N° 3381
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 décembre 2015.
PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
(Renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉ
au nom de M. François HOLLANDE,
Président de la République,
par M. Manuel VALLS,
Premier ministre,
et par Mme Christiane TAUBIRA,
garde des sceaux, ministre de la justice
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La France a été durement frappée par de lâches attentats. 130 personnes sont mortes. Des centaines sont blessées, parfois à jamais. Pour faire face au risque terroriste, le Président de la République a, sur la proposition du Premier ministre, immédiatement déclaré l’état d’urgence. Le Parlement l’a de manière quasi unanime prolongé pour trois mois.
Cette première réponse a été donnée dans le respect du cadre actuel de la Constitution du 4 octobre 1958. Celle-ci n’offre aujourd’hui que deux régimes particuliers pour le temps de crise.
D’une part, l’article 16 implique que « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels » soit « interrompu ». Le Président de la République prend alors les mesures exigées par ces circonstances afin d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission.
D’autre part, l’article 36 de la Constitution régit l’état de siège. Celui-ci est décrété en cas de péril imminent, résultant d’une guerre étrangère ou d’une insurrection à main armée. Dans ce cas, diverses compétences sont transférées de l’autorité civile à l’autorité militaire.
Aucun de ces deux régimes n’est, à l’évidence, adapté à la situation que la France affronte actuellement. Pour combattre efficacement le terrorisme, comme l’État se doit de le faire, l’ensemble des responsables politiques ont voulu que soit mis en œuvre et prorogé l’état d’urgence dans les conditions prévues par la loi du 20 novembre 2015, qui a actualisé, soixante ans après son adoption, la loi du 3 avril 1955. Toutefois, faute de fondement constitutionnel, cette actualisation est restée partielle. Un tel fondement est en effet nécessaire pour moderniser ce régime dans des conditions telles que les forces de police et de gendarmerie puissent mettre en œuvre, sous le contrôle du juge, les moyens propres à lutter contre les menaces de radicalisation violente et de terrorisme. Le nouvel article 36-1 de la Constitution relatif à l’état d’urgence, qui est l’objet du premier article du présent projet de loi constitutionnelle, fournit le cadre de ce régime juridique.
D’une part il fixe les conditions d’engagement de ce régime civil de crise. L’inscription dans la Constitution de ces conditions donne la garantie la plus haute que, sous le choc de circonstances, la loi ordinaire ne pourra pas étendre les conditions d’ouverture de l’état d’urgence. Ce régime ne peut, en effet, que rester exceptionnel. La démocratie ne combat pas ceux qui nient ses valeurs en y renonçant.
En gravant dans le marbre de la Constitution les conditions de déclenchement de l’état d’urgence, le présent projet de loi constitutionnelle ne propose pas de les élargir et reprend simplement les termes de l’article 1er de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. Son déclenchement reste le fait d’un décret en conseil des ministres « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».
D’autre part, le nouvel article 36-1 précise le double rôle du Parlement. Celui-ci est seul compétent pour proroger l’état d’urgence. En outre, il lui revient de voter la loi comprenant les outils renouvelés qui peuvent être mis en œuvre durant l’application de l’état d’urgence.
Cette constitutionnalisation de l’état d’urgence est nécessaire pour compléter les moyens d’action des forces de sécurité sous le contrôle du juge. Certes, dans le prolongement de la décision du Conseil constitutionnel n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, le Conseil d’État a jugé qu’il n’y a d’incompatibilité de principe ni entre la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 et la Constitution (CE, 21 nov. 2005, n° 287217), ni entre cette loi et les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment son article 15 (CE Ass., 24 mars 2006, n°s 286834 et 278218). Mais les mesures que cette loi, même modifiée, permet de prendre pour faire face à des circonstances exceptionnelles sont limitées par l’absence de fondement constitutionnel de l’état d’urgence. Le nouvel article 36-1 de la Constitution donne ainsi une base constitutionnelle à des mesures qui pourront, si le Parlement le décide, être introduites dans la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.
Les mesures administratives susceptibles d’accroître l’efficacité du dispositif mis en place pour faire face au péril et aux évènements ayant conduit à l’état d’urgence sont variées :
– contrôle d’identité sans nécessité de justifier de circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public comme l’exige en temps normal le Conseil constitutionnel (n° 93-323 DC du 5 août 1993) et, le cas échéant, visite des véhicules, avec ouverture des coffres ;
– retenue administrative, sans autorisation préalable, de la personne présente dans le domicile ou le lieu faisant l’objet d’une perquisition administrative ;
– saisie administrative d’objets et d’ordinateurs durant les perquisitions administratives, alors que la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 n’a prévu, outre la saisie d’armes, que l’accès aux systèmes informatiques et leur copie.
Les mesures prises sur le fondement du nouvel article 36-1 de la Constitution seront placées sous le contrôle du juge administratif sauf à relever du domaine réservé au juge judiciaire par l’article 66 de la Constitution. Ainsi, le législateur pourra prévoir des mesures restrictives de liberté (escorte jusqu’au lieu d’assignation à résidence, retenue au début de la perquisition…) ou des mesures conciliant l’article 36-1 avec la liberté d’aller et venir (assignation à résidence…). Ces mesures non privatives de liberté, qui ont pour objet de prévenir les atteintes à la sécurité et à l’ordre publics, n’ont pas à être placées sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Elles seront placées sous le plein contrôle du juge administratif.
En second lieu, l’article 36-1 organise la fin de l’état d’urgence. Il prévoit, comme le faisait l’article 3 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, que la prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être faite que par la loi qui devra en fixer la durée, de sorte que si les conditions de fond de l’état d’urgence sont toujours remplies, une nouvelle prorogation par la loi sera immédiatement possible. Il reviendra au Parlement d’en décider au cas par cas.
L’article 2 du projet de loi constitutionnelle poursuit la même finalité que l’article 1er de protéger la Nation. Il insère, à l’article 34 de la Constitution, une disposition permettant de déchoir de la nationalité française une personne qui, née française et ayant également une autre nationalité, aura été condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation.
Le 1° de l’article 25 du code civil réserve actuellement cette sanction aux personnes qui, ayant également une autre nationalité, ont obtenu la qualité de Français par acquisition. Prévoir une sanction identique à l’encontre d’un binational né Français impose de modifier la Constitution ce qui va permettre de rapprocher les règles ainsi applicables à toutes ces personnes.
En premier lieu, les lois républicaines ont constamment réservé la sanction qu’est la déchéance de nationalité au cas d’un binational devenu français. Il en d’abord été ainsi avec la loi du 7 avril 1915 puis avec la loi du 10 août 1927 ainsi qu’avec le décret-loi du 12 novembre 1938. Pour des personnes nées françaises, les lois républicaines n’ont jamais retenu la possibilité d’une déchéance de nationalité mais seulement d’une perte de nationalité alors que cette perte résulte normalement d’un acte volontaire ou d’une situation de fait et non d’une sanction. Ainsi toutes les caractéristiques dégagées par le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence sont réunies pour qu’il existe un principe fondamental reconnu par les lois de la République relatif à l’absence de possibilité de déchéance de nationalité pour une personne née française même si elle possède une autre nationalité.
En deuxième lieu, dans sa décision n° 2015-439 QPC du 23 janvier 2015, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de l’atteinte à une situation légalement acquise : « en fixant les conditions dans lesquelles l’acquisition de la nationalité peut être remise en cause, les dispositions contestées ne portent pas atteinte à une situation légalement acquise ». Ce raisonnement n’apparaît pas transposable pour la déchéance de la nationalité d’origine qui constitue une atteinte à une situation légalement acquise. La nationalité française attribuée dès la naissance confère en effet à son titulaire des droits fondamentaux dont la privation par le législateur ordinaire pourrait être regardée comme une atteinte excédant ce qu’autorise la Constitution.
Sanctionner pour certains de ses actes une personne née française en prévoyant la possibilité de la déchoir de notre nationalité impose ainsi de modifier notre Constitution. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement alors que la nationalité est, pour une personne née française, un attribut essentiel ? Mais il s’agit pour la communauté nationale de pouvoir décider de sanctionner ceux qui par leurs comportements visent à détruire le lien social. Il en va fondamentalement ainsi pour ceux qui commettent des actes de terrorisme et frappent aveuglément des victimes innocentes, en niant le respect dû à la vie humaine et les valeurs qui sont le fondement de notre Nation. Comme l’a relevé le Conseil d’État dans son avis du 11 décembre 2015, ceci « répond à un objectif légitime consistant à sanctionner les auteurs d’infractions si graves qu’ils ne méritent plus d’appartenir à la communauté nationale ».
L’élargissement des cas de déchéance de nationalité française contribuera en outre à renforcer la protection de la société française, en permettant notamment de procéder à l’éloignement durable du territoire de la République, par la voie de l’expulsion, des personnes dont le caractère dangereux est avéré par la condamnation définitive dont elles ont fait l’objet et à interdire leur retour sur le territoire.
En permettant de déchoir de leur nationalité française certaines personnes nées françaises, la nouvelle disposition constitutionnelle est sans incidence sur les dispositions du code civil actuellement applicables en matière de de déchéance de nationalité française, qui s’appliquent aux personnes ayant acquis la qualité de Français en cas de condamnation pour crime ou délit en matière de terrorisme ou d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
En revanche, seules les infractions criminelles les plus graves peuvent justifier une sanction telle que la déchéance de nationalité prononcée à l’encontre de Français de naissance. L’article 2 limite ainsi le champ d’application de cette sanction aux crimes constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Il appartiendra au législateur, comme l’indique l’insertion de la nouvelle disposition à l’article 34 de la Constitution, de préciser quelles sont les infractions qui répondent à cette qualification, étant entendu qu’il ne pourrait s’agir que de crimes en matière de terrorisme et, éventuellement, des crimes les plus graves en matière d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation.
La notion de personnes « nées françaises », pour l’application de la sanction de la déchéance de nationalité prévue par les nouvelles dispositions constitutionnelles, inclut tant les personnes auxquelles la nationalité français a été attribuée par filiation, naturelle ou adoptive, que celles qui l’ont obtenue du fait de leur naissance en France, dans les conditions prévues au chapitre II du titre Ier bis du livre Ier du code civil.
Enfin, la déchéance de la nationalité française ne sera possible qu’en cas de condamnation définitive. Elle ne pourra pas être prononcée si elle a pour résultat de rendre apatride la personne concernée.
Donner à l’État les moyens de protéger la Nation contre le terrorisme et le fanatisme, dans la fidélité aux valeurs de la République, est attendu par tous les Français. Pour cela, une modification de la Constitution est aujourd’hui nécessaire. Tous les Français doivent pouvoir se rassembler autour de cette ambition partagée.
PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
Le Président de la République,
Sur la proposition du Premier ministre,
Vu l’article 89 de la Constitution,
Décrète :
Le présent projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, délibéré en conseil des ministres après avis du Conseil d’État, sera présenté à l’Assemblée nationale par le Premier ministre, qui sera chargé d’en exposer les motifs et d’en soutenir la discussion, et en tant que de besoin, par la garde des sceaux, ministre de la justice.
Après l’article 36 de la Constitution, il est inséré un article 36-1 ainsi rédigé :
« Art. 36-1. – L’état d’urgence est déclaré en conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’évènements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.
« La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces évènements.
« La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée. »
L’article 34 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« – la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ; »
2° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« – l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ; ».
Fait à Paris, le 23 décembre 2015.
Signé : François HOLLANDE
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