N° 3277
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 novembre 2015.
PROPOSITION DE LOI
visant à intégrer le principe de substitution dans le cadre réglementaire national applicable aux produits chimiques,
(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Jean-Louis ROUMÉGAS, Laurence ABEILLE, Éric ALAUZET, Brigitte ALLAIN, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, Sergio CORONADO, Cécile DUFLOT, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC, Barbara POMPILI, François de RUGY et Eva SAS,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le monde fait face à une épidémie de maladies chroniques.
Le 20 septembre 2011, l’Assemblée générale des Nations-unies a reconnu « le fardeau et la menace que représentent les maladies non-transmissibles à échelle mondiale » et le rôle primordial des gouvernements pour y répondre.
En France comme dans le reste du monde, cancers, maladies cardio-vasculaires, maladies respiratoires, obésité, diabète, maladies neurologiques, troubles de la reproduction, mettent en danger nos populations et la pérennité de nos systèmes de santé.
La vision classique d’une augmentation de ces maladies liée au vieillissement de la population, à la sédentarité, aux progrès du dépistage et aux seules conséquences du tabagisme et de l’alcool, apparaît de moins en moins pertinente.
La communauté scientifique a accumulé les preuves du lien entre ces maladies chroniques et l’environnement au sens large, de la pollution de l’air, de l’eau, des sols, à notre façon de produire, nos conditions de travail, d’habitat, d’alimentation.
Nous avons tous les éléments pour comprendre que la diminution de l’espérance de vie en bonne santé de nos populations est l’indicateur d’une mauvaise qualité de notre environnement, et que toute dégradation de notre environnement a un impact sur notre santé.
Les réponses institutionnelles
Le projet de loi santé voté à l’Assemblée nationale en novembre 2015 a reconnu pour la première fois le concept d’exposome, soit l’exposition globale des populations à des facteurs non-génétiques susceptibles d’altérer la santé.
Parmi les facteurs de risque, les substances chimiques que l’on trouve dans notre environnement sont les mêmes que l’on retrouve dans notre sang et qui perturbent notre système hormonal.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) évalue à 5 millions par an les décès liés aux substances chimiques, soit 8 % de la mortalité mondiale. Selon Achim Steiner, directeur exécutif du programme des Nations-unies pour l’Environnement, « les produits chimiques occupent une place de plus en plus importante dans la vie moderne et sont essentiels à beaucoup d’économies nationales, mais leur gestion irrationnelle remet en cause la réalisation d’objectifs de développement essentiels et le développement durable pour tous ».
Cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), perturbateurs endocriniens, polluants volatils, métaux lourds, nanomatériaux, additifs alimentaires sont autant de substances auxquelles nos populations sont exposées quotidiennement et tout au long de la vie. Le coût sanitaire annuel des seuls perturbateurs endocriniens s’élèverait à 157 milliards d’euros dans l’Union européenne (1,2 % du PIB). En France, celui de la pollution de l’air intérieur est évalué à 19 milliards d’euros par an par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
En interdisant le bisphénol A dans les biberons, puis dans les contenants alimentaires, la France s’est portée à l’avant-garde de la lutte contre les perturbateurs endocriniens au niveau européen.
Mais cette avancée est symbolique au regard de l’ensemble des substances chimiques auxquelles nos populations sont exposées : la Société chimique américaine en répertorie 100 millions dans le monde, il s’en invente 10 000 par jour, elles sont plus de 100 000 en circulation dans l’Union européenne.
À l’échelon européen, le règlement Reach, qui vise à une gestion des risques liés à l’utilisation des substances chimiques, a constitué une avancée juridique majeure. Pour la première fois, des obligations à l’encontre des producteurs et importateurs de substances chimiques ont renversé la charge de la preuve des autorités publiques vers l’industrie. Ce règlement est une source d’inspiration pour plusieurs pays dans le monde. Il a provoqué une modification culturelle chez les consommateurs, qui plébiscitent davantage les produits qui ne menacent pas leur santé ou l’environnement.
Cependant, au regard de l’ensemble des substances chimiques à évaluer, l’apport du dispositif est timide :
- il ne porte que sur 30 000 substances et les contraintes budgétaires au niveau européen ne permettent pas un contrôle efficace des industriels ;
– lors de son entrée en vigueur en 2007, il n’y avait pas encore de consensus scientifique sur le fait que certaines substances peuvent altérer la santé à très faible dose, cumuler leurs impacts par « effet cocktail » et agir de façon transgénérationelle ;
– il repose sur le principe de « maîtrise valable du risque » (seuil de dangerosité), et n’encadre donc pas les substances dont les propriétés intrinsèques rendent l’exposition des populations impossible à maîtriser ;
– la lenteur du processus d’enregistrement laisse sur le marché des centaines de substances susceptibles d’être classées « hautement préoccupantes » selon les critères de Reach, mais non encore réglementées. La Commission européenne les estime à 700. Les organisations non-gouvernementales, via la « liste SIN » établie par l’Organisation non gouvernementale (ONG) ChemSec, font état de 831 substances.
Enfin, la définition européenne des perturbateurs endocriniens, qui devait être proposée en 2013, est repoussée à 2017.
Pour cet ensemble de raisons, dans un bilan du règlement Reach en 2013, l’Institut de recherche de la confédération des syndicats européens estime qu’« au rythme actuel, il faudra plus de cent ans pour inciter les industriels à remplacer leurs substances toxiques les plus préoccupantes par des alternatives plus sûres. »
L’urgence à protéger nos populations nous impose de réfléchir sans tarder à un paradigme réglementaire adapté.
Le principe de substitution
En 2001, dans son Livre blanc sur la politique en matière de substances chimiques, la Commission européenne a reconnu que le principe de substitution est un objectif majeur pour mettre en place un véritable régime de protection de la santé humaine et de l’environnement.
En 2003, la Commission royale britannique sur la pollution de l’environnement soulignait que « l’incertitude considérable inhérente à notre compréhension de la façon dont les substances chimiques interagissent avec l’environnement exige une approche précautionneuse, qui sera le mieux mise en œuvre par la substitution », et recommandait au gouvernement britannique « d’adopter la substitution comme objectif central de sa politique chimique. »
Le principe de substitution peut être défini comme « le remplacement des substances dangereuses par des alternatives sans danger, quand de telles alternatives existent et à un coût économique raisonnable ».
Actuellement, aucune contrainte législative au niveau européen ou national ne favorise la substitution de substances suspectées mais non règlementées.
En France, un premier pas a été fait en 2015 lors de la Conférence environnementale : un groupe de travail doit définir une méthodologie d’évaluation des solutions de substitution des perturbateurs endocriniens ; les principaux industriels concernés pourront déposer des projets collaboratifs à l’occasion d’appels à projets du fonds unique interministériel.
Les entreprises et le pari de la substitution : une politique de prévention à la source
Pour certaines entreprises, la substitution constitue déjà un objectif à atteindre. Néanmoins, de nombreuses organisations s’accordent sur le fait qu’en l’absence d’incitation réglementaire, la substitution sera marginale et l’objectif de protection des populations ne sera jamais atteint ; un rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (2003) démontre l’inefficacité des approches volontaires, tant sur l’étendue des démarches que d’un point de vue économique : si le coût d’une alternative plus sûre est trop élevé en raison d’une faible demande, l’innovation sera faible – en particulier dans les PME, qui ont plus de difficultés économiques à adopter l’alternative.
Lors des rencontres qui ont précédé cette proposition de loi, les entreprises ont souligné que leurs choix se portent plus naturellement vers des substances suspectées, mais dont elles connaissent les risques, que vers de nouvelles substances dont elles ne savent rien, et pour lesquelles le coût de la recherche éco-toxicologique est élevé.
Enfin, nombreuses sont les entreprises qui adoptent des pratiques exemplaires, mais qui peinent à faire valoir leurs efforts et à y trouver un avantage compétitif. En dépit des progrès réalisés en matière de connaissance des substances et d’une meilleure communication dans la chaîne d’approvisionnement, la profession regrette de ne pas observer d’impact positif du règlement Reach sur la confiance que le grand public accorde aux produits chimiques. Elle observe que l’Agence européenne des produits chimiques n’affiche que les aspects négatifs de la chimie et ne valorise pas la substitution, car son rôle se limite à la gestion des aspects négatifs.
À rebours des idées reçues, plusieurs études démontrent qu’une contrainte règlementaire sur les produits chimiques est de nature à amorcer un processus d’innovation favorable au secteur de la chimie et à la recherche. Un exemple parmi d’autres : les dépôts de brevets internationaux ont augmenté à l’annonce d’une législation plus contraignante sur les phtalates ; il a suffi de jouer sur le nombre d’atomes d’hydrogène d’un phtalate incriminé pour trouver une nouvelle molécule présentant les caractéristiques d’un phtalate sans en être un.
Les interventions du législateur sont donc particulièrement indiquées pour favoriser l’innovation dans le secteur de l’industrie chimique sujet à une grande inertie, due à de fortes économies d’échelle, une externalisation des coûts très marquée et des lacunes dans l’information des consommateurs.
La chimie est la solution
L’innovation est d’autant plus nécessaire que l’industrie chimique est confrontée à la pression croissante des consommateurs, des détaillants et des investisseurs, qui exigent des produits plus sûrs sans distinction dans une même famille de substances ou selon l’usage qui en est fait. Ce climat anxiogène, parfois irrationnel, dicté par la rumeur, ne profite pas à l’industrie. Dans le même temps, les économies émergentes se positionnent pour devenir des leaders de la chimie innovante.
Si la chimie peut poser problème, c’est aussi une partie de la solution aux grandes questions liées à la santé, l’environnement, le changement climatique. La France l’a compris, en témoigne la création en 2014 de PIVERT, le premier centre européen, à vocation mondiale, de recherche, d’innovation d’expérimentation dans la chimie du végétal à base de biomasse oléagineuse.
Au vu de ce contexte, le moment est opportun pour imaginer une stratégie de substitution des substances chimiques préoccupantes et remettre la chimie au service du bien-être de nos populations.
Le dispositif
On ne peut que s’étonner de l’absence, en France et en Europe, d’une forme d’incitation réglementaire à la substitution, mais aussi d’une plateforme d’accompagnement des industriels dans leurs démarches.
Une loi française aurait un impact significatif sur la perception par l’Union européenne de la question de la substitution. Tel est l’objectif de cette proposition de loi, qui prévoit un dispositif innovant rassemblant l’ensemble des acteurs dans un esprit de confiance restaurée et respectueux des contraintes imposées par le droit européen.
Ce dispositif reconnaît un devoir d’audit des substances chimiques suspectées à tout fabricant, importateur, utilisateur en aval soumis, dans l’exercice de ses activités industrielles, au règlement européen CLP.
L’hypothèse centrale du dispositif est qu’un processus de recensement obligatoire est nécessaire pour faire découvrir aux entreprises des possibilités de substitution ou d’usage différent, et les inciter à les adopter. Ce devoir de recensement consiste simplement en une obligation de moyens : la mise en œuvre des options identifiées dans le plan est volontaire.
En matière d’obligation de moyens, il existe déjà dans notre droit des dispositifs similaires, parmi lesquels l’obligation de réalisation d’un audit énergétique pour les entreprises de plus de 250 salariés fixée par la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013. Il n’y a aucune contrainte de mise en œuvre.
Le devoir de recensement s’inscrit dans un esprit d’anticipation, il porte l’ambition qu’un professionnel n’attende plus passivement la règlementation de substances suspectées, lorsqu’une alternative à un coût raisonnable existe.
Accompagner les entreprises
Cette ambition n’est réalisable qu’à condition d’accompagner les entreprises. Les entreprises florissantes de demain sont celles qui auront su s’adapter à la complexité des échanges commerciaux dans le monde, il est du devoir des États de les encourager à anticiper les contraintes réglementaires.
Ces entreprises, selon leur place dans la chaîne de production, qu’il s’agisse de grands groupes ou de petites PME, n’ont pas toujours des intérêts convergents. Deux besoins communs ont été identifiés lors des auditions menées pour cette proposition de loi :
– une plateforme de validation des tests sur les perturbateurs endocriniens ; les lignes directrices de l’OCDE en comptent plus de cent, mais des lacunes demeurent et des investissements sont nécessaire à la mise au point de tests in vitro et in vivo adaptés pour établir l’innocuité ou la dangerosité d’un produit même à très faible dose.
– une plateforme d’aide technique, scientifique, administrative et financière à la substitution.
Les entreprises soulignent également la nécessité d’une projection officielle claire sur l’avenir de la réglementation de toutes les substances dites « gris clair à gris foncé », soit suspectées mais non encadrées par le règlement Reach.
Les agences de l’État pour une perspective clarifiée
En France, l’aide technique à la substitution se limite à un site Internet proposé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Anses) sur le partage d’expériences de substitution réussies de substances CMR, et à un accompagnement de l’Institut national de l’environnement industriel et du risque scientifique (Ineris) pour la substitution du seul bisphénol A.
Au niveau européen, il n’existe pas non plus de plateforme d’aide à la substitution. Ce rôle est assumé par l’ONG suédoise ChemSec, dont le travail considérable constitue la seule base de données publique d’aide à la substitution, substance par substance. Leur « liste SIN » est selon Geert Dancet, directeur exécutif de l’Agence européenne des produits chimiques, « une initiative qui aide les autorités comme les entreprises à savoir quelles substances seront bientôt placées par la Commission européenne sur la liste des substances préoccupantes. »
Sans remettre en cause cette initiative d’intérêt général, on peut se demander s’il est légitime qu’une ONG se substitue aux agences nationales et si cela ne révèle pas une lacune du dispositif européen. Il semble opportun, a minima, d’instaurer une collaboration entre nos agences nationales et cette initiative.
Par ailleurs, l’aide financière à la substitution en France est émiettée : on ne recense pas moins de sept outils d’aide à la substitution, parmi lesquels le Crédit impôt recherche ou le Fonds unique interministériel. Cette complexité administrative, à laquelle pourrait répondre un guichet unique d’aide à la substitution, compte parmi les freins identifiés par les entreprises.
Le dispositif propose donc une plateforme d’aide aux entreprises pilotée par l’Institut national de l’environnement industriel et du risque scientifique (Ineris).
Cette plateforme met à disposition des entreprises, par l’intermédiaire d’un site internet, un recensement de la littérature scientifique existante sur chaque substance suspectée, l’état de sa réglementation européenne et dans le reste du monde, ainsi que les expériences de substitution réussies. La liste des substances à prioriser est définie par l’Ineris, après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Anses).
En complément de cette plateforme, il convient d’étudier les conditions pour garantir, sur une durée limitée, l’éligibilité du Crédit impôt recherche et du Crédit impôt innovation pour la recherche de substances ou d’un ensemble de substances alternatives, et d’outils d’évaluation en éco-toxicologie.
Les exemples étrangers à l’avant garde
La France ne serait pas le premier État à accompagner ses entreprises vers une réduction de l’utilisation de substances préoccupantes.
En 1989, le Parlement de l’État du Massachusetts a adopté une loi de réduction des produits toxiques, dite « TURA » qui investit les entreprises de trois responsabilités.
Premièrement, elles doivent délivrer un rapport annuel sur l’ensemble de leurs utilisations.
Deuxièmement, les entreprises doivent suivre un processus de « planification de réduction de produits chimiques toxiques ».
Les entreprises doivent conserver une copie du plan dans les locaux de l’installation, afin que les inspecteurs de l’État puissent y avoir accès à tout moment lors de leurs inspections – même si la signature du planificateur suffit généralement pour garantir la bonne qualité du plan.
Troisièmement, les entreprises doivent payer une contribution – entre 3 000 et 35 000 dollars par an – couvrant les frais des services pourvus par l’État pour les aider à respecter leurs obligations.
Le département de protection de l’environnement reçoit les rapports des entreprises, certifie les planificateurs et assure l’application de la loi.
Deux autres agences ont été créées spécifiquement par la loi TURA :
– le bureau d’assistance technique, formé d’ingénieurs qui se déplacent dans les installations demandeuses pour offrir avis et conseils techniques relatifs à la réduction des produits chimiques toxiques ;
– l’Institut de réduction de produits toxiques (TURI) est chargé de toutes les autres activités découlant de la loi TURA : formation des planificateurs, versement des subventions, organisation de la recherche, analyses des alternatives, appui technique aux entreprises, gestion d’un laboratoire travaillant avec les entreprises pour trouver des solutions, gestion d’une bibliothèque d’information spécialisée dans les produits chimiques et les alternatives.
Au cours des dix premières années du programme, les entreprises du Massachusetts ont réduit l’utilisation de produits toxiques de 40 % et les rejets dans l’air, l’eau et les sols de 90 %. Au cours des onze années suivantes (2000 à 2011), l’utilisation de produits toxiques a encore chuté de 20 % et les émissions de 70 %.
En Suède, le gouvernement fournit une aide à l’industrie par le biais de sa base de données interactive PRIO, qui contient aussi bien les substances réglementées que celles qui ne sont pas couvertes par une réglementation. PRIO fournit des informations sur les propriétés sanitaires et environnementales intrinsèques de ces substances. Par le biais d’un site web interactif, elle permet aux entreprises d’évaluer leurs utilisations de substances chimiques, d’étudier les opportunités de réduction des risques par la substitution et d’anticiper les législations à venir.
L’ONG ChemSec, via son site Internet Subsport, rassemble la banque de donnée sur la substitution la plus complète en Europe.
Au Danemark, la banque de cas de substitution Catsub est un portail donnant accès à des expériences réussies de substitution de matières dangereuses dans différents secteurs et procédés. Il contient des centaines de cas de substitutions menées par des entreprises, des professionnels ainsi que des chercheurs.
En Allemagne, le BAuA (Institut allemand de sécurité et de santé au travail) propose plusieurs outils d’aide à la substitution.
Loin d’être un frein économique, le dispositif valorisera les bonnes pratiques mises en œuvre par les entreprises. Les modalités de cette valorisation seront définies par un décret en Conseil d’État.
Cette proposition de loi pose des principes d’intérêt général. Le dialogue entre toutes les parties prenantes doit permettre d’affiner le dispositif, au service de la protection des populations.
ARTICLE 1er
DU DEVOIR DES ENTREPRISES DE RECENSER LES ALTERNATIVES AUX SUBSTANCES CHIMIQUES PRÉOCCUPANTES
L’article 1er propose que les entreprises soient tenues de réaliser un audit des substances chimiques présentes dans une liste définie par l’Ineris après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Anses). La définition officielle de cette liste permettra de répondre au climat d’incertitude sur la nocivité des substances, qui fragilise entreprises et consommateurs. La liste comprendra en priorité les substances présentes dans les produits de consommation courante et susceptibles d’être en contact avec la population par inhalation, ingestion ou contact cutané.
Le pari de l’audit chimique est de faire découvrir aux entreprises des possibilités de substitution ou d’usage différent, et de les inciter à les adopter. Ce devoir d’audit consiste simplement en une obligation de moyens : la mise en œuvre des options identifiées est volontaire.
Les audits doivent prévoir les tâches suivantes :
– identifier les substances chimiques préoccupantes utilisées et les alternatives existantes ;
– évaluer, selon le degré d’information disponible, les effets sanitaires et environnementaux de ces alternatives ;
– conduire une analyse technique et financière de ces alternatives.
DU RÔLE DE L’ÉTAT D’ACCOMAGNER LES ENTREPRISES VERS LA SUBSTITUTION DES SUBSTANCES CHIMIQUES PRÉOCCUPANTES
L’article 1er propose également que l’Institut national de l’environnement industriel et des risques offre aux entreprises une projection sur l’avenir de la règlementation chimique.
Cette plateforme met à disposition des entreprises, par l’intermédiaire d’un site internet, un recensement de la littérature scientifique existante sur chaque substance de la liste des substances prioritaires, l’état de sa réglementation européenne et dans le reste du monde, ainsi que les expériences de substitution réussies. Cet appui technique et scientifique s’accompagne également d’un conseil sur les aides financières existantes en matière de substitution.
Un label visant à récompenser les démarches vertueuses complète le dispositif d’incitation et d’accompagnement des entreprises.
ARTICLE 2
L’article 2 propose que le Crédit d’impôt recherche soit majoré si l’administration fiscale estime que l’entreprise a suffisamment contribué au cours de l’exercice précédent à la recherche d’une ou d’un ensemble de substances alternatives.
Cependant, le principal frein à la substitution identifié par les entreprises ne relève pas du législatif : il s’agit d’une incertitude sur l’éligibilité d’une activité aux aides financières à la substitution, et notamment au Crédit impôt recherche, selon que cette activité s’inscrit ou non dans un « champ de développement expérimental ». Il conviendrait donc d’étudier les conditions pour garantir, sur une durée limitée, l’éligibilité du Crédit impôt recherche et du Crédit impôt innovation pour la recherche de substances ou d’un ensemble de substances alternatives prioritaires, et la recherche d’outils d’évaluation en éco-toxicologie.
ARTICLE 3
DU DROIT DES CONSOMMATEURS À L’INFORMATION SUR LES SUBSTANCES CHIMIQUES PRÉOCCUPANTES
L’article 3 propose que, lorsque l’Anses a émis des recommandations spécifiques sur des substances allergènes, cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques ou à caractère perturbateur endocrinien, concernant les femmes enceintes, les fabricants soient tenus de marquer d’un pictogramme « Déconseillé aux femmes enceintes » leurs produits contenant ces substances.
La communauté scientifique nous alerte sur l’importance de la fenêtre d’exposition aux substances chimiques préoccupantes : les publics vulnérables, en particulier les femmes enceintes, sont les populations à informer en priorité.
Il s’agit d’une mesure de bon sens qui met en conformité l’information du consommateur avec les avertissements de notre agence sanitaire, publiques sur son site Internet. Cela permettra aux citoyens de prendre des décisions éclairées et incitera les entreprises à adopter des démarches vertueuses.
C’est un premier pas, en comparaison avec d’autres législations : en Californie, la loi exige que les entreprises - sur la base d’une liste mise à jour chaque année (800 en 2015) - informent les citoyens de la présence de substances chimiques préoccupantes dans les produits qu’ils consomment ou sur leur lieu de travail.
PROPOSITION DE LOI
Après l’article L. 521-5 du code de l’environnement, sont insérés deux articles L. 521-5-1 et L. 521-5-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 521-5-1. – I. – Tout fabricant, importateur, ou utilisateur en aval soumis, dans l’exercice de ses activités industrielles, au règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) n° 1907/2006, est tenu de réaliser, chaque année, un diagnostic des substances incluses dans la liste de substances chimiques préoccupantes définie à l’article L. 521-5-2, établi de manière indépendante par des auditeurs reconnus compétents.
« Le diagnostic comprend notamment :
« – le recensement des substances chimiques incluses dans la liste mentionnée à l’article L. 521-5-2. Ce recensement inclut également les substances mentionnées à l’article L. 523-1 et les substances utilisées comme additifs ou arômes dans le cadre du règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaires, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ayant fait l’objet de recommandations spécifiques par l’agence mentionnée à l’article L. 1313-1 ;
« – l’évaluation de la nécessité du recours à ces substances et pour chacune d’entre elles, le recensement des alternatives existantes ;
« – l’évaluation, en fonction des informations disponibles, des effets sanitaires et environnementaux des alternatives ;
« – une analyse technique et financière du recours à ces alternatives.
« La personne morale assujettie transmet à l’autorité administrative les informations relatives à la mise en œuvre de cette obligation.
« Le premier diagnostic est établi au plus tard le 1er janvier 2018.
« Un décret définit les modalités d’application du diagnostic, notamment les modalités de reconnaissance des compétences et de l’indépendance des auditeurs et les modalités de transmission des informations.
« II. – L’autorité administrative peut sanctionner les manquements qu’elle constate aux présentes dispositions.
« Elle met l’intéressé en demeure de se conformer à ses obligations dans un délai qu’elle fixe. Elle peut rendre publique cette mise en demeure.
« Lorsque l’intéressé ne se conforme pas, dans le délai fixé, à cette mise en demeure, l’autorité administrative peut lui infliger une amende dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à sa situation, à l’ampleur du dommage et aux avantages qui en sont tirés, sans pouvoir excéder 2 % du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice clos.
« Les sanctions sont prononcées après que l’intéressé a reçu notification des griefs et a été mis à même de consulter le dossier et de présenter ses observations, assisté, le cas échéant, par une personne de son choix.
« Les sanctions pécuniaires sont recouvrées comme les créances de l’État étrangères à l’impôt et au domaine.
« L’autorité administrative ne peut être saisie de faits remontant à plus de quatre ans s’il n’a été fait durant cette période aucun acte tendant à leur recherche, à leur constatation ou à leur sanction. »
« Art. L. 521-5-2. – I. – Conformément à ses statuts, l’Institut national de l’environnement industriel et des risques apporte un appui technique, scientifique et administratif aux démarches de substitution des substances chimiques préoccupantes.
« Il veille notamment à :
« – mettre à disposition des entreprises et du public, sur un site internet prévu à cet effet, un observatoire des alternatives à chaque substance chimique préoccupante mentionnée sur une liste établie par l’organisme cité au premier alinéa du présent article, après avis de l’agence citée par l’article L. 1313-1 du code de la santé publique ;
« - informer dans le détail les entreprises sur les outils financiers à leur disposition pour soutenir leurs démarches de substitution des substances chimiques préoccupantes et à mutualiser leurs dépenses de recherche sur une substance, ou un ensemble de substances, ouvrant droit au crédit d’impôt mentionné à l’article 244 quater B du code général des impôts.
« II. – Le ministre chargé de l’environnement peut attribuer un label aux entreprises dont l’engagement en matière de substitution des substances chimiques préoccupantes présente un intérêt pour la protection de la santé des populations et de l’environnement.
« Un décret en Conseil d’État définit les modalités de mise en œuvre de ce label, notamment ses conditions d’attribution et de retrait. »
I. – Après le III bis de l’article 244 quater B du code général des impôts est inséré un III ter ainsi rédigé :
« III ter. – Le montant du crédit d’impôt recherche est majoré de 5 % si l’administration fiscale estime que l’entreprise a suffisamment contribué, au cours de l’exercice précédent, à la recherche d’une ou d’un ensemble de substances alternatives, conformément aux dispositions de l’article L. 521-5-1 du code de l’environnement ».
II. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
III. – Le I. n’est applicable qu’aux sommes venant en déduction de l’impôt dû.
Après l’article L. 1313-10 du code de santé publique, il est inséré un article L. 1313-10-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1313-10-1. – Lorsque l’agence a émis des recommandations spécifiques sur des substances chimiques concernant les femmes enceintes, les fabricants sont tenus de marquer d’un pictogramme « Déconseillé aux femmes enceintes » leurs produits contenant ces substances. »
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