N° 1902
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 avril 2014.
PROPOSITION DE LOI
visant à assouplir la procédure de modification des limites régionales en vue d’inclure un département dans une région
qui lui est limitrophe,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Paul MOLAC, François de RUGY, Éric ALAUZET, Brigitte ALLAIN, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, François-Michel LAMBERT et Noël MAMÈRE,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi vise à assouplir la procédure prévue dans le code général des collectivités territoriales concernant la modification des limites régionales visant à inclure un département dans une région qui lui est limitrophe.
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Le 14 janvier dernier, le Président de la République François Hollande, a décidé de rouvrir le débat sur l’organisation administrative de la France, en concédant qu’il souhaiterait voir le nombre de régions réduites. Lors de son discours de politique générale du 8 avril 2014, le Premier ministre Manuel Valls a confirmé cette volonté du Gouvernement en souhaitant une réduction de moitié du nombre de régions. Si l’on peut estimer que la taille des régions ne doit pas être le critère essentiel d’un redécoupage, il est cependant nécessaire de revoir les limites de certaines d’entre elles afin qu’elles recouvrent davantage les territoires vécus et ainsi renforcer leur cohésion et leur dynamisme.
Il ne s’agirait donc pas uniquement de fusionner des régions entre elles, mais bien plus d’en modifier les limites territoriales en y incorporant un ou plusieurs départements qui n’en sont pas actuellement membres. La ministre de la Décentralisation, de la Réforme de l’État et de la Fonction publique Marylise Lebranchu, avouait elle-même le 10 avril 2014 que « fusionner certaines régions n’a pas de sens, il va falloir peut-être redécouper des régions à la place ». Cela impliquerait donc qu’un certain nombre de départements puissent rejoindre une autre région que celle qui est la leur actuellement.
Sur la méthode annoncée par le Premier ministre Manuel Valls, il s’agit selon lui « de faire confiance à l’intelligence des élus. Les régions pourront donc proposer de fusionner par délibérations concordantes. En l’absence de propositions, après les élections départementales et régionales de mars 2015, le Gouvernement proposera par la loi une nouvelle carte des régions. Elle sera établie pour le 1er janvier 2017. »
L’objet de cette proposition de loi est donc de répondre à cette volonté de prise en charge par les élus et les populations concernées du remodelage de la carte administrative française en assouplissant la procédure concernant la modification des limites régionales en vue d’inclure un département dans une région qui lui est limitrophe.
En ce sens, cette proposition de loi répond également à un besoin démocratique exprimé par nos concitoyens qui désirent être partie prenante des processus de décision visant à remodeler la carte des collectivités locales, afin d’éviter qu’une nouvelle fois ne soit imposés par des décisions technocratiques des territoires ne correspondant pas aux aspirations de la population.
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Il convient alors de relever que la modification du code général des collectivités territoriale contenue dans cette proposition de loi répondrait tout particulièrement à une demande maintes fois exprimée en Bretagne en faveur de l’intégration de la Loire-Atlantique à sa région originelle. Cette demande s’est majoritairement exprimée de plusieurs manières au cours des dernières décennies : les manifestations populaires ayant parcouru les rues de Nantes et d’autres villes de Loire-Atlantique ; les sondages d’opinions qui les uns après les autres montrent une forte volonté d’une réunification de la Bretagne ; ou bien encore les vœux des collectivités territoriales dans l’ensemble de la Bretagne à cinq départements.
Ainsi, dès 1976, 7 000 manifestants défilaient dans les rues de Nantes, tandis qu’ils étaient près de 10 000 le 20 septembre 2008, démontrant au fil des années l’importance et la persistance du mouvement populaire. Une autre mobilisation d’importance était à prévoir ce 19 avril 2014 dans les rues de Nantes. Il s’agit d’ailleurs jusqu’à présent de la seule mobilisation d’une telle ampleur à avoir été prévue sur le territoire français concernant les redécoupages, signe de la vigueur de cette revendication. On notera également que le collectif 44=BREIZH avait organisé, il y a tout juste un an, une votation citoyenne sur cette question dans le centre-ville de Nantes qui, sans moyens de communication, a vu une participation de plus de 700 personnes, témoignant du besoin d’expression démocratique d’une partie de la population.
Ce soutien populaire exprimé de manière citoyenne se retrouve également dans les sondages d’opinion, dont le dernier, effectué par l’Institut LH2 et rendu public le 10 avril 2014, a montré que les habitants de la région Bretagne souhaitent la réunification à 57 %, contre 35 % qui y sont défavorables. Les habitants de la Loire-Atlantique sont quant à eux 63 % à s’y montrer favorables. Par rapport aux études précédentes, notamment celle de TMO de décembre 2013 alors que le débat n’avait pas encore été porté sur la scène nationale, les pro-réunification seraient de plus en plus nombreux en Loire-Atlantique où l’on comptait 60 % d’opinions favorables, tandis qu’ils étaient 55 % en 2006. L’évolution des sondages sur la région Bretagne montre quant à eux la constance d’un soutien largement majoritaire à la réunification. Notons par ailleurs, que 90 % des habitants de la région Bretagne sont contre la disparition de leur région selon le sondage LH2 précité.
L’ensemble de ces expressions de soutien à une intégration de la Loire-Atlantique à la Bretagne trouve des répercussions concrètes au sein des collectivités territoriales de Bretagne, dont le nombre de vœux en faveur de la réunification témoigne de l’intérêt des pouvoirs publics locaux à se faire les relais de la revendication de la population. La dernière prise de position notable date du 8 février 2014, lorsque le Conseil régional de Bretagne vota à l’unanimité un vœu qui « réitère l’adhésion au principe de la réunification administrative de la Bretagne, par le rattachement du département de la Loire-Atlantique ». Ce vœu fait suite à de nombreux vœux et résolutions relatifs au processus de réunification administrative de la Bretagne. Rappelons ainsi que le 22 juin 2001 pour le Conseil général de Loire-Atlantique et les 2 juillet 2001, 8 octobre 2004, 24 octobre 2008 et 25 juin 2010 pour le Conseil régional de Bretagne, ces deux institutions se sont toutes deux prononcées pour l’intégration de la Loire-Atlantique.
Par ailleurs, selon l’association Bretagne réunie, ce sont 548 communes sur 1 491 (soit 36,75 % du total sur les cinq départements bretons) qui ont voté sur plusieurs mandatures, parfois au travers de leur établissement public de coopération intercommunale, des vœux, motions, résolutions, actes de soutien, ou ont signé la Charte des Élus pour la réunification de la Bretagne.
Ajoutons à cela le soutien des milieux culturels et économiques, dont celui de l’association Produit en Bretagne qui regroupe 300 entreprises bretonnes des cinq départements employant plus de 100 000 salariés, pour saisir l’étendue de cette demande au sein de l’ensemble des composantes de la société bretonne.
Il est pourtant difficile d’imaginer, malgré un soutien politique et populaire à la réunification jamais démenti, qu’une consultation démocratique n’ait pu encore voir le jour, le code général des collectivités territoriales bloquant tout espoir d’évolution institutionnelle tant les obstacles posés semblent aujourd’hui indépassables.
Certes, comme le notait dans les pages du Télégramme de décembre 2011 le regretté Guy Carcassonne, constitutionnaliste et membre de l’ex-commission Balladur, la loi permet une modification des limites régionales visant à inclure le département dans une région qui lui est limitrophe « mais les trois collectivités (le département et les deux régions) doivent le demander par des délibérations concordantes ». En clair, toute procédure de réunification est soumis à un veto de la région Pays-de-la-Loire.
« Même en admettant que la Bretagne, la Loire-Atlantique et les Pays-de-la-Loire prennent une délibération concordante, il faudrait encore qu’au moins le quart des électeurs inscrits de cette région aillent voter et votent à la majorité absolue pour la réunification », continuait Guy Carcassonne. Le récent cas de consultation de la population alsacienne sur la création d’une collectivité territoriale unique a montré toute la difficulté d’obtenir ce quorum quand bien même les Alsaciens dans leur ensemble se sont exprimés à 57,65 % pour cette option. On voit d’ailleurs mal les électeurs de la Sarthe, du Maine-et-Loire, de la Mayenne et de la Vendée se rendre massivement aux urnes pour un tel référendum. Cette condition de quorum permet d’ailleurs de confier un avantage certains aux défenseurs du statu quo, puisque ceux-ci auront tout intérêt à mobiliser le moins possible afin de voir gagner leur position. On serait alors dans une situation ou des personnalités publiques appelleraient à demi-mot à ne pas se rendre aux urnes, ceux-ci bénéficiant en quelque sorte d’une prime à l’abstentionnisme alors que les scores de participations en baisse constante depuis des années fragilisent gravement notre démocratie.
Guy Carcassonne confirmait alors que la procédure est en l’état inapplicable : « En gros, cela veut dire que quand madame a un amant et souhaite partir avec lui, il faut que monsieur soit d’accord. C’est quand même assez étrange. » En effet, le vote du reste de la population des Pays-de-la-Loire s’apparenterait à une deuxième possibilité de veto, quand bien même la majorité des habitants de la Loire-Atlantique ainsi que de la Région Bretagne se seraient majoritairement prononcés pour.
« Pour sortir de cette impasse, il n’y a qu’une solution : modifier la loi pour faire en sorte que l’accord de deux collectivités suffise : le département demandant à changer de région, et la région d’accueil, en l’occurrence, la Loire-Atlantique et la Bretagne », concluait l’éminent constitutionnaliste. C’est précisément ce que contient cette proposition de loi, tout en maintenant la consultation, mais simplement pour avis, du Conseil régional d’appartenance du département, dans notre exemple, les Pays-de-la-Loire, avec en sus la suppression de la condition de quorum.
En ce qui concerne toujours le cas breton, la levée de ces obstacles législatifs serait le prolongement du dialogue engagé entre l’État et la Bretagne depuis le discours du Premier ministre Jean-Marc Ayrault à Rennes le 13 décembre 2013. La question des limites territoriales est en effet indissociable de la question de l’étendue des pouvoirs des collectivités. Repenser le contour des régions c’est repenser aussi le rôle qu’on leur donne. Car, plus que la taille des régions, c’est le sentiment d’appartenance qui doit guider l’organisation territoriale de la France. La Bretagne est une réalité que nul ne peut ignorer.
Elle est née de la fusion d’un territoire avec des populations diverses mais dont l’histoire et la culture ont constitué un fort socle commun, une réalité humaine et historique. Ce territoire est aujourd’hui divisé depuis le décret du 30 juin 1941, le privant arbitrairement de la Loire-Atlantique. Jamais depuis, la possibilité n’a été donnée aux Bretons de choisir démocratiquement leur cadre de vie, que ce soit lors de la création des établissements publics régionaux en 1972 ou des conseils régionaux en 1982.
Parce que l’on ne saurait répéter les erreurs du passé, il convient de souligner que tout nouveau redécoupage ne peut se faire qu’avec l’assentiment des populations vivant sur les territoires directement concernés. C’est bien là l’objet de cette proposition de loi : permettre une consultation démocratique et équitable des populations et des élus concernés sur l’inclusion d’un département dans une région qui lui est limitrophe.
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L’actuelle rédaction de l’article L. 4122-1-1 est en contradiction avec le principe de non-tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre. Elle permet à la région « d’appartenance » d’interdire au département de changer de région. Or l’article 72 de la Constitution dispose qu’ « aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ». Il n’est fait de dérogation à ce principe que pour « l’exercice d’une compétence » dans le cadre duquel « la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ». La modification des limites territoriales d’une région ou la création d’une collectivité ne relève pas de sa compétence qui est celle du législateur. Un département, qui n’appartient pas à la région dont il forme la composition, ne devrait pas se voir interdire par « sa région d’appartenance » la possibilité de changer de région.
Il existe par ailleurs, une condition de quorum, selon laquelle le projet de modification des limites régionales doive recueillir dans le département et dans chacune des deux régions concernées, l’accord de la majorité absolue des suffrages exprimés, correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart (25 %) des électeurs inscrits. Cette condition de quorum est trop restrictive et ne se retrouve dans aucune élection, ni dans les référendums prévus aux articles 11 et 89 de la Constitution.
Voici donc exposées les raisons pour lesquelles, dans un souci démocratique et d’assouplissement des conditions de consultations, cette proposition a pour objet au travers de son article unique :
- Au 1°, de consulter uniquement pour avis le Conseil régional d’appartenance du département concerné ;
- Au 2°, de consulter uniquement les habitants du département concerné et ceux de la région d’accueil ainsi que de supprimer toute condition de quorum à la validation de la consultation populaire en faveur du changement de région ;
- Au 3°, de prévoir la date d’entrée en vigueur des modifications des limites territoriales ;
- Au 4°, de prévoir le règlement de la question des actifs et du passif réalisés par la région d’appartenance dans le département concerné.
PROPOSITION DE LOI
L’article L. 4122-1-1 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi rédigé :
« I. – Un département et une région qui lui est limitrophe peuvent demander, par délibérations concordantes de leurs assemblées délibérantes, une modification des limites régionales visant à inclure le département dans le territoire de cette région. La demande de modification est inscrite à l’ordre du jour du conseil général, par dérogation aux articles L. 3121-9 et L. 3121-10, et du conseil régional, par dérogation aux articles L. 4132-8 et L. 4132-9, à l’initiative d’au moins 10 % de leurs membres.
« Ce projet de modification des limites territoriales est soumis pour avis au conseil régional de la région sur le territoire de laquelle se trouve ce département. Son avis est réputé favorable s’il ne s’est pas prononcé à l’expiration d’un délai de trois mois suivant la notification, par le représentant de l’État dans la région, des délibérations du conseil régional et du conseil général intéressés. »
2° Après le mot : « département », la fin du premier alinéa du II est ainsi rédigée : « et dans la région dans laquelle le département a demandé à être inclus, l’accord de la majorité absolue des suffrages exprimés. »
3° Le III est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elle intervient au plus tard le premier janvier de l’année du renouvellement des membres des assemblées régionales. »
4° Le même article est complété par un IV ainsi rédigé :
« IV. – Les effets de la modification du territoire sur les actifs et le passif afférent réalisés dans le département concerné par la région dont il dépend avant la modification de la limite régionale sont déterminés par une commission composée de dix élus de chacun des conseils régionaux présidée par les préfets de ces régions et en cas d’impossibilité d’accord par le décret visé au paragraphe III. »
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