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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 janvier 2016
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
sur l’assurance chômage européenne,
ET PRÉSENTÉ
PAR M. Jean-Patrick GILLE,
Député
——
(La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.)
___
Pages
INTRODUCTION 7
PREMIÈRE PARTIE : L’ASSURANCE CHÔMAGE EUROPÉENNE, OUTIL ÉCONOMIQUE AU SERVICE DE L’EUROPE SOCIALE OU OUTIL SOCIAL AU SERVICE DE LA STABILISATION DE L’UEM ? 9
I. OPPORTUNITÉ D’UNE ASSURANCE CHÔMAGE EUROPÉENNE 9
A. UNE ASSURANCE CHÔMAGE POUR L’UNION : UNE IDÉE ANCIENNE RELANCÉE PAR LA CRISE DE LA ZONE EURO 9
1. Une idée ancienne relancée par la crise de la zone euro 9
2. L’assurance chômage européenne comme premier pas vers un fédéralisme budgétaire 12
a. La nécessité de doter la zone euro d’un outil de stabilisation 12
b. Les effets de stabilisation de l’assurance chômage 13
B. L’ASSURANCE CHÔMAGE EUROPÉENNE : UN OUTIL AU SERVICE DE L’EUROPE SOCIALE ? 15
1. Le poids des dépenses sociales en Union européenne plaide pour la création d’un système de redistribution commun 15
2. Un étendard pour l’Europe sociale ? 18
II. FAISABILITÉ D’UNE ASSURANCE CHÔMAGE EUROPÉENNE 19
A. L’ASSURANCE CHÔMAGE EUROPÉENNE POURRAIT REVÊTIR PLUSIEURS FORMES, PRÉSENTANT AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS RESPECTIFS… 19
1. La création d’un fonds assurantiel : un scénario discret mais efficace 19
2. La création d’un régime d’assurance chômage commun : un scénario ambitieux mais plus complexe 20
B. … MAIS NÉCESSITÉRAIT QUE SOIENT RÉGLÉES AU PRÉALABLE LES QUESTIONS FONDAMENTALES D’ARCHITECTURE DU SYSTÈME ET DE FAISABILITÉ JURIDIQUE 21
1. La crainte d’une machine technocratique qui bouleverse les modes de gouvernance et les architectures des régimes nationaux 22
2. La crainte des effets de transferts permanents 23
3. Un obstacle institutionnel : la nécessaire révision des traités 23
DEUXIÈME PARTIE : UN SUJET NECESSITANT DES DISCUSSIONS APPROFONDIES ET METTANT EN JEU LA QUESTION PLUS GLOBALE DE LA CONVERGENCE SOCIALE EN EUROPE 25
I. UN SUJET NON CONSENSUEL, UNE RÉFLEXION QUI DOIT ÊTRE APPROFONDIE AU NIVEAUX NATIONAL ET COMMUNAUTAIRE 25
A. UNE RÉFLEXION ENTAMÉE MAIS ENCORE INABOUTIE SUR UN SUJET QUI N’APPARAÎT PAS PRIORITAIRE 25
1. Une réflexion communautaire sans calendrier précis 25
2. Un partenaire allemand pour l’heure opposé à ce projet, un partenaire italien à l’inverse très favorable 26
3. Un sujet qui n’est ni consensuel ni prioritaire en France 26
a. Globalement favorables, les partenaires sociaux craignent néanmoins certains effets négatifs et s’interrogent sur la pertinence d’un tel projet 26
b. Un sujet ne faisant encore l’objet d’aucune position officielle du Gouvernement 29
B. UN CHANTIER DE MOYEN OU LONG TERME NÉCESSITANT DISCUSSIONS ET AVANCÉES PRÉALABLES 29
1. Des enjeux qui doivent être clarifiés au niveau national 29
2. Des discussions qui doivent être approfondies au niveau européen 29
II. UN SUJET QUI MET EN JEU LA QUESTION PLUS GLOBALE DE LA CONVERGENCE SOCIALE EN EUROPE ET DE LA RELANCE DE L’EUROPE SOCIALE 31
A. PEUT-ON METTRE EN PLACE UNE ASSURANCE CHÔMAGE EUROPÉENNE SANS CONVERGENCE SOCIALE ? 31
1. La crise a mis fin aux processus de convergence sociale en Europe 31
2. La convergence sociale est un objectif nécessaire pour parachever l’Union économique et monétaire 32
B. DONNER CORPS À L’EUROPE SOCIALE : UN IMPÉRATIF POUR LA SURVIE DE L’UNION 33
1. Favoriser l’émergence d’un véritable marché de l’emploi européen 33
2. Doter l’Union européenne d’un Eurogroupe social capable de porter les projets communs nécessaires à la survie de l’euro 34
CONCLUSION 35
TRAVAUX DE LA COMMISSION 37
ANNEXES 43
ANNEXE NO 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 45
ANNEXE NO 2 : LE SEMESTRE EUROPÉEN ET SES PROLONGEMENTS 49
ANNEXE N°3 : DONNÉES COMPARATIVES DE L’UNEDIC SUR L’ASSURANCE CHÔMAGE DANS DOUZE PAYS EUROPÉENS 53
ANNEXE N°4 : TRIBUNE COMMUNE CFDT, CFTC, CFE-CGC, MEDEF SUR LA STABILISATION DE L’EURO 55
ANNEXE N°5 : PORTABILITE DES DROITS D’INDEMNISATION CHÔMAGE EN EUROPE 59
ANNEXE N°6 : LE SYSTÈME D’ASSURANCE CHÔMAGE AMÉRICAIN : ENTRE ASSURANCE ET INCITATION 61
Mesdames, Messieurs,
Le présent rapport vise à informer notre commission, et plus largement l’ensemble de nos collègues députés, sur le projet d’assurance chômage européenne. Cette question ouvre celle, plus large, des revenus minima d’existence, laquelle n’est volontairement pas traitée dans le présent rapport, qui se concentre sur son ambition initiale : faire œuvre pédagogique sur un débat qui est vivant dans les sphères économico-administratives et dont la méconnaissance, tant de beaucoup d’élus que de nos concitoyens, pourrait être un handicap si celui-ci devait voir le jour rapidement.
Bien que faisant l’objet de discussions dans les sphères dites initiées, l’assurance chômage européenne est en effet encore un sujet confidentiel, non seulement en Europe, mais surtout en France. De ce fait, le risque est grand que nous prenions du retard dans la réflexion par rapport à nos partenaires et aux institutions européennes et que nous devions collectivement faire un choix sur une question à laquelle nous n’aurions pas suffisamment réfléchi au préalable. Espérons que le présent rapport aura la vertu de lancer plus avant dans notre pays le débat sur cette question.
Votre rapporteur se réjouit d’avoir pu pendant un an travailler sur ce sujet avec deux fils conducteurs : opportunité et faisabilité. L’assurance chômage européenne est en effet un sujet passionnant et plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord.
L’assurance chômage est un régime d’indemnisation pour les salariés involontairement privés d’emploi. En France, celle-ci fonctionne selon une logique d’assurance et un principe de solidarité entre les salariés ; elle est gérée de manière paritaire par l’Unédic, selon des règles fixées au niveau national. Au niveau de l’Union, chaque système d’indemnisation du chômage présente des caractéristiques propres, liées à l’environnement social et politique ainsi qu’aux caractéristiques du marché du travail.
L’assurance chômage est une compétence des États membres et non une compétence de l’Union. Pour autant, les réflexions sur l’amélioration de l’indemnisation des chômeurs à l’échelle de l’Union européenne via un système communautaire qui viendrait s’ajouter aux systèmes nationaux sont anciennes, aussi anciennes que la construction européenne elle-même. Longtemps restées en sommeil, elles ont été ravivées par la crise de l’euro et la nécessité de trouver des mécanismes de convergence pour la zone euro. Au-delà de l’objectif social, l’assurance chômage européenne est donc un projet ambitieux, aux enjeux sous-jacents nombreux et complexes, que ce soit du point de vue de son opportunité ou de sa faisabilité. Du point de vue de l’opportunité, il s’agit à la fois d’un outil économique – offrant un stabilisateur pour la zone euro – et d’un outil social – concrétisant l’Europe sociale. Pouvant revêtir plusieurs formes, présentant avantages et inconvénients respectifs, elle nécessiterait du point de vue de sa faisabilité que soient réglées au préalable les questions fondamentales de faisabilité du système (paramètres d’indemnisation, système de gouvernance) et d’architecture juridique. Enfin, et surtout, un tel projet ne pourra voir le jour sans des discussions approfondies sur la question plus générale de la convergence sociale, tant aux niveaux nationaux – et en premier lieu dans notre pays – qu’au niveau européen.
PREMIÈRE PARTIE : L’ASSURANCE CHÔMAGE EUROPÉENNE, OUTIL ÉCONOMIQUE AU SERVICE DE L’EUROPE SOCIALE OU OUTIL SOCIAL AU SERVICE DE LA STABILISATION DE L’UEM ?
L’idée d’une assurance chômage européenne est née dans les années 1950, au début de la construction européenne. Bien que le consensus se fît alors autour de l’idée que cette assurance commune était nécessaire, celle-ci n’a cependant pas été concrétisée et est demeurée absente des premières politiques communes mises en place. Par la suite, l’assurance chômage européenne a fait partie des débats d’experts, selon trois vagues successives, liées, comme le souligne le Centre for european studies (CEPS) (2), aux étapes de discussion de la monnaie unique : dans les années 1970, à la fin des années 1980 et depuis la crise de la fin des années 2000. Dans les années 1970, plusieurs rapports ont évoqué cette idée, comme le rapport MacDougall (1977), qui suggérait la mise en place d’un budget de l’ordre de 5 à 7 % du PIB « dans un premier temps » (3). Cette idée a été relancée au milieu des années 1980, par les rapports Padoa-Shcioppa (1987) et Emerson (1990), dans un contexte où le chômage de masse commençait à être un problème pour les politiques publiques. Enfin, au moment des négociations du Traité de Maastricht, l’idée d’une assurance chômage européenne a refait surface ; mais les débats étant alors focalisés sur les enjeux liés à la réunification allemande et l’importance des tractations autour de la monnaie unique, cette idée n’a cependant pas été poussée plus avant par Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, et ce d’autant plus que les économistes n’avaient pas prévu le poids que prendrait la finance sur l’économie réelle. Ceux-ci estimaient en effet que l’Union économique et monétaire (UEM) sonnerait le glas des chocs asymétriques et que les instruments de stabilisation ne seraient plus nécessaires dans la zone euro.
Or, la crise de la zone euro leur a donné tort et a relancé l’idée de la création d’une assurance chômage au sein de la zone euro.
D’une part, contrairement à ce qu’avaient jugé les économistes au moment de la création de la zone euro, les chocs ont, depuis 2008, été asymétriques. Tous les pays ont certes été touchés par la crise mais à des niveaux divers. Les écarts se sont ainsi creusés à plusieurs niveaux entre les États membres : richesse nationale, emploi, PIB, pauvreté, emploi des jeunes. Le décrochage des taux de chômage est à cet égard éloquent : alors qu’avant 2008, ces taux étaient relativement convergents, ceux-ci depuis n’ont, depuis, cessé de diverger (4) : fin 2014, les taux de chômage allaient de 5 % en Allemagne à 25,7 % en Grèce ; ceux des jeunes de 7,4 % en Allemagne à 53,5 % en Espagne. Le phénomène de divergence d’emploi a été plus marqué encore au sein de la zone euro : l’écart de taux de chômage entre le Nord et le Sud de la zone (plus l’Irlande), de 3,2 points en 1998 est passé à zéro en 2004 puis à 11,3 points en 2013.
ÉVOLUTION DES INDICATEURS DE PERFORMANCES SOCIALES DANS L’UNION EUROPÉENNE-28
2008-2013
Taux d'emploi (20 à 64 ans) en % |
NEET (15-24 ans) en % |
Niveau d'études supérieures en % |
Personnes en risque de pauvreté ou d'exclusion sociale en milliers |
Rapport S80/S20 interquintile de revenu |
Examen ou traitement médical non satisfaits en % pop. totale | |||||||||
2008 |
2013 |
2008 |
2013 |
2008 |
2013 |
2008 |
2013 |
2008 |
2013 |
2008 |
2012 | |||
Suède |
80,4 |
79,8 |
7,8 |
7,5 |
42,0 |
48,3 |
1 367 |
1 602 |
3,5 |
3,7 |
2,4 |
1,3 | ||
Danemark |
79,7 |
75,6 |
4,3 |
6,0 |
39,2 |
43,4 |
887 |
1 059 |
3,6 |
4,3 |
0,6 |
1,2 | ||
Pays-Bas |
78,9 |
76,5 |
3,4 |
5,1 |
40,2 |
43,1 |
2 432 |
2 650 |
4,0 |
3,6 |
0,3 |
0,5 | ||
Estonie |
77,1 |
73,3 |
8,7 |
11,3 |
34,4 |
43,7 |
291 |
313 |
5,0 |
5,5 |
7,3 |
8,3 | ||
Chypre |
76,5 |
67,2 |
9,7 |
18,7 |
47,1 |
47,8 |
181 |
240 |
4,3 |
4,9 |
2,8 |
3,5 | ||
Finlande |
75,8 |
73,3 |
7,8 |
9,3 |
45,7 |
45,1 |
910 |
854 |
3,8 |
3,6 |
0,8 |
4,6 | ||
Lettonie |
75,4 |
69,7 |
11,8 |
13,0 |
26,3 |
40,7 |
740 |
702 |
7,3 |
6,3 |
9,7 |
12,3 | ||
Royaume-Uni |
75,2 |
74,9 |
12,1 |
13,3 |
39,7 |
47,6 |
14 069 |
15 586 |
5,6 |
4,6 |
1,0 |
1,4 | ||
Autriche |
75,1 |
75,5 |
7,1 |
7,1 |
22,2 |
27,3 |
1 699 |
1 572 |
4,2 |
4,1 |
0,7 |
0,3 | ||
Allemagne |
74,0 |
77,1 |
8,4 |
6,3 |
27,7 |
33,1 |
16 345 |
16 212 |
4,8 |
4,6 |
2,2 |
1,6 | ||
Portugal |
73,1 |
65,4 |
10,2 |
14,1 |
21,6 |
30,0 |
2 757 |
2 877 |
6,1 |
6,0 |
1,1 |
3,3 | ||
Slovénie |
73,0 |
67,2 |
6,5 |
9,2 |
30,9 |
40,1 |
361 |
410 |
3,4 |
3,6 |
0,2 |
0,1 | ||
Rép. tchèque |
72,4 |
72,5 |
6,7 |
9,1 |
15,4 |
26,7 |
1 566 |
1 508 |
3,4 |
3,4 |
0,7 |
1,0 | ||
Irlande |
72,3 |
65,5 |
14,9 |
16,1 |
46,1 |
52,6 |
1 050 |
1 378 (2012) |
4,4 |
4,7 (2012) |
1,8 |
2,2 (2011) | ||
Lituanie |
72,0 |
69,9 |
8,8 |
11,1 |
39,9 |
51,3 |
928 |
917 |
5,9 |
6,1 |
5,5 |
2,3 | ||
Bulgarie |
70,7 |
63,5 |
17,4 |
21,6 |
27,1 |
29,4 |
3 421 |
3 493 |
6,5 |
6,6 |
15,3 |
8,2 | ||
France |
70,4 |
69,6 |
10,2 |
11,2 |
41,2 |
44,1 |
11 150 |
11 229 |
4,4 |
4,5 |
1,9 |
2,2 | ||
Luxembourg |
68,8 |
71,1 |
6,2 |
5,0 |
39,8 |
52,5 |
72 |
96 |
4,1 |
4,6 |
0,6 |
0,7 | ||
Slovaquie |
68,8 |
65,0 |
11,1 |
13,7 |
15,8 |
26,9 |
1 111 |
1 070 |
3,4 |
3,6 |
1,3 |
2,2 | ||
Espagne |
68,5 |
58,6 |
14,3 |
18,6 |
41,3 |
42,3 |
11 124 |
12 630 |
5,7 |
6,3 |
0,4 |
0,7 | ||
Belgique |
68,0 |
67,2 |
10,1 |
12,7 |
42,9 |
42,7 |
2 194 |
2 286 |
4,1 |
3,8 |
0,5 |
1,7 | ||
Grèce |
66,3 |
52,9 |
11,4 |
20,4 |
25,7 |
34,9 |
3 046 |
3 904 |
5,9 |
6,6 |
5,4 |
8,0 | ||
Pologne |
65,0 |
64,9 |
9,0 |
12,2 |
29,7 |
40,5 |
11 491 |
9 748 |
5,1 |
4,9 |
6,0 |
9,0 | ||
Roumanie |
64,4 |
63,9 |
11,6 |
17,2 |
16,0 |
22,8 |
9 418 |
8 601 |
7,0 |
6,6 |
10,8 |
10,7 | ||
Italie |
63,0 |
59,8 |
16,6 |
22,2 |
19,2 |
22,4 |
15 099 |
17 326 |
5,1 |
5,7 |
5,2 |
5,6 | ||
Croatie |
62,9 |
57,2 |
10,1 |
19,6 |
18,5 |
25,6 |
1 271 |
4,5 |
5,3 |
3,6 | ||||
Hongrie |
61,9 |
63,2 |
11,5 |
15,4 |
22,4 |
31,9 |
2 794 |
3 285 |
3,6 |
4,2 |
3,4 |
2,8 | ||
Malte |
59,2 |
64,8 |
8,3 |
10,0 |
21,0 |
26,0 |
81 |
99 |
4,3 |
4,1 |
0,7 |
1,1 |
Lecture : en bleu, les évolutions positives ; en rose, les évolutions négatives ; * NEET : Not in Education, Employment or Training (ni étudiant, ni employé, ni stagiaire).
Source : Eurostat.
D’autre part, la crise, qui a mis en lumière les imperfections de la zone euro et son incomplétude, a rendu indispensable la solidarité financière des États membres de la zone pour assurer la stabilité de l’UEM. Suite aux crises grecque et irlandaise de 2010, la zone euro s’est ainsi dotée des instruments nécessaires pour faire face aux chocs asymétriques affectant certains membres et fragilisant la zone entière, et de bonne gouvernance de la zone : semestre européen, Union bancaire, mécanisme de supervision unique, mécanisme européen de stabilité (MES), two-pack et six-pack, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) (cf. annexe 2).
Ces instruments de gouvernance économique de la zone euro demeurent toutefois relativement incomplets, dans un contexte de divergence des économies et en l’absence de véritable budget européen. La surveillance des budgets nationaux ne constitue pas un outil suffisant pour répondre aux autres priorités et défis de la zone euro, et, notamment, au risque que la zone se retrouve incapable d’absorber un choc conjoncturel fort qui précipiterait la faillite de l’euro. Ce risque est d’autant plus important que les budgets nationaux sont dans l’incapacité de jouer leur rôle de levier de politique économique, et qu’aucun budget supranational ne prend le relais. Les chocs asymétriques en Europe se traduisent donc par des pertes budgétaires très lourdes pour les États touchés et leurs systèmes sociaux, qui ne disposent plus de banque centrale pour les refinancer. À l’inverse, dans les États fédérés comme l’Allemagne ou les États-Unis, le budget fédéral prend une partie de la perte et les mécanismes sociaux jouent leur rôle.
Dans la période récente, forte de ce constat, la France a porté à nouveau dans le débat européen la question de l’assurance chômage européenne. La direction du Trésor a ainsi relancé en France et en Europe le débat sur l’assurance chômage européenne comme outil de stabilisation de la zone euro, en publiant en juin 2104 sa lettre « Une assurance chômage pour la zone euro » (5). Pour le Trésor, « la mutualisation au niveau de la zone euro d'une composante de l'assurance chômage permettrait de doter la zone euro d'un instrument de solidarité nouveau, à même de donner une véritable incarnation à l’Europe sociale tout en renforçant la stabilisation de la zone dans son ensemble ». Le système proposé est celui d’un socle commun d’indemnisation, qui indemniserait les chômeurs de moins d'un an – composante la plus cyclique – à hauteur de 50 % de leur salaire passé, avec un financement reposant sur une base harmonisée, complété par une indemnisation nationale en fonction des préférences de chaque État, pour assurer le maintien du niveau actuel de l’indemnisation chômage tout en préservant les prérogatives des partenaires sociaux nationaux.
Cette idée a été portée en outre au niveau européen par Mme Pervenche Berès, convaincue de son côté qu’ « en lien avec les outils macroéconomiques nécessaires pour compléter l’UEM, la question d’un système européen d’indemnités chômage minimum, qui assurerait une protection de base des travailleurs et limiterait la propension à faire des politiques de protection sociale une variable d’ajustement budgétaire, doit être envisagée sans tabou au titre de la solidarité. » (6)
Conformément à la théorie des zones monétaires optimales, le partage d’une même monnaie et donc de la souveraineté monétaire implique de développer des instruments de stabilisation macroéconomique face aux chocs asymétriques subis par un ou plusieurs États membres de la zone. Cette stabilisation peut passer par plusieurs biais : flexibilité des prix et des salaires, mobilité de la main-d’œuvre, intégration financière ou budget fédéral. La zone euro est donc, à cet égard, manifestement incomplète.
La zone euro doit donc être parachevée et, notamment, dotée d’un mécanisme de stabilisation au niveau central.
En effet, dans une zone monétaire unique, la disparition du risque de change accélère la spécialisation productive des zones qui la composent, ce qui conduit à un déséquilibre structurel de la balance commerciale interne. Pour financer leur déficit commercial structurel, les pays spécialisés dans des secteurs non exportateurs sont conduits à s’endetter auprès des pays exportateurs. Ainsi, entre 1999 et 2011, les actifs extérieurs nets du Nord de la zone euro (Allemagne, Autriche, Belgique, Finlande, Pays-Bas) sont passés de 10 à 40 % du PIB, tandis que ceux du Sud de la zone euro (Espagne, France, Grèce, Portugal, Italie), sont passés de -5 % à -40 %. Cet endettement structurel a conduit à un accroissement de la dette extérieure des pays importateurs : l’évolution de la dette nette extérieure entre 1999 et 2014 a ainsi été pour l’Espagne de 26 % à 95 %, pour le Portugal de 35 % à 103 %, et pour la Grèce de 26 % à 132 %. Cette dette extérieure étant jugée insoutenable par les marchés financiers, ceux-ci ont fortement augmenté les taux d’intérêt des prêts aux États importateurs, entraînant à partir de 2010 la crise des dettes souveraines. Les taux d’intérêt sur les emprunts d’État sont ainsi passés de 5 % en 2010 à 15 % en 2012 pour l’Espagne et le Portugal, et de 5 % à 50 % au plus fort de la crise pour la Grèce.
L’idée de créer un budget propre à la zone, avec une capacité de lever l’impôt, est de plus en plus présente dans le débat : elle consisterait en un premier pas vers un fédéralisme budgétaire qui serait capable d’assurer un rôle contracyclique et de consolider l’euro. Ce budget, pour être efficace, devrait être affecté à une mutualisation d’une partie des stabilisateurs automatiques, c’est-à-dire au transfert de dépenses ayant un caractère contracyclique. Or, les dépenses d’assurance chômage jouent particulièrement bien ce rôle : selon les diverses estimations, l’effet contracyclique des dépenses d’assurance chômage est ainsi de l’ordre de 10 à 20 % des cycles économiques.
L’assurance chômage, stabilisateur important de l’activité économique
Les dépenses d'indemnisation chômage constituent un stabilisateur automatique de premier ordre permettant d'atténuer l'effet des chocs conjoncturels sur l'activité économique. En maintenant un certain niveau de revenu chez les personnes touchées par le chômage, les prestations chômage soutiennent la demande agrégée et permettent aux chômeurs de disposer de temps pour trouver un emploi adapté correspondant à leurs qualifications, ou le cas échéant faciliter leur reconversion. De plus, puisque les dépenses d'assurance chômage ciblent principalement des ménages modestes qui subissent des contraintes de liquidités, leur effet multiplicateur est d'autant plus important. De par ce ciblage, elles constituent également un rempart contre la précarité et la pauvreté des individus les plus fragiles. Enfin, les indemnisations chômage sont un outil de stabilisation particulièrement efficace car elles répondent quasi instantanément à la dégradation de la conjoncture.
Empiriquement, les dépenses d'assurance chômage permettent de réduire la variabilité du PIB lors d'une récession importante, et davantage en termes de revenus lorsque le système d'indemnisation est généreux et que les chocs subis touchent directement l'emploi a. Différentes méthodes ont été utilisées pour estimer l'effet stabilisateur de l'assurance chômage. D'un côté, certaines études comme Von Hagen (1992) ou Asdrubali, Sorensen et Yosha (1996), qui utilisent des méthodes économétriques estimant un effet moyen sur le PIB tout au long du cycle, trouvent un effet stabilisateur relativement faible, de l'ordre de 2 %. À l'inverse, les travaux reposant sur des modèles macro-économétriques estiment un effet marginal de l'assurance chômage au moment des fortes récessions et trouvent un effet stabilisateur sur le PIB beaucoup plus significatif allant de 15 % à 20 %, et même davantage dans les États où les indemnisations chômage sont généreuses (jusqu'à 60 % de stabilisation du revenu des ménages au Danemark dans l'étude de Dolls et al. (2010)).
Tableau 6 : principales études empiriques sur l’effet stabilisateur de l’assurance chômage
Source : Trésor – Direction générale : Trésor-Eco-no 132 – Juin 2014
La mise en place d’une assurance chômage européenne aurait deux types d’effets principaux : des effets de redistribution et des effets de stabilisation. Ce sont surtout ces derniers qui motivent ses promoteurs. En effet, la mise en place d’une assurance chômage européenne circonscrite à la zone euro aurait pour effet de partager le risque macro-économique, c’est-à-dire de permettre, en cas de choc économique, la stabilisation pays par pays et non dans l’ensemble de la zone. Ainsi, un pays subissant une crise suite à un choc économique recevrait des transferts au titre de l’indemnisation européenne du chômage. Ces transferts seraient financés par l’ensemble des pays de la zone selon des modalités à définir et pour un temps limité.
Comme le soulignent Mmes Agnès Bénassy-Quéré et Alice Keogh, « dans la mesure où les cycles d’activités sont fortement corrélés en Europe, le système devrait prévoir de se trouver successivement en excédent ou en déficit : imposer l’équilibre chaque année réduirait fortement la capacité de stabilisation du système. Ceci suppose soit d’accumuler au préalable des cotisations dans un fonds (…), soit d’envisager une capacité d’endettement (7) ».
1. Le poids des dépenses sociales en Union européenne plaide pour la création d’un système de redistribution commun
Bien qu’en baisse ces dernières années dans certains pays (Allemagne, Grèce, Hongrie, Irlande, Royaume-Uni), les dépenses sociales représentent dans les États membres une part très importante des dépenses publiques totales : plus de 30 % du PIB au Danemark, en Belgique, en Finlande ou en France, plus d’un quart en Allemagne, Autriche, Espagne, Italie ou Suède. À l’échelle de l’Union, ce sont près de 30 % des richesses qui sont consacrées à la protection sociale. Conséquence de la crise économique, les dépenses totales de protection sociale dans l'Union à 27 ont progressé d'environ 10 % en termes nominaux entre 2007 et 2010, alors que le PIB demeurait pratiquement stable. Dans le même temps, alors que les dépenses relatives aux retraites, à la santé et à la famille ont augmenté d'environ 10 %, les prestations de chômage ont augmenté d'un tiers.
DÉPENSES DE PROTECTION SOCIALE ( % du PIB) geo / time 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 UE (28 pays) : : : : : : 26(p) 28,8(p) 28,6(p) 28,3(p) 28,7(p) : UE (27 pays) : : : 26,1 25,7 25,4(bp) 26,1(p) 28,8(p) 28,7(p) 28,3(p) 28,8(p) : Zone euro (18 pays) 26,4 26,8 26,6 26,7 26,3 25,9(bp) 26,5(p) 29,3(p) 29,3(p) 29(p) 29,5(p) : Zone euro (17 pays) 26,4 26,8 26,6 26,7 26,3 25,9(bp) 26,6(p) 29,3(p) 29,3(p) 29(p) 29,6(p) : Belgique 26,2 27 26,9 26,8 26,6 26,2(bp) 27,7 30 29,4 29,7 29,9 30,2 Bulgarie : : : 14,6 13,8 13,3(bp) 14,7 16,1 17,3 16,7 16,7 17,6 République tchèque 18,6 18,6 17,8 18 17,6 17,7(bp) 17,9 20,1 20,1 20,1 20,5 20,2 Danemark 28,9 30,1 29,9 29,5 28,4 29,1(bp) 28,9(p) 32,8(p) 32,8(p) 32,3(p) 32,2(p) 33,3(p) Allemagne 29,3 29,8 29 28,9 27,8 26,8(bp) 27,1 30,5 29,8 28,6 28,7 29(p) Estonie 12,7 12,6 13 12,5 12 12(bp) 14,7 18,8 17,6 15,6 15 14,8 Irlande 15,8 16,4 16,5 16,7 16,7 17,3 20,1 23,9 24,5 23,2 23 22 Grèce 23(p) 22,6(p) 22,6(p) 24,1(p) 23,7(p) 23,7(p) 25,3(p) 27,3(p) 28,6(p) 30,4(p) 31,6(p) : Espagne 19,5 19,8 19,9 20,1 20 20,3(bp) 21,4 24,4 24,7(p) 25,4(p) 25,5(p) 25,7(p) France 29,5 30,1 30,4 30,6 30,3(b) 30(bp) 30,3 32,6(b) 32,7 32,5 33,3 33,7(p) Croatie : : : : : : 18,6 20,7 20,8 20,4 20,9 21,7 Italie 24,4 24,8 25 25,3 25,6 25,7(bp) 26,7 28,8 28,8 28,5 29,3(p) 29,8(p) Chypre 15 16,8 16,5 16,7 16,8 16,6(bp) 17,7 19,3 20,1 20,8 21 22,3 Lettonie 13,8 13,3 12,6 12,1 11,8 10,5(bp) 12 16,7 18,1 15,1 14,2 14,4(p) Lituanie 14 13,4 13,4 13,2 13,3 14,2(bp) 15,9 21 18,9 16,9 16,3 15,3(p) Luxembourg 20,9 22,1 22,1 22,1 20,8 19,7(bp) 21,2 23,8 22,9 22,3 23 23,1 Hongrie 20,1 21 20,4 21,5 22 22,2(bp) 22,5 22,9 22,7 21,7 21,4 20,9 Malte 16,9 16,8 17,3 17,1 17,1 17,2(bp) 17,6 19 18,7 18,2 18,5 18,7 Pays-Bas 25,9 26,6 26,6 26,2 26,9 26,4(bp) 26,5 29,3 29,9 30,1 30,9 31,3(bp) Autriche 28,1 28,6 28,2 27,9 27,5 27(bp) 27,6 29,6 29,6 28,9 29,2 29,8 Pologne 21,1 21 20,3 20 19,6 18,3(bp) 19,4 20,4 19,6 18,6 17,7(p) : Portugal 22,5 22,8 23,4 23,8 23,7 23(bp) 23,4 25,8 25,8 25,8 26,4 27,6 Roumanie 13,5 13 12,8 13,4 12,8 13,5(bp) 14,1 16,9 17,3 16,4 15,4 14,8 Slovénie 23,9 23,2 22,8 22,6 22,3 20,9(bp) 21 23,7 24,4 24,5 24,9 25(p) Slovaquie 18,8 18 16,9 16,2 16 15,7(bp) 15,7 18,5 18,3 17,9 18,1 18,4(p) Finlande 24,9 25,5 25,6 25,6 25,4 24,4(bp) 25,1 29 29,2 28,8 30,1 31,2 Suède 29,6 30,4 29,8 29,5 28,6 27,4(bp) 27,7 30,1 28,6 28,2 29,3 30(p) Royaume-Uni 24,7 24,6 24,8 24,8 24,6 25,4(bp) 26,4 29,1 28,8 28,7 28,8(p) 28,1(p) Islande 20,7 22,3 21,9 21,1 20,7 20,6(bp) 21,1 23,9 23,3 23,9 24,1 : Liechtenstein : : : : : : : : : : : : Norvège 25,4 26,7 25,3 23,3 22 22,1(bp) 21,7 25,4 25,1 24,7 24,5 25 Suisse 25,2 26,4 25,9 25,7 24,5 23,8(bp) 23,3 25,4 25,5 25,4 26,3 27 Monténégro : : : : : : : : : : : : Ancienne République yougoslave de Macédoine : : : : : : : : : : : : Albanie : : : : : : : : : : : : Serbie : : : : : : : : 23,9 22,7 24 23,3 Turquie 9,6 10,7 10,9 11 11,2 11,6(b) 11,9(b) 14,1 13,5 13,2 13,8 : :=non disponible p=provisoire b=rupture de série |
Source des données : Eurostat |
DÉPENSES DE PROTECTION SOCIALE
(en % du PIB – 2013)
Source : Eurostat
Les écarts que l’on constate sur ces documents reflètent à la fois les différences de niveau de vie et la diversité des systèmes nationaux de protection sociale. Mais au niveau de la zone, du fait de leur volume, les dépenses sociales jouent ainsi en Union européenne un rôle macro-économique important. Or, ces dépenses sont encore peu coordonnées et demeurent du ressort des politiques nationales, ce qui explique en partie aussi le dysfonctionnement de la zone euro.
À l’heure actuelle, l’Union n’est pas en mesure, en cas de choc macroéconomique, d’utiliser un instrument budgétaire pour atténuer ses effets sur l’emploi. Doter l’Europe d’une assurance chômage commune à ses États membres, ou, a minima, aux membres de la zone euro, permettrait ainsi de mutualiser les chocs économiques entre États membres, et ainsi de réduire les fluctuations de revenus nationaux.
Alors que le chômage de masse frappe nombre de pays membres, la création d’une assurance chômage européenne est présentée par ses promoteurs comme un moyen de donner un contenu à l’Europe sociale, incarnée dans un outil visible pour les citoyens.
En effet, bien que l’Europe sociale soit très présente dans les discours et déclarations d’intention, ses réalisations concrètes sont encore peu nombreuses, malgré le volontarisme de la Commission et des États membres dans les années récentes. Il est vrai que le fait que la politique sociale soit une compétence partagée entre l’Union et les pays membres n’est pas de nature à favoriser le développement de politiques communautaires en la matière. De premiers pas importants ont toutefois été accomplis, notamment avec la mise en place des indicateurs sociaux de l’UEM, la révision de la directive sur le détachement des travailleurs ou encore l’Initiative pour l’emploi des jeunes. Mais l’Union a encore besoin de trouver des pistes pour approfondir la question de l’Europe sociale et de définir un outil qui puisse la symboliser. Pour ses promoteurs, l’assurance chômage européenne présente ainsi le double avantage de répondre à une question économique d’importance – la stabilisation de la zone euro – tout en apportant une réponse emblématique au besoin d’Europe sociale, offrant une occasion de rapprocher l’Europe des citoyens.
Projet fédérateur en matière d’Europe sociale, une assurance chômage européenne doterait en outre l’Union d’un pendant social aux processus de convergence économique et fiscale qui sont en cours au niveau de l’Union et de l’UEM.
A. L’ASSURANCE CHÔMAGE EUROPÉENNE POURRAIT REVÊTIR PLUSIEURS FORMES, PRÉSENTANT AVANTAGES ET INCONVÉNIENTS RESPECTIFS…
La mise en place d’une assurance chômage européenne pourrait se faire selon deux modèles principaux : un fonds de stabilisation organisant des transferts temporaires entre États membres au gré de leur position dans le cycle économique, ou un régime d’assurance chômage commun, première réalisation d’une intégration budgétaire de l’Union européenne.
Après avoir gagné un appel d’offres du Parlement européen, dont le cahier des charges a été réalisé par les services de la Commission européenne, le CEPS est actuellement en train d’évaluer la faisabilité de l’assurance chômage européenne, à travers dix-huit scénarios dont quatre répondent aux caractéristiques d’un fonds de stabilisation et quatorze aux caractéristiques d’une assurance chômage proprement dite. Une première série de conclusions, qui devrait être connue très prochainement, évaluera les différentes options afin de déterminer quel système aurait le meilleur résultat en matière de stabilisation. En outre, au-delà de l’analyse macro-économique, le CEPS est aussi chargé d’analyser l’impact micro-économique des différents scénarios sur les systèmes nationaux.
En tout état de cause, les deux types de scénario envisagés – fonds de stabilisation et assurance chômage commune – répondent à des logiques différentes et ne sont pas de même nature en matière d’intégration économique.
Une des premières options envisagées est la création d’un fonds assurantiel de stabilisation, mis en place dans la zone euro afin de protéger les États membres contre les baisses potentielles de revenus ou les hausses des dépenses du fait des variations de la conjoncture économique. Ce fonds consisterait donc en des transferts budgétaires directs et temporaires entre États membres de la zone en fonction des situations de leurs marchés du travail.
Plusieurs modes de fonctionnement sont envisageables. Par exemple, si le chômage d’un État membre était supérieur au taux structurel, celui-ci bénéficierait du fonds de stabilisation. Inversement, un État membre contribuerait au financement du fonds de stabilisation s’il avait un taux de chômage faible.
Ces transferts budgétaires pourraient également être calculés en fonction de l’écart, pour une année donnée, entre le PIB observé et le PIB potentiel d’un État membre. Pour envisager cet écart, deux possibilités sont offertes :
- la mesure relative, qui correspondrait à la comparaison de l’écart de PIB de chaque État membre et de l’écart moyen observé au sein de la zone euro. Les transferts seraient équilibrés chaque année ;
- la mesure absolue, qui consisterait en la simple différence entre le PIB observé et le PIB potentiel de l’État membre. Les États conserveraient leur capacité budgétaire mais les comptes ne seraient pas forcément équilibrés chaque année.
Selon les simulations actuelles, un fonds de ce type dont le budget serait de l’ordre de 0.2 % à 0.5 % du PIB de la zone euro – soit de l’ordre de 20 à 50 milliards d’euros – permettrait de réduire effectivement les écarts observés entre le PIB et le PIB potentiel de 40 % par rapport à la moyenne de ces écarts dans la zone euro. Ainsi, un tel fonds de stabilisation aurait pour effet de limiter l’ampleur des fluctuations macroéconomiques au sein de la zone euro et jouerait bien un rôle de stabilisation automatique.
L’inconvénient principal du système réside dans son absence de visibilité auprès du public concerné – les chômeurs – et de l’ensemble de la population européenne. Si son efficacité en matière de stabilisation est réelle, il ne répond que partiellement à l’objectif de redonner sens à l’Europe sociale et de l’incarner auprès des citoyens de l’Union.
La création d’un régime d’assurance chômage européenne en complément des systèmes nationaux existants est elle aussi évoquée : un socle commun d’indemnisation viendrait ainsi s’ajouter aux systèmes nationaux. La mise en place d’un tel dispositif impliquerait la création d’une cotisation sociale européenne et aboutirait, à terme, à la mise en place d’un budget européen autonome.
Ce système, plus ambitieux mais aussi beaucoup plus complexe, n’est pas sans poser des difficultés. L’instauration d’un tel dispositif nécessiterait de parvenir à l’établissement d’une définition commune des paramètres du régime de l’assurance chômage européenne (éligibilité, taux de remplacement, durée d’indemnisation, sanctions), dans un contexte où les régimes d’assurance chômage nationaux sont très disparates au sein de l’Union économique et monétaire : par exemple, la durée d’indemnisation est illimitée en Belgique alors qu’elle est de 8 mois en Italie maximum ; le taux de remplacement en fonction du salaire net lors des six premiers mois de chômage est de 90 % au Portugal alors qu’il est autour de 20 % à Malte (cf. annexe 3).
En outre, comment ce régime serait-il financé ?
Selon le modèle proposé par la direction du Trésor, le financement de ce socle commun pourrait reposer dans un premier temps sur des taux de cotisations différenciés entre les États, afin d’éviter des transferts durables entre eux du fait des taux de chômage structurel disparates ; l’assiette serait en revanche identique pour tous les États membres. Les cotisations sociales seraient modulées en fonction du niveau de chômage de l’État. Une caisse centrale serait chargée de gérer le financement de ce socle d’indemnisation avec, pour chaque État, un compte identifiant les recettes ainsi que les dépenses. Chaque année, cette caisse centrale consoliderait l’ensemble des comptes des États en une trésorerie commune, en s’endettant temporairement éventuellement lorsque la zone euro serait en période de mauvaise conjoncture.
Les auteurs de l’étude estiment qu’il n’y a pas de risque de transferts durables sur les moyen et long termes et que la neutralité budgétaire de moyen terme entre États membres serait assurée. Selon eux, sur la période 2000-2012, un tel dispositif aurait bien opéré des transferts temporaires de manière contracyclique, et aurait bénéficié, au début des années 2000, aux États du Nord de la zone euro (Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Luxembourg) et, depuis 2009, aux États du Sud (Grèce, Espagne, Portugal).
À plus long terme, l’établissement d’un régime socle complètement mutualisé pourrait être envisagé, avec un taux de cotisation unique, créant un véritable instrument de partage des risques et de redistribution. Pour éviter l’aléa moral, un tel dispositif ne pourrait être mis en place qu’après le rapprochement des performances des marchés du travail des différents États membres. En effet, dans le contexte actuel de forte hétérogénéité des marchés du travail des États membres de l’Union, un régime financé par un taux de cotisation commun générerait d’importants transferts entre États.
L’instauration d’un tel système permettrait en outre, selon ses promoteurs, de créer un mécanisme de partage des risques et de redistribution aujourd’hui absent en zone euro.
B. … MAIS NÉCESSITÉRAIT QUE SOIENT RÉGLÉES AU PRÉALABLE LES QUESTIONS FONDAMENTALES D’ARCHITECTURE DU SYSTÈME ET DE FAISABILITÉ JURIDIQUE
Encore au stade embryonnaire, la réflexion sur la création d’une assurance chômage en Europe ne peut être menée à bien sans une clarification des enjeux ; c’est à ce prix qu’un éventuel consensus sur ce sujet complexe et délicat pourra être trouvé, dans une perspective de moyen terme.
1. La crainte d’une machine technocratique qui bouleverse les modes de gouvernance et les architectures des régimes nationaux
Articuler un mécanisme européen et des régimes nationaux pose des difficultés d’harmonisation qui expliquent qu’on puisse craindre la création d’une grande machine technocratique qui n’apporterait rien aux assurances chômage nationales ni aux chômeurs. Les systèmes d’assurances chômage sont issus de négociations importantes au niveau national et sont en harmonie avec le reste des politiques d’emploi des États membres. Il est à redouter que l’assurance chômage européenne ne vienne s’immiscer dans ces systèmes nationaux stables, provoque de la confusion et perturbe le dialogue social.
Or, alors que les effets de stabilisation économique de l’assurance chômage ont été exposés précisément, l’architecture même des systèmes proposés n’a pas, étonnamment, fait l’objet d’une étude détaillée. Cela conduit à s’interroger légitimement sur la validité de modèles qui laissent de côté des aspects fondamentaux des instruments qu’ils visent à promouvoir, aspects néanmoins d’évidence décisifs dans la réussite de l’entreprise d’ensemble.
Première question essentielle : quel serait le mode de gouvernance du système ? Qui porterait le projet à la fois au niveau de l’Union et dans chaque État membre ? Quel serait l’impact de la mise en place du système sur la gouvernance des systèmes nationaux, et, plus précisément, en France, sur la répartition des rôles entre l’État et les partenaires sociaux ? Du fait des transferts importants impliqués par un tel dispositif, l’Union devrait se doter d’une représentation légitime, commune et efficace : quelle serait-elle ?
Deuxièmement, quel serait l’impact sur la nature des systèmes nationaux d’assurance chômage ? La situation actuelle se caractérise par une grande variété, à tous les niveaux : structure de financement, obligation d’affiliation du salarié, durée et montant de l’indemnisation, durée de cotisations, niveau des allocations, systèmes de gouvernance,… Il n’y a pas d’homogénéité des systèmes d’assurance chômage en Europe ; par exemple, au Danemark, le régime est entièrement volontaire et les cotisations sont entièrement supportées par les salariés, ce qui n’a rien à voir avec notre propre système (cf. annexe 3).
Dès lors, la mise en place d’un nouveau système d’assurance chômage au niveau supranational ne pourrait se faire sans la mesure préalable de son impact sur les lignes de partage traditionnelles des régimes nationaux tels que les liens entre assurance et assistance, gouvernance publique et gouvernance par les partenaires sociaux, nature et périmètre des prestations d’assurance chômage ou des prestations d’accompagnement,…
En outre, il est fort probable que la mise en place d’un nouveau système entraînerait par effet d’homogénéisation une convergence des différents systèmes nationaux. À terme, le risque de bouleversement au niveau national des équilibres politiques, des marchés du travail et des modèles de politique sociale ne doit pas être sous-estimé, ainsi que, pour les pays les plus généreux – comme le nôtre – celui d’une convergence à la baisse. Il conviendrait ainsi de se mettre d’accord au préalable sur l’objectif de cette convergence : quel est l’objectif vers lequel les systèmes nationaux devraient tendre ?
Les réticences vis-à-vis de la création d’une capacité budgétaire à des fins de stabilisation économiques sont fortes aussi du fait des transferts budgétaires qu’elle pourrait opérer entre les États de la zone, et de la crainte des États les plus vertueux – Allemagne notamment – que ces transferts ne s’opèrent toujours dans le même sens. La crainte, largement partagée en Allemagne, est que l'assurance chômage européenne provoque, d’une part, une redistribution massive en Europe que l'Allemagne devra largement cofinancer, ainsi que, d’autre part, le transfert des responsabilités à l'Union qui ne devraient pas être transférées.
Ces transferts, temporaires ou permanents, soulèvent en effet un problème d’acceptabilité politique, de nature assez similaire à celui rencontré par l’établissement d’une capacité budgétaire pour la zone euro.
Afin d’éviter des transferts structurels, il serait nécessaire d’équilibrer les cycles de transferts entre États membres – impliquant de ce fait la création d’une procédure d’identification du cycle –, d’avoir rechargé le dispositif avant d’y avoir recours ou de limiter l’usage du fonds, ce qui remettrait en cause l’intérêt même du système.
Quelle que soit la forme que prendrait la création d’une assurance chômage européenne, celle-ci nécessiterait sans doute une modification substantielle du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. À ce jour, l’Union ne dispose pas de la compétence pour mettre en œuvre une telle assurance, que ce soit pour la zone euro ou pour l’ensemble de l’Union.
En effet, aux termes de l’article 149 du TFUE, les compétences de l’Union se limitent, en ce qui concerne l’emploi, à des actions d’encouragement destinées à favoriser la coopération entre les États membres ; s’agissant de la protection sociale, elles s’arrêtent à l’adoption de directives qui fixent des exigences minimales applicables aux États membres, qui conservent, aux termes de l’article 153 du TFUE, la compétence sur les principes fondamentaux sous-tendant ces systèmes et sur leur équilibre financier.
Or, en l’état actuel du contexte européen – « Grexit » et demandes du Gouvernement Cameron notamment – aborder à nouveau la question des traités reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. Les implications institutionnelles et politiques, extrêmement lourdes, seraient en outre chronophages et phagocyteraient le débat européen au détriment de problèmes plus urgents, comme la stabilisation de l’euro notamment, qu’il convient de résoudre au plus vite.
En outre, la question du périmètre d’une éventuelle assurance chômage demeure. Faudrait-il la circonscrire à la seule zone euro, afin de lui faire jouer à plein son rôle de stabilisateur budgétaire ? Ou bien l’étendre à l’ensemble de l’Union, pour en faire un outil de convergence sociale ?
DEUXIÈME PARTIE : UN SUJET NECESSITANT DES DISCUSSIONS APPROFONDIES ET METTANT EN JEU LA QUESTION PLUS GLOBALE DE LA CONVERGENCE SOCIALE EN EUROPE
I. UN SUJET NON CONSENSUEL, UNE RÉFLEXION QUI DOIT ÊTRE APPROFONDIE AU NIVEAUX NATIONAL ET COMMUNAUTAIRE
Que ce soit au niveau européen ou au niveau des États, les positions ne sont pas arrêtées sur la question de l’assurance chômage européenne.
Le Parlement européen estime que l’assurance chômage européenne aurait pour effet de limiter les crises économiques graves, grâce à son effet stabilisateur sur les revenus des citoyens, de protéger les revenus individuels disponibles, et de réduire la pression poussant à utiliser les politiques sociales comme une variable d’ajustement. Pour approfondir son analyse, le Parlement européen a ainsi doté un projet pilote, remporté par le CEPS, d’un budget 1,8 million d’euros. Celui-ci doit faire l’objet d’un point de rendez-vous à la mi-2016 ; les discussions devraient être ensuite relancées sous la présidence slovaque, qui s’est d’ores et déjà montrée intéressée par la question.
La Commission européenne n’a pas pour l’instant fait de propositions techniques ; ses services sont dans l’attente des résultats du projet pilote. Son objectif est d’approfondir encore les discussions techniques avant de passer au niveau politique. Les services de la Commission, et notamment la direction générale des affaires économiques et monétaires, sont particulièrement impliqués dans ce projet, qui leur semble nécessaire pour la survie à court et moyen terme de l’euro.
Il convient de noter que l’assurance chômage européenne ne fait pas partie des grandes orientations de la Confédération européenne des syndicats (CES), adoptées lors de son dernier Congrès (8), contrairement à la question du salaire minimum européen ou de l’harmonisation fiscale et sociale. Pour l’heure, le sujet de l’assurance chômage reste un sujet national ; à l’échelle européenne, les revendications portent non sur la création d’un système commun d’assurance chômage, mais sur un socle de droits minimaux et sur la convergence sociale.
2. Un partenaire allemand pour l’heure opposé à ce projet, un partenaire italien à l’inverse très favorable
L’Allemagne reste encore à convaincre, notamment du fait de la peur des transferts permanents et de l’aléa moral. Du point de vue allemand, la défiance est réelle face à un sujet perçu comme porté par la France et trop poussé sous l’angle de l’Europe sociale. Les Allemands ont peur que l’argument de l’Europe sociale cache en fait la volonté des pays les moins vertueux de créer des transferts permanents à leur détriment ; c’est pourquoi ils avancent, avant la mise en place d’une assurance chômage, la nécessité de mener des politiques de l’emploi plus actives et de réformer les marchés du travail. Pour eux, la solidarité ne peut se faire sans les réformes.
De fait, ce sujet n’est pas développé dans le rapport Enderlein et Pisani-Ferry (9), remis à l’automne 2014, qui évoque en revanche la question des convergences des politiques de marché du travail et la convergence vers un salaire minimum commun.
À l’inverse, l’Italie – il est vrai infiniment plus touchée par le chômage – se montre très favorable à la mise en place d’une assurance chômage européenne. M. Pier Carlo Padoan, ministre des Finances italien, a ainsi présenté en octobre dernier au Parlement italien une ébauche de système d’assurance chômage au niveau de la zone euro, dans la ligne du projet porté par la direction du Trésor française (10). Une telle assurance est ainsi perçue tant comme un moyen de stabiliser l’euro que de créer un outil concret de solidarité sociale entre les pays membres.
a. Globalement favorables, les partenaires sociaux craignent néanmoins certains effets négatifs et s’interrogent sur la pertinence d’un tel projet
• Des syndicats globalement favorables au principe d’une assurance chômage européenne mais circonspects quant à sa faisabilité
La quasi-totalité des organisations auditionnées ont souligné que la mission de votre Rapporteur avait eu le mérite de déclencher une réflexion en leur sein sur la question de l’assurance chômage européenne, en rien prioritaire dans leurs agendas. Pour celles d’entre elles qui avaient déjà entamé une réflexion sur le sujet, celle-ci est, jusqu’à date très récente, restée assez embryonnaire, notamment car la question de l’assurance chômage demeure envisagée comme un pré carré national.
Globalement, les syndicats rencontrés se montrent favorables au principe d’une assurance chômage européenne mais s’interrogent sur sa faisabilité. Ces réserves, pour ne pas dire ces inquiétudes – notamment exprimées par FO, la CGT, la CGC-CFE et l’UNSA – concernent les points suivants :
– la réalité d’une volonté politique des pays membres : y a-t-il vraiment, au-delà du débat d’experts, une volonté en Europe de créer une assurance chômage au sein de l’Union ?
– les modalités techniques de mise en œuvre de cette assurance chômage : quelle serait sa forme ? comment serait-elle financée ? quels seraient son périmètre et les paramètres d’indemnisation ? qui serait chargé de sa gouvernance ? comment serait assuré le suivi des droits une fois que ceux-ci auraient été ouverts ?
– la place qui serait accordée aux partenaires sociaux nationaux et européens (avec, en filigrane, la question de la spécificité du paritarisme français) ;
– et, surtout, l’impact sur notre système national d’assurance chômage : comment s’assurer que la mise en place d’un tel système ne se fasse pas au détriment des assurés sociaux, notamment par le basculement de l’assurance à la solidarité ou par une pression à la baisse sur les durées ou montants d’indemnisation ? Comment être sûr qu’une telle réforme ne se traduirait pas par un bouleversement de notre modèle de protection sociale ?
Ainsi les partenaires sociaux estiment-ils pour leur majorité que la priorité pour lutter contre le chômage en Europe n’est pas de créer un « étage » supplémentaire d’assurance chômage mais plutôt de se donner les moyens de lutter contre le dumping social et de renforcer l’harmonisation entre États membres. Cela passe :
– par la coordination des systèmes nationaux d’assurance chômage, et notamment de la portabilité des droits ;
– par des actions visant à favoriser dans tous les pays l’accompagnement des chômeurs, volet décisif de l’assurance chômage, et à améliorer le service public de l’emploi à destination des chômeurs et des travailleurs précaires ;
– par des actions, enfin, en vue de favoriser la mobilité des travailleurs.
Si elle partage globalement cette analyse, la CFDT, très investie dans la gestion de l’Unédic, a une position un peu différente : non seulement l’organisation ne montre pas les mêmes inquiétudes quant aux risques que ferait courir une assurance chômage européenne sur ses prérogatives en la matière, mais, en outre, elle semble la plus motivée par ce projet. Tandis que sa commission exécutive a validé le principe de soutenir des travaux sur le sujet, l’organisation considère que ce sujet n’est pas forcément difficile pour les partenaires sociaux et souhaite pousser le débat en interne au sein de la CES.
À l’inverse, un peu seule contre tous sur ce sujet, la CFTC est, quant à elle, opposée à ce projet non pas pour des raisons techniques – même si les difficultés de mise en place du système sont indéniables – mais pour des raisons politiques : il ne lui paraît pas possible de faire confiance à la « technocratie bruxelloise » actuelle qui s’applique à ses yeux non pas à construire l’Europe sociale mais à détruire les marchés du travail. Toute intervention de l’Union dans les politiques de marché du travail ne pourrait être que négative. Ainsi, si une telle assurance était créée, la question fondamentale en la matière serait celle de la gouvernance du système, et ce alors même qu’au-delà du vocable, les « partenaires sociaux » européens n’existent pas réellement et ne sont pas réellement entendus dans les négociations européennes. Enfin, la meilleure assurance chômage européenne pour la CFTC serait de défendre les intérêts de l’Europe dans la négociation internationale par la lutte contre les concurrences déloyales en matière sociale, fiscale et environnementale.
• Un projet qui n’est pas une priorité pour les organisations patronales
Le Medef, dont la position est conforme à celle de Business Europe, estime avant tout urgent de lutter contre l’éclatement de la zone euro. Ses priorités sont donc non pas de lancer un projet certes important pour le moyen terme, mais de se donner les moyens de la préservation de l’unité et de l’intégrité de la zone euro. L’urgence est pour l’organisation de renforcer l’intégration et la convergence au sein de la zone euro, pour assurer la stabilité à long terme de la monnaie unique et une croissance renouvelée en Europe.
À cet égard, sa position sur la création d’une assurance chômage européenne semble avoir évolué. Alors qu’elle était auparavant présentée comme un moyen de la consolidation de l’euro et de sa stabilité, le Medef considère à présent que ce n’est plus une priorité, et que l’urgence est de mettre en œuvre des moyens plus rapides et consensuels de consolider l’euro et la zone euro.
De son côté, la CGPME s’interroge sur la nécessité de se lancer dans un chantier considérable et semé d’embûches, alors même qu’il est déjà difficile au niveau national de négocier les conventions d’assurance chômage et dans un contexte où les systèmes d’assurance chômage nationaux des pays d’Europe connaissent des différences marquées tant du point de vue technique que du point de vue de leur philosophie.
En France, où la question a jusqu’à présent surtout été portée par la Direction du Trésor, l’assurance chômage n’a pas encore fait l’objet d’un débat interministériel. Il n’y a donc pas de position officielle de la France sur cette question, que notre pays ne pousse pas actuellement dans les négociations internationales. Loin de nier la nécessité de stabiliser l’euro, les autorités françaises souhaitent favoriser en priorité la relance de l’investissement et l’approfondissement du plan Juncker. Le débat sur l’assurance chômage européenne est toutefois vivant au sein des différents ministères, dont les positions ne sont pas encore officiellement tranchées. Un consensus se fait jour sur la nécessité de réfléchir à ce sujet, qui viendra nécessairement à court ou moyen terme sur la table des négociations européennes.
Encore au stade embryonnaire, le sujet de l’assurance chômage pourrait toutefois être un projet européen de moyen terme auquel il faut donc réfléchir tant au niveau européen qu’au niveau national, pour être prêt, le cas échéant, à faire prévaloir un point de vue éclairé. C’est d’ailleurs ce que font nos partenaires Allemands, qui, bien qu’ils soient pour l’instant opposés à ce projet, ont une position éclairée et structurée sur la question.
Nous avons donc intérêt à travailler ce sujet en profondeur à l’échelle nationale avant toute mise sur la table des négociations européennes. Il convient ainsi d’explorer toutes les options et régler les questions techniques et politiques avant toute discussion au niveau européen, tout en gardant en tête la particularité de notre système d’assurance chômage. Le système français est le seul en Europe à connaître un vrai paritarisme ; il faut ainsi mesurer toutes les implications d’un tel projet pour notre système, atypique dans sa gouvernance et parmi les plus protecteurs d’Europe.
L’avis et la position des partenaires sociaux en France sont ainsi décisifs car rien ne pourra se faire sur ce sujet sans eux. Toutes les questions techniques doivent donc être abordées avec eux, notamment en ayant à l’esprit que l’assurance chômage ne se limite pas aux prestations mais concerne aussi toutes les politiques d’accompagnement des chômeurs.
Au niveau européen, la création d’une assurance chômage ne pourra aboutir que si l’on trouve un consensus, et devra donc se dérouler, après les débats d’experts, dans la bonne enceinte institutionnelle.
Par ailleurs, il sera sans doute nécessaire, au préalable :
– de faire porter les discussions sur la convergence des systèmes en définissant des paramètres cibles (taux de cotisation, durée, etc.) qui pourraient, le cas échéant, être établis dans un premier temps pour un groupe de pays volontaires (par exemple : Allemagne, France, Italie, Espagne). Des convergences spontanées sont d’ailleurs déjà à l’œuvre (l’Italie s’est ainsi récemment inspirée de l’Allemagne pour sa réforme des retraites) ;
– d’avoir moins d’écart de productivité entre les pays et de limiter les opportunités de concurrence déloyale entre les pays de l’Union (dans les États fédéraux, les marchés de biens et de capitaux sont des marchés uniques mais il n’y a pas de concurrence sur les normes liées au travail) ;
– et, plus largement, de mettre en place les conditions d’une réelle convergence sociale, en matière de salaire minimum, de retraites, et de politique de marché du travail au sens large (temps de travail, normes de santé et de sécurité) ainsi que d’une réelle portabilité des droits.
Tout cela pourrait se faire via un « serpent », à l’image du serpent monétaire européen qui a précédé l’euro.
II. UN SUJET QUI MET EN JEU LA QUESTION PLUS GLOBALE DE LA CONVERGENCE SOCIALE EN EUROPE ET DE LA RELANCE DE L’EUROPE SOCIALE
Si, historiquement, la construction européenne a été de pair avec la convergence socio-économique, un phénomène inverse de divergence est à l’œuvre depuis la crise de 2008. La crise a en effet creusé les écarts socio-économiques et d’emploi en Europe, notamment entre le Nord et le Sud.
Bien que les taux de chômage aient, selon Eurostat, légèrement baissé depuis août 2013 – baisse de 12 à 11,8 % de mars 2013 à mars 2014 hors Lettonie – la zone euro demeure marquée par le chômage de masse. Seules l’Allemagne et l’Autriche semblent épargnées, alors que les pays du Sud voient les chiffres du chômage s’envoler, notamment pour les jeunes.
Si le taux de chômage le plus faible a été enregistré en Autriche (4,9 %), les plus forts l’ont été en Grèce (26,7 %) et en Espagne (25,3 %). Celui-ci était en France de 10,4 % en mars 2014, de 5,1 % en Allemagne, de 6,5 % au Danemark, de 11,8 % en Irlande, de 9,6 % en Pologne, et de 15,2 % au Portugal.
Les jeunes payent par ailleurs un très fort tribut au chômage qui sévit actuellement en Union européenne en général, et dans la zone euro en particulier. En mars 2014, 22,8 % des moins de 25 ans étaient au chômage en Union européenne soit 5,34 millions de personnes ; 53,9 % des jeunes Espagnols étaient au chômage ainsi que 56,8 % des jeunes Grecs, contre seulement 7,8 % des jeunes Allemands.
À cela s’est ajoutée une désinflation massive des salaires, due à la baisse des coûts salariaux dans les pays du Sud de l’Europe, les plus durement touchés par la crise. Les salaires en Espagne – marquée par un chômage massif – ont baissé de plus de 7 % entre 2010 et 2012. De même les salaires baissent-ils en Grèce de 3 % par an depuis 2012. Le risque est à présent que la désinflation salariale s’étende à toute l’Europe et que la zone bascule dans la déflation généralisée.
La zone euro est devenue celle du chômage de masse. La nécessité de convergence économique n’en est que plus forte, pour éviter que la modération salariale et le chômage ne servent de variable d’ajustement en cas de choc asymétrique et en l’absence de l’instrument de change.
2. La convergence sociale est un objectif nécessaire pour parachever l’Union économique et monétaire
Dans un contexte d’interdépendance des États de l’Union européenne du fait du marché unique, et de la monnaie unique pour la zone euro, la dispersion des performances entre les États membres est problématique. Alors que l’Union économique et monétaire est encore incomplète, il convient de lutter contre les écarts de compétitivité ; car si l’UEM est assortie d’une politique monétaire, les politiques budgétaires sont inefficaces en raison d’un manque de coordination.
Comme l’a rappelé le rapport des cinq présidents, qui a exposé les principales mesures nécessaires pour parachever l'UEM en 2025 au plus tard, l’objectif de long terme de l’intégration de l’Union européenne est ainsi la convergence.
Afin de mieux gérer l’interdépendance entre les États, le rapport suggère ainsi de :
– mener à bien les réformes des marchés du travail et des environnements économiques ;
– garantir la cohésion sociale ;
– coordonner les politiques fiscales et lutter contre l’évasion fiscale.
Il s’agit d’aboutir, comme l’a déclaré le président Juncker lors de son investiture, à ce que « l'Europe ait le triple A social, qui est aussi important que le triple A économique et financier ». Cela signifie en particulier que les marchés du travail et les systèmes de protection sociale doivent fonctionner correctement et être viables dans tous les États membres de la zone euro. L'amélioration des marchés du travail et des performances dans le domaine social, ainsi que le renforcement de la cohésion sociale, devraient être au cœur du nouveau processus de « convergence vers le haut » présenté dans le rapport des cinq présidents.
Il apparaît ainsi que la priorité est d’abord de régler la question de la convergence du marché du travail avant de mettre en place une assurance chômage européenne, qui doit toutefois demeurer présente dans les esprits en tant qu’objectif de second temps. Quoi qu’il en soit, la mise en place d’une assurance chômage européenne ne pourra se faire sans coordination des politiques de l’emploi et des politiques sociales au sens large.
Bien qu’elle soit un principe fondamental du droit européen, la mobilité des travailleurs en Europe demeure limitée du fait d’un nombre important de barrières. On estime que seulement 3 % de la population active de l’Union travaille hors de son pays d’origine, soit 10,3 millions d’actifs pour une population active de 331 millions de personnes. Cette mobilité est de plus en plus le fait de travailleurs issus des nouveaux pays membres, attirés par les différentiels de salaires et de niveaux de vie ; elle se couple avec un phénomène de mobilité de courte durée et de recours au travail détaché – l’Union comptait 1,5 million de travailleurs détachés en 2012.
La mobilité des travailleurs, si elle est parfois décriée – on se souvient de l’affaire du « plombier polonais » – est aussi un facteur d’ajustement des marchés du travail nationaux. Pourtant, outre la barrière de la langue, nombreux sont les obstacles à cette mobilité : problèmes de reconnaissance des qualifications professionnelles dans de nombreux secteurs, professions réglementées au niveau national, problèmes de portabilité des droits sociaux – notamment des retraites –, difficulté d’accès à l’information dans les pays autres que le pays d’origine.
Un pas important et préalable à la constitution d’une assurance chômage européenne pourrait être la simplification et l’harmonisation de la portabilité des allocations chômage. La Commission européenne a annoncé qu’elle allait étendre de trois à six mois la portabilité de ces allocations ; à l’heure actuelle, celles-ci sont garanties pendant trois mois et peuvent être versées pendant six mois à l’appréciation de l’organisme qui verse les prestations du pays d’accueil (cf. annexe 5). Au-delà du délai de maintien des indemnités, il conviendrait toutefois de s’interroger aussi sur les modalités de calcul de celles-ci. En effet, dans le système actuel, les institutions des États membres qui servent les prestations le font, aux termes du règlement CE no 883/2004 du Parlement européen et du conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, selon la législation qu’elles appliquent et à leur charge. Ainsi, le salaire retenu pour le calcul de l'allocation par Pôle emploi est établi, si le salarié a travaillé à son retour de France, sur la base des seules rémunérations perçues en France après le retour d'expatriation dans l'Espace Économique Européen ou en Suisse. Les rémunérations perçues au titre d’une activité exercée dans un autre État de l'espace économique européen ou en Suisse ne sont donc pas prises en compte pour le calcul de l’allocation, mais uniquement pour déterminer la durée de celle-ci. En outre, si le salarié n’a pas travaillé après son retour, il touche une allocation forfaitaire ne tenant pas non plus compte des revenus qu’il percevait à l’étranger. Dans bien des situations, ces modalités de calcul sont défavorables aux salariés, et perçues comme injustes et pénalisantes.
2. Doter l’Union européenne d’un Eurogroupe social capable de porter les projets communs nécessaires à la survie de l’euro
La crise de 2008 a amené les États membres de la zone euro à se doter des instruments d’une meilleure gouvernance économique, mais la gouvernance sociale a été laissée pour compte. La dimension sociale de l’UEM doit pourtant nécessairement être prise en compte et renforcée pour assurer l’avenir de l’euro. Le rôle des ministres du travail et des affaires sociales européens pourrait être accru si était créé un Eurogroupe social se réunissant avant les sommets de l’euro et capable de porter des projets communs tels que l’assurance chômage européenne, mais aussi le salaire minimum européen, autre élément décisif de la convergence sociale européenne. Comme l’a déclaré le président de la République devant le 13ème congrès de la Confédération européenne des syndicats (CES), « il y a une convergence pour la compétitivité, il y a une convergence pour les déficits publics, il faut qu'il y ait aussi une convergence en matière de droits sociaux, en matière de salaires, en matière de protection sociale. »
Faut-il, pour atteindre un objectif économique, utiliser un instrument social au risque de le déstabiliser ? Bien que l’assurance chômage européenne soit présentée comme un moyen d’incarner l’Europe sociale, cet objectif ne vient qu’en seconde intention, après la nécessité de trouver un stabilisateur économique efficace pour la zone euro. Ceci est particulièrement clair dans les nombreuses publications et discours sur ce thème. Cela ne signifie pas que l’argument social soit un leurre, et ne remet pas en cause l’honnêteté de la démarche dans son ensemble. Cela n’enlève rien non plus à l’argument selon lequel l’inscription à l’agenda européen de la création d’une assurance chômage européenne susciterait le débat et serait l’occasion de donner un contenu concret et positif aux discussions sur l’Europe sociale.
Toutefois, il est permis de s’interroger sur la méthode, qui revient à utiliser un outil certes économique, mais qui relève avant tout de la politique sociale et concerne un public particulier – les chômeurs – à des fins de stabilisation de la zone économique euro et de création d’un outil budgétaire pour la zone.
D’autres outils de stabilisation peuvent répondre au même objectif sans pour autant prendre le risque de déstabiliser les systèmes nationaux d’assurance chômage qui fonctionnent globalement correctement, et même, pour ce qui est du cas particulier de notre pays, avec une réelle d’efficacité.
En parallèle, donner du sens à l’Europe sociale peut se faire via une multitude d’autres instruments, et notamment, par la définition de socles minimaux communs, pour l’assurance chômage tout comme pour le droit du travail ou tous les autres domaines relevant de la politique sociale.
En réalité, ce n’est pas l’objectif du projet qui est critiquable mais sa méthode de présentation ; le débat sur l’assurance chômage doit en effet impérativement être relancé et soutenu tant au niveau européen qu’au niveau national, sauf à souhaiter l’éclatement de la zone euro et peut-être même de l’Union européenne.
En premier lieu, nous ne devons pas nous cacher que nous sommes au milieu du gué et qu’il ne nous est pas possible de nous contenter du statu quo. L’Europe est dotée d’une monnaie unique mais non d’un véritable budget commun. Depuis 2008, la crise de la zone euro a mis en lumière son incomplétude : les réformes entreprises – semestre européen, Union bancaire, mécanisme de supervision unique, mécanisme européen de stabilité (MES), two-pack et six-pack, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) – demeurent incomplètes et l’Union et surtout la zone euro n’ont toujours pas de capacité budgétaire commune. La nécessité de doter la zone euro d’un outil de stabilisation est réelle et l’assurance chômage européenne serait un premier pas vers un fédéralisme budgétaire essentiel.
En second lieu, l’Europe a besoin de renouer avec la convergence et notamment la convergence sociale. Nous ne pouvons pas rester dans la situation actuelle, avec une Europe perçue comme ultralibérale et uniquement contraignante. Porter l’assurance chômage européenne, c’est aussi donner corps à l’Europe sociale, au-delà des discours convenus sur la dimension sociale de l’UEM ou la nécessité de rendre l’Europe plus sociale. Une assurance chômage européenne serait concrète, palpable pour nos concitoyens ; ce serait un vrai instrument de solidarité européenne.
L’assurance chômage européenne ne pourra toutefois voir le jour qu’à moyen terme, deux avancées majeures doivent être engagées au préalable :
– d’une part, la construction d’une vraie législation sociale européenne, qui prenne en compte tous les aspects de la vie des travailleurs, que ce soit le temps de travail, le salaire minimum, ou encore la lutte contre la fraude au travail détaché. Il faut affronter clairement la question de la convergence du droit du travail européen ;
– d’autre part, et c’est intimement lié, un débat sur un prélèvement social européen, qui ne doit plus être éludé, et qui pourrait être de l'ordre d'une cotisation directe sur les salaires plutôt que d'une contribution fiscale sur les revenus.
Votre rapporteur est convaincu qu'une telle démarche est nécessaire pour sauver le projet européen. Certes, l’assurance chômage européenne ne verra pas le jour à très court terme, pour toutes les raisons évoquées précédemment ; ce n’est pas pour cela qu’il faut s’abstenir de porter ce projet et d’y croire. Il faut en revanche clairement se positionner et en affirmer sans ambiguïté les ambitions, pour éviter toute suspicion inutile ou tout malentendu, que ce soit au niveau national ou chez nos partenaires européens.
La Commission s’est réunie le 19 janvier 2016, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.
L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.
« La Présidente Danielle Auroi. Merci pour ce rapport dont on voit bien l’importance aujourd’hui. Je voudrais ajouter deux mots relatifs à ce sujet épineux et attirer votre attention sur ce qui se passe actuellement au forum de Davos, où l’on évoque les réflexions actuelles autour du fractionnement du salariat et les nécessités de développer de nouvelles réponses face aux évolutions de l’emploi dans les années à venir. Effectivement, les réflexions que nous menons au sein de notre commission, aujourd’hui sur l’assurance chômage européenne, demain sur le salaire minimum européen, sont bienvenues et devront être suivies aussi de la question du revenu minimum d’activité. Il nous faut trouver de nouvelles réponses. Il est quand même assez étonnant que ce soit à Davos que Philippe Aghion, professeur d’économie à Harvard, lance le débat sur le revenu minimum d’activité… Rappelons que, il y a quelque temps, poser cette question paraissait totalement utopique : les temps changent. Il est important de se poser les bonnes questions pour construire l’Europe sociale et non uniquement sauver la zone euro. À l’heure actuelle, l’Union européenne est attaquée de toutes parts. La construction européenne, et notamment sociale, doit repartir. Ces sujets sont imbriqués et nécessaires, même si nous sommes dans une réflexion de moyen terme.
M. Arnaud Richard. Je salue le travail du rapporteur et l’honnêteté qui est la sienne de nous avoir fait part de ses doutes. L’assurance chômage européenne est une idée française, d’économistes, qui mêle considérations économiques et sociales. C’est un aspect de l’Europe qui nous importe beaucoup. Je partage l’avis du rapporteur sur le caractère très entremêlé du sujet et sur le fait que sa mise en œuvre puisse être compliquée. Laisser échapper aux partenaires sociaux la gestion de l’assurance chômage paraîtrait pour le moins délicat. En outre, cela signifierait la création d’une nouvelle administration, ce qui aurait un coût que les Français ne seraient sans doute pas disposés à accepter. Enfin, se poser cette question revient à dire qu’on n’a pas de réponse à la nécessité d’harmonisation du droit du travail en Europe ; comme l’a très bien dit la Présidente, la problématique sur le fractionnement du salariat est réelle. Ce sont des bruits faibles, mais sur lesquels il faut effectivement se poser beaucoup de questions. N’oublions pas que notre système d’assurance chômage est très favorable, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. Le risque est de tirer les « avantages acquis », comme disait François Mitterrand, vers le bas. Il faut faire attention à cette « bonne idée » qui n’en est peut-être pas une.
M. Philippe Armand-Martin. Merci au rapporteur pour ce travail important. Avez-vous rencontré les partenaires sociaux de tous les États membres de l’Union ? Avez-vous l’avis des partenaires sociaux des autres États membres ? L’assurance chômage est une réponse au chômage en Union européenne. Mais cela pose problème, notamment en termes de gouvernance. Les exemples de cohérence et de cohésion en matière économique et sociale en Union européenne ne sont pas légions, nous le savons bien ; pouvez-vous dans ce contexte nous préciser les raisons de croire à un tel projet et surtout les délais d’une mise en œuvre effective, qui va être très difficile ? Enfin, quels sont les États qui seraient favorables ?
Mme Chantal Guittet. Merci au rapporteur car il défriche une nouvelle piste, ce qui est aussi notre rôle. J’ai une question sur le troisième modèle : est-ce qu’on aurait un prélèvement social ad hoc ? Quel serait le mode de financement ? En outre, quelle est l’articulation avec le revenu minimum universel, débat qui monte actuellement, notamment en Finlande ?
M. Marc Laffineur. Merci au rapporteur, qui nous permet de travailler sur un sujet qui montre la réalité de l’hétérogénéité de l’Union. Les Irlandais par exemple indemnisent tous les chômeurs à 150 euros par semaine pendant six mois. L’harmonisation va être compliquée… En outre, deux systèmes, cela signifie deux administrations ; cela me paraît difficile. Je crois beaucoup au fédéralisme, mais je ne pense pas que ce projet soit la priorité. D’ailleurs, le rapport montre bien toutes les réticences qui pourront se faire jour.
M. Philip Cordery. Je me réjouis car nous avons des propositions concrètes sur la table en matière d’Europe sociale : c’est important. On voit la nécessité d’aller plus loin en termes de convergence salariale, fiscale, des droits du travail. L’harmonisation ne doit pas être que monétaire. Je pense que cette proposition est bonne : elle allie la stabilisation économique et la concrétisation de l’Europe sociale. Le rapporteur a souligné les difficultés, réelles ; mais ce n’est qu’un socle ! Il n’est pas question de transférer toute l’assurance chômage à l’Union européenne. Je serai heureux de bientôt finaliser le rapport sur le salaire minimum européen, qui est complémentaire.
M. Jacques Myard. Ce rapport a une vertu : celle du contre-exemple. C’est exactement ce qu’il ne faut pas faire. L’Union européenne est hétérogène et nous ne pouvons pas converger : vouloir à tout prix avoir des économies qui convergent de manière doctrinaire est dramatique. Ce n’est pas ça, l’Europe ! Tout comme avec l’euro, vous êtes en train de gérer l’Europe de manière idéologique et doctrinaire. Vouloir lier cette question à l’euro : les bras m’en tombent ! En réalité si vous voulez sauver l’Europe, il faut lui laisser avoir de la diversité. Cela ne signifie pas qu’on ne puisse pas avoir de nombreux échanges, comme on l’a fait en matière de sécurité sociale, qui est réglée de manière pragmatique. Si vous voulez améliorer le sort des travailleurs en Europe, commencez par régler le problème de la directive sur le détachement des travailleurs !
Mme Estelle Grelier. Merci au rapporteur, qui a pris le risque de porter ce sujet difficile avec de faibles chances d’aboutir. L’Europe sociale suscite des attentes légitimes, il faudra faire attention aux déceptions à la hauteur des attentes suscitées… Les déceptions ont été fortes sur la question de l’allongement du congé maternité, sujet dont on parle depuis 2011 et qui n’a toujours pas abouti. En matière d’Europe sociale, il nous faut un cadre, un calendrier, des chances d’aboutir sur les sujets.
Mme Isabelle Bruneau. Merci pour ce rapport complet et détaillé qui porte l’amorce d’une convergence sociale qu’on attend depuis des années. Cette idée est une bonne idée, mais qui appelle des réserves quant à sa forme. L’acceptation par l’ensemble des pays européens ne va-t-elle pas être assujettie à une flexibilisation des marchés du travail ? Ne va-t-on pas réduire les durées d’indemnisation et aller vers un système d’indemnisation a minima ? Notre pays est le plus protecteur, ce projet est risqué pour nous, comme l’a souligné notre collègue Marc Laffineur.
M. Jean-Patrick Gille, rapporteur. Je constate, qu’au-delà des sensibilités politiques, les interrogations sont convergentes. Je précise que nous avons fait le choix d’un rapport court – pour qu’il soit lu et pédagogique – et vous serez peut-être déçus de ne pas avoir un comparatif détaillé entre les pays. J ’ ai beaucoup hésité avant de me faire une opinion, et je suis d’accord avec Jacques Myard sur le fait que c’est une question politique : quel modèle veut-on ? Souvent en Europe, parce que c’est compliqué à 28 ou à 19, on invente un objet qui est un peu complexe et technocratique, en pensant que les convergences et les harmonisations se feront – elles ne se font pas nécessairement ou alors dans la douleur. Ce n’est pas la bonne démarche. Il faut inverser les choses et au contraire clairement poser les débats. Je comprends des interventions que je n’ai peut-être pas assez exposé – et peut-être pas assez traité dans mon rapport – l ’ élément suivant. Il faut avoir en tête que, dans la plupart des pays, l’assurance chômage ne fonctionne pas comme chez nous : elle repose en premier lieu sur un socle, qui garantit un minimum, et, ensuite, sur une assurance chômage. En France, c’est l’inverse, le socle – l’ASS – arrive en fin de droits. Il faut avoir ce modèle-là en tête pour comprendre la problématique européenne. C’est pour nous que le socle serait le plus compliqué. Bien sûr, et je rassure à cet égard notre collègue Richard, les partenaires sociaux en France continueraient à gérer l’assurance chômage au niveau national ; les politiques nationales demeureraient, mais il y aurait un socle européen. Ce n’est pas le moment d’inquiéter les partenaires sociaux ! Tout individu bénéficierait d’un socle forfaitaire. Ce socle serait lié au niveau des revenus du pays, et serait déterminé en fonction du salaire minimum de chaque pays ou du salaire médian de chaque pays – et le lien avec la question du salaire minimum européen est évident ; l’assurance nationale viendrait en plus. Rassurez-vous, monsieur Myard, chaque pays continuerait de piloter sa politique d’assurance chômage : nous n’envisageons pas un système d’égalitarisme soviétisant ! Je ne dis pas que les économies doivent converger, mais je constate, au contraire, que – et nous ne l’avions pas prévu – l’euro, que l’on pensait être un instrument de convergence, a en réalité renforcé la divergence entre les économies, entraînant une sorte de division du travail entre les pays de la zone. Cela pose de vrais problèmes, notamment de dumping social et de déplacement des travailleurs. Si on veut maintenir la stabilité de la zone euro, il nous faut des régulateurs. Les États-Unis, pays libéral par excellence, ont ce genre de système, avec l’État fédéral qui vient soutenir l’État fédéré en cas de problème. Il n’y a pas, monsieur Myard, la lumière d’un côté, et l’obscurité dogmatique de l’autre.
Comme je vous l’ai dit, les partenaires sociaux sont très ouverts sur ce sujet ; la CFDT notamment est à la pointe du combat sur ce sujet-là. L’enjeu est de construire l’Europe du travail – je n’ose dire des travailleurs. Concernant nos partenaires, on a vu les Allemands extrêmement au point et avec un discours homogène que ce soit au niveau du patronat, des syndicats ou du Gouvernement. Le discours est partout le même, y compris dans le déroulement du raisonnement. Ils ne croient pas à ce projet, mais ont travaillé pour opposer des arguments. Il y a un consensus sur le fait que la France, avant de porter ce sujet, doit d’abord améliorer ses finances publiques et le fonctionnement de son marché du travail, et par ailleurs, sur l’idée que la priorité est dans l’investissement. Il faut comprendre aussi que le sujet n’a pas la même résonance en Allemagne qu’en France, où les dépenses d’assurance chômage sont deux fois supérieures en valeur absolue aux dépenses outre-Rhin ; la France collecte 32 milliards et en dépense 37, l’Allemagne collecte et dépense 16 milliards, avec une population active plus importante. Cela s’explique par les différences de taux de chômage et d’indemnisation. L’assurance chômage en Allemagne n’a ni le même poids dans l’économie, ni le même rôle qu’en France ; l’approche du sujet et le raisonnement y sont différents.
Pourquoi y croire ? C’est vrai que c’est un vaste sujet… mais je suis convaincu que ce n’est pas une question de croyance mais une question politique. Je pense, comme Européen convaincu, qu’il faut prendre ce sujet au sérieux. Il faut aller à la Commission européenne pour voir leur forte inquiétude sur la fragilité de la zone euro et la nécessité de trouver une réponse pour assurer sa pérennité... Or, l’assurance chômage, avec seulement 0,5 % du PIB – et non 10 % comme pour un vrai budget – aurait un réel effet de stabilisation, et sans la complexité et le caractère technocratique de mécanismes tels que le MES… C’est là tout l’intérêt du dispositif. L’Italie, comme la Slovénie, l’ont compris et sont allantes sur cette question.
Pour répondre à Mme Guittet, l’idée est bien d’avoir un socle européen, forfait par pays indexé sur le salaire minimum ou le salaire médian, et puis un complément qui serait régi par les systèmes nationaux. Je pense – c’est mon idée et non celle du Trésor – que le socle devrait être assis sur une cotisation européenne.
La question de la convergence par le bas, évidemment, inquiète tout le monde ; mais de toute façon la convergence se fera, et nous risquons de la subir. Il vaut mieux l’organiser. Je partage vos interrogations et vos inquiétudes, mais ces processus sont déjà en train de se dérouler. Comment faire une zone économique commune sans un minimum de règles sociales et de droit du travail en commun ? On voit bien cette difficulté avec les problèmes liés aux travailleurs détachés. Nous ne sommes pas par principe contre ces travailleurs, et nous en avons beaucoup en France ; mais les fraudes sont nombreuses et possibles car nous n’avons pas d’harmonisation sociale ! Par rapport à ces problématiques, très prégnantes, et notamment dans notre pays, la seule solution est d’aller vers une harmonisation des règles qui concernent les salariés. Une forme d’assurance chômage dont une partie serait commune à l’ensemble de l’Europe est aussi à cet égard un début de réponse.
La Présidente Danielle Auroi. C’est d’ailleurs ce que dit le Président Juncker : l’absence de construction d’Europe sociale porte en germe l’éclatement de l’Union. Nous attendons maintenant le rapport de notre collègue Philip Cordery, et, si même à Davos on s’interroge sur le revenu minimum, c’est le signe que les positionnements évoluent. Il faudra faire le point lorsque vous présenterez votre proposition de résolution sur l’Europe sociale. »
ANNEXE NO 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR
À Paris
- M. Renaud Lassus, chef du Service des politiques macroéconomiques et des affaires européennes et M. Arthur Sode, Bureau Union économique et monétaire, direction générale du Trésor ;
- M. Xavier Timbeau, Directeur principal, Observatoire français des conjonctures économiques ;
- MM. Thierry Chopin et Alain Fabre, Fondation Robert Schuman ;
- Mme Isabelle Grandgérard, directrice-adjointe des affaires juridiques, et M. Guillaume Foki, chargé de mission, Unédic ;
- M. Bruno Coquet, Conseiller, Président de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ;
- Mme Marguerite Moleux, Conseillère « Relations avec les branches et les entreprises, affaires européennes et internationales », cabinet de M. François Rebsamen, ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social ;
- M. Stéphane Saurel, Directeur du Cabinet du Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, ministère des Affaires étrangères et du Développement international ;
- M. Éric Aubin, Secrétaire confédéral de la CGT ;
- M. David Déloye, conseiller technique assurance chômage, FO ;
- MM. Antoine Foucher, Directeur général adjoint en charge des affaires sociales et Pierre-Matthieu Jourdan, chargé de mission senior à la direction des relations sociales, et Mme Garance Pineau, directrice adjointe à la direction des relations sociales, MEDEF ;
- Mmes Véronique Descacq, Secrétaire générale adjointe, et Samira Bouzebra, Secrétaire confédérale, CFDT ;
- MM. Christophe Lefevre, Secrétaire nationale en charge de l’Europe et de l’International, vice-président, Franck Mikula, en charge de l’emploi et de la formation, et Franck Boissart, conseiller technique, CFE-CGC ;
- MM. Joseph Thouvenel, vice-président, et Michel Charbonnier, conseiller politique, CFTC ;
- M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales et Mme Béatrice Brisson, responsable des Affaires européennes et internationales, CGPME ;
- Mme Émilie Trigo chargée de mission Europe, International, Jeunes, Droits et libertés, UNSA ;
- Mmes Claire Rabes, Conseillère parlementaire et Marianne Cotis, Conseillère diplomatique, cabinet de Myriam El Khomri, ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social ;
- Mme Laurence Boone, conseillère économique du Président de la République.
À Bruxelles
Commission européenne — direction générale de l'emploi, des affaires sociales et de l'inclusion : MM. Nicolas Gibert-Morin, chef de l'unité « analyse de l'emploi » et Olivier Bontout, chargé des analyses socio-économiques ;
Commission européenne — direction générale des affaires économiques et monétaires : Mme Elena Flores ; directrice chargée de la stratégie et de la coordination politique et M. Éric Ruscher, chef de l'unité chargé de la macroéconomie de la zone Euro ;
CEPS (Center for European Policy Studies) : Mme Ilaria Maselli, chargée de recherche, unité emploi et qualifications ;
Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne : Mme Annie Guyader, conseillère, chef du service emploi, politique sociale et santé et M. Romain Rideau, conseiller auprès du service des affaires économiques et monétaires.
À Berlin
- M. Philippe Etienne, Ambassadeur de France en Allemagne ;
- M. Sebastian Dullien, Professeur à la FHTW Berlin ;
BDA : Mme Renate Hornung-Drauss, directrice du service Union européenne et politique sociale internationale, et son conseiller M. Max Conzemius ; M. Oliver Perschau, directeur du service macroéconomie, finances et fiscalité ; Mme Helena Schmechel, service marché du travail ;
Chancellerie fédérale : M. Franz Neueder, représentant permanent de Dr. Nikolaus Meyer-Landrut, direction politique européenne à la Chancellerie fédérale ;
DGB : M. Adamy, directeur du service politique de l’emploi ;
Bundestag :
- commission des Affaires sociales et du travail :
SPD : le député M. Matthias Bartke, la députée Mme Daniela Kolbe ;
DIE LINKE : le député M. Matthias Birkwald et la députée Mme Aziza Tank ;
B 90/GRÜNE : le député M. Wolfgang Strengmann-Kuhn ;
- commission des Affaires européennes : le député M. Norbert Spinrath (SPD) et la députée Mme Angelika Glöckner (SPD).
ANNEXE NO 2 :
LE SEMESTRE EUROPÉEN ET SES PROLONGEMENTS
Mis en place en 2011, le semestre européen a pour objectif de faire dialoguer la Commission, chargée du respect du pacte de stabilité et de croissance, .et les États membres tout au long de leur processus d'élaboration budgétaire.
En octobre, les États membres présentent leurs projets de plans budgétaires pour l’année suivante. En novembre, la Commission émet un avis sur chacun d’entre eux. Elle évalue si les projets sont conformes aux exigences du pacte de stabilité et de croissance. En février, la Commission publie une évaluation économique unique par État membre, qui analyse la situation économique et les programmes de réforme de chaque pays et, en fonction des conclusions du rapport sur le mécanisme d’alerte, les éventuels déséquilibres à corriger. En mars, le sommet de printemps du Conseil européen fait le point sur la situation macroéconomique globale et sur les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs de la stratégie Europe 2020. Il propose également des orientations concernant les réformes budgétaires, macro-économiques et structurelles. En avril, les États membres présentent leurs programmes de stabilité ou de convergence, qui visent à garantir la viabilité de leurs finances publiques, ainsi que les réformes et les mesures destinées à progresser sur la voie d'une croissance intelligente, durable et inclusive, dans des domaines tels que l'emploi, l'éducation, la recherche, l'innovation, l'énergie et l'inclusion sociale (programmes nationaux de réforme). En mai, la Commission adresse au besoin des recommandations par pays. Ces recommandations fournissent des orientations politiques adaptées à chaque État membre dans des domaines considérés comme prioritaires pour les 12 à 18 mois suivants. Le Conseil examine ces recommandations et le Conseil européen les approuve. Les États membres reçoivent ainsi des orientations politiques avant de finaliser leurs projets de budget pour l'année suivante. Enfin, fin juin ou début juillet, le Conseil adopte formellement les recommandations par pays.
Des avertissements politiques peuvent être adressés si les recommandations ne sont pas exécutées dans les temps. Des mesures incitatives et des sanctions peuvent également être prises en cas de déséquilibres macro-économiques et budgétaires excessifs. Afin de mettre en œuvre les mesures nécessaires et de susciter une large adhésion, une collaboration étroite est maintenue avec le Parlement européen, les organes consultatifs européens (Comité des régions et Comité économique et social européen) et les États membres. Elle prend notamment la forme de missions d'information et de réunions bilatérales entre les autorités nationales et la Commission. Quant aux parlements nationaux, aux partenaires sociaux, aux régions et aux autres parties concernées, ils sont également pleinement associés à cette coopération.
Source : Commission européenne
Source : Commission européenne
ANNEXE N°3 : DONNÉES COMPARATIVES DE L’UNEDIC SUR L’ASSURANCE CHÔMAGE DANS DOUZE PAYS EUROPÉENS
TABLEAU DES DONNÉES COMPARATIVES SUR L’ASSURANCE CHÔMAGE
DANS 12 PAYS D’EUROPE
Situation au 1er juillet 2012
Source : UNEDIC – Europ’info – juillet 2012.
ANNEXE N°4 : TRIBUNE COMMUNE CFDT, CFTC, CFE-CGC, MEDEF SUR LA STABILISATION DE L’EURO
Déclaration commune
Maintenir et accroître le niveau de vie des Européens dans la mondialisation par le renforcement de l’intégration et de la solidarité européenne
Le XXème siècle a signé deux fois la fin de la domination du monde par l’Europe. Une première fois avec les deux Guerres Mondiales, qui ont redistribué les cartes de la puissance politique et militaire. Une deuxième fois avec la mondialisation, qui bouleverse les anciens équilibres économiques Nord-Sud. Politiquement et économiquement, le monde n’est plus dominé par les Européens et le sera de moins en moins.
La construction européenne exprime la nécessité pour les Nations européennes de s’unir pour maintenir leur rang dans le monde et préserver, si ce n’est accroître, le niveau de vie de ses citoyens et de leurs descendants. Divisés, les pays européens sont condamnés au déclin, quelle que soit la situation de chacun d’entre eux aujourd’hui. Unis, ils peuvent prolonger leur histoire commune et écrire un nouveau chapitre de prospérité et de bien-être.
Le choix d’une monnaie commune, depuis 1999, fut l’un des actes politiques les plus forts depuis le début de l’intégration. L’euro a permis, comme jamais auparavant dans l’histoire européenne, une multiplication des échanges entre Européens, la protection des États contre les attaques spéculatives des marchés, la mise en place d’un contrepoids face à la domination écrasante du dollar.
Mais, tel que conçu par le Traité de Maastricht, l’euro a aussi favorisé des déséquilibres économiques intra-européens. Privant les pays de l’instrument monétaire, neutralisant le risque de change, il a logiquement facilité une spécialisation productive croissante des Etats, poussant certains vers des activités fortement exportatrices, notamment industrielles, et d’autres vers des productions moins porteuses dans les échanges.
S’est ainsi installé, en moins de dix ans, un déséquilibre jusqu’alors inconnu des balances des paiements, qui a creusé l’endettement des uns et dopé les excédents des autres. Telle est la cause la plus profonde de la crise des dettes souveraines en Europe.
Cette crise, qui est apparue au grand jour en 2010, est loin d’être close cinq ans après. Elle menace aujourd’hui l’avenir de la zone euro, c’est-à-dire le destin des Européens.
Il est de la responsabilité politique de tous ceux qui ont en charge l’avenir de l’Europe, notamment les décideurs politiques, économiques et sociaux, d’apporter à temps une solution à ce déséquilibre institutionnel désormais insoutenable.
Nous, représentants des salariés et des entreprises en France, appelons au sein de la zone euro les États, d’une part, et les partenaires sociaux, d’autre part, à engager sans tarder une réflexion sur la mise en place rapide d’un mécanisme budgétaire européen permettant de stabiliser la zone euro et de contribuer au rééquilibrage des échanges entre les États européens.
Ce mécanisme budgétaire, qui viendrait compléter la responsabilité propre de chaque pays d’améliorer sa situation par les réformes adéquates, pourrait prendre plusieurs formes, distinctes ou complémentaires : aides conjoncturelles, investissements, assurance chômage européenne... Politiquement, il doit permettre d’incarner concrètement la solidarité entre les Européens. Économiquement, il doit compenser l’hétérogénéité des économies inhérentes à toute zone monétaire commune. Socialement, il doit soutenir les politiques de l’emploi, augmenter le niveau de qualification des salariés et contribuer à la convergence sociale.
Nous inviterons très prochainement les représentants syndicaux et patronaux de tous les pays de la zone euro à s’emparer de cette question et à proposer rapidement des solutions concrètes et opérationnelles.
Nous souhaitons par-là, de toutes nos forces, que les partenaires sociaux européens apportent une contribution décisive au défi immense de la poursuite de la construction européenne, qui est, au XXIème siècle, l’un des biens politiques et économiques le plus précieux pour l’avenir des travailleurs et des entreprises du Vieux Continent.
ANNEXE N°5 : PORTABILITE DES DROITS D’INDEMNISATION CHÔMAGE EN EUROPE
Article 64 du RÈGLEMENT (CE) No 883/2004 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 29 avril 004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale
(…)
Chômeurs se rendant dans un autre État membre
1. La personne en chômage complet qui satisfait aux conditions requises par la législation de l'État membre compétent pour avoir droit aux prestations et qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi conserve le droit aux prestations de chômage en espèces aux conditions et dans les limites indiquées ci-après :
a) avant son départ, le chômeur doit avoir été inscrit comme demandeur d'emploi et être resté à la disposition des services de l'emploi de l'État membre compétent pendant au moins quatre semaines après le début du chômage. Toutefois, les services ou institutions compétents peuvent autoriser son départ avant l'expiration de ce délai ;
b) le chômeur doit s'inscrire comme demandeur d'emploi auprès des services de l'emploi de l'État membre où il se rend, être assujetti au contrôle qui y est organisé et respecter les conditions fixées par la législation de cet État membre. Cette condition est considérée comme remplie pour la période antérieure à l'inscription si le chômeur s'inscrit dans un délai de sept jours à compter de la date à laquelle il a cessé d'être à la disposition des services de l'emploi de l'État membre qu'il a quitté. Dans des cas exceptionnels, les services ou institutions compétents peuvent prolonger ce délai ;
c) le droit aux prestations est maintenu pendant une durée de trois mois à compter de la date à laquelle le chômeur a cessé d'être à la disposition des services de l'emploi de l'État membre qu'il a quitté, sans que la durée totale pour laquelle des prestations sont servies puisse excéder la durée totale des prestations auxquelles il a droit en vertu de la législation de cet État membre ; cette période de trois mois peut être étendue par les services ou institutions compétents jusqu'à un maximum de six mois ;
d) les prestations sont servies par l'institution compétente selon la législation qu'elle applique et à sa charge.
2. Si l'intéressé retourne dans l'État membre compétent à l'expiration ou avant la fin de la période pendant laquelle il a droit aux prestations en vertu du paragraphe 1, point c), il continue à avoir droit aux prestations conformément à la législation de cet État membre. Il perd tout droit à des prestations en vertu de la législation de l'État membre compétent s'il n'y retourne pas à l'expiration ou avant la fin de cette période, sous réserve de dispositions plus favorables de cette législation. Dans des cas exceptionnels, les services ou institutions compétents peuvent autoriser l'intéressé à retourner à une date ultérieure sans perte de son droit.
3. Sauf si la législation de l'État membre compétent est plus favorable, entre deux périodes d'emploi, la durée totale maximale de la période pour laquelle le droit aux prestations est maintenu, aux conditions fixées en vertu du paragraphe 1, est de trois mois. Cette période peut être étendue par les services ou institutions compétents jusqu'à un maximum de six mois.
4. Les modalités d'échange d'informations, de coopération et d'assistance mutuelle entre les institutions et les services de l'État membre compétent et de l'État membre où la personne se rend pour chercher de l'emploi sont établies dans le règlement d'application.
(…)
ANNEXE N°6 : LE SYSTÈME D’ASSURANCE CHÔMAGE AMÉRICAIN : ENTRE ASSURANCE ET INCITATION
Mis en place en 1935 par l’administration Roosevelt suite à la Grande dépression, le système d’assurance chômage des États-Unis se caractérise par un double-niveau : un niveau fédéral, et un niveau étatique. Fondé sur la loi fédérale, il est géré au niveau étatique. Chaque État est responsable du financement de ses allocations chômage et détermine les taux de cotisation applicables et la structure fiscale.
Par ailleurs, il est financé – à l’exception de l’Alaska, du New Jersey et de la Pennsylvanie – par les cotisations sociales des employeurs en fonction de l’historique de licenciement dans l’entreprise. Il s’agit donc à la fois d’un système d’assurance chômage – visant à compenser la perte de ressources lors de la perte d’emploi – mais aussi d’une incitation pour les entreprises modérer leurs licenciements. L’administration applique en effet un barème – fonctionnant comme un bonus-malus – pour les cotisations des entreprises qui tient compte du volume de licenciement de chaque entreprise depuis sa création : les entreprises qui licencient fréquemment supportent donc des taux plus élevés.
Il en résulte comme effet pervers que certains salariés licenciés renoncent parfois à faire valoir leurs droits au chômage, afin d’envoyer un signal à de futurs employeurs potentiels, afin de montrer qu’ils n’occasionneront pas de coûts supplémentaires à l’entreprise.
1 () La composition de cette commission figure au verso de la présente page.
2 () In « A European Unemployment Benefits Scheme : the rationale and the challenges ahead », Miroslav Beblavý, Gabriele Marconi and Ilaria Maselli, CEPS Special Report .n° 119, September 2015.
3 () In « Une assurance-chômage européenne ? », Agnès Bénassy-Quéré et Alice Keogh, Focus n° 007-2015, Conseil d’analyse économique, juin 2015.
4 () In « Les divergences sociales en Europe après la crise », Marine Boisson-Cohen, Céline Mareuge, David Marguerit et Bruno Palier, La note d’analyse, février 2015, France Stratégie.
5 () Une assurance chômage pour la zone euro, Thomas Lelouch et Arthur Sode, Trésor-éco, lettre n° 132, juin 2014.
6 () Vers une véritable union économique et monétaire : il y a urgence, Pervenche Berès, Fondation Jean-Jaurès Note°271, 29 mai 2015.
7 () Op cit.
8 () Tenu à Paris du 29 septembre au 2 octobre 2015.
9 () Réformes, investissement et croissance : un agenda pour la France, l’Allemagne et l’Europe, rapport remis à Sigmar Gabriel, ministre fédéral de l’Economie et de l’Energie, et Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique, Henrik Enderlein et Jean Pisani-Ferry, 27 novembre 2014.
10 () http://www.mef.gov.it/documentiallegati/2015/note_unemployment/note_unemployment_insurance_2015_ 5OCT.pdf