N° 1317
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juillet 2013.
PROPOSITION DE LOI
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
Eva SAS, François de RUGY, Barbara POMPILI, Denis BAUPIN, Danielle AUROI, Éric ALAUZET et les membres du groupe écologiste (1),
député-e-s.
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(1) Laurence Abeille, Éric Alauzet, Brigitte Allain, Isabelle Attard, Danièle Auroi, Denis Baupin, Michèle Bonneton, Christophe Cavard, Sergio Coronado, François-Michel Lambert, Noël Mamère, Véronique Massonneau, Paul Molac, Barbara Pompili, Jean-Louis Roumegas, François de Rugy, Eva Sas.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Sans revenir sur les différentes causes et les différents aspects de la crise qui s’est propagée à la planète entière à l’automne 2008, on peut affirmer aujourd’hui qu’il y a un certain consensus des économistes pour constater qu’il ne s’agit pas d’une simple crise financière ni même d’une crise économique de plus comme les pays industrialisés en ont déjà connues depuis deux siècles.
La crise particulièrement brutale et profonde que nous vivons est la crise d’un mode de production et de consommation productiviste fondé sur un gaspillage effréné des ressources naturelles. Ce système a non seulement perturbé, durablement dégradé voire détruit une grande partie des écosystèmes, faisant peser de réelles menaces sur la survie des êtres humains sur notre planète, mais il a aussi aggravé les inégalités dans la répartition des richesses et des revenus que ce soit à l’échelle mondiale ou à l’intérieur de chaque pays.
Depuis plusieurs décennies, les écologistes, qu’ils soient scientifiques, responsables associatifs ou politiques, ont alerté sur l’impossibilité de faire durer ce « mode de développement ». Il faut inventer un nouveau monde où la sobriété énergétique sera la norme. Nul ne peut prétendre qu’il y aura une énergie de substitution au pétrole, au gaz et au charbon, qui puisse être une énergie abondante, bon marché et sans impact sur l’environnement. Le nucléaire présente ainsi le double inconvénient de puiser dans une ressource – l’uranium – qui est loin d’être inépuisable et d’entraîner la production de déchets éternellement radioactifs. Le risque que font courir aux populations riveraines les installations nucléaires civiles et militaires est sans commune mesure avec les autres risques industriels dans la mesure où les effets d’un accident sont irréversibles sur l’être humain et son environnement.
Parmi les grands déséquilibres planétaires, il y a bien sûr la double crise climatique et énergétique. Les causes de la crise climatique sont elles aussi aujourd’hui bien connues et identifiées : la hausse continue des émissions de gaz à effet de serre provoque un réchauffement climatique aux conséquences dramatiques, rendant la vie impossible sur de nombreuses parties du globe du fait de la montée des eaux ou de la désertification par exemple.
Les crises écologiques, sociales, économiques et financières sont étroitement liées. Nous devons sortir de ce système et inventer un monde nouveau. Pour cela, nous devons aller vers un système plus économe et plus sobre en énergies non renouvelables. Notre conviction est que la contribution climat-énergie est un outil puissant et pédagogique pour aller dans ce sens. Les participants au Grenelle de l’environnement avaient envisagé cet outil dans les conclusions de leurs travaux.
Les articles de la présente proposition de loi visent à créer un cadre fiscal favorable à une réorientation profonde de nos modes de consommation et de production. Ils constituent un levier pour faire émerger un nouveau système de production et de consommation beaucoup plus sobre du point de vue de la consommation de matières premières et d’énergie. Il s’agit de réduire certaines consommations et les factures qui en découlent tout en augmentant le confort et la qualité de vie.
Connaissant l’importance du levier fiscal comme levier d’orientation des comportements des consommateurs comme des entreprises, la présente proposition de loi vise à créer une contribution climat-énergie. Cet outil fiscal est d’un genre totalement nouveau. Il s’agit d’englober toutes les consommations d’énergie – et pas simplement les carburants comme le fait la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques). Cela vise à une plus grande sobriété dans la consommation de tout produit énergétique non renouvelable. Il s’agit par ailleurs d’enclencher un cercle vertueux de réductions durables et progressives des consommations d’énergie afin de lutter contre toutes les formes de gaspillage, d’augmenter la performance énergétique de tout bâtiment, véhicule ou produit et de réduire les factures en conséquence. Afin de maximiser cet effet pédagogique, l’intégralité du produit de la taxe est redistribuée. Ainsi plus une personne ou une entreprise fera des efforts, moins elle paiera de contribution climat-énergie. Elle recevra en revanche une part de la recette de façon égalitaire. Le différentiel jouera comme levier de changement. Elle incitera les particuliers et les entreprises à se tourner vers les énergies propres et renouvelables. Elle fera prendre conscience à la population le véritable coût de l’énergie. Elle incitera enfin tout producteur à proposer aux consommateurs des nouveaux produits, de moins en moins gourmands en énergie. La recette perçue annuellement par le consommateur l’aidera à adopter de nouveaux comportements et de nouveaux produits qui lui permettront de réduire sa consommation, donc le montant de sa contribution climat-énergie. Le même raisonnement s’applique aux entreprises.
L’article 1 précise l’ensemble des consommations énergétiques, y compris l’électricité d’origine nucléaire, qui sont soumises à la contribution : toutes les consommations énergétiques sont touchées à l’exception des énergies renouvelables, afin là aussi, de s’en servir comme d’un puissant levier pour développer la production d’énergie renouvelable. Le mode de perception est calqué sur celui de la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), qui a fait ses preuves en termes d’efficacité et de faible coût de recouvrement.
L’article 2 stipule que ce sont les distributeurs de produits énergétiques qui payent à l’État la contribution climat-énergie. Cela facilite le recouvrement du fait du petit nombre d’entreprises distribuant en France des produits énergétiques. Cela reste néanmoins une contribution directement liée à la consommation puisque tout produit énergétique mis à la consommation est rapidement consommé. Comme pour la TICPE, son prix intègre toutes les contributions directes.
L’article 3 précise que le montant de la contribution climat-énergie sera fixé chaque année par le Parlement en loi de finances. Il sera exprimé en euros par tonne afin d’être aussi lisible, transparent et donc pédagogique que possible. Il est rappelé qu’il est fixé en fonction d’un certain nombre de critères qui sont principalement la lutte contre l’effet de serre, la réduction de la dépendance au nucléaire et le développement des énergies renouvelables.
L’article 4 dispose que l’intégralité des montants perçus au titre de la contribution climat-énergie prélevés sur les ménages sont reversés aux ménages. Plutôt que de créer une nouvelle taxe venant abonder le budget général de l’État, les auteurs de la présente proposition de loi font le choix d’une redistribution intégrale. Cela présente l’avantage pédagogique de montrer à chacun que plus il fera d’efforts plus il sera de fait récompensé. Il y a évidemment l’effet de responsabilisation de la taxe. La taxe doit jouer son rôle de levier de changement. À court terme, la redistribution de la taxe permet d’être une mesure de pouvoir d’achat pour tous ceux et toutes celles qui font des efforts de réduction de leurs consommations d’énergie ou qui ont tout simplement au départ une consommation faible – ce qui est le cas des bas revenus. Il s’agit donc d’une mesure de justice sociale. De plus, 50 % des recettes de cette taxe seront redistribuées aux personnes physiques sous forme de « chèques transition énergétique » décrits par l’article 5. Pour les entreprises, le mécanisme agit dans le même sens à ceci près que la compensation sous forme de Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi a d’ores et déjà été distribuée. Comme cela était prévu, la contribution climat-énergie, partie intégrante de la fiscalité écologique, pourra participer à son financement, sur la part prélevée sur les entreprises.
L’article 5 crée les « chèques transition énergétique » utilisables pour achats et paiements de services accompagnant la transition énergétique.
L’article 6 vise à permettre l’information du consommateur sur sa contribution lorsqu’il consomme une énergie de façon à ce qu’il puisse comparer avec ce qu’il recevra lors de la redistribution de la taxe et agir concrètement pour réduire en conséquence ses consommations. S’il adopte un fournisseur qui intègre les énergies renouvelables dans tout ou partie de sa production, il pourra aussi voir l’économie qu’il fait en conséquence.
Les auteurs de la présente proposition de loi ne méconnaissent pas les éventuels effets pervers d’une telle contribution pour les entreprises en concurrence avec d’autres entreprises produisant dans des pays où une telle taxe n’existerait pas. Si la redistribution intégrale du produit de la contribution climat-énergie peut atténuer la distorsion de concurrence ou même avoir un effet favorable en cas de faible consommation d’énergie dans le processus de production, il est évidemment souhaitable qu’un tel dispositif soit généralisé à l’échelle de l’Union européenne et que soit par ailleurs prévu un mécanisme analogue de taxation des produits importés de pays n’appliquant pas de mécanisme comparable. Cela n’est évidemment pas dans les pouvoirs du Parlement français. Comme il n’est pas non plus possible de soumettre le Gouvernement français à une injonction de négocier dans ce sens au niveau international, l’article 7 demande simplement au Gouvernement d’informer le Parlement sur son action concernant notamment la mise en place d’une taxe Carbone aux frontières de l’Europe. La question de la concurrence internationale est centrale. Il n’est évidemment pas question que le mécanisme de contribution climat-énergie entraîne des délocalisations. Il doit au contraire être un instrument de lutte contre les délocalisations en intégrant l’impact énergétique et environnemental des produits importés du fait de leurs conditions de productions et de l’impact de leur transport sur de longues distances. Mais cela ne relève pas d’une proposition de loi française. Celle-ci a pour but de poser la première pierre d’un nouvel édifice fiscal au niveau européen.
La création d’une contribution climat-énergie, comme mesure fiscale radicalement nouvelle tant par son objet que par son caractère redistributif, tel est l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d’adopter.
PROPOSITION DE LOI
Est soumise à la contribution climat-énergie la mise à la consommation des produits énergétiques utilisés comme carburant ou combustible énumérés aux tableaux B et C de l’article 265 du code des douanes.
Est également soumise à la contribution climat-énergie la mise à la consommation des houilles, lignites et cokes telle que citée au 1 de l’article 266 quinquies B du même code.
Est soumise à la contribution climat-énergie la consommation d’uranium utilisé pour la production d’électricité.
Sont assujetties à la contribution climat-énergie les personnes morales ayant un établissement situé sur le territoire français et qui mettent à la consommation les produits visés au premier alinéa de l’article 1er de la présente loi et qui consomment de l’uranium pour produire de l’électricité.
Les différents montants de la contribution climat-énergie sont exprimés :
1) En euros par tonne d’équivalent CO2 pour les produits énergétiques visés définis au premier alinéa de l’article 1er de la présente loi ;
2) En euros par quintal d’uranium contenu pour les minerais d’uranium utilisés pour la production d’électricité.
Ces taux sont déterminés annuellement dans le cadre de la loi de finances en fonction :
1) Des objectifs de réduction de CO2 et des gaz à effets de serre supérieurs ou égaux à ceux déterminés par les traités internationaux signés et ratifiés par la France ;
2) Des objectifs de réduction de la dépendance à l’énergie nucléaire déterminés par la représentation nationale ;
3) Des objectifs de développement des énergies renouvelables ;
4) De l’information disponible sur le coût social et environnemental des émissions de gaz à effet de serre et de l’énergie nucléaire.
Le produit de la contribution climat-énergie, entendu comme la somme des recettes tirées de la contribution climat-énergie prélevées sur les personnes physiques et après déduction de tous les frais de recouvrement, est réparti entre les personnes physiques.
La part perçue sur les personnes physiques est répartie de manière équitable entre les foyers fiscaux sous conditions de ressources déterminées par décret en Conseil d’État. La part équivalente à 50 % de cette somme est distribuée aux personnes physiques sous forme de chèques mentionnés à l’article 5 de la présente loi.
Sont créés les « chèques transition énergétique » utilisables pour les achats et paiements de services accompagnant la transition énergétique.
Les modalités de mise en œuvre et de l’utilisation des « chèques transition énergétique » sont définies par décret en Conseil d’État.
Les factures émises par les distributeurs des produits cités à l’article 1er de la présente loi, tant auprès des personnes physiques que morales, font mention de manière claire et lisible du montant de la contribution climat-énergie rapportée à la quantité du produit énergétique facturé.
Le Gouvernement remet au Parlement un rapport dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi faisant un bilan précis des mesures qu’il a prises pour atteindre une généralisation de la contribution climat-énergie au sein de l’Union européenne, ainsi que sur la création d’une contribution climat-énergie appliquée aux importations de tout produit ou service en provenance d’un État non-membre de l’Union européenne.
© Assemblée nationale