N° 329
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 octobre 2012.
PROPOSITION DE LOI
visant à mieux protéger les indications géographiques
et les noms des collectivités territoriales,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Christian JACOB, Yves CENSI, Daniel FASQUELLE et Alain MARC, Damien ABAD, Yves ALBARELLO, Julien AUBERT, Olivier AUDIBERT-TROIN, Patrick BALKANY, Étienne BLANC, Marcel BONNOT, Jean-Claude BOUCHET, Valérie BOYER, Xavier BRETON, Bernard BROCHAND, Olivier CARRÉ, Gérard CHERPION, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Philippe COCHET, Jean-Michel COUVE, Marie-Christine DALLOZ, Gérald DARMANIN, Olivier DASSAULT, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Rémi DELATTE, Nicolas DHUICQ, Sophie DION, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, Marianne DUBOIS, Virginie DUBY-MULLER, Christian ESTROSI, François FILLON, Yves FOULON, Marc FRANCINA, Laurent FURST, Claude de GANAY, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Hervé GAYMARD, Annie GENEVARD, Bernard GÉRARD, Georges GINESTA, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Claude GREFF, Arlette GROSSKOST, Jean-Claude GUIBAL, Michel HERBILLON, Antoine HERTH, Patrick HETZEL, Christian KERT, Valérie LACROUTE, Thierry LAZARO, Marc LE FUR, Bruno LE MAIRE, Dominique LE MÈNER, Philippe LE RAY, Alain LEBOEUF, Geneviève LEVY, Véronique LOUWAGIE, Lionnel LUCA, Laurent MARCANGELI, Alain MARLEIX, Patrice MARTIN-LALANDE, Jean-Claude MATHIS, François de MAZIÈRES, Damien MESLOT, Philippe MEUNIER, Jean-Claude MIGNON, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Jean-Luc MOUDENC, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Jacques PÉLISSARD, Michel PIRON, Jean-Frédéric POISSON, Josette PONS, Christophe PRIOU, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Arnaud ROBINET, Sophie ROHFRITSCH, Martial SADDIER, Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Thierry SOLÈRE, Claude STURNI, Alain SUGUENOT, Lionel TARDY, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Dominique TIAN, Jean-Sébastien VIALATTE, Philippe VITEL, Michel VOISIN et Éric WOERTH,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’information des consommateurs sur les produits qu’ils achètent est essentielle. Or, trop souvent, ils sont trompés par l’utilisation d’indications géographiques fausses sur des produits qui ne sont ni fabriqués, ni originaires d’un territoire dont ils se revendiquent. De nombreux professionnels, attachés à l’authenticité et à la qualité de leurs produits, se sentent également désarmés face à ce type de concurrence. Enfin, les territoires peuvent subir une atteinte à leur image en raison de l’utilisation malveillante de leurs noms ou signes distinctifs.
Afin de préserver la notoriété des produits fabriqués sur notre territoire, produits qui sont souvent liés à un savoir-faire, une histoire, une tradition, il est essentiel que les pouvoirs publics mettent en place un système de protection simple et efficace.
Un système de protection des produits alimentaires existe au niveau national et au niveau européen.
Un dispositif national de protection des appellations d’origine est prévu par le code de la consommation. L’article L. 115-1 prévoit ainsi que « constitue une appellation d’origine la dénomination d’un pays, d’une région ou d’une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ».
Les articles L. 115-2 et suivants prévoient une procédure administrative : un décret en Conseil d’État peut délimiter l’aire géographique de production et déterminer les qualités ou caractères d’un produit portant une appellation d’origine en se fondant sur des usages locaux, loyaux et constants.
Depuis 1992, il existe également au niveau européen un système de protection des indications géographiques avec les appellations d’origine protégées (AOP) et les Indications Géographiques Protégées (IGP). Ce système de protection est actuellement régi par le règlement n° 510/2006 du Conseil du 20 mars 2006 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires.
C’est l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), établissement public, qui a la responsabilité de proposer la reconnaissance des appellations d’origine. L’attribution d’une dénomination repose non seulement sur le lien avec l’origine mais également sur des critères qualitatifs qui figurent dans un cahier des charges.
Dans les faits, les produits non alimentaires ne bénéficient pas d’une protection adaptée.
Si l’article L. 115-1 du code de la consommation n’exclut pas la reconnaissance des produits non alimentaires, ces derniers sont cependant peu nombreux à bénéficier d’une protection.
Or, les contentieux liés à la protection des noms géographiques de produits non alimentaires se développent (porcelaine de Limoges, couteaux de Laguiole notamment). En effet, l’absence de protection de ces appellations rend possible la commercialisation de produits utilisant ces noms, alors même que ces produits ne sont en rien liés avec ce territoire.
Dans une communication de 2008 intitulée « Stratégie dans le domaine des droits de propriété industrielle pour l’Europe », la Commission européenne a fait part de son intention d’étudier la faisabilité d’une protection de l’indication géographique pour les produits non agricoles. De même, un rapport de 2009 intitulé « Study on the protection of geographical indications for products other than vines, spirits, agricultural products of foodstuffs », commandé par la Commission européenne, soulignait l’intérêt d’une harmonisation communautaire compte tenu des limites actuelles des dispositifs de protection nationaux qui existent actuellement tant en Europe que dans les pays tiers (marques, réglementations nationales, accords bilatéraux ou internationaux).
En l’absence d’harmonisation communautaire, la France peut donc mettre en place, pour les produits non alimentaires, une protection nationale des noms géographiques.
Lors de la précédente législature, le projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs comprenait un article 7 dédié à la protection des indications géographiques. Ce projet de loi n’a malheureusement pas pu aller au terme de son processus législatif. Les députés du groupe UMP ont donc souhaité reprendre des dispositions dans la présente proposition de loi.
Ainsi l’article 1er vise à étendre la protection des indications géographiques aux produits non alimentaires. Il modifie le code de la consommation en introduisant notamment deux nouveaux articles, les articles L. 115-1-1 et L. 115-2-1, afin de mettre en place un dispositif national de reconnaissance et de protection qui repose sur :
– une définition de l’indication géographique protégée qui correspond au nom d’une région ou d’un lieu déterminé permettant de désigner un produit, autre qu’agricole, qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d’autres caractéristiques qui peuvent être attribuées à cette origine géographique et dont la production ou la transformation, l’élaboration ou la fabrication ont lieu dans l’aire géographique.
– une procédure de reconnaissance avec l’homologation par décret d’un cahier des charges qui délimite l’aire géographique, définit la qualité, la réputation ou les autres caractéristiques qui peuvent être attribuées à cette origine géographique et précise les modalités de production, de transformation, d’élaboration ou de fabrication qui ont lieu dans cette aire géographique ainsi que les modalités de contrôle des produits.
L’article 1er modifie également le code de la propriété intellectuelle pour tenir compte de la reconnaissance de ces nouvelles IGP.
Lors de l’examen du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs au Sénat, les sénateurs avaient adopté un amendement du Rapporteur qui précisait que les produits bénéficiant d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique protégée peuvent utiliser la dénomination de cette appellation ou indication, nonobstant l’existence du droit d’un tiers sur la marque.
Il s’agit notamment d’éviter que les situations vécues par la commune de Laguiole ne se reproduisent pas. En effet, l’existence d’une marque Laguiole fait obstacle à une appellation protégée « Laguiole ». La marque Laguiole ayant été déposée, alors même que les produits fabriqués sous cette marque n’ont aucun lien avec la commune de Laguiole, plusieurs entreprises sont aujourd’hui empêchées de mentionner le nom Laguiole sur des produits qu’elles souhaitaient commercialiser et qui sont fabriqués à Laguiole.
Par ailleurs, lors de l’examen du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, les députés avaient introduit une protection particulière pour les noms et signes distinctifs des collectivités territoriales.
En effet, les collectivités territoriales sont souvent victimes du détournement de leur nom et de leurs signes distinctifs, le droit actuel ne leur offrant pas d’armes suffisantes pour se protéger. Or, il est essentiel que le nom ou le symbole d’une ville, d’un village, d’une bourgade bénéficient d’une protection spécifique, notamment lorsqu’ils sont dotés d’une certaine notoriété ou qu’ils véhiculent une image particulière.
Le droit actuel impose l’enregistrement d’une marque auprès de l’INPI. Le dépôt de la demande ouvre une période de deux mois pendant laquelle toute personne intéressée peut formuler des observations. Dans ce même délai de deux mois, le titulaire d’une marque antérieurement enregistrée ou d’une marque non enregistrée mais notoirement connue, peut faire opposition à la demande d’enregistrement. L’INPI décide si l’opposition éventuelle est fondée et si la marque remplit les conditions pour être déposée.
L’article 2 de la présente proposition de loi entend aller plus loin et permettre aux collectivités territoriales de s’opposer à l’utilisation de leurs noms et signes distinctifs en amont, alors qu’actuellement, elles ne peuvent agir qu’en aval en contestant la validité d’une marque déposée.
Les collectivités territoriales concernées doivent être informées de l’utilisation de leur nom ou signes distinctifs, notamment à des fins commerciales, afin de pouvoir s’y opposer lorsqu’elles estiment qu’il est porté atteinte à leur nom, leur image ou leur renommée.
Ce dispositif permettra d’éviter que de nombreuses collectivités se sentent dépossédées en découvrant par hasard l’utilisation de leurs noms ou signes distinctifs.
Dans le même esprit de protection des noms des collectivités territoriales, l’article 3 propose de modifier le code général des collectivités territoriales pour consacrer la disponibilité pleine et entière des collectivités territoriales sur leur dénomination.
En effet, si la jurisprudence reconnaît qu’il est considéré de l’intérêt général de préserver leur disponibilité, les noms géographiques ne font pourtant l’objet d’aucune protection spécifique. Le régime juridique des noms des collectivités territoriales ne se construit que par référence à deux dispositifs légaux existants :
– l’indisponibilité, au regard du droit des marques, pour cause d’atteinte à l’image et à la renommée de la collectivité territoriale ;
– l’exclusivité dont elles bénéficient pour le dépôt de leur nom en « .fr » sur internet.
Pour être sûre de bénéficier d’une disponibilité pleine et entière de son nom, une commune doit déposer son nom à titre de marque. Dans le cas contraire, un particulier ayant déposé comme marque de son exploitation commerciale le nom d’une commune dispose d’un véritable monopole sur le nom de cette commune qu’il peut légitimement opposer à cette dernière et à ses administrés pour empêcher son utilisation. C’est malheureusement le cas de certaines communes dans notre pays.
Les collectivités territoriales, personnes morales de droit public, ont besoin d’identifier leurs institutions et les services qu’elles offrent à leurs administrés. Leur dénomination est le moyen principal d’y parvenir et constitue en cela un signe distinctif essentiel pour la commune. Au regard des missions de service public qui lui sont confiées, une collectivité territoriale doit pouvoir jouir, sinon d’une exclusivité, du moins d’une totale disponibilité de son nom, en étant protégée contre les actes parasitaires ou à visée exclusivement commerciale.
Les éléments constitutifs du statut des collectivités territoriales, qu’il s’agisse de leur nom comme des autres éléments relatifs à leur organisation et à leurs attributions, font l’objet, dans le code général des collectivités territoriales, de dispositions expresses de caractère purement administratif.
PROPOSITION DE LOI
I. – La section 1 du chapitre V du titre Ier du livre Ier du code de la consommation est ainsi modifiée :
1° La sous-section 1 est complétée par un article L. 115-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 115-1-1. – Constitue une indication géographique la dénomination d’une région ou d’un lieu déterminé servant à désigner un produit autre qu’agricole, forestier, alimentaire ou de la mer, qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d’autres caractéristiques qui peuvent être attribuées à cette origine géographique et dont la production ou la transformation, l’élaboration ou la fabrication ont lieu dans l’aire géographique délimitée par le cahier des charges mentionné à l’article L. 115-2-1. » ;
2° Après l’article L. 115-2, il est inséré un article L. 115-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 115-2-1. – Un décret, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, peut homologuer un cahier des charges dont le respect ouvre l’usage d’une indication géographique au bénéfice d’un produit autre qu’agricole, forestier, alimentaire ou de la mer. Le cahier des charges indique le nom du produit, délimite l’aire géographique, définit la qualité, la réputation ou les autres caractéristiques qui peuvent être attribuées à cette origine géographique et précise les modalités de production, de transformation, d’élaboration ou de fabrication qui ont lieu dans cette aire géographique ainsi que les modalités de contrôle des produits. » ;
3° À l’article L. 115-3, les mots : « Le décret prévu à l’article L. 115-2 peut » sont remplacés par les mots : « Les décrets prévus aux articles L. 115-2 et L. 115-2-1 peuvent » et, après le mot : « origine », sont insérés les mots : « ou de l’indication géographique » ;
4° L’article L. 115-4 est ainsi rédigé :
« Art. L. 115-4. – Les décrets prévus aux articles L. 115-2 et L. 115-2-1 sont pris après une enquête publique et consultation des organisations ou groupements professionnels directement intéressés, dans des conditions et selon des modalités précisées par voie réglementaire. » ;
5° Aux 3° et 4° de l’article L. 115-16, après le mot : « origine », sont insérés les mots : « ou une indication géographique » ;
6° Aux 5° et 6° du même article L. 115-16, après le mot : « origine », sont insérés les mots : « ou d’une indication géographique » ;
7° Au 7° dudit article L. 115-16, après le mot : « origine », sont insérés les mots : « ou d’une indication géographique » et, après les mots : « l’appellation », sont insérés les mots : « ou de l’indication ».
II. – Le code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
1° Le d) de l’article L. 711-4 est complété par les mots : « ou une indication géographique protégée » ;
2° Le dernier alinéa de l’article L. 713-6 est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation d’un signe similaire comme appellation d’origine ou indication géographique définies aux articles L. 115-1 et L. 115-1-1 du code de la consommation.
« Toutefois, si ces utilisations portent atteinte à ses droits, le titulaire de l’enregistrement peut demander qu’elles soient limitées ou interdites. » ;
3° L’article L. 721-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 721-1. – Les règles relatives à la détermination des appellations d’origine et des indications géographiques sont fixées par les articles L. 115-1 et L. 115-1-1 du code de la consommation. » ;
4° Le a) de l’article L. 722-1 est ainsi rédigé :
« a) Les appellations d’origine et les indications géographiques définies aux articles L. 115-1 et L. 115-1-1 du code de la consommation ; ».
Les quatre premiers alinéas de l’article L. 712-4 du code de la propriété intellectuelle sont remplacés par six alinéas ainsi rédigés :
« Toute collectivité territoriale doit être informée de l’utilisation de son nom ou de ses signes distinctifs, notamment à des fins commerciales, dans des conditions fixées par décret.
« Pendant le délai mentionné à l’article L. 712-3, opposition à la demande d’enregistrement peut être faite auprès du directeur de l’Institut national de la propriété industrielle par :
« 1° Une collectivité territoriale agissant au bénéfice du h) de l’article L. 711-4 ;
« 2° Le propriétaire d’une marque enregistrée ou déposée antérieurement ou bénéficiant d’une date de priorité antérieure ou par le propriétaire d’une marque antérieure notoirement connue.
« Le bénéficiaire d’un droit exclusif d’exploitation dispose également du même droit, sauf stipulation contraire du contrat.
« L’opposition est réputée rejetée s’il n’est pas statué dans un délai de six mois suivant l’expiration du délai prévu à l’article L. 712-3. Toutefois, ce délai peut être suspendu : »
L’article L. 1111-2 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les collectivités territoriales bénéficient d’une disponibilité pleine et entière de leur dénomination et peuvent en faire librement usage dans le cadre de l’exercice des missions de service public qu’elles assurent. »
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