N° 1570
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 novembre 2013.
PROPOSITION DE LOI
relative aux mesures de prévention et de sécurité nécessaires
à raison de l’état dangereux et caractérisé d’un individu,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Alain CHRÉTIEN, Laure de LA RAUDIÈRE, Jacques PÉLISSARD, Alain MARLEIX, Arlette GROSSKOST, Patrick HETZEL, Jean-Marie SERMIER, Annie GENEVARD, Claude de GANAY, Christophe GUILLOTEAU, Jean-Pierre DOOR, Thierry LAZARO, Michel VOISIN, Alain LEBOEUF, Sophie ROHFRITSCH, Bernard PERRUT, Laurent MARCANGELI, Fernand SIRÉ, Olivier AUDIBERT-TROIN, Dominique LE MÈNER, Jean-Pierre VIGIER, Jean-Marie TETART, Lionnel LUCA, Julien AUBERT, Thierry MARIANI, Sylvain BERRIOS, Jean-Luc REITZER, Lucien DEGAUCHY, Michel HEINRICH, Philippe LE RAY, Nicolas DHUICQ, Jacques Alain BÉNISTI, Claude STURNI, Patrice VERCHÈRE, Étienne BLANC et Marcel BONNOT,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 31 janvier 2013, une assistante maternelle était tuée par son voisin, atteinte à la tête et au thorax. Ledit voisin avait fait l’objet depuis plusieurs années de signalements auprès du préfet et du procureur de la République pour des actes de vandalismes caractérisés et des menaces réitérées à l’encontre de son voisinage. Dix plaintes avaient été déposées contre lui par des habitants de Malans, en Haute-Saône.
Au cours des années précédentes, le maire et les élus du conseil municipal avaient saisi le procureur et le préfet. Ils disaient leur peur que l’irréparable soit commis. Sans aucun résultat de nature préventive. De fait, il n’existe pas actuellement de moyens légaux d’intervention pour, sinon faire totalement disparaître, du moins limiter le plus possible le passage à des actes que l’on peut raisonnablement redouter de la part d’individus ayant été signalés à plusieurs reprises comme étant dangereux.
L’objet de la présente proposition de loi est d’améliorer les dispositifs légaux de nature préventive, en matière de sécurité. L’approche proposée est une méthode graduelle adaptée à la gravité de chacun des cas.
Il existe un certain nombre de précédents réglementaires prenant en compte l’existence d’un danger potentiel pour mettre fin à la détention, par un individu, d’une chose dangereuse par elle-même, notamment d’une arme.
L’article 138, 14° du code de procédure pénale, dans le cadre du contrôle judiciaire, prévoit que le juge d’instruction peut interdire à la personne mise en examen de « détenir une arme » et, le cas échéant, l’obliger à « remettre au greffe contre récépissé les armes dont elle est détenteur ». On remarquera que cette mesure n’est nullement contraire à la présomption d’innocence, car elle ne préjuge en rien de la culpabilité de l’intéressé, et qu’elle constitue seulement une précaution destinée à empêcher autant que faire se peut la commission à l’avenir d’actes graves dangereuse pour autrui.
Les articles 131-21 et 132-58 du code pénal imposent la confiscation obligatoire des objets qualifiés par la loi ou le règlement de « dangereux » ou de nuisibles (article 132-58). En outre, cette confiscation demeure obligatoire pour le juge même en cas d’une dispense de peine (article 132-58), ce qui établit clairement qu’il ne s’agit pas, en ce cas, d’une peine mais bien d’une mesure de précaution pour l’avenir. C’est ici encore la même volonté du législateur de ne pas laisser un élément dangereux par lui-même à la disposition de quiconque en était jusque-là détenteur (article 222-44 6° du code pénal) « La confiscation d’une ou plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ».
De même, le code de la route, dans un contexte différent mais dans le même esprit, prescrit (articles R. 278, 3° et R. 285-2, 1°) l’immobilisation puis la mise en fourrière d’un véhicule automobile dont le « mauvais état » crée « un danger important pour les autres usagers » de la route.
Au regard de ces précédents dispositifs réglementaires, il ressort clairement que les législateurs successifs, confrontés en ce sens par le désormais constitutionnel « principe de précaution », ont souvent eu recours à des mesures coercitives adaptées aux multiples hypothèses pour lesquelles il apparait nécessaire de prévenir qu’un danger potentiel ne survienne.
La présente proposition de loi s’inscrit dans la continuité de ces dispositions protectrices de la sécurité des personnes en améliorant les dispositifs légaux de nature préventive, en matière de sécurité.
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Les articles 1 à 4 de la présente proposition de loi visent à améliorer les dispositifs de prévention et leurs conditions d’application.
L’article 1er traite des attributions du procureur de la République en élargissant les conditions d’applications de mesures préventives à l’égard des individus ayant créé, de leur propre fait, un état de danger caractérisé par la réitération multiple :
– Soit d’infractions « mineures » par leurs conséquences et, de ce fait, rarement poursuivies d’office par le ministère public, même après plainte de la victime, telles que le vandalisme répété de la propriété d’autrui, le dépôt caractérisé d’ordures ménagères dans la propriété d’autrui, d’incendie volontaire de la propriété d’autrui.
– Soit d’actes non constitutifs d’infraction, tels que les incivilités, les avanies, les menaces sourdes et imprécises, suscitant à la longue, la crainte du passage à des agissements graves voire criminels, ressentie par la majorité de la population des petites et moyennes communes, ou de celle d’un quartier urbain.
L’état dangereux décrit ci-dessus n’étant pas par lui-même une infraction pénale, ni la police judiciaire, ni le ministère public ne peuvent imposer la précaution ni les mesures de prévention pourtant essentielles et qui consistent en la recherche de preuves et le retrait d’éventuelles armes à feu (armes par nature) dont l’intéressé serait détenteur. (L’arme par nature est, selon l’article 132-75 du code pénal « tout objet conçu pour tuer ou blesser »). Cet article vise à élargir les conditions d’application de mesures préventives.
L’article 2 vise à rendre possible la mise en œuvre des mesures décrites à l’article 1er de la présente proposition de loi, dans les cas définis à l’article 76 du code de procédure pénale.
L’article 3 vise à conditionner la procédure de classement sans suite définie à l’article 40-1 du code de procédure pénale à l’application préventive des mesures décrites à l’article 1er de la présente proposition de loi.
L’article 4 vise à conditionner la restitution des armes ou choses provisoirement retirées sous réserve de l’application des articles 1er et 3e de la présente proposition de loi.
Les articles 5 et 6 de la présente proposition de loi visent à confirmer l’état dangereux d’un individu lorsqu’il fait l’objet de la constatation de la réalité de délits caractérisés et répétés par un conseil municipal, lequel s’est associé de la sorte aux plaintes déjà déposées par de nombreux habitants de la commune ou du quartier concerné.
Il est alors souhaitable, d’une part de faire intervenir l’autorité préfectorale ordonnant une enquête psycho-sociale, voie psychiatrique, pouvant aller jusqu’à l’internement d’office le cas échéant, et d’autre part de tenir la collectivité intervenante informée des recherches ordonnées et des décisions prises par le ministère public.
L’article 7 de la présente proposition de loi vise à énoncer la règle pénale encourue en cas d’entrave apportée aux actes d’enquête, examens médicaux, recherches et retrait des armes, prévus aux articles 1 à 6 de la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
L’article 40 du code de procédure pénale est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque plusieurs plaintes, dénonciations non anonymes ou déclarations reportées en main courante ou reçues au titre d’un renseignement judiciaire ont été déposées auprès d’une autorité de police ou de justice, qu’elles émanent de personnes différentes non membres d’une même famille, et qu’elles visent nommément le même individu auquel sont imputés des faits matériels précis, et dont résultent des indices certains et concordants d’un comportement anormalement menaçant au sens des articles 222-17 à 222-18-3 du code pénal, envers les personnes ou les biens d’autrui ou leurs animaux domestiques, le procureur de la République prescrit à la police judiciaire de :
« – rechercher dans tous les lieux de résidence de l’individu visé ainsi que dans tous ses véhicules automobiles, toutes les armes par nature et spécialement les armes à feu, de quelque catégorie qu’elles soient, même légalement détenues, qui pourraient s’y trouver ;
« – et de procéder le cas échéant au retrait provisoire des dites armes selon la procédure de confiscation définie à l’article 131-21 du même code. À cette fin, la décision du procureur de la République prescrivant les mesures ci-dessus énoncées est notifiée par l’officier de police judiciaire à l’individu concerné, soit au lieu du domicile ou de la résidence de celui-ci, s’il y est trouvé présent, soit dans les locaux de la police, s’il y a été convoqué sans aucune indication de motif, et s’il s’y trouve effectivement présent.
« Dans le cas de circonstances exceptionnelles où l’accomplissement de la procédure décrite ci-dessus ne pourrait s’appliquer, le procureur de la République peut saisir le représentant de l’État dans le département pour faire appliquer les dispositions prévues aux articles L. 312-7 à L. 312-15 du code de la sécurité intérieure. »
À la première phrase du quatrième alinéa de l’article 76 du même code, après le mot : « République », sont insérés les mots : « ou si les conditions décrites au troisième alinéa de l’article 40 du présent code sont réunies ».
Le 3° de l’article 40-1 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Cette décision de classement sans suite ne peut être prononcée qu’après l’accomplissement et la conclusion des mesures de prévention définies au troisième alinéa de l’article 40. »
L’article 131-21 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de classement sans suite, tel que défini au 3° de l’article 40-1 du code de procédure pénale, et sous réserve de l’application des dispositions préventives définies au troisième alinéa de l’article 40 du même code, la restitution des armes ou autres choses provisoirement retirées peut alors être demandée au procureur de la République. »
I. – Après l’article L. 132-2 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un article L. 132-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 132-2-1. – L’organe délibérant d’un conseil municipal peut adopter à la majorité simple une motion s’associant aux plaintes, dénonciations ou déclarations définies au troisième alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale. Le procureur de la République en est informé selon les modalités prévues au second alinéa du même article 40.
« L’autorité préfectorale, après s’être fait rendre compte de l’état de l’enquête policière, ordonne une enquête psychosociale sur la personnalité et les conditions de vie de l’individu concerné, à l’issue de laquelle il peut ordonner, si l’opportunité en est apparue, un examen médico-psychiatrique de ce même individu. Si le rapport consécutif au dit examen conclut à la nécessité d’un internement d’office dans un établissement hospitalier, cette mesure est ordonnée par le préfet.
« Les dispositions prévues aux articles L. 312-7 à L. 312-15 sont immédiatement applicables. »
II. – La charge pour l’État qui pourrait résulter de l’application du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 à 575 A du code général des impôts.
L’article L. 132-3 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les circonstances définies à l’article L. 132-2-1, le maire est informé par le procureur de la République du résultat des recherches prescrites par l’article 40 du code de procédure pénale et de la suite qu’il estime devoir donner à l’affaire. »
L’article 434-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute entrave apportée volontairement à l’accomplissement des actes de recherche et de retrait d’armes, d’enquête ou d’examen médico-social est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »
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