N° 1731
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 janvier 2014.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d’une commission d’enquête chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social,
(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Alain BOCQUET, François ASENSI, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Patrice CARVALHO, Gaby CHARROUX, André CHASSAIGNE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE et Nicolas SANSU,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le monde associatif est une composante majeure de la société française. Un élément producteur de lien social, de citoyenneté et de démocratie, d’éducation et aussi de vitalité de l’économie.
Au cœur d’un vaste et vivant réseau de partenaires, de prestataires, d’institutions et fort d’un nombre considérable d’animateurs et plus encore, de bénéficiaires et d’usagers, il contribue quotidiennement à faire vivre et à promouvoir les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité constitutives de l’identité française.
Valeurs qui trouvent y compris un rayonnement étendu au-delà même du territoire national, dans les relations et les solidarités avec les peuples du monde que développent nombre d’associations, petites et grandes, caritatives, humanitaires bien sûr, mais pas uniquement. La vie associative lycéenne par exemple en fournit maintes illustrations.
Dans la période difficile que traverse notre pays et face à la crise (atonie de la croissance, chômage de masse, explosion de la précarité, fragilisation de services publics…) : la question est bien évidemment posée du poids de ce contexte sur les associations.
Comment tout cela se reporte-t-il sur leurs moyens d’agir, sur leur détermination à tenir leurs objectifs propres, sur l’engagement individuel et collectif qui les fait vivre, sur le bénévolat ?
Comment tout cela peut-il nuire à la qualité de leur apport à la vie sociale, à l’expression démocratique et à la citoyenneté et en nourrit-il en retour, la possible dégradation ?
Comment tout cela peut-il faire obstacle à l’efficacité de leur participation à l’économie des territoires ; qu’il s’agisse de créer de la richesse, de développer l’emploi, de favoriser l’innovation ou de faire travailler des entreprises autour d’elles ?
Telles sont quelques-unes des questions que la présente proposition de création d’une commission d’enquête permettrait d’aborder.
VERS LA SIGNATURE D’UNE CHARTE MAIS POUR QUELS MOYENS ?
L’actualité de ce début d’année 2014 et des semaines et mois à venir met le tissu associatif en exergue avec notamment, le projet de signature et de publication d’une charte d’engagements réciproques entre l’État, les collectivités territoriales et les associations. Charte vient renouveler celle établie une première fois en 2001 et significativement tombée dans l’oubli depuis. Elle propose d’ajouter un partenaire aux signataires alors retenus, avec l’arrivée des collectivités territoriales.
Même si les collectivités locales sont à juste titre liées au monde associatif, on peut s’interroger quand on met en perspective cette implication et les désengagements multiformes de l’État, budgétaires en priorité, depuis de nombreuses années.
Ces désengagements, les débats parlementaires qui ont accompagné l’examen puis l’adoption de la loi de Finances 2014 en ont fourni d’incontestables témoignages, à l’exemple de la discussion le 7 novembre dernier, sur les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », et plus précisément du programme 124 « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative » aux moyens largement amputés.
Les députés communistes et Front de gauche ont attiré l’attention de l’Assemblée nationale et du gouvernement sur la situation financière critique des petites structures associatives intervenant dans le champ social et médico-social. « Avec la baisse de près d’un tiers, en cinq ans, des financements de l’État aux associations, c’est un vaste et discret plan social qui est en cours. »
Le Collectif des associations citoyennes pour qui ces difficultés « ne tombent pas du ciel » y voit l’effet constant d’une « politique délibérée, européenne et nationale, de réduction des associations à des rôles de prestataires » et redoute en 2014, 30 000 à 40 000 suppressions de postes.
L’austérité appliquée aux collectivités territoriales, dont ont témoigné les derniers congrès de l’Association des Maires de France, conduit celles-ci à revisiter l’ensemble de leurs politiques.
Mais combien de milliers d’associations intervenant dans les secteurs médico-sociaux et social, le sport, la culture et les loisirs sont prises dans cet étau de l’explosion des besoins de nos concitoyens et de la disparition ou de la réduction de leurs moyens d’agir ?
Nombre d’exemples tirés de l’actualité associative et relatifs à ces divers champs d’action témoignent d’un malaise profond dont il est indispensable que la Représentation nationale se saisisse.
Une enquête réalisée fin 2009 à l’initiative du Haut-Commissaire aux solidarités actives et à la jeunesse avait déjà mis en exergue ces problématiques. Présentée et commentée en particulier dans la Lettre de l’économie du sport du 12 février 2010, elle alertait sur des situations que l’on retrouve, aggravées, aujourd’hui.
Divers documents attirent en effet l’attention sur ces enjeux, dont la onzième édition de l’analyse produite à l’automne dernier par les responsables de Recherches et Solidarités, sur le thème de « La France associative en mouvement ». Une onzième édition qui pour l’essentiel, confirme les dégradations déjà relevées en 2012.
Alors que « l’associativité reste une des valeurs sûres de notre société » ainsi que le souligne le président du Comité d’experts de Recherches et Solidarités, les chiffres et l’évolution des situations sont extrêmement préoccupants. « La plupart des indicateurs (…) ont viré au rouge » et le « scepticisme face à l’avenir » devient un élément dominant, qu’il s’agisse des ressources financières des associations, de leur capacité à recruter des adhérents ou à pourvoir au remplacement de leurs animateurs.
« Si la force associative – qui au-delà de son importance économique constitue un baromètre de la santé morale, du lien social et civique et de l’esprit d’innovation en France comme ailleurs – est fragilisée, toute la collectivité, toutes les “fonctions publiques”, jusqu’aux entreprises, s’en trouveront finalement affectées. »
Or, 53 % seulement des responsables apprécient positivement la santé budgétaire de leur association. Ils étaient 57 % en décembre 2012. « La proportion des responsables indiquant que la situation financière de leur association est très difficile, est certes restée stable à 11 %, mais cela représente par projection, environ 140 000 associations en France ». Sachant, pour mémoire, que l’on recense 1,3 million d’associations dans notre pays, malgré un rythme annuel de création en baisse, ce qu’établissait l’édition 2012 du rapport en soulignant « cumulé sur les trois dernières années », un retrait significatif de 9,8 %.
Ils ne sont que 42 % en 2013 (46 % en décembre 2012), à être confiants sur la question du bénévolat. « Au regard de cette ressource humaine bénévole, peut-on lire dans l’analyse de Recherches et Solidarités, 15 % des responsables associatifs (19% dans le sport), se disent dans une véritable situation de détresse. » Et cela vaut notamment pour les petites associations qui ne peuvent s’appuyer sur l’activité salariée. Dans bien des cas, cette régression menace de se révéler mortifère.
Certes, une enquête Ifop-France Bénévolat-Crédit Mutuel parue en juin dernier (Lettre de l’économie du sport du 28 juin 2013) fait état d’une progression du bénévolat. Mais elle doit cependant beaucoup nuancer cette appréciation en reconnaissant « l’extrême difficulté à transformer ce premier niveau de solidarité en une implication collective durable, via des projets associatifs puisque, en plus, le pourcentage de bénévoles qui se disent engagés toute l’année (donc, “réguliers”), baisse nettement. Ce résultat recoupe d’ailleurs les perceptions des responsables associatifs qui, eux, ont le sentiment que leur projet repose sur un noyau dur plus réduit, et plutôt plus âgé. »
DE LA CRISE AU CROWDFUNDING !
Le cahier du Monde du 3 décembre 2013 consacré aux associations et fondations donne la parole à la présidente de la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA), désormais dénommée le Mouvement associatif, qui regroupe 600 000 associations.
« Les associations sont confrontées à une crise des financements et du bénévolat qui sont les conséquences de mutations profondes et irréversibles. Pour y faire face, elles devront profondément se réinventer, repenser leurs pratiques, diversifier leurs ressources, créer des synergies avec les autres forces vives de leurs territoires, initier des formes nouvelles de fonctionnement et d’élaboration collective qui permettront de mieux décider et de mieux agir. »
Incontestablement figurent là des pistes de travail dont il serait utile de mesurer la capacité du mouvement associatif, dans la grande diversité de ses constituants, à les reprendre et à les faire siennes. On verra qu’au regard du contexte actuel, rien n’est moins simple. Mais, n’y a-t-il pas matière à s’interroger en priorité, sur les causes de ces difficultés de la vie associative, éléments d’une crise globale de la société française qui contribue à les creuser de mois en mois, ainsi qu’en attestent les diverses études citées.
Faire face à cette crise ou se plier à ses effets et, pour le mouvement associatif qui n’en porte pas plus la responsabilité que nos concitoyens, accepter d’en régler la note…? Tel est sans doute le cœur du débat. Un débat d’ampleur nationale dont l’importance ne fait aucun doute pour la bonne marche de la société française qui a besoin de toutes ses forces vives. L’Assemblée nationale ne peut demeurer à l’écart de cette réflexion et il lui appartient de contribuer à en éclairer les termes en prenant le pouls de la vie associative de notre pays.
Le financement du tissu associatif est au centre de ces interrogations. On connaît la préoccupation des responsables et président(e)s d’associations sur ce point. On voit ainsi curieusement surgir de nouvelles « recettes » alléchantes. Au premier rang de ces produits du jour, le crowdfunding (c’est-à-dire le financement par la foule) également vanté auprès des communes de France en mal de ressources budgétaires.
Le Courrier des Maires en appelle par exemple, à « miser sur le crowdfunding » ! S’il n’est pas blâmable en soi puisqu’il peut constituer une forme efficace de financement d’un projet, le crowdfunding peut devenir dangereux, érigé en système de financement de la vie municipale et de la vie associative. « Le boom du premier semestre 2013 : 33 millions d’euros, peut-on lire dans le magazine. Le crowdfunding est en pleine croissance : plus d’un demi-million de Français ont soutenu un des 24 000 projets financés avec succès au premier semestre 2013 ; Les plates-formes ont ainsi levé (sic !) plus de fonds sur les six premiers mois de 2013 que sur tout 2012 (33 millions d’euros contre 25). Le prêt, avec presque 20 millions d’euros, est le plus développé, suivi des dons (10 millions d’euros). La prise de participation au capital est moins populaire mais la rénovation du cadre juridique du crowdfunding devrait lever les derniers freins ».
Le Monde aborde lui aussi la question pour rappeler que le crowdfunding (financement par la foule), « inventé aux États-Unis il y a trois ans, est arrivé en France depuis dix-huit mois à peine » et que déjà, si plusieurs dizaines de plates-formes existent, deux problèmes majeurs sont posés : celui d’un dispositif qui privilégie le projet au détriment de la structure ; et celui du montant élevé (5 % à 10 %) des commissions prélevées, au passage, par les sites à leur profit.
Il serait utile qu’une commission d’enquête fasse le point tant des difficultés budgétaires du monde associatif que des « remèdes » proposés à ses responsables, pour sortir du marasme dans lequel le fait plonger l’austérité.
Cela paraît d’autant plus urgent que l’Assemblée nationale devrait avoir à débattre au printemps prochain, de la relance, cette fois, d’un autre dispositif de financement : le « titre associatif » fort peu en usage depuis sa création voilà 30 ans en 1985, mais dont l’attractivité pourrait être boostée demain, en passant de 3 % à 5,5 %.
ET L’EMPLOI ?
La question est posée par la ministre des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la Vie associative : « le modèle de l’association a changé : la structure est devenue de plus en plus un employeur ». L’État ne peut donc pas rester à l’écart de cette évolution.
Certes, on recense 1,3 million d’associations, et seules environ 13 % d’entre elles sont des associations employeurs. Mais ces 166 000 environ salarient 1,9 million de personnes (un emploi privé sur 10) ; et représentent une masse salariale supérieure à 38 milliards d’euros, plus importante par conséquent que celles de secteurs clés de l’économie comme les transports ou la construction. Et un chiffre d’affaires d’environ 85 milliards d’euros (3,2 % du PIB) !
Si l’édition 2012 de « la France associative en mouvement » rappelait que les associations sont une composante essentielle de l’économie sociale, elle pointait également du doigt des indicateurs alarmants : la perte de 11 000 emplois entre 2010 et 2011 ; le fait aussi que pour la première fois depuis 2005 « la courbe présentant l’évolution du nombre des établissements employeurs a connu une baisse significative ». Enfin, dans les 150 000 associations en grande difficulté financière « on trouve près de 14 000 associations employant jusqu’à cinq salariés, et environ 7 000 associations employant plus de cinq salariés. »
Toutes ces données trouvent un prolongement en 2013.
« L’année [associative] 2012-2013 a enregistré trois trimestres consécutifs de baisse, avec la perte nette de 9 500 emplois ».
Et cette régression est d’autant plus grave que le secteur associatif recrutant en proportion, plus de salariés âgés que le reste du secteur privé, la question du renouvellement des générations est clairement posée.
Enfin et « c’est une première, le secteur associatif enregistre depuis deux trimestres une baisse [de l’emploi] proportionnellement plus forte que l’ensemble du secteur privé ».
Les chiffres parlent donc d’eux-mêmes et sont suffisamment inquiétants dans un contexte général de stagnation de la croissance, pour rendre nécessaire qu’un point soit fait par l’Assemblée nationale, des évolutions en cours et des moyens d’y porter remède.
Au cœur de ces évolutions, et directement liée à la question de l’emploi, figure la modification du mode de financement des associations avec le recul global des subventions (- 17 % en 6 ans) et la hausse des procédures de marchés publics (+ 73 %).
Avec la LOLF puis la RGPP et sous l’égide de l’Europe, les pouvoirs publics tendent à privilégier le financement des associations employeurs, par marchés publics ou appels d’offres. Au point que désormais marchés publics et subventions représentent chacun, grosso modo, 25 % du financement des associations.
Or celles-ci sont inquiètes. « La commande publique va finir par tuer la vie associative locale » alerte par exemple une avocate du Haut Conseil à la vie associative.
« Les procédures d’appels d’offres, encouragées par Bruxelles et par le ministère des Finances, constituent une arme de destruction massive des projets associatifs, réduisant les associations à des rôles d’exécutants » ajoute le Collectif des associations citoyennes.
Cette « instrumentalisation » doit être analysée de près par l’Assemblée nationale. Et ce pour plusieurs raisons : d’une part en effet, les petites et moyennes associations ne sont pas équipées pour lutter à armes égales avec les plus grosses structures sur ce terrain ; d’autre part, cela conduit à faire des associations des prestataires incités, qui plus est, à précariser l’emploi en leur sein.
Ainsi que le soulignaient les députés communistes et Front de gauche dans le débat précité du 7 novembre 2013 : « il ne s’agit pas ici de demander la fin des appels d’offres ou des marchés publics (…) ni de nier la nécessité d’un contrôle ou d’une évaluation des projets conduits par les associations qui reçoivent des financements publics. Mais il s’agit avant tout de mettre en garde contre le risque de disparition des petites associations qui ne peuvent pas répondre à un appel d’offres, mais qui jouent un rôle essentiel dans le maintien du lien social et le renforcement du vivre-ensemble ».
Il faut aussi se souvenir sur ce point, que la circulaire Fillon de janvier 2010, a accéléré cette marchandisation du tissu associatif en postulant que : « la grande majorité des activités exercées par des associations peuvent être considérées comme des activités économiques. »
Il y a urgence à se poser la question des effets pervers de cette démarche sur la prise en compte de l’intérêt général et du service public, quand les associations sont ainsi confrontées à la pression d’une mise en concurrence généralisée.
Reste la question des Emplois d’avenir. Sceptiques en 2013, pour la moitié d’entre eux, sur leur engagement dans ce dispositif pour cause notamment de visibilité financière non assurée à trois ans, les responsables d’associations redoutent à la fois de ne pas pouvoir « réunir les moyens financiers complétant les aides proposées » et de ne pas « pouvoir pérenniser l’emploi » créé. Sachant en outre que la vie associative demande aussi de pouvoir s’appuyer sur des compétences élevées que le statut des Emplois d’avenir ne permet pas d’envisager.
L’emploi associatif est donc un enjeu dominant et, davantage même qu’un enjeu, un vivier quand seulement 166 000 associations sur 1,3 million ont aujourd’hui un ou des salariés.
« Toute association peut potentiellement devenir ou être une structure employeur » peut-on lire dans le Guide méthodologique édité en novembre 2013 pour « l’Accompagnement des petites et moyennes associations employeurs » par un collectif fédérant : l’Avise, Chorum, le Crédit Coopératif, CPCA, CNCRES, RNMA, UDES sur la base d’un travail d’expérimentation initié dans quatre « régions » de France : Basse-Normandie, Bretagne-Finistère, Rhône-Alpes et Picardie.
Face à la crise, face au maintien d’un chômage de masse considérable dans notre pays, pour relever le défi de l’insertion des générations montantes par l’emploi et celui de la citoyenneté, il est essentiel que la Représentation nationale se penche sur les difficultés et l’avenir du tissu associatif français.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
En application des articles 137 et suivants du Règlement, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’étudier les difficultés du monde associatif dans la période de crise actuelle, de proposer des réponses concrètes et d’avenir pour que les associations puissent assurer leurs missions, maintenir et développer les emplois liés à leurs activités, rayonner dans la vie locale et citoyenne et conforter le tissu social.
© Assemblée nationale