N° 3270
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 novembre 2015.
PROPOSITION DE LOI
visant à l’instauration d’une journée du souvenir pour Diên Biên Phu,
(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Jacques BOMPARD,
député.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
I - La bataille de Diên Biên Phu (20 novembre 1953 – 7 mai 1954)
A - L’apogée de la guerre d’Indochine
Le 2 novembre 1953 débute le dernier des grands combats des Français en Indochine. Situé à trois cents kilomètres de Hanoï, au nord du Viêt Nam actuel, le camp retranché de Diên Biên Phu est un noyau où s’affrontent les corps des bataillons de l’armée populaire Viêt Minh, commandés par le Général Giap, et les corps expéditionnaires de l’armée de l’Union française. La lutte fait rage, jours et nuits ; courageux, les soldats français, accompagnés des vietnamiens non communistes venus leur apporter soutien, se battent sans relâche dans des conditions précaires. Sans repos, sans relèves, ils doivent - dans les derniers temps du conflit - faire face à la faim, les voies d’accès fermées par les contingences de la guerre ne permettant pas l’acheminement des vivres1. Depuis les débuts du conflit, les moyens mis à disposition des Français sont très limités face à ceux de l’armée populaire : le 23 décembre 1953, le gouvernement de la République Démocratique du Viêt Nam déclare ainsi la mobilisation générale des travailleurs : « partout où un soldat se bat, il faut dix civils sympathisants pour l’aider » annonce-t-il. Ce sont 100 000 coolies mobilisés et, avec l’aide des Chinois, un matériel d’artillerie lourde mis à la disposition des Viêt Minh. À l’inverse, les soldats français, avec à leur tête le Général Navarre2, s’entendent annoncer l’impossibilité de recevoir quelconque renfort vers l’Indochine en vertu des accords de l’Otan3.
B - Bilan d’une bataille dramatique
Et pourtant, les soldats tiennent, au-dessus de toute résistance, liés par l’irrémédiable sensation de la justesse de leur combat et d’une fraternité sincère : « les unités d’élite étaient avant tout une famille !4». Après trois mois de siège, cinquante-six jours de combat intense, le camp retranché tombe. Le 7 mai 1954, sans qu’aucune reddition n’ait été signée ou qu’un quelconque drapeau blanc se soit signalé à l’horizon, la bataille s’achève. 14 793 morts parmi les soldats de l’Union Française, 7 708 morts ou disparus en captivité5, sans mentionner les pertes matérielles considérables6 : le bilan de la bataille est dramatique. La bravoure des soldats français, le courage des vietnamiens les ayant accompagnés dans cette lutte pour la liberté doivent être soulignés. Le parti-pris idéologique de certaines instances politiques françaises à l’origine de leur dénigrement durant les années du conflit et après la chute de Diên Biên Phu doit également être rappelé.
II - Aux origines de la chute : un parti-pris idéologique
A - Des instances politiques silencieuses
La politique ambiguë de Paris, dont émanait des ordres contradictoires, mérite d’être pointée du doigt. Comment se fait-il que le Commandant en Chef en Indochine n’ait été que tardivement instruit de la tenue de la Conférence de Genève, le 26 avril 1954, où les conditions de la Paix devaient être discutées, notamment en présence du gouvernement de Hô Chi Minh ? Et que dire de la réaction de Paris lorsque le Général Navarre demanda un soutien aérien en novembre 1954, se voyant répondre : « Ajustez vos opérations à vos moyens ! » ? Complicité d’un gouvernement français silencieux, voire militant. Refus de la parution au Journal Officiel des citations gagnées au feu par les soldats français au Viêt Nam, de faire bénéficier aux blessés du corps expéditionnaire le sang collecté par l’Office d’hygiène sociale : à Paris, les têtes dirigeantes n’osent plus ni faire la guerre ni y mettre fin. À l’Assemblée nationale, les députés communistes ne se lèveront pas à l’annonce de chute de Diên Biên Phu par Joseph Laniel à la tribune ; ils sont restés silencieux devant le sacrifice des troupes françaises de la Guerre d’Indochine.
Indécision conjuguée à une politique antifrançaise des services américains7 et à
la position des 153 députés communistes et 127 socialistes présents au Parlement, ces données ont influencé la fin du conflit. À la fin du commandement du Général de Lattre (décembre 1950 – janvier 1952), qui avait notamment permis à l’armée française d’être réalimentée en vivres, armements et matériels, la chasse menée à l’égard de ses proches au gouvernement a contribué à l’enlisement de la situation. De même, la livraison d’informations confidentielles à la presse, permise par l’entremise communiste, a été à l’origine d’innombrables pertes8. « Le Viêt Minh n’ignorait à peu près rien de ce qui se passait dans notre camp. Nos intentions étaient connues dès qu’elles sortaient du cercle étroit de l’échelon du commandant responsable d’une opération. Sans doute même, dans certains cas, le Viêt Minh était-il renseigné dès qu’une opération était en projet, surtout si nous avions eu l’imprudence d’en avertir Paris », indique Roger Holeindre9, engagé comme volontaire durant la guerre d’Indochine.
B - Le dénigrement de nos soldats
Une certaine vision du conflit s’est emparée des médias français, à grands renforts de campagnes dénonçant une « sale guerre » et soumettant les soldats d’Indochine à une représentation caricaturale grossière. C’était ne pas prendre en considération la mémoire des soldats morts pour l’image de la France, ou celle des survivants, qui ont enduré au sortir de la guerre un long calvaire. Ces survivants des camps qui, jusqu’à la libération - ou la mort - ont dû se confronter à des conditions de détention inhumaines10. Leur réhabilitation doit également relever d’une reconnaissance de la position du gouvernement à leur égard. Le Général Navarre, acteur majeur du conflit, en a fait part : « Les véritables raisons de la défaite d’Indochine sont politiques... Du début à la fin, nos dirigeants n’ont jamais su ce qu’ils voulaient ou, s’ils le savaient, n’ont pas su l’affirmer. Les tergiversations, les fautes, les lâchetés accumulées pendant huit ans, sont les fruits du régime. Elles procèdent de la nature même du système politique français ».
III - La réhabilitation des combattants : pour l’honneur de l’armée française
A - Du courage de nos soldats
La bravoure des soldats français à Diên Biên Phu n’est plus à démontrer. Sur les 39 888 soldats prisonniers des communistes vietnamiens, 9 834 seulement sont rentrés ; des soldats de Diên Biên Phu, 67% des soldats ne sont jamais revenus. À la hauteur de leur martyre, le haut taux de mortalité dans quelques-uns des camps de prisonniers Viet-Minh - 72% de morts parmi les prisonniers de Diên Biên Phu en quatre mois de captivité, témoigne de l’atrocité du conflit, mené par un général Giap qui déclarait : « Le but de la guerre, c’est l’anéantissement de l’adversaire et pour ce faire, il ne saurait y avoir une limite à la violence ». De même, l’intervention des soldats vietnamiens non communistes, qui ont laissé leur vie à Diên Biên Phu (33 % des combattants de la garnison étaient des Indochinois) doit être saluée.
B - La réhabilitation de leur mémoire
Les noms du Colonel Gaucher, du Général Navarre, de Lattre, ... et de toutes leurs troupes, ne doivent pas être passés sous silence. Sans le Général Salan, le rapatriement des prisonniers de guerre n’auraient peut-être même pas eu lieu... L’honneur durant de l’Opération Castor, des parachutistes - parmi lesquels (fait unique au monde) des milliers d’hommes jamais brevetés sont venus s’engager en renforts volontaires à Diên Biên Phu, mérite d’être exposé avec vigueur.
« J’ai appris avec émotion le décès du général Giap. Ce fut un grand patriote vietnamien, aimé et respecté par tout son peuple pour le rôle éminent et fondateur qu’il a joué dans l’indépendance de son pays » a souligné M. Laurent Fabius, à l’occasion de la mort du Général Giap, le 5 octobre 2013. Mémoire des soldats français morts à Diên Biên Phu décriée, guerre d’Indochine perçue à l’aune caricaturale et réductrice d’un phénomène néo-colonialiste, silence assourdissant autour de la participation insidieuse du gouvernement français dans cet évènement dramatique : au même titre que M. Fabius salue la mémoire d’un « patriote » étranger, il serait salvateur, pour la mémoire de nos courageux soldats tombés au champ d’honneur, de recevoir un tel témoignage de considération. C’est la raison pour laquelle je souhaite établir une journée à la mémoire de nos vaillants combattants de Diên Biên Phu.
PROPOSITION DE LOI
Une journée du souvenir du sacrifice des amis de la France et des soldats français tombés à Diên Biên Phu est instaurée le 7 mai.
1 À partir du 13 mars 1953, les bombardements des Viêt Minh donnent l’assaut et l’état-major complet du bataillon de la légion tenant le PA meurt ; la piste d’atterrissage inaccessible, les moyens limités (seulement 50 Dakotas disponibles sur 100 pour le ravitaillement de toute l’Indochine - à savoir les trois Ky, Tonkin, Annam, Cochinchine, royaume du Laos et royaume du Cambodge, tout ravitaillement devient complexe.
2 Le Général Navarre, qui remplace le Général Salan le 18 mai 1953, est le dix-septième gradé nommé par le Ministère depuis 1945.
3 En vertu desquels aucune aviation de bombardements ne peut être exploitée, car elle ne doit disposer que de chasseurs d’attaque.
4 Schilardi William, C.I.P. 3ème compagnie (7 mai 1954).
5 Les chiffres cités sont issus de la brochure, Il y a soixante ans : Diên-Biên Phu, sous la direction de Roger Holeindre, avril 2014.
6 Soit dix-sept bataillons, un groupement d’artillerie, un escadron de chars et soixante-dix avions.
9 Il y a soixante ans : Diên Biên Phu, sous la direction de Roger Holeindre, avril 2014, p.40.
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