N° 1759
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 février 2014.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Messieurs
Dino CINIERI, Damien ABAD, Éric STRAUMANN, Jérôme CHARTIER, Michel TERROT, Paul SALEN, Marc LE FUR, Lionnel LUCA, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Fernand SIRÉ, Jean-Claude MATHIS, Dominique DORD, Martial SADDIER, Thierry MARIANI et Pierre MOREL-A-L’HUISSIER,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L’article 6 et l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fait partie de nos textes constitutionnels, donnent le pouvoir au citoyen, à côté des parlementaires de faire la loi, y compris la loi fiscale. L’article 6 déclare en effet que : « la loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ». L’article 14 donne les mêmes pouvoirs aux citoyens, ou à leurs représentants en matière de loi fiscale.
225 ans plus tard, ces textes ne sont toujours pas appliqués à la lettre. Certes, nos représentants votent les lois mais tous les autres citoyens restent exclus du processus. Les sondages montrent que l’opinion fait de moins en moins confiance à la classe politique et qu’un fossé dangereux apparaît entre cette dernière et les citoyens.
Il est par conséquent indispensable de combler ce fossé en permettant au référendum d’initiative populaire de compléter le travail effectué par les parlementaires.
Il en est de même à l’échelle locale où les citoyens devraient pouvoir voter des textes portant sur la gestion des affaires locales au niveau régional, départemental et communal. Ainsi, les citoyens pourraient contester les décisions d’un conseil élu et les porter devant le référendum. Cela favoriserait le dialogue entre les élus et leurs administrés.
Le référendum d’initiative populaire qui caractérise la démocratie directe n’est pas un instrument tourné contre les assemblées parlementaires mais contre l’influence excessive des « antichambres » de la bureaucratie ou des intérêts catégoriels très organisés. Il peut aider les élus à conserver leur indépendance face à ces intérêts organisés en s’appuyant sur le peuple, c’est-à-dire sur la majorité des citoyens non organisée en groupes d’intérêts.
La démocratie directe complète la démocratie parlementaire dans de nombreux pays, et avec de bons résultats comme la Suisse et le Liechtenstein qui sont parmi les plus riches et les plus libres du monde. Le référendum d’initiative populaire existe également dans plus de la moitié des états fédérés dont certains très grands et peuplés comme la Californie (près de 40 millions d’habitants). Il est également utilisé en Allemagne depuis la réunification, au niveau communal et au niveau de tous les états fédérés, les Länder, sans exception. Il existe enfin depuis 1974 en Italie aux niveaux national et local.
Dans tous ces pays, dont certains ont une expérience plus que séculaire (Suisse, États-Unis), la démocratie directe donne de bons résultats. Des études comparatives montrent que les impôts et les dépenses publiques sont 30 % plus faibles et la dette publique 50 % plus faible là où il y a des procédures de démocratie directe. Le référendum permet aux élus d’être confortés par les citoyens pour réduire la dépense publique excessive.
Dans d’autres domaines, notamment sur les sujets sociétaux, la démocratie directe permet de voter des lois conformes aux désirs de la majorité des citoyens, et non sur la seule base de l’avis d’experts et de bureaucrates.
Il est temps aujourd’hui de modifier la Constitution en introduisant le référendum d’initiative populaire pour rattraper le retard démocratique que nous avons sur la Suisse, les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie, voire l’Uruguay et la Lituanie. Cette réforme fut déjà suggérée dans de précédentes législatures, notamment avec la proposition de loi du 22 juin 1983 au Sénat de Charles Pasqua, ou la proposition de loi du 11 juin 1987 d’Yvan Blot à l’Assemblée nationale.
Toutefois, depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, il est nécessaire de réécrire ces propositions compte tenu du texte actuel de la Constitution. La réforme précitée est partie d’une bonne intention de permettre à des parlementaires et des citoyens de proposer une loi mais elle est a été rédigée en méconnaissance des expériences étrangères. En exigeant plusieurs millions de signatures, le texte ne donne aucune chance à une proposition de passer. Déjà la règle italienne des 500 000 signatures est sévère.
Actuellement, si le Parlement met en discussion cette proposition, il n’y a pas de référendum. En Allemagne, si le Parlement d’un Land adopte la proposition d’initiative populaire, il n’y a pas de référendum.
Enfin, il n’est pas bon que la mise aux voix dépende du bon vouloir du Président de la République. Car alors le référendum prend un aspect plébiscitaire et le citoyen ne sait plus s’il vote pour ou contre le Président ou pour ou contre le texte. Il faut, pour protéger le Président tout en affirmant les droits politiques des citoyens, que le référendum soit obligatoire à la seule condition du nombre de signatures requis.
Ainsi, la présente proposition de loi constitutionnelle a pour but de déverrouiller la procédure inutilisable de l’actuel article 11, alinéas 3 et 5.
D’après un sondage Ifop pour l’Observatoire de la Fiscalité et des Finances Publiques, en date de mars 2011, 7 Français sur 10 déplorent que leurs dirigeants ne les consultent pas par la voie du référendum. Ils souhaiteraient pouvoir en prendre eux-mêmes l’initiative plus facilement, en assouplissant les conditions d’organisation du référendum d’initiative populaire, à l’instar de ce qui se passe chez nos voisins suisses.
C’est pourquoi l’article premier de la présente proposition de loi prévoit, à la lumière du droit comparé et des institutions étrangères dont la pratique est éprouvée, l’institution d’un « frein » et d’un « moteur » destinés à améliorer le processus législatif actuel.
Le « frein » est le référendum d’initiative populaire proposé au premier alinéa de l’article premier. Il donne un droit de veto facultatif au peuple sur les lois qui viennent d’être votées par le Parlement. Une pétition de 500 000 citoyens, comme en Italie, peut proposer un référendum contre un texte de loi qui vient d’être voté. Selon le vote du peuple par référendum, la loi est confirmée ou annulée. Ce système est très utilisé en Suisse, en Italie et en Allemagne et donne des résultats satisfaisants.
Le « moteur » est une pétition de 800 000 citoyens électeurs pour présenter un nouveau texte législatif. Si ce texte modifie la Constitution, un million de signatures est requis. Le texte ne peut être soumis au référendum qu’après un avis du Parlement. Si le Parlement rédige un contre-projet, celui-ci est soumis en même temps que le projet populaire initial au vote référendaire par le président de la République. Ce système est très utilisé en Suisse et dans les états fédérés des États-Unis d’Amérique (27 États sur 50).
L’article 2 vise la mise en place d’un mécanisme analogue de référendums d’initiative populaire dans les régions, les départements et les communes. Il renvoie les détails du dispositif à une loi organique.
Tel est, Madame, Monsieur, l’objet de la présente proposition de loi constitutionnelle que nous vous demandons de bien vouloir adopter.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
I. – Le troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution de la République française du 4 octobre 1958 est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les lois ne peuvent être promulguées par le Président de la République qu’après un délai de trois mois pendant lequel une demande de référendum par pétition peut être effectuée par 500 000 citoyens inscrits sur les listes électorales. Le Président de la République soumet alors ce texte au référendum. La pétition est adressée au Président de la République et doit porter sur un objet unique.
« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’une pétition de 800 000 électeurs adressée au Président de la République. Cette initiative populaire prend la forme d’une proposition de loi portant sur un objet unique. Le Gouvernement et le Parlement donnent leur avis sur ce texte dans un délai fixé par une loi organique. Le Parlement peut proposer dans son avis un contre-projet. Dans un délai de trois ans à compter du dépôt de cette proposition à la présidence de la République, le Président de la République soumet au référendum cette proposition et l’éventuel contre-projet proposé par le Parlement.
« Si la pétition mentionnée au paragraphe précédent porte sur une révision de la Constitution, la pétition doit comprendre un million de signatures de citoyens inscrits sur les listes électorales. »
II. – Le cinquième alinéa du même article est abrogé.
Le deuxième alinéa de l’article 72 de la Constitution est rédigé comme suit :
« Ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et par des référendums d’initiative populaire, dans des conditions prévues par la loi. Une loi organique fixe les règles du référendum veto et de l’initiative populaire aux niveaux de la région, du département et de la commune. »
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