N° 1779
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 février 2014.
PROPOSITION DE LOI
relative à l’accueil et à la prise en charge des
mineurs isolés étrangers,
(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. François SAUVADET,
député.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La France, comme d’autres pays européens et développés (États-Unis, Canada, Australie), est confrontée à un phénomène migratoire particulier, devenu perceptible à la fin des années 1990 et qui ne cesse de s’amplifier : l’arrivée sur le territoire national de mineurs isolés étrangers en situation irrégulière. Les statistiques sont lacunaires. Il n’existe pas de système fiable.
Selon les évaluations disponibles, inévitablement approximatives, le nombre de « mineurs isolés étrangers » (MIE) actuellement présents sur le sol français serait de l’ordre de 8 000. Les flux annuels d’arrivées seraient d’environ 4 0001.
En application de la Convention internationale des droits de l’enfant, du droit européen relatif à l’asile, à l’immigration et à la traite des êtres humains et du droit national, les mineurs isolés étrangers doivent être accueillis sur le territoire national2 et protégés.
Depuis l’origine, l’accueil et la prise en charge des mineurs isolés étrangers ont été pour l’essentiel assurés par les conseils généraux, dans le cadre de la protection de l’enfance.
Cette pratique a été implicitement confirmée par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance qui a précisé, à l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles (CASF), que « la protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leurs familles et d’assurer leur prise en charge. ». Disposition qui a été interprétée – de manière extensive – par l’État comme justifiant la prise en charge des mineurs isolés étrangers par les conseils généraux dès leur arrivée ou leur repérage sur le territoire.
La situation qui en résulte n’est pas du tout satisfaisante.
D’une part, parce que l’État ne peut se désintéresser du phénomène des mineurs isolés étrangers, qui relève directement de ses compétences régaliennes et appelle un traitement national.
Comme le soulignait très bien le rapport de la sénatrice Mme Isabelle Debré3, « l’État est concerné au titre de la maîtrise des flux migratoires, la lutte contre l’immigration clandestine et les trafics d’êtres humains, la justice des mineurs. ». Ajoutons que c’est l’État qui est comptable du respect des engagements internationaux auxquels la France est partie et que lui seul peut agir aux niveaux international et européen, ou dans le cadre de la coopération bilatérale avec les pays sources.
D’autre part, parce que, du fait de sa carence, les départements assument seuls une charge très lourde et qui devrait relever de la solidarité nationale. Quels que soient le dévouement et la compétence des personnels de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et la priorité accordée par les conseils généraux à la protection de l’enfance, ils n’en ont pas les moyens.
Les services de l’ASE, qui fonctionnent généralement à la limite de leurs capacités, ne sont pas armés pour la prise en charge très complexe des MIE, très éloignée de leurs missions habituelles et qui les désorganise au point de compromettre l’action éducative dont ils ont la charge.
Ils sont en particulier dépourvus des instruments et informations nécessaires pour reconstituer l’identité et le parcours de ces jeunes, le plus souvent non francophones, pour rechercher leurs familles, faire un bilan complet de leur situation (juridique, sanitaire, psychologique, scolaire, etc.) et ils n’ont pas toujours accès localement aux interprètes, aux concours et aux expertises dont ils auraient besoin.
De plus, ils ont souvent l’impression d’être instrumentalisés par les filières d’immigration clandestine et ils savent que les efforts qu’ils déploient risquent de rester vains, en cas de fugue ou lorsque les jeunes qu’ils accueillent ne peuvent, une fois majeurs, obtenir la régularisation de leur situation.
La récente circulaire du ministère de la justice relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers4 n’apporte aucun commencement de réponse aux multiples questions que pose l’accueil des MIE.
Elle se borne à accorder, pendant un délai extrêmement bref, une contribution financière forfaitaire de l’État à la procédure d’évaluation des MIE, évaluation qu’elle restreint d’ailleurs à la validation de leur minorité et de leur état d’isolement, et à organiser la répartition des MIE pris en charge entre tous les départements.
Elle ne pourra ainsi qu’aggraver le problème, dans la mesure où cette singulière péréquation géographique rendra plus difficile encore, du fait de leur dispersion, d’assurer une prise en charge de qualité des MIE, et de mobiliser les compétences pluridisciplinaires qu’elle exige.
On peut en outre s’interroger sur le rôle excessif que cette circulaire donne au Parquet, sur son silence sur le respect des droits des MIE, et relever que ce curieux « placement-répartition » ne semble pas, comme l’exigent la Convention internationale des droits de l’enfant et le droit national, faire passer « l’intérêt supérieur de l’enfant » avant toute autre considération.
En fait, on ne peut reconnaître que deux mérites à la démarche entreprise par le Gouvernement :
– celui de faire justice de la fiction selon laquelle la prise en charge des MIE par les départements procéderait du souci de traiter également tous les enfants en danger, nationaux ou non : on n’imagine pas, en effet, qu’une semblable péréquation s’applique à la prise en charge des jeunes nationaux ;
– celui d’avoir mis en évidence, dès ses premiers mois d’application, la sous-estimation considérable des flux : le nombre des MIE faisant l’objet de la procédure en 2013 pourrait dépasser 2 5005, au lieu des 1 500 annoncés.
Ce qui est une raison supplémentaire pour tenter d’apporter, enfin, une réponse de fond au problème de l’accueil et de la prise en charge des mineurs isolés étrangers.
À cette fin, il est indispensable, en premier lieu, de rétablir l’État dans ses responsabilités en le chargeant, comme l’ont d’ailleurs proposé tous les rapports sur le sujet6, d’organiser, au niveau régional ou interrégional selon l’importance des besoins locaux, l’accueil et l’évaluation de tous les mineurs isolés étrangers repérés (par les services de police, par les maraudes d’associations…) ou qui se sont présentés d’eux-mêmes à l’ASE ou à une association.
Le dispositif à mettre en place devrait assurer l’hébergement des jeunes se présentant comme mineurs isolés étrangers mais surtout réunir, grâce au concours des services compétents de l’État, tous les moyens nécessaires pour établir leur identité, leur état de minorité et d’isolement, pour procéder, aussi, à un bilan complet de leur situation et pouvoir leur proposer soit un retour dans leur famille ou leur pays d’origine, soit une aide à la définition d’un projet personnel.
Les résultats de cette évaluation seraient transmis au juge des enfants.
En deuxième lieu, l’État devrait aussi assumer la prise en charge financière des MIE confiés par décision de justice, à l’issue de la phase d’évaluation, à l’ASE ou à une structure privée habilitée ou agréée. Il paraît en effet plus digne de recourir à la solidarité nationale que d’organiser la distribution des MIE sur tout le territoire pour tenter d’équilibrer les charges indûment et inégalement supportées par les seuls départements.
En troisième lieu, enfin, il convient de compléter ce dispositif en créant un fichier national des MIE accueillis sur le territoire, afin de mieux évaluer leur nombre et de permettre un suivi des prises en charge. Il est fréquent en effet que les mineurs isolés étrangers soient repérés et pris en charge plusieurs fois, soit après avoir fugué, soit parce que leur minorité n’a pas été reconnue et qu’ils tentent leur chance une nouvelle fois, en changeant de département et d’identité.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi, déposée conjointement par le sénateur Jean ARTHUIS au Sénat, et dont le dispositif comporte sept articles.
– L’article 1er complète l’article L. 121-7 du code de l’action sociale et des familles pour inclure dans la liste des dépenses d’aide sociale relevant de la compétence de l’État :
. l’accueil et l’évaluation des mineurs isolés étrangers ;
. les frais de prise en charge des mineurs isolés étrangers confiés à un établissement de l’ASE ou à un établissement habilité.
On rappellera à cet égard que la loi du 5 mars 2007 précitée avait prévu une compensation des dépenses occasionnées aux départements par la réforme de la protection de l’enfance. La volonté du législateur n’avait cependant pas été respectée sur ce point, la mise en place tardive, en 2010, du Fonds national de financement de la protection de l’enfance n’ayant guère correspondu à cette ambition7.
– L’article 2 modifie l’article L. 223-2 du même code, pour redéfinir le rôle des services de l’ASE en matière d’accueil des mineurs isolés étrangers. Rôle qui se limiterait désormais à une mesure de prévention calquée sur la mise à l’abri des jeunes fugueurs. L’ASE pourrait accueillir un jeune étranger en situation de danger ou de risque pendant au plus soixante-douze heures, le procureur de la République étant immédiatement informé. S’il s’avère, pendant ce délai, que l’intéressé n’a pas déjà fait, ailleurs, l’objet d’une procédure d’accueil ou de placement, il sera dirigé par l’autorité judiciaire vers le centre d’accueil territorialement compétent.
– Les articles 3 et 4 apportent des modifications de coordination et de précision aux articles L. 226-3 et L. 228-3 du CASF, pour tenir compte du fait que le département n’aurait plus la responsabilité ni la charge des mineurs isolés étrangers.
– L’article 5 tend à insérer dans le CASF un article L. 345-1-1 (nouveau) relatif aux centres d’accueil et d’évaluation des mineurs isolés étrangers et à leur mission.
Ces centres pourront être soit des centres provisoires d’hébergement dédiés, soit des services ou établissements conventionnés ou habilités par la protection judiciaire de la jeunesse.
La rédaction proposée insiste, conformément à la Convention des droits de l’enfant (articles 7, 8 et 9) et aux orientations privilégiées par l’Union européenne8, sur le caractère primordial de la recherche des familles et de l’exploration des possibilités de retour dans la famille ou le pays d’origine, ce qui, comme la lutte contre les réseaux exploitant les mineurs, suffit à justifier la compétence de l’État.
– L’article 6 propose d’insérer, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, un article L. 611-7-1 (nouveau) permettant, dans le cadre de la loi « informatique et libertés », la réalisation d’un fichier national des MIE accueillis en France, ou des jeunes étrangers s’étant présentés comme tels, afin de mieux cerner ce
phénomène – nécessité européenne autant que nationale –, d’éviter les « doubles comptes » et de suivre le parcours des MIE sur notre territoire.
– Enfin, l’article 7 prévoit un gage financier. Au total, il s’agit de transférer une compétence exercée par les départements vers l’État. En conséquence, les dispositions financières compensatoires devront être réglées selon les usages entre l’État et les collectivités territoriales.
PROPOSITION DE LOI
L’article L. 121-7 du code de l’action sociale et des familles est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« 11° Les frais de prise en charge, dans les centres d’accueil définis à l’article L 345-1-1, des mineurs mentionnés au 1° de l’article L. 511-4 et à l’article L. 521-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
« 12° Les frais de prise en charge des mineurs isolés étrangers confiés, en application d’une mesure judiciaire d’assistance éducative, à un service départemental de l’aide sociale à l’enfance ou à un service ou un établissement habilité pour l’accueil de mineurs. »
Après le cinquième alinéa de l’article L. 223-2 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La procédure prévue à l’alinéa précédent est également applicable en cas de danger immédiat ou de suspicion de danger immédiat concernant un mineur mentionné au 1° de l’article L. 511-4 et à l’article L. 521-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le procureur de la République est informé sans délai. Au terme du délai de soixante-douze heures, si l’intéressé n’a pas fait, antérieurement, l’objet d’une mesure de placement provisoire ou d’assistance éducative, il fait l’objet d’une mesure de placement provisoire dans le centre d’accueil mentionné à l’article L. 345-1-1 dans le ressort duquel est situé le département où il a été trouvé. »
Au début du premier alinéa de l’article L. 226-3 du même code, sont insérés les mots : « Sous réserve des dispositions de l’article L. 345-1-1, ».
Au début du premier alinéa de l’article L. 228-3 du même code, sont insérés les mots : « Sous réserve des dispositions des 11° et 12° de l’article L. 127-7, ».
Après l’article L. 345-1 du même code, il est inséré un article L. 345-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 345-1-1. – Au niveau régional ou interrégional, au moins un centre provisoire d’hébergement mentionné à l’article L. 345-1, ou un service ou établissement conventionné ou habilité par la protection judiciaire de la jeunesse, reçoit compétence pour accueillir, héberger et accompagner, sur décision judiciaire de placement provisoire, les mineurs mentionnés au 1° de l’article L. 511-4 et à l’article L. 521-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
« Dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État, ces centres d’accueil ont pour mission de mettre en œuvre des procédures d’investigation, d’évaluation et d’orientation afin :
« – de déterminer l’identité, le statut et la situation des jeunes étrangers ;
« – de rechercher leurs familles et d’étudier les possibilités de retour dans leur pays d’origine ou au sein de leur famille ;
« – de définir, lorsque la situation des intéressés justifie leur maintien sur le territoire national, les conditions de prise en charge adaptées à leur cas.
« Les informations recueillies sont communiquées sans délai à l’autorité judiciaire. »
Après l’article L. 611-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 611-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 611-7-1. – Afin de mieux assurer la protection des mineurs mentionnés au 1° de l’article L. 511-4 et à l’article L. 521-4, les empreintes digitales ainsi qu’une photographie des jeunes étrangers invoquant le bénéfice de ces dispositions peuvent être relevées, mémorisées et faire l’objet d’un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les informations enregistrées, leur durée de conservation et les conditions de leur mise à jour, les catégories de personnes pouvant y accéder et les modalités d’habilitation de celles-ci ainsi que, le cas échéant, les conditions dans lesquelles les personnes intéressées peuvent exercer leur droit d’accès. »
Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
1 Comme on le verra infra, cette estimation semble très largement dépassée. Une première enquête de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse évaluait, en 2000, à 2 700 le nombre de MIE connus de l’autorité judiciaire. Selon une enquête menée ensuite par l’IGAS, environ 3 100 MIE avaient été accueillis, en 2003, dans une soixantaine de départements, et un peu plus de 2 300 pendant les neuf premiers mois de 2004 (source : IGAS, rapport de la mission d’analyse et de proposition sur les conditions d’accueil des mineurs étrangers isolés en France, n° 2005-010, janvier 2005).
2 Selon le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ils ne peuvent faire l’objet ni d’une obligation de quitter le territoire français (article L. 511-4), ni d’une mesure d’expulsion (article L. 521-4).
3 « Les mineurs isolés étrangers en France », rapport de mission de Mme Isabelle Debré, sénateur des Hauts-de-Seine (2010).
4 Circulaire JUSF1314192C du 31 mai 2013.
5 Ce qui, selon l’Association des départements de France, correspondrait à un flux de 7 500 arrivées de jeunes se présentant comme mineurs isolés.
6 Rapport du groupe de travail présidé en 2003 par le préfet Bertrand Landrieu, rapports précités de l’IGAS en 2005, de Mme Isabelle Debré en 2010.
7 Le « rapport Debré » avait suggéré de créer au sein de ce fonds un fonds d’intervention destiné aux départements particulièrement confrontés à l’accueil des MIE : cette proposition n’a malheureusement pas eu de suite.
8 Cf. le Plan d’action pour les mineurs non accompagnés (2010-2014), communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, COM (2010)213 final.
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