.
Au Sommet mondial sur le développement durable d’août-septembre 2002 – dit « Sommet de la terre de Johannesburg » –, les chefs d’État et de gouvernement, considérant que la situation exige d’élaborer un vrai cadre international de gestion coopérative des ressources génétiques, appellent à « négocier, dans le cadre de la CDB, en gardant à l’esprit les Lignes directrices de Bonn, un régime international pour promouvoir et garantir un partage juste et équitable des bienfaits découlant de l’utilisation des ressources génétiques »(10).
Au terme de huit ans de négociations internationales conduites au sein d’un groupe de travail spécial du secrétariat de la CDB, l’adoption du protocole de Nagoya, par consensus, par les 193 parties à la CDB fut la décision principale prise – in extremis – lors de la 10e CdP, en octobre 2010.
D’après son article 4, alinéa 4, il « est l’instrument de l’application des dispositions de la Convention relatives à l’accès et au partage des avantages ». Il a pour objectif, en vertu de son article 1er, « le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert approprié des technologies pertinentes, compte tenu de tous les droits sur ces ressources et aux technologies et grâce à un financement adéquat, contribuant ainsi à la conservation de la diversité biologique et à l’utilisation durable de ses éléments constitutifs ».
Outre la question de la transparence et de la stabilité juridique des conditions d’accès aux ressources génétiques, dont la responsabilité incombera aux parties, il s’agit essentiellement d’instaurer un cadre légal international contraignant pour les entreprises prélevant à l’étranger des ressources génétiques et/ou des connaissances traditionnelles associées à ces ressources. En effet, une fois le protocole entré en vigueur :
- il leur sera fait obligation de respecter certaines conditions pour être autorisée à acquérir et à utiliser des ressources génétiques et/ou des connaissances traditionnelles associées ;
- elles devront partager avec les pays d’origine et les communautés locales les profits financiers et les découvertes scientifiques obtenus grâce aux brevets développés à partir des prélèvements effectués.
Pour commencer, avant d’envisager tout prélèvement, les utilisateurs potentiels de ressources génétiques devront solliciter le « consentement préalable donné en connaissance de cause » du pays. Dans le même esprit, les conditions d’accès et d’utilisation de ces ressources seront négociées et convenues ex ante, « d’un commun accord ». Les défenseurs des droits des populations autochtones ont regretté que les tractations, sur ces points, n’impliquent que les autorités étatiques, à l’exclusion des groupes locaux concernés, dont les intérêts ne sont pas toujours pris en considération par leurs gouvernements.
La responsabilité de la mise en application et du contrôle de ces mesures se fera évidemment sous l’autorité de chacun des États parties au protocole, pour ce qui concernera sa juridiction.
Enfin, en contrepartie des obligations faites aux entreprises, les pays fournisseurs des ressources génétiques devront prévoir des règles et procédures d’accès justes et non arbitraires à leurs ressources génétiques.
À Nagoya, la « biopiraterie » devient un objet juridique, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dont l’article 27, alinéa 2, stipule : « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. »
Le secrétariat de la CDB ne disposant d’aucun moyen coercitif et la communauté internationale n’étant pas prête à marcher en ligne sur ce dossier, le protocole ne doit toutefois pas être considéré comme la panacée ; s’il représente un outil juridique utile et adapté aux enjeux, l’efficacité de sa mise en œuvre dépendra de la détermination des parties signataires à lutter contre la « biopiraterie » en intégrant dans leur droit national des dispositions contraignante pour les utilisateurs ressortissants de leur juridiction. Cette considération doit inciter l’Europe et à la France à agir comme éléments précurseurs parmi les pays développés.
Pour libéraliser l’accès à ses ressources génétiques, chaque pays adhérant au protocole de Nagoya devra :
- assurer la sécurité juridique et la transparence des exigences internes imposées aux étrangers acquéreurs potentiels de ressources génétiques ;
- établir une procédure de consentement préalable claire ;
- adopter des procédures d’accès justes et non arbitraires ;
- une fois l’accès accordé, prévoir la délivrance de permis ;
- créer les conditions pour promouvoir et encourager la recherche contribuant à la conservation de la biodiversité et l’utilisation durable des ressources ;
- tenir compte des cas d’urgence actuels ou imminents menaçant l’homme, la santé animale ou végétale, ou la sécurité alimentaire.
Pour assurer un juste partage des avantages, le protocole de Nagoya prévoit des dispositions contraignantes pour les États utilisateurs et un mécanisme multilatéral mondial.
Les États utilisateurs devront :
- prendre des mesures garantissant un partage juste et équitable, avec les pays fournisseurs, des avantages découlant de l’utilisation au sens large des ressources génétiques, incluant les bénéfices liés à leur commercialisation ou à la commercialisation des applications issues de la recherche et du développement ;
- mettre sur pied des dispositifs de coopération associant les pays fournisseurs aux activités de recherche et de développement menées sur la composition génétique et/ou biochimique des ressources génétiques prélevées.
Les modalités de partage des avantages obéiront à des conditions convenues d’un commun accord. Les avantages seront monétaires ou non monétaires : ils pourront par exemple se matérialiser sous la forme de redevances financières ou de transferts de technologies.
Le Protocole de Nagoya propose en outre la création d’un mécanisme multilatéral mondial pour traiter le partage des avantages résultant de l’utilisation des ressources génétiques situées dans des zones transfrontières ou dans des situations où il n’est pas possible d’obtenir le consentement préalable donné en connaissance de cause. Les modalités de ce mécanisme restent néanmoins à définir.
Le protocole de Nagoya innove en confiant aux États des obligations spécifiques destinées à garantir le respect des obligations législatives, réglementaires et contractuelles. Les parties contractantes devront ainsi :
- désigner un correspondant national pour l’accès et le partage des avantages ;
- vérifier que les ressources génétiques utilisées dans leur juridiction auront été obtenues suite à un consentement préalable en connaissance de cause et dans le cadre de conditions convenues d’un commun accord ;
- coopérer en cas de violation alléguée des exigences prescrites par une autre partie contractante ;
- privilégier le règlement des différends relatifs aux conditions convenues d’un commun accord par l’établissement de dispositions contractuelles ;
- accorder des possibilités de recours, dans le cadre de leurs systèmes juridiques, en cas de différend portant sur les conditions convenues d’un commun accord ;
- garantir l’accès à la justice ;
- surveiller l’utilisation des ressources génétiques, notamment en désignant des points de contrôle efficaces à tous les stades de la chaîne de valeur, de la recherche à la commercialisation en passant par le développement et l’innovation.
Des dispositions du protocole visent spécifiquement la participation effective des communautés autochtones et locales dans la procédure d’APA :
- il assimile systématiquement ressource génétique et connaissances traditionnelles associées ;
- il prend note, dans son préambule, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ;
- il garantit la participation des communautés dans le processus d’autorisation d’accès à leurs connaissances traditionnelles ;
- il autorise les communautés, lorsque la législation nationale le prévoit, à s’impliquer dans les opérations de prélèvement de ressources leur appartenant, notamment de celles qui se trouvent sur des terres de statut coutumier ;
- il enjoint aux États de prendre en compte les lois coutumières dans le processus d’APA, dès lors qu’elles sont reconnues par les législations nationales.
II. DEUX PROPOSITIONS DE TEXTES EUROPÉENS,
DÉPOSÉES LES 4 ET 5 OCTOBRE 2012,
OUVRENT DES PERSPECTIVES INTERNATIONALES INTÉRESSANTES
EN CE QUI CONCERNE L’ACCÈS ET LE PARTAGE DES AVANTAGES
A. La Commission européenne propose d’appliquer le protocole de Nagoya au niveau communautaire, à travers deux textes, tendant, d’une part, à ratifier le protocole de Nagoya et, d’autre part, à le mettre en œuvre dans l’Union européenne
Le protocole de Nagoya était ouvert à la signature au siège de l’Organisation des Nations unies du 2 février 2011 au 1er février 2012. Il a été signé par l’Union européenne, le 23 juin 2011, suite à l’adoption d’une décision du Conseil(11), ainsi que par la plupart de ses États membres(12), dont la France, le 20 septembre 2011.
Il entrera en vigueur quatre-vingt-dix jours après avoir été ratifié par cinquante États. La CDB prévoit qu’il soit opérationnel d’ici à 2015(13) mais, à ce jour, seuls huit États ont ratifié : le Gabon, la Jordanie, le Rwanda, les Seychelles, le Mexique, le Laos puis, ces dernières semaines, l’Inde et Fidji. Notons qu’aucun État membre de l’Union européenne n’a encore adopté d’instrument de ratification.
Avant de mener à bien la ratification au niveau communautaire, la Commission européenne a organisé des consultations bilatérales avec des pays tiers, une consultation publique puis des consultations ad hoc auprès d’experts, de scientifiques et de fédérations professionnelles intéressées.
L’action 20 de sa communication du 3 mai 2011 « La biodiversité, notre assurance-vie et notre capital naturel – Stratégie de l’UE à l’horizon 2020 »(14) porte sur le sujet : « Réglementer l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des bénéfices résultant de leur utilisation. » La Commission européenne y indique qu’elle « proposera une législation visant à mettre en œuvre dans l’UE le protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des bénéfices résultant de leur utilisation, pour que l’UE puisse ratifier le protocole dans les meilleurs délais et au plus tard en 2015, conformément à l’objectif fixé au niveau mondial. »
Au terme de ce processus de réflexion interne, la Commission européenne vient de déposer deux propositions de textes tendant à la mise en œuvre du protocole de Nagoya au niveau européen :
- une « proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’accès aux ressources génétiques et au partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation dans l’Union » ;
- une « proposition de décision du Conseil concernant la conclusion du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique ».
D’après la Commission européenne, les négociations communautaires pourraient durer environ dix-huit mois avant que les textes ne soient adoptés. Ce délai, qui peut paraître trop long de prime abord, eu égard aux enjeux pour la biodiversité et les droits des groupes autochtones, peut cependant constituer un temps utile pour diffuser de nouvelles logiques parmi les industriels et leur permettre d’anticiper l’entrée en vigueur du protocole en accélérant leur adoption de bonnes pratiques.
Quoi qu’il en soit, l’objectif de la Commission européenne est d’aboutir au plus tard à l’été 2014, c’est-à-dire avant la CdP de l’automne 2014, afin de pouvoir participer dès le départ aux discussions entre les parties pour assurer la mise en œuvre du protocole.
Dans le communiqué final de la réunion du 25 octobre 2012 du Conseil environnement, il est indiqué que les ministres ont « pris connaissance des informations communiquées par la Commission » au sujet de la proposition de règlement, ajoutant que le date de son entrée en vigueur « devrait être étroitement liée à celle de l’entrée en vigueur du protocole de Nagoya, et ce afin de garantir des conditions équitables tant au niveau mondial qu’au niveau de l’Union ».
Alors que les discussions interministérielles n’ont pas encore débuté en France, le groupe d’experts environnement du Comité des représentants permanents (COREPER) a débattu du dossier, pour la première fois, le 5 novembre 2012. Le COREPER en tant que tel devrait s’en saisir début 2013.
Au Parlement européen, outre la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire, saisie au fond, la proposition de règlement devrait être examinée pour avis, en principe, par quatre commissions :
- développement ;
- développement régional ;
- agriculture et développement rural ;
- pêche.
Le 25 octobre 2012, au lendemain de sa nomination, la rapporteure au fond sur les deux textes, Mme Sandrine Bélier (Verts-Alliance libre européenne, France), a insisté sur la responsabilité pesant sur l’Union européenne : « Avec le protocole de Nagoya, nous pouvons mettre fin à la biopiraterie, adopter un système plus équitable favorable aux populations détentrices des ressources naturelles et à la préservation de la biodiversité. […] Notre défi tient au temps, à l’efficacité et à la bonne volonté de tous pour que l’Union européenne participe à la dynamique internationale de ratification du protocole pour une mise en application avant le prochain sommet mondial de la biodiversité en 2014. »
(3) Le rapport parlementaire sur les droits de propriété intellectuelle et les ressources génétiques
Parallèlement à la démarche législative, notons que Mme Catherine Grèze (Verts-Alliance libre européenne, France), le 18 septembre dernier, a présenté devant la commission du développement du Parlement européen un projet de rapport sur une procédure d’initiative législative portant sur « les aspects relatifs au développement des droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques : conséquences pour la réduction de la pauvreté dans les pays en développement »(15).
Dans sa recommandation 14, il est proposé que le Parlement européen :
- « souligne que les objectifs de la Convention sur la diversité biologique ne seront atteints qu’à condition de parvenir à un partage juste et équitable des avantages » ;
- « demande instamment à l’Union européenne et à ses États membres d’appeler à une ratification rapide du protocole de Nagoya afin de lutter contre la biopiraterie et de rétablir la justice et l’équité dans l’échange de ressources génétiques » ;
- « souligne le rôle de la coopération au développement de l’Union pour proposer aux pays en développement une aide concernant le renforcement des capacités juridiques et institutionnelles sur les questions d’accès et de partage des avantages ».
Le règlement est un acte législatif obligatoire dans toutes ses dispositions : il est directement applicable dans l’ordre juridique des États membres, qui sont tenus de les mettre en œuvre tels quels, sans en limiter les effets juridiques mais sans aller au-delà de ce qui est enjoint. Il est en outre de portée générale : il s’impose à tous les sujets de droit, qu’il s’agisse des particuliers, des personnes physiques ou des États membres.
D’après l’article 192, alinéa 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : « Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire […], décident des actions à entreprendre par l’Union en vue de réaliser les objectifs » de cette dernière en matière d’environnement.
La décision est un acte juridique non législatif. Comme le règlement, elle est obligatoire dans toutes ses dispositions et applicable directement, sans qu’il soit nécessaire de la transposer dans le droit national. Elle se distingue du règlement en ce qu’elle n’est pas un texte à portée générale : elle ne s’applique qu’à des destinataires cités expressément.
L’article 218, alinéa 6, du TFUE dispose en particulier : « Le Conseil […] adopte une décision portant conclusion » – c’est-à-dire ratification – des accords internationaux dont l’Union est signataire. Il ajoute que « l’approbation du Parlement européen » est requise préalablement.
La Commission européenne a enjoint aux États membres de ne pas procéder à la ratification du protocole avant l’Union européenne, ce qui, selon elle, constituerait une violation des traités, dans la mesure où l’environnement est un domaine ressortissant d’une compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres, au titre de l’article 4, alinéa 2 e) du TFUE. Le Gouvernement français a demandé à la Commission européenne et au Conseil de lui fournir un avis juridique justifiant cette analyse ; mais la Commission européenne, en dépit des relances françaises, n’a pas motivé sa position dans le détail, tandis que le service juridique du Conseil s’alignait sur l’avis de la Commission européenne.
De fait, ni les traités – notamment l’article 218 du TFUE, qui pose les principes et organise la procédure présidant à la négociation et à la conclusion des accords internationaux – ni la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) n’interdit aux États membres de ratifier un texte international avant l’Union européenne(16). L’article 4, alinéa 3, du traité sur l’Union européenne (TUE) rappelle certes le principe de « coopération loyale », en vertu duquel l’Union européenne et les États membres :
- « se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités » ;
- « prennent toute mesure générale ou particulière propre à exécuter les obligations découlant des traités » ;
- « s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union ».
Cette disposition ne semble pas s’appliquer en l’espèce, dans la mesure où il s’agirait de conduire parallèlement des démarches convergeant vers le même objectif.
La position tranchée de la Commission européenne explique néanmoins la réponse de Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, à la question d’actualité posée le 9 octobre 2012 par votre rapporteure : « La France pourra le ratifier dès lors que l’Union européenne l’aura elle-même ratifié. Nous nous sommes engagés à ce que ce soit chose faite d’ici 2014. C’est en effet essentiel pour protéger l’accès aux ressources génétiques et assurer un partage équitable de ces ressources. »(17)
Plusieurs États membres avaient pourtant manifesté le souhait de ratifier rapidement le protocole. C’est en particulier le cas de l’Espagne, du Portugal et du Danemark, ce troisième pays étant même prêt à déposer son instrument législatif(18).
B. L’adoption des deux textes est souhaitable, moyennant quelques amendements à la proposition de règlement afin de renforcer son effet contraignant sur les pratiques des utilisateurs
Au terme d’une analyse d’impact des mesures susceptibles d’être prises au niveau européen, la Commission européenne propose aux co-législateurs un schéma qu’elle juge optimal pour :
- lutter contre la « biopiraterie » en protégeant les droits des pays et des communautés autochtones et locales qui donnent l’autorisation d’utiliser leurs ressources génétiques et les connaissances traditionnelles qui y sont associées ;
- faciliter la recherche fondée sur la nature en octroyant aux chercheurs publics et privés européens un accès plus fiable à des échantillons de ressources génétiques de qualité, à un prix intéressant et avec une grande sécurité juridique.
Il sera fait obligation à tous les utilisateurs européens de ressources génétiques et de connaissances traditionnelles associées « de faire preuve de la diligence nécessaire », c’est-à-dire de prendre toutes les dispositions nécessaires, dans la mesure de leurs moyens, afin de s’assurer :
- que l’accès à ces ressources se sera déroulé en conformité avec les dispositions légales applicables dans les pays fournisseurs ;
- que les avantages éventuels seront répartis de manière juste et équitable, selon des conditions convenues d’un commun accord.
Les utilisateurs européens seront tenus de chercher, conserver et transférer aux utilisateurs ultérieurs toutes les informations utiles pour prouver leur bonne foi.
La proposition de règlement établit les caractéristiques minimales des mesures de diligence nécessaire.
Les opérateurs de recherche bénéficiant d’un subventionnement public octroyé par la Commission européenne ou un État membre et utilisant des ressources génétiques pour les travaux ainsi financés devront s’engager à faire preuve de la diligence nécessaire en matière d’APA.
Pour se conformer aux mesures de diligence prescrites, les utilisateurs pourront s’appuyer sur des codes de bonnes pratiques en matière d’accès et de partage des avantages. Toute association d’utilisateurs pourra ainsi demander à la Commission européenne de reconnaître comme « bonnes pratiques » un ensemble de procédures, d’instruments ou de mécanismes.
Cette disposition, relativement floue, devrait s’avérer très peu contraignante, d’autant que les utilisateurs auront le loisir de proposer eux-mêmes le corpus de bonnes pratiques auxquels ils devront obéir. Il n’est pas de bonne politique que les pouvoirs publics abandonnent leurs prérogatives de contrôle au profit de procédures aléatoires, susceptibles de donner lieu à une complaisance incompatible avec les enjeux inhérent à un tel sujet.
Les autorités nationales compétentes des États membres procéderont à des contrôles, suivant une approche fondée sur les risques, pour vérifier la conformité des pratiques de leurs ressortissants utilisateurs à cette série d’exigences, notamment à travers des vérifications sur place.
Les utilisateurs contrevenants seront sanctionnés, sous forme :
- d’« amendes » ;
- de « suspension immédiate d’activités liées à un usage spécifique » ;
- de « confiscation des ressources génétiques acquises de manière illégale ».
Cette obligation de diligence mettra sur un pied d’égalité tous les intervenants de la chaîne de valeur des ressources génétiques de l’Union européenne. Elle est censée garantir la sécurité juridique, limiter les risques que présente l’utilisation de ces ressources et maximiser les potentialités en matière de recherche et de développement.
Elle doit également éviter que des différences entre obligations posées par les différents États membres n’imposent des coûts et des obstacles aux chercheurs et aux entreprises, et n’entraînent des arbitrages réglementaires.
Il serait toutefois regrettable que les mesures décidées par l’Union européenne pour assurer la traçabilité de la façon dont ont été collectées des ressources génétiques à l’étranger, soient moins-disantes par rapport aux prescriptions du protocole de Nagoya, en particulier à celles prévues en son article 17 : chaque partie doit exiger que les utilisateurs fournissent à des « points de contrôle désignés […] les informations concernant l’obtention du consentement préalable donné en connaissance de cause, la source de la ressource génétique, l’établissement de conditions convenues d’un commun accord et/ou l’utilisation des ressources génétiques ».
Un registre européen des collections fiables – jardins botaniques, collections de micro-organismes, banques de gènes, etc. – sera ouvert auprès de la Commission européenne. Les demandes de référencement seront effectuées par les propriétaires auprès des États membres, lesquels seront chargés d’instruire les demandes puis de transmettre les dossiers agréés à la Commission européenne.
Ensuite, des mesures de contrôle seront régulièrement diligentées afin de vérifier que ne soient accessibles aux fins d’utilisation que les échantillons de ressources génétiques accompagnés des documents requis. Les utilisateurs qui se procureront leur matériel de recherche auprès d’une collection fiable seront réputés avoir respecté l’obligation qui leur incombe en matière de diligence nécessaire.
Sauf que, faute de moyens de contrôle dédiés, ex ante comme ex post, il est à craindre que ce dispositif de labellisation ne repose essentiellement sur des bases déclaratives et ne garantisse pas les pays et les communautés fournisseurs contre des spoliations de la part de collecteurs européens. D’autant que l’article 5, alinéa 3, prévoit qu’une collection de ressources génétiques puisse être inscrite au registre de l’Union européenne à condition que son propriétaire « démontre sa capacité » à répondre à des règles de fiabilité et non qu’il les respecte dans les faits. Votre rapporteure préconise par conséquent de donner un caractère plus normatif à la rédaction de cet article, comme il est indiqué dans les conclusions dont elle propose l’adoption à la Commission des affaires européennes.
Par ailleurs, les obligations de normalisation prévues risquent d’être difficilement applicables pour de petites collections, quand bien même elles présenteraient un intérêt pour la recherche.
Chaque État membre désignera « une ou plusieurs autorités compétentes » chargées de l’application du règlement, particulièrement des mesures de sanctions prévues à l’article 11.
Une plateforme européenne sera créée, réunissant les États membres, la Commission européenne et les parties intéressées pour débattre des questions relatives à l’accès aux ressources génétiques, pratiquer des échanges d’expériences et partager les bonnes pratiques. Sans aller jusqu’à garantir une égalité de traitement dans toute l’Union européenne, cette structure devrait contribuer à réduire les écarts entre les systèmes mis en place par les États membres.
Les utilisateurs pourront identifier les États membres disposant des systèmes les plus performants en matière d’accès. Les coûts de transaction s’en trouveront réduits, ce qui devrait se révéler particulièrement profitable pour les PME et à élargir les possibilités de recherche et développement dans l’Union européenne, au bénéfice, notamment des PME et des allocataires de fonds publics.
Cet article de la proposition de règlement apparaît le plus problématique pour la France. Les services du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie considèrent en effet que le texte ne devrait couvrir que les aspects ayant trait à la conformité des comportements des utilisateurs dans les pays fournisseurs et aux contrôles y afférents, à l’exclusion de toute mesure établissant les modalités d’accès aux ressources dans les États membres et de partage des avantages subséquents. Celles-ci, selon le Gouvernement français, devraient rester du ressort exclusif des États, conformément à l’article 15, alinéa 7, de la CDB : « Chaque partie contractante prend les mesures législatives, administratives ou de politique générale appropriées, conformément aux articles 16 et 19 », relatifs respectivement à l’accès aux ressources et au partage des avantages. Le ministère craint que les dispositions envisagées ne mettent les États membres en situation d’infériorité vis-à-vis des utilisateurs de ressources étrangers, ce qui n’impacterait guère les pays ne possédant ni façade maritime étendue ni vastes territoires d’outre-mer mais aurait des conséquences importantes pour la France.
Cette prévention est renforcée par la dernière phrase de l’article 16, alinéa 3, qui prévoit un réexamen décennal de « la nécessité pour l’Union d’entreprendre d’autres actions relatives à l’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées à ces ressources ». La proposition de la Commission européenne ouvrirait ainsi la porte à un transfert de compétence en bonne et due forme vers l’Union européenne.
Votre rapporteure a été sensible à cette préoccupation mais il ne lui a pas pour autant semblé que la proposition de règlement enfreignait le principe de subsidiarité, puisque son exposé des motifs stipule : « La plateforme proposée par l’Union en ce qui concerne l’accès se veut une approche non contraignante visant à simplifier les conditions d’accès dans les États membres en s’appuyant sur la méthode ouverte de coordination », pour procéder à des échanges d’information et de bonnes pratiques.
C’est ainsi que certains États membres, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Suède, ont prévu de laisser leurs ressources génétiques en accès libre ou de ne conditionner l’accès qu’à une déclaration.
D’autres, comme la France, l’Espagne, le Portugal et la Hongrie, s’étaient positionnés, avant le dépôt de la proposition de règlement en faveur de dispositifs nationaux de régulation stricte des conditions d’APA.
Quant au Danemark, il compte continuer à appliquer un système d’exception territoriale pour le Groenland et les îles Féroé.
En outre, depuis le traité de Rome, dans les domaines ressortissant de la compétence partagée, force est de constater que la frontière entre prérogatives communautaires et prérogatives nationales est souvent difficile à tracer, dans la mesure où le processus d’intégration communautaire ne se prête pas à la conception de la distribution du pouvoir prévalant en droit interne et où cette grille d’analyse est de plus en plus sujette à caution au fil de l’approfondissement. Il convient, dans chaque cas d’espèce, de se référer aux dispositions des traités, à la lumière de la jurisprudence de la CJUE.
Des mesures complémentaires de sensibilisation, d’information, de formation, de conseils techniques et juridiques aux PME et aux chercheurs, de diffusion des bonnes pratiques et de promotion de systèmes de communication seront prises afin de renforcer l’efficacité de l’intervention au niveau de l’Union européenne.
C. La ratification par l’Union européenne ouvrira de nouvelles perspectives en matière d’accès et de partage des avantages, sur notre continent et au-delà
1. Au niveau global, un signal fort en faveur d’une régulation universelle de l’accès et le partage des avantages
Le refus des États-Unis de ratifier la CDB – même s’ils envoient toujours des délégations importantes aux débats organisés dans son cadre – pose un problème majeur d’efficacité au dispositif multilatéral de lutte pour la sauvegarde de la biodiversité, dans la mesure où la première puissance économique mondiale est le pays le plus actif en nombre de brevets déposés et le plus agressif en matière de valorisation de la propriété industrielle.
Une ratification rapide par l’Union européenne et ses États membres ne suffirait certes pas à mettre un coup d’arrêt à la « biopiraterie » ; mais elle sonnerait comme un signal international fort en faveur d’une régulation universelle de l’APA. La totalité des autres membres du G20 sont parties à la CDB comme au protocole de Nagoya. En outre, les grands émergents – à commencer par le Brésil, où le processus de ratification devrait rapidement parvenir à son terme, le Mexique(19), qui a été l’un des premier pays à le conclure, et l’Inde, qui a rejoint le groupe pionnier juste avant la CdP d’Hyderabad – ont un intérêt majeur à voir appliquer des règles de nature à protéger leurs précieuses ressources biologiques ; ils s’étaient au demeurant dotés d’un arsenal législatif interne préalablement à la signature du protocole de Nagoya et leurs populations se caractérisent par un niveau de conscientisation élevé sur les questions de sauvegarde de la biodiversité. Cette thématique pourrait donc être portée dans le cadre des prochains sommets du G20(20).
a) La situation actuelle : malgré une appropriation administrative du sujet, une absence criante de dispositif opérationnel
Compte tenu de sa spécificité revendiquée de pays à la fois fournisseur et utilisateur de ressources biologiques, la France a toujours été motrice, au sein de l’Union européenne, pour faire avancer les principes de l’APA.
Le ministère chargé du développement durable a initié, en 2011, un processus de consultation préalable à la mise en place d’un cadre juridique sur l’APA en France. Ce processus tiendra notamment compte des recommandations d’une étude relative à l’outre-mer, lancée par les ministères chargés du développement durable et de l’outre-mer, et réalisée par la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, avec l’appui d’un panel d’experts et d’acteurs locaux en outre-mer – administrations déconcentrées, collectivités territoriales, associations, industriels, laboratoires de recherche.
Par ailleurs, pour animer la réflexion au quotidien sur les questions relatives à l’APA, un réseau de cellules locales a été implanté dans les outre-mer français.
Enfin, le ministère est également doté d’un « point focal » sur l’APA, afin de dispenser de l’information en direction des fournisseurs et des utilisateurs, mais l’absence de dispositif opérationnel est criante.
L’association des groupes autochtones aux processus de consultation reste toutefois inégale d’un territoire à l’autre. Ainsi, si les Kanaks étaient représentés en tant que tels dans la délégation française à la CdP d’Hyderabad, la structuration d’autres communautés – notamment celles de Guyane – est traditionnellement moins bien charpentée, ce qui rend plus hypothétique la prise en compte de leurs intérêts. Cette difficulté à recueillir des avis représentatifs doit être surmontée. Sur les projets de politiques publiques impactant directement les populations locales, votre rapporteure propose que soient entreprises des expérimentations administratives visant à développer des techniques de consultation adaptées.
b) Un dispositif « accès et partage des avantages » dans la future loi-cadre relative à la biodiversité
Lors de la conférence environnementale de septembre 2012, il a été décidé que la future loi-cadre relative à la biodiversité, qui devrait être présentée en conseil des ministres en juin 2013, comportera un dispositif APA, préalable à la ratification du protocole de Nagoya par la France : « Le Gouvernement mettra en place un régime d’accès aux ressources génétiques et de partage des avantages issus de leur utilisation en vue de la ratification du Protocole de Nagoya. Le dispositif juridique d’accès aux ressources et de partage des avantages (APA) sera inscrit dans la loi. »(21)
La France porte deux ambitions :
- garantir que les utilisateurs français prélevant des ressources génétiques à l’étranger respectent le protocole de Nagoya ;
- imaginer un dispositif d’accès très opérationnel, susceptible de servir de modèle à des pays possédant un appareil administratif moins performant mais soucieux de protéger leur patrimoine biologique, particulièrement en Afrique.
Il était prévu que la CdP d’Hyderabad travaille en particulier à la détermination d’objectifs et de mécanismes pour identifier, collecter et acheminer des ressources financières en faveur des différentes politiques promues par la CDB, notamment en matière d’APA. Las, aucune décision n’a été prise pour ce qui concerne spécifiquement la lutte contre la biopiraterie. Au terme d’une âpre négociation, les parties se sont contentées d’évoquer « un doublement d’ici 2015, et le maintien au moins à ce niveau d’ici 2020, des flux financiers internationaux en faveur de la protection de la biodiversité dans les pays en développement, les pays les moins avancés et les petits états insulaires en développement et les économies en transition »(22), sans que l’on sache vraiment sur quelle référence de départ se fonderait cette progression…
La CdP d’Hyderabad a décidé de reporter à la 12e CdP un travail de fond sur l’application de l’article 8, alinéa j) de la CDB, en prise directe avec l’esprit du protocole de Nagoya, puisqu’il dispose que chaque partie contractante, « sous réserve des dispositions de sa législation nationale, respecte, préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qui incarnent des modes de vie traditionnels présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique et en favorise l’application sur une plus grande échelle, avec l’accord et la participation des dépositaires de ces connaissances, innovations et pratiques et encourage le partage équitable des avantages découlant de l’utilisation de ces connaissances, innovations et pratiques ».
Des négociations sont en cours sur ce sujet, depuis plus d’une dizaine d’années, dans le cadre du Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), en vue d’élaborer un texte juridiquement contraignant, sui generis, assurant une protection adaptée aux détenteurs de connaissances traditionnelles.
L’aboutissement de cette réflexion n’aboutira néanmoins pas avant 2014. Il est d’ailleurs regrettable que la proposition de règlement ne mentionne ni l’Office européen des brevets (OEB) ni les agences nationales de brevets, comme l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), qui pourraient mener une démarche similaire à l’échelle continentale.
Mais l’une des difficultés à surmonter pour garantir leurs droits réside dans les modes de représentation politiques de ces groupes humains, qui n’ont pas accès directement aux négociations internationales mais ne sont défendus que par l’intermédiaire d’autorités nationales parfois insensibles à leurs spécificités culturelles. Pour leur donner davantage de poids, la Norvège, à Hyderabad, a proposé que, dans la terminologie de la CDB et du protocole de Nagoya, l’expression « communautés et groupes autochtones » soit remplacée par « peuples autochtones ». Cette proposition n’est pas recevable pour la France, l’indivisibilité du peuple français ayant valeur constitutionnelle.
La Commission s’est réunie le 13 novembre 2012, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.
L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.
M. Jérôme Lambert. J’attends un éclaircissement quant à la brevetabilité du vivant. Le fait qu’il soit interdit de breveter une plante ou un animal découvert dans la nature semble aller de soi. Mais l’isolement d’un principe actif quelconque ou la mise au point d’une méthode pour, par exemple, produire un médicament ou des matières plastiques à partir d’un organisme vivant, peuvent être brevetés, à juste titre, pour encourager la recherche. Que signifie vraiment l’expression « brevetabilité du vivant » ?
Mme Audrey Linkenheld. Je suis d’accord avec les propositions de conclusions, hormis les points 13 et 14. Leur formulation confère en effet à l’OEB une compétence qu’il ne possède pas et que nous ne voulons pas lui donner : il n’est pas de son ressort de décider ce qui est brevetable et ce qui ne l’est pas ; il doit se contenter d’examiner l’état du droit international, européen ou national. Je suggère donc que ces deux points soient reformulés.
La Présidente Danielle Auroi. Le principe de la non-brevetabilité des espèces sources a été posé par la première Conférence de Rio. Il y a quelques années, la multinationale Limagrain s’est vantée auprès de moi de son intention de breveter une céréale tibétaine extrêmement rare. Je lui ai manifesté ma désapprobation, même si je ne voyais évidemment aucune objection à ce que cette céréale fasse l’objet de recherches. De ce point de vue, le protocole de Nagoya est clair : il est interdit de breveter l’espèce source. Mais peut-être pourrons-nous y revenir dans les travaux ultérieurs de notre Commission.
Le protocole de Nagoya est un assez bon compromis : il a pour objectifs de permettre la recherche mais aussi de faire participer les pays fournisseurs aux bénéfices, dans un cadre équilibré et équitable.
J’insiste aussi sur un point important : le savoir-faire des peuples autochtones, notamment dans le domaine des cosmétiques. Par exemple, l’on a découvert qu’une plante employée traditionnellement par une population du Pérou pour la cicatrisation des plaies avait une grande efficacité antirides. Ne pas reconnaître ce savoir-faire revient à réserver les bénéfices à l’entreprise industrielle, alors qu’il s’agit d’instituer un échange équitable. Le protocole de Nagoya prend aussi cette question en considération.
Concernant la rédaction du point 13 de la proposition de conclusion, je propose effectivement de remplacer les mots « l’Office européen des brevets » par les mots « l’Union européenne ».
Concernant le point 14, ce sujet est déjà en cours d’étude au sein de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI).
À l’issue du débat, la Commission a adopté, à l’unanimité, les conclusions dont le texte figure ci-après.
CONCLUSIONS ADOPTÉES PAR LA COMMISSION
La Commission des affaires européennes,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu l’article 27, alinéa 2, de la Déclaration universelle des droits de l’homme,
Vu le traité sur l’Union européenne,
Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 4, alinéa 2 e), 192, alinéa 1, et 218, alinéa 6,
Vu la Convention sur la diversité biologique,
Vu le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation à la Convention sur la diversité biologique,
Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions « La biodiversité, notre assurance-vie et notre capital naturel – Stratégie de l’UE à l’horizon 2020 » (COM [2011] 244), particulièrement son action 20, intitulée « Réglementer l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des bénéfices résultant de leur utilisation »,
Considérant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’accès aux ressources génétiques et au partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation dans l’Union (COM [2012] 576 / no E 7759),
Considérant la proposition de décision du Conseil concernant la conclusion du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la Convention sur la diversité biologique (COM [2012] 577 / no E 7775),
Considérant que la biodiversité constitue un capital irremplaçable pour l’humanité et que sa préservation doit être l’une des deux priorités environnementales majeures pour la communauté internationale, sur le même plan que la lutte contre le changement climatique,
Considérant que les richesses biologiques ne sont pas des marchandises comme les autres et que leur commercialisation doit, de ce fait, être soumise à des règles particulières,
Considérant que les actes de collecte non encadrée, d’appropriation et de développement industriel de ressources génétiques et/ou de savoirs traditionnels associés avec une visée commerciale font peser une menace sur la biodiversité comme sur le droit de propriété intellectuelle des communautés et groupes autochtones lésés,
Considérant que, dans ce cadre, l’établissement de mesures de régulation universelles s’impose, d’une part, pour encadrer l’accès aux ressources génétiques et aux savoirs associés, et, d’autre part, pour assurer un partage juste et équitable des avantages qui en sont retirés,
1. Rappelle que le protocole de Nagoya à la Convention sur la diversité biologique constitue le cadre multilatéral de référence pour l’administration de l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages qui en découlent ;
2. Considère que l’efficacité de la lutte contre la « biopiraterie » dépend de la détermination des parties signataires à intégrer au plus vite dans leur droit national des dispositions contraignantes pour tous les utilisateurs ressortissants de leur juridiction ;
3. Souligne la spécificité de l’Union européenne, utilisatrice de ressources génétiques, du fait de ses capacités de recherche et de son niveau de développement industriel, mais aussi fournisseuse de ressources génétiques, notamment à travers ses États membres dont la souveraineté s’étend à des régions ultrapériphériques ;
4. Soutient, en conséquence, la démarche de ratification et de mise en œuvre du protocole de Nagoya, initiée par la Commission européenne ;
5. S’étonne que la Commission européenne ait demandé aux États membres de ne pas ratifier le protocole de Nagoya avant elle, alors qu’il est urgent d’agir en la matière et essentiel que la ratification intervienne avant la prochaine Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique ;
6. Souhaite au contraire que la France et les autres États membres, comme l’Union européenne, adoptent au plus vite leurs instruments de ratification ;
7. Estime que la proposition de règlement n’enfreint pas le principe de subsidiarité, en ce qu’elle laisse aux États membres la latitude d’organiser l’accès à leurs ressources génétiques ;
8. Émet des doutes importants quant à l’efficacité des « bonnes pratiques » proposées par les utilisateurs, codifiées dans l’article 6 de la proposition de règlement ;
9. Serait favorable à un renforcement des mesures et des contrôles permettant d’assurer la traçabilité de la façon dont ont été collectées des ressources génétiques à l’étranger, afin qu’ils ne soient pas moins-disants par rapport aux prescriptions de l’article 17 du protocole de Nagoya ;
10. Craint que la labellisation des collections de ressources génétiques par le biais d’un registre européen des collections fiables, faute de moyens de contrôle dédiés et efficaces, ne repose essentiellement sur des bases déclaratives et ne garantisse pas les pays et les communautés fournisseurs contre des spoliations de la part de collecteurs européens ;
11. Préconise, en conséquence, dans l’article 5, alinéa 3, de la proposition de règlement :
a) de supprimer les mots « démontre sa capacité » ;
b) de remplacer, au a), les mots « d’appliquer » par le mot « applique » ;
c) de remplacer, au b), les mots « de fournir à des tiers » par les mots « fournisse aux tiers demandeurs » ;
d) de remplacer, au c), les mots « de consigner » par le mot « consigne » ;
e) de remplacer, au d), les mots « d’établir ou d’utiliser » par les mots « établisse ou utilise » ;
f) de remplacer, au e), les mots « d’utiliser » par le mot « utilise » ;
12. Recommande que la France, dans ses départements et collectivités ultramarins, entreprenne des expérimentations administratives, destinées par la suite à être généralisées, visant à mieux associer les communautés autochtones aux processus de consultation et de décision sur les questions les concernant directement ;
13. Invite l’Union européenne à faire preuve de la plus grande vigilance pour garantir qu’il ne soit créé aucun monopole de droit sur les espèces biologiques sources et ainsi éviter tout brevetage du vivant ;
14. Formule le vœu que l’Office européen des brevets et les agences nationales de brevets soient mandatés pour engager une réflexion sur les mesures à prendre pour mieux faire respecter les droits de propriété intellectuelle des communautés et groupes autochtones sur leurs savoirs traditionnels.
APA : accès et partage des avantages
CCNUCC : Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques
CdP : Conférence des parties
CDB : Convention sur la diversité biologique
CJUE : Cour de justice de l’Union européenne
CLD : Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification
COREPER : Comité des représentants permanents
INPI : Institut national de la propriété intellectuelle
OEB : Office européen des brevets
OMPI : Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
ONU : Organisation des Nations unies
PNUE : Programme des Nations unies pour l’environnement
TFUE : traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
TUE : traité sur l’Union européenne
UNESCO : Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture
ANNEXE 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
La rapporteure tient à témoigner sa gratitude envers les personnalités qui ont accepté d’apporter leurs témoignages et de partager leurs expertises.
Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Mme Elen Lemaître-Curri, cheffe de bureau des biens publics globaux au Commissariat général au développement durable
Mme Delphine Morandeau, chargée de mission biodiversité au Commissariat général au développement durable
Mme Anca Leroy, chargée de mission à la direction des affaires européennes et internationales
Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI)
M. Claudio Chiarolla, chargé d’études sur la gouvernance internationale de la biodiversité, maître de conférences à Sciences-Po
Collectif pour une alternative à la biopiraterie
M. Cyril Costes, avocat, chargé d’enseignement en droit de la propriété intellectuelle
M. Daniel Joutard, fondateur et dirigeant d’entreprises cosmétiques
Mme Flora Errecart, volontaire à France Libertés – Fondation Danielle Mitterrand
ANNEXE 2 :
NOTE
DU MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DES RESSOURCES NATURELLES
DU MEXIQUE
Le Mexique, avec d’autres pays d’Amérique latine, comme le Brésil, se singularise par l’intérêt qu’il porte à la lutte contre la « biopiraterie » pour préserver son patrimoine. Il a ainsi été à l’origine de la création, à Cancun, le 18 février 2002, du groupe des États dits « mégadivers de même esprit », un collectif réunissant des pays – situés pour la plupart d’entre eux sous les tropiques –, dans lesquels se concentre une partie importante de la biodiversité mondiale.
Le groupe est aujourd’hui constitué de dix-huit pays : la Bolivie, le Brésil, la Chine, la Colombie, le Costa Rica, la République démocratique du Congo, l’Équateur, l’Inde, l’Indonésie, le Kenya, Madagascar, la Malaisie, le Mexique, le Népal, le Pérou, les Philippines, l’Afrique du Sud et le Venezuela.
Compte tenu de la célérité avec laquelle la Commission des affaires européennes s’est saisie du sujet dans la foulée de la présentation des textes proposés par la Commission européenne, il n’a pas été possible d’organiser une audition de représentants des pays mégadivers. S.E.M. l’ambassadeur du Mexique a cependant communiqué une note dans laquelle est exposé le dispositif de collecte scientifique mis en place dans son pays pour organiser l’accès à ses ressources génétiques.
[traduction de courtoisie]
ministère de l’environnement et des ressources naturelles
Bureau du ministre
note d’information
Mexico, le 22 octobre 2012
Le Mexique, pays megadivers et la ratification du Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des bénéfices découlant de leur utilisation
RAPPEL DES FAITS
En février 2002 le gouvernement mexicain a invité les Ministres de l’environnement de dix pays (Afrique du Sud, Brésil, Chine, Colombie, Costa Rica, Équateur, Inde, Indonésie, Kenya, Venezuela) à la première réunion des pays megadivers animés du même esprit. C’est à l’issue de cette rencontre que la Déclaration de Cancun fixant un agenda commun autour du développement durable a été adoptée et que le groupe de pays megadivers animés du même esprit a pu être constitué.
Il convient de souligner que l’on appelle “pays megadivers” le petit nombre de pays situés notamment dans les tropiques et concentrant une grande partie de la diversité biologique mondiale. En effet, ils abritent autour de 70 % de la diversité biologique de la planète, plus de 45 % de la population mondiale ainsi qu’une extraordinaire diversité culturelle.
Le patrimoine naturel desdits pays constitue une grande responsabilité en termes de conservation ; son utilisation et sa valorisation offrant une excellente opportunité économique.
PROTOCOLE DE NAGOYA
Le Protocole de Nagoya sur l’accès et le partage des bénéfices est un nouveau traité international signé à Nagoya, Japon, le 29 octobre 2010 dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique (CDB).
Il a pour objet le partage juste et équitable des bénéfices découlant de l’utilisation des ressources génétiques, contribuant ainsi à la conservation et à l’utilisation durable de la diversité biologique et à la mise en œuvre des trois objectifs de la CDB. Le Protocole de Nagoya entrera en vigueur après avoir été ratifié par 50 pays.
RATIFICATION DU PROTOCOLE DE NAGOYA PAR LE MEXIQUE
Le Mexique, en tant que pays megadivers23, considère la protection des écosystèmes et de la biodiversité comme une affaire d’État. C’est pour cette raison qu’il a joué un rôle fondamental tout au long des sept années de négociations de cet outil international.
En vertu de ce qui précède, nous sommes le premier pays megadivers ainsi que le premier État d’Amérique à avoir ratifié ce Protocole.
Situation de la ratification du Protocole de Nagoya au 15 octobre 2012 • 92 signatures • 7 ratifications : Gabon, Jordanie, Laos, Mexique, Inde, Saint-Christophe-et-Niévès et Seychelles |
Nous sommes fermement convaincus de l’importance d’une prompte entrée en vigueur et d’une application rapide du Protocole de Nagoya. En effet, l’utilisation des ressources génétiques contribuerait au bien-être humain, et les bénéfices découlant de leur l’utilisation pourraient être destinés convenablement à la conservation de la diversité biologique et à leur utilisation durable.
Le Protocole de Nagoya offre de nouvelles opportunités de promotion de la recherche scientifique et de conservation de la diversité biologique. Grâce à la solidité du cadre juridique en vigueur, l’Accord de développement et d’application sur l’accès et le partage des bénéfices permettrait aux pays fournisseurs de valoriser davantage leurs propres ressources génétiques et de renforcer leur participation active sur le marché.
Il convient de signaler que le Mexique dispose d’une loi générale de la vie sauvage régissant la collecte scientifique dans ses articles 1 et 97, ainsi que du règlement de cette loi qui aborde ce sujet dans ses articles 123-127. De même, il existe un cadre normatif favorisant la mise en œuvre du Protocole de Nagoya dans le pays24.
À l’heure actuelle, le Mexique mène une réflexion autour des mesures de politique publique, administratives, législatives et budgétaires, et sur la coordination entre les différents niveaux du gouvernement (fédéral, étatique et municipal), les propriétaires et les détenteurs des ressources génétiques, et les connaissances traditionnelles y afférentes. Elle vise la mise en place des réformes légales liées au respect des obligations dérivées de la ratification du Protocole de Nagoya.
Parmi ces mesures, il convient d’en souligner trois : l’étude approfondie du cadre juridique existant, la création de capacité des différents agents et le renforcement institutionnel.
Deux projets contribueront au succès de ces travaux :
1. Projet de coopération avec la GIZ « Partage juste et équitable des bénéfices découlant de l’utilisation durable de la biodiversité ». Il aura pour vocation de créer les conditions-cadre et les mécanismes pour l’accès et le partage juste et équitable des bénéfices découlant de l’utilisation de la biodiversité, dans le cadre du Protocole de Nagoya25.
2. Projet en partenariat avec le Fonds pour l’environnement mondial « Renforcement des capacités d’accès aux ressources génétiques et du partage juste et équitable des bénéfices découlant de leur utilisation ». L’objectif de ce programme consiste à développer au Mexique le cadre légal nécessaire à la mise en œuvre du Protocole de Nagoya, à fortifier la capacité administrative et institutionnelle des différents agents et à les sensibiliser.
Durée des projets:
GIZ : 4.5 ans
GEF : 2013- 2016
MISE EN ŒUVRE AU MEXIQUE
Une question récurrente posée aux fonctionnaires mexicains dans différents forums relatifs à ce sujet concerne la manière dont notre pays met en œuvre le Protocole de Nagoya.
Le Mexique applique toujours la loi en vigueur relative à la collecte scientifique, antérieure à l’approbation du Protocole de Nagoya. C’est en ratifiant le Protocole que le gouvernement a réaffirmé son engagement dans la lutte contre la bio-piraterie et dans la mise en œuvre du troisième objectif de la Convention sur la diversité biologique (CDB).
Cas de bio-piraterie D’après le Protocole, les technologies actuelles d’analyse moléculaire et de communication rendent presqu’impossible la détection de la bio-piraterie sans points de contrôle. Le système multilatéral de protection intellectuelle constitue le principal point de contrôle car les résultats commerciaux, pouvant générer des bénéfices pour le « partage juste et équitable » de l’utilisation des ressources énergétiques, passent par leur brevetage. À l’heure actuelle, aucune action en justice pour bio-piraterie n’est engagée contre quiconque au Mexique. |
Les deux projets en cours permettront la complète mise en œuvre du Protocole, en fournissant les éléments nécessaires pour la conception des outils pertinents. En même temps, c’est grâce au soutien du Sénat –déjà exprimé dans le document de ratification- qu’il sera possible de légiférer le moment venu, pour disposer du budget opérationnel nécessaire.
Il est prévu que l’institutionnalisation, la formation et les procédures nécessaires au respect des indications de suivi du Protocole soient disponibles au moment de l’entrée en vigueur de cet outil juridique multilatéral.
Le rythme de ces procédures indique qu’il faudra attendre quelques années avant d’obtenir les 50 ratifications nécessaires. C’est quatre-vingt-dix jours plus tard que le Protocole entrera en vigueur. À cette date-là le cadre institutionnel de base et les processus nécessaires devraient être opérationnels. Le ministère mexicain de l’Environnement et des Ressources naturelles s’attache à accélérer au maximum ces développements, mais nous sommes conscients que la prochaine administration devra bénéficier d’un soutien politique de haut niveau.
ANNEXE
Procédure pour la collecte scientifique:
La collecte d’exemplaires, de parties et de dérivés de vie sylvestre aux fins de la recherche scientifique requiert l’autorisation du Ministère et exige l’accord préalable et exprès du propriétaire ou du détenteur légitime de la propriété où celle-ci s’effectue.
• Le ministère disposera de quinze jours ouvrables dès réception du dossier pour demander toute information manquante, rectification ou éclaircissement nécessaires.
• L’autorisation ne couvrira pas l’exploitation à des fins commerciales ni l’utilisation en biotechnologie, qui demeureront régies par les dispositions spéciales applicables en la matière.
• L’autorisation ne sera délivrée que lorsqu’elle n’affecte pas la viabilité des populations, espèces, habitats ou écosystèmes.
• Les autorisations à effectuer la collecte scientifique seront accordées conformément aux termes du règlement, par ligne de recherche ou par projet.
• Les autorisations par ligne de recherche seront accordées à des chercheurs ou à des collecteurs scientifiques appartenant aux institutions de recherche et aux collections scientifiques nationales ainsi qu’à ceux ayant de l’expérience dans l’apport d’informations pour la connaissance de la biodiversité nationale, et à leur équipe de travail.
• Les autorisations par projet seront accordées aux personnes ne correspondant pas à ce profil ou à celles souhaitant réaliser une collecte scientifique portant sur des espèces ou des populations à risque ou sur un habitat critique.
Documents à fournir
I. Pour les collectes scientifiques par ligne de recherche effectuées par des chercheurs et des collecteurs scientifiques appartenant à des institutions de recherche :
a) une biographie résumée de l’intéressé ;
b) une lettre émanant de l’institution d’appartenance appuyant la ligne de recherche du candidat pour la connaissance de la biodiversité nationale ;
c) une lettre d’agrément du Système national de chercheurs ;
d) des informations relatives au groupe ou aux groupes taxinomiques appartenant à la ligne de recherche ainsi qu’aux régions où se déroulera la collecte scientifique.
II. Pour les collectes scientifiques par ligne de recherche effectuées par des chercheurs et collecteurs scientifiques ayant de l’expérience dans l’apport d’informations pour la connaissance de la biodiversité nationale :
a) une biographie résumée de l’intéressé ;
b) une lettre de l’institution d’appartenance exposant les raisons pour lesquelles elle soutient la ligne de recherche du postulant pour la connaissance de la biodiversité nationale ;
c) nom, adresse, niveau académique et description des activités à développer par chacun des membres de l’équipe de travail ;
d) des informations relatives au groupe ou aux groupes taxinomiques appartenant à la ligne de recherche ainsi qu’aux régions où se déroulera la collecte scientifique.
III. Pour les collectes scientifiques par projet :
a) une biographie résumée de l’intéressé ;
b) une copie des diplômes obtenus ;
c) une lettre de recommandation engageant la responsabilité solidaire d’une institution mexicaine reconnue vis-à-vis du collecteur, dans le cadre des activités prévues dans l’autorisation correspondante.
IV. Pour les collectes scientifiques par projet portant sur des espèces ou des populations à risque ou sur un habitat critique :
a) une biographie résumée de l’intéressé ;
b) un résumé du projet incluant :
1. le titre ;
2. le nom des responsables, des collaborateurs et des institutions participantes ;
3. l’objet et la justification ;
4. la liste des espèces, genres et familles concernées par la collecte ainsi que le nombre approximatif d’exemplaires, parties ou dérivés ;
5. un descriptif de la méthodologie et des techniques de la collecte scientifique ;
6. le nom du site où se déroulerait la collecte scientifique, un plan de situation indiquant la ville ou la région ainsi que les aires naturelles protégées y situées ;
7. les dates de début et de fin des activités de terrain ;
8. la justification de la collecte ;
9. une lettre de recommandation émanant d’une institution mexicaine reconnue, soutenant les activités prévues dans le cadre du projet.
SLA/ AGO/VCM
ANNEXE 3 :
PROCÉDURE D'ADOPTION DES ACCORDS INTERNATIONAUX
PAR L’UNION EUROPÉENNE
La procédure d’adoption des accords internationaux se déroule en plusieurs phases: le Conseil adopte les recommandations qui définissent le mandat de négociation de la Commission. Ensuite, la Commission négocie l’accord puis elle le signe avec le Conseil. Le Parlement est toujours consulté et doit donner son approbation dans certains cas. Enfin, le Conseil conclut l’accord. Éventuellement, la Cour de justice peut intervenir pour contrôler sa validité.
La procédure d’adoption des accords internationaux conclus entre l’Union européenne (UE) d’une part, et un pays ou une organisation tierce d’autre part, est définie à l’article 218 du traité sur le fonctionnement de l’UE. Elle se déroule en plusieurs phases.
L’initiative
L’initiative revient à la Commission en vertu de son pouvoir général de représentation de l’UE. Elle présente des recommandations au Conseil en vue d’engager des négociations. Conformément aux procédures de comitologie, les recommandations sont élaborées par les services de la Commission compétents en consultation avec les experts nationaux.
En outre, lorsque l’accord porte exclusivement sur la politique étrangère et de sécurité commune, les recommandations sont élaborées par le haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
La négociation
La Commission conduit les négociations mais elle agit sur mandat du Conseil. Ainsi, le Conseil adopte une décision autorisant l’ouverture des négociations. Il peut également adresser à la Commission des directives pour établir le cadre dans lequel les négociations doivent se dérouler.
La Commission mène ensuite les négociations en coopération avec les États membres. Leur association au processus dépend alors du domaine sur lequel porte l’accord :
• lorsque l’accord porte sur un domaine dans lequel l’UE a une compétence exclusive, la Commission négocie seule l’accord, mais les experts nationaux sont associés étroitement aux travaux de la Commission dans le cadre de comités spéciaux selon les règles fixées par la procédure de comitologie ;
• lorsque l’accord porte sur un domaine de compétence partagée, la négociation est réalisée conjointement par la Commission et les experts nationaux.
L’approbation ou la consultation du Parlement européen
Le traité de Lisbonne a considérablement renforcé le rôle du Parlement européen dans la procédure d’adoption des accords internationaux. Ainsi, l’approbation du Parlement est requise pour :
• tous les accords couvrant les domaines auxquels s’appliquent la procédure législative ordinaire ou une procédure législative spéciale dans laquelle l’approbation du Parlement européen est requise ;
• les accords d’association entre l’UE et les pays tiers ;
• les accords créant un cadre institutionnel spécifique en organisant des procédures de coopération (par exemple lorsque l’accord en question créée un comité mixte qui a un pouvoir de décision) ;
• les accords ayant des implications budgétaires notables pour l’UE ;
• l’accord portant adhésion de l’UE à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;
• les accords portant adhésion d’un État à l’UE.
Pour tous les autres accords, l’approbation du Parlement n’est pas obligatoire, mais celui-ci doit être consulté au cours de la procédure.
La conclusion
La procédure se déroule en trois temps :
• la Commission appose sa signature sur le texte de l’accord sous réserve d’une décision ultérieure du Conseil. Elle présente au Conseil deux propositions d’actes, l’une portant signature de l’accord et l’autre portant conclusion de celui-ci.
• le Conseil adopte une décision (parfois un règlement) portant signature de l’accord. En outre, l’application provisoire, destinée à faire en sorte que l’accord puisse s’appliquer rapidement, peut résulter: soit d’une disposition de la décision portant signature; soit d’un accord intérimaire signé en parallèle.
• le Conseil adopte une décision portant conclusion proprement dite de l’accord, qui vaut ratification de l’accord. Concernant les accords mixtes, l’adoption est accompagnée d’une procédure de ratification de l’accord au sein de chaque État membre selon leurs règles constitutionnelles respectives.
En principe, la décision portant conclusion de l’accord est adoptée par le Conseil à la majorité qualifiée des voix. Cependant, le Conseil statue à l’unanimité des voix pour :
• les accords d’association entre l’UE et les pays tiers ;
• les accords portant sur des domaines eux-mêmes soumis à l’unanimité.
En outre, l’article 207 du traité sur le fonctionnement de l’UE ajoute deux autres cas particuliers dans lesquels le Conseil peut statuer à l’unanimité :
• les accords dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels ;
• les accords dans le domaine du commerce des services sociaux, d’éducation et de santé.
La consultation de la Cour de justice
La Cour peut être saisie par le Conseil, la Commission, le Parlement européen ou un État membre pour vérifier la validité de l’accord. Le contrôle porte sur la validité formelle (respect de la procédure d’adoption) et substantielle (respect de la conformité de l’accord au droit européen, primaire). En cas d’avis négatif, une révision de l’accord est nécessaire pour que celui-ci puisse entrer en vigueur.
Source : site europa.eu
1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.
2 () Par l’expression « ressource biologique », on entend toute entité physique naturelle, qu’il s’agisse d’un animal, d’une plante, d’une graine ou d’un microorganisme, mais aussi les informations génétiques qu’elle contient et le produit des connaissances qui lui sont associées.
3 () L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) définit les savoirs traditionnels comme « l’ensemble des connaissances, savoir-faire et représentations des peuples ayant une longue histoire avec leur milieu naturel. Ils sont étroitement liés au langage, aux relations sociales, à la spiritualité et à leur façon d’appréhender le monde et sont généralement détenus de manière collective ».
4 () La biopiraterie ou le pillage de la nature et de la connaissance, éditions ALiAS, 2002.
5 () Pour mémoire, les deux autres sont la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CLD).
6 () La France l’a ratifié en 1996.
7 () Ou COP, pour Conference of Parties.
8 () C’est-à-dire « tout pays qui fournit des ressources génétiques récoltées auprès de sources in situ, y compris les populations d’espèces sauvages ou domestiquées, ou prélevées auprès de sources ex situ, qu’elles soient ou non originaires de ce pays ». Sont donc concernés les pays d’origine – surtout des pays en voie de développement ou émergents du Sud –, mais aussi les pays que l’on pourrait qualifier d’« intermédiaires », à savoir ceux dont des ressortissants collectent des ressources en vue de les céder dans un pays tiers.
9 () Le terme ne figure pas dans la CDB mais est employé dans le protocole de Nagoya. Il s’agit essentiellement des pays industrialisés les plus riches et les plus actifs en matière d’innovation. À l’instar de l’Espagne, du Portugal et du Danemark, la France présente un profil particulier : compte tenu de la richesse biologique de ses régions ultrapériphériques – en premier lieu de l’immense Guyane, territoire amazonien dans lequel est concentrée la moitié de la biodiversité observée en France, sans oublier Mayotte, les îles du Pacifique et les autres départements et collectivités d’outre-mer –, elle fait à la fois partie des pays utilisateurs et des pays fournisseurs.
10 () Point 44, alinéa o) du plan de mise en œuvre figurant dans le rapport conclusif du sommet.
11 () Décision du Conseil concernant la signature du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation relatif à la convention sur la diversité biologique.
12 () À l’exception de la Lettonie, de Malte et de la Slovaquie.
13 () Objectif 16 du Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 et les objectifs d’Aichi, intitulé « Vivre en harmonie avec la nature », adopté en octobre 2010.
14 () COM (2011) 244. Ce texte fait partie intégrante de la stratégie Europe 2020, plus particulièrement de l’initiative phare « Une Europe efficace dans l’utilisation des ressources ».
15 () Procédure 2012/2135 (INI).
16 () Voir annexe 3.
17 () Compte rendu intégral de la première séance du mardi 9 octobre 2012 : http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2012-2013/20130012.asp.
18 () À noter que l’Espagne et le Danemark sont les seuls États membres à s’être déjà dotés d’une législation relative à l’accès aux ressources génétiques sur lesquels ils exercent des droits souverains.
19 () Voir, en annexe 2, la note d’information établie à l’intention de la Commission des affaires européennes par le ministère de l’environnement et des ressources naturelles mexicain.
20 () Celui de 2013, sous présidence russe, sera organisé les 5 et 6 septembre à Saint-Pétersbourg.
21 () Extrait du document de synthèse établi par le Gouvernement à l’issue de la conférence, intitulé « Feuille de route pour la transition écologique ».
22 () Journal officiel du 4 octobre 2012.
23 En effet, 12 % des espèces terrestres mondiales sont présentes dans notre pays.
24 Loi générale relative à l’équilibre écologique et à la protection de l’environnement, loi fédérale de santé animale, loi fédérale de santé végétale, loi fédérale relative aux variétés végétales, loi fédérale relative à la vie naturelle, loi relative à la pêche, loi relative à la sécurité biologique d’organismes génétiquement modifiés, Code pénal fédéral.
25 Composantes: gouvernance, relation entre le Protocole de Nagoya et la conservation in situ, et sa conceptualisation dans l’utilisation durable de la biodiversité.