N° 1878
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 avril 2014.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
relative au maintien d’une administration et de politiques publiques dédiées aux Français rapatriés d’outre-mer
pour prendre en compte leurs ultimes et légitimes attentes,
présentée par
M. Élie ABOUD,
député.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Plus de cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie, la France et l’Algérie ont décidé de rénover leur dialogue en établissant entre les deux pays des relations privilégiées, lucides et apaisées.
Si le partenariat franco-allemand est décisif pour la construction de l’Europe, l’axe Paris-Alger est fondamental pour l’édification d’un espace méditerranéen de prospérité partagée, de paix, de sécurité et de démocratie. La Méditerranée est un enjeu économique majeur qui concentre 40 % du tourisme mondial et où transite plus du tiers du trafic mondial de marchandises. La France demeure le premier fournisseur et le quatrième client de l’Algérie. La présence française enregistre, cependant, une décélération depuis 2000. Notre pays doit donc rechercher de nouveaux vecteurs de croissance par la mise en œuvre de partenariats novateurs avec le sud de la méditerranée. De son côté, l’Algérie est amenée à se doter d’une véritable stratégie de développement et d’institutions économiques modernes en séparant les fondements de sa croissance économique des aléas du marché pétrolier.
Il va de soi que, dans les relations interétatiques, le facteur humain est prépondérant. La période française en Afrique du Nord, particulièrement en Algérie, a permis de mêler des peuples, des cultures et des langues et par suite de tisser des liens indissociables qui transcendent les drames multiples nés de la guerre d’indépendance lesquels ont meurtri les deux peuples.
Les rapatriés, qui ont une connaissance intime de la culture et des potentialités humaines et économiques de l’Algérie, ne peuvent qu’adhérer au partenariat franco-algérien. Lorsqu’eux ou leurs enfants se rendent en Algérie, ils rencontrent un accueil chaleureux des habitants de ce pays.
C’est dans ce contexte qu’a l’occasion d’une visite du chef de l’État français a été signée à Alger, par les deux Présidents de la République, le 19 décembre 2012, la Déclaration sur l’amitié et la coopération entre la France et l’Algérie qui dans son préambule stipule : « les deux parties partagent une longue histoire et ce passé a longtemps alimenté entre nous des conflits mémoriels auxquels il est nécessaire de mettre un terme [et] pour cela regarder le passé en face, ensemble, avec lucidité et objectivité… La France et l’Algérie ont noué des liens humains, affectifs et culturels d’une exceptionnelle intensité dans tous les domaines… ». A également été souscrite une déclaration conjointe pour un partenariat industriel et productif. Pour la mise en œuvre de ces accords novateurs, un haut responsable français à la coopération industrielle et technologique franco-algérienne a été nommé par le gouvernement. Une désignation analogue est intervenue en Algérie. En un an, des résultats concrets ont été obtenus. Une dizaine d’accords ont été conclus lors du 1er comité intergouvernemental franco-algérien de haut niveau du 16 décembre 2013 et du 3ème forum franco-algérien de la recherche et de l’enseignement supérieur des 20 et 21 janvier 2014. Ils portent sur la formation, la normalisation, le calcul haute performance et la simulation numérique.
Dans le même temps, une des composantes humaines des relations franco-algériennes, et plus largement entre Paris et des territoires antérieurement français, s’interroge sur sa place dans la communauté nationale, les politiques et institutions publiques. Il s’agit des Français qui ont dû dans l’urgence et le désarroi quitter ces territoires.
En effet, la décolonisation et les changements profonds qui se sont accomplis dans les pays qui étaient autrefois placés sous l’autorité de la France ont conduit près de 1 500 000 personnes – la plupart en moins de deux ans – à venir se fixer en France. Entre 1956 et 1961 inclus, 498 000 rapatriés ont été accueillis provenant essentiellement de l’Afrique du Nord (462 000) et de l’Indochine (27 000). Les années 1962 et 1963, à elles seules, ont vu le retour massif de la très grande majorité des Français d’Algérie (772 600). Ces chiffres permettent de mesurer le poids du rapatriement. Ils mettent également en exergue la place particulière qu’occupent les rapatriés d’Afrique du Nord et singulièrement ceux d’Algérie. Leur nombre et la concentration massive des retours sur une courte période donnent la mesure de la tragédie vécue par des dizaines de milliers de familles.
Ces éléments permettent également de mesurer l’ampleur des moyens qu’il a fallu mobiliser pour assurer l’accueil de ces familles. Face à cette situation, et compte tenu du dénuement quasi total dans lequel se trouvaient la plupart des rapatriés d’Algérie, l’important était d’abord de les accueillir et d’assurer la satisfaction de leurs besoins vitaux. Les prestations d’accueil ont été ainsi accordées à 350 000 familles, soit plus de 80 % des familles rapatriées.
Des mesures plus structurelles ont été ensuite mises en place progressivement par les pouvoirs publics, au titre de la solidarité nationale. Un ensemble de mesures a permis de faire face à l’endettement des rapatriés réinstallés dans des activités non-salariés. Faute pour les Français rapatriés d’avoir obtenu « l’indemnisation équitable » prévue par les accords d’Évian, le législateur est également intervenu à plusieurs reprises, à partir de 1970, pour mettre en place un dispositif particulier d’indemnisation des biens spoliés. Le principe en avait été arrêté à l’article 4 de la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961. Des mesures ont également été prises pour garantir aux Français rapatriés d’outre-mer des pensions de retraite suffisantes. Enfin, des mesures ont enfin été mises en place pour les harkis et leurs familles (allocation de reconnaissance et dispositifs sociaux).
Au-delà des réparations matérielles, la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 a permis de témoigner aux Français rapatriés la reconnaissance de la Nation et de leur rendre, ainsi qu’à leurs familles, solennellement hommage.
Malgré cette intervention dont on ne peut contester ni l’ampleur, ni la légitimité, les rapatriés se sont souvent sentis incompris, rejetés, d’autant plus que les tensions enregistrées dans l’opinion publique par la guerre d’Algérie dressaient contre eux une partie de leurs concitoyens métropolitains.
Deux sujets en attestent plus particulièrement.
Tout d’abord, le retard à mettre en place les mesures indemnitaires, notamment celle des biens spoliés. C’est le résultat des controverses toujours en cours sur la légitimité de la colonisation française, les circonstances de l’indépendance algérienne, l’assimilation abusive des rapatriés au gros colonat agricole au niveau des revenus et du patrimoine. Même si la réinsertion professionnelle s’est réalisée, il existe encore une centaine de réinstallés dans une profession non-salariée qui, notamment, en raison de l’âge, sont en situation de détresse sociale.
Ensuite, le désarroi des harkis et de leurs familles. Il a eu pour origine leur accueil en France souvent expéditif et sans fraternité qui a largement contribué à leur isolement économique, social et culturel, à celui de leurs enfants, et qui s’ajoute au traumatisme né des massacres d’anciens supplétifs de l’armée française après l’indépendance.
S’additionnent à ces malaises ressentis par la population concernée, que le temps n’a pas vraiment atténués, le souci pour les familles de retrouver les traces d’environ 2 000 personnes européennes disparues en Algérie, surtout en 1962, et le devenir des 600 cimetières et 400 000 tombes qui s’y trouvent.
Enfin les Français d’Afrique du Nord et leurs enfants qui constituent une communauté historiquement identifiée ne veulent pas être expurgés de la mémoire nationale alors qu’eux et leurs ascendants sont les co-auteurs de la francophonie, notre langue comportant 220 millions de locuteurs dans les cinq continents.
Dans ce contexte, si les rapatriés adhérent au renouveau des rapports entre les deux rives de la méditerranée, ils constatent qu’au moment même où ce renouveau se déploie, leur existence spécifique se dilue sur le plan des politiques et administrations publiques.
Conformément à une décision du Comité interministériel pour la modernisation de l’État du 11 juillet 2013, la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 a supprimé l’Agence nationale pour l’indemnisation des français d’outre-mer (ANIFOM).
Parallèlement le pouvoir réglementaire abolira la Mission interministérielle aux rapatriés (MIR), service du Premier ministre créé en 2002, succédant à d’autres structures ministérielles ou administratives ayant le même objet qui assuraient, depuis 1962, la conduite nationale des politiques en faveur des Français ayant dû quitter un territoire placé sous la souveraineté, le protectorat, la tutelle ou le mandat de la France.
Certes l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC-VG) récupère les biens, droits et obligations de l’ANIFOM et assurera, par l’intermédiaire des offices départementaux, la gestion des affaires relatives aux rapatriés et anciens combattants harkis. Mais ce nouveau dispositif a pour conséquence de faire disparaitre la référence aux rapatriés, Français d’outre-mer, de toute dénomination ministérielle ou administrative. La population concernée ressent cette absence comme l’oubli des souffrances passées et des difficultés économiques et sociales que certains de ses membres ou leurs descendants rencontrent encore.
En outre, un rapport gouvernemental remis au Parlement en juin 2013 laisse peser une incertitude sur la nature et l’importance des mesures qui permettraient de clôturer définitivement le dossier des conséquences du rapatriement. Alors que ce rapport fait le bilan des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics depuis la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961 relative à l’accueil et des Français d’outre-mer, notamment en matière d’indemnisation des biens spoliés en Afrique du Nord, n’est pas abordé le taux de prise en charge des dépossessions résultant des trois lois d’indemnisation (celles du 15 juillet 1970, 2 janvier 1978 et 16 juillet 1987), quitte à se borner à un simple constat en la matière.
Pourtant, selon l’ANIFOM elle-même, établissement public de l’État, l’indemnisation n’a compensé que 58 % des préjudices subis en moyenne, les 42 % complémentaires ne pouvant être obtenus de l’Algérie qui refuse d’appliquer les accords d’Évian ratifiés par le référendum d’autodétermination des Algériens du 1er juillet 1962.
En l’espèce, la France a légiféré au titre de la solidarité nationale, l’indemnisation étant allouée par elle comme « avance sur les créances détenues à l’encontre des États étrangers ou des bénéficiaires de la dépossession » (loi du 15 juillet 1970).
Comme l’énonce le Conseil Économique et Social, dans un avis du 19 décembre 2007, un complément d’indemnisation ne peut être réclamé que par référence aux accords d’Évian dans le cadre d’une négociation avec l’Algérie en veillant au caractère serein et objectif d’une telle démarche, cet état d’esprit imprégnant maintenant la déclaration sur l’amitié et la coopération entre la France et l’Algérie du 19 décembre 2012.
Le renouveau des rapports franco-algériens est bienvenu et indispensable. Pour que ce nouvel élan résolve toutes les fractures passées et soit soutenu par tous les Français, doivent être prises en compte les attentes légitimes encore exprimées par les Français rapatriés d’outre-mer et leurs enfants.
Tel est le sens de la présente proposition de résolution que je vous demande d’adopter.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34-1 de la constitution,
Vu l’article 136 du règlement,
Considérant que l’indispensable renouveau des relations franco-algériennes doit être salué ;
Considérant qu’il ne doit pas occulter mais, au contraire, permettre la solution des problèmes non encore résolus des Français rapatriés d’outre-mer ;
Considérant que les attentes des Français rapatriés d’outre-mer justifient aujourd’hui encore le maintien d’une administration et de politiques publiques qui leurs soient dédiées ;
1. Souhaite que l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre prenne le titre d’Office national des anciens combattants, des victimes de guerre et des Français rapatriés d’outre-mer et que son conseil d’administration comporte un collège ou un sous-collège représentant les Français rapatriés d’outre-mer ;
2. Estime souhaitable que cet établissement public poursuive son action sociale destinée aux harkis en tant qu’anciens combattants ou à leurs veuves, prenant, notamment, la forme de secours et qu’un effort de même nature soit entrepris en direction des réinstallés dans une profession non salariée en situation de détresse sociale ;
3. Souhaite que l’État continue à agir avec détermination et tant que cela sera nécessaire en faveur de ceux des enfants d’anciens supplétifs qui sont encore à la recherche d’un emploi stable ou d’une formation ;
4. Souhaite que soient facilitées les recherches aux personnes d’origine européenne disparues en Algérie, surtout en 1962, et présumées décédées ;
5. Prend acte de ce que les mesures successives de solidarité nationale financées par l’impôt qui n’avaient pas vocation à rembourser intégralement les biens perdus après l’indépendance de l’Algérie et d’autres territoires ont représenté, en moyenne, 58 % des préjudices subis ;
6. Émet le vœu que soit recherché avec l’Algérie les moyens de clôturer le dossier de l’indemnisation dans le respect mutuel, le discernement et la modération.
© Assemblée nationale