N° 3234 - Rapport d'information de Mme Danielle Auroi déposé par la commission des affaires européennes sur l'accord interinstitutionnel "mieux légiférer"




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3234

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 novembre 2015

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

sur l’accord interinstitutionnel « mieux légiférer »,

ET PRÉSENTÉ

PAR MME Danielle AUROI,

Députée

——

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY

SOMMAIRE

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Pages

I. VERS UNE « MEILLEURE RÉGULATION » ? 7

A. LE « MIEUX LÉGIFÉRER » : UNE PRIORITÉ DE LA NOUVELLE COMMISSION 7

1. Mieux légiférer ou moins légiférer ? 7

2. Le paquet « mieux légiférer » du 19 mai 2015 8

B. UN NOUVEL ACCORD INTERINSTITUTIONNEL 8

II. LE NOUVEL ACCORD INTERINSTITUTIONNEL : QUELLE PLACE POUR LE CHOIX POLITIQUE ? 10

A. LA PROGRAMMATION ET LA PLANIFICATION 10

B. DES INSTRUMENTS AU SERVICE D’UNE MEILLEURE LÉGISLATION ? ÉTUDES D’IMPACT, CONSULTATIONS PUBLIQUES, ÉVALUATIONS EX-POST 11

1. Les études d’impact au centre du processus législatif européen 11

a. Les études d’impact : un outil déjà généralisé dans l’Union européenne 11

b. La systématisation des études d’impact 12

c. De nombreuses questions quant à la légitimité démocratique du processus législatif européen 13

2. Des consultations publiques renforcées 14

3. Les évaluations ex-post 16

C. DES ACTES DÉLÉGUÉS MIEUX ENCADRÉS 16

1. Actes délégués, actes d’exécution 16

2. Vers plus de transparence dans l’adoption des actes délégués ? 19

D. L’ENCADREMENT DE LA SUR TRANSPOSITION 20

E. SIMPLIFICATION 21

1. Une attention particulière portée au programme « REFIT » 21

2. Aucune précision supplémentaire sur le pouvoir de retrait de la Commission européenne 22

III. UN ACCORD INSUFFISAMMENT AMBITIEUX 23

A. DES GAGES LARGEMENT INSUFFISANTS EN MATIÈRE DE TRANSPARENCE 23

1. Des mesures largement insuffisantes sur les trilogues 23

2. Aucune avancée sur l’encadrement du lobbying 26

B. LES PARLEMENTS NATIONAUX OUBLIÉS ? 26

TRAVAUX DE LA COMMISSION 29

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 31

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE 33

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La Commission européenne a déposé le 19 mai 2015 un ensemble de mesures ayant pour objet d’améliorer la qualité de la réglementation européenne.

Parmi ces mesures se trouve une proposition d’accord interinstitutionnel entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil relatif à l’amélioration de la réglementation, qui doit remplacer le précédent accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » de 2003.

Cet accord aura des implications majeures en termes de légitimité et de transparence du processus législatif européen.

Un point de la proposition concerne directement notre parlement : l’encadrement de la « surtransposition » des directives, c’est-à-dire de la tendance des États membres à adopter des mesures législatives et réglementaires nationales, qui, prises dans le cadre de la transposition de directives européennes, vont au-delà des exigences de ces dernières.

S’il est légitime de réfléchir aux implications de ces surtranspositions, ce n’est en aucun cas à un accord interinstitutionnel négocié entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de décider de la manière dont les gouvernements ou les parlements nationaux choisissent de transposer une directive. Les autorités politiques nationales doivent être seules juges de l’opportunité de surtransposer.

La proposition d’accord interinstitutionnel prévoit de systématiser le recours aux études d’impact. En plus des coûts et du temps supplémentaires que la multiplication de ces analyses d’impact pourrait engendrer pour le processus législatif européen, votre rapporteure souligne qu’elle ne doit en aucun cas constituer un obstacle pour la décision politique.

Le texte améliore la transparence de la procédure législative européenne, en prévoyant notamment de renforcer le rôle des consultations publiques et de mieux encadrer l’adoption des actes délégués. Toutefois, votre rapporteure considère que le texte est insuffisamment ambitieux en la matière, notamment en ce qui concerne l’encadrement du lobbying et la transparence des trilogues.

Juridiquement, un tel accord n’a pas vocation à inclure d’autres aspects du processus législatif européen, tel que l’approfondissement du rôle des parlements nationaux (mise en place d’un «  carton vert » permettant à un nombre de parlements significatif de proposer des améliorations à la législation européenne ; l’introduction d’un contrôle de proportionnalité en plus du contrôle de subsidiarité) ou l’amélioration de l’initiative citoyenne européenne.

Ces éléments sont cependant pleinement intégrés aux réflexions de la commission des affaires européennes sur l’amélioration du processus décisionnel européen.

« Mieux légiférer » est l’un des objectifs prioritaires de la nouvelle Commission européenne. Dans la présentation de ses orientations politiques le 15 juillet 2014 devant le Parlement européen, le président Jean-Claude Juncker plaidait déjà pour une « réduction de la bureaucratie », et soulignait que l’Europe devait « s’occuper des véritables grands problèmes européens » plutôt que »  de s'immiscer dans tous les aspects imaginables de la vie des citoyens ».

En décembre 2014, il a nommé un conseiller spécial pour l’amélioration de la réglementation : Edmond Stoiber, ancien président du groupe de haut niveau sur les charges administratives.

Cette orientation a été réaffirmée de manière très nette lors de la présentation du programme de travail de la Commission européenne pour 2015, caractérisé par une volonté affichée d’allégement réglementaire et de supprimer les normes « désuètes, trop lourdes ou trop complexes ». Ce programme de travail ne prévoit que vingt-trois nouvelles initiatives, dont seulement treize comportent un volet législatif, alors que les précédents programmes de travail pouvaient en contenir plus d’une centaine. La Commission européenne a également proposé l’abandon ou la modification de quatre-vingts textes n’ayant pas encore été adoptés par les co-législateurs. Le programme de travail pour 2016 s’inscrit dans le prolongement du précédent, puisqu’il prévoit également seulement vingt-trois nouvelles initiatives.

Les mesures proposées par la Commission européenne prévoient notamment de porter une attention particulière aux difficultés rencontrées par les PME dans l’application des normes européennes.

La simplification de la législation européenne doit être encouragée. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », affirmait Montesquieu, et les précédentes commissions européennes sont parfois allées trop loin en légiférant dans le détail sur tous les aspects du marché intérieur – on peut se rappeler des débats relatifs à la taille des bouteilles d’huile d’olive ou à la création d’un label écologique pour les chasses d’eau.

Toutefois, votre rapporteure souligne que cette volonté affirmée de « mieux légiférer » n’est pas neutre idéologiquement, et se rapproche dangereusement d’un « moins légiférer ». Cette démarche de dérégulation doit être lue à la lumière des demandes réitérées du Royaume-Uni en faveur d’un allégement des charges réglementaires pesant sur les entreprises, volonté partagée par d’autres États membres, notamment par les Pays-Bas. Moins légiférer, c’est risquer d’affaiblir ceux qui ont le plus besoin de protection, et d’affaiblir l’action commune au service des citoyens européens. La Commission européenne met l’accent sur la réduction des charges réglementaires pesant sur les entreprises, et votre rapporteure craint que cet équilibre ne se fasse au détriment de la protection de la santé des consommateurs, de la protection des travailleurs, de la protection de l’environnement.

Ces préoccupations sont partagées par la société civile. Le 18 mai 2015, à la veille de la présentation des propositions de la Commission européenne, plus de cinquante organisations de la société civile ont ainsi créé un « Observatoire du mieux légiférer » (« Better regulation watchdog »), composé notamment du Bureau européen des consommateurs, de « Finance Watch » et des Amis de la terre. Cet observatoire dénonce la volonté de la Commission européenne d’ »  édulcorer des règlementations essentielles » et de « subordonner l’intérêt public à celui des multinationales ».

La Commission européenne a présenté le 19 mai 2015 un ensemble de mesures destiné à améliorer la qualité de la législation européenne (« Better regulation »), qui se compose :  

- d’une communication présentant un programme pour l’Union européenne relatif à la qualité de la législation ;

- d’une proposition de nouvel accord institutionnel, accompagnée de deux annexes relatives à la comitologie ;

- de « lignes directrices » et d’une « boîte à outils » sur l’amélioration de la réglementation ;

- d’un rapport dressant l’état des lieux du programme « REFIT » - « Pour une réglementation affûtée et performante » et d’une décision de la Commission européenne établissant une nouvelle plateforme « REFIT », accompagnée d’une communication détaillant le fonctionnement de cette plateforme ;

- d’une décision créant un « Comité d’examen de la régulation » (regulatory scrutiny board).

L’accord interinstitutionnel doit remplacer le précédent accord « mieux légiférer » de 2003.

La possibilité pour le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne de conclure des accords interinstitutionnels qui peuvent revêtir un caractère contraignant, dans le respect des traités, est prévue par l’article 295 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Les négociations de cet accord se déroulent selon des modalités inhabituelles et de manière plutôt opaque.

Après la présentation de la proposition d’accord, un négociateur a été nommé par chacune des trois institutions :

- pour la Commission européenne, Frans Timmermans, Premier vice-président, chargé de la qualité de la réglementation et des relations interinstitutionnelles ;

- pour le Parlement européen, Guy Verhofstadt, président du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe et membre de la commission des affaires constitutionnelles ;

- pour le Conseil, Nicolas Schmit, ministre du travail du Luxembourg et chargé des relations avec le Parlement européen pendant la présidence luxembourgeoise du Conseil.

Au Parlement européen, M. Guy Verhofstadt a été mandaté par la Conférence des présidents le 11 juin 2015, sur la base de « lignes rouges » précises. Cette procédure se distingue des cas précédents, où un groupe de cinq ou six députés de toutes les tendances était mandaté pour représenter le Parlement européen, mais le président Martin Schultz a choisi de ne pas suivre ce modèle en nommant un seul négociateur. Une fois négocié, cet accord devra être examiné par la commission des affaires constitutionnelles.

Au Conseil, un échange de vue sur l’accord a eu lieu lors du Conseil « affaires générales » du 19 juin 2015, et de grandes lignes pour la négociation ont été définies.

Pour le moment, quatre réunions au niveau politique ont eu lieu.

Le format choisi pour ces négociations les rend relativement opaques : il est difficile, tant pour les parlementaires européens que pour les États membres au sein du Conseil, de connaître avec précision l’état des négociations.

Depuis la présentation de la proposition d’accord, la Commission européenne a insisté à plusieurs reprises sur sa volonté de conclure les négociations d’ici décembre 2015. Malgré des incertitudes sur les avancées des négociations, l’accord pourrait donc être adopté lors du Conseil affaires générales du 15 décembre 2015, puis entériné par la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen au début de l’année 2016.

La proposition d’accord interinstitutionnel prévoit de renforcer la programmation annuelle et pluriannuelle de l’action de l’Union européenne.

La Commission européenne est chargée par les traités de cette programmation annuelle et pluriannuelle de l’Union européenne (article 17 du traité sur l’Union européenne, alinéa 1). L’accord-cadre du 20 octobre 2010 entre le Parlement européen et la Commission européenne prévoit que la Commission européenne présente un programme de travail chaque année prenant en compte les priorités formulées par le Parlement et fournissant suffisamment de détails concernant ce qui est envisagé à chaque point de ce programme de travail (paragraphe 35 de l’accord-cadre).

La proposition d’accord prévoit de revaloriser le rôle du Conseil dans cette programmation législative. La Commission européenne procédera à un échange de vue avec le Parlement européen et le Conseil avant l’adoption de son programme annuel de travail et examinera attentivement les demandes de présentation de propositions législatives formulées à cette occasion. La Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen devront également procéder à un échange de vue sur les priorités pluriannuelles. La Commission européenne devra régulièrement rendre compte de la mise en œuvre du programme de travail à la Conférence des présidents du Parlement européen et au Conseil affaires générales.

Les trois institutions devraient également identifier des textes bénéficiant d’un traitement prioritaire, notamment ceux permettant de diminuer les charges administratives ou de simplifier la réglementation en vigueur.

Lors des négociations, il a été proposé que les trois institutions élaborent et signent des conclusions établissant les principaux objectifs politiques et les priorités de l’Union européenne, le Parlement européen étant favorable à l’existence d’un véritable « programme de l’Union » : plusieurs délégations au sein du Conseil ont souligné le risque de confusion avec les prérogatives du Conseil européen, qui « définit les orientations et les priorités politiques générales de l’Union » (article 15 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

L’importance donnée aux études d’impact s’inscrit dans une logique bien ancrée à la Commission européenne, qui a largement systématisé le recours aux études d’impact dès 2002. Entre 2007 et 2014, la Commission a produit plus de 700 analyses d'impact.

Les lignes directrices publiées par la Commission européenne le 15 janvier 2009 prévoient notamment que doivent être accompagnées d’études d’impact :

- toutes les propositions législatives contenues dans le programme de travail de la Commission ;

- toutes les propositions législatives ne relevant pas du programme de travail mais qui ont des incidences économiques, sociales et environnementales clairement identifiables ;

- toutes les initiatives non législatives qui définissent les futures politiques publiques de l’Union ;

- certains actes de comitologie.

En 2013, 78% des études d’impact présentées par la Commission européenne concernaient des propositions législatives.

Ces mêmes lignes directrices prévoient notamment que, si l’analyse d’impact peut s’appuyer sur les travaux réalisés par des consultants ou des experts externes, elle doit être rédigée par les services de la Commission européenne, qui restent pleinement responsables du rapport.

En 2006, la Commission européenne a créé au sein de ses services un « comité d’analyse d’impact » chargé de contrôler la qualité de l’ensemble des études d’impact produites par les services de la Commission européenne. Ce comité était composé d’un président (secrétaire général adjoint de la Commission européenne) et de huit directeurs des services de la Commission européenne, désignés pour un mandat de deux ans par le président de la Commission européenne et disposant d’une expertise dans les domaines économiques, sociaux et environnementaux. Aucun texte ne garantissait formellement son indépendance, bien que ses membres soient considérés comme agissant en leur nom propre et non en tant que représentants de leurs services. Ce comité exerce un contrôle relativement strict : en 2013, le comité a par exemple rejeté 40 % des études d’impact examinées pour la première fois.

L’accord interinstitutionnel de 2003 prévoit que « lorsque la procédure de codécision s'applique, le Parlement européen et le Conseil pourront également, sur la base de critères et de procédures définis en commun, faire procéder à des analyses d'impact préalables à l'adoption d'un amendement substantiel, soit en première lecture, soit au stade de la conciliation ».

La pratique des études d’impact a été intégrée par le Parlement européen, bien que de manière plus embryonnaire.

Faisant suite à une résolution adoptée par le Parlement européen le 8 juin 2011 sur la garantie de l’indépendance des études d’impact, sur un rapport d’Angelika Niebler, qui préconisait la création de structures d’analyse d’impact au sein même du Parlement européen, une direction de l’analyse d’impact a été créée en janvier 2012. Cette « direction de l’évaluation de l’impact et de la valeur ajoutée européenne » est notamment chargée du contrôle de la qualité des études d’impact de la Commission européenne, et peut examiner des aspects de la proposition qui n’auraient pas été pleinement traités par les services de la Commission européenne. La division est constituée de vingt-cinq administrateurs, dont cinq affectés aux études d’impact ex-ante.

La nécessité d’une analyse d’impact et le caractère substantiel des amendements concernés sont décidés par la commission parlementaire dans laquelle l’amendement a été déposé. L’analyse de ces amendements substantiels est toujours confiée à des experts externes. L’unité d’évaluation de l’impact ex ante du Parlement européen est chargée de sélectionner ces experts externes dans le respect des règles de l’Union européenne relatives à la passation de marchés publics et veille à la qualité de l’analyse menée par ces experts externes. Cette procédure reste peu utilisée : depuis 2012, le Parlement européen a réalisé seulement une vingtaine d’études d’impact réalisées sur des amendements substantiels.

Au Conseil, aucune étude d’impact au sens strict n’a jamais été réalisée sur un amendement.

La proposition d’accord prévoit que la Commission européenne effectue des analyses d’impact de ses initiatives « lorsqu’il sera manifeste qu’elles auront une incidence économique, environnementale ou sociale importante ».

La qualité des études d’impact de la Commission européenne sera contrôlée par un nouveau « comité d’examen de la réglementation », concrétisant les annonces faites dès le 18 décembre par le Vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans. Ce comité d’examen de la réglementation remplace le comité d’analyse d’impact depuis le 1er juillet 2015.

Le comité d’examen de la réglementation offrirait des garanties d’indépendance accrues par rapport au comité d’analyse d’impact. Alors que le comité d’analyse d’impact était composé d’un président et de quatre membres tournants - huit membres en tout - n’exerçant cette fonction qu’à temps partiel, tous hauts fonctionnaires en poste à la Commission européenne, le nouveau comité sera constitué de sept membres : le président, trois fonctionnaires de la Commission européenne et trois membres recrutés à l’extérieur de la Commission. La décision du président de la Commission européenne instituant ce comité prévoit expressément que ces membres accomplissent leur tâche en toute indépendance et ne sollicitent ni ne reçoivent aucune instruction, et doivent déclarer au président du comité tout conflit d’intérêt potentiel.

Le texte consacre le rôle des études d’impact tout au long de la procédure législative, puisqu’il prévoit que le Parlement européen et le Conseil commencent leur examen des propositions de la Commission européenne par l’examen des études d’impact afférente (paragraphe 9).

Surtout, avant l’adoption de « toute modification substantielle de la proposition » de la Commission européenne, « quel que soit le stade du processus législatif », le Parlement européen et le Conseil procéderont à une analyse de l’impact de cette modification (paragraphe 10). Pour ce faire, l’accord laisse aux institutions le soin de déterminer en interne comment organiser leurs travaux.

Le nouvel accord institutionnel va donc beaucoup plus loin que celui de 2003, qui prévoyait cette possibilité mais ne lui donnait aucun caractère contraignant.

Enfin, le projet d’accord prévoit que chaque institution pourrait demander à un panel indépendant d’évaluer un amendement effectué sur un texte par une autre institution. Ce panel serait composé de trois membres, nommé chacun par l’une des trois institutions (paragraphe 12). Selon Guy Verhofstadt, auditionné par les commissions des affaires juridiques et des affaires constitutionnelles du Parlement européen le 12 novembre 2015, l’idée de ce panel indépendant pourrait être abandonnée.

Les études d’impact sont des instruments très utiles. Toutefois, elles doivent être un appui à la décision politique, et ne peuvent en aucun cas se substituer à celle-ci.

En ce sens, imposer aux co-législateurs de réaliser une étude d’impact dont les modalités sont définies en interne à chaque institution sur les amendements les plus importants n’est pas souhaitable.

Tout d’abord, parce que le Parlement européen et le Conseil n’ont pas les ressources matérielles et humaines suffisantes pour conduire ce type d’étude d’impact.

On peut s’interroger sur la notion « d’amendement substantiel ». Quels seront les critères pour définir le caractère « substantiel » d’un amendement ? Qui définira ces critères ? Qui veillera à leur bonne application ?

La mise en place d’un panel indépendant chargé d’évaluer un amendement proposé par une autre institution pose des questions encore plus grandes. Ce panel ne serait-il utilisé que si les institutions n’ont pas mené leurs propres études d’impact en interne ? Quelle est la légitimité démocratique d’un tel panel ? Quelles conséquences les co-législateurs devraient tirer des conclusions émises par celui-ci ?

La multiplication des études d’impact risque de ralentir grandement le processus législatif européen, déjà très laborieux.

Enfin, elle aurait un coût important : le Parlement européen et le Conseil n’ont pas les ressources internes pour produire de telles analyses, qui seraient automatiquement confiées à des prestataires externes (cabinets de conseil).

Plus généralement, quel crédit attribuer à ces études d’impact ?

Pour le moment, la qualité des études d’impact accompagnant les propositions de la Commission européenne est très variable. Les études d’impact ne sont pas, malgré les garde-fous mis en place, exemptes de tout risque de conflit d’intérêts. Votre rapporteure tient par exemple à rappeler que plusieurs organisations de la société civile avaient alerté la Commission européenne en juillet 2014 sur l’appel d’offre remporté par le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers pour conduire une étude sur l’impact économique de la mise en place d’un « reporting pays par pays » pour les institutions financières. Le même cabinet, conseiller de plusieurs banques européennes, avait publiquement pris position quelques mois plus tôt contre la transparence de ces informations bancaires.

Le projet d’accord prévoit de renforcer les consultations publiques.

L’accord de 2003 prévoyait déjà que durant la période précédant la présentation de propositions législatives, la Commission procède, en en informant le Parlement européen et le Conseil, à des consultations aussi complètes que possibles, dont les résultats sont rendus publics.

Cette obligation a été renforcée avec le traité de Lisbonne. Le nouvel article 11 du traité sur l’Union européenne consacre en effet l’importance du dialogue direct avec les citoyens et la société civile, et prévoit explicitement que la Commission européenne procède à de « larges consultations des parties intéressées ».

Le nouveau projet d’accord prévoit d’aller plus loin, en organisant des consultations publiques non seulement en amont de la proposition législative mais également après l’adoption de celle-ci par le collège des commissaires. Les parties intéressées auront l’occasion d’exprimer leur point de vue pendant une période de huit semaines après l’adoption de la proposition de la Commission, parallèlement au délai laissé aux parlements nationaux pour émettre un avis motivé de subsidiarité. Les avis recueillis seront présentés au Parlement européen et au Conseil au début du processus législatif.

Ces orientations s’inscrivent dans la continuité de celles annoncées par dans la communication de la Commission européenne du 18 juin 2014 intitulée «  Programme pour une réglementation affûtée et performante : situation actuelle et perspectives ». Dans cette communication, la Commission s’engageait notamment à publier les réponses individuelles dans les quinze jours ouvrables suivant la clôture de la consultation, et un rapport de synthèse au plus tard lors de l'adoption de la proposition par la Commission.

Votre rapporteure se félicite du renforcement des consultations publiques, qui permettent aux citoyens et à la société civile de s’exprimer sur la législation européenne.

La commission des affaires européennes participe très régulièrement aux consultations publiques engagées par la Commission européenne. Par exemple, elle a récemment participé aux consultations publiques ouvertes par la Commission européenne sur les perturbateurs endocriniens (novembre 2014), sur la qualité de l’eau potable (septembre 2014), sur la sécurité des patients (février 2014) ou sur le bilan des directives « Oiseaux » et « Habitats » (juillet 2015).

Cependant, elle tient cependant à rappeler un problème général qui se pose à propos de ses consultations publiques, dénoncé à plusieurs reprises par la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale. Ces consultations publiques s’appuient généralement sur des documents rédigés dans une seule langue, l’anglais. Les directions générales interpellées à ce propos répondent qu’il est toujours possible de répondre en français aux questionnaires des consultations publiques, ce qui n’est évidemment pas suffisant. En négligeant de rendre disponible en français les dossiers qui sous-tendent les consultations et les questionnaires eux-mêmes, elles empêchent malheureusement un nombre significatif de citoyens et d’institutions publiques et privées de participer au processus consultatif. Votre rapporteure, en tant que présidente de la commission des affaires européennes, a saisi de ce problème les commissaires compétents.

Enfin, votre rapporteure souligne que, comme les études d’impact, les consultations publiques sont des instruments très précieux mais qu’il faut manier avec précaution.

Votre rapporteure tient, à titre d’exemple, à appuyer la remarque faite par M. André Gattolin, sénateur, lors d’une réunion de la commission des affaires européennes du Sénat le 16 juillet 2015, soulignant que la consultation publique sur l’Union des marchés de capitaux, ouverte en 2015, a donné lieu « à 474 réponses dont près de 82 % émanent des compagnies des secteurs bancaire et assurantiel, parmi lesquelles on trouve un grand nombre de sociétés de hedge funds et d'investissement. La part des réponses qui revient aux institutions nationales avoisine les 12,5 % et celles émanant de personnes individuelles 5,6 % des réponses. Ce sont ainsi toujours les organes directement concernés par une telle réglementation qui répondent massivement. La provenance par pays des réponses est également éclairante : avec 22 % des réponses, le Royaume-Uni, dont le commissaire en charge du dossier est d'ailleurs un ressortissant, est à la première place, suivi, à hauteur de 17 %, par la Belgique. La France et l'Allemagne se trouvent loin derrière, avec environ 13 % des réponses. La Commission et les directions générales, qui organisent ce type de consultation, en tirent par la suite des recommandations dans le livre vert qui sont extrêmement favorables à la majorité des réponses apportées ».

Par ailleurs, votre rapporteure déplore l’absence de référence dans la proposition d’accord à la consultation du Comité économique et social et du Comité des régions.

Le projet d’accord prévoit de renforcer l’évaluation ex-post de la législation européenne (paragraphes 16, 17, 18). Les dispositions relatives aux modalités de ces évaluations ex-post restent floues.

Les clauses de révision et, dans les cas nécessaires, les clauses de suppression automatique, devraient être systématiquement envisagées (paragraphe 19).

Le traité de Lisbonne a introduit deux nouvelles catégories d’actes, remplaçant les anciennes procédures de comitologie.

Les actes délégués, prévus à l’article 290 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sont des actes qui complètent certains éléments prévus par un acte législatif, dans le cadre d’une habilitation fixée par le législateur européen. Il appartient donc au Parlement européen et au Conseil de déterminer s’ils souhaitent autoriser ou non le recours à un acte délégué, ce qui leur permet d’éviter de rentrer dans les détails d’un débat trop technique, et de se concentrer sur les orientations politiques du texte. L’acte délégué ne peut porter que sur « les éléments non essentiels » de l’acte législatif. Par certains aspects, cet instrument peut être comparé aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution française.

Cette procédure est très utilisée dans de nombreux domaines, comme la politique agricole commune, le droit de la consommation, la réglementation financière ou la protection des données personnelles. Par exemple, en matière de droit de la consommation, un acte délégué peut être utilisé pour énumérer les informations obligatoires sur l’étiquetage de certains produits.

L’acte délégué ne peut entrer en vigueur que si le Parlement européen ou le Conseil n’expriment pas d’objection (le Parlement européen, en statuant à la majorité de ses membres, le Conseil, en statuant à la majorité qualifiée). La convention d’entente adoptée par les trois institutions en 2011 (1) prévoit que les co-législateurs disposent d’un délai de deux mois pour étudier le texte, délai qui peut être prolongé de deux mois. Avant l’expiration de ce délai, le Parlement ou le Conseil peuvent s’opposer au texte ou même révoquer la délégation.

Les actes d’exécution, prévus à l’article 291 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, permettent à la Commission européenne de définir si nécessaire des mesures d’application de la législation européenne. La procédure permettant l’adoption d’actes d’exécution est très semblable à celle de la comitologie avant le traité de Lisbonne, et prévoit notamment la présence et le contrôle de comités composés des représentants des États membres. Un règlement de 2011 précise les règles d’adoption de ces mesures d’exécution (2).

b. Une procédure d’adoption des actes délégués très critiquée

L’actuelle procédure d’adoption des actes délégués suscite de nombreux mécontentements, relayés notamment par le Parlement européen, le Comité économique, social et environnemental européen et certains parlements nationaux. 

Les critiques portent principalement sur :

- un usage abusif du recours à ces actes délégués, excédant souvent les « éléments non essentiels » d’un texte. L’Assemblée nationale a par exemple dénoncé le recours trop élevé aux actes délégués prévus par la proposition de règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (3) ;

- une tendance de la Commission européenne à s’affranchir de la volonté du législateur. Ainsi, lors de la mise en application de la réforme de la politique agricole commune, vingt-trois États membres ont dénoncé les libertés prises par la Commission européenne dans ses propositions d’actes délégués, en contradiction avec les positions de l’acte de base (adjonction de critères d’éligibilité non prévus, réduction du champ de certaines dispositions, transformation de dispositions facultatives en dispositions obligatoires) ;

- l’absence de consultation systématique des experts des États membres. En effet, pour l’adoption des actes délégués, contrairement à la procédure qui prévalait avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la Commission européenne peut être assistée d’un groupe d’experts mais ce ne sont pas forcément des experts « représentants les États membres », sauf dans le domaine des services financiers (4). Le Conseil a déploré cette évolution à plusieurs reprises, appelant à une modification de la convention commune en ce sens, notamment dans une note du 21 février 2014 (5) ;

- la composition des comités d’experts, peu transparente, qui pourrait favoriser les groupes d’intérêts (6). Le 27 janvier 2015, la Médiatrice européenne a adopté une opinion sur la composition des groupes d’experts de la Commission européenne, soulignant que l’implication de la société civile dans ces groupes n’est pas toujours satisfaisante et que des efforts peuvent être faits en matière de transparence de ces groupes d’experts, notamment en ce qui concerne la prévention des conflits d’intérêts (7) ;

- le délai d’objection prévu pour les législateurs, considéré comme trop court par le Parlement européen ;

- des critères insuffisamment précis permettant de délimiter le rôle des actes délégués par rapport aux actes d’exécution.  (8)

La proposition d’accord prévoit de renforcer les consultations pendant la préparation des actes délégués, et notamment la consultation des experts des États membres.

La proposition d’accord rappelle « le rôle important joué par les actes délégués et les actes d’exécution » (paragraphe 21) et fait référence à une nouvelle convention sur les actes délégués, annexée à l’accord, qui remplacerait celle de 2011.

Le principal apport de cette nouvelle convention est de renforcer les consultations au cours de la préparation de ces actes délégués, et notamment celles des experts des États membres. Les experts des États membres seraient consultés sur les projets d’actes délégués préparés par les services de la Commission européenne, et, après chaque réunion avec les experts des États membres, les services de la Commission européenne exposeraient les conclusions tirées de ces discussions et préciseraient leurs intentions. Des experts du Parlement européen pourraient également être invités à ces réunions. La convention prévoit que des consultations peuvent avoir lieu avec les parties intéressées. : la Commission européenne prévoit de rendre les projets d’actes délégués et d’actes d’exécution les plus importants publics quatre semaines avant leur adoption.

La convention prévoit également de définir des critères d’application des actes délégués et des actes d’exécutions.

Votre rapporteure se félicite de ces avancées en matière de transparence du processus d’adoption des actes délégués, mais estime nécessaire d’aller plus loin. Les actes délégués sont certes nécessaires mais le recours à ceux-ci doit être limité. Un registre des actes délégués devrait être mis en place, sur le modèle du registre de comitologie qui existe actuellement pour les actes d’exécution (ce registre, disponible sur internet, contient les informations et les documents de référence liés aux travaux de l’ensemble des comités de comitologie : ordre du jour des réunions des comités, projets d’actes soumis aux comités, résultats des votes, compte-rendu).

Votre rapporteure souhaite également que la proposition de la Commission européenne de consulter les parties intéressées lors de l’élaboration des actes délégués s’accompagne de mesures de transparence, et notamment de la publication des noms des parties prenantes consultées.

La proposition d’accord initiale cherche à encadrer la pratique des surtranspositions.

Qu’est-ce que la surtransposition ? Cette pratique, connue en anglais sous le nom de « gold-plating », désigne la tendance des États membre à adopter des mesures législatives et réglementaires nationales, qui, prises dans le cadre de la transposition de directives européennes, vont au-delà des exigences de ces dernières.

Pour mémoire, les directives lient les États membres quant à l’objectif à atteindre, mais elles leur laissent le choix des moyens et de la forme pour atteindre cet objectif : rien ne les empêche donc d’aller au-delà.

La proposition d’accord présentée par la Commission européenne invite les États membres, lorsque ceux-ci adoptent des mesures visant à transposer ou à mettre en œuvre la législation européenne, à établir une distinction claire entre les éléments imposés par celle-ci et ceux relevant de mesures nationales, et à communiquer à destination du grand public sur cette distinction. Les États membres devraient également s’engager à évaluer l’impact de ces mesures, en particulier en matière de charge administrative.

La surtransposition, qui peut engendrer des charges administratives importantes, fait l’objet de critiques de plus en plus fortes en France : c’est ce qu’ont récemment montré le rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative de MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, le rapport sur la simplification législative des députés Mme Laure de La Raudière et M. Régis Juanico sur la simplification législative du 9 octobre 2014 ou le rapport du Conseil de la simplification pour les entreprises du 1er juin 2015. Ces surtranspositions font notamment l’objet de mécontentements réitérés dans le secteur agricole.

Plusieurs pays, dont les Pays-Bas et le Royaume-Uni, se sont engagés dans une démarche de lutte contre la surtransposition.

Ainsi, en 2011, le gouvernement britannique s’est efforcé de limiter la surtransposition en adoptant des lignes directrices, qui prévoient notamment que le Gouvernement doit, lors de la surtransposition :

- s’assurer que la transposition ne désavantage pas les entreprises britanniques par rapport à leurs concurrents européens ;

- si possible, reprendre « mot pour mot » la formulation de la directive ;

- s’assurer que les mesures de transposition n’entrent en vigueur qu’à la date limite définie par la Commission européenne, et non pas de manière anticipée ;

- prévoir une clause de révision quinquennale dans le texte de transposition.

Le bon respect de ces règles est contrôle par le comité des politiques de réglementation (« Regulatory Policy committee ») et le comité de la réduction de la réglementation (« Reducing Regulation ministerial committee »).

La Commission européenne souhaite éviter que ces surtranspositions donnent l’impression que l’Europe légifère en permanence et sur tout, et nourrissent ainsi un climat europhobe. Ces inquiétudes sont légitimes, et l’Assemblée nationale s’en est fait écho, notamment en adoptant le rapport Mme Laure de La Raudière et de M. Régis Juanico précité.

Cependant, ce n’est pas à un accord interinstitutionnel négocié entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de décider de la manière dont les gouvernements ou les parlements nationaux décident de transposer une directive et de communiquer sur cette transposition. La décision de surtransposer est une décision politique, et il appartient aux autorités politiques nationales d’en juger l’opportunité.

Enfin, votre rapporteure tient à rappeler que la surtransposition peut être parfois souhaitable, car plus protectrice des citoyens, en matière de santé publique ou d’environnement par exemple.

La proposition d’accord interinstitutionnel prévoit que les trois institutions participent aux efforts portés par le « programme pour une réglementation affutée et performante », appelé programme « REFIT » (paragraphe 34).

Ce programme de la Commission européenne, lancé en 2012, a pour objectif de « rendre la législation de l’Union européenne plus simple et de réduire les coûts induits par la réglementation ». Il permet d’évaluer de manière continue la législation communautaire, et propose la simplification, la codification ou le retrait de certains textes. Dans le cadre de ce programme REFIT, la Commission européenne a notamment proposé de mettre en place une déclaration de TVA européenne standard, ou d’améliorer la procédure européenne de règlement des petits litiges. Plus de 200 actions ont été décidées dans le cadre de ce programme.

Le paquet « Mieux légiférer » présenté par la Commission européenne le 19 mai 2015 prévoit de donner une nouvelle dimension à ce programme, en créant une « plateforme REFIT », s’inspirant du « Forum des entreprises pour des règles plus simples » danois ou du « Red tape challenge » britannique, se réunissant de manière régulière afin d’examiner en profondeur la législation de l’Union et de proposer des mesures de simplification.

Cette plate-forme sera composée de deux groupes : un groupe réunissant les experts des États membres, un autre groupe représentant les « parties prenantes » : experts de la société civile, des partenaires sociaux, des entreprises, du Comité économique et social et du comité des régions. Le Vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans présidera chaque année une réunion conjointe des deux groupes de réflexion.

Avec la présentation du programme de travail de la Commission européenne pour 2015, des débats se sont engagés sur l’utilisation faite par la Commission européenne de son droit de retrait. En effet, la Commission européenne a fait le choix d’appliquer de manière stricte le principe de discontinuité politique en passant au crible les 452 propositions législatives actuellement sur la table des négociations pour in fine proposer l’abandon de 80 textes n’ayant pas encore été adoptés par le Conseil ou par le Parlement européen.

Votre rapporteure, dès décembre 2014, a saisi le Vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans afin de lui faire part de sa vive inquiétude quant au retrait de textes fortement emblématiques dans le domaine environnemental, relatifs à la qualité de l’air et à l’économie circulaire. Parallèlement, la ministre de l’environnement, conjointement avec plusieurs de ses homologues européens, a adressé un courrier au président de la Commission européenne demandant à ce que ces deux textes restent en haut de l’agenda européen.

L’importance de ces retraits a également cristallisé les tensions au Parlement européen.

Dans un arrêt du 14 avril 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne a précisé pour la première fois les contours de ce droit de retrait, suite à un recours introduit par plusieurs États membres contre la décision de la Commission de retirer le 8 mai 2013 une proposition de règlement cadre concernant l’assistance macro financière à des pays tiers. La Cour de Justice a estimé que la Commission européenne a le droit de retirer une proposition législative tant que le Conseil n’a pas statué. Elle a cependant rappelé que ce pouvoir de retrait ne peut pas investir la Commission européenne d’un « droit de véto » qui serait contraire aux principes de l’attribution des compétences et de l’équilibre institutionnel. (9)

Le 21 juin 2015, le Parlement européen a émis une résolution dans lequel il demande à la Commission européenne de consulter le Parlement européen en cas de retrait, en particulier après la première lecture, et à prendre dûment en compte son avis. (10)

Votre rapporteure regrette que des clarifications sur les conditions de ce droit de retrait n’aient pas été introduites dans l’accord interinstitutionnel.

Pour mémoire, alors que les traités prévoient trois lectures dans la procédure législative ordinaire, de plus en plus de textes sont adoptés en première lecture. Sous la précédente législature, 85 % des actes législatifs ont été adoptés en première lecture, 13 % en deuxième lecture et seulement 2 % par la procédure de conciliation (contre respectivement 28 %, 50 % et 22 % sur la période 1999-2004 et 72 %, 23 % et 5 % sur la période 2004-2009).

Dans la pratique, la procédure de codécision correspond donc peu à ce que prévoit la lettre des traités.

La « procédure législative ordinaire » (ex-procédure de codésion) prévue par les traités

L’article 294 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne fixe les grandes étapes de la procédure législative ordinaire.

Initiative législative

La Commission européenne présente une proposition au Parlement européen et au Conseil.

Première lecture 

Première lecture au Parlement européen, qui transmet sa position au Conseil.

Adoption de la position du Parlement européen par le Conseil (à la majorité qualifiée) :

1. si le Conseil approuve la position du Parlement européen, l’acte est réputé adopté.

2. si le Conseil n’approuve pas la position du Parlement européen, il adopte sa position en première lecture et la transmet au Parlement européen.

Deuxième lecture

Dans un délai de trois mois après la transmission de la position du Conseil, le Parlement européen peut :

1. accepter à la majorité des suffrages exprimés la position transmise par le Conseil ;

2. rejeter la position du Conseil à la majorité absolue : l’acte est rejeté ;

3. proposer des amendements à la majorité absolue.

Dans un délai de trois mois après transmission des amendements du Parlement européen :

1. si le Conseil approuve ces amendements à la majorité qualifiée, l’acte est adopté ;

2. Si le Conseil rejette les amendements, un comité de conciliation est convoqué.

Comité de conciliation

Le comité est composé de tous les membres du Conseil et d’autant de membres du Parlement européen. Un accord doit être trouvé dans un délai de six semaines. Dans le cas contraire, le texte est rejeté.

Troisième lecture

Le Parlement européen (à la majorité des suffrages exprimés) et le Conseil (à la majorité qualifiée) disposent de six semaines pour adopter le projet issu du comité de conciliation. A défaut, l’acte est rejeté.

La multiplication des accords en première lecture est facilitée par le développement de réunions appelées trilogues. Ce trilogues, qui ne sont pas prévus par les traités, réunissent des représentants du Parlement européen, de la Commission européenne et du Conseil.

Sous la précédente législature, 1 500 trilogues ont été organisés, sur 350 dossiers de codécision environ (certains dossiers ont nécessité un nombre considérable de trilogues : par exemple, la négociation du cadre financier pluriannuel a nécessité 364 trilogues).

Ces trilogues peuvent être organisés à n’importe quelle lecture, après l’adoption d’un mandat de négociation au Conseil et au Parlement européen, dans les groupes de travail et dans les commissions parlementaires. Le texte issu de ces trilogues est ensuite examiné formellement par les deux co-législateurs.

Chaque institution désigne pour les trilogues des négociateurs : le Conseil est représenté par la présidence du Conseil (en général, le Représentant permanent ou Représentant permanent adjoint), le Parlement européen par une délégation composée du président de la commission concerné, du rapporteur et les rapporteurs fictifs), la Commission européenne par un haut fonctionnaire.

b. Une « boîte noire » dans le processus législatif

Ces trilogues permettent de renforcer l’efficacité du processus décisionnel européen, la durée moyenne de l’adoption d’un texte de codécision étant en moyenne de dix-neuf mois (dix-sept mois en moyenne en première lecture, contre trente-deux mois en deuxième lecture).

Toutefois, leur multiplication pose de véritables questions en matière de transparence.

Ces réunions ne sont pas prévues par les traités, et sont très opaques : aucun compte-rendu n’est fait de ces réunions, et aucune information claire n’est disponible sur la liste des trilogues en cours ou leur ordre du jour. Enfin, cette pratique rebat les cartes de l’équilibre entre les institutions de l’Union par rapport aux règles fixées par les traités, au profit de la Commission européenne, qui joue un rôle actif dans ces trilogues, et non pas seulement un rôle d’arbitre ou d’animateur, et au détriment du Parlement européen.

Le 28 mai dernier, la Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a ouvert une enquête relative à la transparence de ces trilogues. Pour mener cette enquête, elle a demandé à la Commission européenne de lui transmettre des informations (listes des réunions, compte-rendu, listes des participants notamment) sur tous les trilogues ayant eu lieu sur deux dossiers : le règlement sur les essais cliniques et la directive sur le crédit hypothécaire. Une réponse était attendue des institutions le 30 septembre dernier, et les conclusions de la Médiatrice devraient être connues prochainement.

c. La proposition d’accord ne prévoit pas de mesures précises pour renforcer la transparence des trilogues

La proposition d’accord prévoit que « les trois institutions veilleront à un degré approprié de transparence du processus législatif, y compris des négociations trilatérales entre les trois institutions » (paragraphe 28), « faire un usage approprié des accords en deuxième lecture » (paragraphe 26).

Pour votre rapporteure, ces affirmations vagues sont largement insuffisantes. Elle considère que les résultats de l’enquête de la Médiatrice devraient être attendus et pris en compte par la proposition d’accord interinstitutionnel. Des mesures précises devraient être prises pour renforcer la transparence de ces trilogues, comme la mise en place d’un registre public des trilogues, qui préciserait les dossiers en cours de négociation, leur ordre du jour et la composition des équipes de négociateurs.

Un accord interinstitutionnel relatif à un registre de transparence existe depuis 2011 entre le Parlement européen et la Commission européenne. Cet accord a été révisé en avril 2014, et les nouvelles règles s’appliquent depuis le 1er janvier 2015. Ce registre compte pour le moment un peu moins de 8 000 organisations inscrites : un regain d’intérêt des lobbies pour ce registre s’est manifesté en décembre dernier, lorsque le président de la Commission européenne a annoncé que seules les organisations inscrites pourraient désormais rencontrer les commissaires européens, leurs cabinets et les directeurs généraux de la Commission.

Toutefois, le registre existant n’a aucun caractère obligatoire, et le Conseil a décidé de ne pas faire partie de cet accord interinstitutionnel. Par ailleurs, aucun contrôle n’est effectué sur les sommes que les entreprises inscrites déclarent consacrer au lobbying.

Le 15 juillet 2014 devant le Parlement européen, Jean-Claude Juncker avait annoncé la création d’un registre obligatoire couvrant les trois institutions. Cette proposition a été annoncée dans le programme de travail de la Commission européenne pour 2016, qui prévoit qu’une proposition d’accord interinstitutionnel avec le Parlement européen et le Conseil sera présentée en ce sens dans le courant de l’année prochaine.

Votre rapporteure regrette que la création de ce registre obligatoire ne soit pas contenue dans cette proposition d’accord interinstitutionnel, ce qui aurait permis de le mettre en œuvre plus rapidement. L’encadrement des groupes d’intérêt ne permettrait-il pas de « mieux légiférer » ?

Cet accord interinstitutionnel ne prend pas en compte la question du rôle des parlements nationaux dans l’élaboration de la législation européenne.

Ce rôle est seulement rappelé dans les considérants, qui rappellent « le rôle et la responsabilité des parlements nationaux prévus par les traités », mentionnant le protocole sur le rôle des parlements nationaux et le protocole no 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexés au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Il prévoit également que les résultats finaux des analyses d'impact soient communiqués aux parlements nationaux (paragraphe 8).

Ces références sont insuffisantes, et l’accord interinstitutionnel devrait mentionner la priorité donnée par les institutions au renforcement du dialogue politique avec les parlements nationaux.

La Chambre des communes britannique et le Sénat français (11) sont allés beaucoup plus loin et se sont exprimés, dans des prises de position formelles, pour l’intégration du sujet du rôle des parlements nationaux dans le champ de l’accord. Cette position a également été affirmée par le Royaume-Uni lors des réunions des groupes de travail du Conseil sur l’accord, le renforcement du rôle des parlements nationaux étant l’une des demandes principales du Royaume-Uni dans le cadre du « Brexit ».

Votre rapporteure considère quant à elle que ce sujet n’a pas vocation à être traité dans le cadre de négociations entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil, auxquelles les parlements nationaux ne sont pas associés. Par ailleurs, la création d’un « carton vert » permettant à un nombre de significatif de parlements de proposer des modifications de la législation européenne ou l’extension du contrôle des parlements nationaux au contrôle de la proportionnalité des actes ont vocation à être d’abord des démarches politiques. Si ces propositions devaient être formalisées, cela nécessiterait une révision des traités - ce qui n’est pas envisageable, au moins à court terme - et non pas une simple mention dans un accord interinstitutionnel.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 18 novembre 2015, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

« M. Michel Piron : Je suis comblé, Madame la présidente, que vous abordiez le sujet de la surinterprétation des directives. Je pense que notre pays est très bien classé en la matière, si j’en crois un certain nombre de sujets sur lesquels j’ai pu faire quelques comparaisons. Je pense que c’est plutôt une bonne chose de connaître enfin l’auteur de cette surrèglementation qui parfois nous étouffe !

Concernant les études d’impact, vous avez souligné qu’elles sont au niveau européen de qualité inégale. Je crains que ce ne soit un constat que l’on peut également partager au niveau national : les études d’impact relèvent parfois davantage de l’affirmation dogmatique que de l’expertise.

La Présidente Danielle Auroi. Si vous en êtes d’accord, je propose donc que nous adoptions cette proposition de résolution.

La commission a approuvé la proposition de résolution européenne suivante. »

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 295 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions du 19 mai 2015 « Améliorer la réglementation pour obtenir de meilleurs résultats – Un enjeu prioritaire pour l'UE »,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil du 19 mai 2015 « Proposition d’accord interinstitutionnel relatif à l’amélioration de la réglementation » (COM [2015] 216 final – E 10312),

Considérant que mieux légiférer ne doit pas être synonyme de moins légiférer ;

Considérant que la transposition des directives en droit interne relève pleinement des États membres ;

Considérant que les études d’impacts sont un outil utile mais limité, et ne peuvent en aucun cas constituer un obstacle à la décision politique ;

Considérant que la transparence de la procédure législative européenne doit être renforcée ;

1. Se félicite de la volonté de la Commission européenne de mieux associer les citoyens au processus décisionnel européen en systématisant l’organisation de consultations publiques sur les propositions d’actes législatifs ;

2. Est opposée aux dispositions contenues dans la proposition d’accord visant à encadrer la sur-transposition des directives, et estime que ces dispositions sont contraires au principe de subsidiarité ;

3. Juge inopportune la systématisation des études d’impact avant l’adoption de tout amendement « substantiel » à la proposition de la Commission européenne, et est défavorable à la création d’un panel d’experts indépendants chargé de procéder à l’analyse de l’impact de ces amendements ;

4. Se félicite de la volonté de la Commission européenne de renforcer les consultations, et notamment les consultations des experts des États membres, au cours de la préparation des actes délégués prévus à l’article 290 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

5. Appelle la Commission européenne à mettre en place un registre public des actes délégués, sur le modèle du registre de comitologie qui existe actuellement pour les actes d’exécution ;

6. Regrette qu’aucune mesure ne soit prévue dans la proposition d’accord interinstitutionnel pour limiter le recours aux trilogues et renforcer la transparence de ceux-ci ;

7. Demande la création d’un registre de transparence pour groupes d’intérêts, obligatoire et couvrant la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil ;

8. Souhaite que l’accord interinstitutionnel rappelle la nécessité de renforcer le dialogue politique avec les parlements nationaux tout au long de la procédure législative européenne.

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE

- Mme Liza Bellulo, conseillère juridique, Secrétariat général des affaires européennes ;

- Mme Agathe Fadier, chargée des relations avec le Parlement européen, Secrétariat général des affaires européennes ;

- M. Nicolas Thiriet, sous-directeur des politiques internes et des questions institutionnelles, direction de l’Union européenne, ministère des affaires étrangères.

1 () 8753/1/11, REV 1.

2 () Règlement (UE) n°182/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission.

3 () Résolution sur la proposition de règlement relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, considérée comme définitive en application de l'article 151-3 du Règlement par l'Assemblée nationale le 23 mars 2012, TA n° 88.

4 () Déclaration ad article 290 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « la Conférence prend acte de l’intention de la Commission de continuer à consulter les experts désignés par les États membres dans l’élaboration de ses projets d’actes délégués dans le domaine des services financiers, conformément à sa pratique constante ».

5 () Initiative to complement the Common Understanding on delegated acts as regards the consultation of experts, 6774/14, 21 février 2014.

6 () Voir notamment le rapport d'information n° 322 (2013-2014) sur la place des actes délégués dans la législation européenne de M. Simon SUTOUR, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 29 janvier 2014.

7 () Cas OI/6/2014/NF.

8 () Rapport du Parlement européen sur les suites à donner à la délégation de pouvoirs législatifs et au contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission européenne (commission des affaires juridiques, 4 décembre 2013).

9 () Arrêt de la cour (grande chambre), 14 avril 2015, affaire C‑409/13.

10 () Rapport de Sylvia-Yvonne Kaufmann sur le programme pour une réglementation affûtée et performante (REFIT): situation actuelle et perspectives (2014/2150(INI)).

11 () Proposition de résolution européenne présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la proposition d'accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la réglementation (COM (2015) 216 final), par MM. Jean Bizet et Simon Sutour.