N° 1455
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2013.
PROPOSITION DE LOI
visant à encadrer le principe de gratuité des secours
en cas d’imprudence caractérisée des personnes secourues,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Olivier AUDIBERT-TROIN, Julien AUBERT, Jacques Alain BÉNISTI, Sylvain BERRIOS, Xavier BRETON, Luc CHATEL, Marie-Christine DALLOZ, Marc-Philippe DAUBRESSE, Claude de GANAY, Jean-Pierre DECOOL, Rémi DELATTE, Nicolas DHUICQ, Dominique DORD, Virginie DUBY-MULLER, Laurent FURST, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Bernard GÉRARD, Alain GEST, Philippe GOSSELIN, Arlette GROSSKOST, Christophe GUILLOTEAU, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Guillaume LARRIVÉ, Thierry LAZARO, Isabelle LE CALLENNEC, Marc LE FUR, Philippe LE RAY, Véronique LOUWAGIE, Lionnel LUCA, Olivier MARLEIX, Alain MARTY, Jean-Claude MATHIS, Philippe MEUNIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Josette PONS, Jean-Luc REITZER, Sophie ROHFRITSCH, Paul SALEN, Jean-Marie SERMIER, Claude STURNI, Lionel TARDY, Jean-Marie TETART, Patrice VERCHÈRE et Philippe VITEL,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le principe de gratuité des secours a été posé par une ordonnance royale du 11 mars 1733, qui concernait au premier chef les secours apportés aux victimes d’incendies.
Ce principe a été réaffirmé par la jurisprudence 1 et étendu à d’autres circonstances rendant nécessaires les secours, notamment en mer et en montagne. Il est aujourd’hui énoncé à l’article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure qui répartit les dépenses de secours entre :
– les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) qui, financés par des contributions des départements, des communes et des établissements publics de coopération intercommunales (EPCI), prennent en charge les dépenses directement imputables aux opérations de secours d’urgence et d’évacuation ;
– les communes qui pourvoient aux dépenses relatives aux besoins immédiats des populations (alimentation, logement d’urgence et aide médico-psychologique fournis aux victimes, nettoyage des voies publiques…) et pour lesquelles les dépenses de personnel et de matériel relatives au service d’incendie et de secours constituent des dépenses obligatoires 2 ;
– l’État, qui supporte notamment les dépenses afférentes à l’engagement des moyens publics et privés extérieurs au département lorsqu’ils ont été mobilisés par son représentant (rémunération, frais de transport, d’hébergement et de ravitaillement des personnels venus en renfort, dépenses de remplacement des matériels détruits…).
La loi mettant expressément les dépenses de secours à la charge des communes, des SDIS et de l’État, il faut en déduire a contrario que ces dernières ne pèsent pas sur les personnes secourues. Comme l’a écrit l’ancien sénateur Jean-Pierre Schosteck, dans la mesure où elles résultent « d’un pouvoir de police administrative tendant à mettre fin à une atteinte à l’ordre public, les interventions des services de secours sont donc logiquement payées par l’ensemble de la population à travers l’impôt » 3.
Toutefois, des exceptions ont été aménagées à ce principe de gratuité des secours.
– Ainsi, l’article L. 2331-4, 15°, du code général des collectivités territoriales permet aux communes d’obtenir « le remboursement des frais engagés à l’occasion d’opérations de secours consécutives à la pratique de toute activité sportive ou de loisirs ». Actuellement, les seules activités susceptibles de faire l’objet du remboursement des frais de secours prévu au 15° de l’article L. 2331-4 sont le ski alpin et le ski de fond 4. Ces frais sont alors le plus souvent pris en charge par les assurances souscrites par les personnes secourues.
– Par ailleurs, l’article L. 1424-42, alinéa 2, du code général des collectivités territoriales dispose que, si un SDIS procède « à des interventions ne se rattachant pas directement à l’exercice de ses missions, il peut demander aux personnes bénéficiaires une participation aux frais », dans les conditions déterminées par délibération de son conseil d’administration. Il s’agit typiquement des cas où le SDIS intervient pour détruire des nids de guêpes ou dépanner des ascenseurs.
– Si, depuis 1970, la société nationale de sauvetage en mer (SNSM) se réserve le droit de demander le remboursement des secours apportés non pas aux personnes mais aux matériels (comme le remorquage d’un bateau en péril dans une zone située au-delà de la limite des 300 mètres bordant le rivage), aucune participation aux frais des secours ni aucun remboursement de ces frais n’est prévu au bénéfice de l’État lorsque c’est lui qui les engage à travers la mobilisation de la gendarmerie nationale et de ses pelotons de moyenne et haute montagne, de la Marine nationale ou encore des CRS.
L’objet de cette proposition de loi est de créer une nouvelle exception au principe de gratuité des secours avec la mise en place d’un dispositif législatif permettant le remboursement des dépenses de secours exposées lorsque les personnes secourues ont fait preuve d’une « imprudence caractérisée ».
L’affaire des « faux disparus » des gorges du Verdon, qui a connu un certain retentissement médiatique au mois d’août dernier 5, peut servir d’exemple quant à la nécessité d’une adaptation de notre législation. Elle concernait deux couples qui s’adonnaient à la pratique du canoë, et sont rentrés chez eux en abandonnant leur embarcation sans prévenir quiconque. Alors qu’un dispositif exceptionnel – dont le coût est estimé à 65 000 euros – a été mis en place pour les retrouver, rien ne permettait d’entamer des poursuites à l’encontre de ces personnes « indélicates » et d’exiger des réparations.
C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi prévoit une solution législative.
Tout d’abord, le dernier alinéa de l’article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure est complété par une phrase prévoyant que l’État est en droit de demander aux personnes secourues le remboursement des frais engagés à l’occasion d’opérations de secours consécutives à leur imprudence caractérisée. Cette participation, que l’État peut exiger sans préjudice des dispositions applicables aux activités réglementées, aux intéressés ou à leurs ayants droit, porte sur tout ou partie des dépenses et s’effectue dans des conditions déterminées par décret en conseil d’État. Ainsi, l’État peut obtenir le remboursement total ou partiel des dépenses exposées non seulement par la gendarmerie nationale, mais aussi par les CRS ou encore la Marine nationale.
Une disposition semblable est ensuite être introduite à l’article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales de façon à permettre aux SDIS d’obtenir le remboursement d’interventions qui, quoique se rattachant directement à l’exercice de leurs missions, et notamment à leur mission de secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes, ont été rendues nécessaires par l’imprudence caractérisée des personnes bénéficiaires.
Enfin, la possibilité de demander aux personnes secourues le remboursement des dépenses de secours exposées à la suite d’une imprudence caractérisée de leur part est également être ouverte aux communes. À cette fin, le 15° de l’article L. 2331-4 du code général des collectivités territoriales est modifié de façon à permettre aux communes d’exiger le remboursement des frais engagés à l’occasion d’opérations de secours qui sont consécutives non seulement « à la pratique de toute activité sportive ou de loisirs », mais aussi à l’imprudence caractérisée des personnes secourues.
Tel est l’objet de cette proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
L’article L. 742-11 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le dernier alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Toutefois, l’État peut obtenir le remboursement des frais engagés à l’occasion d’opérations de secours consécutives à une imprudence caractérisée des personnes secourues. Cette participation, que l’État peut exiger sans préjudice des dispositions applicables aux activités réglementées, aux intéressés ou à leurs ayants droit, peut porter sur tout ou partie des dépenses et s’effectue dans les conditions déterminées par un décret en conseil d’État. » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le service départemental d’incendie et de secours et la commune peuvent également obtenir le remboursement des frais engagés à l’occasion d’opérations de secours consécutives à une imprudence caractérisée des personnes secourues, dans les conditions prévues respectivement au dernier alinéa de l’article L. 1424-42 du code général des collectivités territoriales et au 15° de l’article L. 2331-4 du même code. »
Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° L’article L. 1424-42 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Si le service départemental d’incendie et de secours a procédé à des interventions qui se rattachent directement à l’exercice de sa mission de secours d’urgence aux personnes victimes d’accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que d’évacuation de ces dernières, mais qui sont consécutives à une imprudence caractérisée des personnes secourues, il peut demander aux personnes bénéficiaires des secours une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération du conseil d’administration. » ;
2° La première phrase du premier alinéa du 15° de l’article L. 2331-4 est complétée par les mots : « , ou à une imprudence caractérisée des personnes secourues. »
1 CE, « Ville de Versailles contre Lopez », 5 décembre 1984, n° 48639, Recueil Lebon 1984, p. 399.
2 Article L. 2321-2, 7°, du code général des collectivités territoriales. Il convient de noter que les dépenses relatives au financement du personnel et du matériel des services d’incendie et de secours sont sans lien avec le nombre d’interventions des secours sur le territoire des communes et qu’elles sont donc calculées forfaitairement.
3 Rapport n° 339 (2003-2004) fait au nom de la commission des Lois du Sénat sur le projet de loi de modernisation de la sécurité civile, devenu la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, p. 93.
4 Article R. 2321-6 du code général des collectivités territoriales.
5 C. Jamet, J.-M. Leclerc, « La lourde facture laissée par les faux disparus du Verdon », Le Figaro, 18 août 2013.
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