N° 4472 - Rapport d'information de MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion déposé par la commission des affaires européennes sur les missions européennes PSDC au Mali




NO 4472

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 février 2017.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur les missions PSDC de l’Union européenne au Mali
(EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali)

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Yves FROMION et M. Joaquim PUEYO,

Députés

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(1) La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Sandrine DOUCET, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Philippe BIES, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.

SOMMAIRE

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Pages

I. LA STABILITÉ DU SAHEL : UN OBJECTIF STRATÉGIQUE POUR LA SÉCURITÉ DE L’UNION EUROPÉENNE QUI NE POURRA ÊTRE ATTEINT SANS LA COOPÉRATION DES ÉTATS DE LA RÉGION 7

A. LONGTEMPS DÉLAISSÉ, LE SAHEL EST DÉSORMAIS UNE PRIORITÉ DE LA STRATÉGIE DE SÉCURITÉ DE L’UNION EUROPÉENNE 7

1. Une région longtemps délaissée par l’Union européenne 7

2. La guerre en Libye et ses conséquences ont révélé l’importance du Sahel pour la sécurité de l’Union européenne 8

a. La stratégie pour la sécurité et le développement du Sahel (2011), première réponse européenne à la déstabilisation du Sahel 8

b. L’insuffisance de la stratégie de 2011 a été mise en évidence par l’offensive islamiste au Mali de janvier 2013 10

B. L’UNION EUROPÉENNE A REDÉFINI SA STRATÉGIE AU SAHEL EN RENFORÇANT SES MOYENS ET LEUR COHÉRENCE ET EN IMPLIQUANT PLUS LARGEMENT LES ÉTATS DE LA RÉGION 11

1. Après l’intervention française au Mali, l’Union européenne a renforcé les moyens affectés à la stabilité de la région ainsi que leur cohérence 11

a. Des moyens accrus prioritairement affectés à la sécurité 11

b. Une coordination améliorée par la nomination d’un représentant spécial de l’Union européenne pour le Sahel 14

2. L’enjeu majeur de l’implication des États de la région dans la mise en œuvre de la Stratégie : le rôle du G5 Sahel 15

II. LES MISSIONS EUTM ET EUCAP ONT POUR OBJECTIF D’AIDER LE MALI À ASSURER SA PROPRE SÉCURITÉ PAR LE RENFORCEMENT DES CAPACITÉS DE SES FORCES ARMÉES ET DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE 19

A. LE CONSTAT COMMUN : DES FORCES ARMÉES ET DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE À RECONSTRUIRE ENTIÈREMENT 19

B. LA MISSION EUTM MALI 20

1. Une mission rapidement lancée après l’offensive islamiste de 2013 20

2. Le mandat et son évolution 21

3. Le coût et sa prise en charge 22

C. LA MISSION EUCAP SAHEL MALI 23

1. Le mandat et son évolution 23

2. Le coût 24

III. MALGRÉ L’AIDE APPORTÉE PAR EUTM MALI ET EUCAP SAHEL MALI ET LES PROGRÈS ENREGISTRÉS, LE MALI EST ENCORE INCAPABLE, ET POUR LONGTEMPS, D’ASSURER SA PROPRE SÉCURITÉ 25

A. DES MISSIONS QUI FONT AU MIEUX, DONT LES RÉSULTATS SONT ENCOURAGEANTS MAIS ENCORE INSUFFISANTS 25

1. EUTM : des progrès réels mais pas d’autonomie opérationnelle 25

a. Une mission désormais parfaitement rôdée 25

b. Une armée malienne fragile, dont l’autonomie opérationnelle est encore un objectif lointain 27

2. EUCAP Sahel Mali : dispersion et absence de suivi 28

3. Si la force Barkhane est essentielle, la MINUSMA suscite de nombreuses interrogations 29

a. La force Barkhane est indispensable à la fois à la stabilité du Mali et au bon déroulement des missions de l’Union européenne 29

b. Des avis mitigés quant au rôle de la MINUSMA 31

B. L’ENJEU DE LA FOURNITURE D’ÉQUIPEMENTS DE SÉCURITÉ : DÉPASSER LES BLOCAGES JURIDIQUES ET IDÉOLOGIQUES 32

1. Les blocages juridiques et idéologiques à la fourniture d’équipements nuisent à l’efficacité de la mission EUTM Mali 32

2. Une proposition de règlement qui ne lève pas tous les blocages 34

C. LES MISSIONS EUTM ET EUCAP DANS LA STRATÉGIE EUROPÉENNE AU SAHEL 36

1. Une coordination qui laisse à désirer 36

2. L’enjeu de la décentralisation des formations et de leur régionalisation 38

a. Une décentralisation en cours, malgré les réticences de certains États-membres liée aux conditions de sécurité en régions 38

b. Une régionalisation en cours, en lien avec le G5 Sahel 39

TRAVAUX DE LA COMMISSION 41

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 53

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Alors que le 27ème sommet entre la France et l’Afrique s’est tenu à Bamako les 13 et 14 janvier dernier, la sécurité a été au cœur des échanges entre le Président de la République, M. François Hollande, et ses homologues africains et, en particulier, le Président malien Ibrahim Boubacar Keïta. En effet, depuis l’opération Serval qui, en janvier 2013, a stoppé l’offensive islamiste dans ce pays, la France n’a cessé d’œuvrer à la stabilité du Mali et de l’ensemble de la Bande Sahélo-saharienne (BSS) via le déploiement à partir du 1er août 2014 des 4 000 militaires de l’opération Barkhane, appuyés par les forces spéciales de Sabre.

Toutefois si la France a été bien seule, en 2013, à intervenir au Mali, ce n’est heureusement plus le cas aujourd’hui, même si notre pays assure la quasi-totalité de l’effort de guerre face aux terroristes dans le Nord. S’appuyant sur la résolution 2100 du 25 avril 2013 du Conseil de sécurité, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a été déployée au Mali, notamment pour soutenir l’application des Accords d’Alger (2015). De plus, l’Union européenne a lancé dans ce pays deux missions relevant de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) : EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali qui visent, comme la MINUSMA et la force Barkhane, à la stabilisation du Mali mais par des moyens différents.

En effet, les opérations onusienne et française s’appuient sur des forces étrangères pour stabiliser le pays et la région. Or, leur présence ne peut être que temporaire ; à terme, c’est au Mali et aux autres pays de la BSS d’assurer eux-mêmes leur sécurité avec leurs propres moyens. C’est pourquoi les deux missions européennes sont des missions de formation et de conseil qui visent, pour EUTM Mali, à reconstruire les forces armées maliennes (FAMa) et, pour EUCAP Sahel Mali, à renforcer les forces de sécurité intérieure (Police, Gendarmerie et Garde nationale). Le succès de ces deux opérations est la condition à la fois du retrait de la MINUSMA et des forces françaises mais également, plus largement, de la sécurité de l’Union européenne.

Après avoir longtemps délaissé la région du Sahel, à la seule exception de l’aide au développement, l’Union européenne a en effet pris conscience que la stabilité de la BSS était dans son intérêt. La Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel (2011) rappelle ainsi que « l’objectif commun de renforcer la sécurité et le développement dans la région renforcerait aussi la sécurité de l’UE […] en empêchant les attentats d’AQMI et ceux qu’il pourrait perpétrer en Europe [ainsi qu’en] réduisant et en endiguant le trafic de stupéfiant et toute autre forme de trafic vers l’Europe ».

Aujourd’hui, il faut se féliciter que, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le Sahel fasse très clairement partie des priorités de la politique de sécurité et de défense commune, telles qu’elles ont été définies dans la nouvelle Stratégie globale présentée au Conseil européen des 27 et 28 juin 2016. L’importance des moyens humains et matériels investis par l’Union dans cette région depuis 2011 en témoigne.

Les missions EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali participent de la mise en œuvre de ces stratégies, lesquelles impliquent également l’ensemble des pays de la région, notamment à travers le G5 Sahel. La première, lancée en 2013, a vu son mandat renouvelé trois fois et la deuxième vient également de voir le sien prolongé. Compte tenu de l’importance de ces missions, pour le Mali bien sûr, mais également pour notre pays puisque, au-delà d’une meilleure sécurité pour l’Union européenne, leur succès conditionne le retrait à terme de la force Barkhane, il est apparu nécessaire d’évaluer leur résultat à l’aune du critère majeur qu’est l’autonomie opérationnelle des forces de sécurité maliennes. Une telle évaluation ne pouvant se faire à distance, vos rapporteurs se sont rendus à Bamako, au centre de formation EUTM de Koulikoro et sur la base française de Gao afin de rassembler toutes les informations nécessaires auprès de l’ensemble des parties prenantes.

Leur constat est à la fois optimiste et pessimiste. En effet, s’il y a d’indéniables progrès dans la reconstruction des FAMa et des forces de sécurité intérieure malienne, celles-ci sont encore très loin d’être en capacité d’assurer seules la stabilité du pays alors même que l’environnement de sécurité se dégrade rapidement dans la région, comme en a récemment témoigné le député européen M. Arnaud Danjean dans un rapport à la commission des Affaires étrangères du Parlement européen. Les conséquences du Printemps arabe, parmi lesquelles le chaos libyen, n’ont en effet pas fini de déstabiliser la région alors même que d’autres menaces se précisent, potentiellement aussi graves pour la sécurité européenne : l’explosion démographique de l’Afrique et le changement climatique, annonciateurs de migrations plus importantes encore que celles d’aujourd’hui. Ce n’est donc malheureusement pas demain que la force Barkhane pourra quitter le Sahel.

La région du Sahel a longtemps été négligée par l’Union européenne s’agissant de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC). Très pauvre, elle ne représentait pas un marché important ni, sauf pour l’uranium, un fournisseur incontournable pour les entreprises européennes. En outre, les pays de la région ont connu, comme malheureusement bien des pays africains, leur lot de troubles intérieurs et de guerres mais rien qui ne menaçait la sécurité de l’Union. Au final, la seule politique européenne mise en œuvre au Sahel était l’aide au développement, dont l’Union est le premier bailleur mondial.

Sur ce point, il est frappant de constater, à la lecture de la Stratégie européenne de sécurité adoptée en 2003, que celle-ci ne cite pas le Sahel et n’évoque l’Afrique, pour l’essentiel, que sous l’angle du développement. Le rapport sur la mise en œuvre de cette stratégie, publié en 2008, est tout aussi muet sur les enjeux de la région pour la sécurité de l’Union européenne.

Toutefois, les choses ont radicalement changé à partir des années 2000, en raison de plusieurs facteurs qui se sont mutuellement renforcés. Héritier du GSPC algérien (Groupement salafiste pour la prédication et le combat), le groupe terroriste AQMI s’est progressivement enraciné au Mali qui lui servait de base arrière pour réaliser ses opérations en Algérie. Il a noué des liens avec les principaux réseaux de trafiquants de cocaïne, pour lesquels le Sahel est devenu une étape incontournable vers l’Europe, ainsi qu’avec Boko Haram, groupe terroriste nigérian mais opérant dans le sud-Niger, et avec certains Touaregs. Ces derniers, qui constituent le plus important des groupes autochtones peuplant le Sahel, vivent principalement dans le Nord du Niger et du Mali, mais également dans le Sud de l’Algérie et de la Libye et dans le Nord du Burkina. Ils représentent une difficulté permanente et structurelle pour l’intégration des parties septentrionales du Mali et du Niger dans leurs États respectifs. Les rébellions touareg étaient plus particulièrement fréquentes au Mali. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) est le dernier avatar d’un mouvement touareg profondément ancré et réclamant l’autonomie politique.

L’ensemble de ces facteurs a contribué à affaiblir des États déjà faibles, marqués par la corruption et la mauvaise gouvernance, aux populations pauvres et à la jeunesse nombreuse, peu éduquée et sans perspective économique. L’aide au développement, en effet, ne peut être efficace si des conditions minimales de stabilité politique et d’efficacité administrative ne sont pas remplies.

C’est dans un contexte de « Printemps arabe » que s’est déclenchée la guerre en Libye qui a abouti à la chute de Mouammar Kadhafi et à la désintégration du pays devenu le vaste « trou noir » qu’il est encore aujourd’hui. Sans revenir sur le déroulement de celle-ci, il est fondamental de rappeler que l’impact de cette guerre sur les États de la Bande sahélo-saharienne (BSS) a été considérable et que celle-ci explique pour une large part l’aggravation des difficultés que connaissaient ces derniers. Celui-ci a pris plusieurs formes :

– la plus dangereuse a été, incontestablement, le pillage des très importants stocks libyens d’armes légères et lourdes (mitrailleuses, mortiers, lance-grenades… jusqu’à des missiles anti-chars et anti-aériens, de munitions et d’explosifs), lesquels se sont ensuite disséminés dans l’ensemble de la région ;

– cette dissémination s’est faite avec le retour, dans leur pays d’origine, des combattants mobilisés pendant la guerre en Libye. C’est notamment le cas des Touaregs. Le lien entre le retour de ces derniers au Mali avec leurs armes et la relance de la rébellion touareg au Nord est évident. De même, les différents groupes terroristes, en particulier AQMI, ont naturellement bénéficié de cet afflux d’armes et de combattants pour se renforcer dans la région ;

– enfin, outre les combattants, sont également retournés dans leur pays d’origine les centaines de milliers de Nigériens, Tchadiens et autres Maliens expatriés en Libye, entraînant, d’une part, un manque à gagner pour les familles restées au pays et, d’autre part, une aggravation de la famine sévissant au Sahel et, en particulier au Niger.

Confrontée à la dégradation rapide de la situation dans les pays de la Bande sahélo-saharienne, l’Union européenne en a tiré les conséquences dans une stratégie rendue publique en mars 2011 : la « Stratégie pour la sécurité et le développement du Sahel ». Celle-ci est importante à un double titre, par le lien qu’elle établit entre des enjeux jusqu’à présent traités distinctement :

–  d’une part, elle fait le lien entre la sécurité et le développement. « La fragilité des pouvoirs publics influe sur la stabilité de la région et sur sa capacité à combattre la pauvreté et les menaces qui pèsent sur la sécurité. Les activités terroristes d'AQMI, qui a trouvé refuge dans le nord du Mali, représentent une menace pour la sécurité. Cette menace qui cible des intérêts occidentaux s'est aggravée, les vols ayant fait place aux assassinats, dissuadant ainsi les investisseurs d'engager des fonds dans la région. La détérioration des conditions sécuritaires pose un problème pour la coopération au développement et limite l'acheminement de l'aide humanitaire et de l'aide au développement, rendant ainsi la région et ses populations d'autant plus vulnérables » ;

– d’autre part, elle fait le lien entre la stabilité de la région et la sécurité de l’Union européenne. « Les pays de la région et l'UE ont clairement, et depuis toujours, un intérêt commun à réduire l'insécurité et à améliorer le développement dans la région du Sahel. Empêcher les attentats d'AQMI et ceux qu'il pourrait perpétrer sur le territoire de l'UE, réduire et endiguer le trafic de stupéfiants et toute autre forme de trafic à destination de l'Europe, mettre en place des échanges commerciaux licites et doter la région de moyens de communication (routes, oléoducs et gazoducs) traversant le Sahel du nord au sud et d'est en ouest, protéger les intérêts économiques existants et enfin jeter les bases nécessaires à des échanges commerciaux et à des investissements de l'UE, sont autant de priorités urgentes et plus récentes. L'amélioration de la sécurité et du développement du Sahel a une incidence directe évidente sur la situation ».

Cette stratégie, qui identifie la Mauritanie, le Mali et le Niger comme étant les principaux pays du Sahel, repose donc sur le constat du lien entre sécurité et développement et propose par conséquent une réponse globale aux défis auxquels est confrontée cette région, lequel suppose une plus grande cohérence et coordination dans ses différents outils d’intervention (financier, économique, développement, civil et militaire). Quatre axes d’action sont prévus :

– en matière de développement, bonne gouvernance et règlement des conflits internes : « contribuer au développement social et économique général au Sahel ; encourager et soutenir le dialogue politique interne dans les pays de la région afin de permettre des solutions locales durables aux tensions sociales, politiques et ethniques subsistantes ; renforcer la transparence de l'administration et l'obligation pour cette dernière de rendre compte au niveau local ; promouvoir les capacités institutionnelles ; rétablir et/ou renforcer la présence administrative de l'État, notamment dans le nord du Niger et du Mali ; contribuer à créer des opportunités économiques et éducatives pour les communautés locales ; désenclaver les régions où l'insécurité règne au moyen d'infrastructures routières et sociales essentielles ; et atténuer l'incidence des effets du changement climatique » ;

– en matière de politique et diplomatie : « promouvoir une vision et une stratégie communes pour les pays concernés afin qu'ils puissent s'attaquer aux menaces transfrontalières qui pèsent sur la sécurité et remédier aux problèmes de développement par un dialogue soutenu au plus haut niveau ; engager un dialogue renforcé sur la sécurité et le développement au Sahel avec les différents partenaires » ;

– en matière de prévention et lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation : « contribuer à renforcer les capacités des sociétés à lutter contre l'extrémisme ; offrir aux groupes sociaux marginalisés, en particulier aux jeunes vulnérables à la radicalisation, des services sociaux de base et des perspectives économiques et d'emploi ; aider les États et les acteurs non étatiques légitimes à élaborer et à mettre en œuvre des stratégies et des actions destinées à lutter contre ces phénomènes » ;

– en matière de sécurité et État de droit : « renforcer les capacités des États dans les domaines de la sécurité, du maintien de l'ordre et de l'État de droit afin de leur permettre de lutter contre les menaces et de s'attaquer au terrorisme et au crime organisé d'une manière plus efficace et spécialisée en lien avec les mesures de bonne gouvernance afin d'assurer le contrôle de l'État sur le pays »

La Stratégie européenne pour la sécurité et le développement du Sahel est donc très ambitieuse mais les moyens mobilisés pour atteindre l’ensemble de ces objectifs apparaissent relativement limités : 650 millions d’euros, dont 450 millions d’euros pour le Mali, le Niger et la Mauritanie.

À peine la stratégie a-t-elle été publiée que la chute du régime libyen, en octobre 2011, a directement compromis la réalisation de son objectif de prévention de toute détérioration politique, sécuritaire et humanitaire dans le Sahel. Le Mali symbolise plus particulièrement l’insuffisance de la stratégie européenne. En effet, les Touaregs du MNLA ont été nombreux à servir dans l’armée de Kadhafi et, forts de leur expérience comme des armements qu’ils ont ramenés, ils ont relancé la rébellion dans le nord Mali en janvier 2012 et défait une armée malienne incapable de les arrêter (mais qui, parallèlement, à Bamako, a fait un coup d’État contre le Président Amadou Toumani Touré). Après s’être emparés de Tombouctou, de Gao et de Kidal, les Touaregs ont proclamé l’indépendance de l’Azawad le 6 avril 2012. Toutefois, ils ont été rapidement débordés par les islamistes d’Ansar Eddine, alliés à AQMI et au Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), à qui ils ont abandonné le contrôle du nord du Mali.

Parallèlement, ainsi qu’il a été dit supra, l’afflux de combattants et, surtout, d’armes libyennes a contribué à déstabiliser les autres pays de la région, en particulier le Niger et la Mauritanie, eux aussi en proie à des attaques causées par des groupes liés aux islamistes.

Après quelques mois d’accalmie, Ansar Eddine a repris l’offensive en janvier 2013, brisé les lignes maliennes et progressé rapidement vers Bamako. Le président par intérim M. Dioucounda Traoré a demandé l’aide de la France ; s’appuyant sur la résolution no 2085 du Conseil de sécurité des Nations-Unies du 20 décembre 2012, la France a déclenché l’opération Serval qui, venant en appui des forces maliennes et avec l’aide logistique de pays comme les États-Unis, l’Allemagne ou la Belgique, a réussi à repousser les islamistes au Nord et à reconquérir une large partie du territoire malien.

En 2013, force est donc de constater que la Stratégie n’a pu atteindre son objectif. S’il faut principalement imputer cet échec à la crise libyenne et à ses conséquences dans la région (voir supra), il a mis en évidence plusieurs faiblesses dans la mise en œuvre de la Stratégie :

– la lenteur : alors que le renforcement de la sécurité fait partie des priorités de la Stratégie, c’est seulement le 1er août 2012 qu’a été lancé EUCAP Sahel Niger, mission civile de renforcement des capacités des forces de sécurité intérieure du Niger. Quant à EUTM Mali, fin 2012, elle n’était encore qu’une proposition politique. Il faut toutefois constater que l’Union est plus efficace en réaction qu’en prévention des crises et qu’une fois l’offensive islamiste repoussée, EUTM Mali a été très rapidement lancée ;

– les blocages juridiques et idéologiques : s’il est juridiquement interdit à l’Union européenne de financer des dépenses militaires – ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser de graves difficultés à EUTM Mali (voir infra), il lui est toutefois possible de financer les équipements (non-létaux) destinés aux forces de sécurité intérieure. Toutefois, au sein des institutions européennes comme des États-membres, les réticences sont nombreuses à voir les crédits de l’aide au développement financer des dépenses sécuritaires, y compris celles destinées à lutter contre la diffusion de l’idéologie islamiste et ce, même si le lien entre sécurité et développement a été explicitement fait par la Stratégie ;

– une coordination défaillante : si la Stratégie repose sur une réponse globale à la crise du Sahel, mobilisant l’ensemble des moyens à disposition, en pratique, les tiraillements sont nombreux entre les différentes directions générales de la Commission et le SEAE, entre ces derniers et le Conseil, entre les États-membres eux-mêmes et, enfin, entre Bruxelles et les délégations de l’Union européenne dans les pays concernés qui, par ailleurs, n’ont pas à leur disposition d’attaché de défense ou d’attaché de sécurité intérieure.

Au final, à la veille de l’intervention française au Mali, si la mise en œuvre et les résultats de la Stratégie pour le développement et la sécurité au Sahel n’ont pas été à la hauteur de ses ambitions, cette Stratégie, la première s’agissant d’une région du globe, a le mérite d’exister et, surtout, d’avoir fait des constats, établi des liens et défini des priorités encore valables aujourd’hui.

Ainsi qu’il a été dit supra, le premier effet de la crise de janvier 2013 a été d’accélérer considérablement le lancement de la mission EUTM Mali. Alors que celle-ci n’était encore qu’une proposition politique en novembre 2012, en l’espace de trois mois, elle est devenue une réalité. Confrontée à l’urgence, l’Union européenne a été pour une fois capable d’adopter sans attendre l’ensemble des décisions nécessaires au lancement de cette mission.

À cette première mission militaire s’est ajoutée par la suite une mission civile de renforcement des capacités des forces de sécurité intérieure malienne, EUCAP Sahel Mali, répliquant dans ce pays la mission précédemment lancée le 1er août 2012 au Niger, EUCAP Sahel Niger. Le fait que deux missions axées sur la sécurité et ayant les mêmes objectifs aient été lancées dans deux pays clés de la BSS va dans le sens voulu par la Stratégie d’une aide mise en œuvre au niveau régional.

Par conséquent, tirant enfin les conséquences que le rétablissement de conditions de sécurité normales au Mali est la priorité et que c’est le Mali qui doit, à terme, prendre en charge sa propre sécurité, ce pays bénéficie de deux missions de l’Union européenne ciblées sur le renforcement de ses capacités en la matière. Ces deux missions, qui constituent le cœur du présent rapport, seront analysées en détail infra.

Ces deux missions et les moyens humains et matériels importants qui leur sont affectés s’insèrent dans la Stratégie de 2011 et, en particulier, son quatrième pilier relatif à la sécurité et à l’État de droit (voir supra). Toutefois, cette Stratégie, a connu une évolution avec le Plan d’action régional (PAR) en faveur du Sahel 2015-2020 adopté par le Conseil le 20 avril 2015. En effet, « si la Stratégie pour le Sahel proprement dite reste valide et [qu’il] convient de confirmer son objectif stratégique initial […], il est tout aussi indispensable que les activités qui seront menées dans le cadre de cette Stratégie soient axées sur certains domaines ». C’est ainsi que le PAR, prenant en compte les nouveaux risques liés à la chute du régime libyen, aux rébellions dans le nord du Mali et à la montée en puissance de Daesh, a défini « une série d’actions prioritaires » qui visent, toutes, à renforcer la sécurité dans la région et, au-delà, celle de l’Union européenne :

– actions de prévention et de lutte contre la radicalisation : « élaborer et exécuter des projets axés sur la prévention, y compris des projets liés à l'idéologie et en collaboration avec des acteurs religieux, ainsi qu'à l'accès aux ressources et aux autres causes profondes de la radicalisation. Mener une étude sur l'impact du salafisme et du wahhabisme dans la région. Appuyer le développement des capacités des médias, des ONG, de la société civile et des pouvoirs locaux. Soutenir les institutions et les organisations promouvant un islam modéré et pacifique, ainsi que les organisations islamiques de la société civile œuvrant en faveur de la paix. Explorer d'autres voies au moyen d'une analyse, d'une formation et d'un soutien ciblés, à la fois pour les délégations de l'UE et d'autres groupes cibles. Mettre l'accent sur les causes profondes de la radicalisation, à savoir la pauvreté extrême, le chômage et la déficience des systèmes éducatifs » ;

à ces actions susmentionnées s’ajoute une autre série d’actions ayant largement le même objectif mais centrées sur la jeunesse : « fournir une aide adaptée aux jeunes, y compris en matière d'éducation et de formation ainsi que de création d'emplois, et assurer l'égalité des chances entre garçons et filles. Intégrer l'autonomisation des jeunes dans toutes les actions en définissant des indicateurs permettant de suivre et de promouvoir l'éducation et l'emploi des jeunes, de manière à proposer des alternatives aux activités illicites et aux actions extrémistes. Fournir une analyse plus approfondie des moyens permettant de faire des jeunes les agents d'un changement pour le mieux. Renforcer la résilience des jeunes, par exemple en promouvant davantage dans les programmes de l'UE et des États membres, chaque fois que cela est possible, les opportunités économiques et d'emploi (à travers l'aide aux PME et aux chaînes de valeur essentielles, le recrutement de travailleurs locaux, etc.), ainsi que la réduction des inégalités. Une réflexion spécifique pourrait également être lancée sur l'enjeu démographique, le but étant de savoir comment mieux y faire face. La question de la démographie devrait être intégrée progressivement, et de manière plus systématique, dans le dialogue politique avec les pays bénéficiaires » ;

actions en lien avec le phénomène des migrations : « renforcer le lien entre développement et migration et intégrer la question des migrations dans les actions collectives de l'UE et des États membres, sur la base de l'approche globale de la question des migrations et de la mobilité et du processus de Rabat, ainsi que d'autres processus pertinents. Faire face aux enjeux démographiques dans la région, qui peuvent aggraver les motifs de mécontentement existants (utilisation des terres et sécurité alimentaire, par exemple) » ;

– actions visant à une meilleure gestion des frontières et à la lutte contre les trafics et le crime organisé, « centrées sur une coopération interservices et transfrontière renforcée et l'échange d'informations ».

Ces actions prioritaires définies dans le PAR, si elles s’intègrent dans la Stratégie de 2011 et se présentent comme une mise en œuvre de celle-ci, n’en accentuent pas moins l’orientation sécuritaire de celle-ci, ce que vos rapporteurs estiment tout à fait justifié compte tenu de la situation sur le terrain.

En outre, il convient de souligner que ce Plan d’action régional ne concerne plus seulement les trois pays clés identifié dans la Stratégie de 2011. En effet, cette dernière a été, dès mars 2014, à la demande du Conseil, élargie au Tchad et au Burkina-Faso.

S’agissant des moyens financiers affectés à la mise en œuvre de ce Plan d’action et, plus généralement, de la Stratégie européenne en faveur du développement et de la sécurité au Sahel, ils proviennent pour l’essentiel du Fonds européen de développement (FED). Le 11ème FED, courant sur la période 2014-2020, affecte ainsi 2,47 milliards d’euros aux cinq pays visés par le PAR. Les autres sources de financement sont principalement l’Instrument de financement de la coopération au développement et, surtout, le nouvel Instrument contribuant la stabilité et à la paix, créée par le règlement no 2030/2014 du 11 mars 2014, doté de 2,3 milliards d’euros pour la période 2014-2020. Enfin, un fonds fiduciaire d’urgence axé sur la stabilité de l’Afrique et la lutte contre les migrations irrégulières a été créé au sommet de La Valette en novembre 2015.

L’un des principaux obstacles à la mise en œuvre efficace d’une stratégie globale comme celle en faveur du Sahel, reposant sur la mobilisation de l’ensemble des instruments à disposition de l’Union européenne, est bien sûr la coordination de ces derniers, lesquels relèvent d’institutions différentes ayant chacune leurs propres procédures, culture et priorités. En outre, cette coordination est, en l’espèce, compliquée par le fait que les États-membres – du moins certains d’entre eux, en particulier la France – ont leur propre stratégie pour le Sahel, sans parler des stratégies mises en œuvre par les autres États et par les différentes organisations internationales, en particulier l’ONU. L’Institut néerlandais de relations internationales Clingendael a ainsi compté, au niveau international, seize stratégies différentes pour la stabilisation du Sahel…  (1)

Au niveau européen, la Stratégie elle-même, comme le Plan d’action régional, se veut l’instrument d’une meilleure coordination de la politique de l’Union et des États-membres dans le Sahel. Toutefois, il est apparu nécessaire d’aller plus loin et, dès mars 2013 – décidément une année charnière – un Représentant spécial de l’Union européenne pour le Sahel (RSUE) a été nommé par le Conseil.

Vos rapporteurs se sont rendus à Bruxelles où, entre autres objectifs, ils ont essayé de mieux comprendre le rôle du RSUE dans la mise en œuvre de la Stratégie européenne en faveur du Sahel. Pour commencer, la nomination de RSUE, en tant que tel, est un signal du volontarisme de l’UE lancé aux pays de la région, renouvelant ainsi l’engagement européen au Sahel en général et au Mali en particulier. Il est ensuite un appel pour davantage de consultations, concertations, coopérations et coordinations permanentes avec les États et les organisations internationales partenaires, en vue d’éviter les doublons et rendre l’aide la plus efficiente possible. Il participe lui-même à de nombreuses réunions et sommets, en particulier avec le G5 Sahel qui pourrait constituer son interlocuteur naturel (voir infra). Il n’est pas tant dans l’opérationnel que dans la mise en cohérence de l’action de l’Union grâce à la vision globale qu’il a de celle-ci. Le rôle du RSUE est ainsi éminemment politique en ce qu’il donne un « visage » à la politique européenne au Sahel qu’il contribue à « fluidifier ».

Il convient toutefois de souligner l’ambivalence de la position institutionnelle du RSUE, qui est apparue très clairement à vos rapporteurs lors de leur déplacement à Bruxelles. Ainsi, si le RSUE est nommé par le Conseil auprès duquel il prend ses instructions et auquel il rend compte, il n’en reste pas moins rattaché au cabinet de la Haute représentante de l’Union pour la PESC, Mme Federica Mogherini, et extérieur à la Commission européenne dont les directions générales, plus que le SEAE, détiennent l’essentiel des leviers, notamment financiers, de la politique européenne au Sahel.

Si la coordination au sein de l’Union européenne est fondamentale, la Stratégie en faveur du développement et de la sécurité du Sahel ne pourra être efficacement mise en œuvre et atteindre ses objectifs si elle n’implique pas deux autres catégories de parties prenantes que sont les organisations internationales – et en particulier l’ONU – et, surtout, les pays de la BSS eux-mêmes.

En effet, les actions de l’Union européenne s’inscrivent directement dans le territoire des pays concernés, en particulier les opérations EUTM Mali, EUCAP Sahel Mali et EUCAP Sahel Niger qui n’ont pu être déployées qu’avec l’accord des gouvernements malien et nigérien. Il a donc fallu que l’Union européenne l’obtienne et, à cette fin, tienne compte de leurs attentes, lesquelles sont parfois différentes de ce qu’elle veut pour ces pays.

Il en va ainsi du contrôle de la gestion des frontières et des migrations qui figure parmi les actions prioritaires du PAR. En effet, le contrôle de celles-ci n’est pas réellement une priorité pour les États de la région. En effet, non seulement les peuples du Sahel ont une longue tradition de mobilité intra-régionale mais les populations ont besoin des transferts d’argent effectués par les émigrés ayant réussi à gagner le Nord. Comme on l’a dit supra, le retour des Nigériens émigrés en Libye a été un drame pour ce pays. Dans ces conditions, dans un contexte marqué en 2015 par l’afflux de réfugiés syriens vers l’Europe, le contrôle des migrations est bien plus une priorité de l’Union européenne que des pays du Sahel.

Toutefois, au-delà du phénomène des migrations, le contrôle des frontières dans la BSS est un réel enjeu de sécurité car leur porosité facilite les divers trafics qui alimentent les bandes criminelles et, surtout, les organisations terroristes. Or, il est l’exemple parfait d’un objectif qui ne peut être atteint qu’avec la coopération des pays concernés mais aussi par la coopération de ces derniers entre eux. C’est un fait que vos rapporteurs entendent souligner avec force : les problèmes auxquels sont confrontés les pays du Sahel sont les mêmes et, parce qu’ils sont transnationaux, ils ne pourront être réglés qu’en commun.

Ce constat fait aujourd’hui l’objet d’un consensus et ce, depuis 2013. En effet, alors que la déstabilisation du Mali venait de prendre le tour dramatique que l’on sait, les organisations régionales africaines ont entrepris de (re)lancer des initiatives telles que la force d’intervention rapide ou le Processus de Nouakchott, s’ajoutant aux démarches existantes et à celles des partenaires extérieurs. Toutes ont mis l’accent sur la nécessaire coopération au niveau régional. Pourtant, malgré ce constat partagé et l’urgence d’agir, la crise sévissant dans la région n’a pas réellement trouvé de réponses à l’échelle régionale. Les causes en sont doubles : d’une part, les institutions africaines régionales sont éclatées et n’ont guère de moyens ni de pouvoir et, d’autre part, les États gardent une approche nationale justifiée par la méfiance traditionnelle des uns envers les autres.

C’est pourquoi vos rapporteurs tiennent à saluer la décision, prise lors du sommet de Nouakchott les 15-17 février 2014, de créer le G5 Sahel, qui regroupe les cinq États de la Bande saharo-sahélienne que sont la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Le G5 Sahel n’est pas une simple organisation internationale, même s’il dispose d’un secrétariat permanent situé à Nouakchott. L’article 1er de la convention portant création du G5 Sahel, signée le 19 décembre 2014, définit ainsi le G5 comme « un cadre institutionnel de coordination et de suivi de coopération régionale ». Ses fondements comme ses objectifs sont eux aussi clairement affirmés dans son préambule et rappellent fortement les principes de la stratégie européenne au Sahel sur au moins deux points majeurs :

– »  l’interdépendance des défis de la sécurité et du développement » ;

– la conviction que « seule une action commune de nos pays est à même de relever ces défis et que l’intégration régionale et la solidarité entre États sont les préalables indispensables pour l’optimisation de l’exploitation de nos potentialités et le renforcement de notre résilience ».

Outre la reprise de ces principes, le G5 Sahel présente plusieurs caractéristiques originales qui sont susceptibles d’en faire un instrument majeur pour la stabilisation du Sahel et le partenaire naturel de l’Union européenne dans la mise en œuvre de sa Stratégie.

– le G5 Sahel est le premier exemple de coopération institutionnalisée entre les cinq États de la BSS. Il vient pallier le fait que ces derniers n’appartiennent pas aux mêmes organisations régionales : la Mauritanie appartient en effet à l’Union du Maghreb Arabe, le Mali, le Burkina-Faso et le Niger sont membres de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (EUMOA) et de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et le Tchad appartient à la Communauté Économique et Monétaire des États de l'Afrique Centrale (CEMAC) ;

– le G5 Sahel fait clairement de la sécurité régionale une priorité. Il dispose à cette fin d’un Comité de défense et de sécurité de haut niveau puisqu’il réunit les Chefs d’État-major des armées des cinq États. Ses réunions leur permettent de partager leur évaluation de la situation sécuritaire dans la BSS et de renforcer leur coopération face aux menaces transfrontalières liées au terrorisme. La France, par l’intermédiaire de son Chef d’État-major, le Général Pierre de Villiers, a participé à plusieurs de ces réunions ;

– enfin, le cadre juridique très souple du G5 ainsi que les effectifs réduits de son Secrétariat permanent tranchent avec une certaine rigidité et inertie des autres organisations régionales. Ils contribuent ainsi, avec la langue commune qu’est le français, à l’efficacité et au pragmatisme qui, dans la bouche de plusieurs des interlocuteurs rencontrés par vos rapporteurs, semblent caractériser cette organisation.

En deux ans d’existence, le G5 Sahel a su devenir un acteur majeur dans la région et un interlocuteur privilégié de l’Union européenne. En effet, lors du sommet de N’Djamena le 20 novembre 2015, une feuille de route UE/G5 Sahel a été adoptée, axée sur les priorités suivantes qui recoupent parfaitement celles de la Stratégie européenne au Sahel :

– la sécurité, incluant la gestion des frontières et la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et les trafics ;

– les migrations ;

– la prévention de la radicalisation et la lutte contre l’extrémisme ;

– le soutien au Secrétariat permanent du G5 Sahel.

Depuis cette date, plusieurs réunions ont eu lieu, notamment la réunion des ministres de la Défense du G5 Sahel, le 4 mars 2016, ainsi que la rencontre entre la Haute Représentante, Mme Federica Mogherini et le Secrétaire permanent le 17 juin 2016, auxquelles le RSUE a participé. Elles ont permis à la fois de renforcer le dialogue politique entre l’UE et le G5 Sahel mais aussi de faire avancer de nombreux projets dans le domaine de la sécurité. Parmi les plus importants, il convient de signaler :

– le projet de Centre sahélien d’analyse des menaces et d’alerte précoce. Décidé lors du sommet de N’Djamena précité, il a été présenté à l’Union européenne lors d’une réunion d’experts UE/G5 Sahel le 30 mai 2016. Il vise à améliorer l’analyse des menaces pesant sur les pays du G5 et à définir les réponses appropriées ;

– le Collège de Défense du G5 Sahel. La concrétisation de ce projet, avec l’objectif d’une mise en œuvre à la rentrée 2017, a avancé, tant du côté du G5 Sahel que du côté de l’Union européenne, qui devrait le soutenir financièrement,

– le projet PARSEC. Ce projet, doté de 29 millions d’euros, vise à améliorer la sécurité des populations dans les régions de Mopti et de Gao ainsi que le contrôle des zones frontalières entre le Mali, le Niger et le Burkina-Faso.

Lors d’un sommet extraordinaire du G5 Sahel qui s’est tenu à Bamako le 6 février 2017, les Chefs d’État ont pris acte de la dégradation de l’environnement de sécurité dans la région, symbolisé par le terrible attentat ayant frappé les FAMa à Gao le 18 janvier 2017, faisant 77 morts. Ils ont également réaffirmé leur engagement à faire face aux menaces en mutualisant les efforts afin de parvenir aux objectifs de paix, sécurité et développement. À cette fin, tout à fait conscients que la Communauté internationale et, notamment, l’Union européenne, ne peut ni ne veut engager plus d’hommes au Mali et dans la région, ils l’appellent toutefois à accroître son aide financière et matérielle, en particulier en fournissant les équipements dont les armées et les forces de sécurité de la région ont besoin pour assurer leur mission.

Les missions EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali constituent une part essentielle de l’action de l’Union européenne dans la région. Bien que l’une soit militaire et l’autre civile, elles visent toutes les deux à renforcer les capacités des forces armées et des forces de sécurité intérieure maliennes afin qu’elles soient capables de prendre en charge, à terme, la sécurité du pays en lieu et place des forces étrangères et, notamment, de la force Barkhane.

Lors de leur déplacement à Bamako, vos rapporteurs ont été largement informés des faiblesses structurelles de l’armée et des forces de sécurité intérieure maliennes, aggravées par de mauvaises pratiques, auxquelles les missions EUTM et EUCAP ont pour objectif de remédier. Celles-ci, présentes tant dans l’armée que dans les trois forces de sécurité intérieure que sont la Police, la Gendarmerie et la Garde nationales, sont les suivantes :

– une mauvaise gestion des ressources humaines : vos rapporteurs ont été frappés par le fait que s’il y a des estimations disponibles, personne ne semble connaître exactement le nombre de militaires et de membres des trois forces de sécurité intérieure maliens. Ce qui est certain, en revanche, c’est que ces dernières, comme l’armée (18 000 hommes), sont sous-dimensionnées et largement incapables d’accomplir leur mission. En outre, ces hommes sont souvent mal formés, qu’il s’agisse de la formation de base, des formations spécialisées ou de la formation des officiers ; enfin, les salaires très faibles, lorsqu’ils sont versés, ont nourri une corruption endémique au détriment de la population, voire des phénomènes de collusion avec les trafiquants de drogue dans le Nord ;

– une chaîne de commandement défaillante : sans aller jusqu’à affirmer, comme le député européen M. Javier Nart, que « la relation entre les officiers et la troupe n’existe pas »  (2), force est de constater que la méfiance est de mise entre la base et l’encadrement. Pendant des années, tant dans l’armée que dans les forces de sécurité intérieure, l’avancement n’a pas reposé sur le mérite mais sur le népotisme et la corruption, sans parler de la pratique largement répandue des faux diplômes. Dans l’armée, on observe en outre un clivage entre l’ancienne génération – souvent formée par les Soviétiques – et la nouvelle, formée par les Français mais aussi les Américains ou les Chinois, auquel s’est ajoutée la rupture entre les putschistes du 22 mars 2012 et les partisans de l’ancien Président Amadou Toumani Touré. Le manque de sous-officiers et de cadres intermédiaires au contact direct de la base nuit également considérablement à l’efficacité du commandement ;

– enfin, un sous-équipement chronique. Celui-ci concerne à la fois l’équipement individuel (arme, munitions, uniforme, gilet pare-balle…) mais également les équipements collectifs comme les champs de tir ou les casernes, souvent délabrées. La défaillance avérée de la chaîne logistique affecte l’approvisionnement en eau, vivres, carburant et médicaments, ce qui complique considérablement la vie quotidienne des personnels concernés.

L’ensemble de ces éléments qui, en tant de paix, suscite déjà le mécontentement et la frustration du haut en bas de la hiérarchie, a des effets désastreux en temps de guerre. La déroute des FAMa face aux djihadistes à partir de 2012 et l’incapacité des forces de sécurité intérieure à maintenir l’ordre dans le pays le prouvent de manière incontestable.

La faiblesse de l’armée malienne n’a pas été découverte en janvier 2013. En effet, celle-ci était source d’inquiétude depuis plusieurs années. Les réflexions autour d’une mission militaire de soutien aux forces armées maliennes étaient ainsi en cours dès 2012 mais elles ont connu une brusque accélération avec l’offensive islamiste. En effet, à l’automne 2012, les États-membres étaient encore divisés. Si la France, soutenue par l’Espagne et l’Italie, estimait nécessaire que l’Union européenne intervienne au Mali, d’autres États-membres, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et les pays nordiques, étaient plus réservés, mettant notamment en avant les risques pour les formateurs européens et la nécessité d’une résolution des Nations-Unies.

Cependant, le Conseil a demandé, le 15 octobre 2012, à la Haute Représentante de préparer le concept de gestion de crise (CMC) relatif à la réorganisation et à l’entraînement des forces de défense maliennes et, le 19 novembre, il donne son accord de principe pour l’élaboration de la mission dont le CMC est approuvé le 10 décembre.

Le 20 décembre 2012, le Conseil de sécurité de l'ONU adopte la résolution no 2085 qui autorise le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA). L'Union européenne est par ailleurs invitée à lancer une mission de restructuration des forces armées maliennes. Cependant, faute de lettre d’invitation du gouvernement malien, la décision ne peut être adoptée le même jour. Ladite lettre est finalement reçue le 8 janvier 2013 mais quelques jours plus tard, le déclenchement de l’offensive islamiste dans le Nord et l’intervention de la France bousculent à la fois le format, le contenu, les objectifs et le calendrier de la mission PSDC :

le format a été revu à la hausse avec une augmentation du nombre de formateurs, désormais fixé à 500, entraînant une augmentation des dépenses prévisionnelles ;

le contenu de la formation sera plus technique et opérationnel et adapté au fait que les meilleurs éléments de l’armée malienne, qui auraient dû bénéficier en premier de la formation, sont désormais déployés dans le Nord ;

l’objectif de la formation n’est plus tant la reconquête du Nord que de donner aux forces armées maliennes la capacité de repousser une éventuelle offensive des islamistes ;

– enfin, la planification est accélérée afin de permettre le déploiement rapide des formateurs et la formation des premiers groupements tactiques interarmes (GTIA).

C’est pourquoi, si l’opération est officiellement créée le 17 janvier 2013, par la décision du Conseil no 2013/34/PESC, le plan de mission et les règles d'engagement ne sont approuvés que le 18 février 2013 par le Conseil (décision no 2013/87/PESC) et la mission EUTM Mali lancée à cette date.

Le premier mandat d’EUTM Mali a été fixé par la décision no 2013/34/PESC précitée. L’objectif de cette mission est de « fournir, dans le sud du Mali, des conseils en matière militaire et en ce qui concerne la formation aux forces armées maliennes opérant sous le contrôle des autorités civiles légitimes, afin de contribuer à rétablir leurs capacités militaires et de leur permettre de mener des opérations militaires visant à rétablir l’intégrité territoriale du Mali et à réduire la menace constituée par les groupes terroristes ». Après avoir précisé que les personnels de la mission ne participeront pas à des opérations de combat, la décision indique qu’EUTM Mali fournira :

– un appui à la formation des forces armées maliennes ;

– des formations et conseils en ce qui concerne le commandement et le contrôle, la chaîne logistique et les ressources humaines, ainsi que des formations en matière de droit international humanitaire, de protection des civils et de droits de l’homme.

Concrètement, le premier mandat prévoyait la formation de Groupements tactiques interarmes (GTIA) composés de 700 à 800 soldats, pour un total de 6 à 7 000 soldats. En douze semaines, EUTM Mali doit former des bataillons de Maliens, qui arrivent parfois sans formation antérieure et qu’elle ne sélectionne pas, et leur permettre d’être opérationnelles rapidement contre les groupes terroristes. Les deux premières semaines sont consacrées aux fondamentaux, base de la formation spécialisée (infanterie, génie, commando, logistique…), puis vient une formation en petits groupes. L’entraînement se conclut par trois semaines d’exercices par spécialité et un exercice de synthèse final pour l’ensemble du bataillon. Ce choix de former des bataillons et non des individus est une demande des Maliens qui avaient besoin, de manière urgente, de troupes opérationnelles pour lutter contre les djihadistes au Nord.

De plus, EUTM Mali conseille au niveau central le Ministère de la Défense malien et les FAMa ainsi que les commandements militaires de régions militaires en vue de les assister dans la mise en place des réformes structurelles décidées par la Loi de programmation militaire, ainsi que dans l’évaluation de leur avancée.

À la suite d’un réexamen stratégique en 2016, le COPS a recommandé d'adapter le mandat d'EUTM Mali et de le proroger pour une période de deux ans, jusqu'au 18 mai 2018. Cette recommandation a été suivie par le Conseil dans sa décision 2016/446/PESC du 23 mars 2016. Si l’objectif général de la mission reste le même, désormais, « ses actions s'étendent jusqu'à la boucle du fleuve Niger comprenant les communes de Gao et de Tombouctou ». Toute référence au sud du Mali a donc été supprimée, en lien avec la volonté de déployer de véritables garnisons au Nord du Mali et non plus seulement dans le Centre et le Sud (voir infra). Surtout deux nouveaux objectifs ont été ajoutés :

– une contribution, à la demande du Mali et en coordination avec la MINUSMA, au processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration s'inscrivant dans le cadre de l'accord de paix, sous la forme de sessions de formation afin de faciliter la reconstitution de forces armées maliennes ouvertes à tous ;

– un soutien au processus du G5 Sahel, dans le cadre des activités menées par l'EUTM Mali en appui aux FAMa, en contribuant à renforcer la coordination et l'interopérabilité avec les forces armées nationales du G5 Sahel.

Les coûts communs de la mission, tels que fixés dans la décision no 2013/34/PESC précitée, s’élèvent à 12,3 millions d’euros. L’article 10 de cette décision précise que ces coûts communs sont gérés conformément à la décision no 2011/871/PESC créant un mécanisme de gestion du financement des coûts communs des opérations de l’Union européenne ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense (Athéna). Dans sa décision no 2014/220/PESC du 15 avril 2014, qui a prorogé le mandat d’EUTM Mali jusqu’au 18 mai 2016, ces coûts communs ont été réévalués à 27,7 millions d’euros sur la période du 19 mai 2014 au 18 mai 2016. Enfin, dans sa décision 2016/446/PESC du 23 mars 2016, le Conseil a une nouvelle fois prorogé le mandat d’EUTM Mali jusqu’au 18 mai 2018 et fixé le montant des coûts communs de la mission à 33,4 millions d’euros sur la période allant du 19 mai 2016 au 18 mai 2018.

Au total, les coûts communs d’EUTM Mali de 2013 à 2018 s’élèveront à 73,4 millions d’euros. Il convient de préciser que cette somme est représentative des seuls coûts communs et non du coût global de la mission, celui-ci étant supporté par les États contributeurs sur leur budget national. Vos rapporteurs n’ont pas trouvé trace de ce coût global qui, par définition, exige d’agréger l’ensemble des contributions nationales des 27 États participants.

La mission EUCAP Sahel Mali constitue une duplication de la mission EUCAP Sahel Niger qui vise, depuis 2012, à renforcer les capacités nigériennes de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Contrairement à EUTM Mali, EUCAP Sahel Mali est une mission exclusivement civile, composée de 100 Européens et 40 Maliens, mais qui s’appuie sur le même constat d’une défaillance des forces de sécurité intérieure qu’il faut reconstruire.

Par la décision no 2014/219/PESC du 15 avril 2014, le Conseil a donc créé une mission civile de soutien aux forces de sécurité intérieure (FSI) du Mali. Son objectif est « de permettre aux autorités maliennes de restaurer et de maintenir l'ordre constitutionnel et démocratique ainsi que les conditions d'une paix durable au Mali et de restaurer et maintenir l'autorité et la légitimité de l'État sur l'ensemble du territoire malien par un redéploiement efficace de son administration ». Plus précisément, l'EUCAP Sahel Mali assiste et conseille les FSI (c’est-à-dire la Gendarmerie, la Police et la Garde nationale) dans la mise en œuvre de la réforme de la sécurité fixée par le gouvernement malien, dans la perspective :

– d'améliorer leur efficacité opérationnelle,

– de rétablir leurs chaînes hiérarchiques respectives,

– de renforcer le rôle des autorités administratives et judiciaires en matière de direction et de contrôle de leurs missions, et

– de faciliter leur redéploiement au nord du pays.

En pratique, EUCAP Sahel Mali organise des stages de quatre semaines (100 heures de formation) comportant des modules sur le management, la déontologie, les droits de l’homme et le genre, le commandement du service, la gestion RH… Ces modules sont complétés par des formations spécialisées dans des domaines techniques : police scientifique, maintien de l’ordre, police de l’air et des frontières, renseignement… Ils sont par ailleurs calibrés sur trois niveaux de cadre : supérieur, intermédiaire et de proximité.

En application de la décision du Conseil no 2015/76/PESC du 19 janvier 2015, EUCAP Sahel Mali est officiellement lancée le 15 janvier 2015. Le mandat a été modifié à la marge par la décision no 2017/50/PESC du 11 janvier 2017. En effet, ces quatre missions restent les mêmes mais désormais, EUCAP Sahel Mali doit également, « dans le cadre de ses activités, contribuer à l'amélioration de l'interopérabilité et de la coordination entre les forces de sécurité intérieure des pays du G5 Sahel et les FSI ». Ce point est à souligner et à rapprocher des développements supra sur le rôle désormais clé du G5 Sahel dans la mise en œuvre de la Stratégie européenne dans la région.

La décision 2014/219/PESC prévoyait un coût de 5,5 millions d’euros pour les neuf premiers mois suivant son entrée en vigueur. Toutefois, le
19 janvier 2015, la décision no 2015/76/PESC a réévalué ce montant à
11,4 millions d’euros pour l’année 2015, montant que la décision
no 2016/50/PESC a porté à 14,85 millions d’euros pour l’année 2016. Toutefois, une dernière décision no 2016/890/PESC du 6 juin 2016 a rehaussé ce montant à 19,775 millions d’euros. Enfin, la décision no 2017/50/PESC du 11 janvier 2017 a fixé le coût pour l’année 2017 à 29,8 millions d’euros.

Il convient de souligner que le coût d’EUCAP Sahel Mali est, s’agissant d’une mission civile, pris en charge par le budget européen, ce qui explique que le coût mentionné dans les décisions précitées soit très supérieur à celui d’EUTM Mali.

L’objet de la mission d’information et, notamment, du déplacement de vos rapporteurs à Bamako était d’apprécier sur le terrain les progrès dans la reconstruction de l’armée et des forces de sécurité intérieure maliennes et, en particulier s’agissant de la première, son autonomie opérationnelle qui, pour une large part, conditionne le retrait de la force Barkhane. Il convient toutefois de distinguer entre EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali car avec moins de deux ans de recul, il peut être prématuré de tirer le bilan de cette dernière mission.

C’est un fait qu’il convient de rappeler une fois encore. Après les déroutes face aux djihadistes en 2012 et, surtout, en 2013, l’armée malienne était en lambeaux, désorganisée et démoralisée. Par conséquent, c’est à une véritable reconstruction qu’il faut maintenant s’atteler et tel est l’objet d’EUTM Mali.

Or une tâche aussi complexe et considérable mettra des années à produire des résultats. L’un des officiers français rencontrés à Bamako a ainsi rappelé qu’il a fallu près de dix ans à notre armée pour se professionnaliser après la fin du service militaire, alors qu’elle était dans une situation incomparablement meilleure que celle de l’armée malienne aujourd’hui. Vos rapporteurs attirent donc l’attention sur la nécessaire patience qu’il faut avoir en la matière, ce qui n’interdit évidemment pas d’évaluer cette mission lancée il y a presque quatre ans.

Le premier constat, c’est que cette mission, après des débuts difficiles déjà évoqués par MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche en 2013 (3), a désormais atteint son rythme de croisière. L’impression générale produite par la visite de son centre d’entraînement à Koulikoro est celle d’une mission qui fonctionne bien et a su s’organiser afin de satisfaire aux objectifs de son mandat et, en particulier, la formation de l’armée malienne.

Il convient de rappeler que le choix a été fait, dès l’origine, de former des groupes tactiques interarmes (GTIA) afin de répondre à la demande immédiate des autorités maliennes. En effet, confrontée à la pression des groupes terroristes dans le Nord, l’armée malienne avait un besoin urgent d’unités opérationnelles. EUTM Mali s’est donc prioritairement consacrée, pendant les deux premiers mandats, à « produire des GTIA » selon les termes du Général Marc Rudkiewicz, ancien commandant de cette mission (4). Au total, huit GTIA ont été formés, soit près de 8 000 hommes, et quatre ont bénéficié d’un cycle de réentraînement. Si le chiffre peut sembler faible, il représente près de la moitié des effectifs de l’armée malienne dont les GTIA forment désormais, selon les mots d’un officier français, « le cœur opérationnel ». Ils sont d’ailleurs aujourd’hui déployés au Centre et au Nord du pays.

À ces formations générales se sont ajoutées des formations techniques spécialisées, par exemple dans la recherche et la destruction des IED (« improvized explosive engines » – engins explosifs improvisés) qui sont parmi les principaux dangers mortels qui menacent les troupes, tant maliennes qu’étrangères d’ailleurs. Le niveau exigé dans ces formations est loin d’être anodin puisque certaines formations, sanctionnées par un certificat, n’ont que 50 % de taux de réussite.

Par ailleurs, le troisième mandat a entraîné une réorientation du contenu de la formation vers le renforcement des capacités de commandement, avec notamment le programme Leader Education Team, ciblé sur les officiers et les sous-officiers (5), et surtout, vers la formation des formateurs afin que les militaires maliens deviennent leur propre formateur et assurent la transmission des savoirs. L’objectif est ainsi clairement affiché d’un transfert de l’activité de formation aux Maliens eux-mêmes, cohérent avec la réorientation d’EUTM Mali, laquelle inclut également le renforcement de l’activité de conseil stratégique auprès du ministère malien de la Défense. C’est ainsi qu’EUTM Mali participe à la mise en œuvre de la LPM adoptée en 2015, aide à la réorganisation du ministère (gestion des ressources humaines…) et à l’amélioration des procédures (logistique, command and control, renseignement…).

Il va de soi qu’il est difficile d’évaluer cet aspect de l’activité d’EUTM Mali. Non seulement il est relativement récent mais surtout, les Maliens reçoivent des conseils dont ils font ce qu’ils veulent. Or, c’est un fait que l’armée malienne comme le ministère de la Défense sont accaparés par les opérations militaires au Nord. Il ne faut en effet pas oublier qu’EUTM Mali, comme EUCAP, se déploie dans un contexte de guerre dans le pays qui complique considérablement sa tâche, qu’il s’agisse du conseil comme de la formation.

Lors de leur déplacement à Bruxelles, vos rapporteurs ont pu constater que, pour le SEAE, EUTM Mali est un succès. Le Crisis Management and Planning Directorate (CMPD) a ainsi évalué trois fois cette mission, avant chaque renouvellement de son mandat, et observé de vrais progrès au sein de l’armée malienne. Les mentalités changent, comme les pratiques, les soldats ont repris confiance en eux et sont reconnaissants à l’Union européenne de l’aide qu’elle leur apporte. Une autre preuve du succès de cette mission est l’enthousiasme avec lequel les États-membres contribuent. La génération de forces ne pose pas de difficulté et jusqu’à présent, l’envoi des formateurs européens au Mali s’est toujours déroulé sans accroc.

La seule difficulté, souvent mentionnée, est celle de la langue. La langue utilisée tant pour la formation que pour le conseil est le français. Or, les instructeurs envoyés par les États-membres ne sont pas toujours francophones. Ils sont ainsi obligés de recourir à des traducteurs, avec tous les inconvénients de celui-ci, notamment le risque de malentendus. D’ailleurs, s’agissant de l’activité de conseil stratégique, il n’est pas question de traduction, si bien que les militaires français représentent la quasi-totalité des personnels.

Si EUTM fonctionne bien, encore faut-il que ses résultats puissent être évalués à l’aune du seul critère qui, réellement, fait sens : l’autonomie opérationnelle. Or, malgré les progrès enregistrés et l’investissement constant des personnels d’EUTM depuis quatre ans, l’ensemble des personnalités rencontrées, y compris au sein des institutions européennes, ont insisté sur le fait que l’armée malienne n’est pas encore capable d’assurer seule la défense du pays et qu’elle ne le serait pas avant des années.

Il est malheureusement aisé, dans un pays en guerre comme le Mali, d’évaluer les capacités d’une armée. Il suffit d’observer son comportement au combat, au contact de l’ennemi, les difficultés qu’elle rencontre et les succès qu’elle obtient (ou non). Or, c’est peu dire que le premier engagement d’un GTIA au Nord, lors de la troisième bataille de Kidal, le 21 mai 2014, a été un désastre. Bien que supérieur en nombre, les FAMa n’ont pu tenir leur position face au MNLA. Inexpérimentées, les jeunes recrues formées par EUTM ont paniqué, abandonné leurs armes et tenté de fuir. De l’avis général, elles n’auraient jamais dû être déployées au front, révélant ainsi la défaillance de la hiérarchie.

Les officiers maliens rencontrés par vos rapporteurs à Bamako, incluant des chefs de GTIA, leur ont permis de mieux cerner les difficultés rencontrées par ces derniers. S’ils sont globalement satisfaits de la formation qu’ils ont reçue avec EUTM Mali, ils insistent néanmoins sur le fait qu’à elle seule, en l’espace de seulement trois mois, elle ne peut transformer de jeunes recrues en véritables soldats. Ils pointent en particulier le manque d’aguerrissement au combat. Seulement, EUTM Mali est dans l’incapacité d’aller sur le terrain avec ceux qu’elle a formés. Son mandat le lui interdit.

L’erreur est ainsi de croire que la formation de l’armée malienne peut reposer entièrement sur EUTM Mali. Celle-ci fait au mieux, mais une fois les soldats formés, ils retournent dans une structure largement inefficace qu’il faudra bien plus de trois mois pour transformer. Un exemple a particulièrement frappé vos rapporteurs. La formation à EUTM Mali a, pendant deux ans, été axée sur l’entraînement de GTIA. Or, cet entraînement n’a de sens que si le GTIA, une fois formé, reste un tout cohérent. Les officiers ont regretté que les sous-GTIA soient dispersés et les GTIA ainsi disloqués. Confrontée à une pénurie d’effectifs aggravée par une gestion des ressources humaines défaillante et à l’urgence de la pression djihadiste, l’armée malienne pare au plus pressé et déploie ses soldats en fonction des besoins sécuritaires immédiats, sans forcément tenir compte de leur appartenance à un GTIA. Lors de leur rencontre avec le ministre de la Défense malien, vos rapporteurs ont ainsi appris que, sur les huit GTIA formés par EUTM Mali, cinq sont opérationnels à 80 % de leur capacité mais trois ne le sont qu’à 40 %, à cause d’un manque d’équipement et d’effectifs.

Au final, nombreuses sont les personnes rencontrées par vos rapporteurs qui leur ont fait part d’une crainte : que les FAMa subissent, après celle du
21 mai 2014 à Kidal, une nouvelle et humiliante défaite qui fasse voler en éclat la fragile confiance qu’EUTM Mali leur a permis de retrouver, à la fois en eux-mêmes et dans leur commandement.

Vos rapporteurs sont tout à fait conscients qu’il est encore prématuré pour tirer un premier bilan d’EUCAP Sahel Mali. Lancée en janvier 2015, cette mission avait moins de deux ans lors de leur rencontre, à Bamako, avec son Chef, M. Albrecht Conze. Les développements à suivre seront donc, logiquement, moins fournis que pour l’autre mission, EUTM Mali, et à prendre avec précaution.

En préalable, il convient de souligner les différences entre les deux missions. EUTM forme des militaires. Le public auquel elle s’adresse – les FAMa – est homogène, habitué à obéir et intégré dans une chaîne hiérarchique qui est l’interlocuteur habituel et bien identifié du commandement de la mission. À l’inverse, EUCAP s’adresse à trois institutions civiles – la Gendarmerie, la Police et la Garde nationale, soit autant d’interlocuteurs différents, dont la culture interne et le statut sont divers et qui ne présentent pas la même habitude d’obéissance aux ordres. La tâche est nécessairement plus compliquée.

La première année de la mission, c’est-à-dire 2015, a été pour l’essentiel consacrée à établir avec les Maliens, à leur faire accepter les méthodes de travail et à organiser le programme de travail des formateurs, en partenariat avec la police de la MINUSMA. Fin 2016, 1896 cadres des trois forces de sécurité intérieure avaient été formés, dont 1221 en 2016, ainsi que 44 formateurs, afin de garantir la transmission des savoirs. Parmi les problèmes de fonctionnement identifiés, ont été mis avant, par les responsables de la mission eux-mêmes, le manque de formateurs, en particulier francophones, la question de la langue étant visiblement pour EUCAP un point aussi saillant que pour EUTM. 

Si l’impression générale de vos rapporteurs est celle d’une mission qui, globalement, est en ordre de marche, consciente des difficultés à affronter et disposant des moyens nécessaires, ils ont néanmoins identifié deux problèmes susceptibles, s’ils devaient être mal gérés, de compromettre à terme la réussite de la mission.

Le premier est le risque de dispersion liée au changement et à la multiplication des objectifs. En effet, en 2016 et dans la perspective du deuxième mandat, de nouveaux objectifs ont été assignés à la mission dont les activités de conseil doivent désormais viser, en particulier, au contrôle des migrations et à la lutte contre le terrorisme. Le changement est plus important qu’il y paraît. En effet, à une activité de conseil en ressources humaines axée sur la « gestion des compétences » et visant à développer un cadre, des principes et des outils de gestion (organigrammes, statuts, cursus de carrière, bases de données, contrôles internes…) a été ajoutée une activité de conseil stratégique en gestion des frontières et en contre-terrorisme.

Le défi d’EUCAP Sahel Mali sera donc de satisfaire à ces nouveaux objectifs tout en poursuivant les activités débutées en 2015, recruter et intégrer les spécialistes nécessaires, sans oublier la contribution, exigée par le deuxième mandat, « à l'amélioration de l'inter-opérabilité et de la coordination entre les forces de sécurité intérieure des pays du G5 Sahel et les FSI ».

Le deuxième problème, dont sont d’ailleurs pleinement conscients les responsables de la mission rencontrée par vos rapporteurs, est la difficulté de suivre les membres des forces de sécurité intérieure une fois ceux-ci formés et d’évaluer sur le terrain les effets de la formation. Afin de changer les mentalités et les pratiques, EUCAP Sahel Mali cible en priorité les moins de quarante ans. Toutefois, comme pour les militaires formés par EUTM Mali, ceux-ci retournent ensuite dans leur commissariat ou leur caserne où, confrontés à une hiérarchie et à des collègues indifférents aux changements qu’ils veulent insuffler, ils oublient rapidement ce qu’ils ont appris d’autant qu’il n’est pas, a priori, prévu de « piqûres de rappel » Parce que la gestion des ressources humaines est défaillante au niveau central, il est difficile aux membres d’EUCAP de savoir qui est où et, surtout s’ils sont en province, d’aller les trouver. Ce sera peut-être possible une fois que le conseil en RH aura porté ses fruits mais pour le moment, suivi et évaluation se heurtent à des difficultés quasi-insurmontables.

L’opération Barkhane a été lancée par la France le 1er août 2014, en lieu et place de l’opération Serval qui, on le rappelle, avait stoppé l’offensive djihadiste en janvier 2013. Notre pays entretient donc dans la région du Sahel une force de 4 000 hommes, dont environ 1 500 sont stationnés dans la ville de Gao, à partir de laquelle ils multiplient les opérations au contact direct de l’ennemi. De l’avis général, incluant les autorités maliennes, la force Barkhane apporte une contribution essentielle à la sécurité et à la stabilité du Mali qui, sans elle, s’effondrerait très probablement.

De fait, par cette contribution, les opérations Barkhane et Sabre (forces spéciales) et, avant elles, Serval, étaient indispensables au déploiement des missions de l’Union européenne au Mali et à leur poursuite jusqu’à aujourd’hui. En effet, s’agissant des missions PSDC auxquelles ils participent par l’envoi de formateurs, de nombreux États-membres ont comme priorité absolue la sécurité de leurs ressortissants et il ne fait pas de doute que jamais, ils n’auraient accepté de contribuer à EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali sans la présence sur place des militaires français.

En outre, ainsi qu’il a été dit supra, le mandat d’EUTM Mali lui interdit d’aller sur le terrain avec les militaires maliens. C’était l’une des conditions posées par certains États-membres pour accepter le lancement de cette mission : que leurs ressortissants ne soient jamais exposés au feu ennemi. Cependant, il est ainsi impossible aux formateurs européens d’évaluer concrètement les résultats de la formation qu’ils fournissent et l’efficacité opérationnelle des GTIA. Cette impossibilité est de nature à nuire considérablement au succès de la mission en interdisant d’adapter l’entraînement en conséquence. Barkhane est donc, sur ce point également, indispensable au bon fonctionnement d’EUTM Mali car les militaires français effectuent des patrouilles communes avec les FAMa dont ils peuvent apprécier le comportement sur le terrain et faire un retour d’expérience au commandement d’EUTM Mali.

Dans ces conditions, les sorts de la force Barkhane et des missions européennes sont indissociablement liés. Sans Barkhane et la sécurité qu’elle apporte dans le pays, les États-membres rappelleraient très probablement leurs personnels et sans le retour d’expérience des patrouilles communes, EUTM Mali serait dans l’aveuglement complet quant à l’efficacité des formations qu’elle fournit. À l’inverse, sans le succès d’EUTM Mali et d’EUCAP Sahel Mali dans la reconstruction de l’armée et des forces de sécurité intérieure maliennes, les perspectives de retrait de Barkhane sont quasi-nulles. C’est un fait qu’il convient une fois encore de souligner : les forces étrangères ne pourront quitter le pays qu’une fois le Mali capable d’assurer sa propre sécurité.

Or, s’agissant de l’autonomie opérationnelle des FAMa, le constat est malheureusement partagé par l’ensemble des personnes rencontrées par vos rapporteurs : elles en sont encore loin. Bien plus, à supposer même que les militaires maliens soient correctement formés, ils resteraient totalement dépendants de la France car l’armée malienne souffre d’un sous-équipement chronique, notamment en termes de moyens de transport et de moyens de transmission. Les durées évoquées pour la reconstruction de l’armée malienne – et par conséquent pour la présence dans le pays des militaires français et d’EUTM Mali, sont d’une décennie, voire de plusieurs.

Dans ces conditions, le moins que puisse attendre la France – qui paie seule le prix du sang – de ses partenaires européens, c’est qu’ils contribuent au financement d’une force Barkhane qui est essentielle à la stabilité de la région du Sahel et, par conséquent, à la sécurité de l’Union européenne dont elle constitue la frontière avancée. Cette contribution pourrait se faire dans le cadre d’un approfondissement de l’Europe de la Défense, dont la réforme du mécanisme Athéna, annoncée pour 2017, serait un premier pas déjà trop longtemps attendu.

Si vos rapporteurs n’ont entendu que des louanges de Barkhane, en particulier de leurs interlocuteurs maliens, les avis sont plus mitigés s’agissant de la MINUSMA. Ainsi qu’il a été dit supra, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali a été créée par la résolution no 2100 du 25 avril 2013, pour aider les autorités de transition maliennes à stabiliser le pays et à appliquer la feuille de route pour la transition. Par l'adoption de la résolution no 2164 du 25 juin 2014, le Conseil de sécurité a réorienté le mandat de la MINUSMA sur des tâches prioritaires telles que la sécurité, l'appui au dialogue politique et à la réconciliation nationale, ainsi qu'à l'appui au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays, à la reconstruction du secteur de la sécurité malien, à la promotion et la protection des droits de l’homme, et à l’aide humanitaire.

La MINUSMA dispose actuellement, dans le seul Mali, de 9 142 militaires, 1 282 policiers et 1 180 civils (dont 524 maliens), soit un total de 11 604 personnes. Participent à cette mission 24 pays dont, pour l’Union européenne, le Danemark, la Roumanie, la Suède, l’Allemagne et la France.

Or, malgré son mandat et ses moyens humains, très supérieurs en nombre à ceux de la force Barkhane, la MINUSMA est pourtant bien moins impliquée dans les opérations de sécurisation et de stabilisation du Mali. Les raisons de cette marginalisation sont pour l’essentiel structurelles et inhérentes au modèle des opérations multinationales de maintien de la paix gérées par l’ONU :

– les divers contingents obéissent à leur hiérarchie nationale avant de se plier aux ordres du commandement de la MINUSMA. La coordination de ceux-ci se révèle donc très compliquée, d’autant plus qu’ils disposent chacun de leurs propres règles et limitations (« carve-out ») et de leur propre langue ;

– les missions les plus dangereuses, qui impliquent d’aller au contact de l’ennemi, en particulier la lutte contre les groupes terroristes, se heurtent aux « carve out » précités de nombreux contingents, qui leur font interdiction de participer à de telles missions ; toutefois, malgré ces précautions, la MINUSMA a payé un lourd tribut puisque plus de 90 de ses membres ont été tués, soit plus que pour n’importe quelle autre mission de maintien de la paix ;

– si les pertes sont aussi lourdes, c’est probablement parce que le pays est en guerre et que la MINUSMA, opération de maintien de la paix avant tout, n’est ni structurée ni entraînée pour faire la guerre. Outre la difficulté à coordonner les contingents nationaux, elle ne dispose pas des moyens ISR (Intelligence, Surveillance et Reconnaissance) indispensables à cette fin ; en outre, comme les contingents sont fournis par les États sans vérification préalable de leurs capacités, certains se sont révélés inaptes au combat, leurs soldats n’ayant, pour certains d’entre eux, jamais utilisé une arme. Leur faible niveau en fait ainsi des cibles de choix pour les terroristes qui, au contraire, ont appris à éviter la confrontation directe avec les soldats de la force Barkhane. Le fait que les soldes soient multipliées par cinq et payées par l’ONU constitue en réalité la seule motivation, pour certains États, de leur engagement au Mali.

Au final, l’essentiel des moyens de la MINUSMA est consacré à soutenir la MINUSMA, qu’il s’agisse de son propre entraînement, de la protection de ses membres ou de celle de ses convois d’approvisionnement. Compte tenu des pertes humaines qui l’endeuillent régulièrement, un tel souci de se protéger est parfaitement compréhensible ; toutefois, la MINUSMA n’est alors plus en mesure d’accomplir ses missions sécuritaires. Les relations sont ainsi limitées avec les FAMa comme avec la force Barkhane. Outre quelques patrouilles communes, elles prennent principalement la forme d’échanges d’informations.

Au final, la MINUSMA contribue certes à la stabilisation du Mali mais bien plus par l’activité économique et les emplois qu’elle crée dans le pays que par son implication dans la lutte contre le terrorisme, rendant ainsi toujours aussi nécessaire la présence française.

Lors de leurs entretiens, tant à Bamako qu’à Koulikoro ou Bruxelles, vos rapporteurs ont été frappés par la récurrence des critiques s’agissant de l’impossibilité, pour l’Union européenne, de financer les équipements militaires nécessaires à la mise en œuvre de la mission EUTM Mali et, d’une manière générale, la difficulté de concrétiser des projets pourtant en lien direct avec les objectifs de cette mission comme, d’ailleurs, ceux d’EUCAP Sahel Mali.

En effet, le Traité sur l’Union européenne est parfaitement clair sur ce qu’il est possible ou non de financer dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune. Aux termes de son article 41§2, « les dépenses opérationnelles entraînées par la mise en œuvre [de la PESC] sont également à la charge du budget de l'Union, à l'exception des dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense et des cas où le Conseil en décide autrement à l'unanimité ». Par conséquent, toute dépense, dès lors qu’elle a un objet militaire et même si elle s’intègre dans le cadre de la PSDC, ne peut être prise en charge par l’Union européenne.

Très claire, cette interdiction a, de plus, été strictement interprétée par le Service juridique de la Commission européenne, lequel est systématiquement sollicité dès lors qu’une dépense envisagée pourrait être considérée comme ayant un objet militaire. Même si cette dépense n’a qu’un lien très tenu avec des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense, elle est refusée par le Service juridique sur la base de l’article 41§2. C’est ainsi que des dépenses duales, telles qu’une piste d’atterrissage à usage à la fois civil et militaire, ont pu être refusées. De même, l’exemple a été cité à vos rapporteurs du creusement d’un puit qui, parce qu’il allait alimenter entre autres une garnison, ne pouvait être pris en charge par l’Union européenne.

Ce blocage juridique a des conséquences fâcheuses pour une mission comme EUTM Mali dont l’une des composantes essentielles est la formation de militaires maliens afin que les FAMa soient aptes à prendre en charge la sécurité du territoire national. Or, pour bien entraîner ces hommes, encore faut-il qu’ils disposent d’uniformes et de gilets pare-balles, de véhicules et de moyens de transmission et, surtout, d’armes et de munitions. Or, ces dernières ne peuvent pas être prises en charge par EUTM, qui ne les fournit donc pas à ses recrues. L’armée malienne n’ayant pas les moyens de les acheter, le résultat serait, selon l’eurodéputé Javier Nart, « que la formation qu’on donne aux soldats maliens est purement théorique avec, pour seul appui, le livre technique de l’arme ».

Sans aller jusque-là, vos rapporteurs ont constaté à Koulikoro que les recrues maliennes disposaient bien d’armes et de munitions mais aussi que ce n’était pas EUTM Mali ni même, forcément, l’armée malienne qui les fournissaient mais les États-membres, notamment l’Allemagne et la Croatie. Or ces dons, s’ils doivent être salués, posent d’autres difficultés : non seulement les armes peuvent être disparates, mais ce ne sont pas forcément celles dont les recrues d’EUTM Mali useront une fois de retour dans l’armée malienne. Ce sous-équipement d’EUTM Mali reflète d’ailleurs le sous-équipement chronique de l’armée malienne elle-même, déjà évoqué supra.

De même, lorsqu’il a fallu financer la formation destinée aux officiers de liaisons du G5 Sahel, qui s’est tenue à l’été 2016 (voir infra), pour un montant de 50 000 euros consistant essentiellement en billets d’avion et hébergements, l’Union européenne a refusé de prendre en charge ces dépenses, finalement assumées par l’Allemagne et la Belgique.

Enfin, dernier exemple de l’absurdité que constitue une interdiction aussi strictement interprétée, les difficultés de financement des projets d’EUTM Mali obligent son commandant à se rendre directement à Bruxelles pour les décrocher. Parfois, il réussit, mais parfois il échoue ; il se tourne alors vers les États-membres, comme pour un projet d’équipement aussi létal que des trousses médicales d’urgence, finalement pris en charge par le Luxembourg.

En revanche, le centre d’entraînement d’EUTM Mali à Koulikoro dispose d’une unité hospitalière dite « rôle 2 », gérée par l’Allemagne, qui passe pour être le meilleur hôpital du pays. Lors de leur visite, vos rapporteurs ont été frappés par son caractère aussi surdimensionné qu’inapproprié puisqu’il traite plus infections au paludisme que de blessures de guerre…

En définitive, ces contraintes juridiques pour le financement de dépenses ayant un objet militaire handicapent considérablement la mise en œuvre d’EUTM Mali tout autant qu’elles nuisent à l’image de l’Union européenne au Mali, incapable de fournir des armes et des munitions aux soldats que, par ailleurs, elle se donne pour mission de former au combat. Les raisons juridiques justifiant cette incapacité, naturellement bien comprises à Bruxelles, ne le sont pas forcément sur le terrain, et leur conséquence pourrait être que ce soit les Chinois qui, in fine, équipent l’armée malienne.

Alors que l’Union européenne fait face au Sahel, mais aussi ailleurs dans son voisinage, à des menaces qui exigent d’elle qu’elle mobilise l’ensemble des moyens à sa disposition, conformément à la Stratégie globale précitée, il n’apparaît plus tenable qu’elle continue à se priver des moyens militaires et, ce faisant, à risquer de compromettre la réussite de missions aussi essentielles qu’EUTM Mali.

Il faut donc saluer l’évolution de la Commission européenne sur cette question de la prise en charge des dépenses militaires, allant à l’inverse de l’interprétation stricte qui prévaut aujourd’hui au sein de son Service juridique. En effet, le 5 juillet dernier, elle a présenté une proposition de règlement modifiant le règlement (UE) no 230/2014 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2014 instituant un instrument contribuant à la stabilité et à la paix, qui repose sur un constat auquel adhèrent sans réserve vos rapporteurs : « L'absence de réponse aux besoins opérationnels urgents des partenaires entrave la réalisation des objectifs de développement essentiels, c'est-à-dire l'amélioration de la paix et la sécurité humaine. L'amélioration du fonctionnement des acteurs militaires et le renforcement de leur gouvernance, particulièrement dans des contextes fragiles et des pays sortant d'un conflit, contribuent à la paix, à la sécurité humaine et à la stabilité et, ce faisant, à la réalisation des ODD. L'incapacité à financer le renforcement des capacités dans le domaine de la sécurité (tant les équipements que les actions de formation) entrave la capacité des partenaires à satisfaire leurs besoins en matière de développement ».

La Commission, en faisant de « l’amélioration du fonctionnement des acteurs militaires » une condition de « la réalisation des objectifs du développement durable », donne une base juridique au financement de dépenses militaires. En effet, « compte tenu de la vaste portée de la coopération au développement, le financement du renforcement des capacités (soutien en matière de formation et d'équipements) dans le secteur de la sécurité sur la base des articles 209 et 212 du TFUE n'est pas exclu en soi uniquement en raison de la nature militaire du bénéficiaire ». Dès lors, « un financement des forces militaires est possible ».

Par conséquent, la proposition de règlement brise un tabou en autorisant explicitement l’Union européenne, lorsqu’elle fournit une aide aux acteurs du secteur de la sécurité, à l’adresser « également aux acteurs militaires dans les circonstances exceptionnelles prévues à l'article 3 bis, en particulier dans le contexte d'une réforme plus vaste du secteur de la sécurité et/ou dans le cadre du renforcement des capacités pour favoriser la sécurité et le développement conformément à l'objectif premier de la réalisation du développement durable ». Les circonstances exceptionnelles susmentionnées sont réunies :

– »  lorsque les exigences ne peuvent être satisfaites en faisant appel à des acteurs non militaires afin d'atteindre de manière adéquate les objectifs de l'Union au titre du présent règlement, lorsque l'avènement de sociétés stables, pacifiques et ouvertes est compromis par une menace grave au fonctionnement des institutions publiques et à la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou lorsque les institutions publiques ne sont plus en mesure de faire face à cette menace grave » ;

– »  lorsque le pays concerné et la communauté internationale et/ou l'Union européenne s'accordent sur le fait que le secteur de la sécurité, et en particulier l'armée, est essentiel à la stabilité, à la paix et au développement, particulièrement dans des contextes fragiles et de crise ».

Il va de soi que ces circonstances exceptionnelles correspondent parfaitement à la situation actuelle du Mali.

Toutefois, une limite existe s’agissant des dépenses militaires pouvant ainsi être prises en charge. En effet, « l'aide de l'Union n'est pas utilisée aux fins du financement des dépenses militaires récurrentes, de l'achat d'armes et de munitions, de la formation uniquement destinée à contribuer à la capacité de combat des forces armées ». Par conséquent, les dépenses les plus spécifiquement militaires et, plus précisément, les équipements létaux, ne pourront toujours pas être pris en charge par le budget de l’Union européenne. Or, ce sont précisément les armes et les munitions qui font défaut à une mission comme EUTM Mali, comme à l’armée malienne elle-même, sans parler du fait que cette mission a justement pour objet d’améliorer les capacités au combat de l’armée malienne.

Cette proposition de règlement, qui s’inscrit dans ce qu’on appelle le « renforcement des capacités pour favoriser la sécurité et le développement » (« capacity-building for security and development » – CBSD), constitue indéniablement un progrès qui permettra la prise en charge, via l’Instrument contribuant à la stabilité et à la paix, de dépenses ayant un objet explicitement militaire. La limite susmentionnée est de nature à amoindrir sa portée, mais sans doute n’était-il pas possible, juridiquement, d’aller au-delà de ce qu’a proposé la Commission européenne.

En outre, cette proposition de règlement doit maintenant être adoptée par le Conseil qui est pour le moins divisé sur la question de la prise en charge des dépenses militaires par l’Union européenne. M. Javier Nart le dit avec ses mots à lui dans l’entretien précité : « dans l’Union européenne, nous sommes des gens géniaux. Nous partons de l’idée que la guerre est une chose de mauvaise éducation et qu’on ne peut pas tuer. C’est une décision stupide. Face à l’ennemi, on investit en éducation pour créer de meilleures conditions sociologiques et éviter les avancées du terrorisme. Il faut plus de sens commun et arrêter les conneries. Si on est en guerre, il faut aller à la guerre, la gagner… Et après, on pourra parler de créer une plateforme pour une éducation inclusive ».

Lors de leur déplacement à Bruxelles, vos rapporteurs ont été informés des réticences idéologiques de certains États-membres, en particulier du Nord, vis-à-vis de la chose militaire. Elles augurent de discussions compliquées au Conseil sur cette proposition de règlement, alors même que la dégradation récente du contexte sécuritaire au Mali exige une décision rapide.

La Stratégie de l’Union européenne au Sahel est, faut-il encore le rappeler, une stratégie globale dont les missions EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali, pour fondamentales qu’elles soient, ne constituent qu’une des composantes. Par conséquent, la coordination entre ces missions et les autres composantes de l’action de l’Union européenne dans la région est essentielle à la réussite de la Stratégie précitée. Toutefois, l’exigence de coordination s’impose également dans la gestion de ces deux missions ainsi que dans les rapports avec les autres acteurs présents au Sahel, qu’il s’agisse des organisations internationales ou des organisations non-gouvernementales.

Or, c’est peu dire que cette coordination laisse à désirer, comme vos rapporteurs ont pu le constater et comme l’ont regretté nombre de leurs interlocuteurs. L’un d’entre eux a eu ces mots : « il y a trop de monde, trop d’organisations internationales, trop d’ONG, trop de médecins autour du malade qui se laisse faire, et laisse les médecins se disputer entre eux ».

Ce fait a déjà été évoqué supra, lorsque vos rapporteurs ont rappelé que l’Institut néerlandais de relations internationales Clingendael avait compté, au niveau international, seize stratégies différentes pour la stabilisation du Sahel. Celles-ci sont, au moins pour une partie d'entre elles, mises en œuvre sur le terrain, sans parler des ONG qui, elles, ont leurs propres objectifs. Personne ne sait d’ailleurs exactement combien d’ONG sont présentes au Mali et personne n’a une vision d’ensemble de ce qu’elles font dans le pays. La coordination entre l’UE, l’ONU (via la MINUSMA) et Barkhane est heureusement meilleure compte tenu de l’existence d’une « troïka » (6) se réunissant tous les mois. Ces réunions permettent d’éviter les doublons mais aussi de se répartir les tâches. Ainsi, EUCAP Sahel Mali concentre davantage ses activités de soutien et de formation à la garde nationale et la MINUSMA sur les forces de police. En revanche, la coordination entre les États-membres eux-mêmes, relève largement de l’ »  impossible », selon les termes d’un diplomate européen à Bamako, s’agissant d’un domaine aussi lié à la souveraineté que la politique extérieure et de sécurité. Loin de Bruxelles, la PESC n’est pas encore tout à fait une réalité

La coordination au niveau européen est elle aussi essentielle. À ce titre, elle a spécialement intéressé vos rapporteurs qui ont cherché, tant à Bamako qu’à Bruxelles, à démêler l’enchevêtrement des hiérarchies afin de mieux en saisir la réalité. En effet, il convient de distinguer entre la coordination de l’action de l’Union européenne sur le terrain et la supervision de celle-ci assurée depuis Bruxelles. Toutefois, l’une comme l’autre présente des difficultés.

Sur le terrain, la coordination est assurée par la Délégation de l’Union européenne au Mali. Non seulement elle organise la concertation avec les autorités locales mais elle veille à ce que l'action des différents intervenants (aide humanitaire, missions militaires de l'UE et des États-membres) soit coordonnée. Cependant, cette coordination est compliquée par le fait que le Chef de Délégation, n'ayant pas de pouvoir hiérarchique sur l'ensemble des acteurs, en particulier les Ambassadeurs des États-membres mais également le commandant d’EUTM Mali et le chef de mission d’EUCAP Sahel Mali, manque de l'autorité et des moyens nécessaires pour l’assurer correctement. En outre, une grande partie des décisions se prennent à Bruxelles, l’échelon local n’ayant guère que l’obligation de les appliquer et le devoir d’en rendre compte, en essayant le cas échéant de faire remonter les difficultés de mise en œuvre.

À Bruxelles, les choses ne sont guère moins compliquées, comme vos rapporteurs ont pu le constater lorsqu’ils ont cherché à comprendre comment s’exerçait la supervision des missions EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali :

– mission civile, EUCAP Sahel Mali s’intègre dans la chaîne de commandement du SEAE, dirigé par la Haute Représentante, laquelle a également autorité sur le Chef de la délégation de l’UE à Bamako. Toutefois, le Chef de la mission rend compte directement à la Commission, qui gère son budget, et aux États-membres, via le COPS, qui fournissent les personnels ;

– EUTM Mali, en revanche, est une mission militaire qui échappe très largement au SEAE et à la Commission, cette dernière gardant toutefois le pouvoir de financer ou non les projets qu’elle propose (voir supra). Son commandant rend compte directement aux États-membres via le COPS, sur une base semestrielle. Le comité militaire peut toutefois venir en appui au commandement mais il ne donne pas de directives et il n’y a pas de chaîne de commandement à proprement parler.

Il va sans dire que cet enchevêtrement de hiérarchies ne facilite pas la gestion au quotidien de ces missions et, d’une manière générale, la cohérence dans la mise en œuvre de la Stratégie européenne au Sahel. Vos rapporteurs ont toutefois noté avec satisfaction que la coordination semble plus aisée entre les deux missions elles-mêmes. Ainsi, à titre d’exemple, c’est EUTM Mali et non EUCAP Sahel Mali qui, à la demande de cette dernière, a assuré la formation militaire d’une unité de 150 gendarmes maliens en décembre 2015.

Lors de son lancement, la mission EUTM Mali a établi son quartier général à Koulikoro, à 60 kilomètres de Bamako, vaste complexe de bâtiments et de terrains où les différentes formations étaient – et sont encore – dispensées aux militaires maliens.

Toutefois, une fois les huit GTIA formés et dans la perspective du deuxième renouvellement du mandat, en 2016, le besoin s’est fait sentir, tant pour l’armée malienne que pour les responsables d’EUTM Mali, d’envoyer les formateurs au plus près du terrain, directement dans les garnisons des FAMa installées dans les zones instables du Centre et du Nord-Mali. En effet, dès lors que l’objectif de ce troisième mandat était le renforcement des capacités de commandement et la formation des formateurs, sans parler de « la contribution au processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration » des rebelles touaregs, faire venir ces derniers ainsi que les officiers et sous-officiers à Koulikoro, loin de leurs troupes et de leurs terres, n’a pas semblé pertinent ni efficace. Bien au contraire, il fallait qu’EUTM Mali sorte de son quartier général et vienne à eux. Le mandat a donc été modifié pour que « ses actions s’étendent jusqu’à la boucle du fleuve Niger, comprenant les communes de Gao et de Tombouctou ».

Les actions décentralisées ont commencé quelques mois après l’adoption du nouveau mandat, en juin 2016. Une « équipe conjointe de conseil et de formation » (en anglais : « combined mobile advisory and training team » – CMATT) a ainsi été envoyée à Ségou, ville située à 240 kilomètres au Nord de Bamako, et une autre à Kati, c’est-à-dire à 15 kilomètres de Bamako. Par conséquent, telle qu’elle est mise en œuvre, la décentralisation des formations implique seulement de sortir de Koulikoro, même de quelques kilomètres.

Une telle retenue ne doit pas étonner. En effet, ainsi qu’il a été dit supra, lors du lancement d’EUTM Mali, de nombreux États-membres, notamment l’Allemagne, ont fait de la sécurité de leurs citoyens envoyés comme formateurs une priorité. Ils n’ont ainsi accepté de contribuer à la mission qu’à la condition que les formations soient organisées exclusivement dans des zones sûres, c’est-à-dire à Bamako et dans le Sud du Mali, à l’exclusion donc du Centre et du Nord exposés à la menace terroriste. Cette exigence de sécurité explique aussi, on le rappelle, que les formateurs ne soient pas autorisés à suivre leurs recrues sur le terrain pour évaluer leur comportement au combat. Le caractère surdimensionné et suréquipé du « rôle 2 » installé à Koulikoro est, de même, une condition posée par l’Allemagne, qui d’ailleurs le gère.

Dans ces conditions, si des formations décentralisées sont désormais possibles, il n’est pas envisagé d’envoyer des personnels d’EUTM Mali au Nord et, notamment à Gao. Le dernier attentat suicide qui a fait 77 morts dans un camp des FAMa le 18 janvier 2017 illustre l’insécurité qui règne dans cette ville qui, pourtant, est le siège de la force Barkhane au Mali. L’objectif d’intégration des Touaregs apparaît dès lors largement hors d’atteinte.

EUCAP Sahel Mali a elle aussi initié des formations décentralisées à compter de 2016. Après une tournée du Chef de mission, M. Albrecht Conze, dans les régions de Mopti, Ségou, Kayes et Sikasso afin de recueillir les besoins des forces de sécurité présentes en termes de formation et de conseils, une première équipe mobile d’évaluation et de conseil (EMFEC) a été envoyée à Ségou en juin 2016. Elle a organisé une formation destinée à vingt officiers de police judiciaire afin qu’ils affinent leurs connaissances, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et de police technique et scientifique. De même, un détachement d’experts d’EUCAP s’est rendu à Sikasso en octobre 2016 afin de former des stagiaires de la Police, de la Gendarmerie et de la Garde Nationale dans les domaines du maintien de l’ordre et de l’intervention professionnelle et en sécurité des frontières.

Comme pour EUTM Mali, la décentralisation concerne des villes situées dans des régions à peu près stables. Mopti a été évoqué mais considérant la dégradation rapide de l’environnement de sécurité dans le centre du Mali, il n’est pas certain que des formations aient lieu dans cette ville, a fortiori plus au nord, malgré les besoins.

Si le troisième mandat d’EUTM Mali, adopté le 23 mars 2016, a ouvert à la voie à la décentralisation de la formation en région, il lui assigne également un nouvel objectif, déjà évoqué supra. En effet, la mission doit fournir « un soutien au processus du G5 Sahel, dans le cadre des activités menées par EUTM Mali en appui aux forces armées maliennes, en contribuant à renforcer la coordination et l’interopérabilité avec les forces armées nationales du G5 Sahel ». Le même objectif figure dans le mandat d’EUCAP.

Cette régionalisation d’EUTM et d’EUCAP s’inscrit dans un mouvement plus vaste. En effet, les ministres des Affaires étrangères ont demandé, le 20 juin 2016, au SEAE d’étudier en concertation avec les États-membres « les possibilités de régionaliser les missions PSDC dès que possible ». Si le SEAE leur avait préalablement indiqué être favorable à une telle régionalisation, c’est qu’elle répondrait à la fois aux besoins des pays de la région mais aussi à ceux de l’Union européenne. En effet, ainsi qu’il a été dit supra, ces pays font face aux mêmes menaces et ont tous besoin de l’expertise européenne en matière de sécurisation des frontières, laquelle permet à la fois de lutter contre les migrations et le terrorisme.

En pratique, cette régionalisation a pris la forme d’une formation d’une vingtaine d’officiers de liaison des armées malienne, nigérienne, tchadienne, burkinabaise et mauritanienne. Une première formation a eu lieu du 18 au 29 juillet 2016 et une deuxième du 5 au 16 décembre 2016. D’autres suivront en 2017. Il convient de souligner qu’EUTM Mali n’a pas été la seule à fournir des instructeurs dans le cadre de cette formation : EUCAP Sahel Mali, EUCAP Sahel Niger, la MINUSMA, Barkhane, le Secrétariat permanent du G5 Sahel et l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés y ont également contribué.

Toutefois, les pays du G5 n’ont pas fait mystère qu’ils attendent plus de l’Union européenne et le répètent à chacune de leurs réunions avec la Haute Représentante. Plus précisément, ils souhaitent que des missions EUTM et EUCAP, après le Mali et le Niger, soient également lancées dans les autres pays de la région et, surtout, que l’Union européenne leur fournisse, au-delà de la formation, les équipements nécessaires à leur armée et leurs forces de sécurité sur le terrain. Malheureusement, une telle extension des missions PSDC n’est pas à l’ordre du jour ; quant à l’adoption de la proposition de règlement précitée permettant le financement, dans une certaine mesure, de dépenses militaires, elle est encore loin d’être acquise.

Compte tenu de l’importance qui s’attache à la réussite de l’initiative G5 Sahel pour la stabilité de la région, votre co-rapporteur, M. Yves Fromion, aurait souhaité évoquer ces sujets avec le Secrétaire permanent du G5 Sahel, M. Najim Elhadj Mohamed, et s’était proposé d’aller le rencontrer à Nouakchott. Malheureusement, malgré de multiples relances, celui-ci n’a pas donné suite à sa demande d’entretien.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 14 février 2017, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

« M. Joaquim Pueyo, co-rapporteur. L’Union européenne s’est longtemps désintéressée du Sahel. Très pauvre, il ne représentait pas un marché important ni, sauf pour l’uranium, un fournisseur incontournable pour les entreprises européennes. En outre, les pays de la région ont connu, comme malheureusement bien des pays africains, leur lot de troubles intérieurs et de guerres mais rien qui ne menaçait la sécurité de l’Union. Au final, la seule politique européenne mise en œuvre au Sahel était l’aide au développement, dont l’Union est le premier bailleur mondial.

Toutefois, à compter des années 2000, le Sahel est devenu une poudrière, alimentée par des groupes terroristes comme AQMI, des trafiquants de drogues et des rebelles Touaregs réclamant l’autonomie politique aux États de la région. L’ensemble de ces éléments a contribué à affaiblir des États déjà faibles, marqués par la corruption et la mauvaise gouvernance, aux populations pauvres et à la jeunesse nombreuse, peu éduquée et sans perspective économique.

C’est dans ce contexte que se sont déclenchés les Printemps arabes qui ont abouti, s’agissant de la Libye, à la chute de Kadhafi et à la désintégration du pays devenu le vaste « trou noir » qu’il est encore aujourd’hui. Sans revenir sur le déroulement de celle-ci, il est fondamental de rappeler que l’impact de cette guerre sur les États du Sahel a été considérable et qu’elle explique pour une large part l’aggravation des difficultés que connaissaient ces derniers.

En effet, la guerre en Libye a entraîné le pillage des très importants stocks libyens d’armes, lesquels se sont ensuite disséminés dans l’ensemble de la région avec le retour, dans leur pays d’origine, des combattants mobilisés pendant la guerre en Libye. C’est notamment le cas des Touaregs. Tous les groupes terroristes, en particulier AQMI, ont par ailleurs bénéficié de cet afflux d’armes et de combattants pour se renforcer dans la région.

Confrontée à la dégradation rapide de la situation dans le Sahel, l’Union européenne en a tiré les conséquences dans une Stratégie rendue publique en mars 2011 : la « Stratégie pour la sécurité et le développement du Sahel ». Celle-ci est importante à un double titre, par le lien qu’elle établit entre des enjeux jusqu’à présent traités distinctement :

– d’une part, elle fait le lien entre la sécurité et le développement ;

– d’autre part, elle fait le lien entre la stabilité de la région et la sécurité de l’Union européenne.

Cette stratégie, qui identifie la Mauritanie, le Mali et le Niger comme étant les principaux pays du Sahel, propose par conséquent une réponse globale aux défis auxquels est confrontée cette région, laquelle suppose une plus grande cohérence et coordination dans ses différents outils d’intervention (financier, économique, développement, civil et militaire).

Cependant, à peine la Stratégie a-t-elle été publiée que la chute du régime libyen, en octobre 2011, a directement compromis la réalisation de son objectif de prévention de toute détérioration politique, sécuritaire et humanitaire dans le Sahel. Le Mali symbolise plus particulièrement l’insuffisance de la Stratégie européenne. En effet, renforcé par les armes et les combattants de Libye, le groupe islamiste Ansar Eddine a repris l’offensive en janvier 2013, brisé les lignes maliennes et progressé rapidement vers Bamako.

S’appuyant sur la résolution no 2085 du Conseil de sécurité des Nations-Unies du 20 décembre 2012, la France a déclenché l’opération Serval qui a réussi à repousser les islamistes au Nord et à reconquérir une large partie du territoire malien. Cette décision du Président de la République, M. François Hollande, a selon toute probabilité éviter que le Mali ne tombe entre les mains des djihadistes.

M. Yves Fromion, co-rapporteur. La déstabilisation du Mali et de l’ensemble de la région a eu de nombreuses conséquences sur la Stratégie européenne au Sahel, à commencer par le lancement de deux missions PSDC – EUTM Mali et EUCAP Sahel Mali – sur lesquelles nous reviendrons évidemment longuement.

Ces deux missions symbolisent la réorientation de la Stratégie européenne vers le renforcement de la sécurité dans la région, considérée désormais comme une frontière avancée de l’Union, tout en faisant enfin le lien entre la sécurité et le développement. En effet, prenant en compte les nouveaux risques liés à la chute du régime libyen, aux rébellions dans le nord du Mali et à la montée en puissance de Daesh, le Plan d’action régional (PAR) en faveur du Sahel adopté par le Conseil le 20 avril 2015 a défini « une série d’actions prioritaires » qui visent, toutes, à renforcer la sécurité dans la région et, au-delà, celle de l’Union européenne :

– actions de prévention et de lutte contre la radicalisation ;

– série d’actions ayant largement le même objectif de prévention et de lutte contre la radicalisation mais centrées sur la jeunesse ;

– actions en lien avec le phénomène des migrations ;

– actions visant à une meilleure gestion des frontières et à la lutte contre les trafics et le crime organisé ;

On peut toutefois regretter que ce Plan, pas plus que la Stratégie elle-même, ne fasse mention de l’explosion démographique que connaissent ces pays ni des moyens à mettre en œuvre pour la contrôler, alors même qu’elle est l’une des causes majeures des migrations, de la pauvreté et du terrorisme.

En outre, ce Plan d’action régional ne concerne plus seulement les trois pays clés identifié dans la Stratégie de 2011. En effet, cette dernière a été, dès mars 2014, à la demande du Conseil, élargie au Tchad et au Burkina-Faso.

L’Union européenne s’est également efforcée de donner plus de cohérence à la mise en œuvre de cette Stratégie qui, on le rappelle, repose sur la mobilisation de l’ensemble des instruments à disposition de l’Union européenne, lesquels relèvent d’organes différents ayant chacun leurs propres procédures, culture et priorités. En outre, cette coordination est, en l’espèce, compliquée par le fait que les États-membres peuvent avoir leur propre stratégie pour le Sahel, sans parler des stratégies mises en œuvre par les autres États et par les différentes organisations internationales, en particulier l’ONU. Au niveau international, 16 stratégies différentes pour la stabilisation du Sahel ont été recensées.

Il faut donc se féliciter de la nomination, dès mars 2013, d’un Représentant spécial de l’Union européenne pour le Sahel (RSUE), chargé de mettre en cohérence de l’action de l’Union grâce à la vision globale qu’il a de celle-ci. Le rôle du RSUE est aussi éminemment politique en ce qu’il donne un « visage » à la politique européenne au Sahel et constitue un signal du volontarisme de l’UE pour la sécurité et le développement de la région.

Enfin, si la coordination au sein de l’Union européenne est fondamentale, la Stratégie en faveur du développement et de la sécurité du Sahel ne pourra être efficacement mise en œuvre et atteindre ses objectifs si elle n’implique pas les États du Sahel eux-mêmes. C’est nécessaire parce que les actions de l’Union s’inscrivent directement dans leur territoire, en particulier les opérations EUTM Mali, EUCAP Sahel Mali et EUCAP Sahel Niger, mais également parce que ces pays font face aux mêmes types de menaces qui sont largement transfrontalières.

Dans ces conditions, la lutte contre le terrorisme et les trafics, la sécurisation des frontières et la gestion des migrations ne pourront être efficaces si les États du Sahel ne coopèrent pas entre eux, avec cette difficulté supplémentaire que la notion de frontières est plus floue dans une région marquée par le nomadisme.

C’est pourquoi il faut se réjouir de la création en 2014 du G5 Sahel, qui regroupe les cinq États de la Bande saharo-sahélienne que sont la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Il constitue désormais le cadre de leur coopération dans le domaine de la sécurité et l’interlocuteur privilégié de l’Union européenne qui le soutient politiquement, matériellement et financièrement, notamment par l’intermédiaire des missions EUTM et EUCAP.

M. Joaquim Pueyo, co-rapporteur. Avec les défaites successives de l’armée malienne face aux groupes terroristes et l’insécurité persistante dans le pays, le constat a été unanimement fait de la nécessité de reconstruire entièrement l’armée et les trois forces de sécurité intérieure que sont la Police, la Gendarmerie et la Garde nationales. Ces institutions souffrent en effet de faiblesses structurelles aggravées par de mauvaises pratiques :

– une mauvaise gestion des ressources humaines : les forces maliennes sont sous-dimensionnées et largement incapables d’accomplir leur mission car ses membres sont mal formés et mal payés, nourrissant une corruption endémique et la collusion avec les trafiquants de drogue dans le Nord ;

– une chaîne de commandement défaillante car les soldats n’ont pas confiance dans leurs cadres, souvent promus par la corruption et le népotisme ;

– enfin, un sous-équipement chronique, qui concerne à la fois l’équipement individuel mais également les équipements collectifs comme les champs de tir ou les casernes, souvent délabrées.

L’ensemble de ces éléments qui, en tant de paix, suscite déjà le mécontentement et la frustration du haut en bas de la hiérarchie a des effets désastreux en temps de guerre. Les déroutes face aux djihadistes et l’incapacité à maintenir l’ordre dans le pays le prouvent de manière incontestable.

C’est à ces faiblesses structurelles et à ces mauvaises pratiques que les deux missions de l’Union européenne ont pour objectif de remédier.

EUTM Mali est une mission militaire qui a été lancée en mars 2013 avec pour objectif – je cite – « de rétablir les capacités militaires des forces armées maliennes et de leur permettre de mener des opérations militaires visant à rétablir l’intégrité territoriale du Mali et à réduire la menace constituée par les groupes terroristes ». Concrètement, EUTM Mali consiste en :

– un appui à la formation des forces armées maliennes ;

– des formations et conseils en ce qui concerne le commandement et le contrôle, la chaîne logistique et les ressources humaines, ainsi que des formations en matière de droits de l’homme ;

C’est ainsi que, pendant les deux premiers mandats, 500 formateurs ont formé des Groupements tactiques interarmes (GTIA) composés de 700 à 800 soldats. Ce choix de former des bataillons et non des individus est une demande des Maliens qui avaient besoin, de manière urgente, de troupes opérationnelles pour lutter contre les djihadistes au Nord.

À la suite d’un réexamen stratégique en 2016, le troisième mandat d’EUTM Mali a complété cet objectif par deux nouveaux objectifs :

– une contribution au processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration des Touaregs ;

– un soutien au G5 Sahel, déjà évoqué par Yves Fromion.

Le coût d’EUTM Mali s’élève à 73,4 millions d’euros de 2013 à 2018. Cette somme ne représente toutefois que les seuls coûts communs et non du coût global de la mission, celui-ci étant supporté par les États contributeurs sur leur budget national.

EUCAP Sahel Mali est, quant à elle, une mission civile lancée en 2015 et composée d’une centaine d’Européens qui assistent et conseillent les Forces de sécurité intérieure (Gendarmerie, Police et Garde nationale) afin d'améliorer leur efficacité opérationnelle, de rétablir leurs chaînes hiérarchiques respectives et de renforcer le rôle des autorités administratives et judiciaires en matière de direction et de contrôle de leurs missions.

En pratique, EUCAP Sahel Mali organise des stages de quatre semaines comportant des modules sur le management, les droits de l’homme, le commandement du service, la gestion RH… Ces modules sont complétés par des formations spécialisées dans des domaines techniques : police scientifique, maintien de l’ordre, police de l’air et des frontières, renseignement…

Le deuxième mandat d’EUCAP, adopté le 11 janvier 2017, lui donne un nouvel objectif : contribuer à l'amélioration de l'interopérabilité et de la coordination entre les forces de sécurité intérieure des pays du G5 Sahel et les FSI. Le coût d’EUCAP, mission civile, à l’inverse d’EUTM, est pris en charge par le budget européen.

M. Yves Fromion, co-rapporteur. L’objet de la mission d’information et, notamment, du déplacement au Mali, était d’apprécier sur le terrain les progrès dans la reconstruction de l’armée et des forces de sécurité intérieure maliennes et, en particulier s’agissant de la première, son autonomie opérationnelle qui, pour une large part, conditionnerait le retrait de la force Barkhane, c’est-à-dire les 4 000 soldats français positionnés au Sahel depuis 2014 (dont 1 500 au Mali).

Le premier constat, c’est que cette mission a désormais atteint son rythme de croisière. L’impression générale produite par la visite de son centre d’entraînement à Koulikoro est celle d’une mission qui fonctionne bien et a su s’organiser afin de satisfaire aux objectifs de son mandat et, en particulier, la formation de l’armée malienne.

Huit GTIA ont été formés, soit près de 8 000 hommes, au cours des deux premiers mandats. Si le chiffre peut sembler faible, il représente la moitié des effectifs de l’armée malienne dont les GTIA forment désormais, selon les mots d’un officier français, « le cœur opérationnel ». À cette formation générale se sont ajoutées des formations techniques spécialisées, par exemple dans la recherche et la destruction des engins explosifs improvisés. Enfin, le troisième mandat a entraîné une réorientation du contenu de la formation vers le renforcement des capacités de commandement, et surtout, vers la formation des formateurs afin que les militaires maliens deviennent leur propre formateur et assurent la transmission des savoirs. L’objectif est ainsi clairement affiché d’un transfert de l’activité de formation aux Maliens eux-mêmes, cohérent avec la réorientation d’EUTM Mali, laquelle inclut également le renforcement de l’activité de conseil stratégique auprès du ministère malien de la Défense.

La seule difficulté de fonctionnement, souvent mentionnée, est celle de la langue. La langue utilisée tant pour la formation que pour le conseil est le français. Or, les instructeurs envoyés par les États-membres ne sont pas toujours francophones. Ils sont ainsi obligés de recourir à des traducteurs, avec tous les inconvénients de ceux-ci, notamment le risque de malentendus.

Si EUTM fonctionne relativement bien, encore faut-il que ses résultats puissent être évalués à l’aune du seul critère qui fait sens : l’autonomie opérationnelle. Or, malgré les progrès enregistrés et l’investissement constant des personnels d’EUTM depuis quatre ans, l’ensemble des personnalités rencontrées ont insisté sur le fait que l’armée malienne n’est pas encore capable d’assurer seule la défense du pays et qu’elle ne le serait pas avant des années.

Il est malheureusement aisé, dans un pays en guerre comme le Mali, d’évaluer les capacités d’une armée. Il suffit d’observer son comportement au combat, les difficultés qu’elle rencontre et les succès qu’elle obtient (ou non). À noter que ce sont les militaires français de l’opération Barkhane qui font le retour d’expérience puisque les formateurs d’EUTM ne sont pas autorisés à suivre leurs recrues sur le terrain.

Or, le premier engagement d’un GTIA au Nord, à Kidal, le 21 mai 2014, a été un désastre. Nous avons rencontré des officiers maliens à Bamako qui nous ont permis de mieux comprendre pourquoi. S’ils sont globalement satisfaits de la formation qu’ils ont reçue avec EUTM Mali, ils insistent néanmoins sur le fait qu’à elle seule, en l’espace de seulement trois mois, elle ne peut transformer de jeunes recrues en véritables soldats. Ils pointent en particulier le manque d’aguerrissement au combat.

L’erreur est ainsi de croire que la formation de l’armée malienne peut reposer entièrement sur EUTM Mali, laquelle reste éloignée du terrain. Celle-ci fait au mieux mais une fois les soldats formés, ils retournent dans une structure largement inefficace. À titre d’exemple, lors de notre rencontre avec le ministre de la Défense malien, nous avons ainsi appris que, sur les huit GTIA formés par EUTM, cinq sont opérationnels à 80 % mais trois ne le sont qu’à 40 %, à cause d’un manque d’équipement et d’effectifs.

En outre, à supposer même que les militaires maliens soient correctement formés, ils resteraient totalement dépendants de la France car l’armée malienne souffre d’un sous-équipement chronique, notamment en termes de moyens de transport et de moyens de transmission. Les durées évoquées pour la reconstruction de l’armée malienne, il ne faut pas se faire d’illusion, se comptent en années.

Quant à la mission EUCAP, il est prématuré d’en faire le bilan deux ans seulement après son lancement. Toutefois, nous attirons dans notre rapport l’attention sur deux difficultés qu’elle devra surmonter. La première est le risque de dispersion liée au changement et à la multiplication des objectifs. En effet, en 2016, de nouveaux objectifs ont été assignés à la mission dont les activités de conseil doivent désormais viser au contrôle des migrations et à la lutte contre le terrorisme. Le défi d’EUCAP Sahel Mali sera donc de satisfaire à ces nouveaux objectifs tout en poursuivant les activités débutées en 2015, recruter et intégrer les spécialistes nécessaires.

Le deuxième problème, dont sont d’ailleurs pleinement conscients les responsables de la mission, est la difficulté de suivre les membres des forces de sécurité intérieure une fois ceux-ci formés et d’évaluer sur le terrain les effets de la formation. Parce que la gestion des ressources humaines est défaillante au niveau central, il est impossible aux membres d’EUCAP de savoir qui est où et, surtout s’ils sont en province, d’aller les trouver.

Dans ces conditions, nos soldats risquent fort de rester encore des années au Mali puisque, de l’avis général, incluant les autorités maliennes, la force Barkhane apporte une contribution essentielle à la sécurité et à la stabilité du Mali qui, sans elle, s’effondrerait très probablement. Le moins que puisse attendre la France – qui paie seule le prix du sang – de ses partenaires européens, c’est qu’ils contribuent à une force Barkhane qui est essentielle à la stabilité de la région du Sahel et, par conséquent, à la sécurité de l’Union européenne.

M. Joaquim Pueyo, co-rapporteur. M. Yves Fromion l’a évoqué, l’un des sujets majeurs pour l’armée malienne est celui de l’équipement et l’une des demandes récurrentes du Mali comme des autres États de la région est d’obtenir les équipements militaires nécessaires pour faire ce que l’Union européenne veut qu’ils fassent : faire la guerre aux groupes terroristes et contrôler leurs frontières.

Or, l’article 41§2 du Traité sur l’Union européenne stipule que « les dépenses opérationnelles entraînées par la mise en œuvre [de la PESC] sont également à la charge du budget de l'Union, à l'exception des dépenses afférentes à des opérations ayant des implications militaires ou dans le domaine de la défense ». Par conséquent, toute dépense, dès lors qu’elle a un objet militaire et même si elle s’intègre dans le cadre de la PSDC, ne peut être prise en charge par l’Union européenne. Cette interdiction a, de plus, été strictement interprétée par le Service juridique de la Commission.

Ce blocage juridique a des conséquences fâcheuses pour une mission comme EUTM Mali dont l’une des composantes essentielles est la formation de militaires maliens. Or, pour entraîner convenablement ces hommes au combat, encore faut-il qu’ils disposent d’uniformes et de gilets pare-balles, de véhicules et de moyens de transmission et, surtout, d’armes et de munitions. Or, ces dernières ne peuvent évidemment pas être prises en charge par EUTM Mali, qui ne les fournit donc pas à ses recrues.

L’armée malienne n’ayant pas les moyens de les acheter, ce sont les États-membres, notamment l’Allemagne et la Croatie, qui les fournissent. Or ces dons, s’ils doivent être salués, posent d’autres difficultés : non seulement les armes peuvent être disparates, mais ce ne sont pas forcément celles dont les recrues d’EUTM Mali useront une fois de retour dans l’armée malienne.

Consciente de l’absurdité d’un tel blocage juridique comme de l’impact désastreux de celui-ci à la fois sur l’efficacité de l’action de l’Union européenne et sur son image dans la région, la Commission européenne a évolué sur cette question de la prise en charge des dépenses militaires. En effet, le 5 juillet dernier, elle a présenté une proposition de règlement qui donne une nouvelle base légale au financement du renforcement des capacités militaires dans les pays tiers en le rattachant à la politique de développement. Elle tire ainsi les conséquences juridiques du lien maintenant établi entre sécurité et développement, lien qui fait de la sécurité une condition de l’efficacité de l’aide au développement

Les dépenses ayant un objet militaire pourront donc, sous certaines conditions, être prises en charge par le budget européen mais les dépenses les plus spécifiquement militaires et, plus notamment, les équipements létaux, seront exclus. Or, ce sont précisément les armes et les munitions qui font défaut à une mission comme EUTM Mali, comme à l’armée malienne elle-même. Cette limite est de nature à amoindrir la portée de la proposition mais sans doute n’était-il pas possible, juridiquement, d’aller au-delà de ce qu’a proposé la Commission européenne.

Maintenant, cette proposition de règlement doit être adoptée par le Conseil qui est pour le moins divisé sur la question de la prise en charge des dépenses militaires par l’Union européenne. Lors de notre déplacement à Bruxelles, nous avons pris la mesure des réticences idéologiques de certains États-membres, en particulier du Nord, vis-à-vis de la chose militaire. Elles augurent de discussions compliquées au Conseil sur cette proposition de règlement, alors même que la dégradation récente du contexte sécuritaire au Mali exige une décision rapide.

M. Yves Fromion, co-rapporteur. Pour conclure, je voudrais présenter deux des enjeux actuels des missions EUTM et EUCAP, à savoir la décentralisation et la régionalisation, et faire un point sur la contribution européenne à l’opération Barkhane.

Pendant ses deux premiers mandats, EUTM Mali s’est concentrée sur la formation de GTIA dans son quartier général de Koulikoro, non loin de Bamako. Cependant, maintenant que l’objectif de la mission est le renforcement des capacités de commandement et la formation des formateurs, sans parler de – je cite – « la contribution au processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration » des rebelles Touaregs, faire venir ces derniers ainsi que les officiers et sous-officiers à Koulikoro, loin de leurs troupes et de leurs terres, n’a pas semblé pertinent ni efficace. Bien au contraire, il fallait qu’EUTM Mali sorte de son quartier général et vienne à eux. Le même constat a été fait par la mission EUCAP qui, elle aussi, a entrepris de décentraliser ses formations.

Cependant, si des actions décentralisées ont bien été menées en 2016, elles l’ont été très loin du Nord. En effet, les pays contributeurs, à commencer par l’Allemagne, ont fait de la sécurité de leurs nationaux une priorité. Ils n’ont ainsi accepté de contribuer à ces missions qu’à la condition que les formations soient organisées exclusivement dans des zones sûres, c’est-à-dire à Bamako et dans le Sud du Mali, à l’exclusion donc du Centre et du Nord exposés à la menace terroriste. L’objectif d’intégration des Touaregs, pour ne citer que celui-ci, apparaît dès lors largement hors d’atteinte.

L’autre enjeu est celui de la régionalisation. En effet, tant EUCAP qu’EUTM doivent désormais soutenir le G5 Sahel en contribuant à renforcer la coordination et l’interopérabilité de leurs forces. On l’a dit, ces pays font face aux mêmes menaces et ont tous besoin de l’expertise européenne en matière de sécurisation des frontières, laquelle permet à la fois de lutter contre les migrations et le terrorisme. La régionalisation des missions européennes répond donc à la fois aux besoins des pays de la région mais aussi à ceux de l’Union européenne.

En pratique, cette régionalisation a pris la forme de formations à destination d’une vingtaine d’officiers de liaison des armées malienne, nigérienne, tchadienne, burkinabaise et mauritanienne. Pour la petite histoire, l’Union européenne a refusé de financer les 50 000 euros que coûtaient ces formations, arguant de leur objet militaire. C’est l’Allemagne et la Belgique qui l’ont pris en charge.

Toutefois, les pays du G5 n’ont pas fait mystère qu’ils attendent plus de l’Union européenne. Plus précisément, ils souhaitent que des missions EUTM et EUCAP, après le Mali et le Niger, soient également lancées dans les autres pays de la région et, surtout, que l’Union européenne leur fournisse, au-delà de la formation, les équipements nécessaires à leur armée et à leurs forces de sécurité sur le terrain. Malheureusement, une telle extension des missions PSDC n’est pas à l’ordre du jour ; quant à l’adoption de la proposition de règlement précitée permettant le financement, dans une certaine mesure, de dépenses militaires, elle est encore loin d’être acquise.

Enfin, je voudrais dire un mot de la contribution européenne à l’opération Barkhane. Je suggère que la France prenne une nouvelle initiative. On ne peut en effet se satisfaire des contradictions dans lesquelles se complaît l’Union qui fait de grandes déclarations sur les conditions de sa sécurité mais se refuse à en assumer le coût financier.

À l’instar de l’initiative du Premier ministre britannique Margaret Thatcher, qui a exigé et obtenu une diminution de la contribution de son pays au budget européen, la France devrait demander une réduction de sa propre contribution en contrepartie des dépenses qu’elle consent pour la sécurité de l’Union européenne, contournant ainsi l’obstacle qu’est la non-prise en charge des dépenses militaires dans le budget européen.

Je conçois qu’une telle proposition n’est pas simple mais elle présente l’avantage de ne pas nécessiter de révision du Traité de Lisbonne.

La présidente Danielle Auroi. Le Sahel est une région que je connais bien pour y avoir travaillé un temps avec Théodore Monod. Je voudrais donc revenir sur le rôle des Touaregs. Vous avez eu raison d’insister sur le fait que les frontières n’ont pas grand sens pour les peuples nomades, habitués à passer d’un pays à l’autre depuis la nuit des temps mais il aurait été également nécessaire de rappeler le phénomène de « clochardisation » des Touaregs à l’œuvre depuis une vingtaine d’années, lequel touche aussi les jeunes qui peuvent être séduits par les perspectives offertes par le djihadisme ou le banditisme. Par ailleurs, s’il est vrai que les pays du Sahel connaissent une explosion démographique, la désertification en cours, qui découle directement changement climatique, doit aussi être mentionnée comme future cause des migrations.

S’agissant de l’implication de l’Union européenne dans la région en général et au Mali en particulier, dont M. Yves Fromion a regretté qu’elle ne soit pas plus importante, je voudrais rappeler que, pour beaucoup d’États-membres, c’est la France que le Mali a appelée au secours. Ce pays est donc, pour ces États, un problème de la France, pas de l’Europe. C’est donc à nous de convaincre sans relâche que l’action de la France dans la région est dans l’intérêt de la sécurité de tous ; à terme, une véritable Europe de la Défense devrait, je l’espère, nous permettre d’éviter ce genre de discussion.

M. Joaquim Pueyo. Vous avez eu raison, Mme la présidente, d’insister sur le rôle des Touaregs. Nous avons rencontré à Bamako un député Touareg qui avait parfaitement conscience des difficultés que rencontrait son peuple et des conséquences de celles-ci sur le Mali. Ce peuple nomade a toujours vécu à cheval sur les frontières et ce qui, à nous Européens, apparaît comme des trafics n’est, pour eux, qu’une manière de vivre qui est la leur depuis toujours.

Il faut donc se méfier des généralités, ce qui vaut aussi pour la corruption. Certes, elle est très répandue au Mali, y compris dans l’armée, mais, heureusement, des hommes et des femmes honnêtes font de la lutte contre la corruption une priorité et je veux croire que les choses iront en s’améliorant.

M. Yves Fromion. J’approuve ce qu’a dit Joaquim Pueyo et voudrais préciser à mon tour, s’agissant des Touaregs, que la France n’a jamais réussi, à l’époque de la colonisation, à soumettre totalement et durablement ce peuple, pas plus qu’à leur faire changer de mode de vie. Ceci dit, il ne faut pas se voiler la face. La sécurisation des frontières, parce qu’elle vise à éliminer les trafics dont vivent largement les Touaregs, les privera de ressources essentielles à leur survie. La question qui se pose est : comment vont-ils vivre à l’avenir puisque rien ne pousse au Sahel et que les conditions de vie iront en se dégradant avec le changement climatique, comme la présidente l’a rappelé. De la réponse à cette question dépend aussi la stabilité du Sahel. »

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

Ø A Bruxelles (3 novembre 2016)

– Général LADRANGE, Représentant militaire adjoint de la France auprès de l’Union européenne et de l’OTAN), accompagné de M. Arnaud MIGOUX, conseiller du représentant permanent auprès du COPS, Colonel JOBIC, chef d’état-major, Colonel BAUD, chef de la section « gestion civile des crises »

– M. Nicolas SURAN, Ambassadeur de France auprès du comité politique et de sécurité de l’Union européenne

– M. Pedro SERRANO, Secrétaire général adjoint pour la PSDC et la réponse aux crises au Service européen pour l’action extérieure (SEAE)

– M. Sébastien BERGEON, conseiller politique du Représentant spécial de l’Union européenne pour le Sahel

Ø A Bamako et Koulikoro (21-24 novembre 2016)

– Mme Evelyne DECORPS, Ambassadrice de France au Mali

– Général de WOILLEMONT, Commandant de la force Barkhane

– M. Issaka SIDIBE, Président de l’Assemblée nationale

– M. Abdoulaye Idrissa MAÏGA, Ministre de la Défense et des anciens combattants

– M. Karim KEITA, Président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale

– M. Alain HOLLEVILLE, Chef de la Délégation de l’Union européenne au Mali

– Général HARVENT, Commandant de la mission EUTM Mali

– M. Albrecht CONZE, Chef de la mission EUCAP Sahel Mali

1 () « Fix the unfixable : Dealing with full-blown crisis and instability: How to bring greater stability to the Sahel ? », décembre 2015.

2 () Entretien du 16 mai 2016 publié sur le site Bruxelles2pro.

3 () Rapport d’information n° 1288 déposé au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur l’opération Serval au Mali (18 juillet 2013).

4 () Entretien au site Bruxelles2pro (20 juillet 2015).

5 () C’est ainsi que, depuis août 2015, vingt-deux officiers maliens ont suivi un stage de formation de commandants d’unité mené conjointement par EUTM et la Direction des Écoles militaires (DEM). Le programme varié comprenait principalement de la tactique, des cours d’orientation, du perfectionnement dans les domaines, du tir et de l’exercice de l’autorité.

6 () En réalité plutôt un quatuor car incluant le Canada.