N° 385
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 novembre 2012.
PROPOSITION DE LOI
tendant à répondre à l’urgence sociale en matière énergétique,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
André CHASSAIGNE, Alain BOCQUET, François ASENSI, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE et Nicolas SANSU,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La politique sociale et économique conduite par la droite ces dernières années a engendré une paupérisation accrue de la population en France. L’INSEE, par une étude accablante, a estimé à 8,2 millions les personnes vivant en 2009 au-dessous du seuil de pauvreté, situé à 60 % du revenu médian, pour une personne seule, soit 954 euros mensuels.
La pauvreté touche un nombre croissant de personnes alors même que le pays s’enrichit. Les écarts entre les plus pauvres et les plus riches ne cessent d’augmenter en raison des politiques menées en faveur de ces derniers par le gouvernement précédent, politiques qui renforcent les inégalités sociales et territoriales, notamment en termes d’accès aux services publics.
Le secteur énergétique est particulièrement révélateur du désengagement de l’État dans la conduite de politiques publiques au service de l’intérêt général. Les investissements publics d’hier sont bradés pour permettre l’enrichissement des actionnaires des grands groupes du secteur qu’ils soient privés ou publics. Dans la période récente, la privatisation de Gaz de France, l’obligation faite à EDF de vendre une partie de sa production d’électricité d’origine nucléaire aux opérateurs privés, la spéculation sur l’effacement à travers le marché de capacité acté dans la NOME, le dessaisissement des prérogatives du ministre de l’énergie et donc de l’État en matière de fixation des tarifs de gaz et d’électricité au profit de la Commission de régulation de l’énergie, toutes ces mesures commandées par le marché et l’objectif de rémunération du capital, ont affaibli considérablement le service public énergétique exposant la population à la précarité énergétique.
Les lois du marché, la concurrence libre et non faussée ont conduit à un alourdissement très net de la facture énergétique des ménages fragilisant ainsi les plus modestes. Depuis juillet 2005, les tarifs du gaz naturel ont augmenté de 61 %. Sur la seule année 2010, la hausse des prix s’élevait à 21 %. GDF Suez a encore demandé des augmentations de tarifs, plus de 7 % en septembre, exposant l’État à un lourd contentieux en cas de refus et montrant l’urgence de revoir la formule tarifaire du gaz en associant l’ensemble des partenaires, syndicats, et usagers compris.
En ce qui concerne l’électricité, la facture est également à la hausse. Les tarifs de l’électricité ont augmenté de 6 % en 2010, mais ils devraient encore se renchérir au cours des prochaines années. L’impact de la loi de nouvelle organisation du marché de l’électricité sur les tarifs a été évalué et entrainerait une hausse de 5 % chaque année jusqu’en 2015, soit une progression de 30 % des prix de l’électricité.
En 2007, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) produisait un document visant à lutter contre la précarité énergétique. L’agence notait en effet que trois millions de personnes occupaient à cette date des logements insalubres. Dans sa lettre Stratégie et Études, elle abordait la question de la précarité énergétique des ménages, au travers notamment de l’analyse des résultats de l’enquête 2006 INSEE « budget des ménages », et notait ainsi qu’en 2006, la part des dépenses énergétiques des 20 % de ménages les plus pauvres était 2,5 fois plus élevée que celle des 20 % de ménages les plus riches et que la facture énergétique représentait pour les premiers 15 % de leur budget familial.
Le rapport sur la précarité énergétique réalisé dans le cadre du Plan bâtiment Grenelle, et remis en janvier 2010 à Valérie Létard, secrétaire d’État à l’écologie, confirmait cette tendance lourde et relevait que pour 2009, près de 3 400 000 ménages, soit 13 % des foyers, consacraient plus de 10 % de leurs ressources au paiement de leurs factures d’énergie. Un seuil qui est considéré dans certains pays comme le signe d’une précarité énergétique avérée. En mars 2011, la ministre de l’écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, à l’occasion de l’installation de l’observatoire sur la précarité énergétique faisait remarquer qu’un Français sur dix, soit 6,5 millions d’individus, « a souffert du froid en janvier car mal chauffé ».
Face à cette situation humainement inacceptable, l’ancien gouvernement n’a pas proposé de solution efficace pour lutter contre la précarité énergétique. Les dispositifs sociaux que l’ancien ministre de l’énergie Éric Besson jugeait suffisants sont sous-utilisés. L’ADEME notait que 500 000 personnes bénéficiaient du tarif de première nécessité pour 2007, mais que beaucoup de personnes, faute d’information et de moyen, ne le demandaient pas. Ces difficultés ne sont toujours pas réglées. Ainsi, sur les deux millions de foyers français qui pourraient bénéficier du tarif de première nécessité, seuls 625 000 en profitaient fin juin 2010. Comme le note très justement François Brottes, dans son rapport sur la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre, dans le droit actuel, seuls les consommateurs qui ont souscrit un contrat de fourniture d’électricité avec le fournisseur historique – EDF ou, pour 5 % des clients, une entreprise locale de distribution (ELD) – ont droit au Tarif de Première Nécessité (TPN). Il est donc nécessaire d’élargir le TPN, comme cela se passe pour le gaz avec le Tarif spécial de solidarité (TSS) aux opérateurs alternatifs.
Les auteurs de la proposition de loi se réjouissent que le gouvernement se soit engagé, par voie réglementaire, à élargir le nombre des bénéficiaires des tarifs sociaux. Ils soutiennent l’engagement du gouvernement de porter le seuil d’éligibilité au seuil de pauvreté, soit un revenu fiscal de référence, par unité de consommation, inférieur à 516 euros par mois.
Cependant, ces dispositifs même élargis ne garantissent la continuité de la fourniture d’énergie que dans certains cas. C’est pourquoi, comme le préconisait François Brottes, il est essentiel d’étendre, parallèlement, la trêve hivernale en matière de coupure de gaz, d’électricité et de chaleur à l’ensemble des consommateurs et non plus aux seuls ménages bénéficiant ou ayant bénéficié dans les douze derniers mois d’une aide du fonds de solidarité pour le logement. En ce qui concerne les ménages ne bénéficiant pas des tarifs sociaux il est important comme le propose M. Brottes, et c’est un minimum, que les fournisseurs puissent réduire la puissance à l’énergie nécessaire pour couvrir les besoins essentiels.
Enfin, en raison de la précarité de la mauvaise isolation des habitations qui constituent la cause principale de la consommation contrainte des ménages, les auteurs de la proposition de loi souscrivent entièrement à la création d’un service public de la performance énergétique de l’habitat.
Les politiques libérales menées par la droite ont entrainé pour tous les consommateurs un renchérissement de leur facture énergétique sans que cela ne profite aux investissements nécessaires en termes de recherche, d’entretien des infrastructures énergétiques et de rénovation des bâtiments à usage d’habitation. Les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche ont dénoncé à maintes reprises les grandes difficultés des personnes touchées par la précarité énergétique. Il est inacceptable qu’un ménage soit conduit à choisir entre se chauffer au risque d’impayés ou ne plus se chauffer et subir les conséquences du froid sur sa santé, son logement. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de mettre fin à de telles situations et de garantir les conditions d’une vie décente à l’ensemble des individus.
Pour toutes ces raisons, il est nécessaire de rompre définitivement avec le modèle économique libéral, et il est urgent de répondre dès à présent aux difficultés réelles de la population.
C’est pourquoi, dans l’attente d’une loi dans le domaine énergétique qui garantisse à tous l’accès à l’énergie, qui crée un véritable service public de la transition énergétique englobant l’effacement comme la production d’énergie, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de gauche vous proposent d’adopter la présente proposition de loi qui reprend les mesures d’accompagnement social dans la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre (n° 19, 2012-2013).
Ils vous proposent, article 1er, de modifier l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles afin d’étendre la trêve hivernale en matière de coupure à l’ensemble des consommateurs, de permettre, article 2, aux opérateurs alternatifs de proposer le Tarif de Première Nécessité (TPN) et de procéder aux modifications législatives nécessaires à l’extension du nombre de bénéficiaires des tarifs sociaux, et enfin, article 3, de poser les bases d’un service public de la performance en introduisant au livre II du titre III du code de l’énergie un chapitre nouveau qui lui est consacré.
PROPOSITION DE LOI
L’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Le troisième alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « familles », la fin de la première phrase est supprimée ;
b) Après la première phrase, il est inséré une phrase ainsi rédigée :
« Les fournisseurs d’électricité peuvent néanmoins procéder à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs mentionnés à l’article L. 337-3 du code de l’énergie. » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les fournisseurs d’électricité, de gaz naturel ou de chaleur transmettent à la Commission de régulation de l’énergie, selon des modalités définies par voie réglementaire, des informations sur les interruptions de fourniture ou les réductions de puissance auxquelles ils procèdent. »
I. – L’article L. 121-5 du code de l’énergie est ainsi modifié :
1° Après le mot : « nationale », la fin du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « des tarifs. » ;
2° À la fin de l’avant-dernier alinéa, les mots : « ou de la tarification spéciale dite “produit de première nécessité” » sont supprimés ;
3° Après l’avant-dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La mission de fourniture d’électricité concourt également à la cohésion sociale par la mise en œuvre de la tarification spéciale dite “produit de première nécessité” mentionnée à l’article L. 337-3. Cette mission est assignée aux fournisseurs mentionnés au chapitre III du titre III du livre III. L’autorité administrative peut prononcer, dans les conditions définies au paragraphe 2 de la sous-section 3 de la section 2 du chapitre II du titre IV du présent livre, une des sanctions prévues aux 1° et 2° de l’article L. 142-31 à l’encontre des auteurs des manquements à l’obligation d’assurer cette mission. »
II. – L’article L. 337-3 du même code est ainsi modifié :
1° À la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « chaque organisme d’assurance maladie constitue » sont remplacés par les mots : « l’administration fiscale et les organismes de sécurité sociale constituent » ;
2° À la deuxième phrase du même alinéa, les mots : « mentionnés à l’article L. 121-5 » sont supprimés ;
3° Après le même alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La tarification spéciale “produit de première nécessité” peut bénéficier aux consommateurs gestionnaires de logements-foyers tels que définis à l’article L. 633-1 du code de la construction et de l’habitation, en raison du caractère social de ces établissements. »
III. – Le I de l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les autorités organisatrices contrôlent la mise en œuvre de la tarification dite “produit de première nécessité” mentionnée à l’article L. 337-3 du code de l’énergie et du tarif spécial de solidarité mentionné à l’article L. 445-5 du même code sur le territoire de leur compétence. » ;
2° Au dernier alinéa, les mots : « septième et huitième » sont remplacés par les mots : « huitième et neuvième ».
IV. – Au premier alinéa de l’article L. 3232-2 du même code, le mot : « septième » est remplacé par le mot : « huitième ».
V. – Au 1° de l’article L. 111-61, au premier alinéa de l’article L. 322-8, à la première phrase de l’article L. 322-10, au premier alinéa de l’article L. 322-12, à l’article L. 432-4 et au premier alinéa des articles L. 432-8 et L. 432-9 du même code, le mot : « sixième » est remplacé par le mot : « septième ».
VI. – Au a du 2° du I de l’article 7 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, les mots : « septième et huitième » sont remplacés par les mots : « huitième et neuvième ».
I. – Le titre III du livre II du code de l’énergie est ainsi modifié :
1° Le chapitre unique devient le chapitre Ier ;
2° Il est ajouté un chapitre II ainsi rédigé :
« CHAPITRE II
« Service public de la performance énergétique de l’habitat
« Art. L. 232-1. – Le service public de la performance énergétique de l’habitat assure l’accompagnement des consommateurs souhaitant diminuer leur consommation énergétique. Il les assiste dans la réalisation des travaux d’isolation de leur logement et leur fournit des informations et des conseils personnalisés.
II. – Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur la création d’un service public d’aide à la réalisation de travaux d’efficacité énergétique des logements résidentiels.
Les conséquences financières qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour l’État sont compensées à due concurrence par le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés.
© Assemblée nationale