N° 1065
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 mai 2013.
PROPOSITION DE LOI
portant actualisation de certaines dispositions de la loi
n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français,
(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Jean-Jacques CANDELIER, François ASENSI, Alain BOCQUET, Marie-George BUFFET, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE et Nicolas SANSU,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français a été promulguée le 6 janvier 2010 au Journal officiel de la République française.
Ainsi qu’il avait été anticipé conjointement par les associations de vétérans des essais nucléaires en Polynésie française et dans l’Hexagone, et ainsi que les députés communistes l’avaient discerné en y exprimant leurs vives réserves, le système d’indemnisation organisé par le comité d’indemnisation mis en place par la loi précitée a conduit à des résultats décevants.
Il ressort de la réunion de la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires qui s’est tenue le 11 décembre 2012 à Paris que sur un total de 786 dossiers d’indemnisation déposés, seuls 400 ont été examinés par le comité d’indemnisation, qui en a rejeté 391 et a recommandé seulement 9 indemnisations. Ces chiffres évoluent bien entendu de jour en jour, mais le résultat n’est manifestement pas à la hauteur des ambitions du Parlement.
Ce résultat excessivement faible est la conséquence de restrictions du dispositif.
Tout d’abord, ce dysfonctionnement trouve sa source dans les dispositions in fine de l’article 4 paragraphe II de la loi précitée (« à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable ») qui est de nature à permettre le rejet des dossiers de demandes d’indemnisation, par dérogation au principe de présomption de causalité contenu dans l’article 1er.
Cette disposition in fine a ouvert la porte à une interprétation restrictive et arbitraire des conditions de recevabilité et de fond de chaque dossier de demande d’indemnisation, ainsi qu’il fallait s’y attendre.
La présente proposition de loi tend à revenir au strict principe de présomption, c’est-à-dire celui en vertu duquel toute personne atteinte d’une des maladies radio-induites inscrites dans la liste établie par décret en Conseil d’État et qui se trouvait sur une zone géographique et à une période telles qu’indiquées à l’article 2 de la loi, bénéficie de la présomption sans qu’il soit nécessaire d’un examen au cas par cas de son exposition aux radiations.
C’est l’objet de l’article 1er de la présente proposition de loi.
Ensuite, la loi a introduit la notion de zones géographiques et de périodes à l’intérieur exclusif desquelles sont éligibles les demandeurs à une indemnisation.
L’article 2 de la loi a distingué selon que les victimes souffrant d’une pathologie radio-induite aient résidé ou séjourné sur les sites d’expérimentations nucléaires du Sahara algérien (à des périodes différentes suivant les essais), ou qu’elles aient résidé ou séjourné dans les atolls polynésiens de Moruroa, Fangataufa ou Hao à des périodes différentes également.
L’analyse approfondie du rapport officiel du ministère de la défense, intitulé « La dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie », permet de constater qu’entre 1966 et la fin des essais en 1996, ce sont sur les atolls de Moruroa, de Fangataufa et de Hao que les travailleurs civils et militaires, voire les populations locales pour celui de Hao, ont été exposés à des rayonnements, et que c’est l’ensemble des cinq archipels polynésiens qui a été contaminé – en fonction des tirs aériens – par les retombées des essais nucléaires atmosphériques entre 1966 et 1974.
Dès lors, et sans craindre une contradiction manifeste avec les éléments techniques et scientifiques officiels décrits ci-dessus, l’article 2 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français avait pour vocation inavouée de noyauter le périmètre éligible du droit à indemnisation en ce qui concerne la Polynésie française.
Il est bien évident que cette disposition a un impact direct sur le nombre total de dossiers de demande d’indemnisation déposés en vertu de la loi. Force est d’imaginer qu’un tel montant ne serait pas le même si le périmètre géographique d’éligibilité à une indemnisation avait été élargi équitablement à celui qui ressort des éléments en possession même du ministère de la défense.
Afin de se conformer à l’esprit du législateur, il est donc équitable mais également cohérent d’étendre la zone géographique d’indemnisation à l’ensemble du territoire de la Polynésie française, sans préjudice des critères complémentaires qui s’y attachent.
C’est l’objet de l’article 2 de la présente proposition de loi.
De plus, les dispositions de l’article 7 de la loi du 5 janvier 2010 précitée prévoient que la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires est présidée par le ministre de la défense, c’est-à-dire l’autorité même qui assure le règlement financier final de chaque dossier d’indemnisation.
Un tel conflit d’intérêts patent entre ces deux fonctions au sein d’un régime indemnitaire spécifique, compte tenu des enjeux politiques extrêmement sensibles que recouvre la question des essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien et en Polynésie française, avait été soulevé lors des débats parlementaires.
Compte tenu de la nature interministérielle que revêt le traitement des conséquences sanitaires des essais nucléaires, faisant appel non seulement aux attributions du ministère de la défense mais également à ceux du budget, de la santé, des affaires étrangères (Sahara algérien) et des outre-mer (Polynésie française), il est proposé présentement de confier la présidence de la commission consultative de suivi des essais nucléaires au Premier ministre.
C’est l’objet de l’article 3 de la présente proposition de loi.
Le vote de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives a définitivement clos l’accès aux archives nucléaires françaises, en ajoutant un article L. 213-2 au code du patrimoine. Cette prohibition de principe est perpétuelle et se justifiait par le fait que personne ne devait avoir accès ni être en état de diffuser des informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, biologiques, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue.
En tout ou en partie, ces archives contiennent des données nominatives, professionnelles et médicales afférentes à d’anciens travailleurs des sites d’expérimentations nucléaires françaises qui ont pu contracter des maladies radio-induites, données ou informations qui n’ont absolument rien à voir avec les procédés de conception, de fabrication, d’utilisation ou de localisation d’armes nucléaires.
D’autant que la totalité des essais nucléaires français, leur intensité, leurs emplacements géographiques et leurs retombées atmosphériques ou souterraines ont été largement documentés dans des ouvrages d’accès disponible aux pouvoirs publics.
La loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français a institué un régime d’indemnisation qui impose de jure à toute victime de maladies radio-induites de justifier et produire un certain nombre de pièces et documents de nature à satisfaire aux critères légaux. Cela étant, ces pièces et documents ne sont plus en possession desdites victimes depuis longtemps ou ne l’ont jamais été pour la plupart, alors qu’elles sont conservées dans les archives nucléaires françaises qui tombent sous le coup du code du patrimoine ainsi modifié par la loi du 15 juillet 2008.
De jure, toutes les victimes des essais nucléaires français se trouvent dans une rupture d’égalité évidente puisqu’elles se heurtent à cette carence discriminatoire, résultant de la loi, dans la production des pièces déterminantes et substantielles dans le succès de leurs dossiers d’indemnisation.
Après plusieurs années d’application de la loi du 5 janvier 2010, il est apparu que cette carence entraine une inefficacité inacceptable du processus d’indemnisation.
Il est donc plus qu’indispensable de faciliter le processus d’indemnisation dans des conditions qui soient les mêmes pour tous, notamment par l’ouverture d’un droit strictement individuel de consultation et de communication de copie de documents en provenance des archives nucléaires françaises avec pour conditions strictes : l’usage strictement à des fins personnelles et nominatives en vue d’une indemnisation encadrée par la loi du 5 janvier 2010, et le respect, par l’autorité délivrante, des dispositions de l’alinéa premier actuel du II de l’article L. 213-2 du code du patrimoine (c’est-à-dire de veiller à ce que les données consultables ou communiquées ne soient pas susceptibles de permettre de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, etc.), pour les besoins de sa défense, conformément au droit à un procès équitable prévu à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La présente proposition de loi tend donc à compléter le paragraphe II de l’article L. 213-2 du code du patrimoine par un alinéa qui répond à cette difficulté et encadre strictement ce droit de consultation et de délivrance de copie.
C’est l’objet de l’article 4 de la présente proposition de loi.
L’article 5 de la présente proposition de loi institue un gage destiné à assurer la recevabilité des dispositions ci-après au regard de l’article 40 de la Constitution.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous demandons d’adopter celle-ci.
PROPOSITION DE LOI
À la seconde phrase du premier alinéa du II de l’article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots : « à moins qu’au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable » sont supprimés.
L’article 2 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 précitée est ainsi modifié :
1° Le 2° est ainsi modifié :
a) Les mots : « et Fangataufa » sont remplacés par les mots : « , Fangataufa et Hao » ;
b) À la fin, les mots : « dans des zones exposées de Polynésie française inscrites dans un secteur angulaire » sont remplacés par les mots : « sur l’ensemble du territoire de la Polynésie française » ;
2° Les 3° et 4° sont supprimés.
À la première phrase du premier alinéa et à la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 7 de la même loi, les mots : « ministre de la défense » sont remplacés par les mots : « Premier ministre ».
Le II de l’article L. 213-2 du code du patrimoine est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre de la constitution ou de l’instruction des dossiers d’indemnisation prévus par la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, tout demandeur ou ses ayants droit peut consulter ou obtenir de l’administration copie conforme de documents, étrangers à la conception, la fabrication, l’utilisation et la localisation d’armes nucléaires, provenant des archives afférentes aux essais nucléaires français réalisés dans le Sahara algérien de 1960 à 1966 puis en Polynésie française de 1966 à 1998. Ces documents sont communicables à l’administration ou aux juridictions compétentes à l’appui de la demande d’indemnisation ou du recours juridictionnel contre la décision de rejet. »
Les charges pour l’État sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
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