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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 février 2016
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)
sur l’influence française au sein de l’Union européenne,
ET PRÉSENTÉ
PAR MM. Christophe CARESCHE et Pierre LEQUILLER,
Députés
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La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.
SOMMAIRE
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Pages
SYNTHÈSE DU RAPPORT 7
INTRODUCTION 11
PREMIÈRE PARTIE : LA FRANCE, DÉSORMAIS UN PAYS PARMI VINGT-HUIT ? 15
I. UNE PERTE D’INFLUENCE RÉELLE 15
A. UNE INFLUENCE MISE À MAL PAR LES ELARGISSEMENTS SUCCESSIFS 15
1. L’effet « arithmétique » des élargissements sur la présence française dans les institutions 15
2. Un « centre de gravité » européen de plus en plus éloigné de l’Hexagone 17
a. Un décalage culturel et idéologique de plus en plus fort 17
b. Une quasi-disparition de l’usage du français au sein des institutions européennes 18
B. DE L’IMPORTANCE DE L’INFLUENCE PAR L’EXEMPLE ET LA CRÉDIBILITÉ 22
1. Le poids des mauvaises performances économiques et budgétaires de la France 22
2. La France, une image de « mauvais élève » ? 23
II. UNE PRÉSENCE FRANÇAISE CONSIDÉRABLEMENT AFFAIBLIE AU PARLEMENT EUROPÉEN 25
A. UNE TENDANCE DE LONG-TERME DEVENUE PÉNALISANTE 25
1. Paris-Strasbourg : le choc des cultures ? 25
a. L’influence par l’expertise 25
b. L’influence par la durée 26
c. L’influence par le poids dans un groupe politique 27
d. L’influence par la coalition 27
2. Parallèlement, des pouvoirs accrus dans les mains du Parlement européen 27
B. UNE TENDANCE CONFIRMÉE ET AMPLIFIÉE SOUS L’ACTUELLE LEGISLATURE 27
1. Un état des lieux préoccupants 27
a. Panorama de la présence française au Parlement européen en 2016 27
b. Les facteurs explicatifs 30
c. La situation des autres délégations 31
2. Le renouvellement des postes à mi-mandat : anticiper et se mobiliser 32
C. LE SIÈGE STRASBOURGEOIS DE PLUS EN PLUS CONTESTÉ 32
a. Un siège consacré par les traités et la jurisprudence 32
b. L’érosion du soutien à Strasbourg parmi les parlementaires européens 34
c. Un attachement de la France au siège de Strasbourg réaffirmé 34
III. LA PRÉSENCE ADMINISTRATIVE DES FRANÇAIS DANS LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES : SATISFAISANT, MAIS PEUT MIEUX FAIRE 36
A. LA FRANCE DANS LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES, COMBIEN DE DIVISIONS ? 36
1. Un état des lieux statistiques 36
a. À la Commission européenne : 36
b. Au Parlement européen 38
c. Au Secrétariat général du Conseil 39
d. À la Cour de Justice 39
2. Une difficulté identifiée : les postes à la frontière entre l’administration et le politique 40
B. ENTRETENIR UN VIVIER : DES RÉSULTATS ENCORE TRÈS INSUFFISANTS AUX CONCOURS EUROPÉENS 42
1. Les résultats décevants des candidats français 43
2. Mieux informer et mieux préparer les potentiels candidats 45
a. Mieux informer les étudiants 45
b. Mieux préparer les candidats 46
c. Mieux accompagner les lauréats 47
d. Réformer les concours 48
DEUXIÈME PARTIE : UN VÉRITABLE POTENTIEL QUI NE POURRA ÊTRE EXPLOITÉ QUE SI LA FRANCE FAIT DE L’EUROPE UNE PRIORITÉ POLITIQUE 49
I. PARIS-BRUXELLES : UNE PROGRESSIVE « ACCULTURATION » ? 49
A. UNE MACHINE ADMINISTRATIVE QUI A SU PRENDRE LE TOURNANT DE L’EUROPE 49
1. La définition des positions françaises de négociation 49
a. Le SGAE 49
b. La Représentation permanente auprès de l’Union européenne 52
c. Dans les ministères 52
2. Des interactions entre l’administration française et européenne qui restent insuffisantes 53
a. Les experts nationaux détachés : une réussite incontestable pour la présence française dans les institutions communautaires, mais dont le potentiel est encore insuffisamment exploité par les administrations nationales 53
b. Des initiatives récentes qui doivent être encouragées 55
3. L’européanisation de la formation des fonctionnaires 56
a. Les questions européennes aux concours administratifs et dans les écoles d’application : l’exemple de l’ENA 56
b. La formation continue 57
4. Les collectivités territoriales françaises et l’Europe 59
B. LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE DE MIEUX EN MIEUX REPRÉSENTÉS DANS LES COULOIRS DE BRUXELLES 61
1. La représentation des entreprises françaises à Bruxelles 61
a. Le Cercle des délégués permanents 61
b. Les bureaux de représentation des entreprises 62
c. Les organisations patronales 62
d. Les fédérations sectorielles 63
2. L’influence économique par la norme : les cabinets d’avocats et de conseil marginalisés par les cabinets anglo-saxons 64
3. Des marges de progrès 65
II. FAIRE DE L’INFLUENCE FRANÇAISE EN EUROPE UNE VÉRITABLE PRIORITÉ POLITIQUE 66
A. LA FRANCE, QUEL NUMÉRO DE TÉLÉPHONE ? 66
a. Une stratégie européenne insuffisamment claire 66
b. L’Europe, entre l’Élysée et Matignon 67
c. Le rôle du ministre des affaires européennes 68
B. UNE NÉCESSAIRE EVOLUTION DES MENTALITÉS 71
1. Le principal obstacle à l’influence française en Europe : la dépréciation de l’Europe dans le débat politique national 71
2. Intégrer la logique européenne 73
a. Anticiper : « tout absent finit toujours par avoir tort » 73
b. D’une logique de pouvoir à une logique d’influence 74
c. Éviter l’arrogance 75
C. FAIRE DE L’INFLUENCE FRANÇAISE EN EUROPE UNE VÉRITABLE POLITIQUE PUBLIQUE 75
1. Dix ans après le plan « Barnier » pour l’influence française, la nécessité d’un nouveau plan d’action 75
2. Une implication au plus haut niveau 77
3. Un contrôle parlementaire sur la présence française dans les institutions européennes 77
CONCLUSION 79
TRAVAUX DE LA COMMISSION 83
ANNEXES 89
ANNEXE NO 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 91
ANNEXE NO 2 : RÉPARTITION DES FRANÇAIS DANS L’ADMINISTRATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE PAR DIRECTIONS GÉNÉRALES 93
ANNEXE N°3 : CIRCULAIRE DU 26 SEPTEMBRE 2006 RELATIVE À LA MISE À DISPOSITION D'EXPERTS AUPRÈS DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES ET ÉCHANGES DE FONCTIONNAIRES 97
ANNEXE N°4 : LES END : CANDIDATURES, ORIGINES, AFFECTATIONS 109
ANNEXE N°5 : CIRCULAIRE DU PREMIER MINISTRE DU 25 AVRIL 2013 RELATIVE À L’EMPLOI DE LA LANGUE FRANÇAISE 113
Les rapporteurs constatent que l’influence de la France dans l’Union européenne est aujourd’hui affaiblie.
L’affaiblissement de l’influence française résulte en partie des vagues d’élargissement successifs à l’Est depuis 2004.
Par un effet mécanique, les élargissements ont dilué la présence française dans les institutions européennes :
- perte du deuxième commissaire français, diminution de la part des voix françaises dans le total des voix au Conseil ;
- perte de poids numérique de la délégation française au Parlement européen ;
- ralentissement de l’entrée des fonctionnaires d’anciens États membres et leur progression de carrière pour permettre l’intégration de fonctionnaires ressortissants de nouveaux États membres à la fonction publique communautaire.
L’élargissement à l’Est a également eu un véritable effet politique, en éloignant la France des autres États membres du centre de l’Union européenne, d’un point de vue géographique, mais également culturel et idéologique.
Il a contribué à la considérable diminution de l’usage du français au sein des institutions européennes, et notamment à la Commission européenne, où la part de textes initialement rédigés en français, qui s’élevait à 16,5 % en 2005, n’atteint plus que 5 % aujourd’hui.
Mais ce sont surtout les mauvaises performances économiques et budgétaires de la France qui ont conduit à son affaiblissement sur la scène européenne, en nuisant à sa crédibilité. Dans une situation chronique de déficit public excessif par rapport aux critères de convergence de l’Union économique et monétaire, la France est aujourd’hui « suspecte » sur le plan économique et budgétaire aux yeux de ses partenaires européens. Le risque est aussi pour la France de voir sa politique européenne dictée par la seule recherche d’un compromis budgétaire qui lui soit favorable, au détriment de ses autres intérêts. Le non-respect de ses engagements budgétaires a un coût de plus en plus lourd pour la France, l’isolant et réduisant son poids politique au sein de l’Union.
Par ailleurs, la faiblesse de la position française au Parlement européen est un facteur majeur de la perte d’influence française dans l’Union européenne. Cette situation n’est pas nouvelle : la France est au Parlement européen en infériorité numérique par rapport à l’Allemagne, et les députés européens élus en France peuvent parfois avoir des difficultés à s’adapter à la culture politique très différente du Parlement européen (importance de la durée du mandat, rôle des rapporteurs fictifs et des coordinateurs, nécessité de mettre en place des coalitions transpartisanes). Mais la présence depuis 2014 de vingt-trois députés du Front national affaiblit considérablement la position de la France au Parlement européen : la position de parlementaires refusant de reconnaitre la légitimité de l’institution au sein de laquelle ils siègent les marginalise évidemment, et « ampute » de facto la délégation française d’un tiers de ses membres.
La présence des Français dans l’administration des institutions européennes est pour le moment satisfaisante, mais cette situation pourrait ne pas perdurer : Entre 400 et 500 Français présents à la Commission européenne devraient partir à la retraite d’ici 2020, et il faut s’assurer que le « vivier » de français présents à tous les échelons dans les institutions européennes soit entretenu. Or, aujourd’hui, les résultats des concours européens sont très décevants pour la France, qui compte un nombre insuffisant de lauréats ( du fait de la récente réforme des concours mais surtout d’un manque de candidats sur la ligne de départ ).
Des mesures concrètes doivent être mises en place pour inverser cette tendance : meilleure information des candidats, système de bourses spécifiques, meilleur suivi et accompagnement des nouveaux lauréats, notamment.
Pour être influente en Europe, la France doit mieux comprendre le fonctionnement de celle-ci, et adopter des « réflexes européens » : anticiper, partager l’information, faire des coalitions, éviter l’arrogance.
L’administration française a progressivement su prendre le tournant de l’Europe, même si des progrès peuvent encore être faits. Tous les mécanismes permettant aux fonctionnaires nationaux de mieux comprendre l’Union européenne doivent selon vos rapporteurs être encouragés et préservés : c’est notamment le cas de la mise à disposition d’ « experts nationaux détachés » auprès des institutions européennes.
Par ailleurs, les collectivités territoriales et les entreprises françaises savent également de mieux en mieux défendre leurs intérêts à Bruxelles, notamment grâce aux bureaux de représentation qui s’y sont installés.
Mais c’est davantage au niveau politique que la place de la France en Europe se joue.
La voix de la France en Europe reste une voix écoutée et attendue. Contrairement à certaines idées reçues, l’Allemagne ne souhaite pas forcément occuper le devant de la scène européenne à elle seule, au contraire : elle prend seulement la place que la France laisse vide. L’influence n’est pas une fin en soi. Pour être influent, il faut avant tout porter des idées, savoir vers où on veut aller, porter des positions claires et lisibles. C’est probablement de cette absence de vision prospective dont la France souffre le plus aujourd’hui.
Il est nécessaire, pour porter cette voix, que la position du ministre des affaires européennes soit renforcée, et que celui-ci s’émancipe de la tutelle du ministère des affaires étrangères, en étant par exemple rattaché du Premier ministre, et en disposant de sa propre administration.
Enfin, les rapporteurs considèrent que le Gouvernement doit faire de l’influence et de la présence française dans l’Union une véritable politique publique, dotée de moyens humains et financiers, et contrôlée par le Parlement. Ils proposent la constitution d’une cellule de veille au sein de la commission des affaires européennes.
Le 20 juin 1848, Victor Hugo, alors député à l’Assemblée constituante, proclamait lors d’un débat sur les ateliers nationaux : « ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue ». Deux siècles plus tard, peu de parlementaires oseraient affirmer avec un tel aplomb la primauté de l’influence de notre pays dans la conduite des affaires européennes.
Au contraire, la question du déclin de l’influence française en Europe est désormais une question récurrente du débat public et médiatique. Sans tomber dans le « déclinisme » particulièrement à la mode dans notre pays, des problèmes objectifs existent, auxquels il convient de remédier en apportant des solutions politiques concrètes.
L’influence française en Europe, c’est d’abord un héritage. Celui des penseurs français, précurseurs du projet européen, de l’abbé de Saint-Pierre proposant en 1713 son « Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe », du comte Henri de Saint-Simon préconisant en 1814 la création d’une confédération européenne dotée d’un « Parlement général », de Victor Hugo lançant en 1849 son appel aux « États-Unis d’Europe », du projet d’Union européenne d’Aristide Briand. Celui, surtout, du statut d’État fondateur de l’Europe des six, du legs de Robert Schuman et de Jean Monnet.
Mais cet héritage est insuffisant, et la place centrale de la France dans l’Union n’apparait plus aujourd’hui comme une évidence. C’est ce que rappellent les débats sur le siège strasbourgeois, symbole de ce legs historique, aujourd’hui devenu une pomme de discorde brandie par les détracteurs d’une France qui s’accrocherait à ses prérogatives à tout prix.
Une première réflexion avait été esquissée par l’Assemblée nationale sur ce sujet en mai 2004, avec le rapport de notre collègue Jacques Floch, au nom de la délégation pour l’Union européenne, intitulé « Présence et influence de la France en Europe : le vrai et le faux ». Ce rapport concluait que « contrairement à certaines idées reçues particulièrement tenaces, notre pays n’a pas à rougir de son rang et de son influence en Europe. Pour autant, certaines faiblesses structurelles pourraient nous nuire de façon irréversible si rien ne change ».
Qu’en est-il aujourd’hui ? Notre pays devrait-il rougir de « son rang et son influence », face à une Allemagne de plus en plus fréquemment présentée comme primus inter pares parmi les vingt-huit États membres ? Les « faiblesses structurelles » de la France en Europe se sont-elles résorbées, ou, au contraire, se sont-elles aggravées ?
Depuis 2004, l’Europe a changé de visage, et la France a dû repenser son rôle au sein de celle-ci. Le passage d’une Europe des quinze à une Europe des vingt-huit, le « non » français au référendum de 2005, la crise économique et budgétaire qui traverse le vieux continent depuis 2008 justifient pleinement un nouveau rapport sur le sujet.
Le présent rapport englobe à la fois les questions de présence et les questions d’influence, qu’il convient cependant de bien distinguer. La présence française dans les institutions européennes est évidemment une composante fondamentale de l’influence française en Europe, mais une composante parmi d’autres, et il serait erroné d’avoir une vision purement statistique de la notion d’influence.
Toutefois, plus qu’une cause, la présence est parfois un révélateur de la perte d’influence de notre pays en Europe.
Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder qui est aujourd’hui à la tête des institutions européennes.
Le journal « Politico » parlait en juin 2015 (2) d’un « G5 » pour désigner les hommes politiques les plus influents des institutions. Force est de constater que parmi ces cinq hommes ne figure aucun Français. Un Luxembourgeois, Jean -Claude Juncker, préside la Commission européenne, et un Néerlandais, Frans Timmermans, son Premier Vice-président. Un Allemand, Martin Schultz, préside le Parlement européen. Un Allemand, Manfred Weber, préside le groupe PPE. Enfin, un Italien, Gianni Pitella, préside le groupe S&D.
Un Polonais, Donald Tusk, préside le Conseil européen. Une Italienne, Frederica Mogherini, occupe le poste de Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Un Italien, Mario Draghi, préside la Banque centrale européenne, en remplacement du Français Jean-Claude Trichet. Un Grec, Georges Dassis, préside le Conseil économique et social européen, en remplacement du Français Henri Malosse.
Mais bien au-delà de ces questions de présence, l’influence d’un pays, c’est avant tout sa capacité à prendre des initiatives, à porter des idées en Europe, et à ce que celles-ci soient entendues : c’est probablement de cela, avant tout, dont souffre la France aujourd’hui. La voix de la France est, sur la plupart des sujets, écoutée et attendue : elle doit avoir quelque chose à dire.
Les rapporteurs ont identifié quatre facteurs principaux de déclin de l’influence française en Europe :
(1) les élargissements successifs à l’Est, qui ont contribué à éloigner la France du cœur de l’Europe ;
(2) les difficultés de la France à moderniser son économie et à respecter ses engagements budgétaires, qui ont diminué sa crédibilité sur la scène européenne ;
(3) la faiblesse de la France au Parlement européen, accentuée par le résultat des dernières élections, alors que, parallèlement, les pouvoirs du Parlement européen n’ont cessé de s’accroître au fil des traités ;
(4) la faible lisibilité de la vision que porte aujourd’hui la France pour l’Europe de demain.
Ils en tirent une conclusion sans appel : la France ne pourra regagner de l’influence en Europe que si elle fait de l’Europe une véritable priorité politique, accompagnée d’une stratégie d’influence ambitieuse. C’est une urgence pour la France et pour l’Europe.
PREMIÈRE PARTIE : LA FRANCE, DÉSORMAIS UN PAYS PARMI VINGT-HUIT ?
L’influence française doit aujourd’hui s’adapter aux défis posés par les élargissements massifs ayant eu lieu depuis 2004. En effet, les élargissements successifs à l’Est, s’ils ont, par un effet mécanique, affaibli la part de la présence française dans les institutions, comme celle de tous les anciens États membres, ont également amoindri l’influence politique de la France au sein de l’Union européenne.
L’adhésion de dix nouveaux États membres en 2004, puis de la Roumanie et de la Bulgarie en 2007, et enfin de la Croatie en 2013, a évidemment modifié la présence « arithmétique » de la France au sein de chacune des institutions européennes, comme celle de tous les États membres de « l’Europe des quinze ».
a. À la Commission européenne
Depuis 2004, à la Commission européenne, à la suite du traité de Nice, la France a perdu son deuxième commissaire, à l’instar de l’Allemagne, de l’Espagne, de l’Italie et du Royaume-Uni.
b. Au Conseil
Au Conseil, la voix de la France a diminué au fil des élargissements, malgré les correctifs apportés par le traité de Lisbonne.
Évidemment, l’élargissement n’a pas eu d’impact sur le poids de la France dans les décisions adoptées au Conseil dans les matières pour lesquelles il statue à l’unanimité, puisque chaque État membre, quelle que soit sa taille, dispose en pratique d’un droit de veto.
En revanche, pour les décisions prises à la majorité simple, le poids de la France a mécaniquement diminué, puisqu’elle ne représente désormais « qu’une voix » sur vingt-huit.
Au fil du temps, dans les matières - dont le nombre n’a cessé de s’accroître - dans lesquelles le Conseil statue à la majorité qualifiée, avec un système de pondération des voix, le poids de la France a diminué au fur et à mesure des élargissements. La part des voix françaises dans le total des voix est ainsi passée de 17,24 % en 1973, à 15,87 % en 1981, 13,15 % en 1986, 11,49 % en 1995, 8,4 % en 2007, et à 8,2 % aujourd’hui (la France détient 29 voix sur 352 ). La parité des voix de la France avec les voix allemandes, britanniques et italiennes a en revanche été maintenue.
Les nouvelles modalités de calcul de la majorité qualifiée en vigueur depuis le 1er novembre 2014 (3) ont permis d’accroitre le poids relatif de la France dans l’adoption de décisions au Conseil. En effet, ces nouvelles modalités de calcul reposent sur un système de « double majorité » grâce à l’introduction d’un nouveau critère de pondération démographique. Un texte doit désormais recueillir les voix de 55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population. Ce système a permis de rehausser le poids de la France, qui représente aujourd’hui 13 % de la population de l’Union européenne.
Cette perte de poids relative au sein du Conseil implique un changement du processus de négociation. Comme l’ont souligné plusieurs personnes auditionnées par les rapporteurs, pour imposer son point de vue sur certains dossiers difficiles, la France doit désormais impérativement réaliser des alliances avec des petits pays, qui même s’ils ne font pas forcément la décision à la fin de la négociation, déterminent l’ambiance du début.
c. Au Parlement européen
Au Parlement européen, la France, comme tous les grands États membres, est sous-représentée par rapport à son poids démographique. En effet, la règle de la proportionnalité dégressive qui régit l’attribution du nombre de sièges signifie que plus un État est peuplé, plus le nombre d’habitants représenté par chaque député est élevé : par exemple, un député maltais représente environ 80 000 habitants, contre 830 000 pour un député allemand.
Les élargissements ont mécaniquement conduit à une perte de poids numérique de la délégation française au Parlement européen : en 1979, les eurodéputés français représentaient 20 % du total des membres du Parlement européen, contre 9,85 % aujourd’hui (soixante-quatorze députés).
Cette tendance logique a été amplifiée lorsque la France a renoncé à défendre sa parité avec l’Allemagne.
En effet, alors que la France et l’Allemagne disposaient jusqu’en 1994 de quatre-vingt-un sièges à Strasbourg, le Conseil européen d’Édimbourg des 11 et 12 décembre 1992 a remis en cause cette parité en modifiant la répartition des sièges, suite à la réunification de l’Allemagne et dans la perspective de futurs élargissements. L’Allemagne disposait à la suite de cette modification de quatre-vingt-dix-neuf sièges, contre quatre-vingt-sept pour la France. Surtout, le traité de Nice, entré en vigueur le 1er février 2003, est venu creuser cet écart, en prévoyant une forte réduction du nombre de sièges français, la France ne disposant plus que de soixante-dix-huit sièges, alors que l’Allemagne parvenait à conserver ses quatre-vingt-dix-neuf sièges. Depuis les derniers élargissements, la France ne dispose plus que de soixante-quatorze sièges, contre quatre-vingt-seize pour l’Allemagne.
d. Dans l’administration des institutions européennes
Enfin, dans l’administration européenne, l’organisation de recrutements spécifiques après 2004 afin de permettre l’intégration de fonctionnaires ressortissants de nouveaux États membres à la fonction publique communautaire, a nécessairement freiné l’entrée des fonctionnaires d’anciens États membres et leur progression de carrière.
L’élargissement à l’Est a décalé le cœur géographique de l’Europe. Mais ce décalage n’est pas seulement géographique : il est également culturel et idéologique.
Christian Lequesne, chercheur au CERI Sciences Po, auditionné par les rapporteurs, remarque ainsi dans un article intitulé « Quelle place pour la France en Europe ? Réforme, crédibilité, influence » que la France a perçu l’élargissement comme un renoncement, et souligne que « les dirigeants français ont eu du mal à montrer aux pays d’Europe centrale et orientale qu’ils soutenaient leur retour à l’Europe, les soupçonnant d’être libéraux et pro-américains ». En retour, plusieurs interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs à Bruxelles ont souligné que la France est aujourd’hui perçue par les nouveaux États membres comme un modèle économique « conservateur et dépassé » et comme une représentante de la « vieille Europe ».
Pour les rapporteurs, aux deux extrémités de la classe politique française, il existe une tentation de présenter la France comme un pays du « Sud » de l’Europe, et de faire de la France le « porte-parole » de ces pays du Sud. Au contraire, les rapporteurs considèrent que la France, pour être influente, doit s’affirmer clairement comme étant au centre de l’Europe. Cela passe notamment par la réaffirmation du couple franco-allemand, qui reste le « laboratoire d’idées » de l’Europe. Les élargissements, bien au-delà de remettre en cause ce tandem franco-allemand, impose que la force motrice du couple soit plus grande encore afin de fédérer des intérêts de plus en plus contradictoires.
Les élargissements à l’Est ont également contribué à la remise en cause du français comme langue de travail des institutions européennes : à l’exception notable de la Roumanie, les nouveaux entrants ne sont pas des pays à forte tradition francophone, et la deuxième langue la plus enseignée y est souvent l’allemand. L’exemple de Donald Tusk est à cet égard symbolique : le nouveau président du Conseil européen parle l’allemand, étudie l’anglais mais ne parle pas le français. La polémique suscitée en décembre 2014 par l’envoi d’un courrier du commissaire français au ministre de l’économie et des finances français rédigé entièrement en anglais est une autre anecdote révélatrice de l’omniprésence de l’anglais au sein des institutions européennes.
Pour mémoire, le règlement du Conseil n° 1/1958 fixe le régime linguistique de l’Union européenne. Les vingt-quatre langues officielles de l’Union européenne sont en même temps des langues de travail et peuvent donc être utilisées de plein droit au sein des institutions. Pour leur fonctionnement interne quotidien, les institutions s’appuient toutefois sur un nombre restreint de langues de travail.
Le français occupe évidemment une place à part : langue la plus commune aux six pays fondateurs, l’usage du français est également encouragé par la localisation des principales institutions dans les trois villes francophones que sont Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg.
Selon une règle non écrite, le collège des commissaires et les services de la Commission travaillent en trois langues : l’anglais, le français et dans une moindre mesure l’allemand.
Lors du point de presse quotidien de la Commission européenne, le régime est bilingue français-anglais et les porte-paroles de la Commission doivent répondre dans la langue employée par l’interlocuteur, français ou anglais.
De même, les sites internet de la présidence tournante du Conseil sont traduits en français et en anglais. C’est également le cas pour les réunions de la COSAC.
Les règles relatives à l’emploi de la langue française par les ministres et par l’administration française dans les instances internationales ont été rappelées à plusieurs reprises par voie de circulaire. (4)
Toutefois, plusieurs interlocuteurs ont affirmé aux rapporteurs rencontrer des difficultés de plus en plus grandes à respecter ces règles dans la pratique, tant la pratique de l’anglais prédomine. (5)
En effet, l’usage du français est en net recul dans les institutions européennes, à l’exception de la Cour de Justice, où le français reste la langue du délibéré – les arrêts de la Cour et du Tribunal sont rendus en français, puis traduits dans toutes les langues officielles de l’Union – et, dans une moindre mesure, du Parlement européen, où les débats en plénière comme en commission sont intégralement interprétés dans toutes les langues officielles.
À la Commission européenne, l’usage du français dans une direction générale est directement lié aux langues maîtrisées par le ou les commissaires concernés. Selon les interlocuteurs auditionnés par vos rapporteurs, le français est encore compris et utilisé à l’oral, mais son usage écrit a considérablement diminué avec les élargissements au profit de l’anglais au sein de la Commission européenne.
L’indicateur le plus pertinent pour mesurer l’usage du français dans la pratique quotidienne des institutions est celui de la langue utilisée pour la rédaction initiale des textes, avant traduction. Cet indicateur montre très clairement l’impact des élargissements des années 2000 sur l’usage du français : alors qu’en 1997, 40 % des documents de travail de la Commission européenne étaient encore rédigés initialement en français. En 2003, cette part avait déjà chuté à 26 %. Elle est passée à 16,5 % en 2005 et n’atteint plus que 5 % en 2014.
De nombreuses pages des sites internet de la Commission européenne ne sont aujourd’hui plus disponibles qu’en anglais, en particulier pour certaines directions générales (les sites de la Commission européenne sont gérés directement par chaque direction générale) : selon le rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française de 2015, huit directions sur trente ont un site uniquement en anglais. C’est par exemple le cas du site de la direction générale de la stabilité financière, des services financiers et de l'union des marchés des capitaux, pourtant dirigée par un Français. D’une manière générale, même lorsqu’une traduction en français de certaines pages est proposée, plus l’on entre dans les détails des sites internet, moins les langues disponibles sont nombreuses.
Langue de rédaction d’origine des documents à la Commission européenne (chiffres en pourcentage, source : rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française, 2015)
Cette diminution est moins importante au sein du Parlement européen, où la part des documents initialement rédigés en français s’élève à 23,77 % en 2014, selon le dernier rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française.
Au Conseil, l’usage du français fluctue fortement en fonction de l’État membre assurant la présidence, seule une liste définie de documents devant faire l’objet d’une traduction systématique dans les langues de travail. Depuis 2011, la part des documents rédigés en français se stabilise toutefois à un niveau inférieur à 5 %, avec des niveaux particulièrement bas lors des présidences irlandaise en 2013 (2,13 %) et grecque en 2014 (2,61 %).
Dans le domaine de la politique extérieure de l’Union européenne, dans lequel l’influence et la présence de la France est pourtant forte, le rapport au Parlement sur l’emploi de la langue française de 2013 notait que « l’usage du français est de fait exclu dans la communication écrite au sein du SEAE. Tous les documents de travail (notes, rapports, etc.) sont en anglais. Cette pratique qui s’apparente à une règle n’est évidemment pas sans lien avec les consignes données par la Haute Représentante de ne lui communiquer que des documents rédigés en anglais. Par contamination, cette habitude s’est imposée à l’ensemble de la production écrite du SEAE, à de rares exceptions près (projets de conclusions du Conseil se rapportant à l’Afrique francophone). Pour ce qui est de la pratique orale, les témoignages révèlent une situation moins tranchée en défaveur du français, son usage étant fonction du nombre de francophones représentés au sein du service considéré et du degré d’ouverture à l’usage de notre langue du chef d’unité ou du directeur concerné ( …). Pour ce qui est des groupes de travail et du COPS, hormis les délégués français, belges et luxembourgeois, rares sont les personnes, même très bons francophones, qui font le choix de s’exprimer en français ». Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact du remplacement de Catherine Ashton par Frederica Mogherini à la tête du SEAE sur l’usage de la langue française au sein de cette institution.
Le français en danger jusqu’à la Cour de Justice ?
Jean Quatremer a attiré l’attention de vos rapporteurs sur l’impact négatif que pourrait avoir la récente réforme du tribunal de l’Union européenne sur l’usage du français au sein de la Cour de Justice, qui reste le dernier « bastion » de la francophonie au sein des institutions européennes.
En effet, la réforme du tribunal de l’Union européenne, entérinée en 2015, doit conduire, à terme, au doublement du nombre de juges au sein du tribunal, passant de 28 à 56 juges, soit deux par États membres. Pour certains petits pays peu francophones, il risque d’être difficile de désigner deux magistrats possédant les compétences juridiques évidemment très sélectives qu’impliquent le poste de magistrat au sein du Tribunal, tout en s’assurant que ces magistrats soient parfaitement francophones. Une attention particulière devra être portée par la France à ce risque lors du recrutement des nouveaux candidats, et, plus globalement, à l’évolution de la place du français au sein des juridictions européennes.
Plusieurs des interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs ont affirmé que le combat pour l’usage du français au sein des institutions européennes était un combat « perdu d’avance ». Toutefois, les rapporteurs considèrent que la France ne doit pas baisser les bras, et que la défense du multilinguisme au sein des institutions européennes doit rester une priorité absolue. Ils s’inscrivent ainsi dans la continuité des rapports présentés par leurs collègues MM. Michel Herbillon (6) et, plus récemment, François Rochebloine et Pouria Amirshahi. (7)
Pour cela, la France doit notamment plaider pour que deux langues étrangères soient rendues obligatoires dans les concours européens. Des campagnes massives d’apprentissage du français devraient également être lancées par nos alliances françaises et instituts français dans les États membres les moins francophones. Les règles relatives à l’usage du français par les fonctionnaires français doivent également être réaffirmées.
La France devrait également mettre en place un programme d’apprentissage de la langue destiné spécifiquement aux hauts fonctionnaires européens à l’image de ce qui a été mis en place par le Goethe Institute allemand.
Ce programme, intitulé Réseau Européen d’Allemand (Europanetzwerk Deutsch), est réservé aux hauts fonctionnaires des institutions européennes, des Etats membres ou de pays candidats à l’Union européenne. Il est gratuit pour les candidats sélectionnés, et comprend des cours de langue intensifs, dont certains spécialisés sur des thèmes (agriculture, technologie, politique étrangère de l’Union, etc.), mais également la visite d’administrations et d’entreprises allemandes.
Parallèlement, les rapporteurs estiment qu’il est nécessaire que les fonctionnaires français travaillant en contact avec les institutions européennes mais aussi les membres du Gouvernement maîtrisent le mieux possible l’anglais et même une autre langue européenne.
La quasi-totalité des interlocuteurs rencontrés ont souligné l’impact très négatif des difficultés économiques de la France sur sa capacité d’influence : selon Christian Lequesne, dans l’article précité, « l’influence de la France – comme de n’importe quel État en Europe – est entièrement liée à sa capacité à réussir d’abord chez elle ».
Ainsi, Gilles Briatta, auditionné par les rapporteurs, a également rappelé que durant l’âge d’or du « blairisme » de la fin des années 1990 et des années 2000, c’était au contraire le Royaume-Uni qui était « à la mode » à Bruxelles, et considéré comme influent. Aujourd’hui, l’image de l’Allemagne, perçue comme un pays qui, « enfant malade de l’Europe » au début des années 2000, a su se réformer et s’affirmer comme un modèle économique compétitif, contribue très largement à son influence en Europe.
Dans ce cadre, le respect par la France de ses engagements budgétaires est un aspect-clé de sa crédibilité. Or, dans une situation chronique de déficit public excessif par rapport aux critères de convergence de l’Union économique et monétaire, la France est aujourd’hui « suspecte » sur le plan économique et budgétaire aux yeux de ses partenaires européens. Pour vos rapporteurs, le risque est aussi pour la France de voir sa politique européenne dictée par la seule recherche d’un compromis budgétaire qui lui soit favorable, au détriment de ses autres intérêts. Le non-respect de ses engagements budgétaires a un coût de plus en plus lourd pour la France, l’isolant et réduisant son poids politique au sein de l’Union.
Certaines personnes auditionnées par les rapporteurs ont souligné que ce climat de suspicion se répercute directement sur la position du Commissaire français – et précédent ministre de l’économie et des finances - Pierre Moscovici.
Toujours selon Christian Lequesne, si l’engagement pris par le Gouvernement français de respecter ces critères macroéconomiques en 2017 n’est pas respecté, « la France ne pourra plus espérer une quelconque confiance de la part des autres États membres, alors que plusieurs pays du Nord ont un budget à l’équilibre et que les pays du Sud ont vécu depuis 2010 une cure d’austérité que la France ne s’est jamais imposée ».
Si depuis 2008, la crise économique et financière puis la crise de la dette ont accaparé l’activité européenne, le retour à l’agenda européen des questions de sécurité et de défense, sur lesquelles la France exerce un leadership incontesté, est une opportunité pour la France de renouer avec cette influence. Le rôle de la France et son expertise dans la lutte contre le terrorisme sont reconnus, et la France a incontestablement un rôle moteur à tenir dans ce domaine en Europe et doit être à l’initiative.
Pour être influent en Europe, il faut avant tout être exemplaire. Le rapport de Jacques Floch de 2004 déplorait la mauvaise image de la France en Europe, considéré comme un « mauvais élève » se distinguant par son refus de se soumettre aux règles communes, et mettait en exergue trois points : l’absentéisme français au Parlement européen et au Conseil de l’Union, la transposition des directives, les procédures d’infraction au droit communautaire et les aides d’État.
Les rapporteurs tiennent à souligner les progrès qui ont été faits.
L’absentéisme des ministres français au Conseil a nettement diminué, après de multiples rappels en ce sens des Premiers ministres successifs (le taux d’absentéisme s’élevait à 18,9 % pour 2004, soit une réunion sur 5, selon les calculs présentés par le rapport Floch).
TAUX DE PRÉSENCE DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS AU CONSEIL SUR TOUTE L’ANNÉE 2015 (8)
Affaires générales |
100 % (8 réunions sur 8) (9) |
Affaires étrangères |
100 % (13 réunions sur 13) (10) |
Affaires économiques et financières |
70 % (7 réunions sur 10) (11) |
Justice et affaires intérieures |
90 % (9 réunions sur 10) (12) |
Emploi, politique sociale, santé et consommateurs |
100 % (4 réunion sur 4) (13) |
Transports, télécommunications et énergie |
71,4 % (5 réunions sur 7) |
Education, jeunesse, culture |
100 % (2 réunions sur 2) |
Compétitivité |
40 % (2 réunions sur 5) |
Environnement |
80 % (4 réunions sur 5) |
Agriculture et pêche |
60 % (6 réunions sur 10) |
En matière de transposition des directives, de grands progrès ont été réalisés. Alors que le rapport de Jacques Floch déplorait que la France ne parvienne pas à rattraper le retard qu’elle accusait en matière de transposition des directives communautaires, le « déficit de transposition » français est ainsi passé de 4,1 % en mai 2004 à un minimum historique de 0,3 % en novembre 2012. Ce déficit de transposition s’établit aujourd’hui à 0,7 %, niveau égal au taux moyen européen, ce qui correspond à huit directives de retard. Depuis 2011, aucun arrêt en manquement au motif de la non transposition d’une directive n’a été rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne à l’encontre de la France.
Le Gouvernement est pleinement engagé dans cette dynamique d’amélioration de la rapidité et de la qualité de notre processus de transposition des directives : dans cette perspective, il a demandé au Conseil d’État de réaliser une étude sur ce sujet. Cette étude, adoptée en novembre dernier (14), présente trente propositions qui, une fois mises en œuvre, devraient permettre à la France de contenir son déficit de transposition.
Enfin, la France se singularisait également quant au nombre de procédures d’infraction au droit communautaire dont elle faisait l’objet, comptabilisant 13,4 % du total des cas avec 135 procédures d’infraction, soit le deuxième nombre le plus élevé de l’ensemble de l’Union après l’Italie. Des progrès ont été faits, même si des efforts doivent encore être déployés pour que notre pays respecte au mieux le droit de l’Union. Aujourd’hui, cinquante et une procédures d’infraction relatives au marché unique contre la France demeurent en cours, ce qui place tout de même la France parmi les six États membres les plus concernés par ces procédures : les domaines les plus concernés sont la fiscalité directe (douze dossiers), indirecte (cinq dossiers), la libre circulation des marchandises (cinq dossiers) et la gestion de l’eau (cinq dossiers).
Vos rapporteurs tiennent à saluer le travail accompli par les députés français au Parlement européen.
Toutefois, malgré ce travail considérable, le Parlement reste une des faiblesses de l’influence française dans les institutions européennes. Ce constat n’est pas nouveau. Ainsi, le président Jacques Chirac, avant les élections européennes de 2004, déclarait lors d’une conférence de presse : « au fil des améliorations des institutions de l’Union, les pouvoirs du Parlement se sont accrus. Et je suis bien obligé de constater que le poids et l’influence de la France au Parlement européen ne sont pas ce qu’ils devraient être, ne sont pas à la hauteur des enjeux de notre pays ».
La perte de la parité numérique avec l’Allemagne (cf. supra) entérinée par le traité de Nice explique bien sûr une grande partie de cet affaiblissement.
Toutefois, le problème de la France au Parlement européen reflète, au-delà d’une simple question numérique, un problème de stratégie politique, voire de « culture politique ».
Pour reprendre les mots d’Alain Cadec, président de la commission de la pêche, « pour être influent au Parlement européen, il faut être reconnu. Pour être reconnu, il faut travailler, il faut être présent et communiquer ».
Le Parlement européen est un véritable « arbeitsparlament », « parlement de travail » en allemand. La priorité y est donnée au travail de fond en commission, et l’influence des députés européens y est très directement liée à leur expertise technique.
Ainsi, il faut souligner la grande importance de deux fonctions, qui n’ont pas d’équivalents au Parlement français.
Premièrement, les coordinateurs, qui jouent un rôle déterminant, sont les chefs de file de leur groupe politique au Parlement européen. Ils négocient les amendements, répartissent les rapports, et sont chargés, lors des réunions des groupes politiques, de proposer au vote du groupe la position à adopter vis-à-vis des textes à l’ordre du jour de leur commission. Ils sont « la cheville ouvrière des compromis politiques », selon la Fondation Robert Schuman.
Deuxièmement, les « rapporteurs fictifs », plus couramment appelés « shadow rapporteurs », sont les députés qui suivent un dossier pour des groupes politiques autres que celui du rapporteur désigné.
Ces deux postes, qui demandent un très grand investissement, sont parfois perçus comme « ingrats » par les députés européens élus en France, qui leur préfèrent parfois des postes paraissant plus prestigieux comme le poste de vice-président de commission : pourtant, ce sont ces deux types de postes qui permettent d’acquérir une véritable influence sur la législation européenne. De la même manière, les députés français au Parlement européen ont tendance à privilégier les commissions « prestigieuses », comme la commission des affaires étrangères, au sein de laquelle siègent onze français, plutôt que des commissions plus techniques et plus législatives, dans lesquelles leur voix pourrait avoir plus de poids.
L’influence au Parlement européen s’inscrit dans une stratégie de moyen terme qui passe par l’enchaînement de plusieurs mandats, permettant d’acquérir un véritable capital réputationnel. La durée et le nombre des mandats des parlementaires européens jouent un rôle significatif à Bruxelles, et il est très rare que d’importants rapports soient donnés à de nouveaux députés. C’est pour cette raison que la délégation allemande a établi une stratégie fondée sur l’exercice de trois mandats, « un pour apprendre, un pour agir, le troisième pour transmettre ». Or, toujours selon la Fondation Robert Schuman, les députés français au Parlement européen effectuent en moyenne 1,76 mandat au Parlement européen, contre 2,48 pour les Allemands et 2,23 pour les Britanniques. 45,90 % des députés français n’effectuent qu’un seul mandat, et seulement 19 % effectuent trois mandats ou plus. De nombreux interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs, notamment au sein des institutions européennes, ont fortement regretté que des personnalités politiques disposant d’une influence incontestable au Parlement européen (les noms de Gilles Savary, Catherine Trautmann ou Jean-Claude Gauzès sont régulièrement revenus lors des auditions) ne soient plus élus au Parlement de Strasbourg.
Sur le mandat 2009-2014, le taux de députés européens français démissionnaires étaient de 18 %, contre 4 % pour les Allemands, ce qui nuit à la crédibilité des élus de la délégation française, pouvant apparaître comme insuffisamment investis et percevant leur mandat européen comme une période transitoire avant leur accession ou leur retour vers des mandats nationaux. Selon la Fondation Schuman, cela pourrait témoigner « d'un intérêt moindre et d'un Parlement " salle d'attente " pour des élus préférant les institutions nationales ».
De plus, du fait des pouvoirs et de l’influence dont jouissent les grands groupes, le poids de chaque État membre au Parlement européen est directement proportionnel au poids des délégations nationales au sein des groupes. Or, la France se singularise de manière structurelle par la grande dispersion de ses élus au Parlement européen et par leur forte présence dans les groupes minoritaires.
Enfin, un autre défi pour les élus français au Parlement européen est de s’adapter à la culture du compromis et de la coalition qui prédomine au Parlement européen, avec laquelle leurs homologues allemands ou nordiques sont plus familiarisés. Plusieurs interlocuteurs rencontrés par les rapporteurs à Bruxelles ont ainsi souligné la difficulté pour la délégation française à travailler de manière transpartisane.
La faiblesse structurelle de la délégation française au Parlement européen est d’autant plus inquiétante que les pouvoirs de celui-ci n’ont cessé de croître au fur et à mesure de la construction européenne.
Les multiples révisions des traités ont en effet permis une implication croissante du Parlement européen dans la procédure législative, allant jusqu’à placer celui-ci dans une situation de stricte égalité avec le Conseil avec la procédure de codécision qui est désormais le régime commun de la procédure législative européenne (« procédure législative ordinaire » de l’article 294 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Le traité de Lisbonne a également mis le Parlement européen sur un pied d’égalité avec le Conseil pour l’adoption annuelle du budget.
Sous l’actuelle législature, l’influence française est en nette recul, et les interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs se sont tous accordés pour désigner la faiblesse de la délégation française au Parlement européen comme la véritable faiblesse de l’influence française en Europe aujourd’hui.
En effet, si la présence française au Parlement était déjà fortement affaiblie avant 2014, la situation s’est nettement aggravée sous l’actuelle législature. Dans une note du 16 mars 2015 intitulée « L’influence par la présence dans les institutions européennes », la Fondation Robert Schuman estime ainsi que la France se situe en termes d’influence interne « au même niveau que la délégation espagnole et loin derrière les polonais qui ont pourtant un tiers de députés en moins ».
Pour mémoire, les 751 députés du Parlement européen sont désormais répartis dans huit groupes politiques :
- 218 pour le Parti populaire européen (PPE), dont vingt députés élus en France ;
- 190 pour l’alliance progressiste des socialistes et des démocrates (S&D), dont 13 députés élus en France ;
- 73 pour les Conservateurs et réformistes européens (ECR), dont aucun élu en France ;
- 70 pour l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ADLE), dont 7 députés élus en France ;
- 52 pour la Gauche unitaire européenne/gauche verte nordique (GUE/NGL), dont 4 députés élus en France ;
- 50 pour les Verts/alliance libre européenne (Verts/ALE), dont 6 députés élus en France ;
- 45 pour l’Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD), dont 1 député élu en France ;
- 37 pour l’Europe des nations et des libertés (ENL), dont vingt députés élus en France.
Quinze députés siègent par ailleurs en tant que non-inscrits, dont trois députés élus en France.
Contrairement à l’Allemagne, à l’Italie ou même à la Pologne qui a progressé, la France a peiné à tirer son épingle du jeu lors de l’attribution des postes à responsabilité.
Ainsi, alors que la France dispose de la deuxième délégation nationale, elle dispose de deux fois moins de postes à responsabilité que l’Allemagne.
Dans les commissions, la France dispose de seulement trois présidences de commission :
- la commission des budgets présidée par M. Jean Arthuis ;
- la commission de la pêche présidée par M. Alain Cadec ;
- la commission spéciale sur les rescrits fiscaux présidée par M. Alain Lamassoure.
L’Allemagne dispose quant à elle de cinq présidences de commission (affaires étrangères, commerce international, contrôle budgétaire, emploi et affaires sociales, transports).
La France dispose de dix vice-présidences de commission, mais celles-ci, ayant un rôle principalement honorifique, se révèlent peu utiles pour influer sur le processus législatif européen.
Par ailleurs, les députés européens élus en France sont insuffisamment présents sur les postes de coordinateurs en commission.
Au début de la législature, les députés européens élus en France disposaient de seulement onze postes de coordinateurs en commissions et sous-commissions :
- Mme Constance Le Grip en commission droits des femmes ;
- M. Yannick Jadot en commission commerce international ;
- Mme Karima Delli en commission transports ;
- M. Pascal Durand en commission affaires constitutionnelles et en commission marché intérieur et protection des consommateurs ;
- Mme Sylvie Goulard en commission des affaires économiques et en commission spéciale TAXE ;
- M. Jean-Marie Cavada en commission des affaires juridiques ;
- Mme Marie-Christine Vergiat en commission droits de l’homme ;
- M. Younous Omarjee en commission du développement régional ;
- Mme Joëlle Bergeron en commission des affaires juridiques ;
Avec la constitution du groupe ENL, ils disposent désormais de treize postes supplémentaires de coordinateurs :
- M. Jean-Luc Schaffhauser en commission sécurité et défense ;
- M. Louis Aliot en commission du développement et en commission du contrôle budgétaire ;
- Mme Sophie Montel en commission des budgets ;
- M. Bernard Monot en commission des affaires économiques et monétaires et en commission spéciale TAXE ;
- M. Dominique Martin en commission de l’emploi et affaires sociales ;
- Mme Mireille d’Ornano en commission de l’environnement ;
- Mme Mylène Troszczynski en commission du marché intérieur ;
- Mme Dominique Bilde en commission de la culture et de l’éducation ;
- M. Gilles Lebreton en commission des affaires juridiques ;
- Mme Sylvie Goddyn en commission des droits de la femme et en commission des pétitions.
À titre de comparaison, la délégation allemande dispose de vingt-huit postes de coordinateurs.
La conférence des présidents de groupes politiques, qui comptait deux français lors de la législature précédente (MM. Joseph Daul et Daniel Cohn-Bendit), ne comptait aucun Français au début de la législature. Aujourd’hui, seule Mme Marine Le Pen y est représentée.
En revanche, un point très positif doit être relevé : le bureau du Parlement, qui ne comptait aucun élu français sous la précédente législature, compte aujourd’hui deux élues : Mme Sylvie Guillaume, vice-présidente, et Mme Élisabeth Morin-Chartier, Première questeure, dont le rôle est extrêmement stratégique sur les questions de présence française, notamment dans le cadre du débat sur Strasbourg.
Répartition des postes à responsabilité au Parlement européen par nationalité, comparatif (source : Fondation Robert Schuman et SGAE)
Nationalité |
Présidence Parlement |
VP Parlement |
Présidence de commission |
VP commission |
Présidence groupe |
VP groupe |
Coordinateurs |
Allemagne |
1 |
2 |
5 |
13 |
3 |
4 |
28 |
Italie |
2 |
3 |
6 |
2 |
2 |
14 | |
Royaume-Uni |
3 |
4 |
2 |
1 |
18 | ||
France |
1 |
2 |
9 |
1 |
7 |
22 |
La présence depuis 2014 de vingt-trois députés du Front national affaiblit considérablement la position de la France au Parlement européen : la position de parlementaires refusant de reconnaitre la légitimité de l’institution au sein de laquelle ils siègent les marginalise évidemment, et « ampute » de facto la délégation française d’un tiers de ses membres. Les rapporteurs ont en revanche constaté que cette présence importante du Front national au sein du Parlement européen a amené les autres groupes politiques de la délégation française à mieux s’organiser entre eux.
Au moment de l’attribution des postes, les vingt-trois députés du Front national n’étaient pas encore parvenus à créer un groupe politique et siégeaient donc en tant que non-inscrits : l’obtention potentielle de postes par des députés français se limitait donc aux cinquante et un parlementaires siégeant dans des groupes politiques. Or, au Parlement européen, l’attribution des postes à responsabilité et des rapports se fait par application de la règle d’Hondt, et donc à la proportionnelle des groupes. À chaque groupe est attribué un certain nombre de points, ensuite répartis entre délégations, et chaque poste à responsabilité vaut un certain nombre de points. Les postes de coordinateurs ne coûtent aucun point.
Le score du Front National a également eu pour conséquence directe d’affaiblir la présence française dans les autres groupes, alors que le poids de la délégation d’un État au sein d’un groupe politique du Parlement est l’élément principal de distinction dans le jeu de l’attribution des postes : les Italiens ont par exemple pu obtenir la présidence du groupe S&D pour M. Gianni Pitella avec l’appui de leurs trente-et-un élus au sein de ce groupe, ou les Allemands celle du groupe PPE pour M. Manfred Weber, avec l’appui de leurs quarante-neuf élus. Or, la France n’est plus que la troisième délégation du PPE, la seconde chez les libéraux et les verts et la sixième au groupe S&D.
Marielle de Sarnez, chef de la délégation française du groupe ADLE, a présenté à vos rapporteurs une stratégie qui semble intéressante : la délégation française du groupe ADLE a utilisé tous ses points pour obtenir la présidence de l’importante commission des budgets, en mettant toutes les chances de son côté en présentant un candidat ayant un profil correspondant au poste, M. Jean Arthuis, ancien ministre des finances et ancien président de la commission des finances du Sénat. Parallèlement, la plupart des députés de cette délégation ont obtenu des postes de coordinateurs, qui ne coûtent pas de points.
Sous l’actuelle législature, l’Allemagne est le pays le plus représenté au Parlement européen avec quatre-vingt-seize élus, et constitue à la fois la première délégation du PPE et la deuxième délégation du S&D. L’Allemagne dispose aujourd’hui d’une quasi-omniprésence au Parlement européen, tant au niveau politique qu’au niveau administratif, en détenant à la fois la présidence du Parlement, avec Martin Schultz, et le poste de Secrétaire général, détenu par le très puissant Klaus Welle, membre de la CDU et proche de la chancelière Angela Merkel. D’autres députés sont devenus incontournables, comme Elmar Brok, élu au Parlement européen depuis 1980 et président de la commission des affaires étrangères de 1999 à 2007 et à nouveau depuis 2012. Plusieurs interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs sont allés jusqu’à parler du « parle-allemand européen ».
Dans d’autres délégations, des stratégies d’influence peuvent également être identifiées.
Ainsi, les Britanniques se concentrent sur les domaines identifiés comme essentiel au Royaume-Uni : ils disposent notamment de la présidence des commissions des libertés civiles et du marché intérieur. La délégation britannique compte de nombreux coordinateurs (vingt-trois selon la fondation Robert Schuman), ce qui est permis notamment par une forte présence au groupe ECR depuis que les « Tories » britanniques ont quitté le groupe PPE en 2009 (ils représentent 20 députés sur 73 de ce groupe) ainsi qu’au groupe ELDD au sein duquel sont représentés les membres du parti europhobe « UKIP ».
Les Polonais semblent se concentrer sur les postes à forte visibilité, en identifiant des postes prioritaires pour la défense de leurs intérêts (quatre postes de présidents de commissions : sécurité et défense ; industrie, recherche et énergie ; agriculture et développement rural ; affaires constitutionnelles), mais en délaissant par exemple les postes de coordinateurs.
Les postes à responsabilité au Parlement européen seront remis en jeu à mi-mandat. Pour les rapporteurs, cela doit donner l’occasion de tirer des leçons du constat dressé par ce rapport, en adoptant une attitude plus stratégique dans les postes demandés par les députés de la délégation française, afin de privilégier les postes les plus utiles en matière d’influence, comme les présidences de commission ayant un véritable rôle législatif (comme la commission des budgets, la commission de l’environnement, la commission des libertés civiles, par exemple, plutôt que la commission des affaires étrangères), et de préserver le rôle de questeur. L’anticipation est la clé pour réussir à agir de manière la plus efficace et pour mieux réussir la deuxième partie du mandat que la première.
Une attention particulière devra être portée par la France à la présidence du Parlement européen. En effet, un accord tacite entre le PPE et le S&D prévoit que Martin Schultz laisse son siège en janvier 2017 à un membre du PPE, mais il semble, selon certaines personnes auditionnées par les rapporteurs à Bruxelles, que ce dernier ambitionne désormais d’effectuer un troisième mandat consécutif de deux ans et demi, ce qui serait une première regrettable dans l’histoire de cette institution.
« Jamais la France n’autorisera quelque modification de traité que ce soit qui puisse mettre en cause Strasbourg, capitale européenne. »
Discours du Président de la République à Strasbourg, 26 avril 2015
Le Parlement européen dispose de trois lieux de travail :
- le premier à Strasbourg, son siège, où se tiennent les séances plénières ;
- l’un à Bruxelles où ont lieu les réunions de travail des groupes parlementaires et des groupes politiques ;
- le troisième à Luxembourg où réside le Secrétariat général du Parlement.
Cette triple implantation, envisagée comme « provisoire » dans le traité de fusion des exécutifs de la CECA et de la CEE, se perpétua au fil des ans, jusqu’à ce que les chefs d’État et de gouvernements fixent cette situation de manière définitive lors du Conseil européen d’Édimbourg, le 12 décembre 1992, en déclarant que :
« Le Parlement européen a son siège à Strasbourg, où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire. Les périodes de sessions plénières additionnelles se tiennent à Bruxelles. Les commissions du Parlement européen siègent à Bruxelles. Le secrétariat permanent du Parlement européen et ses services restent installés à Luxembourg ».
À la demande de la France, ce texte a été consacré par les traités (protocole n°8 annexé au traité d’Amsterdam puis protocole n° 6 annexé au traité de Lisbonne sur la fixation des sièges des institutions, organes et organismes des institutions). En outre, l’article 341 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne stipule que « le siège des institutions de l’Union est fixé du commun accord des gouvernements des États membres ». Modifier le siège du Parlement européen requiert donc l’unanimité des États membres.
À plusieurs reprises, la Cour de Justice a également tranché en faveur de la ville française :
- dans un arrêt du 22 septembre 1988, elle a rappelé que le Parlement européen peut organiser des sessions additionnelles à Bruxelles, mais que celles-ci doivent avoir un caractère « exceptionnel » et être justifiées « par des raisons objectives tenant au bon fonctionnement du Parlement » ; (15)
- saisie par la France, dans un arrêt du 1er octobre 1997, elle a annulé le calendrier parlementaire pour 1996, qui prévoyait la tenue de seulement onze sessions plénières à Strasbourg et de huit sessions additionnelles à Bruxelles ; (16)
- saisie par la France et par le Luxembourg, elle a annulé dans un arrêt du 13 décembre 2012 (17) la décision du Parlement de regrouper les deux sessions plénières d’octobre sur une seule semaine, réduisant de fait d’une semaine par an la présence des parlementaires à Strasbourg, en rappelant que les traités imposent douze périodes de sessions plénières mensuelles à Strasbourg. Ce calendrier avait également été dénoncé par l’Assemblée nationale, dans une résolution du 29 mai 2011 relative à la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg. À cette occasion, André Schneider avait notamment rappelé que « la diversité des capitales européennes est une richesse pour l'Europe ». (18)
Depuis une dizaine d’années, le lobby anti-Strasbourg s’est intensifié, mené principalement par certains groupes politiques (ALDE, Verts, S&D) et par certains États (Royaume-Uni, pays du Nord).
En 2006, une campagne intitulée « One Seat » – menée par Cécilia Malström – publie une pétition en ligne qui recueille plus d’un million de signatures en quatre mois. En 2010, une nouvelle campagne « Single Seat » est lancée sous l’impulsion de députés libéraux, et, parallèlement, un groupe de travail informel (« Seat study group ») est créé au sein du Parlement européen et dirigé par Edward Mc Millan, Vice-président du Parlement européen.
En 2013, un rapport d’initiative de MM. Ashley Fox (conservateur, Royaume-Uni) et Gerald Häfner (Verts, Allemagne) se prononçant en faveur d'une demande du Parlement européen de modification des traités afin de pouvoir décider de son siège a été adopté à une large majorité, 483 députés sur les 658 présents en séance votant par la suite en faveur d’une résolution pour que l'institution siège dans « un lieu unique ».
En octobre 2014, un amendement « anti-Strasbourg » a recueilli 511 voix lors du vote sur le budget général de l’Union pour 2015.
Enfin, en février 2015, une demande de rapport législatif de révision des traités a été présentée par la commission des affaires constitutionnelles. Finalement rejetée par la conférence des présidents, cette demande de rapport aurait constitué la première demande formelle du Parlement européen de modification des traités : plusieurs parlementaires dont le président du groupe S&D Gianni Pittella et le président du groupe ADLE Guy Verhofstadt se sont interrogés sur l'opportunité pour le Parlement de faire porter sa première demande de révision des traités sur la question du siège.
La question du siège devrait en revanche être abordée dans le cadre du rapport de Guy Verhofstadt sur l’avenir institutionnel de l’Union, qui devrait être présenté très prochainement.
Depuis 1980, des contrats triennaux spécifiques avec les collectivités territoriales concernées marquent l’engagement de l’État pour conforter le statut européen de Strasbourg.
La loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles a permis de réaffirmer cet engagement. Elle dispose en effet que pour assurer à l’Euro métropole de Strasbourg les moyens de ses fonctions de ville siège des institutions européennes, conférées en application des traités et des protocoles européens ratifiés par la France, l’État signe avec celle-ci un contrat spécifique, appelé « Contrat triennal, Strasbourg, capitale européenne ».
Le contrat triennal pour la période 2015-2017 prévoit un investissement à hauteur de 148,71 millions d’euros, avec une participation de l’État s’élevant à 40 millions d’euros. La répartition de ces investissements s’articule autour de quatre axes.
- améliorer l’accessibilité de la capitale parlementaire de l’Europe : 40,11 millions d’euros dont 16,80 millions d’euros de l’État (extension de la ligne de tramway desservant le quartier européen, préparer les liaisons directes des institutions avec la gare et l’aéroport, soutien des voies aériennes avec des lignes sous obligation de service public) ;
- affirmer Strasbourg comme capitale de la démocratie et des droits de l’homme : 27,15 millions d’euros dont 4,35 millions d’euros de l’État ;
- agir pour le développement du campus européen de Strasbourg : 20,16 millions d’euros dont 7,83 millions d’euros de l’État ;
- renforcer le rayonnement culturel européen de Strasbourg : 61,29 M€ dont 11,08 millions d’euros de l’État.
Parallèlement, une campagne offensive et dynamique de défense du siège de Strasbourg a été lancée par Catherine Trautmann le 21 octobre dernier. Cette campagne met en valeur les perspectives ouvertes par la création d’un nouveau quartier européen à Strasbourg, comparé au « trop-plein » institutionnel dont souffre le quartier européen de Bruxelles.
La task-force critique les estimations très approximatives réalisées sur le coût du Parlement à Strasbourg, et plaide en faveur de solutions pour une politique « zéro papier » pour la réduction des coûts de fonctionnement globaux du Parlement européen.
Surtout, le siège de Strasbourg apparaît comme un symbole politique fort, la distance géographique Bruxelles-Strasbourg constituant une « garantie de légitimité et d’indépendance pour le débat démocratique », pour reprendre les mots de Catherine Trautmann. La séparation claire des rôles des institutions européennes est facilitée par cette répartition géographique en pôle fonctionnels : un pôle exécutif et administratif à Bruxelles, un pôle législatif et éthique (siège du Conseil de l’Europe) à Strasbourg, un pôle judiciaire à Luxembourg, et un pôle économique et financier à Luxembourg.
Dans cette perspective, l’installation d’un éventuel « Parlement de la zone euro » à Strasbourg aurait également tout son sens.
III. LA PRÉSENCE ADMINISTRATIVE DES FRANÇAIS DANS LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES : SATISFAISANT, MAIS PEUT MIEUX FAIRE
Les rapporteurs tiennent à mettre en garde contre une vision purement « comptable » de l’influence française, qui n’est pas directement corrélée à la présence de fonctionnaires français dans les institutions européennes. Au contraire, un pays véritablement influent en Europe doit être en mesure de devenir une référence écoutée bien au-delà du simple cercle de ses concitoyens ! Aujourd’hui, des fonctionnaires et des parlementaires d’autres nationalités peuvent être de précieux relais des positions de la France à Bruxelles.
Toutefois, il est évidemment nécessaire que des fonctionnaires français ou imprégnés des valeurs françaises soient présents à tous les niveaux de l’administration européenne : ce sont des relais précieux des positions de la France, car ils la connaissent intimement, et partagent en général une certaine idée que la France se fait de la construction européenne.
À la Commission européenne, au premier semestre 2015, les Français représentent 2300 agents sur un total de 23 500 agents, soit 9,72 % des effectifs. Elle se place donc au troisième rang derrière la Belgique et l’Italie. La France est donc statiquement sous-représentée, puisqu’elle représente 12,7 % de la population de l’Union européenne. Il faut toutefois souligner que c’est le cas pour la plupart des grands pays : l’Allemagne représente par exemple 16,3 % de la population mais seulement 7,35 % des effectifs de la Commission européenne.
Le plus révélateur pour évaluer la présence française dans les institutions est de s’intéresser aux emplois de catégorie A, c’est-à-dire aux emplois d’administrateurs. La France compte 1 344 administrateurs sur 13 627, soit 9,86 % des effectifs, et est donc représentée sensiblement au même niveau que les Allemands (1 379 agents de catégories A), les Italiens (1 351) et les Belges (1 326), devant tous les autres États membres.
La nomination en juin 2015 de M. Olivier Guersent et de Mme Monique Pariat comme directeurs généraux a permis le retour à la parité franco-allemande au plus haut niveau d’encadrement de la Commission européenne, les Français et les Allemands étant les États membres les plus représentées avec chacun cinq directions générales chacun (contre quatre directeurs généraux espagnols, trois directeurs généraux italiens, trois directeurs généraux néerlandais, trois directeurs généraux britanniques).
Sur trente-trois directeurs généraux, cinq français occupent donc des postes à des directions clés pour la France :
- M. Jean-Luc Demarty, directeur général du commerce ;
- M. Dominique Ristori, directeur général de l’énergie ;
- M. Michel Servoz, directeur général de l’emploi et des affaires sociales ;
- M. Olivier Guersent, directeur général des services financiers, union bancaire et des marchés de capitaux ;
- Mme Monique Pariat, directrice générale de l’aide humanitaire et de la protection civile.
En revanche, la France ne dispose que d’un Secrétaire général adjoint et d’une directrice générale adjointe (Mme Sixtine Bouygues, directrice générale adjointe de la communication), alors que l’Allemagne dispose de quatre directeurs généraux adjoints. Une attention particulière doit donc être apportée à ce niveau, afin de s’assurer du maintien du nombre de directeurs généraux français dans les années à venir, alors que trois des directeurs généraux français partiront à la retraite en 2017.
Par ailleurs, les rapporteurs considèrent que la France est insuffisamment représentée sur les questions économiques, qui sont aujourd’hui des secteurs stratégiques : une attention particulière devra être apportée à ces postes. Une vigilance spécifique doit être apportée à la présence française au sein des directions générales « affaires économiques et financières » (à relativiser puisque le commissaire est lui-même français), Budget (présence française faible et en perte de vitesse continue), commerce (présence française de plus en plus faible malgré le poste de directeur général).
La présence française à des postes-clés de la direction générale de l’agriculture a également diminué : aucun membre de cabinet du commissaire Phil Hogan n’est français, et l’on constate un recul indéniable de la présence française au sein de la direction générale elle-même, particulièrement au niveau des postes d’encadrement supérieur (pas de français aux postes de directeur général et de directeur général adjoint). Une tendance similaire est observée au sein de la direction générale « MARE », en charge de la pêche, au sein de laquelle aucun français n’est représenté au niveau de directeur général et de directeur.
Les rapporteurs considèrent également que les mobilités devraient être favorisées à très haut niveau entre l’administration française et l’administration européenne. À ce titre, l’exemple de M. Roberto Viola, directeur général de la direction « réseaux de communication, contenu et technologies » à la Commission européenne a attiré l’attention des rapporteurs : cet italien a en effet passé toute sa carrière avant son arrivée à la Commission européenne en tant que directeur général adjoint au sein du régulateur italien des télécommunications.
Le cas particulier du Service européen d’action extérieure
La présence des français au SEAE reflète le poids toujours primordial de la France dans les relations extérieures de l’Union européenne. Depuis la création du service, son secrétaire général est français – aujourd’hui Alain Le Roy, qui a succédé à Pierre Vimont. Le directeur général du SEAE « Afrique du Nord, Moyen Orient, Péninsule arabique, Iran et Irak est également français. Avec 10,5 % des effectifs globaux, la France fait partie des pays qui y sont le mieux représentés avec la Belgique et l’Italie. Surtout, en nombre d’administrateurs, la France se place en tête des États membres avec près de 13 % devant l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne. Enfin, le contingent de français est de loin le plus nombreux parmi les agents du SEAE envoyés par les États membres (pour mémoire, le SEAE est constitué pour un tiers d’agents de la Commission européenne, pour un tiers d’agents issus du Conseil et pour un tiers d’agents issus des États membres).
Les diplomates et END français envoyés au SEAE sont gérés par le ministère des affaires étrangères, qui a mis en place une procédure permettant un haut niveau de recrutement : les candidats potentiels (diplomates mais également issus d’autres ministères tels que les ministères de la défense, des finances ou de l’intérieur) sont repérés par la direction des ressources humaines du Quai d’Orsay. La direction des ressources humaines aide ensuite ces candidats à préparer leur dossier de candidature (rédaction du CV « Europass » et des lettres de motivation notamment) et organise des oraux blancs.
La présence française dans l’administration du Parlement européen, en 2015, est de 687 agents (sur un total de 5 990, soit 11,47 % des effectifs), parmi lesquels 211 administrateurs sur un total de 2 453, soit 9 % des effectifs.
En ce qui concerne les fonctions d’encadrement supérieur, la France dispose de :
- deux directeurs généraux : services des finances et affaires juridiques ;
- sept directeurs : relations avec les parlements nationaux, droits des citoyens et affaires constitutionnelles, affaires budgétaires, service de recherche, ressources, sécurité, juridique.
Toutefois, la présence administrative allemande prédomine aujourd’hui largement au Parlement européen. Le Secrétaire général, Klaus Welle, est allemand. Les interlocuteurs auditionnés par vos rapporteurs ont souligné que les nominations administratives au Parlement européen sont de plus en plus politisées : la faiblesse de l’influence politique française au Parlement européen freine donc logiquement certaines de ces nominations.
Au Secrétariat général du Conseil, la France est insuffisamment représentée, puisqu’elle dispose de 147 fonctionnaires sur un total de 2 827, soit 5,2 % des effectifs. Elle se positionne donc au cinquième rang aujourd’hui (en comparaison, en 2004, la France disposait de 7,2 % des effectifs en 2004 et se situait donc au quatrième rang). Au niveau des administrateurs, quatre-vingt-six agents sont de nationalité française sur un total de 1 290, soit 6,67 % des effectifs, ce qui place la France au troisième rang.
Au niveau de l’encadrement supérieur, la France est également moins bien représentée au Conseil qu’elle ne l’a été par le passé. Un directeur général sur huit, quatre directeurs sur trente-trois et dix chefs d’unité sont français. Pierre de Boissieu, secrétaire général adjoint de 1999 à 2009, puis secrétaire général jusqu’en 2011, a été remplacé par un allemand puis, depuis juillet 2015, par un danois. En revanche, le service juridique reste dirigé par un français, aujourd’hui Hubert Legal.
La France reste très bien représentée à la Cour de Justice de l’Union européenne.
À la Cour de justice de l’Union européenne, les trois juridictions la composant confondues, la France arrive en tête avec 442 ressortissants sur un effectif total de 2 153, soit 20 % des effectifs, et 166 agents de niveau administrateur sur 1 187. Elle est donc la nationalité la mieux représentée à ce niveau.
L’influence française sur le droit de l’Union européenne
Le droit français a eu une influence majeure sur le droit communautaire.
Ainsi, l’organisation administrative européenne est nettement inspirée des règles qui régissent la fonction publique française (recrutement par concours, système de la carrière plutôt que de l’emploi, organisation pyramidale des services).
À la Cour de Justice européenne, les règles de procédure, les différents recours ouverts et les constructions jurisprudentielles sont marquées par le droit français. À titre d’exemple, les « principes généraux du droit communautaire » dégagés par la Cour du Luxembourg ne sont pas sans rappeler ceux dégagés bien plus tôt par le Conseil d’État français.
En revanche, dans le domaine économique et financier européen, c’est nettement le droit anglo-saxon qui domine aujourd’hui.
L’exemple de la législation européenne sur la protection des données est à cet égard révélateur : alors que la directive de 1995 était très directement inspirée de la loi CNIL de 1978, le nouveau règlement européen sur la protection des données personnelles révèle une emprise croissante du droit anglo-saxon dans ce domaine, avec la mise en place de mécanismes de certification et la consécration du principe de « privacy by design » (« vie privée dès la conception »).
La France doit être attentive à cet aspect de son influence, et notamment à l’idée récurrente de créer, au sein de la Cour de Justice de l’Union, un « tribunal des marques » qui serait de facto dominé par l’anglais et par le droit anglo-saxon.
Pour vos rapporteurs, si la présence des français dans l’administration européenne est globalement satisfaisante, des difficultés subsistent pour placer des français à certains postes hautement stratégiques.
C’est notamment le cas pour les postes de chefs de cabinet de commissaires, équivalent au poste de directeur de cabinet d’un ministre en France. Actuellement, vingt-huit français sont présents au sein des cabinets de commissaires, dont plusieurs binationaux. Ces français sont bien répartis, puisqu’ils sont présents dans vingt-et-un cabinets. En revanche, la France ne dispose que de deux chefs de cabinet (dont un binational), dont M. Olivier Bailly au cabinet du commissaire français.
Le Royaume-Uni compte quatorze britanniques dans quatorze cabinets, dont deux chefs de cabinet et trois chefs de cabinet adjoints. L’Allemagne compte presque autant de membres de cabinets que la France (vingt-cinq), mais cinq chefs de cabinet et cinq chefs de cabinet adjoints.
Le faible nombre de chefs de cabinet français est inquiétant pour la présence française au sein des institutions européennes. En effet, un passage par ce poste est un important accélérateur de carrière, fortement recommandé pour obtenir par la suite un poste de direction au sein de la Commission européenne.
Cette faiblesse est directement liée à l’influence politique de notre pays dans l’Union européenne : les commissaires européens cherchent souvent un chef de cabinet qui pourra leur servir de facilitateur auprès des autres institutions, et notamment auprès du Parlement européen, ce qui les incite aujourd’hui à rechercher à tout prix un chef de cabinet allemand, au détriment des candidats français.
Toutefois, elle s’explique également par des erreurs stratégiques : les candidatures pour les postes en cabinet doivent impérativement être mieux anticipées, et obéir à des règles simples : la France ne devrait pas présenter plus de deux candidats par postes, et présenter uniquement des candidats ayant une véritable expérience au sein des institutions européennes, et non pas des hauts fonctionnaires nationaux, aussi compétents soient-ils. Un fichier de candidats potentiels, identifiés au moment des élections européennes par le SGAE et la représentation permanente, devrait être créé à cet effet. Par ailleurs, les candidats finalement proposés par la France devraient faire l’objet, au moins en ce qui concerne les postes de chefs de cabinet, d’un véritable soutien politique. Certains chefs de gouvernement, et notamment, semble-t-il, la chancelière allemande, n’hésitent pas à intervenir personnellement pour recommander telle ou telle candidature auprès des commissaires concernés.
Deux exemples de nomination à la tête d’agences européennes : un succès, un échec
1. Un succès : Frontex
Le 26 novembre 2014, Fabrice Leggeri a été nommé directeur exécutif de Frontex. Identifié préalablement par son ministère d’origine, le ministère de l’intérieur, son profil répondait parfaitement au poste : jusqu’alors responsable de la lutte contre l’immigration illégale au Ministère français de l’Intérieur, M. Leggeri est également un ancien expert national détaché auprès de la Commission européenne, et avait précédemment été en poste au ministère des affaires étrangères et à la tête de la division internationale et sous-directeur du droit international et européen au ministère de la défense.
Une fois M. Leggeri désigné comme candidat, le Gouvernement français a mené une campagne active en faveur de la candidature de M. Leggeri (forte mobilisation du réseau diplomatique français, développement de soutiens croisés par les ambassades, venue de M. Leggeri en juin 2014 en marge du Forum de Salzbourg, qui réunit les ministres de l’intérieur de huit États membres de l’Union européenne).
2. Un échec : le contrôleur européen de la protection des données
Pour vos rapporteurs, l’échec de la France lors de la nomination du nouveau contrôleur européen de la protection des données est très symptomatique.
Symptomatique d’une véritable perte de leadership, tout d’abord. La France a longtemps été pionnière sur les questions de protection des données personnelles, en adoptant une loi dès 1978, qui a été la source d’inspiration directe de la législation européenne dans ce domaine en 1995. Elle dispose d’atouts majeurs pour rester un pays moteur sur cette question, et plus généralement pour s’imposer sur les enjeux numériques. Or, elle est aujourd’hui insuffisamment audible sur cette question. Sur le plan politique, force est de constater que l’Allemagne a investi ce sujet - le commissaire en charge du marché unique numérique est allemand, tout comme le rapporteur en charge du règlement sur la protection des données -, là où la France l’a petit à petit délaissé.
Au-delà de ce problème de fond, la stratégie française pour la nomination du nouveau contrôleur européen de la protection des données a été, aux yeux de vos rapporteurs, difficilement compréhensible et vouée à l’échec. En effet, deux candidats français étaient en lice : Noëlle Lenoir, ancienne ministre des affaires européennes, officiellement soutenue par la France et Yann Padova, ancien secrétaire général de la CNIL. La première est apparue comme le candidat « officiel » de la France, mais ce choix n’a pas été clairement assumé par le Gouvernement. Parallèlement, du fait de son expertise dans le domaine, le deuxième candidat a obtenu le soutien de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Espagne, du Luxembourg, de la Suède et des pays baltes. Il n’a jamais été reçu par la Représentation permanente de la France à Bruxelles, mais n’a pas non plus été incité par le Gouvernement à retirer sa candidature.
La présence de deux candidats français à ce poste et l’absence d’une véritable campagne de soutien de la part des plus hautes autorités françaises à son candidat a permis au candidat italien de gagner cette élection, alors que celui-ci avait été écarté au stade de la présélection par la Commission européenne en 2013. En effet, l’Italie a mené une campagne redoutablement efficace de soutien à son candidat, ancien contrôleur adjoint de la protection des données, profitant notamment de sa présidence du Conseil pour mener d’intenses opérations de lobbying en sa faveur, et proposant une alliance à la Pologne, qui avait également un candidat à proposer.
L’affaiblissement de la position française au Parlement européen a également été un frein au moment du vote en commission LIBE, les candidats français trouvant peu de relais au niveau parlementaire, et notamment au niveau des coordinateurs.
Au final, le candidat italien a obtenu trente-quatre voix, le candidat polonais dix voix, M. Yann Padova vingt et une voix, et Mme Lenoir quatre voix : vos rapporteurs considèrent que si une véritable stratégie avait été mise en place, la France aurait tout à fait pu remporter ce poste.
Afin qu’un tel échec ne se reproduise pas, ils en tirent plusieurs leçons pour obtenir des postes identifiés préalablement comme prioritaires et stratégiques :
- la France doit présenter un candidat unique ;
- une campagne active de soutien à ce candidat doit être mise en place par la Représentation permanente, avec l’aide du réseau diplomatique français dans les États membres ;
- en cas de difficultés, une intervention au plus haut niveau de l’État est primordiale ;
- les eurodéputés français doivent être mobilisés ;
- des alliances doivent être mises en place avec d’autres États membres, et notamment avec les petits États, en les assurant par exemple du soutien de la France à leur candidature pour d’autres postes.
Pour mémoire, comme la fonction publique nationale, la fonction publique communautaire est une fonction publique de carrière. Le recrutement des fonctionnaires dans les institutions de l’Union européenne s’effectue essentiellement par voie de concours, et ces concours sont organisés depuis 2003 par l’Office européen de sélection du personnel, l’EPSO.
Entre 400 et 500 français présents à la Commission européenne devraient partir à la retraite (tous grades confondus) d’ici 2020, soit environ 17 % de nos effectifs à la Commission européenne : il faut donc s’assurer que le « vivier » de français présents à tous les échelons dans les institutions européennes soit entretenu.
Or, aujourd’hui, les résultats des concours EPSO sont très décevants pour la France, qui compte un nombre insuffisant de lauréats.
Ainsi, sur l’ensemble des concours organisés par EPSO depuis 2010, on compte, selon le SGAE :
- sur 484 051 candidats, 35 372 candidats français, soit 7,3 % ;
- sur 5 722 lauréats, la France se situe au sixième rang (422 lauréats, soit 7,4 %) derrière l’Italie (722, 12,6%), la Belgique (653, 11,4 %), l’Espagne (521, 9,1 %), l’Allemagne (501, 8,8%) et la Croatie (455, 8 %) mais devant la Roumanie 7ème (311, 5,4 %).
Si l’on se focalise sur le concours d’administrateur généraliste :
- sur 238.258 candidats dont 17.077 français, soit 7,2% ;
- Sur 1 438 lauréats, la France se situe au quatrième rang (137 lauréats, soit 9,5 %) derrière l’Italie (228 lauréats, 15,9 %), l’Allemagne (165 lauréats, 11,5 %) et la Belgique (157 lauréats, 10,9%) mais devant l’Espagne (5ème, 135 lauréats, 9,4 %) et la Croatie (127, 8,6 %).
Les résultats du dernier concours d’administrateur généraliste sont un peu plus satisfaisants : ainsi, le concours d’administrateur de 2014 est qualifié par le SGAE de « bon cru », avec 15 lauréats français pour 146 lauréats au total, 10,3 % des candidats, seuls l’Italie (38,26 % des lauréats) et l’Allemagne (16,11 % des lauréats) faisant mieux). Le nombre de candidats français inscrits au concours reste toutefois insatisfaisant (2 015 sur 27 531 inscrits, soit 7,3 %, stable par rapport aux dernières années).
Le concours d’administrateur de 2015 est encore en cours : les premiers chiffres sont satisfaisants, car la France obtient 10,1 % des admissibles, mais la part des candidats français est en légère baisse (2 176 soit 6,9 % des inscrits).
C’est donc principalement la faiblesse du nombre de candidats qui explique les mauvais résultats de la France à ces concours.
Plusieurs éléments peuvent être avancés pour expliquer la baisse d’attractivité des carrières européennes auprès des étudiants français.
L’élargissement a ralenti l’entrée de fonctionnaires français dans les institutions européennes.
En effet, l’intégration à marche forcée des fonctionnaires de petits pays a découragé beaucoup de jeunes français, qui, même lauréats du concours, ont eu du mal à obtenir des postes, la priorité étant au rééquilibrage des contingents de fonctionnaires entre les États membres. Une partie des concours communautaires a en effet été réservée aux nouveaux États membres entre 2007 et 2011, et, selon le SGAE, « on peut estimer à environ 1 150 le nombre de lauréats des anciens États membres qui auront été recrutés entre juillet 2007 et décembre 2011, chiffre à comparer aux 4 499 issus des nouveaux États membres ». Aujourd’hui, on peut toutefois considérer que cet effet a été amorti.
Surtout, de l’avis de la plupart des interlocuteurs auditionnés par vos rapporteurs, la réforme des concours européens qui a eu lieu en 2009 a découragé bon nombre de candidats français potentiels.
Jusqu’en 2009, la structure des concours européens avait très peu évolué depuis le début de la construction européenne. Une réforme d’envergure a eu lieu en 2009, permettant à l’EPSO d’imposer de nouvelles méthodes de recrutement. Les nouveaux concours visent à évaluer « davantage la compétence que la connaissance ». Les nouveaux concours, tous grades confondus, se déroulent désormais en deux phases : d’abord, les tests de présélection ; ensuite, les épreuves d’évaluation. Par exemple, le concours d’administrateur comporte désormais deux phases de sélection : une première phase consistant en des tests extrêmement sélectifs, se rapprochant des examens anglo-saxons et des méthodes de recrutement des cabinets de conseil (tests psychotechniques sur ordinateurs) puis des épreuves d’évaluation. (19) Les épreuves de connaissance sur l’Union européenne et ses institutions et les dissertations ont été supprimées.
Les candidats français sont moins à l’aise avec ces nouvelles épreuves, plus éloignées de leur formation, mais également des épreuves des concours de la fonction publique française (pas d’épreuve de culture générale ou relative aux institutions européennes, pas de dissertation mais plutôt des QCM), éliminant toute possibilité d’ « économies d’échelle » pour les candidats souhaitant passer plusieurs concours en parallèle.
Certaines personnes auditionnées par vos rapporteurs ont souligné que les réformes successives du statut des fonctionnaires européens ont également pu affecter l’attractivité des carrières européennes auprès des potentiels candidats français. En effet, l’importante réforme Kinnock de 2004 puis la réforme du statut des fonctionnaires européens en 2014 ont notamment conduit à :
- une réduction des salaires ;
- une plus grande difficulté d’accéder à des postes d’encadrement supérieur liée à la réforme du système de carrière effectuée en 2004 (grades allant « d’AD 5 » à « AD 16 » au lieu de « AD 8 » à « AD 15 » auparavant, passage au grade supérieur moins systématique, mise en place de centres d’évaluation pour accéder aux postes de chefs d’unité) ;
- une augmentation progressive de l’âge de la retraite.
La réforme du statut des fonctionnaires européens est en effet un élément à prendre en compte, mais vos rapporteurs estiment toutefois peu probable que ce soit un élément déterminant dans le choix des jeunes français de ne plus passer les concours européens, le statut de la fonction publique européenne restant très attractif, notamment en comparaison des carrières dans la fonction publique française.
En revanche, vos rapporteurs estiment que le discours national très négatif sur l’Europe explique cette désaffection des jeunes français pour les concours européens : comment les convaincre de s’engager pour toute une carrière au service de l’Union européenne et notamment de la Commission européenne, alors que « Bruxelles » est si souvent dépeint comme un mastodonte technocrate responsable de tous les maux ? C’est très frappant lorsque l’on regarde le Royaume-Uni, dont le nombre de candidats a chuté drastiquement au cours des dernières années.
Face à ce constat, des initiatives ont été récemment mises en place par le SGAE, par le biais du réseau des partenaires de concours européens mis en place en 2013, qui comprend les centres de préparation aux concours européens, les institutions concernées (ministère des affaires étrangères, ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, les bureaux du Parlement européen et de la Commission européenne en France), les organismes d’orientation.
Un plan d’action a été mis en place, et a notamment débouché sur la création d’un réseau d’ « ambassadeurs des carrières européennes ». Ainsi, pour l’année 2015-2016, onze étudiants inscrits dans différents établissements concernés par les carrières européennes ont été désignés pour promouvoir les carrières européennes au sein de leurs universités ou de leurs écoles, et ont reçu une formation de deux jours à Bruxelles, et d’une journée à Paris. Le SGAE souhaite augmenter le nombre de ces jeunes ambassadeurs à vingt pour l’année 2016-2017, afin de couvrir une partie plus large du territoire français.
Dans la même logique, un premier « Forum des carrières de l’Europe » a été organisé par le SGAE le 28 novembre 2015, recevant plus de 1 200 participants.
Les rapporteurs apportent leur plein soutien à ces initiatives, qui doivent être pérennisées et accompagnées des moyens nécessaires.
Plusieurs centres de formation français préparent aujourd’hui spécifiquement aux concours européens : l’ENA, l’Institut d’Études Politiques de Paris et l’ORSEU, un organisme privé.
Vos rapporteurs ont rencontré la direction de l’ENA, qui a rappelé que depuis 2003, l’ENA propose une préparation aux concours de la fonction publique européenne.
Avant la réforme des concours européens, le besoin d’une telle formation ne s’était pas fait ressentir, le format des concours européens étant relativement proche de celui des concours de la fonction publique française. L’école est recensée, depuis 2003 par l’EPSO comme le centre préparatoire aux concours européens.
En 2014, environ 1 000 candidats ont été préparés par l’ENA (20), avec des taux de réussite très satisfaisants (environ 7% pour le concours d’administrateur de 2014, contre un taux de réussite au concours de 0,53 %). L’ENA propose une préparation très complète à toutes les épreuves des concours EPSO (entraînements aux tests de présélection, préparation au test intermédiaire du « bac à courrier », mise en situation aux épreuves en centre d'évaluation, entrainement à l’épreuve écrite d’étude de cas et à l’épreuve orale, formation à distance via les outils numériques). Ces préparations qui se déroulent sur une ou deux journées coûtent entre 150 et 380 euros.
Un centre de préparation aux concours européens a également été créé à Sciences Po Paris en avril 2007, et prépare désormais à tous les concours d’administrateurs généralistes et spécialisés. Une centaine de préparationnaires sont inscrits chaque année à cette préparation, dont une majorité d’élèves de l’école.
Ces formations devraient toutefois profiter à plus de préparationnaires. Vos rapporteurs proposent notamment qu’un système de bourses soit mis en place pour la formation aux concours européens, ouvert à la fois aux étudiants et aux fonctionnaires.
Par ailleurs, les actions de formations mises en place devraient concerner un maximum de partenaires académiques : des modules de préparation aux concours européens devraient être proposés, en partenariat avec l’ENA par exemple, dans tous les cursus de masters dédiés aux affaires européennes. Les centres de préparation devraient également mettre l’accent sur les formations à distances (visio-conférence, coaching virtuel, auto-évaluation en ligne) afin d’élargir au maximum leur audience). Des contacts devraient également être développés en dehors de ces cursus traditionnels, car les concours européens recrutent désormais de plus en plus de jeunes professionnels, issus notamment du secteur privé : des contacts avec les grandes écoles de commerce et leurs associations d’Alumni pourraient notamment être développés.
Plusieurs « modèles » étrangers ont été évoqués lors des auditions menés par les rapporteurs : alors que l’Espagne présente un nombre de candidats très élevé ensuite formés « en masse » par le ministère des affaires étrangères espagnol, les Pays-Bas identifient un petit nombre de candidats, et leur propose une formation quasi-individualisée assurée par le ministère des affaires étrangères et la représentation permanente néerlandaise à Bruxelles, avec à la clef un taux de réussite deux fois supérieur à celui des candidats français.
Les lauréats français aux concours européens devraient être mieux accompagnés par l’administration française : ainsi, en plus d’un accueil et d’une orientation renforcés des nouveaux lauréats de tous les concours par la Représentation permanente, les rapporteurs proposent qu’un système de parrainage de chaque lauréat par un fonctionnaire européen titulaire soit mis en place.
Par ailleurs, il devrait être proposé aux lauréats français d’effectuer un stage rémunéré ou un contrat à durée déterminée durant tout ou partie de la période d’inscription sur la liste de réserve. Cela permettrait à ces lauréats de mieux connaître le fonctionnement de l’administration française et d’y développer un réseau, tout en diminuant les réticences des candidats face à l’important décalage qui subsiste entre les résultats du concours et l’entrée effective dans la fonction publique européenne.
Vos rapporteurs considèrent que le format actuel des concours n’est pas satisfaisant. Ils estiment nécessaire que le Gouvernement français plaide auprès de ses partenaires européens pour une évaluation de la réforme des concours européens, six ans après sa mise en place, et propose notamment :
- d’imposer deux langues étrangères obligatoires aux concours européens, et introduire l’obligation de posséder une compétence linguistique élargie (français, anglais et allemand) a minima pour accéder aux postes d’encadrement ;
- de réintroduire dans les concours une épreuve portant sur les institutions, la culture et les politiques européennes.
Par ailleurs, vos rapporteurs considèrent que dans la perspective du départ potentiel du directeur actuel d’EPSO en 2017, ce poste doit être considéré comme un poste stratégique pour la France.
DEUXIÈME PARTIE : UN VÉRITABLE POTENTIEL QUI NE POURRA ÊTRE EXPLOITÉ QUE SI LA FRANCE FAIT DE L’EUROPE UNE PRIORITÉ POLITIQUE
Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) a remplacé en 2005 le Secrétariat général du Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI). Cette structure administrative interministérielle, composée d’environ deux-cents agents, est directement rattachée au Premier ministre. Elle coordonne les positions françaises sur tous les sujets européens, à l’exception de la politique étrangère et de sécurité commune qui est suivie par le ministère des Affaires étrangères et du Développement international, pour autant que cette politique ne fasse pas appel des instruments communautaires.
Le SGAE est chargé d’instruire et de préparer les positions qui seront exprimées par la France lors des négociations européennes. En cas de difficultés, le SGAE peut recourir à l’arbitrage du cabinet du Premier ministre ou au Premier ministre lui-même.
Il est également en charge de veiller à la bonne application du droit européen, notamment en ce qui concerne la transposition des directives européennes.
Le SGAE est une structure très efficace, que beaucoup de pays européens nous envient, mais dont le fonctionnement peut encore être amélioré.
La première et principale difficulté du SGAE est celle de son positionnement politique, entre l’Élysée en Matignon.
Il est fréquent que le secrétaire général du SGAE soit en même temps le conseiller pour les affaires européennes du Premier ministre, mais cela n’a pas toujours été le cas : Elisabeth Guigou, conseillère de François Mitterrand, dirigeait le SGCI entre 1988 et 1990.
Depuis 2012, on a pu observer une évolution notable dans le positionnement du secrétaire général du SGAE. Au début du quinquennat, Serge Guillon, secrétaire général de mai 2012 à avril 2014, était le conseiller pour les affaires européennes du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. En avril 2014, fût nommé comme secrétaire général, Philippe Léglise-Costa, conseiller Europe du président de la République, fonction qu’il quitta en décembre 2014, tout en gardant la préparation et le suivi des Conseils européens pour le président de la République (rôle de « sherpa »).
Le cumul de la fonction de Secrétaire général des affaires européennes et de conseiller pour les affaires européennes de l’Elysée est-il le positionnement le plus optimal ?
Pour certains, non, car il opère une confusion entre des fonctions de nature différente. Jean Quatremer énumérait dans un article du 8 avril 2014 toutes les questions concrètes que posait le rattachement du SGAE à l’Élysée : « le Premier ministre peut-il se retrouver ainsi renvoyé à la marge alors qu’il devra en assumer les conséquences sur le plan intérieur ? Ensuite, comment l’Élysée va-t-il pouvoir gérer autant de dossiers très techniques ? Enfin, si Matignon doit rendre des comptes de son action devant le Parlement, ce n’est pas le cas de l’Élysée, ce qui va encore accroître le déficit démocratique français, une grosse partie de l’interministériel échappant désormais à tout contrôle parlementaire ? ». Le SGAE a un rôle de gestion du quotidien, de coordination quotidienne des positions françaises au niveau interministériel et de ligne directe avec notre représentation à Bruxelles, le conseiller Europe du président de la République exerce, lui, une fonction de nature stratégique. Il veille à la préparation du Conseil européen, aux arbitrages qui n’ont pu être réglé au niveau du Conseil des ministres de l’Union, aux relations avec les partenaires de l’Union au niveau des chefs d’État et de gouvernement. Par essence, ces deux fonctions apparaissent, donc, comme incompatibles et leur cumul ne ferait que renforcer la confusion entre le quotidien et le stratégique.
Pour d’autres, a contrario, l’évolution vers un dispositif dans lequel le Secrétaire général du SGAE occupe également le poste de conseiller pour les affaires européennes du président de la République est souhaitable. C’est ce que suggère le Conseil d’État dans son rapport public de 2007, en estimant « qu’une telle organisation ne remet pas en cause l’autorité du Premier ministre sur les arbitrages nécessaires à la préparation des Conseils et relatifs à tous les dossiers de la compétence gouvernementale, mais qu’elle préserve la continuité de la coordination à tous les stades de la décision, y compris lors de la recherche des derniers compromis au Conseil européen. Elle garantit, en outre, une étroite coordination préalable sur l’ensemble des initiatives proposées par la France au Conseil européen ». Le Conseil d’État voit dans cette nouvelle organisation une manière de tirer les conséquences de l’affirmation institutionnelle du Conseil européen, mais aussi une réponse à la dyarchie exécutive propre à la France, qui ne rend pas toujours lisible pour nos partenaires l’exercice des responsabilités dans le domaine européen. La nomination d’une seule et même personne ayant la responsabilité du SGAE, sous l’autorité du Premier ministre, et en même temps, la charge d’assister le président de la République dans le domaine européen, permettrait d’opérer une clarification salutaire vis à vis de nos partenaires européens.
Les rapporteurs estiment en tout état de cause qu’il est nécessaire de mettre un terme à la situation actuelle qui reste floue, afin de garantir au SGAE la légitimité politique suffisante pour procéder aux arbitrages interministériels.
Par ailleurs, vos rapporteurs estiment que les liens entre le SGAE et le Secrétariat général du Gouvernement doivent être renforcés, afin notamment de mieux évaluer et anticiper les délais nécessaires pour la transposition des directives, et d’assurer une veille prospective sur les projets de texte européens à venir. Pour cela, un chargé de mission spécifique responsable de la coordination entre les deux organes pourrait être désigné. A minima, des réunions régulières entre les deux instances, associant éventuellement les directeurs d’administration centrale, devrait être organisées.
Enfin, vos rapporteurs considèrent qu’il est souhaitable que le SGAE s’ouvre encore davantage sur ses partenaires extérieurs.
Un important mouvement en ce sens a déjà commencé : ainsi, depuis quelques années, deux à trois fois par an, les présidents français des fédérations professionnelles européennes se réunissent autour du Secrétaire général des affaires européennes.
Par ailleurs, les liens du SGAE et de la Représentation permanente avec le Parlement européen ont déjà été considérablement renforcés. Les députés européens rencontrés ont souvent souligné la qualité des notes reçues du SGAE (au total, plus de mille notes ont été envoyées à tous les parlementaires français au Parlement européen depuis 2009), bien qu’ils aient regretté de ne pas les recevoir plus en amont. Le SGAE travaille également de plus en plus régulièrement avec des députés européens autres que les Français (en particulier avec les rapporteurs de texte présentant un intérêt particulier pour la France).
Cependant, le SGAE doit davantage s’ouvrir sur les acteurs de la société civile concernés par les textes européens.
Sur certains sujets particulièrement spécifiques et techniques, et notamment pour la négociation des actes délégués et des actes d’exécution, une expertise extérieure pourrait permettre à la France de définir une position de négociation plus pertinente et d’éviter les mauvaises surprises. Comme le suggérait le Conseil d’État dans son rapport public de 2007, intitulé « l’administration française et l’Union européenne », des « groupes ad hoc » interministériels ouverts aux différents acteurs impliqués, à l’exemple des comités danois ou des pratiques administratives britanniques, pourraient être mis en place pour les textes les plus importants. Ces groupes ad-hoc réuniraient les fonctionnaires en charge de la négociation et de la transposition ou de l’application des textes européens, mais également les partenaires économiques et sociaux concernés par la proposition de texte.
Sur la base du mandat de négociation qui lui est transmis par le SGAE, la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne est chargée d’assurer, au sein des groupes de travail du Conseil et du Comité des représentants permanents, la négociation des textes en discussion.
Les interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs ont souligné d’une manière unanime l’importante force de frappe de la représentation permanente, son efficacité et la grande qualité du travail effectué.
Toutefois, la Représentation permanente pourrait, comme le SGAE, s’ouvrir encore davantage sur l’extérieur – mais cette limite est surtout liée au fonctionnement général de l’administration française, très différent du fonctionnement de l’administration européenne. Les entreprises et les collectivités territoriales rencontrées par vos rapporteurs ont à plusieurs reprises souligné que par rapport à leurs homologues dans les autres États membres, elles rencontrent parfois des difficultés pour obtenir des informations auprès de la Représentation permanente sur les sujets qui les concernent.
Dans chaque ministère, il existe désormais une division en charge des questions européennes. Par ailleurs, conformément à la circulaire du Premier ministre du 21 mars 1994, les ministères nomment un ou plusieurs chargés de mission responsables du suivi du Parlement européen.
L’européanisation de certaines administrations françaises est particulièrement flagrante.
C’est par exemple le cas des ministères économiques et financiers. Ainsi, une mission « Parlement européen » est directement rattachée au Secrétariat général des ministères économiques et financiers. A la direction générale du Trésor, au sein du service « Europe », trois bureaux sont en charge des affaires européennes : le bureau « Union économique et monétaire » ; « coordination et stratégie européenne » (qui suit notamment les questions de présence française dans les secteurs économiques et financiers) ; « relations bilatérales et instruments financiers européens ».
a. Les experts nationaux détachés : une réussite incontestable pour la présence française dans les institutions communautaires, mais dont le potentiel est encore insuffisamment exploité par les administrations nationales
Les experts nationaux détachés (END) sont des fonctionnaires des États membres mis à disposition des institutions européennes pendant une période minimale de six mois et maximale de quatre ans. Ces fonctionnaires, qui continuent pendant cette période à être rémunérés par leur administration d’origine, représentent un lien essentiel entre ces institutions et les États membres. Vecteur d’influence important lors de leur mobilité, ils acquièrent une expérience extrêmement précieuse sur le fonctionnement interne de l’Union européenne dont ils peuvent faire bénéficier leur administration d’origine pendant tout le reste de leur carrière.
C’est notre pays qui est à l’origine de la création des END, dont il avait proposé la mise en place au début des années 1970, afin de faciliter la compréhension entre les fonctions publiques nationales et communautaires.
Les END forment désormais une part importante des effectifs des institutions européennes et sont devenus indispensables au bon fonctionnement des institutions européennes. La France, avec cent-quatre-vingt-huit END au 1er décembre 2015, est le principal pourvoyeur d’END, loin devant l’Italie et l’Allemagne. 17% des END français sont mis à disposition par les ministères économiques et financiers, 19% par le ministère de la défense, 13% par le ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie, près de 10% du ministère des affaires étrangères, 13% également pour le ministère de l’intérieur. Du fait des contraintes budgétaires qui pèsent aujourd’hui sur l’administration de l’État, de plus en plus d’END proviennent aujourd’hui des opérateurs (18%).
Le SGAE a élaboré une stratégie en matière de placement des END, en mettant en place des visio-conférences mensuelles interministérielles permettant de cibler les unités et les postes stratégiques pour la France. Il est également convenu de ne pas présenter sur un même poste plus de trois candidatures françaises dont deux au maximum provenant du même ministère.
La circulaire du Premier ministre du 26 septembre 2006 relative à la mise à disposition d’experts auprès des institutions européennes et échanges de fonctionnaires encourage la constitution de viviers de candidats potentiels et la désignation de coordinateurs ministériels. À l’heure actuelle, 77 % des administrations consultées se sont dotées d’un coordinateur d’END et 60 % entretiennent un vivier de candidats : c’est notamment de cas du ministère de l’écologie, du développement durable et de l'énergie, qui établit chaque année une enquête sur les langues parlées et les compétences de ses agents afin d’identifier des candidats potentiels pour ces postes.
Au moment du départ, chaque END bénéficie d’un entretien au SGAE, et, à Bruxelles, le Comité de liaison des END organise des réunions régulièrement. Une réunion annuelle des END se tient également à la Représentation permanente.
Malgré ces aspects très positifs, une importante marge de manœuvre subsiste pour améliorer le recrutement des END. Un fort fléchissement du nombre de candidats présentés a été observé entre 2013 et 2014 (quatre-vingt-quatre contre cent-vingt en 2013, cent-vingt-huit en 2012 et cent-douze en 2011). Par ailleurs, le nombre de postes prioritaires sur lesquels aucun agent n’a pu être présenté est également en augmentation (59 % en 2014, 52 % en 2013, 48 % en 2012). Dans un contexte budgétaire contraint, les ministères sont réticents à se séparer d’agents très compétents tout en assumant la charge financière de leur mise à disposition.
Enfin, le principal problème reste celui du retour des END, insuffisamment anticipé par les directions des ressources humaines de l’administration, et de la valorisation de l’expérience précieuse qu’ils ont acquise à Bruxelles, de l’avis de l’ensemble des personnes auditionnées par vos rapporteurs. Les END semblent parfois désincités à revenir dans leur administration d’origine, et souvent placés sur des postes qui n’ont absolument rien à voir avec l’Union européenne.
Ainsi, selon une enquête réalisée en 2014 par le SGAE auprès d’anciens END, pour plus de la moitié des anciens END questionnés (56 %), les directions des ressources humaines de l’administration d’origine n’ont pas fait de propositions concrètes de postes pour le retour. Pour plus de la moitié des anciens END questionnés (51 %), le poste occupé immédiatement après la mise à disposition n’avait pas de lien avec les fonctions d’END. Plus étonnant encore : alors que 75 % des personnes interrogées occupaient des fonctions en lien avec les affaires européennes avant leur départ dans les institutions, ce chiffre n’est plus que de 65 % à leur retour.
Vos rapporteurs considèrent que les END sont une ressource extrêmement précieuse pour l’administration française, et que leur rôle doit être reconnu et préservé.
Leur potentiel doit encore être mieux exploité. Selon la même enquête du SGAE, 52% des personnes questionnées estiment qu’elles auraient pu être davantage sollicitées sur les aspects liés à la présence française. En revanche, 87 % des personnes questionnées ont gardé un lien avec la France sur le fond des dossiers traités pendant leur mise à disposition. Cette situation est un progrès : en 2009, seulement 53 % des personnes questionnées avaient gardé un lien avec la France sur le fond des dossiers traités pendant leur mise à disposition.
Pour cela, face aux contraintes budgétaires qui pèsent aujourd’hui sur certains ministères, ils considèrent qu’une réserve interministérielle d’emplois doit être mise en place pour garantir la mise à disposition de fonctionnaires auprès des institutions européennes, dans des domaines identifiés comme prioritaires, afin que les contraintes pesant aujourd’hui sur l’administration de l’État ne conduisent pas les ministères à sacrifier ces postes.
Par ailleurs, en retournant dans leur administration d’origine, les END devraient bénéficier d’une priorité d’emploi sur certains postes fléchés avec une forte composante européenne. Une autre solution serait de déterminer en amont du départ des END le poste qu’ils occuperont à leur retour.
Le « fast stream » britannique, une source d’inspiration ?
Ainsi, dans son rapport public de 2007, intitulé « l’administration française et l’Union européenne », le Conseil d’État mettait en valeur l’ « European Fast stream » britannique.
Ce programme sélectionne un nombre limité de jeunes hauts fonctionnaires chaque année (entre dix et quinze par an) pour suivre une formation de haut niveau aux questions européennes. Affectés comme experts nationaux détachés, ces hauts fonctionnaires connaissent dès leur affectation le poste qui leur sera confié à leur retour. Par ailleurs, « au sein des institutions communautaires, ils maintiennent une étroite relation de travail avec leur représentation permanente et avec leur administration d’origine, à la différence de leurs homologues français ».
Plus généralement, vos rapporteurs considèrent que sur certains postes identifiés en amont pour le SGAE et la direction générale de l’administration et de la fonction publique et directement en lien avec les affaires européennes, une mobilité au sein des institutions européennes ou à la Représentation permanente devrait être un prérequis obligatoire.
Il est primordial de développer les contacts directs entre le personnel des administrations nationales et celui des institutions communautaires, qui permettent la constitution d’un réseau nécessaire à notre influence, mais également de renforcer la connaissance qu’a l’administration du fonctionnement concret des institutions – et, inversement, de familiariser l’administration européenne au fonctionnement de l’administration française.
Une démarche conjointe du SGAE et de la Commission européenne lancée en 2013 a permis la mise en place d’un programme d’échanges de fonctionnaires entre la Commission européenne et la France. Cet échange concerne aujourd’hui trois postes (échange entre trois fonctionnaires de la Commission européenne et des fonctionnaires français issus de la Direction générale du Trésor, de l’IGAS et du Conseil régional d’Aquitaine), pour une durée d’un an renouvelable jusqu’à trois ans.
Vos rapporteurs considèrent que cette initiative doit être pérennisée et amplifiée. Des échanges devraient également être mis en place avec les services du secrétariat du Conseil et du Parlement européen, et également avec les agences européennes.
Par ailleurs, la France est partenaire depuis trois ans du programme « Bellevue », qui compte dix pays. Ce programme consiste à mettre des fonctionnaires nationaux à disposition dans l’administration d’un autre pays européen pendant quinze mois, dont trois mois intensifs de cours de langue. Ainsi, en 2014, trois fonctionnaires français issus du ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, des ministères de l’intérieur et du ministère de l’agriculture ont bénéficié de ces échanges, et deux fonctionnaires espagnol et portugais ont été accueillis dans des ministères français.
Enfin, le SGAE a mis en œuvre en 2015 un programme de visite en France d’une délégation de quatorze administrateurs de la Commission européenne, de douze nationalités différentes (dont trois français) et de douze directions différentes, de fonctions allant jusqu’à directeur, pendant trois jours. Cette délégation a notamment été reçue à l’Assemblée nationale.
Vos rapporteurs estiment que cette initiative devrait être renouvelée chaque année.
a. Les questions européennes aux concours administratifs et dans les écoles d’application : l’exemple de l’ENA
Aux concours administratifs, les questions européennes constituent désormais une épreuve dans quasiment tous les concours de la haute fonction publique, mais cette épreuve n’est pas forcément obligatoire (c’est par exemple une épreuve écrite au choix au concours d’administrateur de l’Assemblée nationale, et une épreuve orale au choix au concours d’administrateur territorial). Elle est en revanche obligatoire à l’ENA (21 ) : vos rapporteurs considèrent qu’une épreuve sur les sujets européens devrait être obligatoire dans tous les concours de la fonction publique.
La formation initiale à l’ENA (la formation des « énarques ») comporte un module dédié aux questions européennes. Ce module se compose d’un stage de dix-sept semaines que les élèves doivent effectuer au sein d’une institution européenne, d’une ambassade, ou d’une organisation internationale. Ce stage est complété par des cours spécifiques sur les questions européennes. Chaque année, une quinzaine d’élèves de l’ENA effectuent donc un stage au sein des institutions européennes, dont une dizaine au sein de la Commission européenne, et notamment dans les cabinets de commissaires et au SEAE. Si les stages à la Représentation permanente et au sein des cabinets des commissaires restent appréciés par les élèves, les stages au sein des directions générales sectorielles de la Commission européenne sont en revanche moins plébiscités et parfois moins adaptés aux besoins des élèves. Globalement, l’École note une progressive désaffection pour les stages à Bruxelles, et doit parfois « forcer la main » des élèves pour qu’ils y effectuent leurs stages.
En ce qui concerne la formation continue, si l’offre est disponible (l’ENA propose notamment des formations pratiques sur des sujets liés à la gouvernance européenne : exercice de la présidence au Conseil de l’Union européenne, stratégies d’influence ou négociation au Conseil et au Parlement européen, et d’autres formations plus théoriques sur la connaissance des politiques européennes et les modalités de leur mise en œuvre par les acteurs nationaux), la demande est en revanche plus rare du côté des administrations.
Au vu de la complexité du droit de l’Union européenne et des changements institutionnels majeurs qui ont eu lieu avec le traité de Lisbonne, une formation actualisée des fonctionnaires semble toutefois indispensable. Vos rapporteurs estiment qu’une mise à niveau individualisée sur les questions européennes doit être obligatoire pour tout fonctionnaire d’État souhaitant accéder aux emplois supérieurs de la fonction publique.
Le Cycle des hautes études européennes
Le Cycle des hautes études européennes (CHEE) a été inauguré en 2007.
Sa création a été décidée lors du comité interministériel sur l’Europe du 19 décembre 2005, et les modalités concrètes de sa mise en œuvre sont issues d’un rapport rendu par Jean-Pierre Jouyet au Premier ministre en mai 2006. Construit sur le modèle de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), ce programme a pour vocation de diversifier le réseau des personnalités d'influence qui sont familières des questions européennes, de donner des clés de compréhension des positions nationales sur ces questions et de constituer une filière d'excellence sur les questions européennes pour des personnalités à fort potentiel de carrière.
- Les participants
Les promotions du CHEE sont constituées d’une quarantaine d’auditeurs chaque année.
La candidature au CHEE est ouvert aux ressortissants des États membres de l'Union européenne ou d'États tiers, aux décideurs issus du secteur public et de la société civile, élus européens, nationaux et locaux, hommes et femmes d’entreprises, universitaires, journalistes, hauts fonctionnaires, représentants d’organisations professionnelles, syndicales, des cultes...Les auditeurs doivent exercer des responsabilités confirmées dans leur domaine et bénéficiant d’au moins six années d’expérience professionnelle.
Cette formation n’est pas uniquement ouverte aux français : 17 % de ressortissants étrangers en moyenne depuis 2007 (la proportion oscille entre 11 et 24 % selon les promotions).
- La formation
Ce cycle est parrainé par des personnalités dont l’engagement européen est reconnu : Simone Veil, Jacques Delors, Valéry Giscard d’Estaing, Felipe Gonzalez, Mario Soares, Jean-Claude Trichet, Joschka Fischer, Jean-Claude Juncker, Emma Bonino pour les promotions précédentes et Ursula Von der Leyen pour la promotion en cours.
La formation se déroule sur trente-cinq jours répartis sur dix mois à raison de 2 à 5 jours par mois dans différentes capitales européennes (Paris, Strasbourg et Bruxelles, pour appréhender concrètement le fonctionnement des institutions européennes, ainsi que deux autres capitales de l’Union sont visitées pour analyser la politique européenne de ces États).
Lors de la formation, une place prépondérante est accordée au débat avec des praticiens de haut niveau choisis pour leur connaissance « de terrain » des politiques européennes (le directeur pédagogique de la formation est par exemple Serge Guillon, ancien Secrétaire général des Affaires européennes et conseiller « Europe » du Premier ministre), aux exercices de mise en situation et aux visites d’études.
Selon la directrice de l’ENA, auditionnée par vos rapporteurs, « depuis la création du cycle, trois enquêtes successives effectuées auprès des promotions 2007-2012 ont permis de souligner l’impact du Cycle non seulement sur l’européanisation des carrières des auditeurs, mais aussi sur les projets d’envergure européenne réalisés en commun par les participants du Cycle, (ex. ouverture d’un bureau de représentation d’une entreprise à Bruxelles, émissions de radio sur des sujets européens, projets universitaires communs… ».
Vos rapporteurs tiennent toutefois à souligner que les subventions reçues par le CHEE n’ont fait que diminuer depuis 2007 (la dotation initiale du CHEE versée par la DGAFP en 2007 s’élevait à 700 000 euros), jusqu’à être totalement supprimées depuis 2012. À titre de comparaison, pour l’IDHEN, la subvention inscrite au projet de loi de finances pour 2016 s'élève à 8,7 millions d'euros.
Aujourd’hui, selon le Comité des régions, 70 % de la législation de l’Union européenne a un impact régional et local direct. Passation de marchés publics, délégations de service public, protection de l’environnement, aides publiques accordées par les régions à des entreprises : les collectivités territoriales sont désormais confrontées quotidiennement à des questions d’application du droit de l’Union.
Par ailleurs, les régions sont désormais directement chargées de la gestion d’une partie des fonds structurels. En effet, en application de l’article 78 de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, la quasi-intégralité des crédits du FEDER (Fonds européen de développement économique et régional) et 35 % des crédits du FSE (Fonds social européen) seront désormais gérés directement par les régions, alors qu’ils étaient auparavant gérés par le Secrétariat général pour les affaires régionales, à l’exception de l’Alsace pour laquelle la gestion directe des fonds structurels faisait l’objet d’une expérimentation législative depuis 2003.
Influencer le processus décisionnel européen est donc devenu une nécessité pour nos collectivités territoriales, qui doivent se mobiliser pour défendre leurs intérêts et leurs spécificités.
Les collectivités territoriales françaises sont évidemment représentées au comité des régions, qui est un organe consultatif représentant les autorités régionales et locales au sein de l’Union européenne. Le traité de Lisbonne a eu pour effet de renforcer le rôle de ce comité, en étendant son champ d’action à de nouvelles matières et en lui ouvrant le droit de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne.
Le Comité des régions est composé de trois cent cinquante membres dont vingt-quatre membres français. Ils sont nommés pour une durée de cinq ans par le Conseil, sur proposition des États membres. Alors que la plupart des États membres envoient en priorité des représentants des collectivités régionales, la France a fait le choix d’envoyer des représentants des régions (douze représentants), mais également des départements (six représentants) et des communes (six représentants).
Les collectivités territoriales sont également représentées par leurs bureaux de représentation permanente à Bruxelles.
Les régions françaises ont tardé à ouvrir de tels bureaux de représentation à Bruxelles, mais ont réussi à prendre le train en marche. L’Alsace est la première région française qui a inauguré un bureau de représentation en 1990, suivi par l’Ile de France en 1994. Alors qu’en 2004, seules vingt régions françaises sur vingt-deux étaient représentées à Bruxelles, les régions disposent désormais toute d’une représentation à Bruxelles, soit individuelle soit au sein d’un bureau commun à plusieurs régions, (22) y compris les collectivités d’Outre-Mer depuis 2013, date d’ouverture d’un bureau « des régions ultrapériphériques françaises ».
Les bureaux de représentation régionale peuvent avoir différents statuts. Certains ont le statut d’association au sens de la loi de 1901 : dans ce cas, ils peuvent regrouper autour de la région des mairies, des départements ou des universités. C’est par exemple le cas du bureau de représentation de l’Alsace, qui fédère, en plus de la région, plusieurs intercommunalités (Strasbourg, Mulhouse, Colmar), les Conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, la Chambre de commerce et d’industrie, la Chambre des métiers, la Chambre des métiers et l’Université de Strasbourg. D’autres sont des émanations directes des conseils régionaux.
Ces bureaux sont des structures de deux à dix personnes –aucunement comparable avec ceux des Länder allemands ! Initialement créés pour rechercher des financements dans le cadre des fonds structurels européens, leur mission s’est élargie puisqu’elle comprend désormais une grande part d’action de lobbying et de veille législative. Ils travaillent régulièrement en réseau avec d’autres régions françaises et des autres États membres, à l’exemple de la Conférence des régions périphériques maritimes.
La représentation des Länders à Bruxelles
En 1985, les Länders de Hambourg et Schleswig-Holstein ont ouvert un premier bureau commun de représentation auprès de l’Union européenne, suivis en 1992 par le Brandebourg et la Saxe-Anhalt.
Aujourd’hui, environ 250 collaborateurs sont envoyés à Bruxelles par les administrations des Länder. Par ailleurs, la majorité des gouvernements régionaux disposent d’un ministre chargé des affaires européennes.
L’exemple le plus frappant de l’installation des Länders à Bruxelles est celui de la Bavière, qui a acheté en 2004 un château (les locaux de l’ancien Institut Pasteur) pour environ 30 millions d’euros, situé à équidistance de la Commission européenne, du Parlement et du Conseil.
D’importants progrès ont donc été faits dans l’influence des collectivités territoriales dans l’Union européenne, mais ces progrès restent encore insuffisants. Les membres de l’ARRICOD auditionnés par vos rapporteurs ont souligné que « malgré une véritable prise de conscience de la part des élus, notamment depuis que les régions sont devenues les autorités de gestion des fonds européens, il existe toujours un manque d’appropriation de l’Europe au niveau régional » et ont regretté un manque de professionnalisation des porteurs de projets au niveau local, ce qui pénaliserait la France au moment des demandes de financement (difficultés à bien remplir les demandes et à faire remonter les factures). Des modules de formation continue dédiés sont pourtant proposés par le Centre national de la Fonction publique territoriale.
Pour accompagner ce mouvement, vos rapporteurs considèrent qu’il convient de mieux prendre en compte la mobilité des agents territoriaux, en modifiant notamment le statut général de la fonction publique territoriale pour permettre une sécurisation de la situation des fonctionnaires territoriaux en poste dans les institutions européennes et dans les bureaux des représentions des régions, et en facilitant de telles mobilités.
Les liens entre la Représentation permanente, le SGAE et les bureaux de représentation des collectivités territoriales à Bruxelles devraient également être renforcés, en organisant par exemple une réunion semestrielle à la Représentation permanente, et annuelle au SGAE.
De nouvelles perspectives seront ouvertes par la réorganisation des bureaux de représentation des régions à Bruxelles, en cours depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle organisation territoriale.
B. LES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES DE LA FRANCE DE MIEUX EN MIEUX REPRÉSENTÉS DANS LES COULOIRS DE BRUXELLES
Avec plus de 15 000 lobbyistes arpentant ses couloirs, Bruxelles pourrait aujourd’hui ravir à Washington son titre de capitale mondiale du lobbying. Les Français ont toutefois mis du temps à adopter cette pratique, le lobbying étant considéré dans l’Hexagone comme une activité suspecte voire même antidémocratique.
Créé en 1995 à l’initiative du MEDEF et de la CCI-France, le cercle des délégués permanents réunit les lobbyistes français auprès de l’Union européenne. Son objectif est de structurer la représentation des intérêts français auprès des institutions de l’Union, et de permettre la meilleure communication possible entre ses membres, la Représentation permanente de la France et les instances communautaires : ce n’est pas une instance de lobbying mais une plateforme d’échanges.
Le cercle des délégués permanent regroupe actuellement deux-cent-trente membres, issus de centre-trente-cinq structures.
RÉPARTITION DES MEMBRES DU CERCLE DES DÉLÉGUÉS PERMANENTS FRANÇAIS
Famille professionnelle |
Nombre de structures |
Entreprises |
33 |
Organisations professionnelles |
32 |
Cabinets d’avocats/conseil |
33 |
Collectivités territoriales |
25 |
Organismes de recherche |
4 |
Organisations agricoles |
6 |
Think tanks |
2 |
TOTAL |
135 |
En 2004, le Cabinet de Conseil APCO estimait que 37 % des grandes entreprises françaises n’avaient pas de bureau ou de représentant permanent à Bruxelles. Depuis dix ans, celles-ci ont pris la mesure de ce qui se joue à Bruxelles, et désormais, plus de vingt entreprises du CAC 40 ont un bureau de représentation à Bruxelles, ainsi qu’une quinzaine d’autres grandes entreprises.
La plupart d’entre elles se réunissent de manière informelle au sein du « Club des grandes entreprises françaises ». Les entreprises, depuis quelques années, envoient à Bruxelles plus de séniors connaissant déjà bien l’entreprise qu’ils doivent représenter – même si les jeunes volontaires internationaux en entreprises (« VIE »), qui sont aujourd’hui huit-cent-soixante à Bruxelles, restent des maillons indispensables pour ces bureaux de représentation. Les représentants de ces entreprises à Bruxelles, auditionnés par vos rapporteurs, se sont réjouis de l’attention croissante portée aux questions européennes aux sièges de leurs entreprises, ce qui facilite évidemment leur travail de lobbying mais également de veille règlementaire.
Au cours des dernières années, de pratique de « coopétitition », c’est-à-dire de coopération dans la compétition, se sont mises en place au sein de ce Club des grandes entreprises : des actions et expertises conjointes ont par exemple été menées autour de la directive sur la protection du secret des affaires. Les représentants des grands groupes de la filière automobile travaillent également ensemble sur certains sujets européens.
Une délégation permanente du MEDEF existe à Bruxelles depuis 1965. Cette délégation défend les intérêts du MEDEF et de ses adhérents auprès des institutions européennes, mais elle est également en charge de la représentation du MEDEF auprès du patronat européen, de Business Europe et de ses homologues européens.
Les Français au sein de Business Europe
Business Europe est une association patronale européenne qui défend les intérêts des employeurs d'entreprises privées auprès de l'Union européenne. Elle regroupe aujourd’hui quarante fédérations patronales de trente-quatre pays, dont le MEDEF.
Aujourd’hui, sur les sept commissions politiques de Business Europe, on compte un président (commission internationale) et deux vice-présidents (commission « affaires sociales » et commission « affaires économiques et financières »).
Sur une cinquantaine de groupes de travail, huit sont présidés par des membres du MEDEF, dont les groupes « brevets », « énergie », « qualité de l’air », « affaires financières » et « libres circulation des services ».
L’équipe du MEDEF à Bruxelles se compose de deux permanents, dont un cadre, assisté d’un chargé de mission et d’un volontaire international. À titre de comparaison, le BDI et le BDA Allemand, regroupés au sein du bureau du « German Business » emploient plus de vingt permanents à Bruxelles, la Confederazione generale dell’industria italiana quatorze, et la CBI britannique cinq.
S’agissant des petites et moyennes entreprises, la CGPME a un bureau de représentation à Bruxelles depuis 2003.
Les entreprises françaises sont principalement représentées à Bruxelles via leur fédération, soit au niveau français, soit par les fédérations européennes auxquelles elles appartiennent.
Ainsi, plus d’une vingtaine fédérations sectorielles françaises sont directement présentes à Bruxelles parmi lesquelles, par exemple la fédération bancaire française, la fédération française des sociétés d’assurance, la fédération des entreprises du commerce et de la distribution, l’Union des industries chimiques, l’Union française de l’Électricité, l’association de gestion financière ou la fédération nationale des activités de dépollution et d’environnement.
La présence des français dans les fédérations sectorielles européennes est également très satisfaisante. Ainsi, sur trente-neuf fédérations européennes sectorielles, dix sont présidées par un français :
- l’association des constructeurs européens d’automobiles ;
- le Conseil européen de l’industrie chimique ;
- le Comité de liaison européen des fabricants d'équipements et de pièces automobiles ;
- la fédération européenne des cosmétiques ;
- Europia, la fédération européenne des industries pétrolières ;
- le Centre de Liaison des Industries Transformatrices de Viandes de l'Union européenne ;
- FoodDrinkEurope, pour l’industrie agroalimentaire ;
- la fédération européenne des banques ;
- la fédération européenne de services aux particuliers ;
- le Conseil européen du commerce et de la réparation automobiles.
Ces fédérations européennes mènent des actions de lobbying auprès des institutions européennes pour défendre le secteur au niveau européen, et non des intérêts nationaux, mais les fédérations sectorielles françaises participent à définition de la position de leur fédération européenne.
2. L’influence économique par la norme : les cabinets d’avocats et de conseil marginalisés par les cabinets anglo-saxons
Comme l’a souligné Claude Revel dans son rapport remis en janvier 2013 à la ministre du commerce extérieure sur l’influence normative internationale de la France, « l’influence sur les règles et normes internationales, c’est-à-dire sur les règles du jeu économique, est une composante essentielle quoique peu visible de la compétitivité des entreprises et des États. Les régulations internationales ne sont jamais innocentes, elles déterminent des marchés, fixent des modes de gouvernance, permettent à leurs auteurs de devancer la concurrence, ou de la freiner, ou d’exporter leurs contraintes. Les acteurs privés contribuent de plus en plus à leur élaboration. Exercer de l’influence ( ou lobbying ou advocacy ) implique la mise en œuvre de stratégies et d’actions communes, dont l’absence ou la faiblesse aujourd’hui nuit à des Français par ailleurs dotés de compétences pointues dans tous les domaines ».
C’est particulièrement vrai à Bruxelles, qui est une ville de réseaux et de droit. La place des cabinets d’avocats et de conseil y est majeure. Aujourd’hui, plusieurs cabinets d’avocats (Fidal, Avisa, Gide Loyrette Nouelle, Samman, Lallemand, Legros et associés, ...) et cabinets de conseil (Acturus group, Athenora Consulting, Clan Public Affairs, Euralia, Logos, Fair Value public affairs, Interface Europe…) sont implantés à Bruxelles, mais le secteur reste dominé par une écrasante majorité de cabinets anglo-saxons et par quelques cabinets allemands comme Roland Berger.
L’influence de ces cabinets d’avocats et de conseil sur l’élaboration des politiques publiques européennes ne doit pas être sous-estimée.
Ces cabinets sont très présents dans les « groupes d’experts » mis en place par la Commission européenne. Ainsi, Alex Türk, sénateur et ancien président de la CNIL, soulignait devant la commission des affaires européennes du Sénat en 2009 que le groupe d’experts chargé faire des propositions à la Commission européenne sur la révision de la directive de 1995 sur les données personnelles et sur la protection des données dans les matières régaliennes était composé « de cinq personnes qui, pour quatre d'entre elles, sont issues soit de sociétés américaines, soit de cabinets d'avocats dont les principaux établissements sont également situés aux États - Unis ».
Les cabinets de conseil présents à Bruxelles peuvent également être chargés de réaliser les études préliminaires sur lesquelles s’appuie la Commission européenne pour réaliser ses études d’impacts.
Comme le souligne un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental sur l’influence de la France sur la scène européenne et internationale par la promotion du droit continental : « les cabinets anglo-saxons sont tout à fait rompus à cet exercice de prospective, de veille, de lobbying et savent avec une très grande aisance -et en synergie avec leurs autorités politiques- préempter les places dans les comités et les sous-groupes de travail déterminants ». Il recommande ainsi d’ « accentuer les efforts et de s’engager résolument dans une véritable politique de recrutement d’experts et de consultants aguerris et familiers des termes de référence issus de la culture juridique anglo-saxonne. L’enjeu pour notre pays : être en mesure de gagner beaucoup plus d’appels d’offres et de prendre toute sa place dans les comités de travail ou groupes de réflexion où se préparent les règles de droit et les normes pour l’avenir ».
Si la représentation de nos intérêts économiques s’est grandement améliorée au cours des dernières années, les rapporteurs estiment que des marges d’amélioration subsistent.
Tout d’abord, il conviendrait de rationaliser les organes de représentation des entreprises françaises (cercle des délégués permanents, antenne du MEDEF à Bruxelles, Club des grandes entreprises, conseillers du commerce extérieur de la France…) qui manque aujourd’hui de clarté et de lisibilité. À court terme, des synergies pourraient être dégagées en rapprochant ces différentes instances. Un exemple concret existe déjà : depuis novembre, le MEDEF, plusieurs fédérations professionnelles françaises (fédération des entreprises du commerce et de la distribution, fédération bancaire française, association de gestion financière, fédération nationale des transports routiers) et l’antenne de L’Oréal à Bruxelles sont réunies dans les mêmes locaux. Le regroupement sur un même lieu d’un maximum de représentants des entreprises françaises devrait leur permettre de mieux travailler ensemble et de partager l’information.
Pour mieux défendre leurs intérêts à Bruxelles, les entreprises françaises doivent davantage anticiper. Pour cela, un outil précieux est notamment de participer aux nombreuses consultations publiques lancées par la Commission européenne.
Les entreprises françaises le font déjà sur certains sujets. Par exemple, pour la consultation sur l’Union des marchés de capitaux, les entreprises françaises ont assez largement répondu : sur 422 réponses publiques reçues par la Commission européenne, 43 % venaient de la France (25 % de sociétés, 45 % d’associations professionnelles), 39 venaient d’Allemagne, et 76 venaient du Royaume Uni. De la même manière, les entreprises françaises ont été assez nombreuses à se positionner sur l’agenda numérique ou sur la directive relative aux marchés d'instruments financiers, qui sont des dossiers stratégiques sur lesquels l’impact pour nos grandes entreprises est clair. En revanche, sur la consultation relative aux procédures d’insolvabilité nationales applicables aux entreprises en difficulté financière de 2013, sur quatre-vingt-trois réponses enregistrées, quarante-quatre provenaient d’Allemande…contre cinq pour la France. De même, lors des dernières consultations sur les aides d’État et sur la consultation de juillet 2014 sur le TTIP, les entreprises françaises se sont peu mobilisées.
Les sociétés françaises répondent donc à ces consultations quand il s’agit de dossiers où l’impact sur les intérêts des grandes entreprises françaises est important et clairement identifié. Les PME françaises ne participent pas souvent à ces consultations.
Le SGAE devrait contribuer davantage à attirer l’attention de la société civile, et notamment des entreprises françaises concernées, sur ces consultations publiques.
Par ailleurs, de manière générale, la France devrait développer ses actions de lobbying sur d’autres secteurs que les secteurs qu’elle défend traditionnellement (culture, agriculture…).
Enfin, les rapporteurs tiennent à attirer l’attention sur la nécessité pour les cadres dirigeants des entreprises, et notamment ceux en charge des relations institutionnelles, de comprendre l’évolution du processus législatif européen et de bénéficier d’une formation de haut niveau et d’une expérience concrète sur ces questions, leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du Parlement européen, des trilogues, de la comitologie…
La voix de la France en Europe reste une voix écoutée et attendue. Contrairement à certaines idées reçues, l’Allemagne ne souhaite pas forcément occuper le devant de la scène européenne à elle seule, au contraire : elle prend seulement la place que la France laisse vide.
L’influence, cela ne se décrète pas, et cela n’est pas une fin en soi. Pour être influent, il faut avant tout porter des idées, savoir vers où on veut aller, porter des positions claires et lisibles. C’est probablement de cette absence de vision prospective dont la France souffre le plus aujourd’hui.
A contrario, la France est aujourd’hui très influente en Europe sur des sujets qu’elle porte politiquement avec beaucoup de volonté, et sur lesquels elle a une véritable vision : c’est évidemment le cas du changement climatique, comme l’a montré l’immense succès de la COP 21.
Forte de l’expérience et de la taille de son réseau diplomatique, mais aussi du budget qu’elle consacre à sa défense, (23) sur les questions de politique étrangère et de défense, la France continue à s’imposer comme un leader incontestable en Europe, comme l’a rappelé la gestion conjointe par la France et par l’Allemagne de la crise ukrainienne.
Lors de sa présidence de l’Union européenne au second semestre 2008, la France avait également montré que lorsqu’elle se fixe des priorités politiques claires, elle parvient à ses objectifs. Cette présidence a été unanimement considérée comme un succès, permettant à la fois à l’Europe de faire face à trois crises majeures (crise institutionnelle suite au « non » irlandais lors du référendum sur le traité de Lisbonne, crise diplomatique et militaire entre la Russie et la Géorgie, crise financière et économique suite à la faillite de Lehman Brothers) et d’aboutir sur des dossiers majeurs (pacte européen sur l’immigration et l’asile , accord sur le paquet énergie-climat, bilan de santé de la PAC).
La question de la coordination entre le président de la République et le Premier ministre sur les questions européennes est inhérente à la Vème République.
La diplomatie – et donc l’Europe – font partie du « domaine réservé » du président de la République, à qui l’article 5 de la Constitution de 1958 confie le rôle de « gardien des traités ». Mais les sujets européens sont aujourd’hui devenus de véritables sujets de politique intérieure, qui doivent être traités au niveau interministériel, et arbitrés par le Premier ministre : on imagine mal la décision d’autorisation de tel ou tel pesticide par la Commission européenne faire l’objet d’une décision de l’Élysée, et c’est évidemment entre le ministère de l’environnement et le ministère de l’agriculture que doivent se prendre de telles décisions…
L’évolution du fonctionnement de l’Union européenne au cours des dernières années n’a fait qu’accentuer cette dyarchie. En effet, le Conseil européen, composé des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, joue depuis quelques années un rôle de plus en plus important au sein du processus décisionnel européen. En France, comme à Chypre et en Lituanie, c’est le chef de l’État, et non pas le gouvernement, qui est présent au Conseil européen (Il faut noter que cette règle ne fût pas toujours appliquée. Ainsi, lorsque la France repris sa participation aux sommets européens, après la politique de la chaise vide, le général de Gaulle demanda à son premier ministre, Georges Pompidou, de participer, avec lui, au Sommet européen de mai 1967. De même, pendant les périodes de cohabitation, le Président de la République et le Premier ministre siégeaient au Conseil européen). (24)
Plusieurs interlocuteurs ont appelé l’attention de vos rapporteurs sur la difficulté pour nos partenaires européens de comprendre quels sont leurs interlocuteurs en France. Doivent-ils appeler le cabinet du président de la République, celui de Matignon, et encore le Secrétaire général des affaires européennes ?
Vos rapporteurs sont favorables à la création d’un « Conseil stratégique sur l’Europe » proposé par le rapport public du Conseil d’État de 2007. Ce Conseil réunirait autour du Président de la République, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères, le ministre de l’économie et des finances, le ministre en charge des affaires européennes et tout autre ministre intéressé par l’ordre du jour, ainsi que le secrétaire général des affaires européennes et le représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne. Ce Conseil stratégique sur l’Europe aurait pour mission d’examiner les principaux sujets européens prévisibles à moyen terme et relevant in fine de la compétence du Conseil européen, de mandater l’administration afin de procéder à leur analyse et d’arrêter ensuite les priorités politiques essentielles. Le secrétariat de ce Conseil serait assuré par le SGAE.
Le statut du ministre des affaires européennes dans le dispositif gouvernemental n’est pas sans poser question.
Son positionnement, tout d’abord, par rapport au Premier ministre et au ministre des affaires étrangères, est complexe. Traditionnellement placé sous l’autorité du ministre des affaires étrangères, le rôle de la diplomatie française restant encore extrêmement prédominant dans la conduite des affaires européennes, le ministre délégué ou secrétaire d’État aux affaires européennes ne dispose pas d’une véritable autonomie, ni d’une administration qui lui est dédiée, même s’il peut évidemment s’appuyer sur la direction de l’Union européenne du Quai d’Orsay. Par ailleurs, intervenant par nature dans des domaines interministériels, il n’a pas la main sur le SGAE – sous la tutelle du Premier ministre – ni de l’autorité politique qui lui permettrait de faire les arbitrages nécessaires.
Son rôle en France est souvent marginalisé : le rapport de 2004 soulignait par exemple l’absence de participation du ministre des affaires européennes aux travaux de la Convention sur l’avenir de l’Europe.
La longévité des ministres des affaires européennes – ou plutôt son absence de longévité – est également un véritable obstacle à l’influence de la France dans l’Union européenne. Or, comme l’a rappelé Michel Barnier, ancien ministre des affaires européennes, auditionné par vos rapporteurs : « il faut du temps pour être connu, reconnu et crédible au sein des institutions européennes. Cela suppose de créer des liens avec tous ses interlocuteurs à Bruxelles et dans les autres États membres ». Le travail d’influence au niveau européen nécessite de se créer un réseau, un carnet d’adresse, des relations interpersonnelles, dont ne disposent pas forcément les hommes politiques nationaux. Un tel travail est impossible si le ministre ne reste pas plus de deux ans en poste comme cela a été le cas depuis vingt ans – à l’exception notable de Pierre Moscovici entre 1997 et 2002.
LISTE DES SECRÉTAIRES D’ÉTAT ET MINISTRES DÉLÉGUÉS CHARGÉS DES AFFAIRES EUROPÉENNES DEPUIS 1995
1978-1981 |
Pierre Bernard-Reymond |
1981-1983 |
André Chandernagor |
1983-1984 |
Roland Dumas |
1984-1986 |
Catherine Lalumière |
1986-1988 |
Bernard Bosson |
1988-1990 |
Édith Cresson |
1990-1993 |
Élisabeth Guigou |
1993 - 1995 |
Alain Lamassoure |
1995-1997 |
Michel Barnier |
1997-2002 |
Pierre Moscovici |
2002 |
Renaud Donnedieu de Vabres |
2002-2004 |
Noëlle Lenoir |
2004-2005 |
Claudie Haigneré |
2005-2007 |
Catherine Colonna |
2007-2008 |
Jean-Pierre Jouyet |
2008-2009 |
Bruno Le Maire |
2009-2010 |
Pierre Lellouche |
2010-2011 |
Laurent Wauquiez |
2011-2012 |
Jean Léonetti |
2012-2013 |
Bernard Cazeneuve |
2013-2014 |
Thierry Repentin |
2014 à aujourd’hui |
Harlem Désir |
Dès lors, une évolution du statut du ministre des affaires européennes est nécessaire pour permettre l’adaptation des structures gouvernementales à la réalité de l’Union européenne.
Une première option consisterait à faire du ministre des affaires européennes un ministère à part entière, émancipé de la tutelle du ministre des affaires étrangères. Cependant, ce ministre des affaires européennes ne serait pas doté de ses propres services administratifs, puisque les affaires européennes sont aujourd’hui traitées de manière diffuse dans chaque ministère : le rôle de ce ministre des affaires européennes risquerait alors de se limiter à un rôle purement symbolique et d’une faible portée pratique.
Les rapporteurs proposent de rattacher le ministre des affaires européennes au Premier ministre. Ce positionnement lui permettrait d’être au cœur de la mécanique interministérielle et de jouir d’une autorité renforcée du fait de sa proximité avec le premier ministre. Le ministre des affaires européennes pourrait ainsi présider, au nom du premier ministre, les comités interministériels « Europe » qui sont tombés en désuétudes.
En outre, le ministre des affaires européennes pourrait assurer une fonction de porte-parole sur les questions européennes auprès du président de la République. Il relaierait, ainsi, la parole officielle de la France en Europe et en France.
L’actuelle direction de l’Union européenne du Quai d’Orsay devrait être directement rattachée au ministre des affaires européennes, mais le SGAE, qui doit en tout état de cause bénéficier d’une légitimité politique suffisante pour réaliser les arbitrages politiques nécessaires, face à des ministres ou des administrations parfois très puissantes, pourrait rester rattacher au Premier ministre.
1. Le principal obstacle à l’influence française en Europe : la dépréciation de l’Europe dans le débat politique national
Le principal obstacle à l’influence de la France en Europe aujourd’hui, c’est la façon dont l’Europe est traitée dans le débat politique national.
À droite comme à gauche, l’Europe est insuffisamment prise en compte par les partis politiques nationaux, sauf lorsqu’il s’agit d’en faire un bouc émissaire de nos problèmes de politique intérieure.
Par ailleurs, les partis politiques nationaux ont insuffisamment pris la mesure de l’importance prise par le Parlement européen au sein des institutions européennes, et semblent toujours le considérer comme un parlement de « seconde zone » : alors que dans de nombreux autres États membres, au premier rang desquels l’Allemagne, être député européen est aussi prestigieux qu’être député national, nos partis semblent considérer que le Parlement européen est une « salle d’attente » au cours d’une carrière politique nationale.
Au vu des forts taux de démissions des élus français au Parlement de Strasbourg, les partis politiques pourraient demander à leurs élus de signer un engagement moral à ne pas démissionner en cours de mandat.
Les partis devraient également donner une place plus importante aux élus européens au sein de leurs instances de direction.
Tous les jours, à midi, la Commission européenne organise une conférence de presse, en français et en anglais, auxquelles participent environ deux-cent journalistes.
La Représentation permanente de la France organise également ses propres points de presse.
En termes statistiques, la présence des journalistes français à Bruxelles est aujourd’hui correcte : sur les plus de neuf cent journalistes accrédités par le Parlement européen et la Commission européenne, quatre-vingt-cinq sont français, contre cent-deux allemands, quatre-vingt-trois britanniques et soixante-six italiens. Alors que le nombre de journalistes français accrédités auprès des institutions européennes est en très légère hausse depuis dix ans, le nombre de journalistes britanniques et allemands a considérablement diminué.
Toutefois, la couverture des sujets européens par les médias français reste très limitée, notamment à la télévision.
Selon une étude publiée par l’INA en juin 2008, (25) en 2007, l’information relative aux institutions européennes était presque marginale sur M6 où elle représentait, avec un total de vingt-sept sujets, moins de 1% de l’ensemble des sujets de la chaîne. France 2, TF1 et Canal+ faisaient à peine mieux avec respectivement 1,6 % (127 sujets), 1,9 % (172 sujets) et 1,8 % (58 sujets). L’étude soulignait les efforts faits par France 3, avec 2,3 % de son offre (soit 119 sujets). Logiquement, Arte, la chaîne européenne, se distinguait en consacrant 6 % de ses sujets (soit 213 sujets) à l’actualité des institutions européennes.
France 2, France 3 et TF1 – LCI ne disposent chacune que d’un seul journaliste accrédité auprès de l’Union européenne, là où BFM se distingue avec trois journalistes accrédités. Toutefois, nos chaines nationales font pâle figure en comparaison des vingt-cinq journalistes accrédités de l’ARD allemande ou des quinze journalistes accrédités de la BBC anglaise.
Pourtant, il existe aujourd’hui un besoin fondamental de décryptage des sujets européens, et les médias sont évidemment des acteurs clés de ce décryptage. Des sites comme « Toute l’Europe » répondent également à ce besoin, et doivent être soutenus.
Pour répondre à ce besoin de décryptage, mais également pour permettre l’émergence en France d’une vision prospective sur les questions européennes, nos « think tank » (« laboratoires d’idées ») comme Notre Europe ou la Fondation Robert Schuman, qui restent insuffisamment influents malgré des publications de qualité, et qui peuvent connaitre aujourd’hui des difficultés (à titre d’exemple, la Fondation Robert Schuman a indiqué aux rapporteurs avoir divisé ses effectifs par trois, et n’employer plus que sept personnes à temps plein et ont souligné que les subventions dont elle bénéficie n’ont cessé de diminuer depuis cinq ans, au point d'être divisé par deux pendant cette période, malgré les élections européennes et l'actualité).
En Europe, pour être influent, il faut intervenir le plus en amont possible : pour reprendre les mots de Benoit Le Bret « à Bruxelles, toute petite graine finit toujours par germer, et tout absent finit toujours par avoir tort ».
En effet, le processus décisionnel européen ne commence pas au moment de la présentation par la Commission européenne d’une proposition de directive ou de règlement européen. Ces propositions sont la plupart du temps issus de consultations publiques qui ont eu lieu plusieurs mois voire même plusieurs années avant. Même en dehors du cadre de la préparation de textes législatifs, la Commission européenne est une administration extrêmement ouverte sur l’extérieur, qui reçoit quotidiennement des représentants des États membres, des ONG, des entreprises, des collectivités territoriales, etc.
A contrario, il est très difficile pour un État isolé d’influencer la prise de décision au sein du Conseil une fois les négociations entamées.
Afin d’être influent au sein de l’Union européenne, il est donc primordial de formuler des propositions le plus en amont possible de la prise de décision.
Il est nécessaire que tous les acteurs français concernés prennent conscience de cette façon de fonctionner et s’y adaptent :
- en favorisant les contacts directs avec les institutions européennes, notamment en se rendant dès que possible à Bruxelles ;
- en répondant de manière systématique aux consultations de la Commission européenne.
En général, les Français ont pour réflexe d’aller voir directement les responsables politiques (commissaires européens et députés), alors qu’il peut également être très utile de rencontrer directement des fonctionnaires de la Commission européenne pour leur exposer le point de vue de la France sur les sujets dont ils s’occupent.
Un travail en ce sens a déjà été entamé par l’Assemblée nationale. Ainsi, au-delà des très nombreux déplacements des députés français à Bruxelles, la commission des affaires européennes participe très régulièrement aux consultations publiques engagées par la Commission européenne. Par exemple, elle a récemment participé aux consultations publiques ouvertes par la Commission européenne sur les perturbateurs endocriniens (novembre 2014), sur la qualité de l’eau potable (septembre 2014) ou sur la sécurité des patients (février 2014) ou sur le bilan des directives « Oiseaux » et « Habitats » (juillet 2015).
Il est également primordial que la France accorde une plus grande attention aux actes délégués et aux actes d’exécution, (26) et consulte de manière plus fréquente les parties prenantes concernées au niveau national au moment de leur négociation, dont l’éclairage pourrait être décisif sur les questions extrêmement techniques dont peuvent traiter ces règlements.
La France est mal à l’aise avec la logique de l’influence, à laquelle elle préfère la confrontation au niveau politique et institutionnel. Or, dans le contexte européen actuel, très complexe, les institutions françaises, très efficaces et très organisées, « masses de granit » comme les imaginait Napoléon, ne sont pas forcément les plus adaptées : comme le soulignait Gilles Briatta lors de son audition, « le jardin à la française ne marche que dans une Europe nette et organisée ».
Les Français sont également mal à l’aise avec le partage de l’information. Or, comme l’ont souligné de manière presque unanime les personnes auditionnées : « en Europe, l’information ne vaut quelque chose que si elle est partagée ».
Enfin, l’influence implique de savoir faire des coalitions, et pas uniquement avec les grands États et avec nos partenaires traditionnels. Le rapport public du Conseil d’État de 2007 insistait déjà sur la nécessité de telles alliances « pratiquées avec efficacité par l’administration française, mais souvent dans l’urgence et dans les quelques semaines qui précèdent la réunion d’un Conseil ». Au contraire, des coalitions doivent être construites le plus en amont possible, au moment où les marges de négociation sont les plus importantes. Pour construire ces coalitions, notre réseau diplomatique est un atout majeur.
Enfin, la réputation d’arrogance qui colle à notre pays nuit également à son influence.
Cette réputation de l’arrogance peut être le résultat de la tendance de la France à vouloir faire « cavalier seul », notamment sur des sujets sur lesquelles elle dispose d’une légitimité forte : comme l’a souligné l’une des personnes auditionnées, « la France regrette souvent de ne pas être assez soutenue par ses partenaires européens dans les opérations extérieures, et notamment au Mali, mais c’est parfois difficile de convaincre les autres États membres de joindre nos forces aux leurs lorsqu’il est implicitement prévu que la France décide, et que les autres se contentent de payer ».
Eviter l’arrogance, c’est également mieux choisir les candidats que la France propose pour les postes européens, en ne proposant pas de candidats qui n’ont pas les compétences appropriées. C’est aussi combattre les logiques de « grands corps », qui n’ont aucune valeur à Bruxelles : il est presque inutile de proposer un énarque à un poste de chef de cabinet d’un commissaire européen – sauf au Commissaire français… – mais, au contraire, il faut pousser à ce type de poste les fonctionnaires européens, qui bénéficieront d’un meilleur « effet de signal ».
Vos rapporteurs considèrent que l’influence française dans l’Union européenne doit être considérée comme une politique publique à part entière, ce qui implique qu’elle soit dotée des ressources humaines et financières nécessaires, portée par le Gouvernement et contrôlée par le Parlement national.
1. Dix ans après le plan « Barnier » pour l’influence française, la nécessité d’un nouveau plan d’action
À la suite du rapport de la délégation pour l’Union européenne, un plan d’action relatif à l’influence française en Europe a été mis en place par le Gouvernement, sous l’impulsion de Michel Barnier, en novembre 2004.
Ce plan d’action comportait douze points :
1. l’anticipation et la préparation en amont des initiatives communautaires ;
2. la coordination du Gouvernement et de l’administration sur les questions européennes ;
3. l’européanisation de la fonction publique française ;
4. le suivi des activités du Parlement européen ;
5. les outils d’influence de la France à Bruxelles ;
6. la valorisation de la langue française en Europe ;
7. la prise en compte de l’Europe et des positions françaises sur l’Europe par les médias français et européens ;
8. les échanges entre les fonctions publiques françaises, communautaires et des autres États membres de l’Union européenne ;
9. la préparation des concours communautaires et la formation des futurs fonctionnaires européens ;
10. l’amélioration des conditions de mise à disposition des END ;
11. le soutien aux français travaillant dans les institutions communautaires.
12. l’amélioration du suivi de la présence française en Europe.
De nouveaux outils ont été mis en place pour améliorer l’influence et la présence française au sein de l’Union européenne : création du CHEE, systématisation des interventions de la RP et du SGAE auprès du Parlement européen, réalisation d’un vade-mecum sur l’usage du français dans les institutions de l’Union européenne, par exemple.
Par ailleurs, depuis dix ans, le suivi de la présence française effectué par la Représentation permanente a considérablement progressé. L’administration française connait désormais beaucoup mieux ses ressortissants au sein des institutions et le déroulement de leur carrière, surtout à partir du niveau des chefs d’unité.
D’autres mesures de ce plan d’action n’ont jamais été mises en œuvre, ou ne sont désormais plus d’actualité. Il est nécessaire de définir au niveau interministériel un nouveau plan d’action pour l’influence française en Europe, intégrant les propositions issues de ce rapport.
La mise en place d’un tel plan d’action, pour être effective, nécessitera des moyens humains et financiers : aujourd’hui, seules deux personnes au SGAE et trois personnes à la représentation permanente sont en charge de la présence française, ce qui est insuffisant.
L’une des attributions principales du ministre des affaires européennes doit être de piloter cette stratégie d’influence et de suivre au plus près les questions de présence française dans les institutions européennes.
Le Président de la République et le Premier ministre doivent également s’investir sur les questions de présence, en intervenant directement pour soutenir la nomination de français à certains postes clefs, et en rencontrant au moins une fois au moment du quinquennat les Français travaillant au sein des institutions européennes.
Le Parlement national doit prendre sa pleine part dans cette nouvelle stratégie d’influence.
Tout d’abord, en agissant comme un véritable maillon de l’influence française en Europe. C’est ce que fait la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, en se rendant régulièrement à Bruxelles lors de ses missions d’informations, en organisant des rencontres interparlementaires sur des sujets d’actualité européenne (27) des visioconférences avec les commissions du Parlement européen (28) et des rencontres régulières avec les membres français du Parlement européen, en répondant aux consultations publiques lancées par la Commission européenne…
Comme l’a déjà souligné un récent rapport adopté par la commission des affaires européennes, le rôle du bureau de représentation de l’Assemblée nationale à Bruxelles pourrait être étoffé.
Ainsi, le bureau de représentation du Bundestag, qui constitue une source d’information majeure pour le Parlement, a une composition unique, puisqu’il est composé de quatorze chargés de mission, pour moitié des fonctionnaires du Bundestag (contre un administrateur pour l’Assemblée nationale, comme c’est le cas pour tous les autres États membres) et pour l’autre moitié des représentants des groupes politiques.
Vos rapporteurs considèrent que l’Assemblée nationale pourrait s’inspirer de cette pratique, et que les groupes politiques pourraient par exemple nommer des collaborateurs à Bruxelles pour les représenter auprès des institutions.
Mais considérer l’influence et la présence française en Europe comme une politique publique à part entière, cela signifie que le Parlement doit également mettre en place des outils spécifiques pour contrôler cette politique. Des réunions annuelles devraient être mises en place sur cette question avec le SGAE, permettant au Parlement d’être mieux informé et de participer à la définition des postes prioritaires.
Quelle conclusion tirer de cette cartographie de l’influence et de la présence française en Europe ?
Il faut se garder de tout défaitisme : la France reste un pays écouté par ses partenaires, qui attendent d’elle qu’elle prenne des positions fortes et audibles.
Comme tous les anciens États membres, et peut-être de manière plus accentuée, l’influence française a souffert des vagues d’élargissement successives.
Aujourd’hui, sa principale faiblesse est sans aucun doute sa représentation politique au Parlement européen, encore accentuée par le résultat des dernières élections. Pour être plus influent au Parlement européen, il est nécessaire que les élus français participent activement aux travaux du Parlement européen, en siégeant en priorité au sein des commissions législatives, en privilégiant les postes de coordinateurs et de rapporteurs ou rapporteurs fictifs.
Les partis politiques nationaux doivent également prendre leurs responsabilités, en exigeant de leurs élus européens qu’ils effectuent leur mandat jusqu’à son terme, et en leur accordant une plus grande place dans leurs instances dirigeantes.
De grands progrès ont déjà été faits. Les administrations françaises, comme les entreprises, ont enfin su prendre le tournant de l’Europe. Mais des marges d’amélioration subsistent, et France souffre encore de difficultés à développer une véritable culture de l’influence, à mettre en place des coalitions, à anticiper, à travailler au plus près avec les représentants de son tissu économique et social.
Par ailleurs, si la présence des Français dans les institutions européennes reste aujourd’hui relativement satisfaisante, les perspectives pour les décennies à venir ne le sont pas, les résultats des candidats français aux concours européens depuis dix ans étant très décevants. Une mobilisation de grande ampleur est donc nécessaire et urgente.
Trente propositions concrètes pour renforcer l’influence et la présence de la France en Europe
Renforcer la présence française dans les institutions européennes
Une meilleure connaissance des Français présents dans les institutions
1. Développer la cartographie existante des Français présents dans les institutions européennes, à tous les niveaux (pas seulement à partir du niveau de chef d’unité) ;
2. Développer la connaissance qu’a l’administration des Français présents dans les agences européennes, à la Banque centrale européenne et à la Banque européenne d’investissement, aujourd’hui insuffisante ;
3. Recevoir deux fois par an, à la Représentation permanente, les Français travaillant dans les institutions européennes ;
4. Mettre en place un système de parrainage des lauréats français reçus aux concours européens par des fonctionnaires européens français ;
5. Renforcer les effectifs de la Représentation permanente et du SGAE en charge du suivi de la présence française.
Améliorer le nombre de lauréats français aux concours européens
6. Mieux informer les étudiants, en pérennisant les initiatives mises en place récemment par le SGAE (programme « ambassadeurs des carrières européennes », organisation d’un forum des carrières européennes) ;
7. Mettre en place un système de bourses pour la préparation des concours européens ;
8. Développer les modules de préparation aux concours européens, en coopération avec l’ENA, à un plus grand nombre d’universités dans toute la France ;
9. Proposer aux lauréats français d’effectuer un stage rémunéré ou un contrat à durée déterminée durant tout ou partie de la période d’inscription sur la liste de réserve ;
10. Mettre en place une stratégie pour la réforme des concours européens, avec deux objectifs : imposer deux langues étrangères obligatoires aux concours européens et réintroduire dans les concours une épreuve portant sur les institutions, la culture et les politiques européennes.
Mettre en place une stratégie pour les nominations les plus importantes
11. Ne pas proposer plusieurs candidats français, et s’assurer que ceux-ci aient une expérience européenne conséquente et les compétences techniques en adéquation avec le poste ;
12. Identifier le plus en amont possible les postes prioritaires ;
13. Pour les postes de chef de cabinet, mettre en place un fichier unique des candidats potentiels ;
14. Systématiser les mécanismes de soutiens croisés (alliance) ;
15. Si nécessaire, pour les postes les plus stratégiques, prévoir une intervention politique au plus haut niveau.
Favoriser les allers-retours entre la fonction publique nationale et les institutions européennes
16. Mettre en place une réserve interministérielle d’emplois pour garantir la mise à disposition de fonctionnaires, afin que les contraintes pesant aujourd’hui sur l’administration de l’État ne conduisent pas les ministères à sacrifier ces postes ;
17. Permettre aux experts nationaux détachés de bénéficier d’une priorité d’emploi sur certains postes fléchés avec une forte composante européenne ;
18. Instaurer une obligation de mobilité européenne pour les postes de la fonction publique d’État avec une forte dimension européenne ;
19. Mieux prendre en compte la mobilité des agents territoriaux, en modifiant notamment le statut général de la fonction publique territoriale pour permettre une sécurisation de la situation des fonctionnaires territoriaux en poste dans les institutions européennes et dans les bureaux des représentions des régions ;
20. Renforcer les séjours d’études de quelques jours en France pour les hauts fonctionnaires européens ;
Instaurer une véritable « culture de l’influence »
Permettre aux acteurs français de l’Europe de travailler en réseau et de mieux connaitre le fonctionnement concret des institutions européennes
21. Augmenter les moyens du Cycle des hautes études européennes ;
22. Favoriser le partage d’informations et le travail en commun entre la RP et le SGAE, d’un côté, et la société civile et les acteurs économiques, d’autre part ;
23. En amont de la négociation des textes les plus importants, mettre en place des groupes de travail ad-hoc réunissant les fonctionnaires en charge de la négociation et de la transposition ou de l’application des textes européens, et les partenaires économiques et sociaux concernés par la proposition de texte ;
24. Mettre en place au niveau de la Représentation permanente un « Club des collectivités territoriales » ;
Anticiper
25. Systématiser les réponses du Gouvernement aux consultations publiques de la Commission européenne, et inciter tous les acteurs français concernés à répondre à ces consultations ;
26. Instaurer un chargé de mission permettant de rapprocher le travail du SGAE et celui du Secrétariat général du Gouvernement ;
Clarifier l’organigramme gouvernemental sur les questions européennes
27. Clarifier le positionnement du Secrétaire général des affaires européennes ;
28. Placer le ministre des affaires européennes sous l’autorité du Premier ministre plutôt que du ministre des affaires étrangères ;
29. Créer un « Conseil stratégique sur l’Europe » réunissant autour du Président de la République, le Premier ministre, le ministre des affaires étrangères, le ministre de l’économie et des finances, le ministre en charge des affaires européennes et tout autre ministre intéressé par l’ordre du jour.
Faire de l’influence française en Europe une politique publique à part entière
30. Instaurer une délégation au sein de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale en charge de la question de l’influence.
La Commission s’est réunie le 2 février 2016, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.
L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.
« Mme Marie-Louise Fort. Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, pour cette présentation très intéressante. Vous avez brossé un tableau sans complaisance et sans concession. Je ne vais pas répéter tout ce que vous avez eu le courage de dire, mais je voudrais souligner deux choses : je pense qu’il est absolument nécessaire de réaffirmer, c’est vrai, l’importance du couple franco-allemand ; c’est aussi bien historique qu’actuel. Je pense également qu’une partie de nos problèmes vient du fait que trop souvent nous mettons sur le dos de l’Europe un certain nombre de choses désagréables que la politique française ne veut pas assumer. Je voudrais enfin – c’est un ressenti mais aussi une question – vous interroger sur la désignation de nos représentants au Parlement européen. Trop souvent dans nos formations politiques, des « retoqués » du suffrage universel se retrouvent en bonne place sur des listes pour aller siéger au Parlement européen et si mes souvenirs sont bons, il me semble que l’assiduité des députés français au Parlement européen n’est pas toujours exemplaire. Je pense que cela fragilise notre pays.
J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt ce que vous voulez faire en matière de réorganisation interne. Je crois que cela implique aussi la pérennisation et peut être la montée en puissance de notre commission des affaires européennes, et puis peut être également un rapprochement – on l’a évoqué il n’y a pas très longtemps – avec le Conseil de l’Europe au sein duquel la France doit prendre toute sa place.
Pour conclure, il est vraiment urgent de faire passer, à l’école et dans la population, des messages pro-européens beaucoup plus clairs et beaucoup plus enthousiasmants que ceux que l’on entend jusqu’à présent.
M. Philip Cordery. Merci aux deux rapporteurs. Ce rapport vient compléter celui que nous avions présenté avec Pierre Lequiller sur le traitement des questions européennes à l’Assemblée. Les deux rapports proposent un certain nombre de pistes tout à fait intéressantes pour mieux parler d’Europe et pour que la France soit mieux représentée au niveau européen.
Je partage un certain nombre de constats avec vous. Ce que vous avez dit sur l’élargissement est tout à fait vrai, mais je pense que nous avons raté le coche dès le début des années quatre-vingt-dix. La France a sans doute manqué de présence dans les nouveaux pays au moment de la chute du mur de Berlin.
Ce que vous avez dit sur le Parlement européen, sur la dispersion dans les différents groupes politiques, complété par ce que Marie-Louise Fort vient de dire sur le choix des candidats aux élections européennes, est tout à fait réel.
Comme vous, et je l’ai déjà mentionné dans d’autres instances, je pense que le SGAE devrait avoir pour patron politique le ministre des affaires européennes, tout comme la représentation permanente. Cela permettrait une plus grande cohérence dans nos positions européennes.
Enfin, je partage ce que vous avez dit en termes d’attitude. Je crois qu’il faut qu’à tous les niveaux, la France arrête d’intervenir en bout de course dans les discussions, alors que le travail se fait bien en amont.
En revanche, je vous trouve un petit peu dur sur les idées françaises. Je pense que la France a des idées : le « plan Juncker », la « garantie jeunesse », ce sont des idées françaises ! Le problème, c’est que l’on attribue ces idées à d’autres ! Peut-être que pour porter ces idées, il ne faut pas se focaliser exclusivement sur le franco-allemand et parfois trouver d’autres alliés.
Enfin, l’influence c’est aussi ceux qui travaillent au quotidien pour l’Europe, notamment à Bruxelles, à Strasbourg et dans les différentes institutions. J’en profite pour saluer tous les agents de la fonction publique communautaire, les bureaux régionaux, les représentants des entreprises auprès des institutions européennes qui font un énorme travail.
Je voudrais soulever quatre pistes, que vous n’avez peut-être pas mentionnées mais qui viennent compléter vos propositions.
La première porte sur la francophonie. Je pense que nous avons trop souvent une attitude défensive par rapport à la francophonie, visant uniquement à préserver le français dans des réunions, alors que nous devrions avoir une attitude plus offensive en prônant la diversité linguistique. Si une réunion se fait en anglais ou en allemand, ce n’est pas grave, à condition qu’il y ait une deuxième langue, parce que dans une autre réunion, le français sera utilisé et nous pourrons nous faire des alliés, avec les Allemands, les Italiens, les Espagnols !
Une deuxième piste, et je pense que là il y a un défaut de la France, porte sur la stratégie de placement des fonctionnaires européens. La France se concentre un peu trop sur les directions générales et sur les directions plutôt que sur les chefs d’unités, qui sont ceux qui élaborent en premier lieu les idées et qui déterminent la langue de travail. Pourtant, ces postes sont déterminants pour l’influence française.
Troisièmement, je pense qu’il faut arrêter le « Bruxelles bashing » : l’administration européenne fonctionne bien, elle est plus petite numériquement que celle de la ville de Paris, donc ce n’est pas ce grand monstre technocratique dont on entend parfois parler ! Il faudrait valoriser leur travail plutôt que les critiquer systématiquement.
Pour conclure, et pour faire le lien avec notre précédent rapport sur le traitement des affaires européennes à l’Assemblée nationale, il faudrait renforcer la présence parlementaire à Bruxelles et être plus présents à Strasbourg. Le Bundestag a une présence beaucoup plus importante à Bruxelles, nous devrions nous en inspirer.
M. Hervé Gaymard. J’ai une remarque et une question. La remarque, qui est purement intuitive, c’est que j’ai le sentiment, mais peut-être à tort, que les Français qui travaillent à la Commission se sentent moins reliés à leur pays d’origine que des fonctionnaires d’autres nationalités. Ce que je dis est purement intuitif, ce n’est pas du tout un procès d’intention mais j’ai des souvenirs extrêmement précis dans lesquels souvent, les fonctionnaires français – ce n’est pas seulement vrai dans les Communautés européennes – se font un point d’honneur à ne pas être suspecter de l’être ! Alors que beaucoup de fonctionnaires d’autres nationalités n’ont pas cette pudeur de chaisière, pour dire les choses concrètement. C’est une remarque en passant, peut-être est-elle un peu abusive mais en tout cas j’ai des expériences très précises en tête.
Ma question : pensez-vous, suite aux investigations que vous avez menées auprès des parlementaires européens de toutes tendances politiques, qu’il serait possible – souhaitable, sûrement, mais possible –, qu’à l’instar des Allemands et des Britanniques, les parlementaires de toutes tendances politiques se réunissent et décident de positions communes ? Sur les sujets dont j’ai eu à traiter à Bruxelles quand j’étais au gouvernement, j’étais très frappé de voir que les parlementaires allemands et britanniques notamment avaient des positions nationales harmonisées entre les différents groupes politiques, alors que ce n’était pas du tout le cas pour les français. Je pense que je ne suis pas le premier à le dire, et que beaucoup de parlementaires ont dû déjà s’essayer à construire quelque chose, et j’imagine bien que compte-tenu de notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles, comme disait le Général De Gaulle, cela n’a pas pu être mis en œuvre. En tout cas, ce n’est pas une raison pour abandonner cet objectif.
Mme Chantal Guittet. Pour renforcer l’influence de la France en Europe, il faudrait peut-être renforcer le poids de la commission des Affaires européennes à l’Assemblée nationale ! Nous ne discutons pas assez de l’Europe dans l’hémicycle.
Par ailleurs, quelle est l’influence des régions françaises en Europe ? Le fait que les régions françaises soient représentées à Bruxelles, est-ce que cela a une influence ? Il me semble que c’est une bonne chose, et que c’est sans doute un point à renforcer et à mieux faire connaître.
La présidente Danielle Auroi. Vous avez rappelé qu’il faut bien connaître le fonctionnement du Parlement européen, et à quel point le rôle des rapporteurs et surtout le rôle des coordinateurs est important. Je vais vous donner un exemple que j’ai vécu lorsque j’étais eurodéputée. Nous étions trois Français à la commission de l’agriculture : Joseph Daul, qui était le président de la commission, Georges Garot et moi-même. Nous avons mis en place des stratégies françaises pour obtenir des rapports et pour défendre des points de vue alors que nous ne représentions pas les mêmes sensibilités politiques. Donc il est possible de travailler de manière transpartisane, à condition qu’il y ait une volonté politique suffisante. Si les parlementaires nationaux étaient plus systématiquement proches des parlementaires européens, cela aiderait sans doute à des stratégies de ce type.
La deuxième chose c’est qu’il y a quand même une contradiction qui fait que lorsque les Français sont nommés à Bruxelles, comme le commissaire Moscovici, ils se font un devoir de n’être plus qu’européens, alors que beaucoup de leurs collègues ne prennent pas tant de précautions et restent très germano-germaniques, hollando-hollandais, etc. Je crois que le Vice-président Timmermans est une bonne illustration de cela.
Je suis ravie que vous proposiez que le ministre des affaires européennes ait une position renforcée et soit directement rattaché au Premier ministre, puisque c’est une proposition que j’avais formulée il y a deux ans dans mon rapport sur l’avenir de l’Union européenne.
Je crois que très honnêtement, nous devons également arrêter de « complexer ». Des idées, nous en avons mais il faut vraiment que nous montrions que la France est présente sur les orientations stratégiques, alors que trop souvent elle réagit de manière ponctuelle. Dans ce cadre, je pense qu’il faut plus valoriser les travaux que nous réalisons au sein de cette commission.
Enfin, il faut rappeler à nos collègues que ce n’est pas une punition d’être député européen !
M. Pierre Lequiller, co-rapporteur. Pour répondre à Marie-Louise Fort : oui, nous regrettons dans notre rapport que le mandat de certains députés français qui étaient particulièrement très influents au Parlement européen n’ait pas été reconduit. Nous citons notamment les cas de Gilles Savary, Catherine Trautmann et Jean-Paul Gauzès.
Pour répondre à Philip Cordery : sur la francophonie, je suis à la fois d’accord et pas d’accord. Il y a quand même des moments où il faut taper du poing sur la table ! Nous citons dans le rapport l’exemple de la lettre du commissaire français au ministre des finances français, rédigée en anglais ! On se rappelle également que le président de la République Jacques Chirac, en 2006, avait quitté la salle du Conseil européen, parce que le Français Ernest-Antoine Seillière, président de l’Union des confédérations des industries et des employeurs d'Europe, avait choisi de s’exprimer en anglais devant les vingt-cinq chefs d’État et de gouvernement ! Il faut absolument défendre le français, mais nous sommes tout à fait d’accord, Christophe Caresche et moi-même, pour dire qu’il faut aussi que les Français maîtrisent mieux l’anglais et l’allemand, entre autres, et les langues étrangères, de manière plus générale.
Je suis entièrement d’accord avec Hervé Gaymard. Nous avons rencontré le Commissaire européen mais aussi des directeurs généraux de la Commission européenne, et j’ai constaté la même chose que vous, une volonté forte de ne pas donner l’impression de jouer le jeu de l’influence française.
Il faut que ce soit le Secrétaire d’État aux affaires européennes qui soit responsable de cette nouvelle politique d’influence et, si la présidente en est d’accord, nous mettrons en place au sein de cette commission une veille sur ces questions.
M. Christophe Caresche, co-rapporteur. Pour répondre à la question de Philip Cordery sur la vision stratégique que porte la France pour l’Europe. Oui, la France a des idées, mais on a parfois le sentiment qu’il y a parfois un manque de suivi, de constance et de mise en perspective. Je vais vous donner un exemple très précis. Le président de la République a parlé en juillet dernier d’une réforme de la zone euro, d’un budget de la zone euro, d’un parlement de la zone euro. C’est une déclaration intéressante et forte, mais je n’ai pas vu depuis de prise de position de la France qui étaye cette orientation. Donc oui, la France a des idées, heureusement d’ailleurs, mais elle manque sans doute de persévérance, de stratégie dans la mise en œuvre de ces orientations. D’où l’idée de ce Conseil stratégique qui pourrait travailler sur ces questions, notamment en lien avec les think-tank qui sont des foyers de réflexion précieux. Je pense qu’il y a parfois un problème de lisibilité des positions françaises : il faut que nos partenaires sachent ce que l’on veut. Dans ce jeu d’influence, si nous perdons en lisibilité, nous perdons ensuite en capacité de s’imposer. Sur les positions nationales, ce qu’a dit Hervé Gaymard est parfaitement juste, il y a des positions nationales notamment de la part de l’Allemagne, je pense notamment à un exemple très précis, celui de l’industrie automobile. La France, pour plusieurs raisons, sans doute historiques, politiques, culturelles, ne fait pas cela. La seule chose que l’on peut quand même souligner, c’est qu’avec l’arrivée du Front National, il y a quand même des efforts faits par les français des autres groupes pour essayer de mieux travailler ensemble.
Sur la représentation des régions, notre rapport dit beaucoup de choses. Nous insistons notamment sur la nécessité de favoriser le détachement de fonctionnaires territoriaux à Bruxelles. Mais évidemment, nous ne sommes pas dans un État fédéral, et la représentation de nos régions à Bruxelles reste sans commune mesure avec le « château » de la Bavière à Bruxelles !
La présidente Danielle Auroi. Je vous remercie pour cette présentation.
ANNEXE NO 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS
M. Harlem DÉSIR, Secrétaire d’État aux affaires européennes
M. Philippe LÉGLISE-COSTA, Secrétaire général du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE)
M. Christophe LEONZI, Directeur adjoint à la Direction de l’Union européenne du Ministère des affaires étrangères et du développement international (MAEDI)
M. Pierre SELLAL, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne
M. Alexis DUTERTRE, représentant permanent adjoint de la France auprès de l'Union européenne
M. Jean-Luc SAURON, Délégué adjoint au droit européen au sein de la Section du rapport et des études du Conseil d’État
M. Hubert LEGAL, directeur général du service juridique du Conseil de l’Union européenne
M. Dominique RISTORI, directeur général chargé de l'énergie, Commission européenne
M. Olivier GUERSENT, directeur général adjoint chargé de la stabilité financière, des services financiers et de l'union des marchés de capitaux, Commission européenne
M. Michel SERVOZ, directeur général chargé de l'emploi, des affaires sociales et de l'inclusion, Commission européenne
M. Jean-Luc DEMARTY, directeur général chargé du commerce, Commission européenne
M. Michel Barnier, conseiller spécial pour la politique de défense et de sécurité auprès de la Commission européenne, ancien commissaire européen
M. Pierre Moscovici, Commissaire européen
M. Olivier Bailly, chef de cabinet de M. Moscovici
M. Alain LEROY, secrétaire général du Service européen d'action extérieure
Mme Marie-Christine VERGIAT, délégation française du groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne (GUE)
Mme Sylvie GUILLAUME, vice-présidente du Parlement européen
Mme Pervenche BERES, chef de la délégation française du groupe de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D)
Mme Marine LE PEN, co-présidente du groupe Europe des Nations et des Libertés
Mme Michèle RIVASI, chef de la délégation française des Verts / Alliance libre européenne
M. Alain CADEC, président de la commission de la pêche
Mme Marielle de SARNEZ, chef de la délégation française du groupe Alliance des libéraux et des démocrates pour l'Europe (ALDE)
M. Alain LAMASSOURE, chef de la délégation française du groupe Parti populaire européen (PPE)
Mme Élisabeth MORIN-CHARTIER, Questeur du Parlement Européen - Groupe PPE
Mme Catherine TRAUTMANN, présidente de la Task force "Strasbourg the Seat", vice-présidente de l'Euro métropole de Strasbourg
Club des grandes entreprises françaises :
M. Alain BERGER, représentant d’ALSTOM à Bruxelles
M. Baptiste BUET, représentant d’AREVA à Bruxelles
Mme Simone CERUTI, représentant de DANONE à Bruxelles
M. Arnaud CHATIN, représentant MICHELIN à Bruxelles
Mme Nathalie ERRARD, représentant AIRBUS à Bruxelles
M. Jean-Claude FONTAINE, représentant de PSA PEUGEOT CITROËN à Bruxelles
M. Fabrice LORILLON, représentant d’AXA à Bruxelles
M. André-Luc MOLINIER, représentant le MEDEF à Bruxelles
M. Marc VANCOPPENOLLE, représentant ALCATEL-LUCENT
Mme Marie-France VAN DER VALK, représentant RENAULT
Association des Professionnels de l'Europe et de l'International des Collectivités Territoriales :
Mme Pauline DUBOIS, Vice-Présidente de l'ARRICOD, Responsable du bureau régional du Languedoc-Roussillon à Bruxelles
Mme Émilie FOUCHE, adhérente de l'ARRICOD, Responsable du bureau Auvergne à Bruxelles
Mme Françoise CHOTARD, adhérente de l'ARRICOD, Directrice d'Ile de France Europe
Mme Nolwenn LE TALLEC, adhérente de l'ARRICOD, chargée de mission au bureau Aquitaine Europe à Bruxelles
M. Yves BERTONCINI, Directeur de l’Institut Jacques Delors
M. Jean-Dominique GIULIANI et Mme Pascale Joannin, président et directrice générale de la Fondation Robert Schuman
M. Yann PADOVA, Commissaire à la Commission de régulation de l’énergie
M. Loïc ARMAND, président de l’Oréal France
Mme Sarah PHELAN, chargée des relations avec le Parlement européen pour le MEDEF
M. Christian LEQUESNE, professeur à Sciences Po
M. Arnaud MAGNIER, directeur des affaires internationales et européennes, association française de la gestion financière
M. Fabrice ANDREONE, président de l’association des Françaises et des Français fonctionnaires des institutions communautaires et européennes (AFFCE)
M. Tristan LESCURE, membre de de l’association des Françaises et des Français fonctionnaires des institutions communautaires et européennes (AFFCE)
M. Benoît LE BRET, associé résident du bureau de Bruxelles du cabinet Gide Loyrette Nouël
Mme Nathalie LOISEAU, directrice de l’ENA
Mme Dauphinelle CLÉMENT, directrice des affaires européennes de l’ENA
ANNEXE NO 2 :
RÉPARTITION DES FRANÇAIS DANS L’ADMINISTRATION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE PAR DIRECTIONS GÉNÉRALES
Direction générale |
Présence d’administrateurs |
Autres agents |
Présence globale |
END | |
2015 |
AGRI Agriculture et développement rural |
55 sur 539 (10,2 %) |
22 sur 385 (5,71 %) |
77 sur 924 (8,3 %) |
2 END |
2015 |
BUDG |
15 sur 173 (8,67 %) |
16 sur 227 (7, 04 %) |
31 sur 400 (7,75 %) |
0 END |
2015 |
CLIMA |
11 sur 111 (9,9 %) |
2 sur 26 (7,69 %) |
13 sur 137 (9,5 %) |
2 END |
2015 |
CNECT |
49 sur 443 (11,1 %) |
38 sur 349 (10,9 %) |
87 sur 792 (11 %) |
2 END |
2015 |
COMM |
22 sur 320 (6,9 %) |
26 sur 345 (7,5 %) |
48 sur 625 (7,68 %) |
0 END |
2015 |
COMP |
36 sur 471 (7,6 %) |
22 sur 272 (8,08 %) |
58 sur 743 (7,8 %) |
8 END |
2015 |
DEVCO |
70 sur 756 (9,26 %) |
102 sur 434 (23,5 %) |
172 sur 1190 (14,45 %) |
11 END |
2015 |
EAC |
25 sur 204 (12,3 %) |
20 sur 206 (9,70 %) |
45 sur 410 (11 %) |
1 END |
2015 |
ECFIN |
31 sur 394 (7,11 %) |
20 sur 205 (9,75 %) |
48 sur 599 (8,01 %) |
10 END |
2015 |
ECHO |
12 sur 110 (10,91 %) |
6 sur 107 (5,60 %) |
16 sur 217 (7,37 %) |
1 END |
2015 |
EMPL |
37 sur 372 (10 %) |
21 sur 261 (8 %) |
58 sur 633 (9,2 %) |
3 END |
2015 |
ENER |
30 sur 264 (11,4 %) |
33 sur 228 (14,47 %) |
63 sur 492 (12,8 %) |
5 END |
2015 |
ENV |
29 sur 290 (10 %) |
12 sur 164 (7,31 %) |
41 sur 454 (9 %) |
7 END |
2015 |
EPSO |
2 sur 27 (7,4 %) |
6 sur 85 (7 %) |
8 sur 112 (7,14 %) |
0 END |
2015 |
ESTAT |
23 sur 317 (7,26 %) |
49 sur 294 (16,67 %) |
72 sur 611 (11,78 %) |
4 END |
2015 |
FISMA |
24 sur 200 (12 %) |
8 sur 94 (8,51 %) |
32 sur 294 (10,9 %) |
9 END |
2015 |
GROW |
66 sur 571 (11,6 %) |
28 sur 333 (8,41 %) |
94 sur 904 (10,4 %) |
7 END |
2015 |
HOME |
32 sur 209 (14 %) |
5 sur 94 (5,31 %) |
34 sur 295 (11,5 %) |
1 END |
2015 |
HR |
36 sur 180 (20 %) |
52 sur 328 (15,85 %) |
88 sur 508 (17,3 %) |
1 END |
2015 |
JRC |
95 sur 877 (10,8 %) |
86 sur 927 (9,3 %) |
181 sur 1804 (10 %) |
6 END |
2015 |
JUST |
21 sur 245 (8,6 %) |
13 sur 151 (8,6 %) |
34 sur 396 (8,6 %) |
4 END |
2015 |
MARE |
19 sur 183 (10,4 %) |
9 sur 92 (9,78 %) |
28 sur 275 (10,2 %) |
1 END |
2015 |
MOVE |
34 sur 250 (13,6 %) |
12 sur 187 (6,41 %) |
46 sur 437 (10,5 %) |
3 END |
2015 |
NEAR |
30 sur 159 (19,5 %) |
18 sur 104 (17,3 %) |
48 sur 264 (18,2 %) |
1 END |
2015 |
OLAF |
12 sur 184 (6,52 %) |
17 sur 166 (10,24 %) |
29 sur 350 (8,29 %) |
1 END |
2015 |
REGIO |
33 sur 357 (8,4 %) |
13 sur 230 (5,65 %) |
43 sur 587 (7,3 %) |
3 END |
2015 |
RTD |
76 sur 611 (12,4 %) |
49 sur 457 (10,72 %) |
125 sur 1068 (11,7 %) |
7 END |
2015 |
SANTE |
51 sur 416 (12,3 %) |
13 sur 240 (5,41 %) |
64 sur 656 (9,8 %) |
5 END |
2015 |
SG Secrétariat général |
29 sur 247 (11,7 %) |
18 sur 236 (7,6 %) |
47 sur 483 (9,7 %) |
0 END |
2015 |
SJ Service juridique |
19 sur 251 (7,6 %) |
13 sur 141 (9,21 %) |
32 sur 392 (8,2 %) |
0 END |
2015 |
TAXUD |
30 sur 260 (11,54 %) |
11 sur 180 (6,11 %) |
41 sur 440 (9,32 %) |
3 END |
2015 |
TRADE |
33 sur 362 (9,12 %) |
22 sur 185 (11,89 %) |
55 sur 547 (10,05 %) |
2 END |
TOTAL 2015 |
1078 sur 10 353 (10,4 %) |
782 sur 7733 (10,1 %) |
1858 sur 18 039 (10,3 %) |
110 END |
ANNEXE N°3 : CIRCULAIRE DU 26 SEPTEMBRE 2006 RELATIVE À LA MISE À DISPOSITION D'EXPERTS AUPRÈS DES INSTITUTIONS EUROPÉENNES ET ÉCHANGES DE FONCTIONNAIRES
Paris, le 26 septembre 2006.
Le Premier ministre à Monsieur le ministre d'État, Mesdames et Messieurs les ministres
Les questions européennes occupent aujourd'hui une place essentielle dans les politiques publiques, l'environnement juridique et les modes d'intervention de l'action publique.
Plusieurs mesures ont déjà été prises pour renforcer l'efficacité du travail gouvernemental et mieux associer le Parlement, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux et la société civile aux processus de décision européens. De même, une attention renouvelée doit être portée aux liens entre les administrations françaises et européennes.
Depuis 1986, la France, comme les autres États membres, met à disposition des institutions européennes des « experts nationaux détachés (END) ». Ceux-ci apportent aux institutions une expertise professionnelle de haut niveau. Leur présence favorise également l'usage de notre langue. Parallèlement, ces experts acquièrent au cours de leur mise à disposition une expérience des affaires communautaires et européennes dont ils peuvent faire profiter leur administration d'origine à leur retour.
Aussi, je souhaite que chaque ministère maintienne ou développe une politique active de mise à disposition d'experts nationaux détachés au sein des institutions européennes dans les secteurs qui influencent directement son activité mais aussi qu'il accueille des fonctionnaires des institutions européennes dans ses services.
Cette politique devra s'inscrire dans le cadre d'une programmation annuelle des mouvements établie en collaboration avec le secrétariat général des affaires européennes ainsi qu'avec notre représentation permanente auprès de l'Union européenne. Elle devra également prévoir un dispositif de suivi de l'activité de ces agents ainsi qu'une valorisation de leur expérience tant dans leur propre intérêt que dans celui de leurs services d'origine.
Les procédures de mise en œuvre sont détaillées en annexe de la présente circulaire.
A N N E X E
Références :
1. Législation et réglementation nationales :
Loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Loi no 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ;
Loi no 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
Loi no 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
Loi no 86-76 du 17 janvier 1986 portant diverses dispositions d'ordre social ;
Statut des fonctionnaires des Communautés européennes du 1er mai 2004 ;
Décret no 67-290 du 28 mars 1967 fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'État et des établissements publics de l'État à caractère administratif en service à l'étranger ;
Décret no 85-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'État et à certaines modalités de cessation définitive de fonctions ;
Décret no 88-46 du 12 janvier 1988 relatif aux majorations d'ancienneté accordées aux fonctionnaires de l'Etat et de ses établissements publics servant dans les organisations internationales intergouvernementales ;
Décret no 97-900 du 1er octobre 1997 fixant les modalités de calcul de la rémunération des militaires affectés à l'étranger ;
Décret no 2001-640 du 18 juillet 2001 modifiant certaines dispositions relatives à la fonction publique territoriale ;
Décret no 2004-708 du 16 juillet 2004 relatif à la mobilité et au détachement des fonctionnaires des corps recrutés par la voie de l'ENA ;
Décret no 2005-1283 du 17 octobre 2005 relatif au comité interministériel sur l'Europe et au secrétariat général des affaires européennes.
2. Textes européens :
Décision du Conseil du 16 juin 2003 relative au régime applicable aux experts et militaires nationaux détachés auprès du secrétariat général du Conseil ;
Décision de la Commission du 1er juin 2006 relative au régime applicable aux experts nationaux détachés auprès des services de la Commission ;
Réglementation régissant le détachement d'experts nationaux auprès du Parlement européen (décision du bureau du 7 mars 2005) ;
Décision de la Cour de justice du 2 juillet 2003 établissant le régime applicable aux experts nationaux détachés ;
Décision no 34-2004 de la Cour des comptes fixant le régime applicable aux experts nationaux détachés auprès de la Cour européenne par une institution supérieure de contrôle ;
Décision de la Commission du 1er juin 2006 relative à la mise à disposition de fonctionnaires communautaires.
1. Procédure de sélection des END
Le régime du recrutement et du séjour des END au sein des institutions européennes est défini par des décisions spécifiques à chacune d'entre elles. Il obéit néanmoins aux mêmes principes généraux.
1.1. Principaux critères d'éligibilité
Les candidats sont généralement, mais pas exclusivement, des agents de catégorie A, qui doivent pouvoir justifier d'une expérience professionnelle d'au moins trois ans à temps plein dans une fonction publique d'un État membre (fonctions publiques de l'État, territoriale ou hospitalière), d'une expertise récente dans le domaine pour lequel ils sollicitent un emploi d'END et d'une capacité à travailler dans une deuxième langue officielle de l'Union européenne. L'employeur de l'END doit être en mesure de fournir, avant la mise à disposition, une attestation d'emploi couvrant les douze derniers mois.
Les candidats sont, sauf exception, proposés par leur administration d'origine (même si celle-ci n'est pas celle pour laquelle ils travaillent au moment de la présentation de leur candidature) au vu de leur expertise approfondie d'un domaine jugé prioritaire par cette administration, au regard de l'impact de l'action européenne sur son champ d'attributions. Si, à titre exceptionnel, le candidat est proposé par un organisme qui n'est pas son employeur d'origine, la démarche est effectuée en totale transparence avec ce dernier.
Conformément aux règles fixées par les institutions européennes, une période de six ans minimum doit s'être écoulée à l'issue d'une période de mise à disposition de quatre ans en tant qu'END au sein d'une institution européenne, pour pouvoir solliciter une nouvelle mise à disposition dans cette institution.
1.2. Présélection des candidats français
a) Afin de répondre au mieux aux avis de vacances proposés par les institutions européennes et de garantir la cohérence de l'action des autorités françaises en la matière, chaque administration ou organisme (ci-après dénommés « l'employeur ») détermine annuellement, en liaison avec le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, les domaines dans lesquels, compte tenu de ses missions, il a un intérêt à proposer la mise à disposition d'experts.
Les postes d'END proposés par les institutions européennes sont diffusés sur le site de la représentation permanente, de la mission des fonctionnaires internationaux du ministère des affaires étrangères et du SGAE.
Le SGAE détermine parmi ces postes, en collaboration avec la représentation permanente et les ministères concernés, d'une part, et en fonction de l'intérêt des postes et du niveau de présence française préexistante dans la structure concernée, d'autre part, ceux pour lesquels il est utile de présenter des candidatures françaises. Dès que la concertation interministérielle a permis de les identifier, ces postes ainsi que les modalités de candidature sont mis en ligne sur les sites du SGAE (http ://www.sgae.gouv.fr, rubrique « emploi »), de la représentation permanente (http ://www.rpfrance.org) et de la mission des fonctionnaires internationaux du ministère des affaires étrangères (http ://www.diplomatie.gouv.fr/mfi). Les candidatures ne sont reçues que sur les postes ainsi validés.
b) Chaque employeur se dote d'un ou si nécessaire de plusieurs « coordonnateurs d'END », au sein des services gestionnaires du personnel ou, le cas échéant, des structures en charge des affaires européennes, ou de tout autre service clairement identifié. La liste en est adressée au SGAE et régulièrement mise à jour.
Ces coordonnateurs, en relation permanente avec le SGAE, diffusent les fiches de poste dans les secteurs que la concertation interministérielle a jugés prioritaires. Ils constituent un vivier de candidats susceptibles de répondre aux avis de vacances publiés par les institutions européennes dans des délais très brefs.
Ils recueillent les candidatures et en vérifient la qualité au regard des critères généraux définis au paragraphe 1.1. Après s'être assurés de l'existence de disponibilités budgétaires pour une mise à disposition et de l'accord de la hiérarchie fonctionnelle du candidat, ils transmettent l'acte de candidature au SGAE.
Dans le cas où les candidats exercent leurs fonctions dans une autre structure, ils effectuent leurs démarches en liaison avec le coordonnateur désigné par leur employeur d'origine.
c) Le SGAE centralise les candidatures et les valide avant transmission à la représentation permanente, qui les adresse aux institutions concernées.
1.3. Sélection des candidats par les institutions européennes
Les institutions européennes instruisent et sélectionnent les candidatures qui leur sont soumises.
Dans la pratique, le responsable du service au sein duquel le poste d'END est proposé auditionne les candidats dont les curriculum vitae lui semblent les plus conformes au profil souhaité et décide du recrutement. L'entretien de sélection est mené par un ou plusieurs fonctionnaires de l'institution européenne qui apprécient l'expertise récente des candidats, leur connaissance des institutions européennes et des enjeux européens du sujet à traiter, leur adaptabilité au poste, leur capacité à travailler dans un environnement multiculturel et multilinguistique.
La prise de fonction intervient généralement dans un délai de 2 à 3 mois après que le candidat a été informé de l'issue positive de l'entretien.
L'offre de recrutement faite par l'institution est matérialisée par une lettre adressée au représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, sollicitant la mise à disposition à compter d'une date spécifique, et précisant notamment les modalités de rémunération de l'agent.
La mission des fonctionnaires internationaux du ministère des affaires étrangères intervient à ce stade pour obtenir l'accord formel des autorités françaises (SGAE, ministères ou organismes publics d'origine) et le transmettre à la représentation permanente dans les meilleurs délais.
2. Situation statutaire de l'END au regard de l'administration française et régime applicable par les institutions européennes aux END pendant la durée de leur mise à disposition
2.1. Situation statutaire des END au regard de l'administration française
La position statutaire des END placés par leur administration au sein des institutions européennes est la mise à disposition, régie par les textes statutaires propres à la fonction publique d'appartenance de l'agent. Elle ne peut avoir lieu qu'avec l'accord de l'administration dont relève l'agent et de l'agent lui-même.
L'agent mis à disposition demeure dans son corps d'origine. Il est réputé y occuper son emploi, mais il exerce ses fonctions hors de son administration.
Durant sa mise à disposition, l'END continue d'être noté par son administration d'origine dans les conditions prévues au point 4.2.
La mise à disposition en tant qu'END peut valoir mobilité statutaire pour les fonctionnaires issus des corps recrutés par la voie de l'École nationale d'administration, dans les conditions prévues par le décret no 2004 - 708 du 16 juillet 2004.
2.2. Situation de l'END au regard des régimes applicables par chaque institution européenne
Les conditions de travail des END et les modalités d'exercice de leurs missions sont fixées par chaque institution.
Les décisions des institutions européennes relatives au régime applicable aux experts nationaux détachés, pendant leur mise à disposition, précisent que l'END « s'acquitte de ses tâches en se préoccupant uniquement des intérêts de l'institution qui l'emploie ». Il n'accepte notamment aucune instruction de son administration nationale.
De même, les décisions relatives aux régimes applicables aux experts nationaux détachés prévoient que pendant et après la mise à disposition l'END est tenu « d'observer la plus grande discrétion sur les faits et informations qui viendraient à sa connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses tâches et [...] ne communique aucun document ni information qui n'auraient pas été rendus publics ».
Elles prévoient également, sauf rares exceptions, que la durée de la mise à disposition dans une institution européenne ne peut être inférieure à six mois ni supérieure à deux ans et qu'elle peut faire l'objet de prorogations successives pour une durée totale n'excédant pas quatre ans. Les demandes de renouvellement sont initiées par l'agent et matérialisées par une lettre adressée par l'institution au représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, sollicitant le renouvellement de la mise à disposition. La mission des fonctionnaires internationaux recueille l'accord formel des autorités françaises et le transmet à la représentation permanente.
Enfin, conformément aux dispositions de ces régimes, à l'issue de sa mission, l'END peut solliciter auprès de son employeur d'origine un détachement pour bénéficier d'un contrat dans une institution européenne. S'il est lauréat d'un concours communautaire, il peut également occuper un emploi de fonctionnaire des Communautés, dans le cadre des dispositions du statut des fonctionnaires des Communautés européennes du 1er mai 2004.
3. Prise en charge financière et modalités de rémunération de l'END
3.1. Prise en charge financière par les ministères
Tous les END pris en charge financièrement par un ministère font l'objet d'une gestion budgétaire commune au sein d'un même programme LOLF qui regroupe à la fois leurs ETP et leur masse salariale. Cette gestion unifiée peut relever d'un programme soutien, d'un programme à caractère international ou de tout autre programme. Il peut être dérogé à cette règle sous réserve de l'accord exprès du SGAE.
3.2. Modalités de rémunération
Les modalités de rémunération des experts nationaux détachés demeurent celles actuellement appliquées par chacun des départements ministériels.
Il est rappelé qu'il convient de privilégier le régime de la mise à disposition prévu par le décret no 85-986 du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l'État et à certaines modalités de cessation définitive de fonctions.
Le cas échéant, lorsque les experts nationaux détachés sont rémunérés selon les dispositions du décret no 67-290 du 28 mars 1967, il y a lieu d'appliquer pleinement les dispositions de l'article 3 du décret susmentionné.
Les experts militaires détachés, quant à eux, sont rémunérés selon les dispositions prévues par le décret no 67-290 du 28 mars 1967 et le décret no 97 - 900 du 1er octobre 1997 fixant les modalités de calcul de la rémunération des militaires affectés à l'étranger.
Certaines institutions européennes ont également ouvert dans les décisions relatives au régime applicable aux END et à titre tout à fait exceptionnel la possibilité d'« END sans frais » pour elles, dont la mise à disposition n'entraîne pas de versement d'indemnité de la part des institutions. Ces « END sans frais » peuvent être accueillis dans le cadre d'échanges avec des fonctionnaires communautaires ou dans celui d'accords-cadres bilatéraux.
4. Accompagnement des END pendant la durée de leur mise à disposition et valorisation de leur retour dans l'administration française
La mise à disposition des institutions européennes d'un agent doit s'insérer dans une logique de parcours professionnel. L'expérience acquise durant la mise à disposition doit être mise à profit par l'administration française.
4.1. Préparation du départ dans les institutions européennes
La pratique de la formalisation d'une « lettre de mise à disposition », déjà mise en œuvre dans certains ministères, doit être généralisée à l'ensemble des administrations. Cette lettre, signée par un représentant de l'administration qui consent la mise à disposition, précise la nature des objectifs poursuivis, ainsi que des éléments relatifs au retour de l'END dans son administration d'origine à l'issue de sa période de présence au sein des institutions européennes.
4.2. Relations avec les END pendant leur mission
Les END doivent respecter leurs obligations telles que définies dans les décisions des institutions (cf. point 2.2). Dans le cadre de leur mission et dans l'intérêt conjoint des deux fonctions publiques, il est toutefois souhaitable qu'ils maintiennent des liens avec leur employeur d'origine, le SGAE et la représentation permanente. Ils peuvent ainsi contribuer à la diffusion de l'information publique sur les politiques communautaires en direction des administrations françaises.
Il est par ailleurs essentiel que, durant leur mise à disposition, les END français participent aux efforts de défense et de promotion du multilinguisme en général et du français en particulier au sein des institutions de l'Union européenne.
L'END rédige avant chaque renouvellement ainsi qu'au terme de sa mise à disposition un rapport sur son activité au sein des institutions européennes, mettant en particulier en évidence le lien entre l'expertise acquise au cours de sa mise à disposition et les activités de son administration d'origine. Il peut à cette occasion suggérer des modalités de valorisation de cette expertise à son retour dans l'administration française. Il convient toutefois de prévenir les situations de « conflit d'intérêts » entre les anciennes et les nouvelles fonctions. Ce rapport est communiqué simultanément à son administration d'origine, au SGAE, à la représentation permanente et à la mission des fonctionnaires internationaux.
Pendant la durée de sa mission, l'END continue d'être noté par son administration d'origine, conformément aux règles relatives à la mise à disposition des fonctionnaires.
La notation du fonctionnaire s'effectue sur la base d'un rapport remis par l'institution d'accueil, qui rend compte de la manière de servir de l'agent. Le notateur pourra également se fonder sur le rapport d'activité de l'agent pour apprécier dans quelle mesure sont pris en compte les objectifs fixés dans la lettre de « mise à disposition » signée par son service gestionnaire.
4.3. Valorisation de l'expérience acquise
L'expérience acquise par l'END au cours de son service dans les institutions européennes est prise en compte dans l'organisation de son parcours professionnel et doit être valorisée lors de son retour dans son administration d'origine. Le cas échéant, l'administration d'origine lui offre son soutien pour la préparation des concours communautaires ou le place en position de détachement afin de lui permettre d'occuper un emploi d'agent temporaire dans les institutions européennes.
A cette fin, le signataire de la « lettre de mise à disposition » ou son successeur assiste l'END dans ses relations avec son employeur d'origine, en particulier pour préparer son retour dans l'administration française. Il tient dûment compte des suggestions formulées par l'END dans son rapport. Pour ce faire, il est souhaitable qu'il se rende une fois par an sur le lieu d'exercice de la mission de l'END, pour une mission au cours de laquelle il a un entretien individuel d'évaluation avec l'intéressé. Chaque entretien est l'occasion d'évoquer les modalités de retour de l'END dans l'administration française.
Au cours de l'année qui précède la fin de la mise à disposition, son administration d'origine tient compte de l'expérience acquise par l'agent au sein des institutions européennes, pour identifier les postes qui lui seront proposés par la suite.
S'agissant des fonctionnaires de l'État, l'article 51 bis du décret du 16 septembre 1985 dispose que « l'expérience acquise lors de missions de coopération institutionnelle internationale est prise en compte dans le déroulement de carrière de l'agent ».
Dans ce cadre, les fonctionnaires de l'État mis à disposition auprès des institutions européennes peuvent faire valoir leurs droits à la majoration d'ancienneté instituée par la loi no 86-76 du 17 janvier 1986 portant diverses dispositions d'ordre social, dont les conditions d'attribution sont fixées par le décret no 88-46 du 12 janvier 1988 relatif aux majorations d'ancienneté accordées aux fonctionnaires de l'État et de ses établissements publics servant dans les organisations internationales intergouvernementales.
Les agents titulaires de la fonction publique territoriale bénéficient de majorations d'ancienneté dans les mêmes conditions en application de l'article 15 du décret no 2001-640 du 18 juillet 2001 modifiant certaines dispositions relatives à la fonction publique territoriale.
5. Autres échanges avec la fonction publique européenne
5.1. Accueil de fonctionnaires des Communautés
L'accueil de fonctionnaires européens au sein des administrations françaises est également de nature à favoriser l'échange d'expériences et de connaissances professionnelles en matière de politiques européennes.
Les institutions européennes, en particulier la Commission, ont prévu la possibilité pour leurs agents d'être mis à disposition d'une administration nationale d'un État membre pour une durée comprise entre trois mois et deux ans. Cette décision devrait être plus largement mise en œuvre afin de renforcer les liens entre les administrations française et européenne.
Dans cette perspective, il est souhaitable que les ministères et administrations identifient des postes susceptibles d'accueillir des fonctionnaires européens.
Des échanges de fonctionnaires peuvent en outre être mis en œuvre dans le cadre d'un accord entre les institutions européennes, la Commission notamment, et le Gouvernement français. A cette fin, les ministères identifieront des postes pouvant donner lieu à un échange d'agents. La mission des affaires européennes et internationales de la DGAFP, point de contact national en matière d'échanges de fonctionnaires français et européens, est chargée de mettre en œuvre cette disposition en lien avec le SGAE, pour ce qui concerne les échanges avec les fonctionnaires communautaires.
5.2. Stages structurels
La Commission offre enfin la possibilité aux fonctionnaires des États membres d'effectuer un « stage structurel » d'une durée de trois à six mois au sein de ses services. La durée de ces stages est comptabilisée comme une période d'exercice des fonctions d'END. Il est souhaitable que toutes les places offertes aux fonctionnaires français soient pourvues. Les candidatures aux stages structurels sont validées par le SGAE et la représentation permanente.
Dominique de Villepin
ANNEXE N°4 : LES END : CANDIDATURES, ORIGINES, AFFECTATIONS
Source : SGAE.
ANNEXE N°5 : CIRCULAIRE DU PREMIER MINISTRE DU 25 AVRIL 2013 RELATIVE À L’EMPLOI DE LA LANGUE FRANÇAISE
1 () La composition de cette commission figure au verso de la présente page.
2 () Politico, 18 juin 2015, The most exclusive dining club in Brussels.
3 () Pour mémoire, suite au traité de Lisbonne, l’article 16 du traité sur l’Union européenne prévoit qu’à partir du 1er novembre 2014, la majorité qualifiée se définit comme étant égal à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d’entre eux et représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l’Union. Une minorité de blocage doit inclure au moins quatre membres du Conseil, faute de quoi la majorité qualifiée est réputée acquise.
4 () Circulaire du 30 novembre 1994 relative à l’usage de la langue française dans les relations internationales, circulaire du Premier ministre du 14 février 2003 relative à l’emploi du français par les agents publics, circulaire du Premier ministre du 25 avril 2013 relative à l’emploi de la langue française, cf. annexe.
5 () Pour mémoire, le Président de la République Jacques Chirac, en 2006, avait quitté la salle du Conseil européen, parce que le Français Ernest-Antoine Seillière, président de l’Union des confédérations des industries et des employeurs d'Europe, avait choisi de s’exprimer en anglais devant les vingt-cinq chefs d’État et de gouvernement.
6 () Rapport d'information déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur la diversité linguistique dans l'Union européenne, 11 juin 2003.
7 () Rapport d’information déposé par la commission des affaires étrangères sur la francophonie le 22 janvier 2014.
8 () Source : site internet du Conseil, liste des participants. Les ministres peuvent se faire représenter par les ministres délégués sous leur tutelle. En cas d’absence d’un membre du Gouvernement, la France est représentée au Conseil par le Représentant permanent ou le Représentant permanent adjoint.
9 () Pour l’une des réunions, la liste des participants n’a pas été publiée.
10 () Idem.
11 () Idem.
12 () Idem.
13 () Pour deux réunions du Conseil, la liste des participants n’a pas été publiée.
14 () Directives européennes : anticiper pour mieux transposer, 25 novembre 2015.
15 () Affaire C-358/85.
16 () Affaire C-345/95.
17 () Affaires jointes C-237/11 et C-238/11.
18 () Rapport fait au nom de la commission des affaires européennes sur la proposition de résolution européenne (n° 3323) de MM. Armand Jung et Jean-Marc Ayrault relative à la tenue des sessions plénières du parlement européen à Strasbourg, et présenté par Christophe Caresche le 13 avril 2011.
19 () Ainsi, pour le concours d’administrateur, les épreuves de présélection consiste en :
- un QCM de raisonnement verbal ;
- un QCM de raisonnement numérique :
- un QCM de raisonnement abstrait et test de jugement de situation
Et les épreuves d’évaluation :
- une étude de cas dans le domaine de spécialité du concours
- un exercice de groupe
- une présentation orale
- un « entretien structuré ».
20 () Les actions de formation se décomposent comme suit : formations sur inscriptions individuelles, à Paris, Bruxelles et Strasbourg, formations dans les États membres avec l’appui des ministères des Affaires étrangères, du réseau des ambassades de France, de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et des partenaires locaux, formations pour des syndicats de fonctionnaires européens à Bruxelles et à Luxembourg, formations de la Prép’ENA Paris 1 – ENS, formation aux étudiants Master 2 politiques européennes de l’IEP de Strasbourg.
21 () Le concours d’entrée à l’ENA, réformé par l’arrêté du 16 avril 2014 fixant la nature, la durée et le programme des épreuves des concours d'entrée à l'École nationale d'administration, impose une épreuve orale obligatoire portant sur les questions relatives à l'Union européenne. D’une durée de trente minutes, dont un exposé liminaire d'au plus dix minutes suivi d'échanges avec le jury, cette épreuve est désormais précédée d'une heure de préparation avec accès aux traités régissant l'Union européenne et aux grands arrêts de la jurisprudence européenne. Parallèlement, les programmes de toutes les épreuves font explicitement mention des aspects européens de chaque matière.
22 () Par exemple, avant 2015, l’Auvergne, le Limousin et la région Centre avaient une représentation commune. Depuis octobre 2015, les Régions Auvergne et Rhône-Alpes partagent une représentation commune, précédant ainsi la fusion des deux collectivités au 1er janvier 2016.
23 () Pour mémoire, la France et le Royaume-Uni restent les seuls États membres consacrant plus de 2 % leur PIB au budget de leur défense.
24 () Une situation similaire a été constatée en Finlande : avant 2012, le Président de la République et le Premier ministre se rendaient à tour de rôle aux Conseils européens. Une révision constitutionnelle en 2012 est venue clarifier cette situation, et c’est désormais obligatoirement le Premier ministre qui représente la Finlande au Conseil européen et aux autres sommets dans lesquels les chefs d’État et de Gouvernement sont représentés, et non plus le Président de la République.
25 () Ina STAT n°9, « l'Europe dans les JT », juin 2008.
26 () Pour mémoire, le traité de Lisbonne a introduit deux nouvelles catégories d’actes, remplaçant les anciennes procédures de comitologie.
Les actes délégués, prévus à l’article 290 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, sont des actes qui complètent certains éléments prévus par un acte législatif, dans le cadre d’une habilitation fixée par le législateur européen. Il appartient donc au Parlement européen et au Conseil de déterminer s’ils souhaitent autoriser ou non le recours à un acte délégué, ce qui leur permet d’éviter de rentrer dans les détails d’un débat trop technique, et de se concentrer sur les orientations politiques du texte. L’acte délégué ne peut porter que sur « les éléments non essentiels » de l’acte législatif. Par certains aspects, cet instrument peut être comparé aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution française.
Cette procédure est très utilisée dans de nombreux domaines, comme la politique agricole commune, le droit de la consommation, la règlementation financière ou la protection des données personnelles. Par exemple, en matière de droit de la consommation, un acte délégué peut être utilisé pour énumérer les informations obligatoires sur l’étiquetage de certains produits.
27 () En juin 2013, sur le financement du cinéma européen ; en septembre 2014 sur deux sujets d’actualité dans le domaine de la Justice et des affaires intérieures, le parquet européen et la protection des données personnelles ; le 17 juin 2015 sur la politique commerciale de l’Union européenne.
28 () La commission des affaires européennes a notamment organisé une visioconférence avec une Commission du Parlement européen d’un projet d’acte européen (la directive sur le droit des consommateurs). Cette expérience a été renouvelée le 13 octobre 2015 avec l’organisation d’une réunion en visioconférence, avec la commission des Libertés civiles, Justice et Affaires intérieures du Parlement européen, sur les questions migratoires.