N° 2293
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2014.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Éric WOERTH, Damien ABAD, Bernard ACCOYER, Yves ALBARELLO, Laurence ARRIBAGÉ, Julien AUBERT, Jean-Pierre BARBIER, Jacques Alain BÉNISTI, Sylvain BERRIOS, Étienne BLANC, Marcel BONNOT, Jean-Claude BOUCHET, Valérie BOYER, Philippe BRIAND, Olivier CARRÉ, Gilles CARREZ, Luc CHATEL, Gérard CHERPION, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Jean-Louis COSTES, Édouard COURTIAL, Jean-Michel COUVE, Marie-Christine DALLOZ, Olivier DASSAULT, Marc-Philippe DAUBRESSE, Bernard DEBRÉ, Jean-Pierre DECOOL, Rémi DELATTE, Patrick DEVEDJIAN, Nicolas DHUICQ, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, David DOUILLET, Marianne DUBOIS, Virginie DUBY-MULLER, Christian ESTROSI, Daniel FASQUELLE, Georges FENECH, François FILLON, Marie-Louise FORT, Yves FOULON, Marc FRANCINA, Laurent FURST, Hervé GAYMARD, Annie GENEVARD, Bernard GÉRARD, Jean-Pierre GORGES, Philippe GOSSELIN, Anne GROMMERCH, Arlette GROSSKOST, Henri GUAINO, Françoise GUÉGOT, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Jacques GUILLET, Michel HEINRICH, Patrick HETZEL, Philippe HOUILLON, Guénhaël HUET, Denis JACQUAT, Jacques LAMBLIN, Jean-François LAMOUR, Laure de LA RAUDIÈRE, Guillaume LARRIVÉ, Charles de LA VERPILLIÈRE, Alain LEBOEUF, Isabelle LE CALLENNEC, Frédéric LEFEBVRE, Marc LE FUR, Pierre LELLOUCHE, Bruno LE MAIRE, Dominique LE MÈNER, Philippe LE RAY, Céleste LETT, Véronique LOUWAGIE, Jean-François MANCEL, Laurent MARCANGELI, Thierry MARIANI, Alain MARLEIX, Olivier MARLEIX, Alain MARSAUD, Patrice MARTIN-LALANDE, Jean-Claude MATHIS, Jean-Claude MIGNON, Pierre MORANGE, Yannick MOREAU, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Dominique NACHURY, Jacques PÉLISSARD, Bernard PERRUT, Jean-Frédéric POISSON, Bérengère POLETTI, Axel PONIATOWSKI, Josette PONS, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Camille de ROCCA SERRA, Sophie ROHFRITSCH, Paul SALEN, François SCELLIER, André SCHNEIDER, Fernand SIRÉ, Thierry SOLÈRE, Michel SORDI, Éric STRAUMANN, Claude STURNI, Alain SUGUENOT, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Michel TERROT, Jean-Marie TÉTART, Dominique TIAN, François VANNSON, Catherine VAUTRIN, Patrice VERCHÈRE, Jean-Sébastien VIALATTE, Philippe VITEL,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« Oser : le progrès est à ce prix » écrivait Victor Hugo dans les Misérables.
Le progrès est moteur de notre société, force de propositions, de changements sociaux, de changements culturels et de développements économiques. Aux XIXème et XXème siècles, la France a contribué à des avancées majeures en innovant dans différents secteurs, devenant même un des leaders mondiaux dans le nucléaire ou l’automobile. Mais, depuis plus de trente ans, notre pays est entré dans une spirale de déclin en matière de performance et de productivité. Pour illustration, la part de l'industrie dans la valeur ajoutée en France a été divisée par deux entre 1980 et 2011, passant ainsi de 24 à 13 %.
Dans ce contexte, il est nécessaire d’envoyer aux Français et aux entreprises un signal fort en faveur de la croissance et de la compétitivité. Il en va de l’avenir de notre pacte républicain et de notre puissance économique.
C’est pourquoi, nous déposons une proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un nouveau principe, celui d’innovation responsable.
Ce principe est composé à la fois du principe d’innovation et de celui de responsabilité. Loin d’être antinomiques, ce sont deux principes complémentaires permettant d’atteindre le même objectif : un développement économique efficace, réfléchi et pondéré face aux grands risques environnementaux.
Le principe d’innovation responsable est à la fois une attitude philosophique, un principe économique et sociétal ainsi qu’une approche juridique.
Dès le début de XXème siècle, Schumpeter développe les fondements théoriques du processus d'innovation ; selon lui, l'entrepreneur incarne ce pari de l'innovation : son dynamisme, sa mobilité, son goût du risque, assurent la réussite de celle-ci. Il est un véritable aventurier qui n'hésite pas à sortir des sentiers battus pour innover et déstabiliser son environnement.
Dans un rapport, le député Claude Birraux définit l’innovation : « c'est l'art d'intégrer le meilleur état des connaissances à un moment donné dans un produit ou un service, et ce afin de répondre à un besoin exprimé par les citoyens ou la société. (…) l'innovation n'est pas seulement un moteur de la croissance, elle constitue également un atout qualitatif par l'amélioration du mode et du niveau de vie qu'elle apporte, par l'invention de produits et de services plus confortables et plus économiques. » (1).
L’innovation est au cœur de la croissance économique. Mais l’innovation passe également par la recherche et sa valorisation. Elle a besoin de trouver un écosystème favorable politique et juridique. C’est également une culture et une mentalité.
Dans un rapport remis au Président de la République, la « Commission innovation », présidée par Anne Lauvergeon, propose sept mesures à inscrire dans le principe d’innovation : « accorder un accueil favorable à la nouveauté, simplifier les procédures, encourager l’expérimentation, alléger les normes, consacrer une part significative des commandes publiques à des propositions innovantes, faire preuve de constance dans les politiques publiques, valoriser la prise de risque et son corollaire, l’échec, dans le système éducatif, etc., » (2).
L’innovation est l’un des grands principes qui régit notre société et il devrait être inscrit dans le bloc de constitutionnalité, afin d’être consacré, d’irriguer le droit et d’être protégé comme doit l’être tout grand principe.
L’innovation, au XXIème siècle, est la clé de grands défis, pour conserver la croissance économique, pour réaliser des gains de productivité.
Nous devons prendre des risques technologiques, avec soin et prudence, mais nous ne devons pas bannir des recherches parce qu’elles en comporteraient. D’ailleurs, toute recherche comporte des risques, de l’électricité au XIXème siècle aux nanotechnologies, en passant par les biotechnologies, les organismes génétiquement modifiés et l’énergie nucléaire, etc. Autrement dit, le « risque zéro » n’existe pas.
Notons également que le mot « risque » recouvre lui-même de nombreuses situations bien différentes puisqu’il peut être à la fois objectif - la probabilité des dommages est connue - ou subjectif - les dommages peuvent être connus mais nous n'avons aucune idée de leur probabilité.
Il existe une défiance envers la technologie et la science, qui peut être parfois légitime (3). Il faut bien évidemment avoir à l’esprit certaines affaires, qui ont été parfois des tragédies, comme l’amiante, l’hormone de croissance, le sang contaminé.
Nous soutenons indéniablement le fait que l’individu, le citoyen, l’entrepreneur ou encore le politique doivent rendre des comptes pour les actes dont ils ont la charge. C’est pourquoi le principe d’innovation se doit d’être responsable.
Le concept de responsabilité se trouve déjà présent dans la philosophie antique, comme par exemple chez les stoïciens, qui considèrent que même si l’homme est déterminé, il est responsable de ses actes.
Au XXème siècle, le philosophe allemand Hans Jonas, dans le Principe Responsabilité, développe une éthique de l'anticipation qui donne à l'homme une responsabilité inédite (4).
Pourtant, il ne faut pas croire que le principe de responsabilité est anti-technologique. Bien au contraire, il se fonde sur la science et la technologie.
Il faut noter que le principe de responsabilité englobe à la fois principe de précaution, principe de prévention, principe de réparation, et droits d’information et de participation. Tous ces principes se trouvent d’ailleurs dans la Charte de l’environnement de 2004.
Le principe d’innovation responsable permet également de mieux définir et encadrer le principe de précaution.
Le principe de précaution - ou tout autre principe connexe - ne doit pas devenir source de blocages. On remarque, qu’en se fondant sur ce principe, un grand nombre de réglementations, parfois lourdes, voire contestables, ont été prises dans différents secteurs, comme par exemple le secteur agricole ou industriel.
Le principe de précaution seul, peut être parfois un principe d’inaction, d’interdiction et d’immobilisme. La prudence doit être de rigueur mais non au détriment du progrès. C’est pourquoi il ne peut s’inscrire que dans le cadre du principe d’innovation. Ainsi, le principe de précaution pourra s’inscrire « dans une démarche positive et dynamique tournée vers l'avenir » (5) comme le souligne le sénateur Jean Bizet.
En remplaçant le principe de précaution par le principe d’innovation responsable, on encourage la recherche à prendre en compte autant les opportunités que les risques. Cet équilibre permettra à notre pays de reprendre de la vitesse dans de nombreux secteurs comme le nucléaire, les nanotechnologies ou les biotechnologies, qui pourraient pâtir d’une asymétrie d’analyse.
En outre, en substituant le principe d’innovation responsable au principe de précaution, ce dernier reste présent dans la hiérarchie des normes, puisqu’il est inscrit à l'article 191 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) (6), ainsi que dans la loi Barnier du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, qui introduit le principe de précaution en droit français, codifié à l'article L. 110-1 du code de l'environnement.
Le principe de précaution n’est donc pas supprimé, il devient un des éléments d’un principe plus large qui est celui de l’innovation responsable et qui est enfin consacré juridiquement.
C’est pourquoi nous proposons dans un article unique de remplacer le « principe de précaution » par le « principe d’innovation responsable ».
Ainsi, ce nouveau principe sera inscrit dans la charte de l’environnement qui appartient au bloc de constitutionnalité, norme suprême de l’État de droit. Il pourra alors être vecteur d’une nouvelle dynamique et d’un changement de mentalités nécessaires à notre pays.
Tel est l’objet de cette proposition de loi constitutionnelle, qu’il vous est demandé d’adopter.
PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
À l’article 5 de la Charte de l’environnement de 2004 mentionnée au premier alinéa du Préambule de la Constitution, les mots : « principe de précaution » sont remplacés par les mots : « principe d’innovation responsable ».
1 () Rapport n° 286 (2011-2012) de MM. Claude Birraux, député et Jean-Yves Le Déaut, député, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 24 janvier 2012, p. 15.
2 () Commission sous la présidence d’Anne Lauvergeon, in « Un principe et sept ambitions pour l’innovation », p. 7.
3 () Les résultats d'une enquête réalisée par le Haut Conseil de la science et de la technologie en décembre 2011mettent en évidence la défiance qui s'instaure progressivement entre la population et le savoir scientifique.
4 () Principe Responsabilité (Das Prinzip Verantwortung), ouvrage de Hans Jonas paru en Allemagne en 1979. Pour plus d’explication, voire Le principe de précaution ouvrage de François Ewald, Christian Gollier, Nicolas de Sadeleer, PUF, 2008.
5 () Avis n° 532 (2013-2014) de M. jean Bizet, fait au nom de la commission du développement durable, déposé le 14 mai 2014, proposition de loi constitutionnelle visant à modifier la charte de l'environnement pour exprimer plus clairement que le principe de précaution est aussi un principe d'innovation.
6 () « 2. La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur. ».
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