N° 1692
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 janvier 2014.
PROPOSITION DE LOI
visant à instaurer une action de groupe étendue aux
questions environnementales et de santé,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Michèle BONNETON, Jean-Louis ROUMEGAS, Danielle AUROI, Laurence ABEILLE, Éric ALAUZET, Brigitte ALLAIN, Isabelle ATTARD, Denis BAUPIN, Christophe CAVARD, Sergio CORONADO, François de RUGY, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC, Barbara POMPILI et Eva SAS,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La loi consommation (n° 1015) adoptée le 3 juillet 2013 en première lecture à l’Assemblée nationale introduit dans le droit français la possibilité d’une action de groupe pour les préjudices relatifs à la consommation. Lors des débats de ce projet de loi, le groupe écologiste a salué l’innovation importante qu’est la création de « l’action de groupe » dans le droit français car c’est donner la possibilité, aux consommateurs lésés, de se regrouper pour réaliser une action en justice, de faire un véritable contrepoids citoyen face aux abus des entreprises aux pratiques illégales, comme par exemple les compagnies téléphoniques qui s’entendaient sur les prix et pratiquent des surfacturations. Les consommateurs peuvent ainsi agir dans les cas de tromperie. En faisant masse, les citoyens pourront désormais obtenir réparation du préjudice matériel subi, mais également influencer en amont les pratiques des entreprises qui seraient ainsi découragées de tenter des pratiques malveillantes. Mais pourquoi limiter l’action de groupe au champ de la consommation ?
Comme le syndicat des avocats de France, nous regrettons que « le gouvernement se soit arrêté au milieu du gué et ne propose pas une réforme permettant la mise en place d’une action de groupe réellement efficiente dans tous les domaines du droit ». Ainsi, cette proposition de loi vise à instaurer une action de groupe étendue aux questions environnementales et de santé, à ouvrir largement l’accès à l’action de groupe aux citoyens pour faire valoir et défendre leurs droits. En permettant à un groupe de personnes, physiques ou morales, de faire un recours collectif pour un même préjudice environnemental ou de santé, nous souhaitons renforcer le droit de l’environnement et de la santé, mais surtout garantir les moyens de son effectivité.
Aux États-Unis, l’action de groupe, appelée « class action », n’est pas limitée aux seules questions de la consommation. Nous avons tous en tête le film Erin Brockovich : il illustre l’histoire vraie de riverains d’une société de distribution d’énergie rejetant des produits toxiques dans l’eau. Ces personnes se sont regroupées pour porter plainte contre l’entreprise qui les rendait malade. La justice américaine a reconnu le préjudice pour leur santé et l’entreprise a été condamnée à indemniser les victimes. Parce qu’ils étaient associés dans une action commune en justice la condamnation a été à la hauteur des dégâts. Ce type d’action reste malheureusement impossible en France ; pourtant, les scandales sanitaires et environnementaux ne manquent pas : que ce soit les femmes victimes des prothèses PIP, les victimes de l’amiante ou du médiator, des marées noires, des pesticides, etc. Dans ces domaines, ce que permet actuellement la loi, ce sont des actions de groupe pour le rembourser la prothèse défaillante, de la boîte de médicament et non pas le préjudice sur la santé, ni le préjudice moral.
La procédure d’action de groupe n’existe pas seulement aux États-Unis, mais dans de nombreux pays. Action de groupe en Angleterre, au Pays de Galles, en Suède et au Portugal ou encore recours collectif au Québec. Dans ces pays, le dispositif est étendu aux questions environnementales et a largement fait la preuve de son utilité. Ainsi, cette proposition de loi étendant l’action de groupe aux questions environnementales et de santé souhaite faire évoluer le droit pour renforcer l’accès à la justice, faire gagner du temps aux tribunaux, favoriser la réparation de la nature après un préjudice environnemental, indemniser les victimes d’un préjudice de santé, sans pour autant favoriser des recours abusifs qui pourraient avoir un but purement lucratif. En facilitant les règlements à l’amiable, l’objectif est que l’environnement soit remis en état le plus rapidement possible, la victime indemnisée le plus tôt possible, et que le coût soit assumé par les responsables.
Les articles 1 et 2 ont pour ambition d’inciter à un plus grand respect de l’environnement et ainsi prévenir d’éventuels actes de malveillance ou des accidents préjudiciables à la nature.
Après la décision de la Cour de Cassation du 25 septembre 2012, reconnaissant le préjudice environnemental causé par la catastrophe de l’Erika et exigeant le versement de substantielles indemnités, la Garde des Sceaux a commandé un rapport à un groupe de travail composé de juristes, d’experts et de chercheurs spécialistes du droit de l’environnement. Celui-ci rendu un rapport, le 17 septembre 2013, sur la réparation du préjudice écologique. Les conclusions du groupe de travail confirment l’urgence de l’inscription du préjudice écologique dans le code civil. Il s’agit là d’une étape indispensable à une véritable sécurité juridique concernant les préjudices environnementaux, ainsi qu’à la réparation de l’environnement par les acteurs. Cependant, le rapport propose une définition du préjudice trop restrictive. Ainsi, l’article 1 de la proposition de loi reprend les éléments de la proposition de loi visant à inscrire la notion de préjudice causé à l’environnement dans le code civil votée à l’unanimité au Sénat en mai 2013 ; en reprenant la définition du préjudice environnemental, nous ouvrons la possibilité d’une action de groupe sur les questions environnementales. L’article 1 de cette proposition de loi définit le préjudice environnemental et crée un régime de réparation du préjudice environnemental dans le code civil.
L’article 2 de cette proposition de loi étend l’action de groupe aux questions environnementales. Dans un premier temps, l’article ouvre largement l’action en réparation du préjudice environnemental et permet aux citoyens de se regrouper pour mener une action en justice sur ce sujet. Le texte propose ensuite que le juge définisse la responsabilité du défendeur et donne les contours du groupe accusateur. Enfin, les deux dernières parties de l’article affirment l’objectif de réparation de la nature comme l’objectif de l’action de groupe environnementale et permet une procédure de médiation permettant d’accélérer la procédure.
Comme le montre le problème des pesticides, un problème environnemental peut également être un problème de santé. Le rapport d’information de la mission commune d’information sur les pesticides et la santé n° 42 (2012-2013) « Pesticides vers le risque zéro » a recommandé d’introduire l’action collective en droit français afin d’assurer une meilleure application de la législation en vigueur concernant les pesticides. Le rapport précise : « L’intérêt d’un tel dispositif pour la protection de la santé face aux dangers des pesticides tient au fait que l’utilisation de produits phytopharmaceutiques par des milliers – parfois par des dizaines de milliers – d’agriculteurs ne provoque pas nécessairement de dommages très graves pour chacun, mais peut occasionner un grand nombre de dommages limités. […] L’action de groupe a précisément pour objet d’être utilisée en pareille situation. Les agriculteurs pourraient utiliser l’action de groupe […] alors que les victimes hésitent fort logiquement aujourd’hui à engager une action judiciaire dont elles peuvent redouter le coût et la durée, d’autant que plaider ne fait pas partie des traditions paysannes. » Ainsi, l’article 3 étend l’action de groupe aux questions de santé et permet à la France de donner un vrai contrepoids citoyen face aux grands groupes phytosanitaires, mais plus largement pharmaceutiques. Aujourd’hui, les scandales sanitaires révèlent les lacunes du droit français, un désavantage en défaveur de la victime d’un dégât sanitaire dont il souhaite obtenir réparation. Ainsi, en introduisant l’action de groupe en matière de santé, nous renforçons la responsabilité des industriels de la santé, mais surtout, grâce au regroupement, nous permettons de partager les couts, souvent très onéreux, de l’expertise et de la contre-expertise.
En étendant l’action de groupe aux questions environnementales et de santé, nous permettons de garantir un véritable respect du droit.
PROPOSITION DE LOI
Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 1382 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne qui cause un préjudice à l’environnement est tenue de le réparer. » ;
2° Après le titre IV bis du livre III, il est inséré un titre IV ter ainsi rédigé :
« TITRE IV TER
« RÉPARATION DU PRÉJUDICE ENVIRONNEMENTAL
« Art. 1386-19. – La réparation du préjudice environnemental s’effectue prioritairement en nature.
« Lorsque la réparation en nature du préjudice n’est pas possible, la réparation se traduit par une compensation financière versée à l’État ou à un organisme désigné par lui et affectée, dans les conditions prévues par un décret en Conseil d’État, à la protection de l’environnement.
« Art. 1386-20. – Les dépenses exposées pour prévenir la réalisation imminente d’un préjudice, en éviter l’aggravation ou en réduire les conséquences peuvent donner lieu au versement de dommages et intérêts, dès lors qu’elles ont été utilement engagées. »
Le code de l’environnement est ainsi modifié :
1° L’article 162-2 est abrogé ;
2° Après le chapitre IV du titre 6 du livre Ier, il est inséré un chapitre IV bis ainsi rédigé :
« Chapitre IV bis
« Action de groupe en réparation du préjudice environnemental
« Art. L. 164-2. – Sans préjudice des procédures instituées par les articles L. 160-1 et suivants, l’action en réparation d’un préjudice environnemental visé au titre IV ter du livre III du code civil est ouverte aux personnes physiques et morales.
« Lorsque plusieurs personnes physiques ou morales qui s’estiment victimes d’un même préjudice environnemental ou d’une même infraction au sens de l’article L. 142-2 du présent code introduisent une action portant sur les mêmes faits, elles désignent au juge l’une d’entre elles à la majorité pour conduire, en leur nom, l’action résultant de la jonction de ces différentes actions.
« Pour porter l’action des personnes physiques ou morales, celles-ci se regroupent en associations selon les modalités fixées par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou peuvent demander à une association agréée dans le domaine de l’environnement de porter, en leur nom, l’action devant le juge compétent.
« L’action de groupe est introduite selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 164-3. – Le juge constate que les conditions mentionnées par le titre IV ter du livre III du code civil sont réunies et statue sur la responsabilité du défendeur. Il définit le groupe de personnes physiques et morales constituant le groupe et les délais pour le rejoindre.
« Le juge ordonne, aux frais de l’auteur du préjudice, les mesures nécessaires pour évaluer le préjudice.
« Le juge fixe les délais et modalités selon lesquels les personnes physiques et morales peuvent adhérer au groupe en vue d’obtenir réparation de leur préjudice.
« Le juge prévoit les mesures de publicité nécessaires pour informer les personnes physiques et morales atteintes par le préjudice de l’existence du jugement.
« Art. L. 164-4. – L’auteur du préjudice environnemental procède à l’indemnisation individuelle des préjudices subis dans les conditions et limites fixées par le jugement.
« Art. L. 164-5. – Le groupe requérant peut participer à une médiation, dans les conditions définies par décret.
« Tout accord négocié au nom du groupe est soumis à l’homologation du juge, qui lui donne force exécutoire.
« Le juge fixe les délais et modalités selon lesquels les personnes physiques et morales peuvent adhérer au groupe en vue d’obtenir réparation de leur préjudice.
« Le juge prévoit les mesures de publicité nécessaires pour informer les personnes physiques et morales atteintes par le préjudice de l’existence de l’accord ainsi homologué. »
Après la section 3 du chapitre II du titre IV du livre 1er de la première partie du code de la santé publique, il est inséré une section 3 bis ainsi rédigée :
« Section 3 bis
« Action de groupe
« Art. L. 1142-13-1. – Lorsque plusieurs personnes physiques ou morales qui s’estiment victimes d’un même préjudice défini aux articles L. 1142-1 et suivants ou au livre III de la première partie introduisent une action portant sur les mêmes faits, elles désignent au juge l’une d’entre elles à la majorité pour conduire, en leur nom, l’action résultant de la jonction de ces différentes actions.
« Pour porter l’action des personnes physiques ou morales, celles-ci se regroupent en associations selon les modalités fixées par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou peuvent demander à une association agréée dans le domaine de la santé de porter, en leur nom, l’action devant le juge compétent.
« L’action de groupe est introduite selon des modalités fixées par décret en Conseil d’ État.
« Art. L. 1142-13-2. – Le juge constate que les conditions mentionnées aux articles L. 1142-1 et suivants ou au livre III de la première partie sont réunies et statue sur la responsabilité du défendeur. Il définit le groupe de personnes physiques et morales constituant le groupe et les délais pour le rejoindre.
« Le juge ordonne, aux frais de l’auteur du préjudice, les mesures nécessaires pour évaluer le préjudice.
« Le juge fixe les délais et modalités selon lesquels les personnes physiques et morales peuvent adhérer au groupe en vue d’obtenir réparation de leur préjudice.
« Le juge prévoit les mesures de publicité nécessaires pour informer les personnes physiques et morales atteintes par le préjudice de l’existence du jugement.
« Art. L. 1142-13-3. – Le défendeur procède à l’indemnisation individuelle des préjudices subis dans les conditions et limites fixées par le jugement.
« Art. L. 1142-13-4. – Le groupe requérant peut participer à une médiation, dans les conditions définies par décret.
« Tout accord négocié au nom du groupe est soumis à l’homologation du juge, qui lui donne force exécutoire.
« Le juge fixe les délais et modalités selon lesquels les personnes physiques et morales peuvent adhérer au groupe en vue d’obtenir réparation de leur préjudice.
« Le juge prévoit les mesures de publicité nécessaires pour informer les personnes physiques et morales atteintes par le préjudice de l’existence de l’accord ainsi homologué. »
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