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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 février 2014
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Sur le « juste échange » au plan international
ET PRÉSENTÉ
PAR Mmes SEYBAH DAGOMA ET MARIE-LOUISE FORT
Députées
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La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; Mmes Annick GIRARDIN, Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; MM. Christophe CARESCHE, Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, M. André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, M. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Mme Axelle LEMAIRE, MM. Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Arnaud LEROY, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.
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Pages
INTRODUCTION 7
I. LE LIBRE ECHANGE N’A PAS ASSURE DES ECHANGES JUSTES 11
A. LA MONDIALISATION ET LA NOUVELLE DONNE DES ECHANGES COMMERCIAUX 11
1. La mondialisation a été largement adossée aux principes du libre- échange 11
a. Le libre-échange a été un des principes fondateurs de l’Union européenne 11
b. L’abaissement des barrières douanières a favorisé la mondialisation 12
c. Les avantages comparatifs – différentiels de normes sociales et environnementales 13
2. Un essor sans précédent des flux commerciaux et une modification de la structure des échanges 17
a. L’économie mondiale fortement dépendante des échanges commerciaux 17
b. La fragmentation des chaînes de valeur : une transformation majeure des conditions des échanges 18
c. Le poids des entreprises multinationales dans le processus de mondialisation 22
d. Au sein de l’Union européenne, la part prédominante des échanges intracommunautaires et le poids de la facture énergétique 24
B. L’INEGALE REPARTITION DES GAINS DE LA MONDIALISATION 28
1. L’impact de la mondialisation sur les pays développés 28
2. La mondialisation a inégalement profité aux pays en développement 31
a. Une diminution des inégalités sur le plan international mais une augmentation des inégalités internes 32
b. De nombreux pays en développement insuffisamment intégrés dans le commerce international 33
C. LIMITES DU LIBRE-ÉCHANGE ET TENTATIONS PROTECTIONNISTES 36
1. En dépit de règles multilatérales 36
2. des manquements aux engagements faussant les échanges 38
3. Guerre des monnaies et dumping monétaire : une entrave au juste échange 41
D. LES PUISSANCES EMERGENTES : UNE RELATION INCONTOURNABLE ET UNE CHANCE POUR L’EUROPE 44
1. Le grand basculement du monde lié à la montée en puissance des pays émergents 44
2. L’Union européenne doit tirer parti du dynamisme des pays émergents 48
a. Les pays émergents, une catégorie hétérogène 48
b. Des caractéristiques communes : potentiel de croissance, montée des classes moyennes et dispositifs protectionnistes 49
3. La place particulière de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique 52
a. L’Afrique, un continent d’avenir 53
b. L’Inde, une puissance économique en devenir, des mesures protectionnistes à lever 54
c. La Chine, un pays en mutation, un rééquilibrage des relations avec l’Europe indispensable 55
d. Le Brésil, un émergent stratégique peu ouvert 55
II. DU LIBRE ECHANGE AU JUSTE ECHANGE : LES CLES DE RELATIONS EQUILIBREES CONFORMES AU JUSTE ECHANGE 56
A. L’UNION EUROPEENNE DOIT DEFINIR UNE STRATEGIE COHERENTE ET OFFENSIVE 56
1. Une politique européenne fragmentée du fait des divergences entre États membres 56
a. Des approches idéologiques éloignées et des intérêts dispersés 56
b. Pour une mise en œuvre renforcée des instruments de défense commerciale 58
2. L’Union européenne doit tracer une ligne d’intérêts communs sur la base du principe de réciprocité 61
a. Le principe de réciprocité adopté progressivement et avec réserves 61
b. Promouvoir le principe de réciprocité dans les accords plurilatéraux sur les services et sur les marchés publics 62
c. Instaurer un instrument unilatéral de réciprocité sur les marchés publics 63
3. L’Union européenne doit infléchir ses politiques de l’investissement et de la concurrence pour rééquilibrer les relations avec ses partenaires 65
a. Une politique de l’investissement assurant la réciprocité dans l’accès aux marchés tiers et la défense des intérêts stratégiques européens 65
b. Une politique de la concurrence adaptée à la mondialisation 70
4. L’Europe doit défendre ses intérêts offensifs et défensifs dans les négociations bilatérales 72
5. L’Europe doit faire prévaloir le principe d’équité en fonction du différentiel de développement de ses partenaires commerciaux 74
a. Des systèmes de préférences tarifaires graduées et conditionnelles 74
b. La négociation d’accords de partenariat économiques favorisant l’intégration régionale et le développement 75
B. L’UNION EUROPEENNE DOIT SOUTENIR UN MULTILATERALISME RENOVE 77
1. Une gouvernance commerciale multilatérale en crise 77
a. L’alternative du bilatéralisme est insatisfaisante pour un juste échange 77
b. La Conférence ministérielle de Bali n’a sauvé que les apparences 79
2. Une redéfinition des règles multilatérales pour un juste échange 80
a. Réformer le traitement spécial et différencié en tenant compte des nouveaux équilibres économiques internationaux 81
b. Revoir les disciplines sur les subventions aux exportations 82
c. Garantir un meilleur accès aux matières premières 83
d. Assurer la convergence des normes 85
e. Promouvoir la sécurité alimentaire 85
3. Pour réduire les risques de dumping monétaire, assurer une coordination monétaire multilatérale et mettre en œuvre une politique européenne de change 89
C. LE JUSTE ECHANGE EXIGE LE RESPECT DE NORMES SOCIALES ET ENVIRONNEMENTALES 92
1. Juste échange, biens publics et responsabilités communes mais différenciées 93
2. Une meilleure prise en compte des normes sociales au plan multilatéral 95
a. Les difficultés de poser un cadre normatif 95
b. Un socle commun de normes sociales minimales à garantir 97
3. Une gouvernance environnementale équitable face aux défis du changement climatique 98
a. Mieux articuler normes environnementales et règles commerciales 98
b. Parvenir à un accord climatique mondial équitable 102
c. Créer une taxe carbone européenne aux frontières ? 104
4. Les accords de libre-échange négociés par l’Union européenne comme levier du développement durable 106
a. Généraliser et renforcer les chapitres relatifs au développement durable 106
b. Mieux les évaluer et en contrôler l’application 107
5. Mettre les entreprises multinationales face à leurs responsabilités 109
a. Les limites d’une responsabilité sociale non contraignante pour les entreprises 109
b. Amener les entreprises à assumer un devoir de vigilance 112
CONCLUSION 115
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 117
TRAVAUX DE LA COMMISSION 125
ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURES 129
Mesdames, Messieurs,
Avec la mondialisation, le monde a changé d’échelle : ses contours ont été significativement élargis avec la montée en puissance des grands émergents. L’ensemble des pays du Sud, qui assuraient le tiers de la production mondiale en 1990, en produisent près de la moitié aujourd’hui. Nous sommes loin de 1950, où la Chine, l’Inde et le Brésil ne représentaient que 10 % de la production économique mondiale alors que les six puissances traditionnelles du Nord comptaient pour plus de la moitié.
Ce grand basculement du monde1 se traduit de façon amplifiée dans les échanges commerciaux, qui représentent désormais 30 % du PIB mondial. Il y a vingt ans, 60 % de ces échanges s’effectuaient entre les pays du Nord, 30 % étaient orientés Nord-Sud et 10 % étaient réalisés entre les pays du Sud ; aujourd’hui, les proportions sont d’un tiers dans chaque sens. La part des pays émergents dans les exportations mondiales a atteint le seuil symbolique de 50 % en 2011. Les positions acquises ont été remises en cause : émergence de nouvelles puissances, nouvelle division du travail, éclatement des chaînes de valeur, affaiblissement d’un monopole de la puissance jusqu’alors largement détenu par les États. La crise de 2008 a accéléré ces transformations en portant un coup à l’hégémonie des États-Unis et à celle de l’Union européenne.
Désormais, le dynamisme économique a changé de camp. Après avoir d’abord subi la crise de 2008 et même si les taux de croissance n’atteignent plus ceux à deux chiffres d’il y a quelques années, les pays du Sud s’en sortent finalement mieux. D’ici à 2020, 90 % de la croissance économique globale devrait être le fait des pays situés hors de l’Union européenne. Ce différentiel de croissance entre le Nord et le Sud devrait se poursuivre avec l’arrivée de pays actuellement en phase de « pré–émergence », notamment en Afrique.
Dans ce contexte, le poids relatif de l’Europe dans l’économie mondiale a baissé. L’Europe doit se décider à tirer pleinement parti de ses atouts, qui sont grands sur le plan mondial. Elle demeure la première zone d’exportations et d’importations et le premier investisseur et le premier receveur d’investissements mondiaux. L’étendue et le pouvoir d’achat de son marché de consommation ainsi que la capacité de production et d’innovation qu’elle conserve lui assurent une masse critique qui lui permettrait de jouer un rôle moteur dans les évolutions futures.
Alors que sa demande intérieure est bridée par la baisse de la consommation et la dégradation des finances publiques dans de nombreux États membres, le commerce afin de répondre à la demande mondiale est un des moteurs pour alimenter la croissance de l’Europe. L’Europe a intérêt à miser sur le dynamisme des zones émergentes qui sont aujourd’hui des partenaires incontournables, d’autant que la mondialisation est entrée dans une nouvelle phase liée à la montée en puissance d’une classe moyenne mondiale.
Le développement du commerce n’est cependant pas un but en soi mais un moyen. Encore faut-il qu’il demeure loyal, équitable, respectueux des normes internationales, en un mot, conforme aux exigences d’un juste échange. Pour reprendre les termes du rapport Gallois sur la compétitivité, l’une des conditions de la compétitivité est une « politique commerciale au service d’une ouverture équitable ».
La définition de ce qui est juste et donc injuste dans les rapports économiques et commerciaux est difficile.
Le juste échange devrait s’inscrire à rebours du libre-échange. En effet, celui-ci a été la toile de fond doctrinal de la mondialisation avec l’abaissement des barrières douanières et l’utilisation des avantages comparatifs. Il a constitué un des points majeurs du « Consensus de Washington » imposé aux pays en développement par les grandes institutions financières internationales dans les années quatre-vingt-dix. Cependant, pour ces pays, il n’a pas apporté de réponse pleinement satisfaisante à leurs difficultés économiques. Par ailleurs, il est souvent un article d’exportation pour certains pays et cache en fait de fortes tentations protectionnistes. Par ailleurs, l’utilisation des avantages comparatifs et particulièrement celui des faibles coûts de la main d’œuvre a conduit à des conditions de travail contraires à la dignité humaine comme l’a montré le drame du Rana Plaza survenu en avril 2013 au Bangladesh.
Si le libre-échange est un concept abondamment documenté, le juste échange n’est pas une notion académique du point de vue de la théorie économique. Elle n’est pas utilisée en tant que telle dans le droit commercial international, notamment dans le corpus de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont le fondement est la réciprocité. Le juste échange n’y est reconnu qu’indirectement, dans la possibilité de mesures dites antidumping, puisque leur objet est de rétablir des conditions de concurrence équitables et de lutter contre les exportations qui ne se feraient pas à leur juste valeur. Le contenu intellectuel de la notion de juste échange s’inscrit davantage dans la tradition scolastique de Saint Thomas d’Aquin de l’égalité dans l’échange2.
Les négociations commerciales internationales manifestent une attente indéniable en ce domaine. Ainsi, le juste échange a-t-il sous-tendu implicitement les critiques sur les conditions des échanges et les revendications d’un développement durable qui avaient émergé lors de la Conférence ministérielle de l’OMC de Seattle en 1999. La déclaration de Doha sur l’accord sur les ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce) et la santé publique de 2001, qui permet aux pays en développement n’ayant pas les capacités de fabrication suffisantes d’avoir accès à des médicaments de façon abordable, découle directement de ces revendications de justice. Le lancement du cycle de Doha pour le développement qui, s’il s’est réduit à des négociations commerciales classiques autour de réduction de droits de douane, correspondait à cette même préoccupation d’une répartition plus juste des bénéfices du commerce mondial. L’Organisation internationale du Travail (OIT) plaide pour une mondialisation plus juste, c’est-à-dire plus régulée3, qui s’est exprimée par l’adoption, le 10 juin 2008, de la « Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable ».En dehors du champ des relations commerciales, un partage juste et équitable découlant de l’utilisation des ressources génétiques constitue un des objectifs du Protocole de Nagoya de 2010, dans le cadre de la convention sur la diversité biologique.
L’Union européenne doit défendre un juste échange sous une triple acception.
En premier lieu, le juste échange suppose la loyauté dans les échanges et le respect des règles internationales dont principalement celles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui compte en son sein la quasi-totalité des Nations, notamment depuis l’adhésion de la Chine en 2001 et dix ans après, celle de la Russie. La notion de justice rejoint là celles de réciprocité dans l’échange, d’équité dans les concessions mutuelles et de respect des engagements. Or trop souvent, l’Europe et les grands émergents ne combattent pas à armes égales. Leurs gouvernements protègent leur marché intérieur, imposent des taux de contenu local et des transferts de technologie et constituent des oligopoles compétitifs de firmes publiques au service desquels sont mis des capacités d’investissement considérables. Il est donc temps de rééquilibrer ces règles du jeu.
En second lieu, même si l’ensemble des États ne peuvent être soumis aux mêmes règles, du fait des différences de niveau de développement et des différentiels de compétitivité, la notion de juste échange implique que chacun prenne la part qui lui revient dans l’effort commun et suppose l’émergence d’un accord sur des « règles du jeu universelles 4 ». Cette conception du juste échange s’appuie sur la notion de biens publics mondiaux. Au nombre de ces biens publics mondiaux, figurent la lutte contre le changement climatique, un système monétaire stable, la protection de la biodiversité ou des conditions de travail décentes. Cette approche en termes de biens publics mondiaux met en évidence la nécessité d’une action publique et d’une gouvernance multilatérale. Toutefois, cette conception du juste échange doit être conciliée avec le principe des « responsabilités communes mais différenciées » adoptés lors du sommet de Rio en 1992, qui se fonde sur l’idée qu’il serait inéquitable de soumettre les pays en développement aux mêmes obligations que les pays développés.
En troisième lieu, même si la mondialisation a permis une diminution globale des inégalités, ses gains ont été inégalement répartis et de nombreux pays en développement sont restés à l’égard, l’industrie et les services étant inégalement répartis dans le monde : pas assez nombreux en Afrique, et trop concentrés dans les grands émergents. Un multilatéralisme rénové et les rapports que devraient entretenir l’Europe avec les pays émergents et en émergence devraient contribuer à opérer un recentrage de l’économie au profit des nations restées à l’écart et faire en sorte que les pays émergents assument leur part de responsabilité à hauteur de leur poids économique et politique.
Sur une carte stratégique mondiale en pleine mutation, l’Europe peine à parler d’une seule voix au nom de l’intérêt commun. Alors que l’Union européenne avait naguère su exister en tant qu’entité unie dans les négociations commerciales multilatérales, elle parvient difficilement à surmonter les divergences d’intérêts entre États membres. Aujourd’hui, la question du juste échange implique de poser le débat sur ce que les États membres veulent faire de l’Europe alors qu’il existe de nombreuses divergences entre États, divergences accentuées par la crise. Il est nécessaire que l’Europe s’engage dans un processus visant au diagnostic de ses faiblesses et de ses atouts. Défendre un juste échange suppose pour l’Europe d’endosser une responsabilité normative particulière : tout à la fois respecter les règles existantes et promouvoir des normes, en particulier environnementales ou sociales, rendues opposables au commerce. Le concept de juste échange permettrait de porter de façon systémique ces préoccupations sur le plan multilatéral.
Au plan national et européen, il est crucial de maîtriser les effets inégalitaires de la mondialisation qui est le catalyseur des inquiétudes des citoyens face à l’insécurité économique. Que ses conséquences soient ou non surestimées, la mondialisation apparaît comme un obstacle insurmontable pour de nombreux perdants de la mondialisation. L’ouverture des marchés a en effet entraîné des dérèglements sur les marchés du travail, accentuant de ce fait le besoin de l’intervention des pouvoirs publics, tout particulièrement en matière d’éducation et de formation afin d’augmenter la résilience et l’adaptabilité aux changements induits par une évolution structurelle continue.
Après avoir façonné le développement des échanges commerciaux qui ont conduit à la première mondialisation de 1850-1914, le libre-échange a constitué l’horizon doctrinal du commerce international depuis les trente glorieuses. Les mesures protectionnistes et les dévaluations compétitives ayant été tenues pour responsables de la régression du commerce international et donc de la crise économique, les pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) ont décidé de pratiquer une politique volontariste de libre-échange, dans un cadre toutefois régulé d’une organisation internationale, le GATT (General Agreement on tariffs and Trade) institutionnalisé par la création de l’Organisation mondiale du commerce en 1994.
Le libre-échange trouve sa source dans la théorie des avantages comparatifs formulés par David Ricardo, selon laquelle les pays ont intérêt à se spécialiser dans les productions pour lesquelles leurs coûts relatifs de production sont les plus faibles et à importer les produits pour lesquels ils sont avantagés. L’abaissement des tarifs douaniers est une des conditions de la libre circulation des marchandises.
La liberté des échanges a été un des principes fondateurs de l’Union européenne, le principe de libre concurrence à l’intérieur de l’Europe trouvant son pendant dans les relations extérieures, le libre échange sur le plan commercial. La création européenne a en effet reposé sur le choix de la paix du commerce contre la guerre, en substituant aux rivalités nationalistes et mercantilistes, des échanges commerciaux pacifiques. Les échanges y étaient garantis par un droit commun et des institutions communes. Le libre-échange de la Communauté économique européenne (CEE) a assuré une croissance économique qui a effacé les destructions des deux guerres mondiales successives, donné du travail à une population en forte croissance, permis de rattraper en partie l’avance technique et le niveau de vie des États-Unis et compensé partiellement la perte des marchés captifs des anciens pays colonisés.
Ce projet politique a vu son aboutissement dans la création du marché unique, de la libre circulation des biens, des services et des personnes, de la monnaie unique et dans l’ouverture du marché européen aux échanges mondiaux. Cette ouverture est présentée comme favorable aux consommateurs, grâce à une baisse des prix et une extension de l’offre : ces arguments continuent à être développés par la Commission européenne5. L’Union européenne s’est ainsi fortement impliquée dans le mouvement de libéralisation du commerce, des transports, des flux de capitaux et des échanges de biens manufacturés. Sa participation aux négociations multilatérales de suppression des barrières douanières a été très active au cours des différents cycles de négociations du GATT depuis 19476. Alors que les États-Unis accusaient l’Europe de s’ériger en forteresse lorsque le « grand marché intérieur » a été créé en 1992, l’Union européenne s’est largement ouverte au commerce international au point qu’elle a pu être qualifiée « d’idiot du village mondial ».
Le libre-échange implique et conduit à l’abaissement des tarifs douaniers. Les grands cycles de négociations du GATT de 1947 à 1996 ont eu pour objet presque exclusif le démantèlement des tarifs douaniers qui, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, ont été divisés par huit. Le taux moyen des droits de douane est aujourd’hui inférieur à 5 % ; les véritables barrières au commerce sont des barrières non tarifaires.
Le principe de réciprocité à la base du contrat liant les pays membres de l’OMC et inscrit dans son article XXVIII selon lequel « les pays doivent s’efforcer de maintenir un niveau de concessions réciproques et mutuellement avantageuses » est le plus souvent limité à ces concessions douanières. De plus, sa portée effective est réduite dans la mesure où le principe de réciprocité a été dilué dans l’autre principe de base de l’OMC, la clause de la nation la plus favorisée (NPF) selon laquelle tout avantage commercial accordé par un pays membre doit de facto être accordé à tous les autres membres, sans condition de réciprocité.
Cet abaissement des barrières tarifaires a favorisé la phase de mondialisation qui a débuté lors de l’intégration des pays d’Asie dans les accords du GATT : le Japon dans les années 50 et 60 et les « Dragons d’Asie » dans les années 80. Aujourd’hui, tous les pays développés ont un niveau de protection douanière très faible : les taux moyens sont respectivement de 1,6 %, 1,8 %, 1,6 % et 1 % pour l’Union européenne, les États-Unis, le Japon et le Canada. Les pays émergents ont également abaissé leurs barrières douanières. L’accession de la Chine à l’OMC en 2001 avait notamment pour objet de mettre à profit des droits de douane réduits pour accéder aux marchés mondiaux. En contrepartie, elle a dû procéder, lors de son adhésion, à des concessions tarifaires : ses droits sont passés de 19,6 % en 1996 à 4,2 % en 2009 tandis que ceux de l’Inde sont passés de 20,1 % à 8,2 %.
La théorie des avantages comparatifs à la base du libre-échange explique le processus de mondialisation vue comme « un état du monde où les acteurs économiques conçoivent leur stratégie du point de vue mondial et non plus seulement du point de vue national ou régional. Cela concerne donc non seulement l’approvisionnement en biens et services, mais aussi les créations d’unité de production ou leur relocalisation, les stratégies financières, les politiques économiques »7. Reposant sur le postulat de capitaux fixes, la théorie classique des avantages comparatifs est revisitée. En effet, la mondialisation est aussi celle des capitaux. Aussi, dès lors que ceux-ci sont mobiles, les normes sociales, environnementales et fiscales jouent un rôle décisif dans les décisions d’implantation des entreprises, induisant une nouvelle division internationale du travail, même si ces décisions prennent en compte une multiplicité de facteurs – productivité du travail, proximité de la demande, infrastructures etc… - De ce fait, la mondialisation a donné un avantage comparatif aux pays ayant une main d’œuvre bon marché et à ceux ayant une réglementation moins rigoureuse en matière environnementale. Les entreprises multinationales ont largement accompagné un mouvement favorisant une division du travail qui implique, dans les pays en développement et émergents, la spécialisation des activités à forte intensité de pollution et à forte intensité de main d’œuvre.
S’agissant des normes sociales, la mondialisation a multiplié l’offre mondiale de travail par quatre, principalement du fait de l’intégration de la Chine, de l’Inde et des anciens pays de l’Europe de l’Est dans l’économie mondiale. Les coûts de production constituent indéniablement un avantage comparatif des pays émergents et en développement qui a contribué à leur développement. Cependant, ceux-ci font valoir que ces disparités s’expliquent par un différentiel de productivité réduisant d’autant cet avantage comparatif. Il est vrai que depuis cinquante ans, la productivité des pays européens a été multipliée par quatre. Toute tentative de gouvernance sociale afin de limiter cet avantage, au nom du rétablissement de conditions de juste échange, s’est heurtée à la ferme opposition des pays en développement qui a culminé lors de la Conférence de Singapour de l’OMC en 1996 au cours de laquelle les pays développés ont voulu inscrire le principe de l’articulation entre les règles du commerce et les normes sociales dans les règles de cette organisation.
Il est avéré que la production et l’emploi manufacturier ont subi une forte baisse depuis deux décennies dans les pays développés, comme le montrent les graphiques ci-après.
Évolution de la production manufacturière
Évolution de l’emploi manufacturier
À noter que, même si elles ne sont pas de même nature et de même ampleur, les distorsions de concurrence en matière sociale ne sont pas limitées aux relations entre pays développés et pays émergents. Ainsi, la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, conçue à l’origine comme protectrices des droits des salariés nationaux, est devenue un « outil d’optimisation sociale et de dumping social et est l’objet de nombreuses fraudes qui mettent en péril notre modèle social, nos comptes sociaux, ainsi que le projet européen lui-même, qui en est discrédité »8. Alors que les travailleurs détachés sont censés bénéficier du salaire et des conditions de travail du pays d’accueil, certains employeurs contournent la loi, à moindre coût dans la mesure où les cotisations sociales sont payées dans le pays d’origine. La France est ainsi le deuxième pays d’accueil européen avec 144 411 travailleurs détachés, ce nombre ayant fortement augmenté depuis 2006 où il était de 40 000. Les secteurs d’accueil de ces travailleurs détachés sont à 44 % le bâtiment et les travaux publics, 22,7 % les entreprises de travail temporaire, 17 % l’industrie et 5,3 % l’agriculture. Aussi, vos rapporteures se félicitent de l’accord auquel les États membres sont parvenus le 9 décembre dernier afin de renforcer les contrôles et lutter contre les dérives générées par le recours à la main d’œuvre détachée9.
On retrouve, en matière de normes environnementales, la même problématique qu’en matière de coût du travail et de normes sociales. Depuis trois ou quatre décennies, les pays industrialisés ont adopté des réglementations environnementales qui pèsent sur les coûts de production de leurs entreprises et sont susceptibles de délocaliser leurs activités les plus polluantes. La notion de dumping environnemental a été élaborée notamment par les économistes Baumol et Oates qui ont modélisé les conséquences de la libéralisation des échanges entre pays appliquant des normes environnementales différentes10. L’application de normes environnementales plus strictes dans les pays développés transformerait les pays en développement en lieux d’accueil des industries polluantes qui deviendraient des « havres de pollution ». Si aucune étude générale n’a été réalisée pour en prendre la mesure, il est patent que des phénomènes de délocalisations d’industries particulièrement polluantes se sont produits. Deux secteurs sont emblématiques, la tannerie et l’exploitation minière. La tannerie qui est source de rejets très polluants pour l’environnement est aujourd’hui largement délocalisée dans les pays du Sud. Quant à l’exploitation minière, les différences considérables de législation environnementale ont joué un rôle dans les décisions des entreprises.
L’impact des mesures environnementales sur la compétitivité des secteurs économiques est un thème récurrent et crucial dans la mise en œuvre d’une gouvernance mondiale environnementale. Il a constitué l’argument principal des États-Unis lors de leur retrait du Protocole de Kyoto en 2001. L’Union européenne, dans le cadre de ce protocole signé en 199711, s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Afin d’appuyer ses engagements internationaux, l’Union européenne a élaboré le « paquet énergie climat » qui est un plan d’action visant à mettre en œuvre une politique commune de l’énergie et de lutte contre le changement climatique. Il devrait lui permettre d’atteindre l’objectif de réduction de 20 % des GES, cette réduction de 20 % concernant les secteurs industriels. La mise en œuvre de ce paquet énergie climat repose sur un système de quotas de CO2 qui instaure un marché des droits à polluer qui couvre les secteurs manufacturier et énergétique. La réglementation en matière de réduction des émissions de CO2 pour les voitures neuves a ainsi été à la une de l’actualité, les groupes allemands voulant différer les nouvelles contraintes d’émissions décidées en juin 201312. Pour les autres secteurs (services, agriculture, transports routiers et maritimes, bâtiment…), les objectifs de réduction sont fixés par les États membres. Les entreprises européennes sont soumises à d’autres normes environnementales strictes comme par exemple le règlement REACH (système intégré d’enregistrement, d’évaluation, d’autorisation et de restrictions de substances chimiques).
Certains partenaires commerciaux de l’Europe n’ont pas de telles contraintes. On a vu que les États-Unis ne sont pas partie au Protocole de Kyoto. De la même façon qu’en matière sociale les pays en développement se prévalent de leurs avantages comparatifs, ils font valoir en matière environnementale, au nom du droit à leur développement économique, le principe de leurs responsabilités communes mais différenciées posé lors de la Conférence de Rio en 1992. Selon ce principe, « les États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème. Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent ».
Ces pays estiment que si les pays industriels peuvent se targuer d’émettre moins de polluants, c’est le fait de la localisation de ces activités dans les pays en développement ou émergents. Un récent rapport13 identifie les dix filières les plus toxiques dans le monde ( recyclage des batteries au plomb, production du plomb, activités minières, tanneries, sites de décharges industriels et municipaux, sites industriels, orpaillage, industries manufacturières, pétrochimie et teinture). Il apparaît que les pays en développement en accueillent une large part. Un autre argument peut être avancé, selon lequel la lutte contre le changement climatique et les mesures en faveur de l’environnement peut être source d’amélioration de la productivité et ainsi constituer un avantage pour les pays qui ont des normes plus contraignantes, ce qui diminue d’autant l’avantage comparatif de normes environnementales plus laxistes. On rejoint là l’argument de différentiel de productivité jouant en faveur des pays développés en ce qui concerne les normes sociales.
L’économie mondiale est fortement dépendante des échanges commerciaux qui sont caractérisés par une forte croissance et représentent aujourd’hui plus de 30 % du produit intérieur brut mondial (voir graphique ci-après). Cette croissance a été accompagnée par les institutions multilatérales (OMC) et favorisée par les mouvements des facteurs de production (main d’œuvre, capitaux, technologies) et par des progrès techniques (rapidité des échanges d’information et de paiement, homogénéisation des moyens de transports et réduction de leurs coûts), autant de phénomènes qui ont facilité le commerce et réduit de façon considérable les coûts des échanges.
Ratio des exportations mondiales de marchandises et de services commerciaux au PIB mondial, 1980-2012
Sources : FMI pour le PIB mondial, Secrétariat de l’OMC pour le commerce des marchandises, Secrétariat de l’OMC et CNUCED pour les services commerciaux.
Croissance, en volume, du commerce mondial des marchandises et du PIB, (2005-2014)
(Variation annuelle en %)
Source : Organisation mondiale du commerce
En 2013, le commerce mondial devrait enregistrer une légère hausse, de plus 2,5 % et de plus de 4,5 % en 2014, hausse se situant en deçà de la tendance historique14.
Toute réflexion autour sur le juste échange doit prendre en compte les changements du commerce international du fait de la fragmentation du processus de production et des chaînes de valeur. L’économie mondiale est maintenant caractérisée par les chaînes de valeur mondiales (CVM) dans lesquelles les biens et les services intermédiaires sont échangés et fabriqués selon des processus fragmentés et dispersés dans plusieurs pays. Les CVM sont en général coordonnées par des sociétés multinationales dont les réseaux de filiales de partenaires contractuels et de fournisseurs directs servent de cadre à un commerce international d’intrants et de produits. Les CVM sont aujourd’hui à l’origine d’environ 60 % du commerce mondial. Les CVM sont plus fréquentes dans certains secteurs où les activités sont plus facilement susceptibles d’être fragmentées (biens électroniques, construction automobile, confection) mais elles portent de plus en plus sur tous les secteurs, y compris les services.
Cette tendance lourde de l’évolution récente des structures industrielles s’inscrit à rebours de la pensée classique, dans laquelle le développement est vu comme un processus de montée en gamme dans la capture de la valeur ajoutée. Cette fragmentation avait commencé au sein des pays industrialisés, comme le montre la fabrication de l’Airbus à la fin des années 60 ; la mondialisation a accentué ce phénomène. En effet, les pays du Sud ont été d’abord appelés à servir d’ateliers pour la fabrication de biens à basse technologie (textiles) ou pour l’assemblage de biens à moyenne et haute technologie (électronique) destinés à la réexportation. Une partie des pays du Sud ont acquis du savoir-faire et les technologies, de sorte qu’ils ont remonté les filières et diversifié leur offre. La Chine ou l’Inde sont toujours cités, mais d’autres exemples pourraient l’être, comme le Costa Rica qui a commencé par l’assemblage de moyenne gamme et la maintenance en aéronautique et qui aujourd’hui fabriquent des équipements, ce processus s’étant appuyé sur une active politique de l’éduction. La majorité des pays en développement participent de plus en plus aux CVM : leur part dans le commerce mondial en valeur ajoutée est passée de 20 % en 1990 à 30 % en 2000 et s’établit aujourd’hui à 40 %.
Le commerce porte maintenant bien plus sur de la valeur ajoutée que sur des flux de biens. Les biens et services sont composés d’intrants provenant de divers pays et une part importante des importations intermédiaires est utilisée pour produire des exportations. Dans la plupart des économies, environ un tiers des importations de produits intermédiaires sont destinées au marché de l’exportation. Selon les chiffres avancés par l’OMC15, près de 30 % du total des échanges consistent en réexportations de biens intermédiaires, ce pourcentage ayant augmenté de dix points depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Aux États-Unis et au Japon – où la part des importations intermédiaires incorporées dans les exportations est parmi les plus faibles de la zone OCDE – elle atteint respectivement 17 et 23 % globalement, mais elle est nettement plus élevée dans certaines industries fortement intégrées. Au Japon, par exemple, près de 40 % des importations intermédiaires totales de matériel de transport finissent en exportations. Au sein de l’Union européenne, la fragmentation internationale de la production- calculée par la part des consommations intermédiaires importées dans la production -a progressé moins rapidement en France qu’en Allemagne, ce qui explique en partie les écarts de performance entre les deux pays16.
En conséquence, les mesures classiques des échanges internationaux ne reflètent pas les mouvements des biens et services qui circulent au sein de ces chaînes de production mondiales. Les CVM se prêtent à une double comptabilisation importante des échanges commerciaux d’environ 28 % correspondant , sur les 19 000 milliards d’exportations mondiales brutes en 2010, à un montant de 5 000 milliards de dollars du fait que les biens intermédiaires sont comptabilisés plusieurs fois dans les exportations mondiales quand ils ne devraient l’être qu’une seule fois au titre de la valeur ajoutée. Les balances commerciales bilatérales peuvent ainsi être assez différentes quand on les mesure en valeur ajoutée, bien que la balance commerciale totale demeure inchangée. Ainsi, calculé en termes de valeur ajoutée, l’excédent commercial de la Chine avec les États-Unis diminue de plus de 40 milliards de dollars c’est-à-dire de 25 % en 2009. Cet écart reflète en partie la part plus élevée des importations de valeur ajoutée des États-Unis dans la demande finale chinoise, mais s’explique également par le fait qu’une proportion considérable (un tiers) des exportations de la Chine incorpore un contenu étranger – il s’agit du phénomène « Fabrication Asie ». Ainsi, un iPhone assemblé en Chine contient moins de 4 % de valeur ajoutée chinoise et plus de 16 % de valeur ajoutée produite en Europe.
La France dans les chaînes de valeur mondiales (CVM)
Pour la France, dans l’ensemble, la méthodologie des chaînes de valeur mondiale (CVM) ne modifie pas le diagnostic des parts de marché. Ainsi, la France participe de manière active aux CVM manufacturières dans les secteurs des produits chimiques et du matériel de transport et est très présente dans certains secteurs des services, en particulier les services aux entreprises. Près de 40 % de la valeur des exportations manufacturières de la France représente la valeur ajoutée des services. La méthode d’évaluation en CVM permet de constater :
- la progression de la valeur ajoutée étrangère dans les exportations de la France est de 7 points entre 1995 et 2009, ce qui illustre l’intégration croissante de la France dans les CVM ;
- toutefois, la part de la France dans les exportations mondiales est globalement la même en données brutes, ou en valeur ajoutée, soit 4 % des exportations mondiales ;
- la capacité d’un pays à tirer avantage de la participation aux CVM est fonction de sa capacité d’exploiter la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de v valeur. À ce titre, l’indicateur final est le rapport entre la valeur ajoutée créée par le secteur national et étranger dans la satisfaction de la demande finale. En France, ce rapport est de 76 % de la valeur ajoutée locale et de 24 % de valeur ajoutée créée à l’étranger. À titre de comparaison, ce rapport est de 90 % au Japon, 85 % aux États-Unis et de 70 % en Allemagne ;
- l’utilisation d’intrants intermédiaires étrangers dans les exportations de la France, c’est-à-dire sa participation en amont, est légèrement supérieure à l’utilisation d’intrants intermédiaires français dans les exportations d’autres pays. Les intrants étrangers comptent pour 25 % des exportations françaises alors que moins de 20 % des exportations françaises n’alimentent les exportations des pays tiers (aval de la CVM).
Valeur ajoutée par secteurs dans la production des biens destinés à la consommation mondiale (France)
L’initiative conjointe de l’OCDE et de l’OMC sur les échanges en valeur ajoutée17 aborde cette question en s’intéressant à la valeur ajoutée par chaque pays impliqué dans la production des biens et des services destinés à la consommation mondiale. Cette orientation est utile dans la mesure où l’essor des échanges s’accompagnera vraisemblablement d’une progression de la sous-traitance internationale ainsi que l’analyse le rapport du groupe « Europe- mondialisation » du diagnostic stratégique France 2025 du Conseil d’analyse stratégique : « le développement de réseaux mondiaux de production aujourd’hui plus marqué pour les secteurs de moyenne et haute technologie ( aéronautique, TIC, pharmacie), plus internalisés, devrait concerner tous les secteurs manufacturiers… L’externalisation ne concernera plus seulement des secteurs d’activité, mais aussi des tâches et des métiers le long d’une chaîne de valeurs modularisée ».
Cette approche par les valeurs ajoutées comporte toutefois des limites dans la mesure où elle ne prend pas en compte les paramètres qualitatifs tels que l’intensité en emplois des échanges, l’empreinte environnementale ou le degré l’élaboration des normes sociales.
Cette transformation des échanges commerciaux est majeure et a une conséquence sur les stratégies commerciales ainsi que le note M. Pascal Lamy, directeur général de l’OMC : « le mode de fonctionnement des chaînes de production – fondé sur le fait que la moitié de nos exportations dépendent de nos importations – retire à peu près toute pertinence au vieux concept mercantiliste en vertu duquel les exportations sont un élément positif et les importations, un élément négatif. De fait, ce sont les pays qui exportent le plus qui importent le plus et ce sont ceux qui importent le plus qui tirent de leur participation au commerce international la plus grosse partie de la croissance de leur économie » 18. Ainsi, il est difficile d’envisager une augmentation du coût des importations par la voie d’une augmentation des droits de douane qui se répercuteraient de facto sur le prix des exportations. Deux tiers des importations européennes sont en effet des matières premières et des composants nécessaires au processus de production européen.
Ce processus de fragmentation de la production doit aussi être pris en compte dans la définition des stratégies économiques. Pour les pays développés, la question cruciale n’est plus tant « quelles industries devrons-nous garder ? » que « quelle part des chaines de valeur de la production globale devrons nous conserver 19 ? ». Pour l’Union européenne, l’enjeu est de préserver les chaînes de valeur sur le territoire, en préservant le capital humain et technologique et en tenant compte d’un horizon à moyen terme (environ vingt ans) dans lequel l’avantage compétitivité-prix de la Chine aura diminué. Pour les pays en développement, l’industrie et les services sont aujourd’hui mal répartis dans le monde et une meilleure insertion dans les chaînes de valeur est au cœur de leur décollage et de leur développement. La contribution des CVM au développement peut être significative. Ce mouvement a d’ailleurs déjà commencé avec les délocalisations qui se font en Afrique ou dans d’autres pays d’Asie et s’accentuera au fur et à mesure que les coûts salariaux augmenteront en Chine, en Inde et au Brésil. Comme le note la CNUCED, dans les pays en développement, le commerce en valeur ajoutée contribue en moyenne au PIB national à hauteur de près de 30 % contre 18 % dans les pays développés. Il existe une corrélation positive entre la participation aux CVM et le taux de croissance du PIB par habitant. Elles peuvent aussi « constituer pour les pays en développement un moyen important de renforcer leurs capacités productives, notamment par la diffusion des technologies et l’acquisition de compétences, ce qui ouvre des perspectives de modernisation industrielle à plus long terme »20. Cependant, comme le souligne la CNUCED, la participation aux CVM comporte certains risques. Ainsi, « la contribution aux CVM au PIB peut être limitée sur les pays ne reçoivent qu’une faible partie de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne. En outre, la diffusion technologique, le renforcement des compétences et la modernisation ne sont pas automatiques. Les pays en développement courent le risque de rester captifs d’activités à relativement faible valeur ajoutée. En outre, les conséquences pour l’environnement et les effets sociaux, notamment sur les conditions de travail, la sécurité et la santé au travail et la sécurité de l’emploi, peuvent être préjudiciables. La mobilité des activités des CVM et une plus grande vulnérabilité aux chocs extérieurs constituent des risques supplémentaires ». En conséquence, les pays doivent évaluer les avantages et les inconvénients de cette participation aux CVM en termes de stratégies de développement.
La notion traditionnelle de commerce est dépassée : en effet, celle-ci mesure ce qui s’échange entre les frontières alors que la moitié des échanges se font au sein d’une même organisation multinationale. Ce processus, ainsi que celui de la fragmentation de la valeur ajoutée, ne peut se comprendre qu’en l’articulant avec le rôle des sociétés multinationales. Dans les phases plus anciennes d’expansion du commerce mondial, les sociétés commerciales restaient dans la dépendance d’un État (compagnie des Indes, banques, compagnies pétrolières ou de chemin de fer). Tous les discours considérant les rapports d’État à État doivent être relativisés dans la mesure où la carte des États et celle des entreprises et capitaux internationaux sont décalées. Aujourd’hui multinationales, les sociétés s’émancipent des tutelles étatiques tout en répartissant leurs échanges et leurs productions à l’échelle mondiale. Des secteurs industriels comme le textile, l’automobile, l’électronique, l’informatique ou la pharmacie sont mondialisés.
Part des échanges intragroupes dans les échanges totaux des États-Unis, du Japon et de la France (en %)
Source : rapport sur le commerce mondial, OMC, 2008
Dans le développement de la Chine, les sociétés partagées ou « joint-venture » ont joué un rôle déterminant21. S’il y a eu la mondialisation, c’est qu’il y a eu des mondialisateurs. Les gains de part de marché de la Chine sont largement le fait des entreprises à capitaux étrangers. « La puissance chinoise, c’est d’abord la puissance des délocalisations des entreprises européennes, japonaises et américaines »22, comme l’illustre le graphique ci-après.
Les exportations chinoises en pourcentage des exportations mondiales
La question du juste échange devra donc prendre en compte les stratégies d’investissement des sociétés multinationales au travers desquelles sont réalisées 60 % des échanges.
d. Au sein de l’Union européenne, la part prédominante des échanges intracommunautaires et le poids de la facture énergétique
Pour l’Union européenne, la portée du juste échange doit prendre en compte le caractère prédominant du commerce intracommunautaire.
La balance commerciale de l’Union européenne est globalement déficitaire, ainsi que le montre le graphique ci-dessous.
Balance commerciale de l’Union européenne
Trois remarques doivent être faites sur cette situation de déséquilibre :
– d’abord, le solde négatif de la balance commerciale de l’Union est largement dû à la facture énergétique, qui a dépassé en 2011 le solde positif sur les biens industriels et de service, ainsi que le montre le graphique ci-après. La hausse de l’excédent européen en matière de produits manufacturés et de services a plus que contrebalancé le doublement du déficit dû à la facture énergétique entre 2000 et 2010. Le déficit européen en matière de biens et services a été divisé par deux depuis 2000 (moins 74 milliards d’euros). Ce poids de la facture énergétique dans le commerce européen doit être pris en compte dans les réflexions sur le taux de change de l’euro, un euro moins fort alourdirait cette facture.
Source : Commission européenne « Stratégie commerciale de l’UE : saisir les opportunités ». Présentation de M. José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, au Conseil européen des 7 et 8 février 2013.
– Ensuite, si l’Union européenne est le principal importateur et exportateur mondial, ses membres sont inégalement exposés à la concurrence internationale. Les performances des États dont extrêmement diverses. Alors qu’en 2012, seize États ont subi une dégradation de leurs balances commerciales, à hauteur globale de 189 milliards d’euros, onze États ont amélioré leurs balances commerciales, à hauteur de 164 milliards d’euros. Certains comme la Grande Bretagne ou l’Italie étant plus dépendants du marché extra communautaire.
Les chiffres du commerce au mois d’octobre 2013 indiquent que le commerce de l’Union européenne à 28 avec les pays tiers enregistre sur un an un excédent de 4,3 milliards d’euros par rapport à octobre 2012 où le déficit était de 10,2 milliards d’euros. Le déficit en matière d’énergie s’est réduit à moins 287 milliards d’euros sur les trois premiers trimestres 2013 contre moins 315 milliards d’euros sur la même période en 2012) pendant que l’excédent en produits manufacturés a augmenté (plus 286 milliards d’euros contre plus 254 milliards d’euros). Le déficit avec la Chine s’est réduit (moins 98 milliards d’euros contre 110 milliards d’euros en 2012). L’Allemagne affiche le plus fort excédent (plus 148 milliards d’euros), suivie des Pays Bas (plus 40 milliards d’euros) et l’Irlande (plus 28 milliards d’euros) tandis que la France affiche le plus fort déficit (moins 57,5 milliards d’euros), suivie du Royaume-Uni (moins 55 milliards d’euros) et de la Grèce (moins 14,5 milliards d’euros) ;
– enfin, le reste du monde ne représente qu’une part minoritaire dans le commerce de l’Union européenne, qui se déroule pour les deux tiers entre ses États membres, comme l’illustre le graphique infra. C’est dans le commerce intracommunautaire que se sont creusés les écarts de performance économique entre les États membres. Depuis dix ans, seize États membres ont subi une dégradation de leur balance commerciale et cette dégradation est due à hauteur de plus de 70 % à leur déficit intracommunautaire. La France réalise pour sa part 60 % de son commerce extérieur avec le reste de l’Union. Si l’on ajoute les autres pays européens non membres de l’Union et les États-Unis, cela représente les trois quarts de son commerce. La principale asymétrie et l’essentiel des déséquilibres viennent donc des relations commerciales entre les pays européens eux-mêmes.
UE- 27 et pays membres : commerce intra et extra européen, 2011
(Importations et exportations en % du commerce total)
Balances commerciales intra et extracommunautaires des pays de
l’Union européenne
Dans ce contexte, les divergences de normes sociales ou fiscales peuvent avoir un effet déterminant. Une récente étude de l’INSEE23 montre que sur la période 2009-2011, le nombre des suppressions directes de postes dues à des délocalisations est estimé à 20 000 et la majorité les délocalisations (55 %) s’est faite au sein de l’Union : 38 % vers l’Union européenne des quinze (UE15) et 22 % vers les nouveaux États membres.
Les conditions de l’échange peuvent être considérées comme injustes quand la répartition des bénéfices résultant du développement considérable des échanges internationaux est déséquilibrée. Si la croissance de la production liée à l’essor des échanges ont permis une redistribution des richesses entre le Nord et le Sud et à des centaines de millions de personnes de sortir de la pauvreté et de régler notamment le problème de la faim, on peut constater une augmentation des inégalités au sein des États. Par ailleurs, de nombreux pays en développement sont restés en retrait du développement des échanges. Les pays développés ont quant à eux été impactés par la mondialisation, certains États ayant cependant mieux résisté à la désindustrialisation.
La nouvelle division internationale du travail provoque des ajustements difficiles dans les pays développés, en particulier ceux qui ne sont pas qui ne sont pas restés à la pointe de la technologie ou qui n’ont pas développé une spécialisation faisant que les biens qu’ils produisent ne sont pas substituables.
Le fait que les entreprises s’installent dans des pays où elles jugent les conditions plus favorables a bouleversé l’équilibre entre le rôle de l’État et des marchés : la régulation assurée par les politiques publiques est en partie remise en cause du fait de la mobilité des capitaux. La mondialisation a été perçue comme une menace car elle a aggravé les inégalités devant l’emploi, remettant en cause le modèle social et notamment le modèle de répartition secondaire des richesses au sein de l’État nation (par les prestations sociales, les salaires minimum ou l’âge de la retraite). Certains pays ont fait très tôt le choix de sacrifier le modèle social et ont succombé à la tentation du dumping social comme la Grande- Bretagne qui est le plus farouche partisan du libre-échange ; cette voie a été suivie par l’Allemagne qui n’a pas encore de salaire minimum.
Une des raisons des inquiétudes est l’incertitude sur la pérennité du modèle social européen : l’Europe pèse pour 25 % de la richesse mondiale et 8 % de la population et réalise près de 50 % des dépenses sociales mondiales.
L’impact ressenti ou réel de la mondialisation sur l’emploi a été le catalyseur des inquiétudes des populations face à l’insécurité économique. Cependant, la mesure de cet impact et de la portée de la désindustrialisation liée à la mondialisation fait débat
L’Europe a maintenu ses parts de marché sur les biens manufacturés. Hors énergie, l’excédent commercial de l’Union européenne sur les biens manufacturés est ainsi passé de 50 à près de 200 milliards d’euros en dix ans24. L’industrie européenne regroupe encore 2,3 millions d’entreprises, emploie 37 millions de salariés et produit plus de 1 900 milliards d’euros de valeur ajoutée par an. Elle a mieux résisté que d’autres régions à l’émergence de nouveaux pays dans le commerce international.
Cependant, maintien des parts de marché ne signifie pas obligatoirement maintien de l’emploi. Tous les économistes y compris Paul Krugman qui a longtemps considéré que la mondialisation n’était pas coupable25, reconnaissent le rôle de la globalisation commerciale dans l’aggravation des inégalités et les pertes d’emplois. Mais cette désindustrialisation a frappé de façon inégale, selon les pays et selon les secteurs. Ainsi, la France est devenue le pays le moins industrialisé des grands pays de la zone euro (après l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie) ; entre 1980 et 2011, les emplois industriels sont passés de 24 à 13 % de l’ensemble des emplois.
Cependant, cette désindustrialisation n’est ni récente, ni spécifique à l’Europe. Le sociologue Michel Crozier analysait dans les années 1970 la révolution due au changement de la logique autour de l’activité économique et le rôle des nouvelles technologies. Par ailleurs, la désindustrialisation ne touche pas que l’Union européenne. Des pays comme le Brésil connaissent une désindustrialisation précoce. Une étude de 2012 montre que, si les économies d’Amérique latine ont su tirer bénéfice des exportations des matières premières, elles ont néanmoins négligé le développement d’une industrie de pointe, contrairement aux émergents d’Asie. On assiste donc à une « reprimarisation » relative de l’économie et à une « désindustrialisation précoce ». Selon l’auteur de cette étude, la désindustrialisation proviendrait d’un manque de compétitivité dont souffrent les pays d’Amérique latine, ainsi que de l’incapacité des États à maîtriser l’appréciation du taux de change26.
S’agissant de la France, la baisse des emplois industriels n’est qu’en partie liée à la mondialisation. Selon une étude pour la Direction générale du Trésor27, sur la période 1980-2007, l’industrie française est passée de 5,3 à 3,4 millions d’emplois, soit une baisse de 36 %. La part de l’industrie dans l’emploi total a reculé de 11 points (passant de 24 % à 13 %) alors que parallèlement celle des services marchands a augmenté de 12 points (passant de 32 % à 44 % de la population active).
Une partie du processus de chute de l’emploi industriel s’explique par un recours croissant à l’externalisation d’activités productives du secteur industriel vers le secteur des services. Cette baisse de l’emploi industriel reflète ainsi un transfert d’emplois vers les services, sans véritable changement de leur contenu. Ces transferts d’emplois sont estimés à 25 % des pertes d’emplois industriels sur la période 1980-2007.
Une autre partie des pertes d’emplois s’explique par la déformation de la structure de la demande au cours du temps et aux gains de productivité dans l’économie :
- en premier lieu, les gains de productivité réalisés dans l’ensemble de l’économie entraînent une hausse du revenu des agents, qui se traduit, dans les pays développés, par une modification de la structure des dépenses des ménages au profit des services et au détriment des biens industriels ;
- en second lieu, les gains de productivité enregistrés dans l’industrie conduisent à réduire les besoins de main-d’œuvre dans ce secteur. Ces gains de productivité induisent certes, en contrepartie, une baisse des prix des biens industriels et, par suite, une hausse de leur demande, mais cet effet ne compense que partiellement l’effet premier de réduction de main-d’œuvre en raison d’une substituabilité limitée entre ces produits et les autres biens de l’économie.
Cet effet contribuerait à près de 30 % des pertes d’emplois.
L’impact de la concurrence étrangère a contribué à la baisse de l’emploi industriel en France et expliquerait, au minimum, 13 % des pertes d’emplois sur la période 1980-2007 et 28 % sur la période 2000-2007.
Dans ces pertes d’emplois, quelle est l’impact des délocalisations ? Comme l’analyse François Bourguignon, « le problème n’est pas tant celui de la délocalisation que celui de la fermeture d’unités devenues non concurrentielles, suivie de la délocalisation à l’étranger de nouvelles capacités de production. Sur 700 000 emplois détruits par an dans l’industrie manufacturière française entre 1980 et 2007, moins de 10 % pourrait résulter de telles opérations de délocalisations directes vers les pays émergents, tandis que plus de 30 % pourraient être attribués à la concurrence internationale en général (abandon d’activités sans relocalisation, création de nouvelles activités à l’étranger), 30 % aux gains de productivité et à la baisse de la demande intérieure, et 30 % à la sous-traitance de certaines tâches vers les services »28.
Selon une étude de l’INSEE29, entre 2009 et 2011, 4,2 % des sociétés marchandes non financières de 50 salariés ou plus implantées en France ont délocalisé des activités. Les secteurs les plus concernés sont l’industrie manufacturière et les services de l’information et de la communication. Les sociétés qui délocalisent sont le plus souvent exportatrices ou déjà présentes à l’étranger par le biais de filiales. Elles appartiennent souvent à un groupe et délocalisent en majorité au sein de ce dernier.
La destination privilégiée des délocalisations est l’Union européenne des quinze (UE15) et les nouveaux États membres de l’Union à hauteur de 55%, suivie de l’Afrique ( 24 %), puis de la Chine (18 %) et de l’Inde (18 %), enfin les États-Unis et le Canada ( 8 %). La recherche de coûts plus bas, salariaux ou autres, est la motivation principale, suivie de la possibilité d’accéder à de nouveaux marchés. Les motifs de délocalisation dans l’UE15 sont plus diversifiés que dans les autres zones.
Proportion de sociétés de 50 salariés ou plus ayant délocalisé des activités entre 2009 et 2011, en France
Lecture : 7,7 % des sociétés marchandes non financières de 50 salariés ou plus et exportatrices en 2009 ont délocalisé, totalement ou partiellement, au moins une activité.
Champ : sociétés marchandes non financières de 50 salariés ou plus (fin 2008) implantées en France.
Source : Insee
Un des principes inspirant l’Organisation mondiale du commerce est le système commercial international doit fonctionner au bénéfice de tous et plus particulièrement des plus pays les plus pauvres et contribuer à leur développement. De ce point de vue, si l’on considère que le juste échange doit conduire à la réduction des inégalités entre pays, alors cet objectif est partiellement atteint.
a. Une diminution des inégalités sur le plan international mais une augmentation des inégalités internes
En effet, les pays en développement qui ont réussi à s’intégrer dans le commerce international connaissent la réduction de la pauvreté par l’incorporation de millions de travailleurs dans les échanges internationaux et acquièrent des techniques parmi les plus avancées qui leur permettent d’entrer en concurrence avec les entreprises de pays développés, même sur des marchés à haute valeur ajoutée (aéronautique, informatique, pharmacie). Les inégalités internationales pondérées par la population se réduisent. Cela est dû pour l’essentiel à l’émergence et au rattrapage rapide de l’économie chinoise (1,33 milliard d’habitants) et, dix ans plus tard, de l’économie indienne (1,17 milliard d’habitants).
Dans un rapport sur la mondialisation30, le Bureau international du travail faisait l’analyse suivante : « Comme le soulignait déjà le rapport de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation, il est en effet incontestable que la mondialisation n’est pas un phénomène de génération spontanée. Il s’agit bel et bien d’un phénomène qui s’inscrit dans le cadre de certaines règles et institutions, parmi lesquelles les disciplines du commerce multilatéral. Or, il est également incontestable que ces règles et ce régime ont entraîné une redistribution des richesses entre les grandes puissances industrielles et un certain nombre de pays émergents ou émergés qui est sans doute plus tangible que toutes les revendications et les efforts déployés au nom du droit au développement (y compris les deux décennies dites du développement patronnées par les Nations Unies) » .
Cependant, le dernier rapport du PNUD de 2013 sur le développement humain fait observer que les pays les plus pauvres n’ont pas vraiment entamé leur processus de rattrapage. De plus, la diminution des inégalités entre pays va de pair avec un accroissement des inégalités internes. Comme l’analyse M. François Bourguignon31 : « le développement plus rapide des pays émergents et, dans une moindre mesure, des pays en développement contribue à diminuer l’inégalité des niveaux de vie entre habitants de la planète. Mais la hausse des inégalités dans les territoires nationaux tend au contraire à l’augmenter ». L’évolution des inégalités internes est plus contrastée dans les pays pauvres et émergents. En Chine et en Inde, les inégalités ont augmenté rapidement, à mesure que la croissance s’accélérait. En Chine, elles ont une dimension sociale mais aussi régionale puisque l’industrialisation du pays a d’abord eu lieu dans les provinces côtières. Parmi des pays émergents plus inégalitaires au départ comme le Brésil, grâce à des politiques spécifiques de lutte contre la pauvreté, les inégalités de revenus ont diminuées depuis une dizaine d’années. Le coefficient de Gini32 du Brésil comme celui du Mexique reste cependant très élevé. De manière générale, on peut constater que les inégalités de revenus dans les pays pauvres et émergents sont particulièrement élevées en Amérique latine et en Afrique subsaharienne. Elles le sont moins en Asie et y étaient déjà plus faibles avant que les pays asiatiques ne commencent leur puissant mouvement de rattrapage des pays riches33.
Si l’ouverture aux échanges a été positive pour certains pays, pour d’autres et malgré le principe d’une discrimination positive en faveur des pays en développement dans l’application des règles commerciales multilatérales, le commerce n’a été fort peu au service de leur développement.
Il y a vingt ans, 60 % des échanges s’effectuaient entre les pays du Nord, 30 % étaient des échanges Nord-Sud et 10 % étaient réalisés entre les pays du Sud. Aujourd’hui les proportions s’établissent à un tiers dans chaque sens. Cependant, ces chiffres cachent des disparités importantes. Ainsi, les 49 pays les moins avancés (PMA) réalisent à peine plus de 1 % du commerce mondial. Cette faible participation au commerce international s’illustre très symboliquement par le fait qu’aucune saisine de l’Organe de règlement des différends de l’OMC n’a été le fait de pays PMA, faute d’expertise juridique, d’avocats et d’équipes techniques. S’agissant des gains attendus du cycle de Doha et de l’ouverture aux échanges, les études, même les plus prometteuses qui escomptaient un gain mondial de 500 milliards de dollars pour l’économie mondiale34, mettent l’accent sur le fait que la répartition des gains serait inégale. Selon une étude de la Banque mondiale35, les bénéfices globaux du cycle se seraient élevés au maximum à 96 milliards de dollars en 2015 dont 16 milliards au bénéfice des pays en développement. Parmi les pays en développement, la moitié de bénéfices était supposée profiter à huit pays : Argentine, Brésil (environ 23 % des bénéfices du cycle), la Chine, l’Inde, le Mexique, la Thaïlande, la Turquie et le Vietnam.
Dans la première décennie du XXIe siècle, la plupart des PMA ont augmenté leurs exportations en volume (en moyenne de 7 à 8 %) mais beaucoup moins en valeur. Le taux de couverture des exportations par les importations a considérablement diminué (de 7 à 8 points sur la décennie). Ces pays sont en conséquence très sensibles au ralentissement de l’économie mondiale, eu égard à leur dépendance aux produits de base et la concentration des exportations. Leurs importations de denrées alimentaires se sont accrues, augmentant ainsi leur dépendance et leur vulnérabilité.
La théorie des avantages comparatifs et de la spécialisation internationale qui sous-tend le libre-échange et qui était une des points forts du Consensus de Washington n’est pas pertinente pour ces pays en développement et n’a abouti qu’à la spécialisation dans la pauvreté : « L’application sans discernement de la clause de la nation la plus favorisée ne profite qu’aux nations les plus favorisées, c’est-à-dire aux pays développés et aux émergents. Les pays les pauvres demeurent une variable d’ajustement du commerce mondial »36.
Le modèle de croissance tiré par les exportations qui a largement sous tendu la plupart des stratégies de développement des PMA est un échec partiel. Il ne s’est globalement traduit ni par une amélioration des balances commerciales, ni par une forte hausse de l’investissement et de la formation de capital.
Les dispositifs de préférences tarifaires (comme le régime « Tout sauf les armes » européen ou l’AGOA37 américain) sont sous-utilisées en raison des problèmes de compétitivité des économies, de la complexité et de la rigueur des règles d’origine. S’ajoutent des contraintes liées aux normes notamment privées (très présentes dans les domaines sanitaire et phytosanitaire, ce qui pose la question de la validité de normes édictées par des entités non gouvernementales), aux standards et barrières non tarifaires des pays développés qui sont vécus comme autant de mesures protectionnistes par les pays en développement. Si la part de traitement préférentiel en franchise de droits pour les importations en provenance des PMA est passée de 35 % environ à la fin des années 90 à 50 % en 2010, dans les faits, les traitements différentiels n’ont fait que compenser les coûts logistiques et de transaction plus élevés auxquels les exportateurs sont confrontés. De plus, les abaissements de droits de douane décidés de façon générale dans le cadre de l’OMC ou des accords bilatéraux de libre-échange ont contribué à l’érosion des préférences (du fait de l’application de la clause de la nation la plus favorisée).
Les parts de marché que les PMA ont gagné, notamment dans les pays émergents, sont essentiellement le fait des exportations de combustibles et autres minéraux alors qu’ils ont perdu des parts sur les produits industriels transformés.
La revendication pour un juste échange pour ces pays ne peut passer sous silence l’exploitation des ressources naturelles et du secteur primaire par les pays occidentaux dans les périodes coloniales et néocoloniales qui n’ont pas profité aux populations locales. Les cultures vivrières locales ont été réorientées vers des productions exportatrices comme le coton, le café, les bananes, l’hévéa ou le coton. Les retombées économiques, sociales et financières des industries extractives n’ont pas été mises au service des besoins de développement. L’exploitation d’hydrocarbures tend à fragiliser le tissu économique, la cohésion sociale et les institutions politiques des pays producteurs. De plus, la réduction des normes environnementales a été utilisée par les gouvernements afin d’attirer les entreprises internationales38.L’exploitation des richesses du sous-sol est souvent associée à la misère des populations locales, à la mauvaise gouvernance et à la dégradation de l’environnement39, si bien que l’on a pu parler de la « malédiction des ressources naturelles ».
La situation des pays en développement et leur faible degré d’intégration dans le commerce international conduit à s’interroger sur le bien-fondé de l’approche en termes de chaînes de valeur mondiale pour leur développement. Ceux-ci ne peuvent tirer parti des possibilités d’accès au marché s’ils n’ont pas la capacité de produire et d’exporter. Le développement de ces pays ne se fera que par un mouvement d’industrialisation et de transfert de services exportables au fur et à mesure que les coûts salariaux augmenteront dans les émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil, mouvement qui a déjà été largement amorcé (voir supra I-A-1-b « Désindustrialisation et mondialisation »). La Déclaration ministérielle de Hong Kong en décembre 2005 insistait ainsi sur l’importance de l’aide au commerce. Un rapport commun de l’OCDE, de l’OMC et de la CNUCED, publié à l’occasion de la tenue du G20 à Saint Petersburg en septembre 201340, rappelle qu’il reste à éliminer des obstacles spécifiques à la participation effective des pays en développement aux chaînes de valeur mondiales.
Le libre échange est une théorie dont les faiblesses théoriques sont souvent soulignées. Il repose sur l’égalité a priori des acteurs de l’échange et sur les conditions de l’équilibre économique classique : libre circulation des facteurs de production, des biens et des services, concurrence pure et parfaite entre acteurs de taille comparable ou à tout le moins respect des contrats, contestabilité des marchés et absence d’oligopoles ou d’asymétrie de l’information.
Dans un monde complexe, ces conditions ne sont pas réunies et la distinction classique entre libre-échange et protectionnisme est souvent battue en brèche par les pays pour lesquels le libre-échange ne s’applique qu’à leurs relations commerciales avec les pays tiers et qui pratiquent le protectionnisme pour protéger leur marché intérieur. Derrière l’échange théoriquement libre se cache souvent la réalité d’un mercantilisme basé sur le développement des exportations et la limitation des importations et des rapports de force entre puissances inégales. L’on a vu que le libre-échange a été un des commandements du Consensus de Washington que les institutions financières internationales ont imposé aux pays en développement comme une réponse à leurs difficultés économiques et de développement dans les années quatre-vingt-dix.
Par ailleurs, le succès économiques des pays émergents comme les dragons d’Asie s’est construit de façon concertée sur des politiques protectionnistes et d’aides aux industries naissantes, sur la base d’oligopoles et d’aides d’États. De même, dans les années 1970-80, les États-Unis, sur la base la notion de « politique commerciale stratégique »41 ont institué des aides publiques offensives ayant pour objectif de conforter la position de « champions nationaux » dans les industries d’avenir, cette politique de champions étant actuellement pratiquée en Chine ou au Brésil, dans les secteurs du pétrole, de la chimie, de l’aéronautique, des technologies de l’information et de la communication...
Le mouvement de libéralisation des échanges après la deuxième guerre mondiale s’est accompagné d’une volonté d’en assurer la régulation par la création d’organisations internationales dont le Fonds monétaire international et l’OMC qui a succédé au GATT en 1994, ce qui était en quelque sorte une mise en pratique de la théorie kantienne de la paix du commerce.
Cette organisation vise à instituer un système de règles visant à garantir une « concurrence ouverte, loyale et exempte de distorsions 42». Cette formule signifie d’abord que le système commercial doit être exempt de discrimination : aucun pays ne devrait établir de discriminations entre ses partenaires commerciaux, ni entre ses propres produits, services et ressortissants d’une part et les produits, services et ressortissants étrangers auxquels doit être appliqué le traitement national. Ensuite, le système commercial doit être prévisible, ce qui implique que les sociétés, les investisseurs et les gouvernements étrangers doivent avoir l’assurance que les obstacles au commerce ne soient pas appliqués de façon arbitraire. Enfin, il doit être concurrentiel : il s’agit de prohiber des pratiques déloyales comme l’octroi de subventions à l’exportation et la vente de produits à des prix inférieurs aux coûts en vue d’obtenir des parts de marché (pratique du dumping). Ces principes reconnaissent indirectement la notion de juste échange dans la possibilité pour les États membres d’instaurer des mesures dites antidumping dont l’objet est de rétablir des conditions de concurrence équitables et de lutter contre les exportations qui ne se feraient pas à leur juste valeur.
Pour l’application de ces principes, sont mis en place un ensemble d’accords et disciplines portant sur des domaines larges : agriculture, textiles, marchés publics, normes industrielles et sécurité des produits, propriété intellectuelle, normes sanitaires et phytosanitaires (SPS), obstacles techniques au commerce (OTC) ou subventions et mesures compensatoires. Les États doivent s’y conformer et respecter les normes internationales en vigueur. Ainsi les normes sanitaires et phytosanitaires applicables par les États membres doivent respecter le corpus élaboré par des instances internationales comme le codex alimentarius ou l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale) et ne doivent pas entraîner de distorsions de concurrence.
Un« mécanisme d’examen des politiques commerciales » (MEPC) a pour objet de s’assurer que les États se conforment à leurs obligations. Il ne s’agit toutefois pas d’un mécanisme contraignant, aucune sanction n’y étant associée. Dans le cadre de l’examen des politiques commerciales, tous les membres de l’OMC font l’objet d’un examen, dont la fréquence varie en fonction de leur part dans le commerce mondial. Ces évaluations portent régulièrement sur différents pays. Lors de son accession à l’OMC en 2001, il était prévu que la Chine ferait l’objet d’un examen annuel de ses pratiques commerciales et d’un examen final au bout de dix ans dans son protocole d’accession à l’OMC43.
Enfin, l’une des avancées majeures de l’OMC par rapport au système du GATT a été la création d’un mécanisme contraignant de règlement des différends commerciaux entre États, sous la forme d’un organe permanent doté d’une juridiction propre, l’Organe de règlement des différends (ORD). Compte tenu de la lourdeur de la procédure, les États membres saisissent l’ORD dans des affaires importantes ou posant des questions de principe et les manquements « courants » au juste échange ne sont pas soumis à l’ORD, relevant davantage de l’examen des politiques commerciales mentionné supra.
Les barrières tarifaires sont aujourd’hui faibles et les pics tarifaires sont limités, se justifiant par un souci de protection de secteurs sensibles comme l’agriculture pour des motifs de souveraineté alimentaire et sont admis par les règles de l’OMC. L’essentiel des déséquilibres des échanges réside maintenant non pas dans les tarifs douaniers, mais dans des comportements liés à la mise en œuvre de dispositifs non tarifaires entravant le commerce et qui battent en brèche les principes de non-discrimination, de prévisibilité et de concurrence loyale mentionnés ci-dessus. L’OMC parle ainsi de « mesures de substitution » par lesquelles les pays contournent leurs obligations : les mesures non tarifaires sont substituées à des droits de douane. Dans le rapport conjoint de l’OMC, de l’OCDE et la CNUCED44 rendu public le 18 décembre 2013, les principales économies mondiales ont mis en place entre mai et novembre 2013, 116 nouvelles mesures restrictives contre 109 les six mois précédents. Ces nouvelles mesures affectent près de 1,1 % des importations de marchandises des pays du G20, soit près de 0,9 % du total des importations dans le monde.
Selon le rapport de l’OMC sur le commerce mondial en 2012, les États puisent dans une large panoplie de mesures qualifiées d’obstacles non tarifaires qui peuvent « fausser les échanges internationaux ». Il en existe deux types principaux. Le premier consiste à influer directement sur le prix, comme les subventions à l’exportation ou le remboursement des droits de douane, les droits compensatoires et antidumping, les méthodes d’évaluation des importations, les surtaxes douanières, les longues procédures douanières, les règlementations sanitaires, la fixation de prix minimaux à l’importation, les normes déraisonnables et les procédures d’inspection. Le second type d’obstacles non tarifaires vise à influencer les prix indirectement, notamment par des licences d’importation, des quotas d’importation ou des restrictions à l’exportation. Ces mesures peuvent s’accompagner de restrictions dans la distribution ou d’autres pratiques non concurrentielles, ainsi que d’interdictions également susceptibles de fausser les échanges commerciaux.
Ces comportements affectant la loyauté dans les échanges sont pointés par différentes instances. L’OMC, par le biais de son mécanisme d’examen des politiques commerciales, a ainsi indiqué, dans le rapport concernant la Chine en 2011, qu’il pouvait être reproché des mesures allant du manque de transparence dans la réglementation, notamment pour les règles de certification d’accès au marché au catalogue des investissements étrangers qui classent les secteurs économiques en trois catégories – secteurs encouragés ; interdits ; soumis à l’obligation de constituer une entreprise partagée (« joint-venture »)45, les défaillances dans la mise en œuvre de la protection de la propriété intellectuelle, les préférences accordées aux entreprises nationales par le biais du programme national d’accréditation des produits innovants indigènes et les subventions à l’exportation46.Toutefois, la Chine n’a aucunement le monopole de comportements qui faussent les échanges47. Ainsi, la Russie, un an après son adhésion à l’OMC, a du mal à respecter l’ensemble des disciplines auxquelles elle avait souscrit en faisant son offre d’adhésion, ce qui entraîne des tensions avec l’Union européenne notamment. Ces tensions se sont manifestées peu après son adhésion quand ce pays, en septembre 2012, a introduit une taxe sur les exportations de véhicules européens48, ainsi qu’à l’occasion de la suspension des importations de produits laitiers lituaniens pour des raisons sanitaires en septembre 2013. La Commission européenne a par ailleurs demandé en décembre 2013 des consultations à l’OMC sur des mesures fiscales auxquelles recourt le Brésil pour discriminer les produits importés et fournir une aide aux exportateurs ( exonérations sélectives et allégements de taxes sur des biens produits localement, par exemple, une hausse de 30 % de la taxe appliquée par le Brésil aux véhicules à moteur mais dont sont exemptés les voitures et camions de fabrication nationale ; des mesures similaires existent pour d’autres biens, comme les ordinateurs et les semi-conducteurs).
Dans son « Dixième rapport sur les mesures risquant de limiter les échanges »49, la Commission européenne dresse un état des lieux des mesures potentiellement dommageables pour le commerce mises en œuvre par les principaux partenaires de l’Union européenne entre le 1er mai 2012 et le 31 mai 2013. Ce rapport établit que dans cette période 154 nouvelles mesures de restrictions aux échanges ont été instaurées. Les mesures appliquées directement aux frontières se sont multipliées (relèvement des droits à l’importation, les plus fortes hausses de droits de douane ayant été constatées au Brésil, en Argentine, en Russie et en Ukraine). Les mesures imposant l’utilisation de biens nationaux et les relocalisations d’entreprises ont continué leur progression, en particulier dans le secteur des marchés publics. Les mesures de relance passant notamment par un soutien aux exportations sont maintenues. Certains pays continuent de préserver certaines industries nationales de la concurrence étrangère, le Brésil et l’Indonésie donnant des exemples les plus flagrants. Lors de la réunion du comité de l’OMC sur le commerce le 11 juillet dernier, l’Union européenne avait fait part de ses préoccupations concernant l’imposition par l’Ukraine de droits de sauvegarde sur les automobiles, ce pays ayant par ailleurs fait une demande de renégociation de ses tarifs de douane consolidés à l’OMC. Elle a aussi réitéré ses préoccupations concernant l’utilisation par le Brésil de la fiscalité indirecte pour protéger ses industries locales, incluant des exigences de contenu local. Les griefs européens se sont aussi portés sur le Japon et son programme de relance pour le bois qui vise à stimuler l’offre et l’utilisation des produits forestiers nationaux ainsi que sur les licences d’importation de l’Indonésie. De telles mesures ne sont pas limitées au domaine industriel. Alors que la Commission européenne a décidé de réduire unilatéralement ses soutiens à l’exportation (« restitutions »), ce qui a particulièrement affecté la filière volaille, les principaux partenaires de l’Europe, en premier lieu le Brésil, ont dans le même temps augmenté leurs aides à l’exportation.
Aucun pays, aucune zone géographique n’a le monopole de ces comportements et l’Europe elle-même n’est pas exempte de tout reproche quand il s’agit des restitutions aux exportations agricoles qui ont déséquilibré pendant longtemps les filières vivrières africaines ou les réglementations techniques qui sont trop contraignantes pour permettre à certains pays en développement à accéder au marché européen. De nombreux pays qualifient de mesures protectionnistes les mesures prises par l’Union européenne en matière bancaire ou de réglementation automobile.
Toutes ces analyses ont été rappelées par l’OMC dans son rapport sur les mesures commerciales prises par les pays du G2050. Elle constate, que contrairement aux engagements pris au sommet de Los Cabos au Mexique en juin 2012, les pays du G2051 ont adopté entre la mi –septembre 2012 et la mi-mai 2013, plus de 100 mesures restrictives, englobant près de 0,5 % des importations de marchandises du G20 et près de 0,4 % des importations à l’échelle mondiale. 77 % de ces nouvelles entraves au commerce concernent les produits industriels et 23 % les produits agricoles.
A ces obstacles, on peut ajouter le protectionnisme de la norme : réglementations techniques, normes minimales et systèmes de certification liés à la santé et à la sécurité des consommateurs. Ce type d’obstacles non tarifaires est constitué de mesures techniques, complexes et politiquement délicates, car elles sont souvent mises en œuvre par les gouvernements au nom de l’intérêt général et l’OMC admet leur légitimité dans le cadre de l’espace de souveraineté des États. On assiste aussi à l’émergence croissante de normes privées dont la surveillance et la mise en en œuvre ne relèvent pas de l’OMC. Certains pays pratiquent ce que l’on peut qualifier de protectionnisme culturel, dont l’exemple type est le Japon qui recourt à un protectionnisme sous la forme de réglementations techniques et sanitaires. Ainsi, ne sont autorisés dans ce pays qu’un faible nombre d’additifs alimentaires, ce qui restreint l’accès au marché pour nombre de produits du secteur agroalimentaire. Dans le secteur médical et pharmaceutique, les normes sont particulièrement restrictives. L’enjeu essentiel d’un accord de libre-échange avec le japon portera sur ces barrières non tarifaires et sur la convergence réglementaire. Le même souci devra guider les négociations entre l’Europe et les États-Unis. Un autre exemple de ce protectionnisme est la pratique américaine portant sur les transports maritimes : le cabotage entre ports américains est réservé aux seuls navires battant pavillon américain, entièrement fabriqués aux États-Unis et dont l’équipage est composé au moins à 75 % de citoyens américains.
Autre mode de concurrence déloyale qui représente en outre un danger pour la santé et la sécurité des consommateurs, la contrefaçon52 a pris une dimension considérable, amplifiée par les occasions qu’offre la vente sur Internet. Longtemps limitée aux secteurs de biens de luxe, aucun secteur économique n’est aujourd’hui épargné. Il ressort du rapport annuel de la Commission européenne sur les actions douanières visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle (DPI) que les douanes de l’Union européenne ont saisi, en 2012, près de 40 millions de produits soupçonnés d’enfreindre ces DPI. Même si le nombre d’interceptions est moindre qu’en 2011, la valeur des marchandises interceptées, estimée à près d’un milliard d’euros, demeure élevée. En ce qui concerne la provenance des marchandises contrefaites, la Chine est restée la principale source. Cependant, d’autres pays figuraient en tant que première source pour des catégories de produits spécifiques, comme le Maroc pour les denrées alimentaires, Hong Kong pour les CD/DVD et d’autres produits du tabac (essentiellement les cigarettes électroniques et leurs recharges liquides ) et la Bulgarie pour les matériaux d’emballage.
La monnaie étant à la base de toute relation commerciale, un autre manquement au juste échange peut résider dans la sous-évaluation du taux de change par les autorités monétaires nationales, afin d’améliorer la compétitivité –prix. La valeur d’équilibre d’une monnaie est déterminée par les fondamentaux de l’économie d’un pays. Or les désalignements des cours par rapport à cette valeur d’équilibre peuvent être cause d’une asymétrie des coûts faussant la concurrence et peuvent s’apparenter à des pratiques déloyales influant sur la compétitivité comparative des pays. Alors que l’on négocie sur la baisse de quelques points de droits de douane, les variations de taux de change peuvent avoir des incidences bien plus grandes. De plus, les variations de taux de change peuvent créer les déséquilibres macroéconomiques dans la mesure où elles sont adossées à des politiques monétaires expansionnistes.
Pour éviter les tentations de variations de taux de change, dans le cadre de l’OMC a été adopté l’article XV du GATT qui stipule que les pays doivent « s’abstenir de toute mesure de change qui irait à l’encontre des dispositions du commerce international ». Selon la « Déclaration sur la contribution de l’OMC à une plus grande cohérence dans l’élaboration des politiques économiques » adoptée dans le cadre des accords de Marrakech fondant l’OMC du 15 avril 1994, « une plus grande stabilité des changes, grâce à davantage d’ordre dans les conditions économiques et financières fondamentales, devrait contribuer à l’expansion du commerce, à la croissance et au développement durables et à la correction des déséquilibres extérieurs ». Cependant, l’OMC n’a aucune compétence régulatrice en la matière et est tenue de renvoyer à l’avis du FMI toute question relative aux régimes de change, aux réserves et à la balance des paiements.
L’article 4 des statuts du Fonds monétaire international ( FMI) interdit de manipuler les taux de change pour obtenir des avantages comparatifs, ce qui est une référence explicite à la notion d’échanges équitables . Pour articuler cet article avec les dispositions de l’article XV du GATT, un accord de coopération a été signé en 1996 entre les deux institutions, posant la base de consultations régulières et de rapports de surveillance communs. Cet accord est réduit à la portion congrue, seul un groupe de travail commun ayant été constitué. Ces dispositions n’ont jamais eu l’occasion d’être interprétées, ni appliquées.
Même si on est loin des dévaluations compétitives et de l’instabilité monétaire qui ont précédé la deuxième guerre mondiale, la problématique des valeurs relatives des monnaies est récurrente depuis la fin des taux de changes fixes et la décision de flottement généralisé des monnaies en 1973. Elle s’est, au cours de la dernière décennie, cristallisée autour du différend entre les États-Unis et la Chine. La Chine a maintenu la compétitivité de ses exportations en pratiquant une sous-évaluation de sa monnaie grâce à un lien au dollar (peg) avec une marge étroite de fluctuation jusqu’en 2005, suivi de réévaluations qui n’ont toutefois pas corrigé la totalité de la sous-évaluation. Les États-Unis ont dénoncé cette concurrence déloyale mais il faut souligner l’ambivalence de l’attitude de l’administration américaine. En effet, les initiatives du Congrès visant imposer des droits de douane compensatoires aux importations de produits chinois pour contrecarrer une sous-évaluation de la monnaie chinoise (« Currency Reform For Fair Trade Act ») n’ont jamais été soutenues jusqu’au bout du fait de la dépendance des États-Unis à l’égard de la Chine qui est le plus important détenteur étranger de la dette américaine.
Les déséquilibres monétaires concernent également d’autres zones. Ainsi, un pays comme le Brésil, dont les taux d’intérêt élevés attirent des capitaux spéculatifs et volatils, a dénoncé une surévaluation de sa monnaie. Les pays de la zone pacifique s’inquiètent des conséquences de la politique monétaire expansionniste, aux fins de relance et de stimulation des exportations menée par le Premier ministre japonais Shinzo Abe (« Abenomics ») depuis décembre 2012. Ayant consisté au rachat par la Banque du Japon d’actifs financiers afin d’encourager les investissements des entreprises et la consommation des ménages, la politique monétaire accommodante s’est traduite le maintien des taux directeurs dans la fourchette de 0 à 0,1 % afin de permettre un accroissement de la masse monétaire. En conséquence, le yen a chuté de plus de 15 % face au dollar entre novembre 2012 et février 2013.
Le gouverneur de la Banque d’Angleterre a quant à lui explicitement indiqué que la livre sterling devrait se déprécier afin de contribuer à relancer une croissance atone dans ce pays.
S’agissant de l’euro, si son niveau élevé fait débat, c’est parce que sa valeur n’est que le reflet d’un relatif équilibre des comptes extérieurs de la zone euro mais n’est, en revanche, pas en adéquation avec les performances économiques de l’ensemble ses États. L’euro est fort par rapport à un dollar faible en raison de la crise budgétaire qu’ont connue les États-Unis pendant quelques semaines et surtout du fait de la politique monétaire accommodante pratiquée par la banque centrale américaine. La liberté monétaire que donne aux États-Unis le privilège du dollar comme monnaie de paiement international a conduit à une surévaluation de l’euro par rapport au dollar qui a subi une dévaluation de 28 % sur la dernière décennie. Entre juillet 2012 et décembre 2013, l’euro s’est apprécié de plus de 10 % par rapport au dollar et depuis le printemps 2013, l’euro a gagné près de 9 %, se situant à 1,38 dollar (le niveau record ayant été atteint en 2008, à 1,59 dollar). Cet écart de change s’est creusé alors que l’écart de conjoncture entre les deux économies s’est accentué au détriment de la zone euro.
La dépréciation du dollar provoque une baisse relative du prix de travail américain par rapport à l’euro, ce qui a des répercussions sur la valeur relative des échanges avec les pays liés au dollar comme la Chine. Le cas de l’Airbus dont les prix sont libellés en dollars et les coûts en euros est une illustration de ce phénomène. Selon EADS, Airbus perdrait un million d’euros à chaque augmentation de 0,10 dollar par rapport à l’euro.
De plus, la sensibilité aux variations de change n’est pas la même dans tous les pays de la zone euro. L’Allemagne est ainsi moins vulnérable à la réévaluation de l’euro pour plusieurs raisons. Tout d’abord, se situant sur des créneaux « haut de gamme », la réaction de la demande à une variation de prix est faible. Ensuite, si l’assemblage final des produits se fait en Allemagne, beaucoup d’unités de production se situent dans des pays d’Europe centrale et orientale qui ne sont pas encore entrés dans l’euro. L’Allemagne profite indirectement de la surévaluation de l’euro dans la mesure où près de 56 % de son excédent commercial est généré dans la zone euro et près de 80 % dans l’Union européenne. La France est quant à elle plus sensible aux variations de taux de change, de telle sorte que la baisse du dollar pèse sur ses exportations53. Louis Gallois chiffrait le « vrai » cours de la monnaie européenne à 1,15 ou 1,20 dollar54. Il précisait : « Un euro fort peut être l’ennemi de l’euro. Son taux d’équilibre est à 1,15, 1,20 dollar, sa cotation actuelle à 1,35 le situe aux abords d’une zone dangereuse. L’appréciation trop rapide de l’euro peut remettre en cause les progrès que l’on essaye de faire sur la compétitivité. On me dit que l’Allemagne supporte très bien l’euro fort. C’est vrai, je l’ai dit dans mon rapport : l’euro fort renforce les forts et affaiblit les faibles ! Il privilégie ceux qui ont réussi à échapper à la compétition par les prix, en se plaçant sur le haut de gamme. Alors qu’en France, nous sommes trop souvent sur des productions milieu de gamme, plus concurrencées, plus sensibles aux prix et aux évolutions monétaires »55 .Une étude de la Deutsche Bank56 a calculé le « seuil de douleur » de l’euro qui se situerait à 1,37 dollar pour un euro sur l’ensemble de la zone. Cette étude établit que l’Allemagne pourrait résister à un euro à 1,76 dollar tandis qu’avec un seuil fixé à 1,24 pour l’une et 1,17 dollar pour l’autre, la France et l’Italie souffrent déjà du niveau actuel de la monnaie unique.
Il faut toutefois souligner qu’un euro fort a contribué à alléger la facture énergétique de l’Europe qui importe l’essentiel de son pétrole dont le prix est négocié en dollar. De plus, l’euro fort allège le coût des produits importés, ce qui permet, du fait de la fragmentation des chaînes de valeur, de réduire le coût de fabrication de certains produits. Cependant, cet argument est à double tranchant dans la mesure où les achats hors zone euro font aussi perdre des parts de marché.
La part respective des grands ensembles géoéconomiques dans le PIB mondial traduit les modifications des zones de production. Ainsi les États-Unis et l’Europe représentaient encore 60 % du PIB mondial en 2005. La montée des pays émergents a ramené ce taux à 45 % en 2012. Si l’Union européenne pèse encore pour 17 %, les perspectives pour 2030 estiment qu’elle n’en représentera plus que 12 %.
Contributions à la croissance des importations mondiales (en pourcentage)
La croissance de l’économie mondiale est maintenant réalisée pour l’essentiel dans les pays émergents et non dans les pays anciennement développés. Ce changement date du début des années 2000. Entre 2000 et 2007, la production industrielle a augmenté de 8,4 % dans les pays émergents contre 1,5 % dans les pays développés. Depuis la crise de 2009, l’écart se creuse : la production industrielle augmente de 9,9 % dans les pays émergents et de 2,5 % dans les pays développés (voir tableau infra). Par voie de conséquence, d’ici à 2015, 90 % de la croissance économique devrait être générée en dehors de l’Europe.
Croissance de la production industrielle mondiale en %
(2000 – 2012)
Janvier 2000 – Décembre 2007 |
Janvier 2009 – Août 2012 | |
Pays avancés |
1,5 |
2,5 |
États-Unis |
1,3 |
2,9 |
Japon |
1,7 |
3,8 |
Zone euro |
2,1 |
2,5 |
Pays émergents |
8,4 |
9,9 |
Asie |
11,4 |
12,4 |
Europe centrale et orientale |
6,4 |
6,0 |
Amérique latine |
3,2 |
4,5 |
Afrique et Moyen-Orient |
3,1 |
2,7 |
Monde |
4,1 |
6,2 |
Source : CPB World Trade Monitor
L’évolution dans la production industrielle se traduit dans le partage du marché mondial. Après avoir été l’apanage des pays développés, les courants commerciaux se concentrent dans les zones en expansion, Asie-Pacifique en tête. Cette zone représentait, fin 2011, près de 32 % du commerce mondial contre 25 % en 2001. La part des pays émergents dans les exportations mondiales est passée de 31 % au début des années 1990 à 36 % au début des années 2000, pour atteindre le seuil symbolique de 50 % en mars 2011 (voir tableau infra).
Très significativement, il y a vingt ans, 60 % des échanges s’effectuaient entre les pays du Nord, alors que 30 % étaient orientés Nord-Sud et 10 % étaient réalisés entre les pays du Sud. Aujourd’hui, les proportions sont d’un tiers dans chaque sens, ce mouvement illustrant une nouvelle phase de la mondialisation. Alors que la première phase était marquée par la production par les pays émergents à destination des pays développés, un rééquilibrage s’opère au profit des pays émergents au sein desquels les consommateurs sont de plus en plus nombreux. La production se fait de plus en plus pour ces consommateurs et on a pu parler d’une phase de mondialisation de la classe moyenne des pays émergents.
Si les économies développées comptent pour encore la moitié des exportations mondiales de marchandises, leurs exportations ont baissé de 3 % en 2012 alors que celles pays en développement ont augmenté de 4 %. C’est dans BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) que cette croissance a été la plus forte, à hauteur de 4,5 %. Ces chiffres traduisent traduit la place croissante qu’occupent les pays émergents dans le commerce mondial.
Le concept d’émergence appliqué à un groupe de pays apparait dès 1981 et caractérise des pays où les investissements sont rentables en raison d’une croissance rapide. En 2001, un rapport de la banque d’investissement Goldman Sachs57 utilise pour la première fois l’acronyme « BRIC » pour décrire les nouvelles puissances émergentes que sont le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Dans une étude de 200358, la banque annonçait que ces quatre pays qui ne rassemblaient que 15 % du PIB des pays du G6 (États-Unis, Allemagne, Japon, France, Royaume-Uni et Italie) dépasseraient en 2050 le PIB total des six pays réunis. En avril 2011, au sommet des BRIC, le terme devient BRICS après l’ajout de l’Afrique du Sud.
Si les BRICS figurent parmi les émergents les mieux identifiés, d’autres catégories ont été établies par la suite. Ainsi, le terme de CIVETS désigne la Colombie, l’Indonésie, le Vietnam, l’Égypte, la Turquie et l’Afrique du Sud, pays dont le taux de croissance annuel moyen est évalué à 5 % pour les vingt prochaines années. Les BENIVM regroupent le Bangladesh, l’Éthiopie, le Nigeria, l’Indonésie, le Vietnam et le Mexique. Selon l’économiste Laurence Daziano, « le Vietnam, le Nigeria, le Mexique et l’Indonésie […] présentent une croissance économique soutenue, une industrie manufacturière dynamique et des perspectives de développement très significatives ». Elle ajoute à ces quatre pays régulièrement cités comme pays émergents le Bangladesh et l’Éthiopie qui ont « une forte croissance démographique accompagnée d’une urbanisation accélérée, un potentiel de croissance élevé et des économies déjà diversifiées et industrielles. Ces deux pays ont également un potentiel énergétique important, notamment avec l’hydroélectricité. »59
Ces pays ne présentent pas une unité. Il n’est qu’à se reporter au classement réalisé par la Banque mondiale sur les différents niveaux de revenus. En 2012, le PIB par habitant était de 6 090 dollars en Chine, de 3 557 dollars en Indonésie, de 1 755 dollars au Vietnam, de 1555 dollars au Nigeria, de 752 dollars au Bengladesh et de 454 dollars en Éthiopie. Il n’y a ainsi de grandes différences entre des pays comme le Brésil ou la Russie dont les économies reposent prioritairement sur des exportations de matières premières et des pays comme la Chine et l’Inde qui ont élaboré des projets de développement autour d’activités industrielles et de montée en gamme dans les chaînes de valeur. Ordre de grandeur significatif : le PIB de la Chine est d’un montant de 25 % supérieur à celui de l’ensemble des autres BRICS.
Une typologie peut aussi être établie en fonction de leur intégration à la mondialisation. Il peut ainsi être distingué les émergents les plus puissants qui concurrent les pays du Nord, la Chine, le Brésil et l’Inde. Mais au sein de ces trois pays, des problématiques spécifiques existent : la Chine connait un ralentissement des gains de productivité tandis que le Brésil et l’Inde sont confrontés à des déficits en infrastructures et en main d’œuvre qualifiée. Certains pays pétroliers comme le Nigeria connaissent une forte expansion mais accompagnée de fortes inégalités sociales. Des pays comme l’Indonésie, le Vietnam ou le Mexique font figure de nouveaux pays industrialisés. D’autres présentent des situations très variées, avec une intégration incomplète à la mondialisation, avec de grandes disparités sociales et une grande dépendance vis-à-vis de l’extérieur. C’est le cas de nombreux pays africains.
b. Des caractéristiques communes : potentiel de croissance, montée des classes moyennes et dispositifs protectionnistes
Les pays émergents se caractérisent d’abord par un taux de croissance supérieur à la moyenne mondiale, même si ces taux présentent des niveaux différents et si la crise en a ralenti la progression en 2012, en raison du ralentissement de la demande tant interne qu’externe.
Sur les cinq dernières années, les BRICS ont connu des taux de croissance élevés, la Chine et l’Inde étant les pays qui connaissent les taux les plus élevés (respectivement un taux de croissance moyen de croissance du PIB de 9,3 % et 6,5 %), même si ces taux marquent le pas en 2012 et 2013. De ce fait, ces pays attirent les capitaux étrangers. Ainsi, la Chine est le deuxièmepays d’accueil des investissements directs à l’étranger (IDE), avec 121,1 milliards de dollars devant Hong Kong, troisième pays d’accueil avec 74,6 milliards de dollars, le Brésil est quatrième avec 65,3 milliards de dollars et la Russie, neuvième avec 51,4 milliards de dollars. Ces IDE participent à l’industrialisation de ces pays, couplés aux avantages comparatifs que constitue notamment une main d’œuvre à plus faible coût. Le dernier rapport de la CNUCED 60 souligne que les pays en développement ont, en 2013, dépassé les pays développés comme destinataires des IDE : 52 % des flux d’IDE sont à destination de ces pays. Parmi eux , l’Afrique est maintenant une destination de choix ( les IDE ont été multiplié par trois en 2012) alors que les IDE à destination de l’Asie ont baissé de 7 %.
Taux de croissance du PIB des BRICS (en % par an) (2008-2012)
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 | |
Brésil |
5,2 |
-0,3 |
7,5 |
2,7 |
0,9 |
Chine |
9,6 |
9,2 |
10,4 |
9,3 |
7,8 |
Inde |
3,9 |
8,5 |
10,5 |
6,3 |
3,2 |
Russie |
5,2 |
-7,8 |
4,5 |
4,3 |
3,4 |
Afrique du Sud |
3,6 |
-1,5 |
3,1 |
3,5 |
2,5 |
Source : Secrétariat de l’OMC
Les taux de croissance des CIVETS varient de 2,2 % à 6,2 % en 2012.
Taux de croissance du PIB des CIVETS (en % par an) (2008-2012)
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 | |
Colombie |
3,5 |
1,7 |
4,0 |
6,6 |
4,0 |
Égypte |
7,2 |
4,7 |
5,1 |
1,8 |
2,2 |
Indonésie |
6,0 |
4,6 |
6,2 |
6,5 |
6,2 |
Turquie |
0,7 |
-4,8 |
9,2 |
8,8 |
2,2 |
Viet Nam |
6,3 |
5,3 |
6,8 |
6,0 |
5,0 |
Afrique du Sud |
3,6 |
-1,5 |
3,1 |
3,5 |
2,5 |
Source : Secrétariat de l’OMC
Cette croissance des pays émergents s’accompagne du développement d’une classe moyenne. Le dernier rapport du PNUD sur le développement humain 2013 note que « dans les pays du Sud, la classe moyenne connaît un essor rapide en termes de revenus et de perspectives. Entre 1990 et 2010, la part du Sud de la classe moyenne dans la population mondiale est passée de 26 % à 58 %. En 2030, on estime que plus de 80 % de la classe moyenne mondiale vivra dans un pays du Sud et représentera plus de 70 % de la population »61. Ce rapport estime que ce phénomène de rattrapage va se poursuivre. Cependant, en tenant compte d’une décélération progressive dans le long terme, il faudra une trentaine d’années pour que le revenu par habitant en Chine atteigne le niveau observé aujourd’hui dans les pays les moins riches de l’OCDE. Le dernier rapport de l’Organisation internationale du travail sur les salaires en 2012-2013 montre que les différentiels de salaires s’estompent même s’il s’agit d’un mouvement très progressif. Ainsi les hausses de salaires en Chine sont à l’origine de mouvement de délocalisations vers des pays à moindre coût salarial comme le Vietnam ou le Bengladesh ou certains pays africains.
Compte tenu de l’émergence de cette classe moyenne et de la vitalité démographique de pays ou de continent comme l’Inde ou l’Afrique contrastant avec le vieillissement en Europe, celle-ci doit tirer parti de la hausse de la consommation intérieure de ces pays qui se traduira par une augmentation des importations. Au moment où les exportations des pays développés se contractent- par exemple, la part de l’Union européenne dans les exportations mondiales d’automobiles est passée sous le seuil de 50 % en 2012- la capacité de l’Europe à trouver des débouchés se fera dans les pays émergents en s’appuyant sur une production adaptée aux réalités locales.
Enfin, ces pays se caractérisent par l’importance des dispositifs protectionnistes sous différentes formes : pics tarifaires ciblés, barrières à l’entrée des importations, réglementation contraignante pour les investissements étrangers, politiques d’accès préférentiel pour les marchés publics, mesures fiscales discriminatoires. Leur développement économique s’est appuyé sur une politique de champions nationaux dans des secteurs stratégiques clés, la baisse des charges et des tarifs administrés pour les entreprises avec des plans d’investissement dans les secteurs d’infrastructures.
En 2030, la Chine, l’Inde et l’Afrique devaient représenter 50 % de la population active et 60 % en 2050, soit un milliard d’actifs supplémentaires. Le Brésil est en 2012 au septième rang mondial en termes de PIB.
Comme le montre le graphique ci-dessous, ces zones contribuent de façon croissante au PIB mondial.
Contribution à la variation PIB mondial (en parité de pouvoir d’achat)
Source : World Economic Outlook, 2011, FMI
Légende : LA : Amérique latine, In : Inde, Ch : Chine ; DCs : Pays industrialisés.
Entre 2000 et 2012, le taux de croissance moyen de l’Afrique a été de 5,1 %, malgré la crise qui avait fait chuter ce taux à 2,5 % en 2009. Selon le rapport de la mission présidée par Hubert Védrine remis le 4 décembre 201362 à l’occasion du Forum pour un nouveau modèle de partenariat économique entre la France et l’Afrique, le PIB du continent africain devrait connaitre une croissance de 5,6 % en 2013 et de 6,1 % en 2014. Les pays africains dont la croissance a été la plus forte en 2013 sont répartis sur l’ensemble du continent : Mozambique (8,4 %), Côte d’Ivoire (8 %), Libéria (8 %), Rwanda (7,6 %), Ghana (6,9 %), Éthiopie (6,5 %), Niger (6,2 %), Angola (6,2 %). L’Afrique est encore dépendante des exportations en matières premières mais si le secteur pétrolier a connu une croissance de 7 % au cours de la décennie passée, le tourisme, la construction, les transports et les télécommunications ont connu des taux de progression similaires. Les secteurs tels que les télécommunications et la distribution comptent parmi les secteurs à plus forte croissance. Entre 1960 et 2007, la part de l’industrie est passée de 17 à 32 %.
L’Afrique est de plus en plus une destination pour les investissements directs étrangers(IDE) qui ont augmenté de 5 % en 2012.
Pour autant, l’Afrique souffre d’un déficit d’insertion dans le commerce mondial (Voir supra I.B.2 « La mondialisation a inégalement profité aux pays en développement »). Alors que sa population active devrait passer de 560 millions à 900 millions, ce qui lui donnera une place fondamentale dans l’activité mondiale, un processus de rééquilibrage des implantations industrielles sur ce continent est une condition du juste échange. Celui-ci dépendra de mesures internes autant que de la mise en place de stratégies coopératives extérieures dont l’Union européenne peut être le pivot. Cette localisation des industries en Afrique se fera aussi en fonction du changement de la compétitivité –coût du travail lié à l’augmentation des salaires en Chine. Ainsi, un rapport du Sénat préconise de « structurer une démarche internationale par géographies et par secteurs qui correspondent aux besoins des marchés africains, renforcer nos moyens de soutien aux entreprises dans les pays les plus dynamiques tels que l’Afrique du Sud, le Nigéria, la Côte d’Ivoire, et le Kenya, mais également l’Éthiopie, le Ghana, le Botswana, la Tanzanie ou le Mozambique63 ».
Forte d’une population de 1,24 milliards d’habitants, l’Inde verra ses actifs passer de 480 millions à 710 millions d’ici 2050. Si la Chine a axé son développement économique sur son industrie manufacturière, l’Inde a privilégié le secteur des services.
Les relations entre l’Union européenne et l’Inde se caractérisent par une ouverture inégale des marchés. Bénéficiaire du système de préférences généralisées (SPG) de l’Union européenne et bénéficiant à ce titre de réductions de droits de douane, l’Inde est un pays protectionniste qui recourt à l’ensemble des instruments de politique commerciale dont elle dispose. Membre du GATT depuis son origine, l’Inde n’a jamais dû procéder à une révision de sa politique commerciale contrairement à la Chine. Ainsi, elle recourt activement à sa politique commerciale utilisant outils tarifaires et non tarifaires. Cette politique est conçue comme devant permettre de protéger les industries naissantes dans les secteurs considérés comme stratégiques, et ainsi lui permettre de réduire sa dépendance vis-à-vis des importations de produits industriels chinois.
Elle fait aussi usage de nombreux dispositifs restrictifs aux importations, tels des délais excessifs pour l’obtention de licences d’importation, l’application de normes sans rapport avec la règlementation internationale techniques, un système de fiscalité indirecte différent d’un État à l’autre et par conséquent peu lisible… S’agissant de ses marchés publics, ils sont fermés. Si l’Inde est observatrice de l’Accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) depuis février 2010, elle n’a pas l’intention d’en devenir membre. Sa position est de refuser toute contrainte d’origine multilatérale qui contraindrait les procédures de marchés publics. En fait, les marchés publics sont utilisés comme l’instrument central de la « nouvelle politique manufacturière » lancée en 2011. Les secteurs qui concentrent la plupart des inquiétudes de la part des opérateurs sont les secteurs de l’électronique et des télécommunications. Ainsi, la Telecom Regulatory Authority of India (TRAI) a recommandé en 2011 que pour des raisons de sécurité nationale des exigences de contenus local soient imposées aux fournisseurs et aux acheteurs.
Les principes du juste échange et notamment la réciprocité auront donc particulièrement lieu de s’appliquer à l’Inde.
Deuxième économie mondiale et premier exportateur mondial devant l’Allemagne, grâce à la diversification continue de sa production, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Europe. Pour autant, ce pays a des faiblesses bien identifiées et devra infléchir un modèle de croissance encore trop fondé sur l’investissement public et les exportations. La croissance du PIB chinois est dépendante de la demande extérieure et la croissance tend à diminuer sous l’effet du vieillissement de sa population et de la perte progressive de ses avantages comparatifs liés à l’augmentation des salaires, qui a pour conséquence une délocalisation de certaines productions vers d’autres pays d’Asie ou d’Afrique.
Les relations commerciales entre l’Europe et la Chine sont déséquilibrées et de nombreux obstacles doivent être levés pour un juste échange64. Ainsi, les marchés publics sont fermés aux entreprises étrangères. L’implantation des entreprises est soumise à des transferts de technologie et ne peut se faire que sous forme d’entreprises partagées « joint-venture ».
La Chine est aussi le partenaire avec lequel les divergences d’intérêt des États européens sont les plus marqués et avec lequel la fixation d’intérêts communs serait le plus nécessaire afin de définir un partenariat rééquilibré.
Par ses dimensions et ses ressources naturelles, le Brésil est un pays émergent stratégique, septième PIB mondial en 2012. Si sa croissance a été seulement de 0,9 % en 2012, le Brésil constitue un marché de 200 millions de personnes qui accèdent à la consommation, grâce à des politiques de redistribution de revenus menées depuis dix ans et qui ont fait sortir 40 millions de citoyens de la pauvreté.
Le contexte est peu favorable au libre-échange et le Brésil est un pays peu ouvert, privilégiant son marché intérieur. Son taux d’ouverture aux échanges internationaux est de 9,6 % (contre, par exemple, 22 % pour la France). La Banque mondiale place ce pays au 130e rang mondial pour son environnement des affaires et au 123e rang pour la facilité à y réaliser des opérations de commerce extérieur. La Commission européenne, dans son neuvième rapport sur les mesures ayant potentiellement un effet de restrictions aux échanges, cite le Brésil comme un des pays ayant la propension la plus forte à adopter de telles mesures.
Les obstacles au juste échange sont constitués d’abord par des barrières tarifaires importantes : surtaxes sur les produits industrialisés comme les véhicules importés, relèvement des droits de douane sur 100 produits importés le 4 septembre 2013. L’accès aux marchés publics brésiliens fait également l’objet de mesures de restrictions croissantes, avec des clauses de préférence nationale très fortes.
Malgré ces difficultés d’accès, le Brésil représente des potentiels de développement pour l’Union européenne et notamment pour la France, dont les exportations vers ce pays ont progressé de près de 7 % en 2013.
II. DU LIBRE ECHANGE AU JUSTE ECHANGE : LES CLES DE RELATIONS EQUILIBREES CONFORMES AU JUSTE ECHANGE
La politique commerciale est depuis le Traité de Rome une compétence exclusive de l’Union exercée de facto par la Commission européenne. Alors que l’Union européenne constitue un ensemble relativement homogène économiquement et dispose d’une capacité de consommation avec 500 millions de consommateurs, ce qui lui permettrait d’avoir la masse critique nécessaire pour peser face à des partenaires commerciaux, les vingt-huit États européens ne présentent pas un front uni .Les divergences tiennent d’abord aux différences d’appréciation sur les bienfaits du libre-échange. Les pays du Nord de l’Europe sont plus favorables à une approche faisant valoir les avantages comparatifs que les pays du Sud réputés plus protectionnistes et plus interventionnistes pour qui l’Europe a ouvert trop largement ces frontières. Cette vision libérale qui était celle d’un commissaire au commerce comme Peter Mendelson a longtemps dominé au sein de la Commission européenne.
A ce clivage idéologique, se superpose le déséquilibre entre les pays dont la balance commerciale est excédentaire et ceux qui ont vu leur balance se dégrader, cette différence étant le révélateur de différentiels de compétitivité (voir supra partie I-A-2-d « Au sein de l’Union européenne, la part prédominante des échanges intra-communautaires et le poids de la facture énergétique »). Les pays du Nord, dotées d’un appareil productif efficace, fondent leur prospérité sur les exportations, tandis que les États comme la France ou les pays d’Europe du Sud se sont désindustrialisés assez rapidement et sont en situation de déficit commercial, même si un pays comme l’Espagne a, en 2013, réduit son déficit commercial et a affiché son premier excédent commercial depuis 1971, grâce à la hausse de ses exportations rendues compétitives par une dévaluation interne( baisse des salaires et flexibilisation du marché du travail).
Dans ces conditions, l’Union européenne a du mal à définir un socle d’intérêt commun : la politique commerciale européenne soit est un consensus mou, soit porte la marque de ces divergences d’appréciation et d’intérêts. Les relations avec la Chine portent ainsi la marque de ces contradictions et de ces insuffisances : « La relation commerciale avec la Chine révèle toutes les faiblesses de la machine de l’Union européenne, avec une Commission qui n’est pas le centre d’impulsion et ne peut donc se doter d’un agenda ferme grâce auquel elle pourrait avoir plus de légitimité et de poids. Quand il s’agit de mettre en œuvre une relation complexe avec un partenaire comme la Chine, les défauts de la construction européenne sont rapidement mis en évidence. Il manque à l’Union européenne les attributs d’une puissance globale pour définir une stratégie commune et pouvoir négocier en position de force »65.
Les divergences au sein de l’Union européenne ont été récemment mises à jour dans les débats sur les politiques visant à rétablir les conditions de base d’une concurrence loyale, comme l’utilisation des instruments de défense commerciale que sont les droits antidumping, dans l’action de la Commission européenne contre les panneaux solaires et les équipementiers de télécommunications Huawei et ZTE.
Par ailleurs, sur une réforme plus ambitieuse pour le rééquilibrage des relations commerciales, à savoir l’instrument de réciprocité sur les marchés publics, on voit combien l’accord est difficile. De même, les États européens ont abordé la délicate négociation de l’accord transatlantique en ordre dispersé, les divergences s’étant cristallisées, avant même le début des négociations, autour de l’exception culturelle.
La politique commerciale européenne est souvent réduite à la mise en œuvre timide de dispositifs unilatéraux juridiques de défense commerciale.
L’Union européenne dispose, pour défendre ses intérêts en cas de manquements de ses partenaires commerciaux, de plusieurs instruments. Sur le plan multilatéral, il s’agit de la procédure de saisine de l’organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC. Par ailleurs, l’Europe peut mettre en œuvre des instruments unilatéraux de défense commerciale (IDC).
À l’origine de près du tiers des groupes spéciaux constitués auprès depuis le début du système, l’Union européenne est un utilisateur actif de la procédure de règlement des différends au sein de l’OMC. Mais si elle ouvre des panels à l’égard de pays émergents comme la Chine, elle le fait souvent en suivant la voie ouverte par d’autres pays. Ainsi, quand l’Union européenne a saisi l’ORD des restrictions d’accès aux matières premières rares faites par la Chine en 2011, elle l’a fait à la suite des États-Unis. Dans ce dernier litige, l’envolée des prix des matières premières comme la bauxite, le zinc, le magnésium et autre minéraux a contribué à l’augmentation des prix en bout de chaine sur les produits finis. Tous ces minéraux entrent en effet dans la fabrication des équipements médicaux, des voitures hybrides, des réfrigérateurs et de nombreux matériels électroniques. Les États-Unis et l’Union européenne ont fait valoir que les quotas et les droits d’exportation fixés en début d’année par Pékin sur les matières premières auraient entrainé une distorsion de concurrence permettant aux compagnies chinoises de bénéficier de prix plus compétitifs. L’ORD n’a pas retenu l’argument de la Chine qui avançait la nécessité de la protection de l’environnement66 et a fait droit aux arguments des États-Unis, du Japon et de l’Union européenne. En 2013, ces pays ont engagé un nouveau recours contre les quotas d’exportation sur d’autres terres rares.
L’Europe ne doit pas se priver de l’utilisation de ces mécanismes pour faire trancher des questions de principe et il semble que la Commission européenne s’engage dans une défense plus active des intérêts européens. Ainsi, elle a déposé une plainte et demandé le 16 août 2013 à l’OMC d’arbitrer dans le dossier des taxes antidumping mises en place par la Chine en novembre 2012 contre les exportations européennes de tubes sans soudure. La Commission européenne assimile ces droits à une mesure de représailles dépourvue de preuves de violation des règles commerciales. L’Union européenne a par ailleurs saisi l’OMC le 9 juillet 2013 au sujet d’une taxe imposée par les autorités russes sur les voitures importées : il s’agit du premier contentieux opposant l’Union européenne à la Russie depuis l’accession de ce pays à l’OMC en août 2012. La Commission européenne estime que la taxe en question est incompatible à la règle fondamentale de l’OMC interdisant la discrimination à l’égard des importations.
S’agissant des instruments unilatéraux de défense commerciale (IDC)67 comme les mesures antidumping ou les mesures antisubventions, si le commissaire au commerce Karel De Gucht en a souligné le « caractère vital », en comparaison avec les autres membres de l’OMC, l’Union européenne est une utilisatrice modérée. À la fin de l’année 2012, 102 mesures antidumping et 10 mesures antisubventions étaient en vigueur au sein de l’Union européenne. Les pays comme les États-Unis ou les pays émergents utilisent plus largement ce système (300 aux États-Unis et 200 en Inde), parfois à titre de rétorsion comme le montre la récente décision de la Chine de lancer une enquête sur les subventions sur les vins européens ou d’ouvrir une enquête pour entraves à la concurrence sur les aides de la politique agricole commune au secteur du lait68.
Même si ces mesures ont une incidence sur moins de 1 % des importations européennes, les divisions des États membres se sont cristallisées autour de l’utilisation de ces instruments. Sous une apparence technique, leur mise en œuvre, décidée à la majorité simple, relève souvent d’arbitrages politiques et de défense de certains intérêts commerciaux. La ligne de fracture passe entre les pays volontaristes face à des pratiques qu’ils estiment déloyales et pays favorables idéologiquement au libre- échange ou craignant des représailles. Ces divisions apparaissent au grand jour quand il s’agit d’utiliser ces instruments à l’encontre de la Chine. Ce pays sait parfaitement tirer avantage des divisions des européens pour peser sur les décisions d’application des IDC, à tel point qu’on a pu dire que, lors de ces votes, elle était le « vingt huitième membre » de l’Union européenne. S’agissant de l’enquête ouverte en septembre 2012 sur les panneaux solaires photovoltaïques, l’Allemagne et la Grande Bretagne n’étaient ainsi pas favorables à la mise en œuvre de droits antidumping. Lors de sa riposte, la Chine a joué sur les divisions entre États membres : en entamant une enquête sur les importations de vins européens69, elle a ciblé les États les plus en pointe sur la controverse sur les panneaux solaires (France, Espagne et Italie)70.
S’agissant de l’enquête sur les panneaux solaires, en décidant de l’application de droits d’un montant de 37,2 à 67,2 % sur les produits importés, la Commission est passée outre l’opposition de l’Allemagne. Le Commissaire au commerce a déclaré à cette occasion que « la Commission reprend son rôle de défenseur indépendant de l’industrie européenne face aux pratiques commerciales déloyales des pays tiers. Nul besoin de vous rappeler que la règle de droit est le principe fondamental au cœur de l’Union européenne »71. À la fin du mois de juillet 2013, un accord a été conclu entre l’Union européenne et la Chine, prévoyant l’abandon des taxes provisoires européennes sur les panneaux solaires chinois en échange d’engagements sur les prix des producteurs locaux.
Une inflexion de l’attitude de la Commission européenne est également perceptible dans les modalités d’utilisation des IDE. Ainsi, il y a de plus en plus de plaintes ex officio, c’est à dire par initiative propre de la Commission et non en réponse à une demande du secteur industriel concerné72 . C’est le cas de l’action décidée dans le domaine des télécommunications. De plus, pour la première fois, en 2011, l’Union européenne a utilisé la double mesure des taxes antidumping et antisubventions73.
Ces instruments unilatéraux pouvant contribuer à rétablir les conditions d’un juste échange, leur prochaine réforme pourrait être l’occasion de leur renforcement74 . La dernière réforme date de 1995 et la modification de la réglementation a longtemps été reportée. Récemment, la Commission européenne en a repris l’initiative75. Bien que les thèmes retenus dans ce projet de la Commission semblent aller dans le sens d’une amélioration du dispositif (meilleure transparence), certaines modalités pourraient avoir pour conséquence un affaiblissement de leur efficacité. Il ne faudrait pas que cette réforme conduise à un assouplissement de la réglementation au détriment des industries européennes. Ainsi, la notion d’« industrie communautaire » qui prendrait en compte la situation des entreprises qui ont délocalisé ou sous-traité une partie de leur production en dehors de l’Union européenne ne doit être modifiée qu’avec prudence. Les pratiques déloyales sont toujours condamnables, même si elles sont le fait d’entreprises européennes. Par ailleurs, s’agissant de l’intérêt communautaire, il s’agit de donner la priorité aux intérêts des producteurs et non à ceux du consommateur qui ne pourrait être qu’un prétexte. Ensuite, ainsi que le suggère la Commission du commerce international 76, des droits plus stricts pourraient être appliqués sur les biens importés qui font l’objet d’un dumping ou de subventions si le pays exportateur ne présente pas un niveau suffisant de normes sociales et environnementales ; le Parlement européen suggère d’appliquer des droits plus modérés lorsque les biens subventionnés proviennent d’un pays moins avancé qui souhaite atteindre des « objectifs de développement légitime ». Enfin, en raison de leur complexité et de leurs coûts, les enquêtes antidumping et antisubventions sont de facto réservés aux grandes entreprises. La création d’un service d’aide aux PME serait de nature à aider les petites entreprises à introduire les plaintes, à satisfaire les seuils nécessaires pour ouvrir une enquête et à présenter les preuves du dumping et des dommages causés par des importations déloyales.
2. L’Union européenne doit tracer une ligne d’intérêts communs sur la base du principe de réciprocité
Si l’Europe a effectivement une politique commerciale comme on le voit dans la mise en œuvre des principaux instruments de défense, elle n’a pas vraiment défini de stratégie. Celle-ci devrait se définir autour du principe de réciprocité qui est un principe au cœur du contrat liant les membres de l’OMC et posé par l’article XXVIII de l’accord du GATT selon lequel les États membres doivent s’efforcer de maintenir « un niveau de concessions réciproques et mutuellement avantageuses ».
Au plan multilatéral, ce principe de réciprocité a été dilué au profit de deux autres clauses qui se sont greffées à ce principe premier, celle de la nation la plus favorisée77 et celle du traitement spécial et différencié78. De fait, le principe de réciprocité a été perdu de vue, sauf dans le cadre des accords plurilatéraux, dans la mesure où la clause de la nation la plus favorisée n’est pas applicable dans ces accords n’engageant pas la totalité des membres de l’OMC. Ainsi l’accord plurilatéral sur les marchés publics de 1995 est-il fondé sur des engagements réciproques mais il s’agit d’une réciprocité toute relative.
Un juste échange suppose en effet des engagements réciproques et des concessions mutuelles. L’Union européenne ne s’est engagée dans une démarche exigeant une plus grande réciprocité, en lien avec la définition des partenaires stratégiques, que récemment et avec réserve. C’est le Conseil européen du 16 septembre 2010 qui a considéré que « l’Europe devait défendre ses intérêts et ses valeurs dans un esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel ». Le principe politique ainsi posé, il s’est traduit dans la communication du 9 novembre 2010 sur la politique commerciale79. L’exigence de réciprocité n’est que la traduction de l’article XXVIII du GATT précité.
Cette exigence de réciprocité devra se traduire dans les accords plurilatéraux sur les services et sur les marchés publics, par la création d’un instrument de réciprocité sur les marchés publics et dans le cadre des accords bilatéraux.
b. Promouvoir le principe de réciprocité dans les accords plurilatéraux sur les services et sur les marchés publics
Dans les négociations lancées en 2011 sur un accord plurilatéral sur les services au sein de l’OMC, l’engagement de réciprocité, notamment dans les conditions d’ouverture doit prévaloir. Ce secteur qui représente 30 % des exportations européennes et participe aux trois quarts du PIB et de l’emploi en Europe est stratégique. S’il compte pour 70 % du revenu mondial, ce secteur représente seulement un cinquième des exportations, cette faible part dans les exportations s’expliquant par des barrières non tarifaires importantes.
Cet accord ne devra pas être basé sur la clause de la nation la plus favorisée : le bénéfice doit en être réservé aux parties signataires afin d’éviter le phénomène de « passagers clandestins ». Par ailleurs, il est nécessaire de tirer les leçons des négociations sur un autre accord plurilatéral, celui relatif aux marchés publics de 1995, au sein duquel les engagements des différentes parties n’ont pas respecté l’exigence de réciprocité. Dans le déroulé de la négociation, le recours à la méthode de listes positives d’ouvertures serait de nature sinon à conjurer, du moins à limiter des mesures de restrictions telles qu’appliquées dans l’accord plurilatéral sur les marchés publics.
S’agissant de l’accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) signé en 1994 dans le cadre de l’OMC, il n’applique qu’une réciprocité relative. En effet, si les États membres se sont engagés à ouvrir mutuellement leurs marchés, des restrictions sectorielles ou liées à la structure étatique peuvent être maintenues. Des pays comme les États-Unis ou le Japon ont ainsi bloqué l’accès à leurs marchés publics par des mesures discriminatoires. L’Union européenne a quant à elle appliqué strictement le principe de réciprocité et a potentiellement ouvert ses commandes publiques à hauteur de 85 à 90 % (même si effectivement, les compagnies étrangères fournissent 2 % de l’ensemble des marchés publics de l’Union européenne). En revanche, les marchés publics américains ne sont ouverts aux entreprises européennes qu’à 32 %, ceux du Japon à 28 % et le Canada à hauteur de 16 %80.
La révision de l’AMP qui a abouti à la fin 2011 et qui doit maintenant être ratifiée par l’ensemble des parties dont l’Union européenne, aura pour conséquence l’abaissement des valeurs de seuils des marchés publics et de l’adjonction de nouvelles entités et de nouveaux secteurs aux annexes actuelles de l’AMP. Ainsi, les marchés de la construction et ferroviaires s’ouvriront en Corée du Sud. Au Japon, en Corée du sud et en Israël, les seuils appliqués diminueront. Le Japon a accepté d’ouvrir ses marchés ferroviaires et les fournisseurs extérieurs pourront donc participer à la reconstruction du Japon à la suite du tsunami de mars 2011. Les États-Unis étendront l’accès aux marchés publics des entités centrales, en incluant les agences fédérales importantes. Le Canada ouvrira un accès plus large aux marchés publics des provinces et territoires.
En contrepartie, l’Union européenne va élargir la couverture de ses marchés publics aux pays de l’Espace économique européen (EEE), aux États-Unis, au Japon, à la Suisse et à Taiwan. Elle a offert des concessions de travaux publics à la Corée du Sud, aux pays de l’EEE et à la Suisse, pour autant qu’à titre de réciprocité, le Japon ouvre une partie de son secteur ferroviaire et le Canada, ses marchés publics interfédéraux.
Toutefois, si cette révision offre un accès élargi aux marchés publics des pays parties à l’AMP, elle ne modifie en rien la problématique de l’accès aux marchés publics des pays non membres de l’accord. Notons que la Chine a fait deux offres d’accession à cet accord plurilatéral, offres pour le moment jugées insuffisantes81.
Dans ce contexte, et compte tenu de l’intérêt majeur des marchés publics pour l’économie européenne, l’institution d’un instrument unilatéral de réciprocité sur les marchés publics est toujours pertinente.
L’Union européenne n’a jamais transposé l’AMP en droit interne, en prévoyant, comme le permet cet accord de n’ouvrir ses marchés qu’à hauteur des ouvertures consenties par ses partenaires. Elle pensait ainsi, en montrant le bon exemple, obtenir des concessions sur d’autres champs de négociation commerciale comme les indications géographiques, ce qui n’a jamais été le cas. Les marchés publics européens sont de facto, en application de la législation communautaire, ouverts à tous les soumissionnaires originaires de pays signataires ou non de l’AMP.
Les mesures adoptées par certains pays membres ou non de l’AMP pour relancer l’économie lors de la crise de 2008-2009, ainsi que l’affaire du marché public sur l’autoroute en Pologne qui avait dans un premier temps été attribué à une entreprise chinoise, a relancé la question de la réciprocité de l’accès aux marchés publics. La plupart des grands partenaires commerciaux ont en effet institué des pratiques restrictives discriminatoires et ferment leurs marchés publics à double tour. Dans ce contexte, à l’initiative de la France, la Commission européenne a présenté en mars 2012 un projet prévoyant la possibilité de fermer les marchés publics européens aux entreprises issues de pays ne garantissant pas aux entreprises européennes un accès équivalent à leurs marchés publics82.
Le dispositif s’appuierait sur deux piliers :
– un pilier décentralisé au niveau des États membres permettant aux pouvoirs adjudicateurs d’exclure les offres sont la valeur est composée à plus de 50 % de produits ou de services issus de pays n’ayant pas signé d’accord avec l’Union européenne pour ouvrir leurs marchés ou exclus des accords signés ; cette exclusion est applicable sous le contrôle de la Commission qui vérifie l’absence de réciprocité, et uniquement pour les marchés dont la valeur estimée est supérieure à 5 millions d’euros ;
– un pilier centralisé autorisant la Commission européenne, après enquête, de sa propre initiative ou à la demande d’un État membre ou d’une partie intéressée, à restreindre temporairement l’accès aux marchés publics de l’Union européenne aux entreprises des pays dont les marchés publics ne sont pas ouverts aux entreprises ; cette restriction peut prendre la forme d’une limitation ou d’une pénalité.
Si les conclusions du Conseil européen de 28 et 29 juin 2012, renouvelées lors de celui des 18 et 19 octobre 2012, appellent à un examen rapide de la proposition de la Commission, les réticences sont fortes de la part d’états comme l’Allemagne ou la Grande Bretagne, soit pour des raisons idéologiques, soit par crainte des représailles à l’égard d’un instrument qui pourrait être perçu comme protectionniste. Ce texte a été adopté en commission du commerce international le 28 novembre dernier pour être, en principe, adopté en séance plénière du Parlement européen en janvier.
Vos rapporteures soulignent l’importance de l’adoption de la proposition de la Commission européenne relative à l’instrument législatif européen de réciprocité sur les marchés publics qui donnerait à l’Union européenne un levier dans les négociations commerciales bilatérales et qui n’est en aucun cas un instrument protectionniste dans la mesure où le principe est celui de l’ouverture.
3. L’Union européenne doit infléchir ses politiques de l’investissement et de la concurrence pour rééquilibrer les relations avec ses partenaires
La politique commerciale ne peut pas être une politique isolée. Pour être efficace, elle doit être adossée aux politiques internes de l’Europe– politique de l’investissement, politique de la concurrence, politique de l’innovation et de la protection de la propriété intellectuelle.
Réciproquement, l’exemple du « Plan acier » annoncé le 11 juin 2013 par la Commission européenne, trente-six ans après le plan Davignon et onze ans après l’expiration du traité « CECA »83 –, montre que la politique commerciale peut venir en appui de la politique industrielle. Ce plan prévoit notamment de soutenir la demande externe sur les marchés tiers en luttant contre les pratiques déloyales – c’est l’objet des recours annoncés auprès de l’ORD contre les taxes antidumping mises en place par la Chine en novembre 2012 contre les exportations européennes de tubes sans soudure dans le cadre de ce qui a été présenté comme « la guerre de l’acier »- et celui tendant à garantir l’accès aux matières premières essentielles.
Deux politiques européennes devraient particulièrement être adaptées aux nouvelles configurations du commerce international : la politique de l’investissement et la politique de la concurrence. En effet, compte tenu du degré d’éclatement atteint par les chaînes de valeur mondiales (voir supra « La fragmentation des chaînes de valeur : une transformation majeure des conditions des échanges »), la question cruciale est celle de la part des chaînes de valeur de la production à maintenir sur le territoire européen. Or l’Europe et les pays émergents, principalement la Chine, ne combattent pas avec les mêmes armes. Ainsi, la Chine protége son marché intérieur, en imposant aux investissements étrangers des taux importants de contenu local et des transferts de technologie. Par ailleurs, sont constitués des oligopoles et conglomérats compétitifs de quelques firmes publiques ( sur le modèle du Japon dans les années 70, à la différence que ces firmes étaient privée ou des Chaebols coréens) dans des secteurs identifiés comme stratégiques. Ces oligopoles bénéficient de plus de très larges capacités d’investissement, grâce aux fonds souverains et aux réserves de la Banque centrale. Le principe de réciprocité impliquerait pour l’Europe de rééquilibrer les régles du jeu par une inflexion de ces politiques.
a. Une politique de l’investissement assurant la réciprocité dans l’accès aux marchés tiers et la défense des intérêts stratégiques européens
L’accélération des échanges commerciaux au niveau mondial s’est accompagnée, au cours des quinze dernières années, de la mondialisation des mouvements de capitaux et, notamment, du développement des opérations d’investissement à l’étranger (IDE). Ceux-ci font partie intégrante du paysage stratégique des entreprises qui, afin de rester compétitives et de renforcer leurs perspectives commerciales, ne se contentent plus d’exporter les biens et services qu’elles produisent, mais s’implantent et prennent directement des participations dans les entreprises des pays et secteurs-cibles. Un des principes fondateurs de l’Union européenne étant la libre circulation des capitaux et elle constitue l’ensemble économique le plus ouvert aux investissements étrangers. L’Europe est le principal destinataire des IDE mondiaux et a reçu à ce titre 159 milliards en 2012 (225 milliards en 2011)84 . Le dernier rapport de la CNUCED85 fait état d’une hausse de 37 % des IDE en Europe en 2013, avec toutefois des résultats contrastés selon les pays : l’Allemagne a vu les IDE quadrupler, en Espagne, ils ont progressé de 37 % tandis qu’ils ont chuté de 77 % en France. Les pays qui ont le plus profité du retour des investissements sont l’Irlande, la Belgique, les Pays Bas et le Luxembourg. 60 % des investissements sont d’origine européenne, les entreprises venant d’Amérique du Nord comptent pour 25 % du total, celles d’Asie pour 11 %. Si l’essentiel des investissements étrangers en Europe provient des pays développés, les investissements des pays émergents ont connu une croissance de 14 % en moyenne annuelle sur la période 2003-2009 (leur part passant de 6,8 % en 2003 à 9,2 % en 2009). Le maintien de l’attractivité de l’Europe en matière d’investissements directs étrangers constitue donc un enjeu majeur pour sa croissance et sa compétitivité. Ainsi, selon l’INSEE, les entreprises détenues par des investisseurs étrangers en France emploient 13,6 % de la main d’œuvre salariée produisant 16,8 % de la valeur ajoutée. Il est essentiel que l’Europe conserve son attractivité mais là aussi, le principe de réciprocité aura lieu de s’appliquer, notamment lors des négociations des accords d’investissements.
investissements étrangers en France
Source : Agence française pour les investissements étrangers (AFII), rapport annuel, mars 2013.
Les accords relatifs à l’’investissement sont une compétence exclusive de l’Union depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en 200986 et désormais une composante à part entière de la politique commerciale. Les accords bilatéraux d’investissement dits accords de protection des investissements passés précédemment par les États membres – 1 300 environ – seront désormais complétés par des accords européens, soit dans le cadre d’accords généraux de commerce, soit dans le cadre d’accords portant plus spécifiquement sur les investissements.
A l’occasion des négociations d’accords bilatéraux d’investissement87, devront être prises en compte la double dimension de l’investissement : la protection des investissements européens à l’étranger et l’accès au marché.
Sur le premier point, il s’agit d’assurer un cadre juridique aussi stable et prévisible que possible dans le pays hôte, assorti d’un mécanisme efficace de règlement des différends. Sur le second plan, l’Union européenne devra être particulièrement attentive à l’application des règles de réciprocité dans l’accès au marché et les investissements réalisés par les sociétés détenues ou soutenues par des États. Le rapport précité de la CNUCED sur les investissements dans le monde en 2013 note la « persistance d’un protectionnisme de l’investissement ». Certains pays, comme la Chine ou la Russie, établissent des listes de secteurs stratégiques protégés ou limitent les prises de participation étrangère dans ce secteur. De plus, nombre des partenaires commerciaux de l’Union européenne imposent des restrictions sévères aux investissements européens (exigence de capitaux propres, conditions de nationalité, notamment pour les cadres dirigeants, contreparties sous la forme de transfert forcé de Recherche et développement...). C’est dans cette voie que semble s’engager l’Union européenne dans ses négociations sur les investissements avec les pays de l’ANASE (Association des Nations de l’Asie du Sud Est).Les directives de négociations font ainsi mention de l’exigence « d’un traitement juste et équitable, comportant l’interdiction de mesures déraisonnables, arbitraires et discriminatoires »88. Cette ligne devra particulièrement être tenue s’agissant des négociations d’un tel accord d’investissement avec la Chine qui ont été lancées en 2013 ; cet accord pourrait, à terme, conduire à des négociations en vue d’un accord de libre-échange global. De même, dans le cadre des négociations du projet d’accord de libre-échange avec les États-Unis, les dispositions sur l’investissement devront réserver un traitement équitable aux entreprises européennes. La Commission européenne a décidé, devant les difficultés posées par ce point de la négociation, de faire une consultation publique sur le volet relatif à l’investissement.
S’agissant des investissements étrangers en Europe, ils pourraient être soumis à l’obligation d’un maintien d’un taux de contenu local et de maintien de la valeur ajoutée européenne. Par ailleurs, certains investissements relèvent d’enjeux stratégiques, comme les technologies de pointe. En 2010, les autorités publiques néerlandaises se sont opposées au dernier moment au rachat par un consortium chinois de l’entreprise Draka, spécialiste européen de la fibre optique. Cet épisode a montré la vulnérabilité de l’Europe à protéger ses technologies de pointe. Alors que de nombreux pays disposent d’instruments pour contrôler les investissements étrangers dans des secteurs stratégiques89, les institutions européennes ne peuvent s’opposer à un investissement étranger que dans la mesure où il porte atteinte à la défense du territoire ou à la sécurité d’approvisionnement énergétique. Cette limite renvoie aux principes fondateurs de l’Union européenne qui s’est construite autour de la notion de libre circulation des biens et des capitaux, même si certains ont pu instituer des mécanismes d’autorisation préalable aux investissements étrangers (France90, Allemagne, Royaume Uni, Italie, Pologne). En 2011, les commissaires européens chargé du marché intérieur, Michel Barnier, et à l’industrie, Antonio Tajani, ont adressé une lettre au Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, demandant que la Commission européenne puisse examiner si les « effets néfastes de certains investissements étrangers sont avérés » et si tel est le cas, d’envisager un « mécanisme et des critères permettant de les éviter et d’en minimiser les conséquences ».
La politique de la concurrence a des répercussions en matière commerciale. En 1970, les autorités européennes avaient déjà réalisé – sans que les conséquences n’en aient jamais été réellement tirées – que la politique industrielle européenne était « une question de vie ou de mort »91 . La nécessité de donner une plus grande dimension aux entreprises et de constituer des groupements plurinationaux, particulièrement pour les industries de pointe, est entrée en conflit avec les règles de politique de la concurrence. Les axes de cette politique sont le contrôle des anti-trust et des cartels ainsi que celui des concentrations et l’encadrement strict des aides d’État. Or la politique de la concurrence européenne se limite le plus souvent à une application mécanique et rigide de règles, faisant abstraction des réalités économiques internationales. Ce faisant, le contrôle des concentrations empêche la constitution de « champions européens » d’envergure internationale tandis que le contrôle des aides d’État est un frein aux restructurations des entreprises disposant d’un outil industriel performant.
D’autres pays se sont engagés dans une voie très différente. Ainsi, dans les années 1970-80, les États-Unis, sur la base la notion de « politique commerciale stratégique »92 ont institué des aides publiques offensives ayant pour objectif de conforter la position de « champions nationaux » dans les industries d’avenir. Aujourd’hui, l’innovation technologique est également largement subventionnée par la puissance publique en Chine, en Corée, en Amérique du sud et au Canada.
Comme l’analysent MM. Jean-Paul Beffa et Gerhard Cromme dans leur rapport sur la compétitivité et la croissance en Europe93, « axer une initiative de croissance européenne sur l’industrie et les services liés à l’industrie implique que l’Europe adopte une position réaliste sur les marchés mondiaux et face à la mondialisation. La politique de la concurrence doit donc prendre en compte l’environnement international, qui connaît de profonds bouleversements. Les marchés mondiaux sont de plus en plus concurrentiels, la concurrence est non seulement à l’œuvre entre les entreprises privées, mais aussi entre les économies en tant que lieux d’investissement et en tant que nations exportatrices. Des concurrents font leur apparition dans des zones économiques qui ne sont pas soumises aux mêmes restrictions réglementaires de la concurrence ou de directives sur l’aide publique. Avec ou sans aides publiques directes ou indirectes, les entreprises des pays émergents peuvent devenir des acteurs clés sur les marchés européens. C’est la prise de conscience de la dynamique de la concurrence plutôt que de sa nature figée et de l’horizon où elle s’applique, qui met en lumière la mondialisation des marchés et la vitesse de leur développement ».
Ils préconisent en conséquence les mesures suivantes :
- « l’Europe doit élargir sa conception de marché pertinent. D’emblée, elle doit prendre en compte l’horizon des marchés mondiaux (et non européens, nationaux ou locaux) ;
- la capacité de concurrents potentiels non européens à s’attaquer aux positions sur le marché européen doit être prise en compte lors de l’évaluation de l’impact des fusions d’entreprises européennes ;
- la période d’évaluation pour l’entrée éventuelle de concurrents doit être étendue, tout comme la durée de l’étude des gains d’efficacité résultant d’une concentration ;
- la France et l’Allemagne doivent faire le point sur l’encadrement général des aides par la Commission européenne, notamment sur le seuil à partir duquel les aides publiques doivent être notifiées à la Commission ;
- l’Union européenne doit éviter d’introduire de nouvelles propositions législatives susceptibles de nuire aux investissements, comme les procédures d’« actions collectives » dans le cadre de la concurrence européenne. »
Ces inflexions de la politique de la concurrence nécessiteraient un vrai leadership européen s’opposant à la l’orthodoxie de la Commission européenne quant aux règles de la concurrence.
Depuis le blocage persistant des négociations du cycle de Doha, l’Union européenne a élaboré une politique commerciale sur deux piliers- multilatéral et bilatéral. Tout en réaffirmant la priorité du multilatéralisme, elle a résolu de négocier des accords bilatéraux94.La multiplication des accords bilatéraux au plan international s’explique notamment par la prédominance de la clause de la nation la plus favorisée. En effet, dans la mesure où cette clause garantit aux États membres, l’accès aux marchés de l’ensemble des autres pays dans les mêmes conditions, quel que soit le niveau de leurs concessions, cette clause a des effets pervers, encourageant les comportements de « passagers clandestins ». Les accords bilatéraux peuvent être l’occasion d’établir une réciprocité des engagements, d’autant qu’il s’agit d’accords dits « OMC plus » permettant d’inclure des sujets non compris dans le champ des négociations multilatérales comme la propriété intellectuelle, les investissements, les barrières techniques aux échanges, les marchés publics. Les accords bilatéraux constituent ainsi un moyen d’obtenir une réciprocité qui ne soit pas uniquement tarifaire.
Le projet de négociations d’un accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne est un condensé de tous ces enjeux.95 De telles négociations sont aussi en cours avec le Canada, le Japon et l’Inde96. L’enjeu de ces projets d’accords de libre-échange porte avant tout sur une réduction notable des barrières non tarifaires dans la mesure où les droits de douane sont consolidés à un niveau mondial moyen de 3 à 5 %97. Les tableaux ci-dessous montrent les coûts liés aux barrières non-tarifaires, en comparaison de droits de douane moyens de l’ordre de 3 % ou 5 %.
Coûts commerciaux des OBSTACLES NON TARIFAIRES (mnt) aux États-Unis et dans l’Union européenne (en % équivalent tarif), pour les marchandises |
|||
Secteur |
Coûts MNT dans l’UE |
Coûts MNT aux États-Unis | |
Produits chimiques |
23,9 |
21 | |
Produits pharmaceutiques |
15,3 |
9,5 | |
Cosmétiques |
34,6 |
32,4 | |
Électronique |
6,5 |
6,5 | |
Matériel de communication et bureautique |
19,1 |
22,9 | |
Industrie automobile |
25,5 |
26,8 | |
Secteur aérospatial |
18,8 |
19,1 | |
Aliments et boissons |
56,8 |
73,3 | |
Métaux |
11,9 |
17 | |
Textile et habillement |
19,2 |
16,7 | |
Produits du bois et du papier |
11,3 |
7,7 |
Estimation des équivalents tarifaires des obstacles aux services (en %)
Télécoms |
Construction |
Commerce |
Transports |
Finances |
Services aux entreprises |
Autres | |
Pays développés |
24 |
42 |
31 |
17 |
34 |
24 |
26 |
Asie |
33 |
25 |
17 |
8 |
32 |
15 |
17 |
UE 25 |
22 |
35 |
30 |
18 |
32 |
22 |
27 |
États-Unis |
29 |
73 |
48 |
14 |
41 |
34 |
7 |
Pays en développement |
50 |
80 |
47 |
27 |
57 |
50 |
34 |
Total moyen |
35 |
58 |
38 |
21 |
44 |
35 |
29 |
Max |
119 |
119 |
95 |
53 |
103 |
101 |
54 |
Source : Commission européenne, direction générale du commerce.
Dans la définition de sa stratégie commerciale bilatérale, l’Union européenne devra défendre fermement ses intérêts offensifs, ainsi son système d’indications géographiques basé sur un lien fort entre le produit et le terroir face à un système anglo-saxon axé autour du droit privé des marques. Le dossier est très controversé au sein de l’OMC et il n’est pas certain que l’Europe ait gain de cause sur le plan multilatéral. Dans cette bataille autour de deux logiques de propriété intellectuelle opposées, l’Europe peut s’appuyer sur l’intérêt que suscite son système auprès de pays émergents qui y voient une façon de s’assurer le maintien de la valeur ajoutée. Ainsi, l’Inde est très soucieuse de la protection de certaines de ses productions (thé, riz) et la Chine a en 2012 fait reconnaître par l’Union européenne, dix indications géographiques par le biais d’un accord bilatéral de protection mutuelle.
S’agissant des marchés publics, les accords bilatéraux peuvent être l’occasion rééquilibrer les mesures protectionnistes prises par certains États. Ainsi, l’offre que le Canada vient de mettre sur la table dans le cadre des négociations d’un traité de libre-échange avec l’Union européenne représente un progrès par rapport à ce que ce pays offre dans le cadre de l’AMP et les provinces pourraient ouvrir leurs marchés publics. Dans le cadre de la négociation de ces accords, l’adoption d’un instrument de réciprocité sur les marchés publics pourrait servir de levier de négociations (voir infra).
Lors de la négociation des accords bilatéraux, l’Union européenne devra prêter une attention particulière à :
– la mise en cohérence avec l’ensemble des politiques de l’Union (politique agricole commune, la politique commune de la pêche, innovation). Les effets sur ces politiques devront être mesurés soigneusement, notamment au travers des études d’impact préalables et en cours de négociations, puis au moment de la conclusion afin de faciliter un contrôle a posteriori. Le Parlement européen devrait pouvoir s’appuyer sur ses nouveaux pouvoirs en matière commerciale issus du Traité de Lisbonne pour exercer ses prérogatives de contrôle, tant au cours des négociations qu’au moment de l’approbation finale ;
– le suivi des accords de libre-échange après leur conclusion, par le biais des clauses de révision et de suivi des engagements.
5. L’Europe doit faire prévaloir le principe d’équité en fonction du différentiel de développement de ses partenaires commerciaux
Si l’Union européenne doit défendre le principe de réciprocité, celui-ci doit être appliqué de façon modulée en fonction du degré de développement de ses partenaires. Comme le précisait le commissaire au commerce, Karel De Gucht, « il ne s’agit pas d’une réciprocité uniforme mais d’une réciprocité différenciée »98. Il ne s’agit pas d’appliquer à tous la même norme mais de s’ajuster au niveau de développement. Cette logique a ainsi conduit à une inflexion dans la politique d’aide au développement. Dans ce cadre, sera applicable à partir de 2014, un nouvel instrument financier dit instrument de partenariat avec les pays industrialisés et émergents, qui ne s’inscrit plus dans une logique d’aide mais de discussion sur des enjeux globaux (climat, migration) et de promotion des intérêts européens.
Cette réciprocité différenciée ou d’autres termes, l’équité, a lieu de s’appliquer sur la base de l’article XXIV du GATT définissant la « clause d’habilitation » en application de laquelle l’Union européenne a institué, dès 1971, un système de préférences généralisées (SPG). Par ailleurs, le régime « Tout sauf les armes », instauré en 2001, accorde aux 49 pays les moins avancés, un accès au marché européen sans droits de douane et sans quota.
Si ces régimes préférentiels ne peuvent pas tout, ils peuvent constituer un utile levier de développement. Le système de préférences généralisées (SPG) devra cependant être régulièrement révisé afin d’être gradué et conditionnel. C’est la voie dans laquelle s’est engagée l’Europe avec la réforme du dispositif en 2012. Les critères d’attribution du SPG sont renforcés. Pour en bénéficier, un pays ne devra pas être classé par la Banque mondiale comme pays à haut revenu ou revenu intermédiaire pendant 3 ans précédant le classement sur la liste et ne pas bénéficier d’un accord commercial préférentiel avec l’Union européenne. Par ailleurs, les pays à plus hauts revenus mais dont l’économie est peu diversifiée n’en seront plus bénéficiaires. Le dispositif bénéficie actuellement à 83 pays contre 176 précédemment, le Brésil et la Chine continuant à en bénéficier dans la mesure où ils répondent encore aux critères de revenu99 .
b. La négociation d’accords de partenariat économiques favorisant l’intégration régionale et le développement
La signature des accords de partenariat économique avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) constitue un enjeu économique majeur ; l’Union européenne y joue également sa crédibilité politique en Afrique, zone en émergence économique.
Selon l’article XXIV du GATT précité, des préférences commerciales peuvent être accordées à des pays en développement mais sous condition d’être accordées à l’ensemble des pays en développement. Par dérogation, dans le cadre des conventions de Lomé, l’Europe avait obtenu la possibilité d’accorder des préférences asymétriques aux seuls pays ACP. Dans la perspective de l’expiration de cette dérogation au 31 décembre 2007, l’accord de Cotonou du 23 juin 2000 avait prévu la conclusion d’accords de libre-échange réciproques mais asymétriques100 entre l’Union européenne et les pays ACP regroupés en six régions dont quatre en Afrique. Les accords de partenariat économique (APE) avaient donc pour objet de se mettre en conformité avec l’article XXIV qui dispose que « les droits de douane et autres réglementations commerciales restrictives sont éliminés pour l’essentiel des échanges commerciaux dans un délai raisonnable ».
Le dossier des APE a été mal engagé dès 2007 par une Commission européenne qui a voulu imposer aux pays ACP un schéma de libre-échange101, qui n’était conforme ni à l’esprit des relations qui avaient jusqu’alors prévalu entre l’Union européenne et les pays ACPC, ni aux intérêts économiques et de développement de ces pays. La Commission européenne est allée au-delà des exigences de l’OMC. En effet, selon l’article XXIV du GATT, l’ouverture est considérée globalement et peut donc être asymétrique. Par ailleurs, il n’est fixé aucun chiffre de libéralisation, seule est fait mention de « l’essentiel des échanges commerciaux. La Commission européenne a voulu imposer un taux d’ouverture global de 90 % : les marchés européens étant ouverts à 100 %, les marchés des pays ACP devraient en conséquence s’ouvrir à 80 % pour arriver au chiffre de 90 %. Alors que l’article du GATT ne fait mention que d’un « délai raisonnable », les périodes de transition devaient être fixées à 15 ans.
À la fin de 2007, les négociations étaient encalminées, seul un APE global avec les pays du Cariforum102 était entré en vigueur en 2008. Sept accords intérimaires ont par la suite été signés. Les pays africains ont refusé une libéralisation trop importante, trop rapide et sans compensation significative en termes de mesures d’accompagnement. Ils demandent notamment que soit accordée la priorité aux mesures d’accompagnement pour le développement et la mise à niveau sur le plan commercial, une offre d’accès au marché ne couvrant que 70 % des échanges, un calendrier de libéralisation allant au-delà de quinze ans, le maintien de taxes communautaires au profit de certaines organisations sous–régionales103 et des règles d’origine plus souples.
En 2012, la Commission européenne a présenté une stratégie présentée comme une « sortie de l’impasse ». Elle propose de revoir le règlement « Accès au marché » de 2007 qui a constitué une mesure transitoire offrant à tout pays engagé dans une négociation d’un APE, un accès sans droit ni quota au marché de l’Union européenne. Cette révision vise à exclure, à compter du 1er janvier 2014, du champ du règlement les pays qui n’ont pas pris les mesures nécessaires pour ratifier les accords intérimaires. Ce faisant, la Commission exerce une pression sur les pays ACP qui seront tentés d’accepter les APE, non pour les effets bénéfiques attendus sur leur développement, mais par crainte de voir s’interrompre leurs exportations vers l’Union européenne.
Conformément aux principes et à l’esprit du partenariat entre les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et l’Union européenne énoncés dans l’accord de Cotonou, les négociations des Accords de partenariat économiques doivent contribuer à l’intégration régionale et pour cela, un solide volet accompagnent et renforcement des capacités commerciales doit être prévu. Les économies africaines ne tireront partie de ces accords que si elles sont compétitives et en mesure d’exporter. C’est pourquoi, la signature d’APE doit donc être accompagnée de mesures favorisant l’insertion des producteurs africains au sein des chaînes de valeur locales, régionales et internationales, tout particulièrement dans les secteurs agricole et manufacturier. L’Union européenne doit accepter un degré de flexibilité dans le degré d’ouverture, celui-ci doit être adapté à chaque région sans être a priori fixé à 80 %. Par ailleurs, l’entrée en vigueur du règlement révisé d’accès au marché initialement prévu en 2014, devrait être fixé à 2016. Il convient enfin de rester ferme sur le maintien d’un traitement différencié pour l’Afrique du Sud qui fait partie des BRICS.
Depuis la Conférence ministérielle de 2008, les négociations du cycle de Doha pour le développement sont au point mort. Mais le mal vient de plus loin. Ce cycle lancé en 2001 qui se voulait en rupture avec les précédents pour être un cycle pour le développement, donc pour des échanges plus justes, souffrait d’un défaut de naissance né de l’opposition substantielle entre les États-Unis et les pays émergents sur les gains à l’ouverture aux échanges. En outre, l’ « orientation en faveur du développement a toujours été en tension avec le multilatéralisme compétitif »104 et la répartition des gains espérés était en tout état de cause toujours défavorable aux pays en développement les moins avancés.
Les interrogations sur la capacité de l’OMC à imposer le multilatéralisme comme source principale de régulation des échanges s’inscrit dans un contexte plus global de doute sur l’aptitude des institutions internationales multilatérales à répondre au besoin de régulation mondiale dans le cadre d’institutions qui reflètent un état du monde et des rapports de force géopolitiques dépassés, du fait de l’émergence de nouveaux pôles de puissance. Ainsi, le rôle du Fonds monétaire international (FMI), tant en matière de gestion que de prévention des crises, est largement critiqué. De même, on constate que la Banque Mondiale n’est pas parvenue à tirer de la pauvreté un grand nombre de pays en développement, ce qui met en doute l’efficacité de l’aide telle qu’elle est pratiquée et joue un rôle déterminant dans l’essoufflement très perceptible de l’effort d’aide publique des pays développés.
Dans ce contexte et depuis une décennie, l’alternative dominante est celle du plurilatéralisme et du bilatéralisme, comme en témoignent le lancement des négociations sur un accord plurilatéral sur les services ou les négociations d’accords de libre-échange entre l’Union européenne et des partenaires stratégiques (États-Unis, Japon…). Si la tendance actuelle se poursuit, le nombre des accords bilatéraux régiront deux tiers du commerce dans une décennie.
Évolution des accords commerciaux régionaux dans le monde, 1948-2013
Source : Secrétariat OMC
Outre la perte de crédibilité du système multilatéral, l’affaissement du multilatéralisme commercial conduit à l’éviction de partenaires jugés non intéressants. La constitution de cercles d’échanges restreints autour de normes qui bloqueront les échanges avec ceux qui n’en font pas partie risque d’accentuer le phénomène de spécialisation dans la pauvreté. Les entreprises multinationales sont de plus en plus favorables aux accords bilatéraux dans la mesure où elles peuvent négocier des mesures de protection de leur propre marché. Il n’est qu’à voir la liste des entreprises qui ont appelé au lancement des négociations entre l’Union européenne et le Canada105.
Alors que le multilatéralisme est le plus apte à rétablir l’équilibre de rapports de force et à donner plus de pouvoir de négociation aux plus faibles, les accords bilatéraux mêlent bien souvent libéralisation sur des sujets les moins sensibles et protectionnisme, à l’avantage des pays les plus puissants. Ainsi, dans le cadre de l’ALENA, il est prévu qu’en cas de différend entre les États-Unis et le Mexique, le droit américain est applicable et les tribunaux américains sont compétents.
La multiplication des accords bilatéraux et régionaux créent par ailleurs un réseau complexe de règles, multipliant les lieux de règlement des différends, le recours aux sanctions unilatérales, voire à l’arbitrage privé. Le risque est grand de voir les règles multilatérales et l’ORD être marginalisés.
Alors qu’aucun accord commercial mondial n’avait été conclu depuis 1994, la dixième Conférence ministérielle de l’OMC qui s’est tenue à Bali en décembre 2013 était la dernière chance de sauver les négociations multilatérales du cycle de Doha. Il a fallu abandonner la conception d’un accord sur un cycle global pour un accord partiel autour de sujets limités. L’accord auquel les 159 pays membres de l’OMC sont parvenus a sauvé la crédibilité de cette organisation qui est un des piliers de la mondialisation régulée.
Le compromis comprend trois volets.
Le point central est un accord sur la facilitation des échanges afin de simplifier et alléger les procédures douanières et ainsi faciliter les flux commerciaux. L’accord pourrait diminuer les coûts de transaction de 10 % et générer un gain estimé à 400 milliards d’euros par an. Cette disposition serait favorable à l’ensemble des pays de l’OMC, les pays en développement pouvant en profiter dans la mesure où un tiers du commerce est maintenant orienté Sud-Sud.
Le deuxième point concerne spécifiquement les pays en développement puisqu’il s’agit d’une disposition dite DFQF (duty free, quota free) consistant en la généralisation du régime européen « Tout sauf les armes »(TSA), c’est-à-dire un accès aux marchés en exemption de droits de douane sur au moins 97 % des lignes tarifaires. S’y ajoutent un assouplissement des règles d’origine et un mécanisme de surveillance pour le traitement spécial et différencié.
Le troisième sujet porte sur l’agriculture et aurait pu faire échouer tout accord ; il était porté par l’Inde qui en 2008 avait été un des pays qui avait contribué à l’échec de la Conférence ministérielle sur l’institution d’un mécanisme de sauvegarde en matière agricole. La proposition de l’Inde et du G33106 visait à permettre aux pays en développement de constituer des stocks publics de denrées de première nécessité à des fins de sécurité alimentaire, malgré la limite à 10 % de la production imposée par l’OMC aux soutiens internes agricoles. Les États-Unis avaient proposé une « clause de paix » d’une durée de quatre ans qui aurait permis aux pays constituant des stocks de ne pas être menacés par des recours à l’OMC et donc des sanctions commerciales. L’Inde ayant refusé cette clause de paix, une solution « diplomatique » a été trouvée. Les pays membres se sont accordés à mettre en place un mécanisme intérimaire pour ces stocks et à négocier sur un accord pour une solution permanente pour la constitution de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire à adopter lors de la onzième Conférence ministérielle de l’OMC. En attendant qu’une solution permanente soit trouvée, et à condition que certains critères (de notification et de transparence) soient respectés, les autres membres s’abstiendront de recourir au règlement des différends. Autrement dit, si une solution permanente n’est pas trouvée d’ici quatre ans, ce mécanisme se renouvellera automatiquement pour quatre ans.
L’accord trouvé à Bali sauve la face car faute d’accord, l’OMC aurait perdu toute crédibilité et toute possibilité de continuer à produire des normes commerciales. Cependant, si l’OMC est confortée, elle ne l’est que de façon provisoire. La viabilité du système multilatéral dépendra de la suite qui sera donnée à la feuille de route pour 2014, programme de travail à remplir, au-delà des trois points d’accords.
Les dispositions agricoles de l’accord de la Conférence de Bali
Programmes de stockage pour la sécurité alimentaire : les pays en développement vont pouvoir, à des fins de sécurité alimentaire, prendre des mesures de stockage public des produits agricoles dépassant les limites fixées par l’OMC pour le soutien interne, sans faire l’objet d’une contestation auprès de l’Organe de règlement des différends. Cette dérogation ne s’appliquera qu’aux programmes existants et ne devra pas affecter les échanges ou la sécurité alimentaire dans les autres pays.
Gestion des contingents tarifaires d’importation pour les produits agricoles : un accès aux contingents d’importation non remplis par les pays développées et une obligation de transparence pour ces quotas sont prévus.
Subventions à l’exportation : l’objectif d’une élimination de toutes les formes de subventions à l’exportation – qui aurait dû être atteint en 2013 selon la Déclaration de Hong Kong de 2005- est réaffirmé. L’Union européenne a gardé l’outil des restitutions à l’exportation mais son utilisation est réduite à zéro.
Les programmes visant à promouvoir le développement rural et la réduction de la pauvreté dans les pays en développement pourront être classés en boîte verte, c’est-à-dire dans la catégorie des soutiens non distorsifs. Il s’agit de programmes tels la restauration de terres, la conservation de sols, la gestion des situations de sécheresse et de lutte contre les inondations, la délivrance de titres de propriété et de programmes de peuplement agricole.
L’Union européenne a toujours mis le multilatéralisme en tête de ses priorités dans un « souci d’architecture en élargissant l’effort de négociation à la politique de la concurrence et à l’investissement direct, souci d’équilibre des normes en cherchant à donner une assise institutionnelle et légale à la prise en compte, par l’OMC, de considérations liées à la protection de l’environnement ou au principe de précaution, souci de rééquilibrer la négociation en faveur des pays en développement, et souci de la compléter par des mesures destinées aux pays pauvres »107. Elle doit donc s’en tenir à cette ligne, conforme à la fonction régulatrice qui lui est reconnue.
Les conditions d’un juste échange ne sont pas dans l’affaissement des règles multilatérales mais dans une redéfinition du champ d’intervention de l’OMC. Celle-ci doit promouvoir un système commercial international qui ne vise pas seulement à être efficace économiquement mais également à être plus juste socialement et politiquement comme le suggérait le rapport de la Commission Warwick en 2008108. Elle doit développer « sa capacité de gestion des conflits de préférences collectives 109».
L’OMC devra redéfinir les termes des relations entre pays développés, émergents et en développement et élargir sa mission aux problématiques de sécurité alimentaire, d’accès aux matières premières, de normes qui sont aussi importantes que les droits de douane et de subventions.
a. Réformer le traitement spécial et différencié en tenant compte des nouveaux équilibres économiques internationaux
Élaboré dans les années soixante sous l’impulsion de la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement), le principe d’un traitement spécial et différencié, par dérogation à la clause de la nation la plus favorisée, a été inscrit en faveur des pays en développement dans les règles de l’OMC. Admettant la nécessité d’adapter les engagements commerciaux en fonction des besoins des pays, les accords de l’OMC comprennent des dispositions qui confèrent des droits spéciaux aux pays en développement et qui donnent aux pays développés la possibilité d’accorder aux pays en développement un traitement plus favorable qu’aux autres membres. Ces dispositions portent également sur des périodes plus longues pour la mise en œuvre des accords et des engagements, des mesures visant à accroître les possibilités commerciales de ces pays, des dispositions exigeant de tous les membres de l’OMC qu’ils préservent les intérêts commerciaux des pays en développement ainsi qu’un soutien destiné à aider ces pays à mettre en place l’infrastructure nécessaire pour participer aux travaux de l’OMC et à gérer les différends et à appliquer les normes techniques110.
L’ensemble de ces dérogations s’applique aux pays en développement visés de façon générique. L’appartenance à cette catégorie des pays en développement repose sur le principe de l’auto déclaration, chaque pays pouvant choisir ce statut lors de son accession.
Compte tenu des nouveaux équilibres économiques liés aux progrès des pays émergents, une réforme du traitement spécial et différencié s’impose. Cela suppose d’intégrer la réalité de l’impact des nouvelles grandes puissances afin qu’elles assument des responsabilités communes et différenciées.
Les négociations multilatérales seraient favorisées par cette nouvelle approche du Traitement spécial et différencié en donnant à ces pays le leadership et la responsabilité correspondant à leur poids économique.
Certains États apportent à certains de leurs secteurs, notamment industriel, des soutiens actifs. Ceux-ci peuvent revêtir la forme de subventions à l’exportation ou être plus indirects comme un prix de l’énergie plus avantageux ou un accès au crédit dans des conditions favorables. Or sur toutes ces aides, les disciplines actuelles de l’OMC élaborées dans le cadre de l’Accord sur les subventions et mesures compensatoires (SMC) comportent de nombreuses lacunes.
Ainsi, cet accord interdit en principe les subventions à l’exportation mais considère qu’il n’y a subvention que si trois critères sont réunis : les pouvoirs publics doivent apporter une contribution financière sous forme de transfert direct ou potentiel (garantie de prêt), de fonds, abandon de recettes publiques ou encore soutien quelconque des revenus et des prix, cette subvention doit en outre conférer un avantage et doit être spécifique à certaines entreprises.
Cette réglementation ne porte donc ni sur toutes les subventions, ni sur la mesure de leur ampleur et les trois critères sont susceptibles d’être détournés. Un rééquilibrage de la réglementation de l’OMC devrait donc porter sur l’adoption de disciplines supplémentaires sur les subventions à l’exportation portant, outre l’amélioration de leur transparence, sur les points suivants :
– la notion de contribution financière étatique doit être élargie car selon l’approche retenue par le SMC, il n’y a pas subvention tant qu’il n’y a pas de dépense imputée sur le budget de l’État. Or certaines interventions de l’État n’impliquent pas forcément de dépenses publiques ;
– la question de l’avantage procuré doit être précisée. En effet, s’il existe des cas dans lesquels l’existence d’un avantage est manifeste et son évaluation aisée, dans d’autres, cela est plus complexe. Par exemple, dans quelles circonstances, un prêt, une participation à un capital social ou l’achat d’un bien par les pouvoirs publics confèrent ils un avantage ? L’accord SMC ne donne que des orientations partielles et la question de savoir ce que recouvre la notion d’avantage devrait donc être clarifiée ;
– le critère de spécificité devrait être précisé car une mesure ne sera pas visée par l’accord SMC à moins d’avoir été spécifiquement accordée à une entreprise ou une branche de production. Lorsqu’une subvention est accordée à un grand nombre de bénéficiaires, il est présumé que l’affectation des ressources n’est pas faussée.
Dans un monde où les ressources se raréfient et marqué par la croissance de la consommation énergétique, l’accès aux matières premières deviendra de plus en plus stratégique. Comme le soulignait Mme Laurence Tubiana111, « d’ici à 2030 ; trois milliards de personnes devraient rejoindre les rangs de la classe moyenne mondiale, avec les conséquences que cela implique en termes de consommation d’énergie et de ressources. Pendant cette période, les besoins de la population mondiale en énergie, eau et en terres agricoles devaient augmenter respectivement de 33 %, 27 % et 41 % »112.
L’Europe possédant peu de réserves énergétiques, il lui faut importer plus de la moitié de son énergie, ce qui pèse lourd dans les balances commerciales des différents États. Outre cet aspect lié à l’approvisionnement, les coûts croissants de l’énergie ont conduit à un déplacement des industries à forte intensité énergétique et par conséquent, à la suppression du premier maillon de la chaîne de valeur industrielle d’ensemble, ce qui constitue un risque en matière de compétitivité et de croissance comme le pointe le rapport Beffa-Cromme précité.
Au-delà des évolutions liées à la volatilité des prix et à l’interaction entre les marchés physiques et financiers de produits de base, la question de l’approvisionnement physique en matières premières est donc essentielle afin de préserver les capacités productives des États. Dans sa stratégie commerciale relative aux matières premières définie dans sa communication de 2011113, l’Union européenne se pose comme objectif de garantir des « conditions équitables » en matière d’accès aux matières premières.
L’OMC pourrait participer à cet accès équitable aux ressources. Dans le cadre des disciplines sur les obstacles non tarifaires, sont proscrites les restrictions d’exportations comme les quotas ou les contingents qui s’appliquent aux exportations de matières premières. C’est sur la base de ces disciplines que la Chine a été condamnée par l’Organe de règlement des différends en 2012 pour ses restrictions aux exportations de matières premières rares ( contingents et droits de douane) à la suite d’un recours formulé par plusieurs pays dont les États-Unis et l’Europe.
Ces disciplines doivent être améliorées afin de préserver l’intérêt bien compris des pays exportateurs et importateurs. Les questions relatives aux matières premières devraient être intégrées dans les négociations commerciales en cours et à venir et un mécanisme de suivi des restrictions à l’exportation pourrait être instauré au sein de l’OMC.
L’accès aux matières premières peut aussi être vu sous l’angle des pays en développement producteurs. Celles-ci doivent constituer un levier de développement. L’Union européenne doit promouvoir une politique des matières premières plus équitable qui assure un équilibre entre l’accessibilité des ressources aux populations locales, dans le respect de normes sociales et environnementales tout en garantissant la production industrielle et la compétitivité de l’Union européenne. Deux initiatives doivent être particulièrement appuyées.
L’Europe, comme le G20, appuie l’initiative pour la transparence des industries extractives ( ITIE) qui repose sur l’engagement des pays producteurs à mettre en œuvre le programme d’action qui doit aboutir à la publication des recettes provenant des industries extractives. Cette démarche volontaire atteint rapidement ses limites. Aussi, la démarche de l’Union européenne relative au renforcement des exigences d’information envers les entreprises des industries extractive et forestières, présentée en avril dernier (voir encadré ci-dessous) doit être poursuivie et approfondie. Créer un cadre où tant les entreprises que les gouvernements soient amenés à rendre des comptes quant à l’usage des revenus issus des ressources naturelles est une des conditions d’un juste échange pour ces pays.
Renforcement des exigences de transparence des entreprises des industries extractive
et forestière
Le 9 avril 2013, la Commission, le Parlement et le Conseil de l’Union Européenne ont signé un accord relatif au renforcement des exigences d’information envers les entreprises des industries extractive et forestière. Ayant vocation à être intégré aux directives comptabilité (78/660/EEC) et Transparence (2004/109/EC), il vise à imposer aux sociétés pétrolières, minières, gazières et d’abattage la publication des paiements versés aux gouvernements des pays où elles mènent leurs opérations. Les sociétés soumises à l’obligation d’information seront celles cotées sur un marché européen ou les sociétés européennes remplissant deux des trois critères suivants : Chiffre d’affaires annuel supérieur à 40 M€, actifs cumulés supérieurs à 20 M€, nombre d’employés supérieurs à 250.
Elles seront tenues de publier tous les paiements supérieurs à 100 000 € versés aux gouvernements des pays étrangers où elles opèrent. Concrètement, il pourra s’agir des factures d’impôt sur la production et les profits, des frais afférents aux droits de licence et de concessions, des royalties, etc. L’accord du 9 avril prévoit un système de déclaration avec publication du détail des versements réalisés "pays par pays" et "projet par projet".
Les lois américaines et britanniques avaient déjà acté l’effacement des frontières et des juridictions en matière de prévention de la corruption, en permettant à leurs autorités nationales de connaitre des actes illicites de sociétés étrangères commis hors de leur territoire. Ce nouveau régime de transparence européen participe de cette internationalisation du traitement de la corruption, en employant une méthode originale. En effet, il ne vise pas directement les paiements illicites, mais donne aux populations des pays riches en ressources naturelles un moyen de tenir leurs dirigeants responsables en cas de mauvais usage de fonds légalement recueillis et accentue la pression sur les États non transparents. Ainsi selon Michel Barnier "la législation européenne peut être un catalyseur du changement dans les pays en voie de développement".
Cette initiative de l’Union européenne reprend les règles de transparence des industries extractives créées par le Dodd-Frank Act américaine de 2010. L’amendement "Cardin-Lugar" y avait ajouté à la section 1504 une obligation de divulgation des paiements versés aux gouvernements étrangers, dans le but de "promulguer les principes américains de transparence, d’intégrité et de bonne gouvernance à travers le monde".
Les normes techniques qu’imposent les États à l’entrée des produits apparaissent de plus en plus comme des mesures de substitution aux droits de douane. Dans son rapport sur le commerce mondial en 2013, l’OMC indique que « la convergence des mesures non tarifaires comme les normes qui sera indispensable pour égaliser les règles du jeu dans l’avenir n’est pas de la responsabilité première de l’OMC. Mais elle devrait être en mesure de promouvoir plus de convergence ». L’OMC ne peut se désintéresser d’une nécessaire convergence en matière de normes.
Par ailleurs, la question des normes privées devra aussi avoir sa place. Les accords SPS (mesures sanitaires et phytosanitaires) et OTC (Obstacles techniques au commerce) préconisent l’utilisation de normes internationales qui sont le moins susceptibles de créer des restrictions de concurrence (normes de l’OIE – Organisation mondiale de la santé animale ou du codex alimentarius). Or dans des domaines comme la sécurité sanitaire, la responsabilité sociale des entreprises ou l’économie verte, on assiste au développement de normes privées, c’est-à-dire élaborées par des entités non gouvernementales. Ces normes sont en principe facultatives dans la mesure où sont imposées par des sociétés privées mais elles peuvent avoir de facto des incidences importantes sur le commerce. Le travail engagé au sein de l’OMC sur le contrôle et la supervision de ces normes privées doit se poursuivre.
La sécurité alimentaire a été un des points clefs de la Conférence de Bali de décembre 2013 : au nom de ce principe , les pays en développement ont obtenu des dérogations aux règles de l’OMC relatives aux subventions agricoles afin de constituer des stocks agricoles.
En effet, subvenir aux besoins alimentaires des neuf milliards d’êtres humains en 2050 constitue un enjeu majeur. Les crises agricoles et alimentaires des dernières années (émeutes de la faim, restrictions des échanges commerciaux par certains pays exportateurs114) sont dues aux tensions entre la hausse de la demande et le ralentissement de la production. Les perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO pour 2013-2022 laissent prévoir des tensions accrues sur les équilibres mondiaux qui risquent d’accentuer la volatilité déjà forte des prix agricoles. Les prix des produits végétaux et des produits animaux resteront supérieurs aux moyennes antérieures historiques à moyen terme, sous l’effet combiné du ralentissement de la croissance de la production et de la hausse de la demande, biocarburants compris. Déficits de production, volatilité des prix et perturbations des échanges continueront donc de menacer la sécurité alimentaire mondiale. L’OCDE et de la FAO avertissent que« tant que les stocks alimentaires demeurent à un faible niveau dans les grandes pays producteurs et consommateurs, le risque de volatilité des prix est amplifié. Une sécheresse de grande ampleur comme celle de 2012, conjuguée à des stocks réduits, pourrait faire augmenter les prix mondiaux de 15 % à 40 % ». Cette volatilité et l’insécurité alimentaire qui en découle ont été aggravées par la financiarisation des marchés agricoles. L’investissement dans les produits dérivés agricoles qui a augmenté fortement depuis les années 2000 a participé à la hausse des prix alimentaires, les marchés financiers ne jouant plus leur rôle de sécurisation des marchés physiques.
Le défi de la sécurité alimentaire sera particulièrement redoutable pour les pays en développement les plus pauvres dans lesquels une forte croissance démographique est attendue et où le réchauffement climatique fera sentir durement ses effets, avec notamment un risque de réduction des rendements potentiels que la FAO estime à moins 15 à 30 % pour l’Afrique subsaharienne.
L’agriculture est entrée dans le champ des négociations commerciales internationales depuis l’accord de Marrakech instituant l’OMC. Les postulats du libre-échange appliqués à l’agriculture basés sur le raisonnement selon lequel la pauvreté dans les pays en développement étant essentiellement agricole, la libéralisation des échanges participera à la réduction de la pauvreté, n’ont pas résisté à l’épreuve des faits. En témoignent les effets de capture des négociations commerciales par certains émergents comme le Brésil qui ont des capacités importantes en matière agricole et la résistance des pays développées pour protéger leur agriculture comme les États-Unis et l’Union européenne qui par le biais de leurs subventions à l’exportation, ont contribué aux déséquilibres de certaines filières agricoles vivrières dans les pays en développement. Depuis le début des années 1990, la facture alimentaire des pays les moins avancés a été multipliée par cinq ou six, notamment du fait d’un manque d’investissements dans l’agriculture vivrière. Par ailleurs, la promotion continue d’une agriculture d’exportations a de plus rendu ces pays très vulnérables à la volatilité des changes et aux flambées des prix sur les marchés internationaux.
M. Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, a effectué une mission auprès de l’OMC afin de déterminer dans quelle mesure la libéralisation du commerce en agriculture est compatible avec l’obligation qu’ont les membres de l’OMC à l’égard du « droit de l’homme à une nourriture adéquate », tel que reconnu en droit international115. Dans ce rapport116, il est souligné que la productivité par travailleur actif dans le monde agricole est considérablement plus basse dans les pays en développement. Dans un tel contexte, « l’idée d’établir un marché des matières première agricoles est dénué de sens, Le renforcement de la voie de la libéralisation du commerce n’aura pas pour résultat de donner aux producteurs agricoles dans les pays en développement la capacité de se mesurer aux producteurs des pays industrialisés sur un pied d’égalité, à moins que les salaires et les prix agricoles demeurent fixés à des niveaux très bas pour compenser une productivité beaucoup moins élevée ».
L’agriculture manque cruellement de gouvernance en raison de l’affaissement de la FAO qui n’a jamais été en mesure de l’exercer. Certains appellent à la création d’une « organisation mondiale de l’agriculture »117 qui aurait notamment pour compétence de fixer des prix d’équilibre. Si cette création n’est pas à un ordre du jour à court terme, des mesures plus immédiates seraient à même de participer à la sécurité alimentaire :
- en premier lieu, la lutte contre la volatilité des produits agricoles. Elle a été une priorité de la présidence française du G20 en 2011 qui a abouti à un « plan d’action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l’agriculture ». Dans ce cadre, plusieurs mesures ont été annoncées comme la création d’un forum de réponse rapide afin de coordonner les décisions politiques pour déjouer les pics des prix sur les marchés, un système d’information sur les marchés agricoles (AMIS) afin d’améliorer la collecte et l’analyse des données agricoles et le développement des stocks d’urgence dans des zones déficitaires comme l’Afrique Subsaharienne. L’OMC participe au fonctionnement de ce dispositif, conjointement avec la FAO, la Banque mondiale, l’OCDE et le programme alimentaire mondial. Depuis 2011, aucune avancée significative n’a été constatée : le Forum de réponse rapide n’a jamais été actionné ; seule une partie infime des informations se trouve aujourd’hui partagée dans le cadre de l’AMIS et les stocks régulateurs n’ont jamais vu le jour. Pour traiter durablement de la question de la volatilité des prix agricoles, il faudrait rouvrir le débat dans une enceinte multilatérale comme l’OMC, en liaison avec le Comité sur la sécurité alimentaire mondiale qui est un espace onusien légitime pour ces questions ;
- en second lieu, le soutien aux agricultures vivrières et familiales du Sud. Outre les mesures d’appui au développement de ces agricultures, il serait indispensable de renouer avec une forme de protectionnisme au sein de l’OMC. Il s’agirait de « démaquiller le prix mondial qui est souvent prédateur et spéculatif et ne correspond pas à un prix d’équilibre économique, social et environnemental »118. Tel est aussi le sens des propos du rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, qui demande que « les politiques fondées sur la sécurité alimentaire soient totalement exonérées des disciplines de l’OMC et que la sécurité alimentaire et le droit à l’alimentation deviennent un objectif des règles commerciales et non une déviation de ces règles »119. À cette fin, un rééquilibrage des règles de l’OMC relatives à certaines taxes et mesures de sauvegarde doit être envisagé afin de permettre aux pays en développement de se préserver de l’excessive volatilité des prix et de stabiliser leurs prix domestiques. L’effet spectaculaire d’une telle protection sur une production agricole ressort bien si on établit une comparaison entre le Kenya et les pays de l’Union économique et monétaire de l’Ouest africain (UEMOA) : les droits de douane sur la poudre de lait sont passés dans le premier de 25 % à 35 % de 1999 à 2002, puis à 60 % depuis 2004, alors qu’ils sont restés à 5 % dans le second. Le Kenya est maintenant un exportateur net croissant de produits laitiers, avec une consommation intérieure de 112 litres par personne et par an ; à l’inverse, les importations en équivalent lait représentent 64 % de la production de lait de l’Afrique de l’Ouest et la consommation par personne n’y atteint que 35 litres. Les taxes variables sur les importations- interdites dans le cadre des disciplines agricoles de l’OMC- contribueraient à protéger les productions vivrières. Il s’agirait par ailleurs d’encadrer les restrictions d’exportations de la part de grands pays exportateurs ;
- en troisième lieu, la sécurité alimentaire passe par la lutte contre la spéculation sur les marchés dérivés de matières premières agricoles. Dans le cadre de la réforme de la directive européenne relative aux marchés d’instruments financiers actuellement en cours, l’institution de limites de positions pour les activités spéculatives pourrait constituer un outil de régulation de ces marchés dérivés.
-enfin, l’ampleur prise récemment par le phénomène d’appropriations foncières dans les pays du Sud par des États, des fonds souverains ou des entreprises dans les pays en développement a ravivé les débats sur la sécurité alimentaire, la gouvernance foncière et les modèles de développement du secteur agricole. Un rapport de la FAO120montre que le phénomène d’achats et locations de terres agricoles à grande échelle date de la fin des années 2000 et a pris de l’ampleur avec la hausse des prix alimentaires. Les investissements se concentrent dans les pays pauvres où la propriété foncière est mal garantie et ne profitent pas à ces pays. L’accaparement des terres porterait approximativement sur 200 millions d’hectares, touchant surtout le continent africain avec 62 % des transactions. Le Comité de sécurité alimentaire mondiale a adopté en mai 2012 des « directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts » qui définissent les principes et pratiques souhaitables en matière à une gouvernance durable et équitable des ressources naturelles. L’Union européenne doit contribuer activement à leur mise en œuvre.
3. Pour réduire les risques de dumping monétaire, assurer une coordination monétaire multilatérale et mettre en œuvre une politique européenne de change
Contrôler les politiques monétaires des États afin de réduire les risques de guerre des monnaies et de volatilité des taux de change dans un système de changes flexibles se heurte à l’opposition des États dont aucun n’est prêt à renoncer à sa souveraineté. Par ailleurs, établir que les désalignements de taux de change modifient le système des prix relatifs d’un pays, du moins de façon suffisamment durable et suffisamment importante pour générer un transfert de ressources ou avoir des effets quantitatifs ou s’il ne s’agit au contraire que d’un jeu à somme nulle, n’est pas aisé à établir. La preuve de la manipulation monétaire exigée par l’article 4 des statuts du FMI est donc difficile à établir. En effet, les banques centrales des principales économies poursuivent avant tout des objectifs internes (stabilité des prix, plein emploi) et n’ont pas directement d’objectifs de change. Comme l’analyse le Conseil d’analyse économique, « le taux de change est un canal de transmission de la politique monétaire : la monnaie d’une économie tend à se déprécier lorsque la banque centrale du pays assouplit sa politique monétaire. La dépréciation concourt alors à l’objectif de redressement du taux d’inflation ou de soutien de la demande 121».
C’est pourquoi tant les dispositions de l’article XV du GATT selon lequel les États membres doivent s’abstenir de toute mesure de change qui irait à l’encontre de l’objectif des dispositions du GATT que l’article 4 des statuts du FMI qui interdit de manipuler les taux de change pour obtenir des avantages comparatifs n’ont jamais été appliquées.
Le système de l’OMC, ses politiques et ses règles ne permettraient pas de résoudre les principales questions macro-économiques qui influent sur la tenue des monnaies dans le monde et qui requièrent un certain degré de coopération macro-financière associé à des politiques nationales appropriées. Celles-ci relèvent de la compétence du FMI. Comme le souligne Michel Camdessus, ancien directeur général du FMI, « alors même que la mondialisation imbrique les économies entre elles et les rend de plus en plus interdépendantes, les politiques économiques et financières menées au niveau national – y compris en matière de changes – ne font l’objet d’aucune mise en cohérence à l’échelle mondiale. Le FMI, censé précisément être le lieu de la coordination monétaire, ne remplit en vérité pas ce rôle. Pendant trop longtemps, on a largement admis qu’il serait suffisant –pour garantir la stabilité mondiale – que chaque pays gère convenablement ses propres affaires et évite de manipuler son taux de change. Cette conception d’une fonction auto-équilibrante des marchés et des économies s’est révélée trop optimiste 122 ».
Lors de la réunion du dernier G20 à Saint Petersburg les 5 et 6 septembre 2013, l’ensemble des pays a convenu de la nécessité d’une meilleure coordination des politiques monétaires sans que cet appel ne comporte aucun engagement concret. Compte tenu de l’importance de la monnaie de facturation internationale, les désajustements de taux de change et la lutte contre leur volatilité ne peuvent se traiter que par la mise en place d’un système monétaire international plus équilibré, donc multipolaire avec une substituabilité des monnaies. Dans un rapport123, le Conseil d’analyse économique préconise l’internationalisation de la monnaie chinoise ainsi que celle de l’euro et l’institution d’un système multipolaire plus conforme aux nouvelles configurations de l’économie mondiale.
Sur le point des manipulations des taux de change, le G20 - bras politique du FMI- pourrait donner mandat à celui-ci de modifier les critères de l’article 4 précité prouvant les « manipulations de change ou le système monétaire international afin d’empêcher l’ajustement effectif des balances des paiements ou de s’assurer des avantages compétitifs inéquitables vis-à-vis d’autres États membres ». Ces critères exigent qu’il y ait une intervention massive de la Banque centrale ; il est par ailleurs nécessaire de prouver que les manipulations ont pour objet de favoriser les exportations et aucune sanction n’est définie. Or aucun pays n’est prêt à admettre ces comportements et toute tentative faite pour contrer les actions de la Chine par exemple, se heurte à la vive opposition de l’administrateur chinois du FMI. Exiger plus de transparence sur les interventions de change ainsi que sur les situations de comptes courants et des flux de capitaux serait de nature à diminuer les risques de manipulation. Par ailleurs, le terme de manipulation, à forte connotation négative, devrait être modifié.
Compte tenu des difficultés auxquelles se heurtera la mise en place d’une coordination monétaire multilatérale, la question se pose de la mise en œuvre d’une politique de change pour la zone euro. En effet, la question du dumping monétaire se pose en termes spécifiques pour l’Europe. Compte tenu des différentiels de compétitivité, de spécialisations des exportations et des niveaux d’inflation, les taux de change effectifs réels sont différents entre les États de la zone euro 124. Taux de change et compétitivité sont deux sujets liés. Cependant, les politiques de change ne peuvent pas tout et n’être qu’une mesure de court terme reportant les réformes structurelles indispensables. La baisse de l’euro ne peut être la réponse unique à un déficit de productivité. Les mesures monétaires adoptées par le gouvernement japonais risquent ainsi de n’être qu’un feu de paille dans la mesure où elles n’ont pas vraiment été adossées à des mesures structurelles.
Par ailleurs, les effets d’une dévaluation de l’euro ne doivent pas être surestimés. Une analyse du Conseil d’analyse économique (CAE)125 indique qu’une dépréciation de l’euro de l’ordre de 10 % aurait un effet positif de l’ordre de 7 à 8 points sur les exportations hors zone euro qui représentent 11 % du PIB européen mais que cet effet positif serait contrebalancé par un effet négatif sur les importations manufacturières à hauteur de 3,5 % sans baisse à court terme des volumes importés et sur la facture énergétique. Le CAE synthétise ainsi les effets d’une baisse de l’euro : « Les exportations françaises hors zone euro représentant 11 % du PIB, une dépréciation de l’euro de 10 % par rapport aux monnaies de tous ses partenaires commerciaux hors zone euro constituerait un choc positif de demande d’environ 0,7 point de PIB. Cela n’implique pas que le PIB augmenterait de 0,7 % puisque nous ne prenons pas en compte ici les effets de la dépréciation sur les importations (notamment les importations d’énergie et de matières premières qui représentent environ 1,5 % du PIB), le pouvoir d’achat, la consommation, l’emploi et les salaires. Une dépréciation de l’euro de 10 % entrainerait une augmentation du PIB français de 0,6 % après un an et de 1 % après deux ans ». De plus, les effets d’une dévaluation de l’euro auraient des effets asymétriques sur les pays de la zone euro, un euro plus faible étant plus favorable aux pays qui ont l’essentiel de leurs exportations vers la zone euro (Grèce, Espagne)126. Mais en tout état de cause, tant qu’il n’y aura pas une politique de change européenne, les diminutions de quelques points de charges sociales ou les baisses de salaires changeront peu de choses aux compétitivités comparées des différents États de l’Union.
La Banque centrale européenne ne pratique pas de politique de change ; cependant la politique monétaire et la fixation les taux d’intérêt ont des effets sur le taux de change. Si elle veut aller plus loin, l’Union européenne dispose des instruments juridiques d’une politique de change, au titre de l’article 219 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)127. Il s’agit d’une compétence partagée que les gouvernements n’ont jamais voulu exercer dans la mesure où leurs intérêts divergent fortement. La question de la mise en œuvre d’une politique de change se pose de façon récurrente. Ainsi, avant la présidence française du G20 en 2011, la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale s’interrogeait : « pourquoi les États membres renonceraient ils à se servir des instruments mis à leur disposition par le traité pour définir en commun une politique monétaire extérieure, par exemple en instituant une véritable politique de change au niveau de la zone euro ? L’Union européenne se donnerait là les moyens d’améliorer la représentation internationale de la monnaie unique et mener de véritables négociations avec la Chine et les États-Unis »128. Un gouvernement économique de la zone euro ne devrait pas se limiter à être uniquement « un système disciplinaire de contrôle des engagements de rigueur des pays membres. Il devra traiter de la vraie politique économique, c’est-à-dire de la croissance et de la monnaie et des taux de change »129. Par ailleurs, compte tenu de l’importance des échanges entre les pays de la zone euro et la Grande Bretagne et de la politique monétaire menée par ce pays qui vise à la dévaluation de la livre sterling aux fins de relance des exportations, il serait nécessaire que soit fait application de l’article 142 du TFUE qui dispose que « chaque État membre faisant l’objet d’une dérogation traite sa politique de change comme un problème d’intérêt commun. Les États membres tiennent compte, ce faisant, des expériences acquises grâce à la coopération dans le cadre du mécanisme du taux de change ».
Si les États membres ne convenaient pas d’utiliser la possibilité de mettre en œuvre une politique de change par la Banque centrale européenne, à tout le moins, celle-ci devrait-elle afficher clairement ses objectifs en matière de politique monétaire pour soutenir l’activité économique et lutter contre le risque de déflation affectant déjà certains pays de la zone euro, comme l’a fait la Banque centrale américaine. Une telle attitude influerait indirectement sur le cours de l’euro et pourrait ainsi avoir des effets contra cycliques. Comme l’analyse la note du Conseil d’analyse économique précitée, « pour la zone euro, la normalisation annoncée de la politique monétaire américaine constitue une opportunité car c’est une occasion, pour la BCE, de renforcer sa politique monétaire expansionniste en laissant l’euro se déprécier ».
Le juste échange ne consiste pas à appliquer les mêmes règles sociales et environnementales à tous les acteurs du commerce international afin de rétablir un level fiel playing, c’est-à-dire un environnement dans lequel tous les acteurs du marché mondial seraient soumis aux mêmes règles. Cela supposerait les mêmes capacités à être compétitives. Or les points de départ ne sont pas les mêmes. Depuis 50 ans, la productivité des pays développés européens a été multipliée par quatre. Les bénéfices de cette augmentation de la productivité se sont traduits par un revenu par personne supérieur (multiplié par plus de trois pendant la même période), de plus grands profits, des dépenses publiques plus importantes incluant des filets de sécurité sociaux et de meilleures infrastructures. Même si elle augmente à un rythme soutenu, le niveau de productivité de la Chine est encore inférieur de 20 % à celui des pays développés. Face à l’argument de dumping social ou environnemental, les pays émergents et les pays en développement font valoir leurs avantages comparatifs face aux différentiels de compétitivité.
Cependant, en matière sociale, des accidents tragiques comme celui qui est survenu dans l’usine textile du Rana Plazza au Bengladesh en avril 2013, démontrent l’urgence d’appliquer des règles de travail décent. De même, en matière environnementale, au moment où le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a posé un diagnostic aggravé sur la hausse possible des températures, la question de la prise en compte des normes environnementales se pose avec acuité.
Tant pour la problématique sociale qu’environnementale, il s’agit de déterminer quel est le niveau pertinent de régulation – multilatéral, bilatéral, ou même privé par la responsabilisation des entreprises et quels instruments devront être mis en œuvre.
La mondialisation a multiplié les problèmes et les intérêts communs à l’ensemble des pays, qu’il s’agisse de règles sociales minimales, d’environnement, de santé, de stabilité financière, d’accès aux ressources de base comme l’eau ou l’accès au savoir. Le débat sur ces problèmes globaux a été renouvelé par le recours du concept de biens publics mondiaux, formulé par l’économiste Paul Samuelson130 . D’un point de vue théorique, le bien public est défini comme un bien dont les caractéristiques- non rivalité131 et non exclusion132- rendent improbable une prise en charge de leur production car il est difficile d’établir des droits de propriété ou d’usage sur ces biens. Le concept de bien public a été d’abord développé dans un cadre de réflexion national où il est un point d’appui théorique à une intervention de la puissance publique. L’économie s’étant internationalisée, la notion de bien public a été logiquement transposée au plan international.
Ces biens publics internationaux se définissent comme « l’ensemble des biens accessibles à tous les États qui n’ont pas nécessairement un intérêt individuel à les produire »133. Les biens publics mondiaux identifiés en premier lieu par la Communauté internationale furent liés aux risques environnementaux globaux et à leurs externalités globales (problème du réchauffement climatique, pollution des mers, pluies acides). Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) regroupe les biens publics mondiaux en trois grandes catégories :
- les biens publics mondiaux naturels comme la stabilité climatique et la biodiversité qui posent le problème de leur surutilisation,
- les biens publics mondiaux d’origine humaine, comme les connaissances scientifiques pour lesquels l’enjeu est leur sous-utilisation ou leur utilisation inégalitaire,
- les biens publics dénommés « résultats politiques globaux », au nombre desquels la paix ou la stabilité du système financier international. L’enjeu pour ces biens est celle de leur production qui doit faire l’objet d’une coopération internationale.
Alors que la libéralisation des échanges a été basée sur les avantages liés au fonctionnement libre des marchés, la notion de bien public mondial met l’accent sur le fait que l’on ne peut pas compter sur les seules forces du marché pour assurer un niveau de protection suffisant de ces biens. Seules une prise de conscience et une coopération internationale peuvent permettre de faire émerger et de protéger des biens publics mondiaux. La gestion des biens publics mondiaux suppose de prendre en compte une dimension universelle, d’articuler les préférences collectives, donc de fonder une équité internationale.
Cependant, équité ne signifie pas traiter également des partenaires inégaux. L’équité doit se concilier avec le principe de responsabilités communes mais différenciées. Ce principe posé lors de la Conférence de Rio en 1992 dispose que « les États doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème. Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent ». Il s’agissait de rééquilibrer les rapports entre le Nord et le Sud dans la balance des droits et des devoirs internationaux. Ce principe a été à l’origine appliqué à la protection de l’environnement ; puis il s’est élargi, au nom de l’effort international pour le développement durable, aux objectifs sociaux tels que l’équité, l’élimination de la pauvreté et le développement lors du sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg en 2002.
Pour les pays développés, l’aspiration à une gouvernance sociale afin de rétablir les conditions d’un juste échange répond à plusieurs niveaux de préoccupations, sociales et économiques. Aux inquiétudes liées au risque de nivellement par le bas des normes sociales pour les salariés de ces pays (la problématique de la course vers l’abîme, « Race to the bottom ») résultant de l’utilisation par les entreprises des systèmes sociaux nationaux les moins coûteux, se superposent les inquiétudes liées à l’absence de progrès social pour les travailleurs du Sud, voire d’un accroissement des formes de travail dégradantes. Du point de vue économique, de bas salaires ou des conditions de travail moins protectrices qui pèsent sur les coûts de production constitueraient un dumping social par analogie avec le concept de dumping commercial, tel que défini à l’article VI du GATT . Cet article établit le droit d’un pays à prendre des mesures compensatoires « lorsqu’un produit exporté est introduit sur le marché d’un pays importateur à un prix à sa valeur normale ». En 1881, la Fédération des syndicats américains exerça déjà des pressions sur le Congrès américain pour obtenir des mesures de protection contre la concurrence des pays à bas salaires. Le principe fut alors posé de « cost equalization », c’est-à-dire l’annulation, par le jeu des droits de douanes, de l’avantage concurrentiel procuré par les bas coûts de main d’œuvre. La notion de dumping social est apparue pour la première fois lors d’une conférence organisée par la Société des Nations (SDN) sur l’économie mondiale en 1922 et a justifié les tarifs douaniers protectionnistes mis en place par les États-Unis de 1922 à 1930. La Charte de La Havane de 1948 prévoyait la création d’une Organisation internationale du commerce (OIC) totalement intégrée à l’ONU dont l’article 2 consacré à l’emploi posait la nécessité de faire respecter des « normes de travail équitables ».
Pour les pays émergents et en développement, le juste échange ne réside pas dans l’application des mêmes règles en matière salariale ou de niveau de protection sociale. Les différences de salaires renvoyant à une différence de niveaux de développement ainsi qu’à un différentiel de productivité qui réduisent d’autant l’avantage concurrentiel des bas salaires, ils font valoir que ces disparités de salaires font partie de leurs avantages comparatifs. De fait, le dernier rapport de l’Organisation internationale du travail sur les salaires134 fait état d’une augmentation des salaires dans certains pays émergents dont la Chine135mais rappelle toutefois que des disparités importantes demeurent.
Dans ce contexte, un soupçon de protectionnisme pèse dès l’origine sur les pays développés et les pays en développement se sont toujours opposés à l’intégration de normes sociales dans les règles du commerce international.
À l’issue du cycle d’Uruguay qui a vu la création de l’OMC en 1994, une action conjointe de la France et des États-Unis a inscrit la question de l’articulation entre le commerce et les normes sociales à l’ordre du jour de la Conférence de Singapour en 1996. En raison de la très vive opposition des pays en développement, la déclaration finale de cette conférence s’est contenté de rappeler l’attachement des membres au respect des normes de travail internationalement reconnues, tout en soulignant que l’avantage comparatif des pays en développement ne devait en aucune façon être remis en cause. Il était également précisé que l’Organisation internationale du Travail (OIT) était seule compétente pour connaître de ces questions. La question, à nouveau soulevée lors de la Conférence de Seattle en 1999, a été définitivement rayée de l’ordre du jour du cycle de Doha.
Aucune référence aux normes sociales n’est faite dans le corpus de l’OMC. Cette mise à l’écart des préoccupations sociales est ainsi illustrée par le traitement que fait de la question l’Organe de règlement des différends. Lorsqu’il s’est trouvé confronté à un risque de conflit entre normes, c’est-à-dire à chaque fois qu’une norme internationale a été utilisée pour justifier une éventuelle infraction au droit de l’OMC, le juge de l’OMC a écarté la règle extérieure au profit de l’application exclusive des accords de l’OMC. De même, cette instance fait une application très restrictive de la possibilité qui lui est donnée d’interpréter les règles de l’OMC à la lumière d’autres normes internationales. De façon générale, il n’a pas interprété l’article XX du GATT qui pose un objectif global de « développement durable », comme pouvant inclure les normes sociales.
De même, le principe de séparation des institutions internationales fait que les relations entre l’OMC et l’OIT compétente en matière sociale ne se situent qu’à un niveau technique et ne se traduisent concrètement que par la publication de quelques études conjointes.
Au plan multilatéral, le traitement des normes sociales relève donc de la compétence de l’Organisation internationale du travail (OIT), au sein de laquelle a été adoptée en 1998 la « Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux du Travail » consacrant quatre droits de base : liberté d’association et reconnaissance effective du droit de négociation collective, élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, abolition effective du travail des enfants et élimination de la discrimination en matière d’emploi. Ce texte a introduit une rupture dans sa politique normative de l’OIT. En effet, le respect de ces droits sociaux fondamentaux est envisagé comme une obligation inhérente à la qualité de membre de l’OIT, quel que soit le niveau de développement de l’État. Un mécanisme de suivi est par ailleurs institué permettant d’évaluer chaque année par un dispositif simplifié les efforts déployés par les États membres qui n’ont pas encore ratifié les conventions consacrées aux quatre droits fondamentaux. Cependant, il n’existe au sein de l’OIT aucun mécanisme de sanction en cas de non-respect des conventions signées par ses membres, ce qui limite fortement leur force normative.
Assurer les conditions d’un juste échange implique que la violation des normes de travail fondamentales ne puisse être utilisée pour attirer les investissements internationaux. Cela suppose de considérer un degré de protection sociale et de normes de travail décentes comme un bien public mondial, certains comportements étant hors cadre dès lors qu’ils ne respectent pas les droits fondamentaux des salariés et leur dignité.
La question se pose de savoir quelle serait l’organisation internationale qui aurait légitimement vocation à déterminer et à faire appliquer la notion de travail décent. Sur le plan des principes, l’OMC a pour mission d’assurer la stabilité des relations commerciales. Or celles-ci sont fragilisées par la violation des normes de travail fondamentales. Le développement durable est inscrit dans l’article XX du GATT. Cet article pourrait être modifié pour faire mention des préoccupations relatives aux normes sociales minimale inscrites dans la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux du travail de l’Organisation internationale du travail de 1998 dont le non-respect pourrait entraîner des sanctions commerciales. De plus, seule l’OMC dispose d’un pouvoir incitatif et coercitif par le mécanisme de règlement des différends. Elle pourrait imposer une adaptation des règles nationales en matière, par exemple, de subventions en considérant que la violation des normes constitue une subvention déguisée. Les limites à cette approche sont rapidement apparues : elle a été refusée par les États membres qui estiment que le commerce n’est qu’un des vecteurs et non le principal pour promouvoir le développement durable. De fait, à chaque fois, que l’ORD s’est trouvé confronté à un risque de conflit entre une norme juridique internationale, le juge a écarté la règle extérieure au profit de l’application exclusive du corpus de règles de l’OMC.
Tirant sa légitimité de sa composition tripartite (États, salariés et employeurs), l’OIT apparait l’institution la plus naturelle pour faire prévaloir la notion de travail décent qu’elle a inscrit dans sa Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux du Travail précitée. Cette institution est reconnue par la Communauté internationale. Ainsi dans le cadre de l’OIT, la Chine coopère pour la mise en place d’une couverture santé. De plus, les déclarations précitées constituent le noyau dur, tant des chapitres relatifs au développement durable contenus dans les accords bilatéraux de commerce que des principes de responsabilité sociale des entreprises de l’OCDE et des Nations Unies. Ainsi, pour prendre sa décision de rétablir en 2013 les préférences généralisées au Myanmar (ex Birmanie) qu’elle lui avait retirées en 1997, la Commission européenne s’est appuyée sur une résolution de la Conférence internationale du Travail – organe de l’OIT –, qui avait, dans un rapport, considéré que les violations des principes des conventions de l’OIT n’étaient plus « grave et systématiques » et avaient en conséquence recommandé le rétablissement des préférences.
Cependant, face au besoin de régulation sociale, il manque à l’OIT une juridiction, qui interpréterait les normes qu’elle édicte. En effet, les organes de contrôle du Bureau international du Travail (BIT) - secrétariat permanent de l’OIT- n’a aucun pouvoir juridique d’interprétation des conventions qui n’appartient qu’à la seule Cour internationale de justice. Celle-ci n’étant jamais saisie par les États, les organes de contrôle internes du BIT jouent un rôle prépondérant. L’interprétation des règles se fait donc par les organes de contrôle interne du BIT, soit par la direction des normes, soit par la Commission des experts. Il s’agit d’une jurisprudence sans juridiction, ce qui n’est pas un facteur de sécurité juridique pour les différentes parties prenantes. Il faudrait en conséquence revenir à la solution initialement prévue dans la Constitution de l’OIT, la création d’une juridiction interprétative des normes du travail. Cette solution serait favorable à l’internationalisation des normes fondamentales du travail qui servent de plus en plus de référence aux accords de commerce et aux systèmes de régulation privés. La création d’une telle instance pourrait favoriser la mise en œuvre du mécanisme de plainte déposée par un Membre à l’encontre d’un autre, en cas de violations graves et persistantes des droits sociaux fondamentaux par un État Membre, cette disposition n’ ayant été mis en œuvre qu’une seule fois dans l’histoire de l’OIT, à l’encontre de la Birmanie. Elle serait à même de répondre à une question préjudicielle qui pourrait lui être posée par l’ORD.
L’OIT pourrait par ailleurs participer activement à l’élaboration des chapitres « développement durable » de l’ensemble des accords de libre-échange négociés notamment par l’Union européenne.
Par ailleurs, la collaboration entre l’OIT et l’OMC, actuellement réduite à la publication d’études conjointes136, pourrait être améliorée, par l’institution d’observateurs croisés.
Le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) fait un constat alarmiste sur le réchauffement climatique et sur ses conséquences sur l’atmosphère, les océans, la cryosphère et les évènements extrêmes. Le monde émet de plus en plus de gaz à effets de serre et la courbe des émissions s’est installée au-dessus des scénarios pessimistes. En 2013, l’humanité a émis plus de 10,7 milliards de tonnes de carbone (soit 40 milliards de CO2), en hausse de 2,1 % par rapport à 2012.
L’articulation entre normes environnementales et règles commerciales est actuellement minimale. La gouvernance environnementale est assurée dans le cadre des accords multilatéraux pour l’environnement (AME) qui, au nombre d’environ trois cents, s’appliquent à des espaces et des champs très différents. Ainsi, la Convention sur la commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacés d’extinction ( CITES) est le premier en date en 1972 ; la Convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone et le protocole de Montréal est relatif aux substances qui appauvrissent la couche d’ozone ; la Convention de Nairobi traite de la diversité biologique ; le Protocole de Kyoto est adossé à la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ; plus récemment le Protocole de Nagoya de 2010 réglemente la diversité biologique et l’utilisation des ressources génétiques. Aucune coordination n’existe entre ces différents AME, le programme des Nations Unies pour l’environnement n’en assurant pas un suivi coordonné et la plupart d’entre eux ne prévoient aucun mécanisme de sanction.
Lors de la conférence ministérielle de Doha en 2001, les membres de l’OMC avaient convenu d’engager des négociations sur les relations entre les règles de l’OMC et les différents AME. Des négociations ont lieu dans le cadre des sessions du commerce et de l’environnement mais elles se sont limitées à l’applicabilité des règles aux membres ayant signé les AME. La préoccupation de l’environnement est de fait une préoccupation marginale de l’OMC même si l’Organe d’appel a permis d’amorcer un mouvement vers la prise en compte des AME dont des dispositions peuvent influer sur les échanges, comme l’interdiction du commerce de certaines espèces. Par le biais de l’article XX du GATT posant un objectif de développement durable, l’ORD a considéré comme légitimes les mesures commerciales requises par les AME pour atteindre des objectifs environnementaux, à condition de ne pas être une simple restriction déguisée au commerce international. Ainsi, le différend relatif aux crevettes137 a posé le principe de la compatibilité les règles de l’OMC des mesures prises par les membres pour s’acquitter des obligations contractées au titrer de la CITES.
L’action de l’OMC ne constitue en tout état de cause pas une forme de régulation multilatérale en faveur de l’environnement, la jurisprudence de l’ORD se limitant à autoriser les membres à prendre des mesures de protection commerciale au nom de l’environnement, pour autant que ces mesures soient justifiées au regard de l’article XX du GATT.
La compétence de l’OMC en matière environnementale est donc limitée et l’initiative du secrétariat de l’OMC de rédiger un rapport sur le commerce et le changement climatique en 2009 en collaboration avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a été vivement critiquée par les pays en développement alors qu’il se limitait à un inventaire de mesures possibles et de leur compatibilité avec les règles de l’OMC, sans établir de préconisations.
Plusieurs mesures seraient de nature à renforcer la place les préoccupations environnementales au sein de l’OMC :
- en premier lieu, dans le cadre du cycle de Doha, il a été convenu de négocier la réduction, voire la diminution des obstacles tarifaires et non tarifaires visant les biens et services environnementaux. Les négociations n’ont pas avancé, notamment du fait des divergences sur la notion même de biens et services environnementaux. Pour certains, ils désignent les biens et services permettant de lutter contre la pollution ; d’autres considèrent qu’ils doivent être entendus comme recouvrant tous les biens fabriqués de telle sorte qu’ils favorisent une gestion durable des ressources (papier recyclé par exemple). La question des biens environnementaux devrait donc être intégrée dans la feuille de route de l’après Bali. Une quinzaine de pays membres de l’OMC dont l’Union européenne, les Etats-Unis, la Chine, le Canada, la Corée du Sud…ont convenu au Forum économique mondial de Davos de janvier 2013 de trouver un accord sur l’élimination des tarifs douaniers des produits « verts ». L’objectif est de négocier sur une liste de 54 produits couvrant les domaines comme la lutte contre la pollution de l’air, la gestion des déchets ou la production d’énergie renouvelable ;
- en deuxième lieu, les procédures de règlement des différends devraient permettre de mieux articuler les préoccupations environnementales et commerciales. Alors qu’aucun lien n’existe entre l’ORD et le secrétariat des différents accords environnementaux, une procédure de consultation entre les deux institutions permettrait de donner une issue plus équilibrée au litige en permettant que les préoccupations environnementales soient mises sur le même plan que les préoccupations commerciales ;
- en troisième lieu, compte tenu de l’incertitude juridique quant à la compatibilité entre les accords de l’OMC et les AME, l’article XX du GATT devrait être complété afin de reconnaître, au nom du principe du développement durable qui y est affirmé, l’égalité de statut entre les AME et les règles de l’OMC. En cas de conflit de normes, un état devrait pouvoir opposer à un état membre de l’OMC les dispositions d’un AME auquel ce second état n’est pas partie, ce qui n’est actuellement pas possible138.
Une organisation mondiale de l’environnement ?
Depuis le début des années 90, se pose la question de la création d’une organisation mondiale de l’environnement afin, selon l’expression de M. Michel Camdessus, ancien directeur du FMI, de compléter les « îlots manquants de l’archipel international ».En effet, alors que les questions économiques, financières et commerciales sont gérées par des organisations internationales structurées et que les préoccupations sociales et sanitaires sont portées par l’OIT ou l’Organisation mondiale de la santé, aucune organisation internationale spécialisée n’est chargée de la régulation environnementale.
La gouvernance environnementale est de fait lacunaire. Les différents AME ne sont ni coordonnées, ni hiérarchisés. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), créé en 1972 au sein du système des Nations Unies, a la charge de trois missions : surveiller l’état de l’environnement mondial ; servir de plate-forme aux actions et politiques à mettre en œuvre et préparer les conventions et accords internationaux nécessaires ( le PNUE a été à l’origine de la convention de Vienne et du Protocole de Montréal sur la couche d’ozone) ;remplir des fonctions de formation, d’échanges et de diffusion de bonnes pratiques . Mais ces instances n’ont pas réussi à imposer une gouvernance de l’environnement.
La création d’une organisation mondiale de l’environnement a été formulée dans le début des années quatre-vingt-dix. Des pays comme la France et l’Allemagne en ont porté le projet alors que les États-Unis ou les pays du Sud comme la Chine y étaient opposés. Les États-Unis estiment que les questions environnementales ayant une incidence sur les échanges doivent être traitées au sein de l’OMC mais plus fondamentalement, ils craignent qu’une telle organisation puisse formuler des contraintes pesant sur leur développement technologique. Les pays du Sud font valoir le risque de normes environnementales trop sévères sur leurs capacités de développement.
Les avantages d’une telle organisation ont été synthétisés par le Conseil d’analyse économique dans les termes suivants : « Cette Organisation mondiale de l’environnement devrait jouer un rôle déterminant dans l’élaboration de la doctrine, serait chargée du suivi des engagements, et de la surveillance de l’état de l’environnement. Pourquoi envisager de créer une nouvelle organisation internationale, et ainsi risquer de contribuer à l’inflation institutionnelle ? Et pourquoi la cause de l’environnement serait-elle mieux servie par une institution unique, plutôt que par un ensemble d’accords sectoriels ? La constitution d’une OME serait d’abord cohérente avec le principe de spécialisation. Elle conduirait à doter l’OMC et les autres institutions internationales d’un interlocuteur légitime, et leur permettrait de se concentrer sur leurs missions, plutôt que de devoir traiter, de manière forcément biaisée, des questions environnementales au fur et à mesure de leur apparition. La création de l’OME répondrait par ailleurs à un double objectif d’efficacité et de rationalisation de la doctrine environnementale. Elle permettrait, d’abord, de réduire les coûts induits par la multiplicité des accords multilatéraux et des secrétariats correspondants, qui sont actuellement dispersés dans une dizaine de capitales, en opérant un regroupement des secrétariats, en créant des outils communs de surveillance et de contrôle, et en mettant en place des organes communs de règlement des différends. Elle permettrait de développer données et analyses, de structurer un débat, et de faire le pont entre expertise scientifique et consensus politique. Elle contribuerait ensuite à consolider la doctrine internationale dans le domaine environnemental sur la base des principes – pollueur-payeur, précaution, responsabilité, consentement informé, etc. – aujourd’hui déclinés dans les différents accords sectoriels, ainsi que de mieux assurer leur cohérence, celle des instruments associés, et celle des moyens employés pour assurer leur compatibilité avec les règles du commerce international. »139
La création d’une Organisation internationale de l’environnement a été récemment soutenue par le Conseil économique, social et environnemental (CESE)140.
S’agissant de sa structure, elle pourrait être une agence spécialisée de l’ONU qui se substituerait au Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) pour regrouper les AME existants et assurer entre eux une meilleure cohérence.
Quant à son rôle, il lui incomberait d’adopter « un corpus fondamental de réglementation environnementale sur la base des AME et d’en assurer le respect ».
Au sein d’une telle organisation pourrait être définie la portée des responsabilités communes mais différenciées. En effet, l’objet du principe des responsabilités communes mais différenciées posé lors de la Conférence de Rio de 1992 était de rééquilibrer la relation Nord-Sud. Ce principe a été structurant du droit international de l’environnement : il est inscrit dans la plupart des conventions comme la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques à laquelle est adossé le Protocole de Kyoto qui est un des moyens d’application de la Convention de Vienne sur la protection de la couche d’ozone. Cependant, une fois le principe posé et en faisant même abstraction des difficultés liées à la non ratification de ces conventions par certains pays majeurs, quels instruments pourraient être mis en œuvre pour appliquer ce principe ? Quels critères objectifs adopter (empreinte écologique, indice de développement humain…) ? Quelles sanctions pourraient être appliquées dans un ordre juridique international dont l’une des caractéristiques est que les États sont à l’origine de la formation du droit ?
Une telle organisation pourrait être chargée de définir ces critères et être par ailleurs investie d’une mission de surveillance et de suivi des engagements ainsi que le propose le CESE : « Elle serait donc investie d’une mission de surveillance, de prévention des atteintes à l’environnement et de suivi des engagements. À cette fin, le CESE serait favorable à ce qu’un mécanisme soit institué sur le modèle de l’Organe de règlement des différends de l’OMC. A l’heure où l’on pointe le danger d’une concurrence « par le bas » en termes de normes environnementales, c’est à ce prix que le développement durable pourra devenir une réalité concrète. La création d’une OME répondrait aussi à un impératif de rationalisation et d’efficacité. Bien loin de sanctuariser l’environnement, il s’agit de se donner les moyens d’une simplification, en passant d’une situation où les accords, programmes et secrétariats sont nombreux à une organisation fédératrice ».
L’Union européenne porte une responsabilité cruciale en matière de préservation de l’environnement et de lutte contre le changement climatique. Elle a adopté en 2009 le plan d’action dit « Paquet climat-énergie »141 . Un nouveau paquet sera adopté en mars 2013 suite à la proposition de politique climatique pour 2030 présentée par la Commission européenne en janvier. Si l’Europe veut continuer à agir pour la préservation du climat en pariant sur l’effet d’entraînement de son attitude sur l’ensemble des participants aux négociations multilatérales sur le climat, il lui faut préserver la compétitivité de ses entreprises. Cet argument a pesé lourd dans la présentation des objectifs de 40 % de réduction des émissions de gaz à effets de serre en 20230. En effet, des surcoûts liés au respect des réglementations environnementales et à la tenue de l’objectif de limitation des effets de serre peuvent conduire à des pertes de parts de marché et à des délocalisations progressives de la production. Ceci n’est d’ailleurs globalement pas favorable à la diminution des émissions de CO2 dans la mesure où ce sont les installations non contraintes au titre des émissions qui assureraient la production à l’extérieur de l’Europe. Cependant, il faut aussi prendre en considération, comme le note le « rapport sur l’évaluation des impacts » joint à la proposition de politique climatique, que réduire les émissions de CO2 peut créer des emplois dans les secteurs des énergies renouvelables142. Il s’agit donc de trouver le moyen de protéger l’industrie européenne de pertes de compétitivité internationale liées à ce surcoût afin de pouvoir continuer à avancer en termes de politique climatique.
Depuis la Convention sur les changements climatiques issue des travaux de la Conférence de Rio en 1992, la communauté internationale s’efforce de parvenir à une régulation environnementale. Après la prolongation du protocole de Kyoto à la Conférence de Durban en 2011, la Conférence de Doha en décembre 2012, puis la Conférence de Varsovie de novembre 2013 se sont heurtées aux difficultés d’évaluation des engagements et des convergences possibles entre les pays industrialisés historiquement responsables du réchauffement climatique et les pays émergents soucieux de ne pas entraver leurs perspectives de développement par des engagements sur des normes environnementales contraignantes.
Il est crucial qu’un accord mondial juridiquement contraignant soit adopté lors de la Conférence de Paris en 2015. En effet, la juxtaposition de politiques nationales, même dynamiques, conformément à la logique du bottom up préconisée par la Chine143 et les États-Unis en application de laquelle les engagements sont définis par ce que les États veulent faire, ne sera pas à la mesure des enjeux. La formulation d’un tel accord suppose :
- une réévaluation des responsabilités des grands pays et particulièrement des grands émergents. Le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) montre que les pays en développement contribuent pour 60 % aux émissions mondiales de carbone. La Chine est le premier émetteur à hauteur de 29 % et est passée en quelques années à une moyenne de 1,9 tonne de carbone par habitant, ses émissions ayant augmenté de 6 % en un an. Les États-Unis sont responsables de 17 % des émissions mondiales, à hauteur de 4,4 tonnes de carbone par habitant tandis que l’Union européenne compte pour 11 % des émissions, soit 1,9 tonne de carbone par habitant. Les formules de répartition des efforts devront tenir compte, en équité, du poids économique et démographique des pays ainsi que de leurs responsabilités passées ou futures dans le changement climatique. Mais en tout état de cause, il est indispensable que la Chine et les États-Unis, responsables de la majorité des émissions, soient parties actives à la négociation d’un tel accord ;
- une représentation large de la question du financement pour les pays en développement qui doit englober à la fois la prise en charge des pertes et dommages causés par le changement climatique et le financement de la lutte contre le changement climatique.
Si les négociations multilatérales sur le climat restaient une dynamique négative, la question de l’institution d’une taxe carbone aux frontières européennes se poserait. La Commission européenne s’est toujours montrée opposée au principe d’une telle taxe qui viserait à compenser les distorsions liées au système européen des quotas d’émission, entre les entreprises qui y sont soumises et celles qui en sont exclues.
Sur la base du rapport sur le commerce et le changement climatique en 2009 en collaboration avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), la Représentation française auprès de l’Union européenne a publié une note144 sur un mécanisme d’inclusion carbone qui obligerait les importateurs de biens manufacturés hors d’Europe à acheter des permis de polluer dans le cadre du système de quotas d’émissions qui pourrait prendre la forme d’un ajustement à la frontière.
Vos rapporteures estiment que l’institution d’un tel mécanisme, dans des conditions compatibles avec les règles de l’OMC, doit être étudiée.
Taxe carbone et Organisation mondiale du commerce
La taxe extérieure carbone viserait à compenser les distorsions nées du système européen des quotas d’émissions, entre les entreprises de l’Union européenne qui y sont soumises et celles qui en sont exclues. Il s’agit plus précisément de protéger l’industrie européenne de pertes de compétitivité internationale qui résulteraient du surcoût lié à la politique de réduction des gaz à effet de serre — via les quotas d’émissions.
Les possibilités laissées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour compenser ce surcoût ont été étudiées par la mission d’information sur l’effet de serre de l’Assemblée nationale ainsi qu’en 2008 par le ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement Durable. (Medad).
Une solution consisterait à mettre en place un mécanisme d’ajustement de taxe à la frontière (ATF). Il s’agirait de rembourser aux exportateurs nationaux les taxes qu’ils subissent, en l’occurrence sur le CO2, et de taxer de la même façon les importations. Ce système correspond au régime courant de la TVA.
Le groupe de travail sur les ajustements fiscaux à la frontière du GATT de 1970 a retenu une définition de l’ATF adoptée par l’OCDE. Il s’agit de « toutes mesures fiscales qui donnent effet, complètement ou partiellement, au principe du pays de destination, c’est-à-dire qui permettent d’exonérer, en totalité ou en partie, les produits exportés de la taxe grevant dans le pays exportateur les produits nationaux similaires vendus aux consommateurs sur le marché intérieur et de prélever, en totalité ou en partie, sur des produits importés vendus aux consommateurs la taxe grevant dans le pays importateur les produits nationaux similaires ».
Plusieurs conditions seraient néanmoins nécessaires à la mise en place d’un ATF dans le cadre du régime général de l’OMC.
En premier lieu, pour que le système actuel de quotas de gaz à effet de serre de l’Union européenne puisse être assimilé à une taxe, il faudrait qu’ils soient alloués par mise aux enchères, avec livraison à prix unique.
Mais, dans la mesure où la taxe doit porter sur les produits, en déterminer le montant à en partant du prix des enchères n’est pas chose aisée. En effet, si le marché de quotas assure que le coût marginal de réduction des émissions est le même pour toutes les installations soumises au marché, il n’assure pas que le coût marginal de réduction sur le produit soit le même. Il n’existe pas deux installations émettant les mêmes émissions par unité de production. Face à cette difficulté de fixer un niveau de taxe sur les produits qui serait le niveau à retenir pour les ajustements aux frontières (c’est-à-dire pour le montant de l’exonération et pour celui de la taxe sur les produits importés), le Medad suggère qu’il serait plus facile de taxer les quantités de gaz à effet de serre nécessaires à la fabrication des produits (« émissions spécifiques ») ou d’organiser des marchés de quotas d’émissions spécifiques. Ces deux instruments seraient nécessairement sectoriels.
Une troisième difficulté s’ajoute aux deux premières. L’information sur les émissions générées pour la production d’une unité n’est pas disponible au niveau international. Une solution, proposée par Ismer et Neuhoff (2004), consiste à retenir un niveau équivalent à la meilleure technologie disponible. Cette dernière notion est cependant susceptible d’être contestée au niveau international par tout pays faisant valoir une discrimination entre pays. Il existe de nombreuses technologies pour un même secteur et les industriels seraient obligés de fournir des informations confidentielles sur leurs méthodes de production.
Par ailleurs, au regard de la jurisprudence de l’organe de règlement des différends (ORD), il semble impossible de taxer différemment deux produits ayant les mêmes caractéristiques physiques, comme l’acier par exemple, mais dont la production de l’un engendre des émissions de CO2 bien supérieures à celles de l’autre. C’est le problème des « procédés et moyens de production non incorporés », c’est-à-dire qui ne laissent pas de trace dans le produit final, question sur laquelle les pays de l’OMC sont en désaccord. Dit plus simplement, afin qu’une tonne d’acier en provenance d’autres pays supporte la même taxe qu’une tonne d’acier européenne, la taxation doit être forfaitaire, indépendamment du contenu carbone de la tonne d’acier de ces pays. La possibilité de taxer des produits d’après leurs méthodes de production si elles ne laissent pas de trace dans le produit est donc controversée. La jurisprudence de l’ORD dans l’affaire États-Unis – Taxes sur le pétrole offrirait cependant une incertitude favorable à la taxation de substances ne devant pas nécessairement être incorporées dans le produit final.
Il serait ainsi possible d’imaginer une solution consistant à taxer les importations de manière uniforme, à condition d’établir un niveau standardisé d’émissions spécifiques par secteur (les émissions de la meilleure technologie disponible par exemple), à charge pour l’importateur de démontrer que son produit a généré moins d’émissions de CO2 que le standard pour être exonéré partiellement ou totalement de la taxe. Ces conditions seraient nécessaires, mais pas forcément suffisantes, pour garantir l’acceptation de la mesure par l’OMC.
Les régimes d’exception de l’OMC concernant l’environnement, via l’article XX du GATT, ouvrent une autre possibilité. Ils permettent aux États membres d’adopter des mesures de sauvegarde de l’environnement (paragraphes b et g). Dans ce cadre, les critères d’acceptation d’un ajustement fiscal aux frontières sont différents.
Les deux régimes d’exception prévus respectivement par les paragraphes b) et g) de l’article XX ont une portée différente.
Le paragraphe b) mentionne des « mesures nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux ». Toutefois, la jurisprudence interprète de manière étroite le critère de nécessité. Ainsi, un État peut difficilement justifier d’une mesure incompatible avec le GATT en la déclarant nécessaire au sens de l’article XX b). En effet, dans le cas où une mesure compatible avec le GATT « n’est pas raisonnablement disponible, l’État a obligation d’utiliser, parmi les mesures dont il dispose raisonnablement », celle qui est la moins incompatible. L’ORD pourrait ainsi considérer que d’autres mesures moins incompatibles avec le GATT que l’ajustement de taxe aux frontières pourraient être envisagées par les États. En effet, le protocole de Kyoto ne prévoit pas de mesures commerciales particulières, mais un large panel de mesures aux fins de lutte contre le changement climatique.
En revanche, d’après la même analyse effectuée par le Medad, le régime du paragraphe g) serait plus favorable à l’instauration d’un ajustement fiscal aux frontières. Il mentionne des « mesures se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales ». D’une part, au regard de la jurisprudence assimilant notamment l’air à une ressource naturelle épuisable, il est permis d’affirmer, selon le Medad, que l’atmosphère pourrait également être qualifiée de ressource naturelle épuisable. D’autre part, le lien entre la mesure commerciale restrictive et son objectif semble être moins contraignant au sens du régime du paragraphe g) qu’aux termes du paragraphe b) qui selon la jurisprudence exige une relation « étroite et réelle » entre la mesure et l’objectif visé. Comme l’objectif premier de la taxe est de rééquilibrer la concurrence, et non pas de réduire les émissions de gaz à effet de serre, il est difficile de savoir si l’ORD considérera la taxe comme « se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables ».
De plus, l’article XX ne permet pas d’utiliser des mesures commerciales pour corriger directement des problèmes de compétitivité. D’après l’analyse de certains experts, l’ATF pourrait être admis à condition que la taxe soit calculée sur la base des émissions réelles de CO2 de chaque producteur (relation « étroite et réelle » entre l’ATF et l’objectif). Une autre étude du Medad précise cependant qu’il faudrait « que les pays soient capables d’identifier et de surveiller les produits utilisés pour fabriquer les produits importés. Le plus souvent cette identification ne peut être réalisée que par une inspection sur le site, un suivi et une homologation du procédé de production dans le pays exportateur ». Une autre solution serait d’exiger des industriels la communication d’informations sur leurs émissions et procédés de production, qui revêtent un caractère confidentiel.
Par ailleurs, dans le cadre des régimes d’exception de l’article XX, si la jurisprudence de l’organe d’appel dans l’« affaire des crevettes » était maintenue, il serait envisageable, selon l’étude du Medad, de taxer différemment des produits en fonction de leurs procédés et méthodes de production (PMP) « non incorporés » dans le produit final, c’est-à-dire en fonction de leur teneur en carbone.
Il convient en outre de relever que dans le cadre d’allocation gratuite de quotas d’émissions, tout ajustement de taxe à la frontière est incompatible avec l’article XX du GATT, paragraphe g). Celui-ci précise en effet que les mesures doivent « être appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales ». La restriction imposée à la production « nationale » (c’est-à-dire des pays de l’Union européenne) serait, du fait de l’allocation gratuite, bien inférieure à celle qui serait imposée aux producteurs extérieurs à l’Union européenne.
Enfin, l’ATF envisagé devra respecter les prescriptions du texte introductif de l’article XX du GATT tel qu’éclairé par la jurisprudence. À titre d’exemple, les États désireux d’instaurer un ATF seront soumis à l’obligation de mener des négociations sérieuses avec leurs partenaires de l’OMC, malgré les négociations multilatérales sur le climat.
Source : Institut de l’entreprise, novembre 2011.
4. Les accords de libre-échange négociés par l’Union européenne comme levier du développement durable
Les accords bilatéraux que négocie l’Union européenne sont l’occasion de faire progresser la dimension sociale et environnementale du commerce : l’ouverture des marchés doit en effet avoir pour corollaire un droit de regard réciproque sur l’existence et le respect de certaines règles.
Si les accords négociés par l’Union européenne contiennent depuis toujours des dispositions sociales, ces références sont de plus en plus normées. Ainsi, le préambule de l’accord avec l’Afrique du Sud en 1999 faisait une simple référence aux normes fondamentales de l’OIT. Dans les négociations des Accords de partenariat économique, entamées en 2002, sont posés comme éléments essentiels de la dimension du développement, les aspects sociaux comme l’emploi et la lutte contre la pauvreté. L’accord avec le Cameroun en 2009 se contente d’un engagement figurant dans le préambule à ne pas abaisser les normes à des fins de compétitivité et une référence à l’OIT et à l’article XX du GATT.145
Les négociations avec la Colombie et le Pérou lancées en 2007 marquent un tournant important avec l’inclusion de chapitre relatif au « Développement durable », conformément à la stratégie définie dans la communication de la Commission européenne « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée »146 qui met en œuvre la protection des droits et principes fondamentaux au travail sur la base des huit conventions de l’OIT.
Depuis 2007, des chapitres relatifs au développement durable figurent dans tous les accords bilatéraux. Sont posés des objectifs environnementaux d’intérêt commun (lutte contre le changement climatique et contre la perte de la biodiversité) et de mise en œuvre des principes fondamentaux du travail. Ainsi, l’accord conclu en 2011 avec la Corée du Sud comprend des engagements des parties d’appliquer les standards de l’OIT, de poursuivre la ratification des textes et mettre en œuvre les conventions de cet organisme ainsi que les conventions environnementales. Une instance bilatérale ad hoc intitulée « Comité sur le commerce et le développement durable »a été mis en place pour contrôler le respect de ces engagements.
On peut noter une inflexion dans la portée des engagements dans les accords plus récemment signés. Les dispositions visées sont plus précises. Les accords avec la Colombie et le Pérou signés en 2012 font ainsi référence à la protection de la diversité biologique (Convention sur la diversité biologique), à la protection des forêts (CITES147) et des ressources halieutiques (Organisations régionales des pêcheries). Par ailleurs, ces dispositions sont assorties d’un mécanisme de suivi de la mise en œuvre de l’accord dans lequel la société civile est fortement impliquée, ainsi qu’un mécanisme spécial de règlement des différends reposant sur le recours à des experts choisis pour leur compétence et leur indépendance.
Depuis 2002, les études d’impact de développement durable sont obligatoires dans tous les accords de libre-échange afin de mesurer les conséquences en matière de normes sociales et environnementales. Cependant, elles se révèlent le plus souvent inutiles car elles sont connues qu’une fois la négociation lancée. De plus, elles ne prennent en compte qu’une partie des aspects du développement durable, selon des référentiels datés qui font notamment l’impasse sur les droits humains.
Il est donc indispensable que les études d’impact soient conduites le plus possible en amont, selon une méthodologie actualisée et serrée.
Dans son rapport sur « Une meilleure prise en compte du développement durable dans les accords de libre-échange »148, l’agence de notation extra financière VIGEO a fait les propositions suivantes :
- la nécessité de réaliser ces études d’impact en amont comme en aval des négociations des accords de libre-échange au même titre que les études d’impact économiques afin de guider les négociateurs toute au long des discussions et d’être également intégrées dans les bilans d’impact réalisés après la mise en œuvre des accords commerciaux ;
- l’élargissement des critères qui font l’objet d’une évaluation et notamment la prise en compte du respect des droits humains tels que prévus dans les conventions internationales . Dans la grille d’analyse, la Commission européenne doit prendre en compte les quatre piliers du développement durable : social, environnemental, économique et humain ;
- rendre ces études plus synthétiques et plus opérationnelles avec une grille d’évaluation permettant rapidement d’identifier les risques et chances de l’accord sur le développement durable ;
- une plus grande association des partenaires sociaux et notamment des acteurs locaux, comme les agences locales du Bureau international du travail, des Nations unies et la société civile.
S’agissant de l’effectivité de leur mise en œuvre, la question se pose de savoir s’il faut préférer une logique punitive de sanctions, telle qu’elle existe notamment dans les accords américains afin de donner une force contraignante aux accords, à une logique rétributive. On a pu reprocher à la logique punitive de jouer sur les rapports de force entre des États inégaux et de ce fait, de servir les intérêts américains149. Notons que cette logique punitive a été abandonnée sous la présidence de George W. Bush, en partie pour ne pas afficher les violations des normes de travail mexicaines par les entreprises américaines. Le système de préférences généralisées européen combine les deux approches et repose sur un socle de respect des normes auquel s’ajoute un volet incitatif. Le bénéficie de ces préférences peut être retiré comme cela a été le cas en 1997 pour le Myanmar (ex Birmanie) ou en juin 2007 quand le bénéfice des SPG a été retiré au Belarus en raison de la violation constatée de ses obligations relatives à la liberté syndicale. Par ailleurs, une logique rétributive a été instituée dans le dispositif « SPG plus » qui offre des préférences supplémentaires aux pays États vulnérables mettant en œuvre la déclaration de l’OIT de 1998. Cependant, cette approche rétributive est restée limitée dans son efficacité. Peu de pays ont demandé à bénéficier de ce système. Les raisons sont multiples : érosion de l’attractivité des préférences tarifaires du fait des consolidations tarifaires au sein de l’OMC et hostilité des pays à se voir imposer des normes, fusse par la voie de la récompense.
En tout état de cause, quelle que soit la logique retenue, les progrès significatifs ne peuvent venir que d’un suivi effectif par un mécanisme de contrôle. Cela implique notamment des comptes rendus sur le respect des normes sociales et environnementales par les pays tiers signataires auprès, soit du comité de politique commerciale de l’OMC, soit d’un groupe dédié. Des feuilles de route doivent être prévues et la société civile doit jouer un rôle de surveillance active des manquements. Le renforcement des mécanismes de contrôle passe aussi par une réflexion sur l’application d’amendes et sanctions financières qui pourraient venir abonder un fonds destiné à la protection de l’environnement ou à la protection des travailleurs.
Le rôle et le poids des entreprises multinationales dans le commerce mondial est une des modalités de la mondialisation et elles en ont été un des vecteurs majeurs. Elles ont su en particulier tirer parti des préférences commerciales dont bénéficient les pays dans lesquels elles s’installent. Ainsi, le Bengladesh bénéficie du régime européen très favorable « Tout sauf les armes » (TSA) qui permet aux biens des pays les moins avancés d’accéder au marché européen sans droits ni sans contingents150. Elles portent une responsabilité particulière dans les accidents tragiques survenant de plus en plus souvent, liés aux pratiques d’intensification de la production et des rythmes de travail imposés aux salariés.
Vos rapporteures déplorent que des drames comme celui du Rana Plaza apparaissent comme nécessaires à la prise de conscience, à la sensibilisation et à l’action. Il aura fallu cette tragédie pour que le niveau des salaires mensuels soit relevé de 30 à 68 dollars dans l’industrie textile.
En l’absence de règles internationales contraignantes comme celles élaborées par l’OIT ou de législations nationales protectrices, l’action des entreprises multinationales peut être encadrée par des instruments de droit souple (« soft law ») ; le principal défi est celui de leur mise en œuvre.
La responsabilité sociale des entreprises (RSE) définie comme « l’intégration volontaire, par les entreprises, de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes », est une des modalités d’encadrement des dérives de la mondialisation. L’instrument le plus abouti est celui des « principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales » élaboré par l’OCDE en 1976 et révisé en 2001 et 2011 afin d’intégrer la protection de l’environnement, les droits de l’homme, la diligence raisonnable et la responsabilité vis-à-vis de la chaîne d’approvisionnement. Ces principes directeurs constituent un ensemble détaillé de normes. Les États sont tenus, pour leur application, de mettre sur pied un point de contact national (PCN) qui tient lieu d’instance de plainte. S’il connaît une certaine effectivité grâce à ce mécanisme de suivi permettant aux syndicats et aux organisations non gouvernementales de communiquer sur le comportement d’une entreprise, le dispositif atteint rapidement ses limites pour plusieurs raisons. L’organisation et les compétences des points de contacts varient selon les pays. Ensuite, la participation des entreprises au processus de médiation est volontaire. Enfin, les procédures manquent souvent de transparence et elles n’impliquent aucune sanction juridique même si elles peuvent conduire à une condamnation publique crainte par les entreprises soucieuses de leur image de marque. Après l’accident du Rana Plaza, le gouvernement français a saisi le point de contact national dont le rapport fait des préconisations autour de trois axes prioritaires : traçabilité, transparence et juste partage des responsabilités151.
D’autres instruments de RSE existent. Ainsi, le pacte mondial dans le cadre des Nations Unies (« Global compact ») est moins ambitieux que les principes directeurs de l’OCDE. N’instituant aucun mécanisme de contrôle, « son bénéfice se résume sans doute à ce qu’il vient corroborer la possibilité conceptuelle d’une opposabilité directe des droits sociaux fondamentaux, tels qu’ils sont définis par l’OIT, aux entreprises transnationales. Au demeurant, cette possibilité a déjà pu être observée face au développement des mécanismes d’autorégulation adoptés par les entreprises transnationales formant la responsabilité sociale des entreprises »152.Quant aux principes directeurs de l’ONU adoptés en juin 2011 par le Conseil des droits de l’homme, ils reposent sur trois piliers : l’État a l’obligation de protéger les droits humains, les entreprises ont la responsabilité de respecter ces droits et l’accès à la justice pour la garantie des dommages doit être garanti. Par ailleurs, les lignes directrices de la « norme ISO 26000 » élaborées par l’Organisation internationale de normalisation -organisation non gouvernementale composée d’organismes nationaux de normalisation-précisent l’intégration des normes de responsabilité sociétale, de gouvernance et d’éthique d’une manière élargie. Il ne s’agit pas de normes certifiables mais d’un guide de lignes directrices proposé aux entreprises. Enfin pour répondre à un souci de transparence, l’initiative « Global reporting Initiative » (GRI) incite les entreprises à publier des rapports sur leurs actions en faveur du respect des normes sociales et environnementales.
Outre ces normes internationales de RSE, des entreprises ont adopté des codes de conduite, soit à titre individuel153, soit à titre collectif. Même si ces codes peuvent constituer une garantie d’application minimale de certaines normes, on perçoit vite les limites d’une autorégulation qui s’appuie sur la valeur marchande de valeurs morales. Il est difficile de faire la part des choses entre l’affichage environnemental (« greenwashing ») des engagements réels. En effet, ces codes de bonne conduite sont souvent élaborés par les firmes elles-mêmes, sans participation réelle des parties prenantes (syndicats et salariés). Leur contenu est fréquemment formulé de façon peu précise, sans référence explicite aux normes internationales. Ils ne font pas l’objet d’une information détaillée des personnels et les mécanismes de contrôle sont lacunaires. Ainsi l’alliance de distributeurs et détaillants textiles, « Ethical trading initiative », qui compte dans ses rangs, les principaux distributeurs de vêtements fabriqués au Bengladesh avaient formulé un tel code de conduite.
Les entreprises multinationales peuvent également participer à des accords collectifs transnationaux. On en dénombre une soixantaine, essentiellement adoptés par des entreprises de l’Union européenne appartenant à des fédérations syndicales internationales et représentant des salariés provenant d’une même activité (métallurgie, chimie, construction, services)154. Mais comme pour les codes de conduite, le champ opératoire de ces accords varie d’un instrument à l’autre. S’ils s’adressent toujours aux salariés des filiales des groupes, ils n’intègrent pas systématiquement les salariés des sous-traitants. En revanche, ils différent des codes de conduite dans la mesure où ils sont construits en référence aux principes des organisations internationales et leur contenu est négocié par les fédérations syndicales internationales favorables à l’utilisation des standards de l’OIT. La grande difficulté de l’application de ces accords transnationaux est liée à leur statut juridique – celui d’un accord collectif – dans des États qui ne reconnaissent pas, dans leur droit interne, les accords collectifs. Par ailleurs, dans la mesure où ces accords permettent l’application directe de normes sociales internationales, se pose la question de contournement des règles nationales relevant de la responsabilité d’un État : quelle force obligatoire ont ces accords dans la mesure où le principe de faveur applicable au droit du travail doit en principe donner priorité à la norme la plus protectrice ? De fait, l’efficacité d’un accord transnational repose moins sur son applicabilité nationale que sur les procédures de suivi organisées par les fédérations syndicales internationales.
L’Union européenne a depuis le Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, inscrit la RSE au rang des priorités politiques et a défini une stratégie globale dans sa communication d’octobre 2011155. L’action de l’Europe s’insère dans le cadre général des initiatives menées par les organisations internationales, fait appel à l’ensemble des instruments et s’appuie sur les stratégies nationales. Chaque État membre doit en principe définir des plans d’action de RSE ou à tout le moins, des listes d’actions prioritaires. La France a ainsi transmis en février 2013 un nouveau plan national de développement de la RSE156 .
La mondialisation se caractérise par un mode de fonctionnement des chaines mondiales d’approvisionnement, notamment dans la filière textile –habillement, complexe et éclaté. Les relations d’affaires ont des contours imprécis et changeants. La segmentation juridique et géographique des processus de production rend difficile la détermination des responsabilités.
Dans ce contexte, différents outils peuvent être utilisés pour amener les entreprises à respecter les termes d’un juste échange, au sens où elles ne doivent pas exercer une pression sur les coûts de production qui aille à l’encontre de conditions de travail décent :
- l’obligation de vigilance tout au long de la chaîne de production et d’approvisionnement figure dans les principes directeurs de l’OCDE. L’Union européenne pourrait donner un contenu plus contraignant à cette obligation en instaurant un devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre sous forme d’une obligation de moyen de prévention de violation des droits humains ou de dommages environnementaux graves ;
- l’indemnisation juste et complète des victimes d’accidents est une modalité d’application du principe de vigilance. À la suite de l’accident du Rana Plaza, un accord portant sur l’indemnisation a été signé entre des ONG et des donneurs d’ordre. Des entreprises ont versé plusieurs mois de salaires aux familles. Cependant, cette indemnisation repose plus ou moins sur la bonne volonté des entreprises. L’Organisation internationale du travail participe à l’élaboration, en liaison avec les syndicats, d’un modèle d’indemnisation en se basant sur la convention 121 de l’OIT relative aux prestations en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles ; ce modèle repose sur les facteurs suivants : niveau antérieur de rémunération, espérance de vie, niveau d’invalidité. Une meilleure assise juridique de l’OIT serait de nature à améliorer les conditions d’indemnisation ;
- l’amélioration de la transparence participe aussi au devoir de vigilance. La Commission européenne a présenté une proposition de directive afin d’accroître la transparence de certaines sociétés en matière sociale et environnementale157. Les sociétés concernées devront publier des informations sur leurs politiques, les risques liés et les résultats obtenus en ce qui concerne les questions d’environnement, sociales et de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption. Cette initiative concrétise l’ambition affichée par la Commission européenne dans sa communication de 2011158. Augmenter substantiellement le nombre d’entreprises européennes publiant des informations participerait à une meilleure responsabilisation des entreprises quant à l’impact de leurs activités et une meilleure information des actionnaires. Il est donc important que ce texte soit adopté afin les élections européennes vu l’urgence de l’adoption d’un cadre harmonisé et contraignant de transparence à l’échelle européenne.
Plusieurs axes d’amélioration de ce projet de directive peuvent être envisagés :
- la liste des thèmes sur lesquels les informations sont données devrait être plus précise et ne pas se limiter à des thématiques générales (environnement, responsabilité sociale, respect des droits de l’homme et prévention de la corruption). Afin que le dispositif soit plus efficace, pour chacun des thèmes, des informations plus précises devraient être exigées sur des sujets essentiels, par exemple, sur les relations entretenues avec les sous-traitants ou en matière environnementale, l’impact prévisible sur la santé ou la sécurité. À cette occasion, des indicateurs mériteraient d’être définis ;
- la qualité et la crédibilité des informations devraient être renforcées par l’introduction d’un mécanisme de vérification s’appuyant sur l’intervention d’un observateur indépendant ;
- cette obligation de transparence devrait s’appliquer pays par pays et sur les activités et relations avec les sous-traitants et l’ensemble de la chaine d’approvisionnement.
- La pression de l’opinion publique et l’action citoyenne peut constituer un moyen de pression efficace pour des entreprises pour qui le développement durable est un argument de marketing et fait partie d’une stratégie commerciale. L’utilisation de mesures comme le boycott des produits peut avoir des effets pervers : les 4 millions de travailleurs qui travaillent dans le secteur textile au Bengladesh sur 150 millions d’habitants risqueraient de perdre un emploi, ce qui les mettrait dans une situation encore plus difficile. En revanche, toutes les mesures de nature à assurer la traçabilité des produits et participant à l’information du consommateur doivent être favorisées. Le comité ISO (organisation internationale de normalisation) a été chargé d’élaborer une nouvelle norme sur les achats responsable des entreprises. L’objectif de cette initiative est de mettre en place des règles internationales sur les achats responsables qui pourrait contribuer à la mise en place d’une labellisation des entreprises respectant les normes internationales en matière d’achats responsables ;
- une politique d’achats publics responsables dans les appels d’offres, par le biais d’organismes tels la COFACE (Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur), l’Agence française pour le développement ou la Banque mondiale contribuerait à renforcer la prise en compte des principes directeurs de l’OCDE dans le commerce international. La Banque mondiale a ainsi entamée une réforme des procédures de passation des marchés publics intégrant des exigences environnementales et sociales.
Alors que les modèles commercial, économique et de développement qui ont été prédominants au cours de ces dernières décennies ont montré leurs limites, le juste échange pourrait servir de ligne directrice pour réguler une mondialisation trop souvent porteuse d’inégalités, d’atteintes aux droits des salariés et à l’environnement.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu la loi constitutionnelle no 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement,
Vu les articles 8, 22, 31, 35, 36, 37 et 38 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Vu l’article 3 du traité sur l’Union européenne,
Vu les articles 16, 31, 32, 39, 146, 147, 151, 167, 168, 169, 173, 179, 191 et 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et son protocole no 26,
Vu l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) du 15 avril 1994 et ses annexes, notamment l’accord sur l’agriculture, l’accord général sur le commerce des services et l’accord sur les marchés publics,
Vu les conventions reconnues comme fondamentales en application de la déclaration de l’Organisation internationale du travail relative aux principes et droits fondamentaux au travail du 18 juin 1998,
Vu la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992 et le Protocole de Kyoto du 11 décembre 1997,
Vu la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO, en date du 20 octobre 2005,
Vu la Charte des Nations Unies et notamment son article 57 relatif aux institutions spécialisées comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO),
Vu les statuts du FMI,
Vu le rapport de l’OMC et de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) « Tirer parti des chaînes de valeur mondiales pour le commerce, les investissements, le développement et l’emploi » du 6 août 2013,
Vu le rapport conjoint de l’OMC, de l’OCDE et de la CNUCED sur les restrictions concernant le commerce et l’investissement du 31 mai 2012,
Vu le rapport de l’OMC et du PNUE « Commerce et changement climatique » du 26 juin 2009,
Vu les principes directeurs du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur les entreprises et droits de l’homme et les principes directeurs de l’OCDE à l’attention des entreprises multinationales du 25 mai 2011,
Vu les lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale - norme iso 26000 - de l’organisation internationale de normalisation,
Vu l’Initiative pour la transparence des entreprises extractives,
Vu la communication de la Commission européenne « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée », COM(2006) 567 du 4 octobre 2006,
Vu la communication de la Commission européenne « Commerce, croissance et affaires mondiales », COM(2010) 612 du 9 novembre 2010,
Vu le rapport de la Commission européenne sur les obstacles au commerce et à l’investissement, COM(2013) 103 du 28 février 2013 ;
Vu la communication de la Commission européenne « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’Union européenne pour la période 2011-2014 », COM(2011) 681 du 25 octobre 2011,
Vu l’accord intervenu au Parlement européen le 20 novembre 2013 et au Conseil « Agriculture et pêche » des 16 et 17 décembre sur la réforme de la politique agricole commune,
Considérant que le développement et le renforcement du système multilatéral, au sein de l’Organisation mondiale du commerce, poursuivant l’ambition de juste échange et intégrant le niveau le plus élevé de protection sociale, sanitaire, environnementale et des consommateurs reste l’objectif essentiel ;
Considérant que le « basculement du monde » s’est notamment traduit par une amplification des échanges commerciaux ;
Considérant l’interaction entre les enjeux commerciaux et les problématiques sociales, fiscales, environnementales, monétaires, d’accès aux matières premières et de sécurité alimentaire ;
Considérant la nécessité de préserver notre environnement et la dignité des travailleurs ;
Considérant l’opportunité que peuvent constituer, pour l’Union européenne, les perspectives mondiales en matière de croissance et de démographie de la classe moyenne dans les pays émergents ;
Considérant la nécessité d’équilibrer les relations commerciales entre l’Union européenne et les pays développés et émergents ;
Considérant la nécessité d’intégrer « les laissés pour compte » de la mondialisation ;
Considérant notamment depuis la crise de 2008, les mesures protectionnistes et de restrictions aux échanges de plus en plus nombreuses et complexes limitant l’accès aux marchés des pays tiers aux entreprises européennes ;
1. Rappelle que la Conférence ministérielle de l’OMC de Bali en décembre 2013 n’a abouti qu’à un compromis minimal et que l’Union européenne doit en conséquence poursuivre ses efforts pour défendre le système commercial multilatéral et pour développer la capacité de l’OMC à inclure les enjeux environnementaux et sociaux dans le périmètre de son action ; souligne qu’une différenciation entre pays en développement dans l’application du traitement spécial et différencié prenant en compte les nouveaux équilibres économiques serait de nature à faire progresser les négociations ;
2. Rappelle que font partie des droits reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : les droits sociaux et syndicaux, la protection de la santé, de l’environnement et des consommateurs, la diversité culturelle, la protection des données à caractère personnel ainsi que l’accès à des services d’intérêt économique général ; qu’en application de l’article 3 du traité sur l’Union européenne figurent parmi les objectifs de celle-ci : le plein emploi, le progrès social, l’amélioration de la qualité de l’environnement, ainsi que le respect de la diversité culturelle ; que ces droits ou objectifs fondamentaux sont l’objet de politiques de l’Union en application du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
3. Rappelle en outre les engagements internationaux pris par les États européens dans les domaines des droits des travailleurs et de la protection de l’environnement, en particulier par la ratification de l’ensemble des conventions reconnues fondamentales de l’Organisation internationale du travail et la signature du Protocole de Kyoto sur les changements climatiques ;
4. Rappelle que les États membres de l’Union européenne sont attachés à la diversité culturelle et aux normes environnementales et sanitaires ;
5. Estime que la capacité de l’Union européenne à promouvoir et à imposer un juste échange passe d’abord par une harmonisation fiscale et sociale entre les pays membres de l’Union, afin de mettre fin aux pratiques de dumping intra-européennes ; appuie donc la dimension sociale de l’Union économique et monétaire et notamment la création d’un salaire minimum ; se félicite de l’accord intervenu au sein du Conseil de l’Union européenne sur le détachement des travailleurs afin de lutter contre les contournements de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs, mais souhaite que la responsabilité conjointe et solidaire applicable au secteur du bâtiment et des travaux publics soit étendue de façon obligatoire aux autres secteurs, comme les transports, l’agriculture et le secteur agroalimentaire ;
6. Estime indispensable que les États de l’Union Européenne, faisant preuve de cohésion, surmontent leurs divergences d’intérêts dans la définition d’une politique commerciale ambitieuse, à la hauteur de la première place de l’Union européenne comme zone commerciale mondiale et de sa responsabilité particulière en tant que puissance régulatrice et normative ; insiste pour que cette politique commerciale soit fondée sur le principe de réciprocité à l’égard des partenaires commerciaux développés et émergents, sur le principe d’équité à l’égard des pays en développement et sur le respect des normes sociales et environnementales ;
7. Appuie la création d’un instrument de réciprocité sur les marchés publics afin que les entreprises européennes puissent soumissionner aux marchés publics des pays tiers dans des conditions de concurrence loyale et équitable et que les entreprises de pays tiers qui ne sont pas partie à l’accord plurilatéral sur les marchés publics ou qui n’ont pas signé d’accords bilatéraux d’ouverture mutuelle des marchés publics ne puissent être attributaires de marchés publics européens que sous condition de réciprocité ;
8. Appelle la Commission européenne à maintenir une position ferme à l’occasion de négociations sur l’adhésion de la Chine ou d’autres États à l’Accord plurilatéral sur les marchés publics ;
9. Demande instamment à la Commission européenne de veiller dans les négociations commerciales, tant multilatérales que bilatérales, à la cohérence de la politique commerciale avec les politiques européennes internes, notamment la politique agricole commune et la défense des préférences collectives et des choix culturels ainsi qu’aux intérêts des pays et territoires d’Outre-mer ;
10. Estime que la politique européenne de la concurrence doit prendre en compte l’environnement international des échanges ; appelle à cet égard à un assouplissement de la réglementation européenne sur les aides d’État investies dans l’innovation des entreprises, d’une part, et sur les concentrations d’autre part afin de favoriser la constitution de « champions européens » d’envergure internationale ;
11. Appelle à la pleine mobilisation et au renforcement des instruments de défense commerciale -mesures antidumping et mesures antisubventions- afin que les entreprises européennes ne soient pas affectées par des importations déloyales ; demande que dans le cadre de la réforme des instruments de défense commerciale, des droits plus stricts puissent être imposés sur les biens importés qui ne présentent pas un niveau suffisant de normes sociales et environnementales ;
12. Engage la Commission européenne à poursuivre ses efforts pour tenir à jour la liste des principaux obstacles non tarifaires, à en renforcer les mécanismes analytiques et mettre en place un mécanisme d’alerte précoce pour détecter ces obstacles ;
13. Demande que les services audiovisuels soient exclus du champ de la négociation de l’initiative plurilatérale sur les services afin de préserver l’exception culturelle et que l’approche de négociation soit fondée sur le principe de réciprocité et de listes positives ;
14. Soutient que, pour réduire les risques de dumping monétaire, une coordination monétaire multilatérale doit être assurée par le Fonds monétaire international, sur la base de l’article 4 de ses statuts, qui interdit toute manipulation de change afin d’obtenir des avantages compétitifs inéquitables ;
15. Demande que l’Union européenne mette en œuvre une politique de change sur la base de l’article 219 ;
16. Demande que l’Union européenne négocie dans le cadre des accords de libre-échange et des accords bilatéraux sur les investissements, des stipulations relatives aux investissements comportant, outre des règles et disciplines de protection, des engagements substantiels de traitement juste, équitable et non discriminatoire en matière d’accès au marché et qu’en aucun cas, il puisse être prévu que les entreprises puissent recourir à un mécanisme spécifique de règlement des différends entre les investisseurs et les États pour préserver le droit souverain des États ; estime que l’Union européenne doit pouvoir contrôler les investissements des pays tiers dans des secteurs stratégiques et recommande à la Commission européenne d’être particulièrement vigilante sur la question de l’accès aux marchés dans les négociations sur l’accord bilatéral sur les investissements avec la Chine ;
17. Insiste pour que les accords de libre-échange conclus entre l’Union européenne et des pays tiers offrent un niveau satisfaisant d’avantages et de concessions mutuels et de réciprocité en termes d’accès aux marchés, dans le respect des préférences collectives européennes, ce qui nécessite de porter une attention particulière aux obstacles réglementaires, à la protection de la propriété intellectuelle et des indications géographiques ainsi que de prévoir des mesures de sauvegarde pour les secteurs sensibles de l’économie européenne et des mécanismes permettant d’assurer l’effectivité des engagements ;
18. Appelle la Commission européenne à prévoir des études d’impact systématiques avant l’engagement de toute négociation d’accords de libre échange et de négocier un haut niveau d’exigence environnementale et sociale par la généralisation et le renforcement des chapitres relatifs au développement durable, faisant référence aux accords internationaux en matière sociale et d’environnement et incluant une meilleure évaluation ainsi qu’un contrôle strict de leur application ;
19. Demande que l’Union européenne, afin de renforcer la légitimité de l’Organisation internationale du travail, appuie la création d’une juridiction interprétative des normes internationales du travail et se mobilise ensuite pour la mise en place d’un mécanisme de question préjudicielle avec l’OMC ;
20. Souligne que le principe juridique de responsabilité limitée des entreprises multinationales ne doit pas être le prétexte de leur irresponsabilité morale illimitée confortant des pratiques inacceptables et contraires aux conventions internationales, mais que bien au contraire, ces entreprises doivent exercer un devoir de vigilance sur leurs activités, celles de leurs filiales et de leurs sous-traitants ; en conséquence :
– appelle l’Union européenne à promouvoir et renforcer la responsabilité sociale des entreprises incluant le respect des droits de l’homme, les pratiques en matière de travail et d’emploi, les questions environnementales et la lutte contre la fraude et la corruption ;
- demande à l’Union européenne d’inciter les entreprises européennes à se conformer aux lignes directrices de l’OCDE et à la norme ISO 26000 élaborée par l’Organisation internationale de normalisation et de soutenir l’élaboration d’un code de bonne conduite les amenant à respecter, ainsi que leurs fournisseurs, des normes strictes en matière de santé et de sécurité des ouvriers sur la base des normes internationales en matière de droit du travail et de la préservation de l’environnement ;
– salue la proposition de directive de la Commission renforçant l’obligation de transparence et de publication des informations non financières par certaines grandes sociétés et grands groupes, mais demande que les exigences en soient précisées et assorties d’indicateurs quantitatifs, d’instruments de contrôle indépendants et de dispositifs de sanction en cas de violation des conventions et principes internationaux ;
– souhaite que le bénéfice du système de préférences généralisées européen soit soumis au respect d’une feuille de route en matière de normes sociales et environnementales ;
21. Demande que l’Union européenne poursuive ses efforts pour parvenir en 2015 à la conclusion d’un accord global sur le climat contraignant, inclusif et équitable, c’est-à-dire engageant toutes les parties prenantes en fonction de leurs capacités et de leurs responsabilités dans les émissions de gaz à effet de serre et qui soit assorti de mécanismes de soutien technologique et financier pour les pays en développement ;
22. Invite la Commission européenne à soutenir l’extension par l’OMC de ses disciplines en matière de subventions à l’exportation, d’accès aux matières premières et de convergence des normes réglementaires ;
23. Souligne que la sécurité alimentaire et le droit à l’alimentation est une condition du juste échange et qu’en conséquence :
– les pays en développement doivent pouvoir s’en prévaloir pour protéger leurs productions vivrières dans le cadre des règles de l’OMC ;
– l’Union européenne doit accentuer ses soutiens aux agricultures familiales et vivrières des pays en développement et participer à la lutte contre la volatilité des prix agricoles, en améliorant le suivi des marchés agricoles et en menant une réflexion sur la constitution de stocks de crise combinés à des instruments de gestion des marchés, notamment dans les pays vulnérables ;
– l’Union européenne doit limiter les prises de positions pour les activités spéculatives sur les marchés dérivés de matières premières agricoles dans le cadre de la réforme de la directive relative aux marchés d’instruments financiers ;
– l’Union européenne doit contribuer à la mise en œuvre des « directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts » adoptées par le Comité de sécurité alimentaire mondiale de la FAO afin d’encadrer l’achat et la location de terres agricoles ;
24. Demande que l’Union européenne mette en œuvre une politique équitable en matière de matières premières, assurant l’accessibilité des ressources naturelles aux populations locales dans le respect de normes sociales et environnementales décentes tout en garantissant la production industrielle et la compétitivité de l’Europe ; salue les initiatives de l’Union européenne relative au renforcement des exigences d’information envers les entreprises des industries extractives et forestières et estime qu’elle devrait apporter un soutien accru à l’Initiative pour la transparence des industries extractives ; demande à la Commission européenne de présenter au plus tôt la proposition relative à l’approvisionnement responsable en minéraux originaires de zones de conflits ou à risques ;
25. Demande à la Commission européenne, dans le cadre des négociations d’accords bilatéraux de libre-échange, de concilier l’objectif de protection des droits de propriété intellectuelle et l’accès équitable aux médicaments, conformément aux articles 4 et 5 de la déclaration de Doha du 14 novembre 2011 sur les aspects de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce qui posent le principe de la prééminence des enjeux sanitaires sur les enjeux commerciaux ;
26. Estime que les avantages commerciaux accordés au titre du système de préférences généralisées (SPG) doivent être révisés régulièrement afin d’être gradués et conditionnels et réservés aux pays pour lesquels ces dispositions sont justifiées et qui se conforment aux obligations liées à leurs conditions d’attribution ;
27. Appuie les nouvelles orientations de la politique européenne d’aide au développement et notamment la création du nouvel instrument de partenariat avec les pays émergents industrialisés, qui substitue à une logique d’aide une logique de discussion sur les enjeux globaux et de promotion des intérêts réciproques ;
28. Rappelle enfin que les Accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, du Pacifique et des Caraïbes doivent être réellement porteurs de développement et contribuer à l’intégration régionale et que les négociations en vue de la conclusion de ces accords fassent prévaloir des flexibilités dans le degré d’ouverture des marchés en fonction du degré de développement de ces pays ; demande que l’entrée en vigueur du règlement révisé d’accès au marché initialement prévu en 2014 soit reporté à 2016.
La Commission s’est réunie le 4 février 2014, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.
L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.
« La présidente Danielle Auroi. Je remercie les rapporteures pour leurs exposés et pour cette proposition de résolution très dense et complète.
M. Michel Piron. Je remercie également les rapporteures pour leurs rapports sur un sujet qui a pour premier mérite de nous amener à nous interroger sur la pertinence de modèles que l’on considère comme des évidences. Je voudrais saluer le juste échange comme une notion fondamentale, même si d’aucuns le considère comme une utopie au sens étymologique comme le « lieu du bien qui n’est nulle part ». Mais c’est quand même le lieu du bien ! Le juste échange est plus qu’une notion française et je salue la référence aristotélicienne qui nous fait remonter en Grèce quatre siècles avant Jésus Christ ! Au nom de quoi prétendrait-on réguler les échanges si ce n’est au nom d’un principe de justice plutôt que d’injustice ? Le juste échange devrait donc être ce dont vers quoi on tend même si on est loin d’y parvenir.
Pensez-vous que la notion de classe moyenne est pertinente dans la mesure où les écarts vont de un à dix ? Vous avez évoqué la montée des inégalités malgré la croissance. Cette montée des inégalités est-elle, à elle seule, un critère signifiant ? Cela se traduit-il par le fait que les plus pauvres sont restés aussi pauvres ou qu’ils se sont moins vite enrichis ? La perspective change en effet selon que les plus pauvres n’ont pas amélioré leurs conditions ou qu’ils ont quand même profité de l’enrichissement global. Je vois bien les difficultés des modèles en place, mais quel autre modèle pourrait permettre à une population aussi nombreuse que celles de l’Inde ou d’Afrique de sortir de la pauvreté et de régler le problème de la faim ? Quelles nouvelles structurations des règles pouvons-nous imaginer ?
Mme Marietta Karamanli. Je voulais saluer le travail des rapporteures qui témoigne, ainsi que cela l’a été souligné, de la constance de la position de notre commission qui avait adopté en novembre 2011, un rapport sur le cycle de Doha. Devant l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations multilatérales, nous avions proposé, avec Hervé Gaymard, qu’il y ait une meilleure articulation entre les règles sociales et environnementales avec les règles du commerce. La proposition soulignait également l’exigence d’une équité d’ensemble des échanges avec la mise en place d’un mécanisme de compensation prenant en compte l’endettement des pays. Ces deux points pourraient être repris.
M. Jacques Myard. Le libre-échange, je n’y crois pas. Le juste échange n’existe pas, ce n’est qu’une notion qui nous permet de nous protéger ou d’attaquer les autres. En réalité, le commerce international est fondé sur des rapports de force qui sont multiples et variés. Il existe des problèmes monétaires, de non réciprocité, de divergences de normes et de développement économique. Chaque pays va tirer parti de ses avantages de sa situation. On a beau se prévaloir d’Aristote, la justice n’est pas la panacée en matière commerciale qui est un monde concurrentiel et âpre fait de chausse-trappes, y compris avec l’Allemagne. Il n’y a pas de gagnant-gagnant et la vérité est que l’on nous trouvons dans une coalition au sein de laquelle nous n’avons plus de marge de décision. La perte de compétitivité de la France est essentiellement une question monétaire et d’absence de réformes internes. En réalité, il faut regarder secteur par secteur comment on pourrait pallier notre manque de compétitivité. Cela passe par la réciprocité mais les Allemands n’en veulent pas dans la mesure où ils craignent les représailles de la Chine. Il est important de souligner que la majorité des exportations de l’Allemagne se fait hors Union européenne. Dans ces conditions, le juste échange est une idée d’avenir qui le restera longtemps !
M. Pierre Lequiller. Nous travaillons depuis longtemps sur le principe de réciprocité, qui s’apparente beaucoup au juste échange. Mais cela ne fonctionne que si l’Europe est unie. Or, on a pu constater sur l’affaire récente des panneaux photovoltaïques sur lesquels la Commission européenne voulait imposer des droits supplémentaires à la Chine, que l’Allemagne a renoncé dès que la Chine a menacé de mesures de rétorsion. La Chine a d’ailleurs appliqué de telles mesures sur le vin. Je suis favorable au principe de réciprocité notamment en matière de marchés publics car il permettra notamment aux petites et moyennes entreprises d’accéder plus facilement aux marchés publics. Mais si le principe doit être soutenu, on doit en faire une application pragmatique et non automatique, en fonction des différentes négociations et sans que cela porte atteinte aux intérêts européens.
Mme Danielle Auroi. Je voudrais présenter, au nom d’Annick Girardin, un amendement au point 9 de la proposition de résolution demandant que les intérêts des pays et territoires d’outre-mer soient pris en compte.
Je ne citerai pas pour ma part Aristote mais Daniel Cohn-Bendit qui disait « Soyons réalistes, demandons l’impossible ! ». C’est ce réalisme qui permet de tracer des prospectives. Je voulais souligner deux points particuliers de cette proposition de résolution. Le point 22 traite de la sécurité et de la souveraineté alimentaire. C’est un aspect fondamental. Or l’Europe est aux prises à ses propres contradictions quand elle exporte ses poulets congelés qui ruinent la filière sénégalaise. Par ailleurs, cela va faire un an qu’a eu lieu l’accident du Rana Plaza et ni la France, ni l’Europe – malgré l’amélioration de la publication d’informations – n’ont annoncé des mesures claires afin de responsabiliser les entreprises face aux agissements de leurs filiales et de leurs sous-traitants. Sachons reconnaître nos propres défaillances et à cet égard, la proposition de résolution le fait.
M. Gilles Savary. Je remercie les rapporteures pour leur travail passionnant qui montre l’évolution des rapports de force dans une vision prospective. Le juste échange est peut être incantatoire mais il n’y a pas de mal à être vertueux ! De plus, certains concepts comme l’Agenda 21, le développement durable, le principe de précaution, la mesure des gaz à effets de serre, qui apparaissaient comme irréalistes, ont beaucoup progressé en vingt ans. Dans la mesure où l’Europe s’affaiblit, on a intérêt à défendre ce concept.
M. Jacques Myard. C’est une ligne Maginot !
M. Gilles Savary. C’est peut être une ligne Maginot mais quand nous avions nos colonies et au temps de la France-Afrique, nous étions beaucoup moins regardants sur le juste échange… Je voudrais insister d’une part sur la crise du multilatéralisme et celle de l’OMC qui correspondait à un ordre du monde dominé par les Occidentaux et particulièrement les Américains et qu’il faudrait réformer, et sur les guerres monétaires qui déstabilisent les échanges.
Mme Axelle Lemaire. Je voudrais également remercier les rapporteures pour leur travail passionnant. Nous devons en effet nous interroger sur la validité d’un système générateur d’inégalités et qui a conduit à la crise que l’on connaît. Alors que l’OMC est en crise – on est loin du vent des années 90 qui portait le multilatéralisme – le juste échange peut constituer une alternative pour des acteurs qui ne trouvent pas leur compte dans le système.
Je souhaiterais vous demander des précisions. Au point 5, vous demandez la création d’un salaire minimum européen ; s’agit-il d’un salaire au niveau européen, ce qui poserait des questions de définition et d’appréhension des niveaux de vie comparés, ou d’un salaire minimum à instituer par chaque État membre ? Au point 16, vous excluez l’arbitrage transnational comme mode de règlement des différends entre États et investisseurs privés dans les litiges les concernant. Cela signifie que le recours aux tribunaux judicaires sera exclusif, ce qui peut ne pas être à l’avantage de certains pays ou certains investisseurs. S’agissant de la responsabilité de multinationales, on aurait pu aller plus loin et instaurer un cadre dépassant celui des normes de bonne conduite de l’OCDE. Enfin, je m’étonne que la question des paradis fiscaux n’ait pas été abordée ; en effet, tous les circuits parallèles créent des distorsions de concurrence et doivent être intégrés à la réflexion sur le juste échange.
Mme Danielle Auroi, Présidente. L’instauration d’un salaire minimum européen est une question sur laquelle notre commission, la commission des Affaires sociales ainsi que la commission des Affaires sociales du Parlement européen ont engagé un travail.
Mme Seybah Dagoma, co-rapporteure. S’agissant des paradis fiscaux, nous avons considéré qu’ils étaient hors du champ des relations commerciales.
Sur l’instauration d’un salaire minimum européen, c’est un préalable à toute position unie de l’Europe afin de surmonter ses divergences.
Notre rapport traite longuement des questions monétaires et je vous indique que le Conseil d’analyse économique vient tout récemment de faire une étude intitulée « L’euro dans la guerre des monnaies » qui analyse notamment les répercussions d’une baisse de l’euro. D’abord, il est rappelé l’évidence que seules les exportations hors zone euro seraient concernées, c’est-à-dire 11 % du PIB français. L’impact d’une dépréciation de 10 % de l’euro serait de l’ordre de 7 à 8 % de ces 11 %. Cela produirait un choc positif de demande d’environ 0,7 point de PIB. Mais cela n’implique pas que le PIB augmenterait de 0,7 % , compte tenu des effets de la dépréciation sur les importations , notamment d’énergie et de matières première qui représentent environ 1,5 % du PIB. Une dépréciation de l’euro entrainerait une augmentation du PIB français de 0,6 % après un an et de 1 % après deux ans.
Mme Marie Louise Fort, co-rapporteure. S’agissant des propositions de Marietta Karamanli, l’inclusion des préoccupations sociales et environnementales dans le cadre du multilatéralisme est présente dans la proposition. Quant à l’instauration d’un mécanisme de compensation entre États excédentaires et déficitaires, la question mérite d’être examinée de plus prés.
Mme Seybah Dagoma, co-rapporteure. A la question de Michel Piron sur les inégalités, l’écart entre les plus pauvres et les plus riches s’est effectivement accru mais les plus pauvres se sont, dans l’absolu, « enrichis ». S’agissant des classes moyennes, ce qui est important est de souligner leur évolution et les perspectives qu’elles constituent pour l’Europe qui ne peut espérer au mieux que 1,5 à 2,2 % de taux de croissance.
Mme Axelle Lemaire. Je voulais dire qu’il est dommage que sur un sujet si important et si dense, le temps du débat ait été si court.
Mme Danielle Auroi. Il est vrai que l’agenda de la commission est très chargé. En tout état de cause, nous pouvons nous appuyer cette proposition de résolution pour traiter ultérieurement d’un grand nombre de sujets spécifiques.
La proposition de résolution, dont le texte figure ci-après est adoptée à l’unanimité.
ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURES
Auditions à Paris :
– Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur ;
– M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif ;
– MM. Vincent Aussilloux, M. Pascal Lignières, Mme Anna Lipchitz et M. Yohann Petiot, conseillers au cabinet de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur ;
– M. Etienne Oudot de Dainville, sous-directeur chargé de la politique commerciale et de l’investissement, service des affaires multilatérales et du développement, Direction générale du Trésor, ministère de l’économie, des finances et de l’industrie ;
– Mme Monique Barbut, conseillère spéciale du Directeur général de l’Agence française du développement (AFD) ;
– Mme Agnès Bénassy-Quéré, présidente déléguée du Conseil d’analyse économique (CAE) ;
– M. Antoine Bouët, professeur d’économie à l’université Bordeaux IV et chercheur à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) ;
– M. Jean-Christophe Bureau, Professeur d’économie à AgroParisTech et conseiller au Centre d’études et de recherche en économie (CEPII) ;
– M. Hakim El Karoui, consultant au cabinet « Roland Berger » ;
– M. Emmanuel Guérin, coordinateur du programme « climat » à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI) ;
– M. Sébastien Jean, conseiller au CEPII ;
– M. Michel Husson, économiste à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) ;
– M. Thierry Mayer, professeur d’économie à l’Institut d’études politiques de Paris et conseiller au CEPII ;
– M. Dominique Plihon, économiste, professeur à l’université Paris Nord et président du conseil scientifique d’ATTAC France ;
– M. Jacques Sapir, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
– M. Jean-Marc Siroën, professeur de sciences économiques à l’Université Paris Dauphine et auteur, pour la Commission européenne, d’un rapport sur « Les normes de travail dans les traités de libre échange » ;
– Collectif « Éthique sur l’étiquette » ;
– Collectif « Peuples solidaires ».
– M. Jean Michel Delisle, vice-président, Mme Corinne Vadcar, responsable du département Economie et commerce international, Mme Béatrice Richez Baum, juriste, et Véronique Etienne Martin, conseillère parlementaire, Chambre de commerce et d’industrie de Paris ;
– M. Alain Bentejac, président du Comité du commerce extérieur, Mme Catherine Minard, directrice des affaires internationales et M. Matthieu Pineda, chargé de mission des affaires publiques, Mouvement des entreprises de France (MEDEF) ;
Auditions à Bruxelles :
– M. Henri Weber, député européen ;
– M. Jean-Paul Thuillier, ministre conseiller pour les affaires économiques auprès de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne
– M. Denis Redonnet, chef de l’unité « stratégie du commerce », Direction générale du commerce à la Commission européenne ;
– Mme Eleonora Catella, conseillère, direction des affaires internationales de Businesseurope.
Auditions à Genève :
– Mme Arancha Gonzalez, directrice de cabinet du directeur général de l’OMC ;
– M. Marc Auboin, conseiller à la division de la recherche économique et des statistiques, OMC ;
– M. Alfredo Calcagno, chef du Service des politiques macroéconomiques et des politiques du développement, division de la mondialisation et des stratégies de développement, Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) ;
– Mme Marcia Donner Abreu, ministre Conseiller à la mission permanente du Brésil auprès de l’OMC ;
– M. Hubert Escaith, économiste, OMC ;
– Mme Martine Julsaint-Kidane, administratrice chargée des affaires économiques, division du commerce international des biens et services et des produits de base, CNUCED ;
– Mme Gabrielle Marceau, conseillère à la division des affaires juridiques, OMC ;
– M. Joerg Mayer, administrateur chargé des affaires économiques, division de la mondialisation et des stratégies de développement, CNUCED ;
– M.Makane Mbengue, professeur au département de droit international public et des organisations internationales, Université de Genève ;
– MM. Jean-Marie Paugam, directeur exécutif adjoint et M. Bob Trocme, conseiller, Centre du commerce international (CCI) ;
– M. David Shark, Représentant permanent adjoint des États-Unis auprès de l’OMC ;
– MM. Raymond Torres, directeur, et Franz Christian Ebert, chargé de recherche, Institut international d’études sociales du Bureau international du travail (BIT).
Auditions à Washington :
Ø Ambassade de France aux États-Unis :
– M. François Delattre, Ambassadeur de France aux États-Unis ;
– M. Jean-François Boittin, ministre conseiller pour les Affaires économiques et financières ;
- Mme Emmanuelle Ivanov-Durand, conseillère économique au service économique régional.
Ø Congrès :
– M. Howard Coble, représentant de Caroline du Nord, Coauteur du « Currency Reform for Fair Trade Act », Président de la sous-commission propriété intellectuelle à la Chambre des Représentants ;
– M. Mike Michaud, représentant du Maine ;
– M. Christopher Slevin, assistant du sénateur Sherod Brown (Ohio).
Ø Banque mondiale :
– M. Jeffrey Lewis ;
– M. Charles Tellier ;
– M. Thomas Farole.
Ø Fonds monétaire international :
– M. Marshall Mills ;
– M. Steven Philipps.
Ø Organisations non gouvernementales et syndicats :
– Mme Celeste Drake, spécialiste des questions commerciales et de mondialisation à AFL –CIO (American federation of labor and Congress of industrial organizations) ;
– Mme Ilana Solomon, directrice du programme « commerce responsable » Sierra Club ;
– Mme Lori Wallach, directrice de « Public citizen’s global Trade watch » ;
– M. William Waren, specialiste des politiques commerciales, « Friends of the Earth ».
Ø Peterson Institute for International Economics :
– M. Joseph Gagnon ;
– M. Gary Hufbauer.
1 « Le grand basculement- La question sociale à l’échelle mondiale », Jean-Michel Sévérino et Olivier Ray, 2011.
2 « Somme de théologie », II-a, « Qu’est-ce que la justice ? »
3 « Une mondialisation juste – Créer des opportunités pour tous », rapport de la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation instituée sous l’égide de l’Organisation internationale du travail, février 2004.
4 « L’Organisation internationale du travail à l’épreuve de la mondialisation-Peut-on réguler sans contraindre ? », Bureau international du Travail, Francis Maupain, mai 2012.
5 « La politique commerciale au cœur de la stratégie Europe 20203 », COM(2010) 612 final, 9 novembre 2011.
6 Cycles de Genève (1947), d’Annecy (1949), de Torquay (1951), de Genève (1956), Dillon (1960-1961), Kennedy (1964-1967), de Tokyo (1973-1979) et d’Uruguay (1986-1994).
7 «Le grand malentendu. L’idée du libre-échange en France », Antoine Bouët, 2012.
8 Rapport no 1087 sur la directive relative au détachement des travailleurs de M. Gilles Savary, Mme Chantal Guittet et M. Michel Piron, au nom de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, 29 mai 2013.
9 Il a été convenu, pour responsabiliser la cascade de sous-traitants, que les États membres pourront fixer une liste de documents pouvant être réclamés à l’entreprise détachant des travailleurs ; un État sera dans l’obligation de poursuivre un donneur d’ordre pour les fraudes relevant de l’un de ses sous-traitants, dans le seul secteur du Bâtiment et des travaux publics, chacun étant tenu de mettre en place un système de sanctions équivalentes pour lutter contre les fraudes. Cette responsabilité conjointe et solidaire restera optionnelle dans les autres secteurs, comme les transports, l’agroalimentaire ou l’agriculture.
10 W. J. Baumol et W. E. Oates, The Theory of Environmental Policy, 1988.
11 A l’issue de la conférence de Doha en 2012, le Protocole de Kyoto a été prolongé jusqu’en 2020.
12 Un taux de 95 grammes de CO2 par kilomètre contre 157,8 grammes en 2007 est désormais imposé aux constructeurs automobiles. Pour un gramme de CO2 supplémentaire, un constructeur devra payer dès 2019, 95 euros par véhicule vendu.
13 « World’s worst pollution problems », Blacksmith Institute et la Croix verte suisse, 2012.
14 Rapport conjoint de l’OMC, l’OCDE et la CNUCED sur les mesures en matière de commerce et d’investissement, 18 décembre 2013.
15 Rapport sur le commerce mondial en 2013.
16 « Le bazar allemand explique-t-il l’écart de performance à l’exportation par rapport à la France ? », étude d’Hervé Boulhol annexée au rapport du Conseil d’analyse économique, « L’évolution récente du commerce extérieur français », 2006.
17 Etude conjointe de l’OCDE et de l’OMC sur les échanges en valeur ajoutée (EVA), 28 mai 2013.
18 Audition conjointe aux commissions des Affaires économiques, des Affaires étrangères et des Affaires européennes, 27 février 2013.
19 « Inégalités, pauvreté, globalisation : les faits et les débats », Pierre-Noël Giraud, Ceriscope sciences po, 2012 ;
20 « Rapport sur l’investissement dans le monde en 2013- Les chaînes de valeur mondiales : l’investissement et le commerce au service du développement », CNUCED, janvier 2014.
21 « Pour un partenariat équilibré entre l’Union européenne et la Chine, grands acteurs de la mondialisation », rapport d’information no 4405 de Mme Marie Louise Fort et M. Jérôme Lambert au nom de la commission des Affaires européennes, 23 février 2012.
22 « L’avenir d’une exception », Hakim El Karoui, 2006.
23 « Chaînes d’activité mondiales : des délocalisations d’abord vers l’Union européenne » par Lionel Fontagné et Aurélien d’Isanto, juin 2013.
24 « US employment desindustrialization : insights from history and the international experience », etude du Peterson Institute, octobre 2013
25 « Trade and inequality revisited », 2007.
26 « Les économies émergentes latino-américaines- Entre cigales et fourmis », Pierre Salama, octobre 2012.
27 Lilas Demmou « Le recul de l’emploi industriel en France : quelle est la réalité ? », Lettre du Trésor Éco no 77, Septembre 2010
28 Voir aussi « La désindustrialisation en France », document de travail de la direction générale du Trésor du ministère de l’Economie et des finances, Lilas Demmou, 2010.
29 Lionel Fontagné et Aurélien D’Isanto « Chaînes d’activités mondiales : Des délocalisations d’abord vers l’Union européenne » Insee Première no 1451 - juin 2013
30 « L’Organisation internationale du travail à l’épreuve de la mondialisation-Peut-on réguler sans contraindre ? », Bureau international du Travail, Francis Maurain, mai 2012.
31 « La mondialisation de l’inégalité », août 2012.
32 Le coefficient de Gini est un indicateur synthétique d’inégalités de salaires, de revenus et de niveau de vie. Il varie de 0 à 1. Il est égal à 0 dans une situation d’égalité parfaite et à 1 dans une situation la plus inégalitaire possible.
33 « Inégalités, pauvreté, globalisation : les faits et les débats », Pierre-Noël Giraud, Ceriscope sciences po, 2012.
34 « L’impact économique en termes de revenus potentiels du Cycle de Doha pour le développement », rapport du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), Yvan Ducreux et Lionel Fontagné, janvier 2009.
35 “Agriculture trade reform and the Doha Developpement Agenda”, 2005.
36 « Un nouvel usage du monde », Hervé Gaymard, 2007.
37 African growth and opportunity act, 2000.
38 Une etude de Jha et ali “Reconciling trade and environment”, 1999, observe qu’en Indonésie et en Papouasie Nouvelle Guinée, l’exploitation miniére n’était soumise alors à aucune réglementation et qu’elle se faisait sous le régime de contrats de concession qui exemptaient généralement les entreprises du respect des normes environnementales.
39 « The paradox of plenty », Terry Lynn Karl.
40 « Implication of global value chains for trade, investment, development and jobs », 7 septembre 2013.
41 La théorie des industries dans l’enfance de F. List en 1837, les travaux de J.S. Mill en 1848 et enfin l’analyse de F.D. Graham en 1923 conduisent à une introduction des rendements croissants dans la théorie du commerce international. Les approches de ces auteurs convergent sur l’idée que l’existence de rendements croissants dans certaines activités, notamment industrielles, conduisent à la création d’un avantage au « premier entrant » qui peut créer des avantages comparatifs cumulatifs.
42 Voir le site de l’OMC, « Comprendre l’OMC ».
43 Examen des politiques commerciales, Chine. Rapport du secrétariat, 20 juillet 2012.
44 Rapport conjoint de l’OMC, l’OCDE et la CNUCED sur les mesures en matière de commerce et d’investissement, 18 décembre 2013.
45 Une dérogation aux normes restreignant les investissements étrangers entrera en vigueur pour trois ans à compter du 1er octobre 2013 dans la zone de libre-échange de Shanghai.
46 Voir aussi le rapport de la direction générale des politiques externes du Parlement européen : « Les relations commerciales entre l’Union européenne et la Chine », juillet 2011.
47 Sont ainsi appliqués une taxe sur le recyclage sur les véhicules importés, un embargo sur la viande congelée en provenance d’Allemagne après la levée de l’embargo sur les animaux vivants en provenance de l’Union européenne, projet de taxe sur les importations d’équipements destinés à la métallurgie…
48 Cette taxe est comprise entre 420 et 2700 euros pour un véhicule neuf et entre 2600 et 17 200 euros pour un véhicule d’occasion.
49 2 septembre 2013.
50 Rapport conjoint de l’OMC, de l’OCDE et de la CNUCED du 17 juin 2013.La plupart de ces mesures sont des droits de douane résultant d’enquêtes antidumping. Avec 18, 15 et 10 mesures respectivement adoptées depuis 9 mois, le Brésil, l’Inde et l’Argentine sont les pays qui ont érigé le plus d’entraves nouvelles aux échanges. Moins de 20 % des mesures protectionnistes prises depuis la crise de 2008 ont été supprimées.
51 Afrique du Sud, Allemagne, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Canada, Chine, Corée du Sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie, Italie, Japon, Mexique, Royaume Uni, Russie, Turquie et Union européenne).
52 On note une nette prédominance de la Chine. Selon la Commission européenne, en 2011, 85 % des articles saisis aux frontières européennes provenaient de Chine.
53 « L’impact du taux de change sur les exportations de l’Allemagne et de la France hors de la zone euro », Centre d’analyse théorique et de traitement des données économiques, Alain Rey, janvier 2011.
54 « Pacte pour la compétitivité de l’industrie française », rapport au Premier ministre, 5 novembre 2012.
55 Entretien avec Jean-Pierre Tenoux, 22 février 2012.
56 Gilles Moëc, février 2013.
57 Building Better Economic BRICs
58 Dreaming with the BRICS. The path to 2050
59 Laurence Daziano, « Pays émergents : après les BRICS, l’essor des BENIVM », La Tribune, 7 février 2013
60 « Rapport sur l’investissement dans le monde-2013- Les chaînes de valeur mondiales : l’investissement et le commerce au service du développement », CNUCED, janvier 2014
61 « L’essor du Sud : le progrès humain dans un monde diversifié », rapport sur le développement humain, 2013.
62 « Afrique-France : pour un partenariat d’avenir »
63 « L’Afrique est notre avenir », rapport d’information no 104 de MM. Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, 29 octobre 2013.
64 « Pour un partenariat équilibré entre l’Union européenne et la Chine, grands acteurs de la mondialisation », rapport no 4405 de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, 23 février 2012.
65 « Pour un partenariat équilibré entre l’Union européenne et la Chine, grands acteurs de la mondialisation », rapport d’information no 4405 de Mme Marie Louise Fort et M. Jérôme Lambert, au nom de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, 23 février 2012.
66 La Chine produit plus de 95 % des terres rares pour 36 % seulement des ressources connues.
67 Les instruments de défense commerciale sont les suivants :
- le règlement antidumping qui permet de lutter contre les importations d’un produit vendu à un prix inférieur au prix comparable pour le produit similaire dans le pays exportateur (vente déloyale à bas prix). La mesure consiste en un droit d’importation supplémentaire sur le produit concerné qui reste en vigueur en principe cinq ans (éventuellement reconductibles) ;
- le règlement antisubventions permet de lutter contre les exportations subventionnées ;
- les mesures de sauvegarde permettent à un État de restreindre temporairement les importations d’un produit si sa branche nationale subit un dommage grave ou une menace de dommage grave imputable à un accroissement soudain des importations.
68 A titre de comparaison à la fin 2010, les États-Unis avaient mis en œuvre environ 250 mesures antidumping, la Chine, 120 mesures antidumping et l’Inde 208 mesures antidumping.
69 La Chine est le huitième producteur mondial de vin et pourrait devenir le sixième en 2016. Les premiers pays producteurs mondiaux de vins sont la France, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne et le Portugal.
70 Sur l’application de droits antidumping sur les produits chimiques en provenance de l’Europe par mesure de rétorsion au taux de douane sur les panneaux solaires, la Chine a modulé les taxes punitives, appliquant un taux moindre pour une entreprise allemande Lanxess pour qui la taxe sera de 19,6 % au lieu de 36,9 % pour les autres entreprises européennes.
71 Propos tenus devant la presse, 4 juin 2013.
72 Même s’ils sont victimes de prix trop bas des produits chinois, les industriels européens comme Alcatel-Lucent, Nokia ou Siemens sont réticents à une enquête antidumping car ils craignent des représailles sur le marché chinois.
73 Sur le papier glacé en provenance de Chine.
74 « Adapter les instruments de défense commerciale aux besoins actuels de l’économie européenne », communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen relative à la modernisation des instruments de défense commerciale, COM(2013)191, 10 avril 2013.
75 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part des pays non membres de la Communauté européenne et le règlement (CE) no 597/2009 relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne, COM(2013)192 final du 10 avril 2013.
76 Projet de rapport sur la proposition de règlement mentionnée supra, 2013/0103.
77 Tout avantage commercial accordé par un pays membre doit de facto être accordé à la totalité des membres de l’OMC, sans condition de réciprocité.
78 Le traitement spécial et différencié introduisant une asymétrie des concessions au profit des pays en développement écarte quant à lui le principe de réciprocité, au nom de l’équité et de l’inégalité réparatrice
79 « Commerce, croissance et affaires mondiales », COM(2010) 612, 9 novembre 2010.
80 Voir le rapport d’information no 589 sur l’instrument de réciprocité sur les marchés publics au sein de l’Union européenne présenté par Mmes Seybah Dagoma et Marie Louise Fort au nom de la commission des Affaires européennes, 16 janvier 2013.
81 S’agissant des seuils des marchés et des autorités locales concernées.
82 Voir le rapport d’information no 589 sur l’instrument de réciprocité sur les marchés publics précité.
83 Communauté européenne du charbon et de l’acier.
84 Source Eurostat, juin 2013. Les premiers investisseurs en Europe sont les États-Unis (99 milliards d’euros), suivis du Canada (19 milliards), du Japon (8 milliards chacun) ainsi que de la Russie et de Hong Kong (7 milliards chacun). Les investissements chinois se situaient à moins d’un milliard d’euros pour la période 2004-2008, ces investissements ont triplé en 2009/2010 et atteignent 3 milliards d’euros. Les IDE de l’Union européenne dans le reste du monde sont de 171 milliards d’euros, et les principales destinations des IDE de l’Union européenne ont été des centres financiers offshore (Liechtenstein, Guernesey, Jersey, Ile de Man, Panama, Singapour…) à hauteur de 18 milliards d’euros, devant le Canada et l’Inde (16 milliards chacun), les États-Unis (15 milliards) et la Chine et Hong Kong (10 milliards chacun).
85 « Rapport sur l’investissement dans le monde- 2013- Les chaînes de valeur mondiales : l’investissement et le commerce au service du développement »,
86 Article 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union.
87 Des négociations sur les investissements sont actuellement en cours avec le Canada, Singapour, l’Inde, le Japon, la Malaisie, le Mercosur, le Maroc, la Thaïlande et le Vietnam, dans le cadre de la négociation d’accords de libre-échange. Des directives de négociation relatives à des accords de libre-échange approfondis et complets incluant les investissements ont également été adoptés par le Conseil en décembre 2011 pour l’Égypte, la Jordanie et la Tunisie.
88 Recommandation de décision du Conseil modifiant les directives de négociation d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’ANASE afin d’autoriser la Commission à engager, au nom de l’Union, des négociations au sujet de l’Investissement, COM(2013) 457 final, 26 juin 2013.
89 La Chine a renforcé en 2012 le contrôle sur les investissements stratégiques.
90 Les relations financières entre la France et l’étranger sont libres conformément à l’article L. 151-1 du code monétaire et financier. Toutefois, conformément aux dispositions de l’article L. 151-3 du code précité, sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie, les investissements étrangers en France qui participent à l’exercice de l’autorité publique ou relèvent des activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ou des activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives.
91 « La politique industrielle de la Communauté », mémorandum de la Commission au Conseil, 1970.
92 La théorie des industries dans l’enfance de F. List en 1837, les travaux de J.S. Mill en 1848 et enfin l’analyse de F.D. Graham en 1923 conduisent à une introduction des rendements croissants dans la théorie du commerce international. Les approches de ces auteurs convergent sur l’idée que l’existence de rendements croissants dans certaines activités, notamment industrielles, conduisent à la création d’un avantage au « premier entrant » qui peut créer des avantages comparatifs cumulatifs.
93 « Compétitivité et croissance en Europe », rapport du groupe de travail franco-allemand remis le 30 mai 2013 à la Chancelière allemande et au Président de la République française.
94 « Une Europe compétitive dans une économie mondialisée », COM(2006) 567 final, 4 octobre 2006.
95 Voir rapport no 1060 de Mme Seybah Dagoma sur le mandat de négociation de l’accord de libre-échange
entre les États-Unis et l’Union européenne, 28 mai 2013.
96 Les négociations avec l’Inde sont aujourd’hui bloquées, en raison notamment des difficultés politiques des autorités indiennes à réaliser les réformes nécessaires, dans un contexte de proximité croissante des élections générales en 2014.
97 Droits dits de la nation la plus favorisée.
98 Discours prononcé à Paris lors de l’université d’été du MEDEF, 2 septembre 2011.
99 Règlement (UE) no 978/1012 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 appliquant un schéma de préférences généralisées et ses annexes.
100 Asymétrique au sens où l’Union européenne ouvrait plus ses marchés que les pays ACP qui pouvaient conserver un niveau de protection plus élevé.
101 Rapport d’information no 2133 sur les accords de partenariat économique de MM. Hervé Gaymard et Jean-Claude Fruteau au nom de la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale, 2 décembre 2009.
102 Dont la République dominicaine, Haïti, Dominique…
103 Les droits de douane sont une ressource publique essentielle dans ces pays où la part des impôts directs est limitée.
104 « Dépasser Doha : de nouvelles règles pour le commerce mondial », rapport d’information no 4011 de M. Hervé Gaymard et Mme Marietta Karamanli, députés, au nom de la Commission des affaires européennes, 29 novembre 2011.
105 Rapport no 3206 sur le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada présenté par Mme Annick Girardin au nom de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, 9 mars 2011.
106 Le G33 est, au sein de l’OMC, un groupe constitué de pays en développement pour protéger leurs marchés agricoles internes afin de préserver et de développer leurs capacités de production locales face à la concurrence de produits agricoles issus d’agricultures subventionnées. Ce groupe comprend 46 pays dont la Chine, l’Inde, le Kenya, le Laos, le Nigéria, le Pérou, le Sénégal, le Venezuela, la Turquie…
107 « Gouvernance mondiale », rapport de synthèse du Conseil d’analyse économique, Pierre Jacquet, Jean Pisani-Ferry et Laurence Tubiana, 2002.
108 « The multilateral Trade regime. Which way forward ? », rapport de la commission Warwick, 2008.
109 Groupe Europe mondialisation, diagnostic stratégique France 2025 ;
110 Le traitement spécial et différencié porte sur les accords suivants : accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, accord sur l’agriculture, accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, accord sur les textiles et les vêtements, accord sur les obstacles techniques au commerce, accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce, accord sur la mise en œuvre de l’article VI (Antidumping) du GATT de 1994, accord sur les subventions et les mesures compensatoires, accord sur les sauvegardes, accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, accord général sur le commerce des services, mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends.
111 Directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales.
112 Article paru dans le journal « Le Monde » : « La transition énergétique est une nécessité. Les ressources se raréfiant, l’Europe doit agir au plus vite », 22 juin 2013.
113 « Relever les défis posés par les marchés des produits de base et les matières premières », COM(2011)25 final, 2 février 2011.
114 Par exemple, les restrictions à l’exportation de céréales par l’Ukraine en 2010.
115 Déclaration de Rome sur la sécurité alimentaire mondiale, 1996.
116 Rapport du rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, mission auprès de l’OMC, mars 2009.
117 Voir notamment les travaux du think thank Momagri.
118 « Un nouvel usage du monde », Hervé Gaymard.
119 Lettre d’information du rapporteur spécial de l’ONU, 16 novembre 2011.
120 « Régimes fonciers et investissements internationaux en agriculture », rapport du Groupe d’experts à haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition, juillet 2011.
121 « L’euro dans la guerre des monnaies » , note du Conseil d’analyse économique, no 11, janvier 2014.
122 « La réforme du système monétaire international, une approche coopérative pour le XXIe siècle », rapport du groupe d’experts « Initiative du Palais Royal », janvier 2011.
123 « Réformer le système monétaire international », rapport no 99, septembre 2011.
124 « Désajustements des taux de change effectifs réels dans la zone euro », la lettre du CEPII no 319, avril 2012.
125 « L’euro dans la guerre des monnaies », les notes du Conseil d’analyse économique, no 11, janvier 2014.
126 « Le retour du débat sur le taux de change de l’euro ; que faut-il en penser ? », étude de Natixis, Flash économie, 6 novembre 2013.
127 L’article 219 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que :
1. Par dérogation à l’article 218, le Conseil, soit sur recommandation de la Banque centrale européenne, soit sur recommandation de la Commission et après consultation de la Banque centrale européenne en vue de parvenir à un consensus compatible avec l’objectif de la stabilité des prix peut conclure des accords formels portant sur un système de taux de change pour l’euro vis-à-vis des monnaies d’États tiers. Le Conseil statue à l’unanimité, après consultation du Parlement européen et conformément à la procédure prévue au paragraphe 3. Le Conseil, soit sur recommandation de la Banque centrale européenne, soit sur recommandation de la Commission et après consultation de la Banque centrale européenne en vue de parvenir à un consensus compatible avec l’objectif de la stabilité des prix, peut adopter, modifier ou abandonner les cours centraux de l’euro dans le système des taux de change. Le président du Conseil informe le Parlement européen de l’adoption, de la modification ou de l’abandon des cours centraux de l’euro.
2. En l’absence d’un système de taux de change vis-à-vis d’une ou de plusieurs monnaies d’États tiers au sens du paragraphe 1, le Conseil, statuant soit sur recommandation de la Commission et après consultation de la Banque centrale européenne, soit sur recommandation de la Banque centrale européenne, peut formuler les orientations générales de politique de change vis-à-vis de ces monnaies. Ces orientations générales n’affectent pas l’objectif principal du SEBC, à savoir le maintien de la stabilité des prix.
3. Par dérogation à l’article 218, au cas où des accords sur des questions se rapportant au régime monétaire ou de change doivent faire l’objet de négociations entre l’Union et un ou plusieurs États tiers ou organisations internationales, le Conseil, sur recommandation de la Commission et après consultation de la Banque centrale européenne, décide des arrangements relatifs aux négociations et à la conclusion de ces accords. Ces arrangements doivent assurer que l’Union exprime une position unique. La Commission est pleinement associée aux négociations.
4. Sans préjudice des compétences et des accords de l’Union dans le domaine de l’Union économique et monétaire, les États membres peuvent négocier dans les instances internationales et conclure des accords internationaux.
128 « L’Union européenne, au cœur du projet de régulation mondiale porté par le G20 », rapport d’information no 3784 présenté par MM. Michel Herbillon, Jérôme Lambert, Christophe Caresche, Bernard Deflesselles et Robert Lecou, 4 octobre 2011.
129 Propos de M. Hubert Védrine dans un entretien au journal « Le Figaro », 2 janvier 2013.
130 « The pure theory of public expenditure », Review of Economics and Statistics, 1954.
131 La non exclusion signifie que la consommation de ce bien par un usager n’entraîne aucune réduction de la consommation des autres usagers.
132 La non exclusion implique qu’il est impossible d’exclure quiconque de la consommation de ce bien et qu’il est donc impossible de faire payer l’usage de ce bien.
133 « International public goods without international governement », Charles Kindleberger, American Economic Review », 1986.
134 Rapport mondial sur les salaires 2012/2013 « Salaires et croissance équitable », 14 décembre 2012.
135 Selon ce rapport, en 2010, le salaire mensuel moyen était d’environ 3 300 dollars aux États-Unis et s’échelonnait entre 250 et 440 dollars en Chine. Si l’on ajuste ces chiffres pour tenir compte du coût de la vie, ils équivalent à une fourchette de 400 à 710 dollars mensuels.
136 Études conjointes sur le commerce et le travail informel en 2009 et sur les conditions d’une mondialisation durable en 2011.
137 Différends nos 58 et 61, décision du 6 novembre 1998, plainte déposée par l’Inde, la Malaisie, le Pakistan et la Thaïlande contre les États-Unis.
138 Un conflit peut apparaître entre deux États membres de l’OMC si un seul d’entre eux est partie à un AME. Il ne peut pas appliquer des restrictions commerciales sur la base de cet AME à l’État qui n’est pas lié par l’accord. L’ORD n’a jamais été saisi à ce jour d’un tel différend.
139 « Gouvernance mondiale », rapport de synthèse du Conseil d’analyse économique par Pierre Jacquet, Jean Pisani-Ferry et Laurence Tubiana ; 2002.
140 « Rio plus : un rendez-vous majeur pour l’avenir de notre planète », avis du Conseil économique, social et environnemental, 22 mai 2012.
141 Le paquet climat énergie a pour objectif de permettre la réalisation de l’objectif « 20-20-20 », c’est-à-dire faire passer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen à 20 %, réduire les émissions de CO2 dans les pays de l’Union de 20 % et accroître l’efficacité énergétique de 20 % d’ici 2020.
142 Ce rapport estime que les investissements nécessaires au passage d’un objectif de réduction de 20 % en 2020 à 40 % en 2030 conduiraient à la création de 750 000 emplois par an, particulièrement dans le secteur du bâtiment par le gain lié aux investissements pour réhabiliter ou mettre aux normes les bâtiments.
143 La Chine vient d’instituer, au niveau de 7 villes et régions pilotes, un marché carbone destiné à faire payer des droits à polluer à des industries.
144 http://www.euractiv.com/sites/all/euractiv/files/climat - MIC - version anglaise (2).pdf
145 Sur l’analyse de ces accords, voir « Le travail dans les accords de préférence commerciale- État des lieux et perspectives », Jean-Marc Siroën, Revue internationale du travail, 2013.
146 COM(2006) 257 final du 4 octobre 2006.
147 Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.
148 Rapport de Mme Nicole Notat, novembre 2013.
149 Cette logique punitive a été condamnée voir rapport adopté par le groupe spécial de l’OMC sur la section 3010 du trade act de 1974 qui avait condamné le recours unilatéral à la contrainte commerciale, y compris pour répondre à des faits qui n’entrent pas dans la compétence de l’OMC comme la question de la violation des droits sociaux, rapport WTDS/152/R du 22 décembre 1999.
150 Le Bengladesh exporte pour plus de 14 milliards d’euros de marchandises textiles par an vers l’Union européenne qui est son premier débouché. Le Bangladesh est, derrière la Chine, le deuxième exportateur au monde de vêtements, secteur qui représente 80 % de ses exportations
151 Rapport du Point de contact national sur la mise en œuvre des principes directeurs de l’OCDE dans la filière textile –habillement, 2 décembre 2013.
152 « La dimension sociale de la mondialisation- Clause sociale et responsabilité sociale des entreprises », Laurence Dubin.
153 Ainsi Shell a adopté un code de conduite, sous la pression des ONG, à la suite de la pendaison de l’écrivain Ken Saro Wiva en 1995 qui s’était fermement opposé à la pollution du Delta du Niger par les compagnies pétrolières. Nestlé a développé son concept de création de valeur partagée afin de mettre en relief son engagement dans le Pacte mondial de l’ONU.
154 L’accord mondial du groupe EDF par exemple contient une obligation adressée aux interlocuteurs sociaux des filiales de traduire les principes généraux de l’accord transnational dans un accord négocié au niveau national.
155 « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’Union européenne pour la période 2011-2014 », communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, COM(2011) 681 final du 25 octobre 2011.
156 En Europe, seuls le Danemark et la France ont fait de la RES un objet de réglementation. En France, l’article 116 de la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001 prévoit que les sociétés cotées en bourse indiquent dans leur rapport annuel des informations relatives aux conséquences économiques et sociales de leurs activités. La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement dite loi Grenelle 2 introduit les articles 225 sur la responsabilité sociétale des entreprises et 224 sur l’investissement socialement responsable.
157 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes sociétés et certains groupes, COM(2013) 207 final, 16 avril 2013.
158 « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », livre vert de la Commission européenne, COM(2001) 366 final.