N° 2958
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juillet 2015.
PROPOSITION DE LOI
renforçant la protection du secret des sources
des journalistes,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Marie-George BUFFET, Noël MAMÈRE, Christian KERT, Jean-Noël CARPENTIER, André CHASSAIGNE, Franck RIESTER, Isabelle ATTARD et Rudy SALLES,
Député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Garantir la liberté d’expression et par voie de conséquence la libre circulation des informations constitue, dans une société démocratique, une nécessité impérieuse qu’imposent à la fois notre Constitution et la Convention européenne des droits de l’Homme.
À cet égard, il est essentiel que la loi puisse assurer de façon pleine et effective la possibilité pour les journalistes d’exercer sans entrave leur mission fondamentale d’information du public, afin qu’ils soient en mesure de jouer leur rôle de « chiens de garde de la démocratie », pour reprendre une expression utilisée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme.
C’est tout particulièrement les atteintes illégitimes susceptibles d’être commises par les autorités publiques à l’encontre du secret des sources des journalistes qui doivent ainsi être prohibées et prévenues de la façon la plus explicite et la plus efficace possible.
De ce point de vue, notre législation n’est pas satisfaisante, en dépit des réformes intervenues en la matière depuis la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale qui a reconnu le droit au journaliste entendu comme témoin de ne pas révéler ses sources et qui avait prévu un premier encadrement des perquisitions dans les entreprises de presse. En particulier, la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes s’est révélée peu efficace, en ne permettant pas de prévenir des atteintes injustifiées au secret des sources. Soucieux d’améliorer le dispositif existant, le Gouvernement avait décidé de saisir la commission nationale consultative des droits de l’Homme d’une demande d’avis sur la protection du secret des sources.
Le présent projet de loi a pour objet de réécrire entièrement les dispositions actuelles relatives au secret des sources figurant dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et dans le code de procédure pénale, afin de renforcer la protection de ce secret en traitant cette question de manière complète et cohérente, dans des conditions qui prennent en compte les réflexions des professionnels et qui s’inspirent pour partie de la législation belge.
Les principales améliorations que ce projet apporte à notre droit consistent, après avoir affirmé de façon plus forte et plus solennelle le principe de protection par la loi du secret des sources, à interdire toute atteinte à ce secret sauf si cette atteinte est justifiée par la prévention ou la répression d’une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation ; à exiger que, dans le cadre d’une procédure pénale, de telles atteintes soient systématiquement ordonnées par un juge du siège, autre que le magistrat en charge des investigations, et à aggraver la répression des atteintes au secret des sources
PROPOSITION DE LOI
L’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi rédigé :
« Art. 2. – I. – Afin de garantir l’exercice de leur mission d’information du public dans une société démocratique, le secret des sources des journalistes est protégé et il ne peut y être porté atteinte que dans les conditions prévues par la loi.
« A droit à la protection du secret de ses sources :
« 1°Toute personne qui, dans l’exercice de sa profession de journaliste pour le compte d'un éditeur d'ouvrages d’une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou d’une ou plusieurs agences de presse, pratique le recueil d’informations et leur diffusion au public ;
« 2°Le collaborateur de la rédaction, soit toute personne qui, dans l’exercice de sa profession a un lien de subordination dans une des entreprises mentionnées au 1°, est amenée, par sa fonction au sein de la rédaction, à prendre connaissance d’informations permettant d’identifier une source et ce, à travers la collecte, le traitement éditorial, la production ou la diffusion de ces mêmes informations.
« 3°Le directeur de publication d’une des personnes mentionnées aux alinéas précédents.
« II. – Constitue une atteinte au secret des sources d'une personne mentionnée au I le fait de chercher à découvrir ses sources au moyen d’investigations portant sur sa personne, sur les archives de son enquête ou sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec elle, peut détenir des renseignements permettant de découvrir ces sources.
« Il ne peut être porté atteinte au secret des sources qu'à titre exceptionnel, dans la mesure où la révélation des sources est de nature à prévenir la commission d'un crime ou d'un délit constituant une menace grave pour l'intégrité des personnes et sous réserve que cette information ne puisse être obtenue d'aucune autre manière
« Toutefois, une personne mentionnée au I ne peut en aucun cas être obligée de révéler ses sources.
« III. – Il ne peut être porté atteinte au secret des sources au cours d’une enquête de police judiciaire ou d’une instruction que sur décision d’un juge, dans les conditions et selon les modalités prévues par les articles 706-183 à 706-187 du code de procédure pénale.
« IV. – La détention et le stockage chez un hébergeur par une personne mentionnée au I de documents provenant du délit de violation du secret professionnel ou du secret de l’enquête ou de l’instruction ou du délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée ne peut constituer le délit de recel prévu par l’article 321-1 du code pénal lorsque ces documents contiennent des informations dont la diffusion au public constitue un but légitime en raison de leur intérêt général. »
Le livre IV du code de procédure pénale, est complété par un titre XXXIV ainsi rédigé :
« TITRE XXXIV
« DISPOSITIONS RELATIVES À LA PROTECTION
DU SECRET DES SOURCES DES JOURNALISTES
« Art. 706-183. – Il ne peut être porté atteinte au secret des sources des personnes mentionnées au I de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse au cours d’une procédure pénale qu’à titre exceptionnel, dans les conditions et selon les modalités prévues par les dispositions du présent titre.
« Pour l’application de ces dispositions, les informations protégées au titre du secret des sources et les personnes titulaires du droit à la protection des sources sont celles définies par le même article 2.
« Art. 706-184. – Toute personne mentionnée au I de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, entendue, au cours de l’enquête de police judiciaire ou d’une instruction ou devant une juridiction de jugement, en tant que témoin ou personne suspectée ou poursuivie, sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité est libre de ne pas en révéler l’origine.
« Art. 706-185. – Aucun acte d’enquête ou d’instruction ne peut avoir pour objet de porter atteinte au secret des sources d'une personne mentionnée au I de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, au moyen d’investigations portant sur sa personne, sur les archives de son enquête ou sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec elle, peut détenir des renseignements permettant de découvrir ces sources sauf, à titre exceptionnel, dans la mesure où la révélation des sources est de nature à prévenir la commission d'un crime ou d'un délit constituant une menace grave pour l'intégrité des personnes et sous réserve que cette information ne puisse être obtenue d'aucune autre manière.
« À peine de nullité, l’acte doit être préalablement autorisé par ordonnance spécialement motivée au regard des conditions prévues par le présent article prise par le juge des libertés et de la détention saisi, selon les cas, par requête motivée du procureur de la République ou par ordonnance motivée du juge d’instruction.
« Art. 706-186. – Lorsqu’elles ont pour objet de porter atteinte au secret des sources d'une personne mentionnée au I de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les perquisitions prévues à l’article 56-2 doivent être préalablement autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention motivée par référence aux dispositions de l’article 706-185.
« En cas d’opposition à la saisie conformément aux dispositions du septième alinéa de l’article 56-2, les attributions confiées au juge des libertés et de la détention en application de cet alinéa et des alinéas huit à onze sont exercées par le président de la chambre de l’instruction.
« Art. 706-187. – À peine de nullité, ne peuvent être transcrites, à l’occasion d’une interception de correspondances émises par la voie des télécommunications, les correspondances avec une personne mentionnée au I de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse permettant d’identifier une source si les conditions prévues par le premier alinéa de l’article 706-185 ne sont pas remplies. »
La première phrase du premier alinéa de l’article 100 du code de procédure pénale, est complétée par les mots : « ou des données de connexion ».
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après le mot : « pénal », la fin du deuxième alinéa de l’article 326 est supprimé.
2° Le dernier alinéa de l’article 100-5 et le deuxième alinéa des articles 109 et 437 sont supprimés.
Le code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 226-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits prévus au premier alinéa ont été commis dans l’intention de porter atteinte au secret des sources d’une personne mentionnée au I de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’amende est portée à 30 000 €. » ;
2° L’article 226-15 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits prévus aux deux alinéas précédents ont été commis dans l’intention de porter atteinte au secret des sources d’une personne mentionnée au I de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’amende est portée à 75 000 €. » ;
3° L’article 432-8 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits prévus au premier alinéa ont été commis dans l’intention de porter atteinte au secret des sources d’un journaliste, l’amende est portée à 75 000 €. » ;
4° L’article 432-9 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les faits prévus aux deux alinéas précédents ont été commis dans l’intention de porter atteinte au secret des sources d’une personne mentionnée au I de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’amende est portée à 75 000 €. »
L’article 719 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«Lorsqu’ils visitent un établissement pénitentiaire, une zone d’attente ou un centre de rétention, ils peuvent être accompagnés par un ou plusieurs journalistes, titulaires de la carte d’identité professionnelle mentionnée à l’article L. 7111-6 du code du travail et habilités dans des conditions fixées par décret. »
La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République.
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