N° 1369
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 septembre 2013.
PROPOSITION DE LOI
visant à promouvoir la résidence alternée, le recours aux dispositifs de médiation et l’équitable implication des parents dans l’accompagnement et la prise en charge de leur enfant en cas de divorce ou de séparation,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
François de RUGY, Barbara POMPILI, Éric ALAUZET, Denis BAUPIN, Christophe CAVARD, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU et Eva SAS,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’autorité parentale conjointe, qui consacre l’égalité des droits et des devoirs des mères et des pères dans l’éducation des enfants, s’est progressivement imposée en droit depuis vingt-cinq ans. La loi du 27 juillet 1987 a créé le principe de coparentalité. Celle du 8 janvier 1993 a permis d’affirmer l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Enfin la modification du code pénal du 4 mars 2002 a donné à la résidence alternée une portée juridique.
Cette trajectoire législative consacre l’idée selon laquelle le maintien des relations entre un enfant et ses deux parents est partie prenante de son intérêt, c’est-à-dire de « la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ».
Malgré cette égalité de principe entre pères et mères, la répartition du travail parental reste profondément inégale. Dans 70 % des familles françaises, les femmes sont particulièrement impliquées dans les tâches domestiques et éducatives auxquelles elles consacrent en moyenne chaque jour deux heures et demie de plus que leur conjoint. À l’inverse, les hommes sont davantage mobilisés par leur activité professionnelle et le différentiel du taux d’activité entre les deux sexes, aggravé par les inégalités salariales persistantes entre les hommes et les femmes conduit à ce que les hommes assument une part plus importante des charges financières du foyer.
Les suites d’un divorce ou d’une séparation révèlent souvent cette spécificité des rôles. À la fragilisation de la trajectoire professionnelle et de l’autonomie financière des mères correspond alors une vulnérabilité du lien père-enfant. Les mères se sentent ainsi lésées sur le plan matériel et professionnel, les pères marginalisés sur le plan relationnel. Cette configuration constitue un terreau propice aux conflits.
Pour le législateur, qui considère la protection de l’intérêt de l’enfant comme une priorité, cette réalité doit être considérée. C’est pourquoi nous avons souhaité, à travers cette proposition de loi, promouvoir le maintien du lien entre l’enfant et ses deux parents, favoriser l’interaction entre pères et mères, encourager les formats souples, justes et personnalisés de partage de la garde et garantir une équitable répartition des charges et des avantages sociaux. L’objectif, in fine, étant de contribuer à l’instauration d’un climat matériel et relationnel sain pour l’épanouissement de l’enfant.
La résidence alternée – qui permet à l’enfant de bénéficier de la présence de ses deux parents – nous a semblé être la traduction la plus évidente de l’autorité parentale conjointe. C’est pourquoi nous avons souhaité la promouvoir. Plusieurs écueils sont toutefois à éviter. D’abord, de nombreuses études indiquent que dans tous les pays où la résidence alternée a été érigée en norme, cette solution plafonne à 20 % des cas, ce qui traduit les limites des mesures incitatives en la matière. Ensuite, alors que la résidence alternée fonctionne bien lorsqu’elle émane d’un choix consenti par les deux parents, elle peut s’avérer préjudiciable pour les enfants exposés à des situations parentales particulièrement conflictuelles. Systématiser ce mode de résidence reviendrait à faire fi de la nature des relations parentales et à remettre en question la place du juge aux affaires familiales, seule autorité compétente pour l’apprécier. Enfin, alors que la résidence alternée reste le plus souvent envisagée dans un format strictement paritaire, une étude de 2011 réalisée par des chercheurs de l’Université d’Oxford a mis en exergue l’efficacité des solutions souples et personnalisées pouvant prendre des formes hebdomadaires, bimensuelles ou mensuelles.
Partant du constat que les situations défavorables à l’instauration d’une résidence alternée sont celles où le dialogue entre les deux parents n’est plus assuré correctement, il nous est apparu indispensable de lier la question de la garde à celle de la médiation : systématiser la médiation permettrait d’encourager la résidence alternée.
En France, la proportion de couples ayant recours à la médiation reste infime. En 2009, elle n’excédait pas 3,6 % des affaires judiciaires en matière familiale. Il y a pourtant consensus sur le fait que ces phases de dialogue contribuent à pacifier les conflits entre ex-conjoints. Au Québec par exemple, entre 2001 et 2006, 22 % des couples ont eu recours à des services de médiation et 82 % d’entre eux ont conclu à une entente. L’exemple québécois révèle les insuffisances du modèle français : les parents sont trop rarement informés et les mesures de médiation insuffisamment promues.
En plus d’atténuer les tensions néfastes pour l’enfant, une généralisation de la médiation permettrait de traiter à la source les conflits matériels qui sont encore aujourd’hui à l’origine de 46 % des contentieux en matière familiale. Faire précéder l’arbitrage du juge d’une phase de droit collaboratif permettrait d’associer les deux parties à la question cruciale du partage des charges et des avantages sociaux.
Actuellement et jusqu’au 31 décembre 2013, plusieurs tribunaux de grande instance expérimentent ce recours « généralisé » aux procédures de médiation. Nous avons souhaité généraliser ce dispositif.
Enfin ces mesures anticipatoires doivent être complétées par une garantie de l’équitable répartition des contributions. C’est pourquoi il convient d’adapter non seulement la participation aux frais d’entretien et d’éducation mais également les allocations familiales, à la prise en charge de l’enfant par chacun des deux parents.
En définitive, l’objectif de cette proposition de loi est triple : protéger l’intérêt de l’enfant, garantir l’équité des procédures d’arbitrage et proposer un dispositif d’ensemble qui tienne compte de l’enchevêtrement des enjeux relationnels, juridiques et matériels liés à une séparation.
Les difficultés du maintien des liens affectifs – et parfois tout simplement effectifs – entre enfants et pères lors de séparations ne doivent pas être négligées. Elles donnent lieu à un véritable débat dans la société. Autant le caractère spectaculaire et parfois excessif de certaines manifestations ne doit pas amener la représentation nationale à concevoir dans l’urgence des dispositifs législatifs inapplicables ou fondés sur la défiance envers les juges. Autant le statu quo ne saurait non plus prévaloir, car les difficultés des pères sont réelles et avérées : c’est le sens de la présente proposition de loi, fondée sur l’équilibre et la recherche de solutions concrètes et souples à une question qui ne peut plus longtemps être ignorée.
L’article 1er instaure une résidence alternée « à titre provisoire » en cas de désaccord entre les deux parents, sauf si l’intérêt de l’enfant le commande, et garantit une meilleure information des parents en ce qui concerne les différents rythmes et formats que cette alternance peut prendre.
L’article 2 permet aux parents, au juge et au ministère public d’adapter la convention à tout moment et systématise le recours aux procédures de médiation.
L’article 3 adapte la contribution de chaque parent à l’entretien et à l’éducation de l’enfant en fonction de ses ressources.
L’article 4 répartit les aides sociales en fonction de la contribution de chacun des deux parents, calculée selon le format de résidence effectif de l’enfant.
L’article 5 prévoit la rédaction, par le Gouvernement, d’un rapport d’information sur la création d’une agence de recouvrement des pensions non versées.
PROPOSITION DE LOI
PRIVILÉGIER LA RÉSIDENCE ALTERNÉE
Le deuxième alinéa de l’article 373-2-9 du code civil est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :
« À la demande de l’un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l’enfant, le juge ordonne à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, si le désaccord persiste, le juge statue sur la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou sur la résidence de l’enfant au domicile de l’un d’eux.
« Dans le cas où les domiciles des parents sont trop éloignés, le juge fixe la résidence de l’enfant au domicile de l’un d’eux.
« Dans le cas où la situation relationnelle entre les deux parents expose l’enfant au risque d’être victime ou témoin de quelque violence que ce soit, le juge fixe la résidence au domicile de l’un d’eux.
« Lorsque le juge se prononce en faveur d’une résidence de l’enfant en alternance, il informe les parents des modalités pratiques que cette résidence prend. À défaut d’accord entre les deux parents, le juge statue en fonction de l’intérêt de l’enfant. »
NORMALISATION DE LA MÉDIATION
L’article 373-2-13 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 373-2-13. – Les décisions fixant les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ainsi que les dispositions contenues dans la convention homologuée peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la demande du ou des parents ou du ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non.
« Dans son appréciation, le juge prend en compte l’évolution de la situation des deux parents et de l’enfant, notamment en cas de déménagement d’un des parents.
« Toutefois, à peine d’irrecevabilité que le juge peut soulever d’office, la saisine du juge par le ou les parents doit être précédée d’une tentative de médiation familiale, sauf :
« 1° Si la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l’homologation d’une convention selon les modalités fixées à l’article 373-2-7 ;
« 2° Si l’absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime ;
« 3° Si cette tentative de médiation préalable risque, compte tenu des délais dans lesquels elle est susceptible d’intervenir, de porter atteinte au droit des intéressés d’avoir accès au juge dans un délai raisonnable. »
DE L’ÉQUITABLE RÉPARTITION DES CHARGES ET DES AVANTAGES SOCIAUX ET FISCAUX
La dernière phrase du dernier alinéa de l’article 373-2 du même code est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :
« Le juge répartit les frais et la charge des déplacements et ajuste en conséquence le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Pour les frais de déplacement, le juge statue en fonction des ressources véritables et potentielles de chacun des parents. »
La deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :
« Cependant, la charge de l’enfant pour le calcul des allocations familiales peut être répartie proportionnellement entre les deux parents soit sur demande conjointe des parents, soit si les parents sont en désaccord sur la désignation de l’allocataire. Cette répartition est calculée selon le format de résidence effectif de l’enfant. »
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois suivant la promulgation de la présente loi, un rapport sur la création d’une agence de recouvrement des contributions à l’entretien et à l’éducation de l’enfant non versées par l’un des parents. Ce document doit évaluer les aspects sociaux, techniques et économiques de ladite agence.
I. – Les charges pour les collectivités territoriales sont compensées à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
II. – Les charges pour l’État sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
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